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28
Décembre
: Défense des
"élites"

Une
cinquantaine
de gens se présentant comme
« artistes, écrivains et
producteurs de cinéma »
ont volé au secours de Gérard
Depardieu dans une
tribune publié dans Le
Figaro. Ils le
présentent comme « probablement
le plus grand des acteurs.
Le dernier monstre sacré du
cinéma » et poursuivent
par une étonnante
affirmation :
« Lorsqu'on s'en prend
ainsi à Gérard Depardieu,
c'est
l'art que l'on
attaque ». Tiens
donc ! Vous imaginez le
syndicat des
plombiers ou de
libraires » défendant
un plombier ou un libraire
violeur
ou assassin en proclamant
qu’en s’en prenant à eux
c’est la
plomberie ou la
boulangerie qu’on
attaque ? Car les
signataires, parmi les
lesquels Carla
Bruni, Benoît Poelvoorde,
Charlotte
Rampling, Bertrand Blier,
Jacques Dutronc, Pierre
Richard, Jacques Weber ou
Yvan
Attal ont une réaction à la
fois syndicale et de classe.
Réaction syndicale,
c’est l’évidence : ils
viennent au secours de l’un
des leurs parce qu’il
est l’un des leurs, sans
avoir la moindre idée de son
éventuelle culpabilité
et, comme Macron la semaine
précédente, sans un mot sur
les éventuelles
victimes. Réaction de
classe, en deux sens :
classe d’âge tout d’abord
(leur moyenne d’âge est de
65 ans) et classe sociale
(des artistes qui se
serrent les coudes). Bref,
cette intervention est à la
fois dérisoire et
répugnante.
Le hasard a fait que le lendemain, le 26, Libération
consacrait sa couverture et
ses trois premières page au
philosophe Louis Althusser
qui, en 1980, avait étranglé
sa femme, Hélène Rytmann. Or
il s’était produit à
l’époque exactement la même
chose. Althusser était un
véritable gourou et ses
élèves, les
« althussériens »
l’idolâtraient. Avant que
l’autopsie
ait conclu à un assassinat par
strangulation, on parla de
mort naturelle. Puis
certains avancèrent que la
victime était suicidaire et
qu’il avait, en la
tuant, répondu à ses
sollicitations. Bref ses
élèves se regroupèrent autour
de
lui, bienveillant, le
protégeant, sans guère
s’’attarder sur l’assassinat
d’ Hélène
Rytmann. Un enseignant dans
une école d’élite, Normale
supérieure, membre d’une
classe sociale supérieure,
était ainsi absous par des
étudiants se considérant
comme de futures élites. Mais
tous savaient que depuis au
moins trente ans,
leur gourou faisait de
fréquents séjours en milieu
psychiatrique…
Un an après l’assassinat, Althusser fut
déclaré irresponsable et
bénéficia d’un non-lieu. Il
fut hospitalisé jusqu’en
1983, puis vivra dans un
appartement parisien et
décédera en 1990 dans une
clinique de la MGEN. Mais,
pendant ces longues années, on
parla peu de la
victime de ce féminicide,
Hélène. C’est l’assassin qui
était la vedette.
Certes, Depardieu n’est pas soupçonné
d’assassinat. Mais dans les
deux cas, ce sont des
« élites » venant
au secours une
« élite » qui
invisibilisent une victime en
faisant du
coupable ou du présumé
coupable la vedette d’un
fait-divers leur permettant se
rappeler leur existence par
voir de tribune.
21
Décembre
: De couleuvres en
boas

Le
président
Macron a effectué hier un
détournement d’émission comme
on détourne un avion. Invité
(ou sans doute s’étant invité)
à l’une des meilleures
émissions d’information de la
télévision publique (C à
vous, sur la 5),
interrogé par d’excellents
journalistes qui ne lui
faisaient pas de cadeaux, il a
réussi un véritable travail
d’artiste. Débutant par un
paradoxe en expliquant que la
loi sur laquelle nous allons
revenir était une défaite du
Rassemblement National, un
bouclier contre l’extrême
droite, il a poussé l’habileté
jusqu’à dire qu’il
n'appréciait certains articles
(Notons
en passant qu’il n’a pas dit
« je ne suis pas
d’accord » mais
« ce
n’est pas une bonne
idée », nuance…)
et que c’était d’ailleurs pour
cela qu’il allait consulter le
conseil constitutionnel.
Tout est d’ dans la nuance
chez ce maître en rhétorique
qui aime s’écouter
parler et, alignant des
phrases interminables, rogne
sur le temps de parole des
journalistes. Ils ne l’ont pas
épargné, pourtant, l’ont
parfois mis en face de ses
contradictions, mais telle une
anguille entre les mains d’un
pêcheur, il s’en sortait avec
un sourire et une phrase
retorse.
Des
députés (27) de son parti
ont voté contre la
loi ? Pas grave. Un
ministre a
démissionné ?
Bof ! Cependant,
pendant toute cette partie
de l’émission, il paraissait
tendu, sachant très bien
qu’il racontait des
histoires. Et puis on est
passé à autre chose, et il
s’est senti plus à l’aise.
En
deux
heures il a réussi à parler de
tout, de l’Ukraine, de
l’école, du conflit
israélo-palestinien, du niveau
de vie, voulant montrer chaque
fois qu’il avait toujours eu
raison, toujours défendu les
bonnes positions. Sauf
peut-être sur la fin de vie,
où ses annonces en zigzag
montrent qu’il ne
sait pas où il va. De façon
générale il est difficile de
le coincer car il semble
n’avoir aucune conviction
réelle, aucune valeur et donc
nul besoin de courage
pour les défendre. Il glisse.
Interrogé sur Gérard
Depardieu, accusé de viol et
d’agression sexuelle, il
salue l’immense artiste
dont il se dit grand
admirateur, invoque la
présomption d’innocence mais
n’a pas un mot pour les
victimes présumées. Au point
que peut se demander s’il n’a
pas utilisé là une tactique
classique, lançant
un sujet de polémique de
nature à faire oublier le
débat sur la loi.
La
loi,
donc, parlons-en. J’écrivais
ici
le 12 décembre que je ne
pouvais pas savoir ce que
serait la suite législative
de la mascarade à laquelle
nous avions assisté lors du
vote d’une motion de rejet.
Souvenez-vous : les
députés, de l’extrême droite
à l’extrême gauche, unis
dans la joie, se
réjouissaient d’avoir,
croyaient les seconds, fait
échec au gouvernement. Le
résultat est là : ces
pompiers pyromanes que sont
les parlementaires de gauche
et d’extrême gauche, après
avoir refusé de discuter
d’une loi qu’ils auraient pu
peut-être modifier, se
retrouvent (et nous avec
eux) devant une loi plus
dure encore tandis que
Marine Le Pen jubile. Quant
à Eric Ciotti , le patron
d’un petit parti
« gaulliste» en voie de
disparition, il sautille
comme un gamin qui aurait
gagné une partie de billes,
sauf que les billes sont ici
de sacrés boulets. En effet,
le texte de loi est
constellé de références
explicites aux thèmes de
l’extrême droite, sur la préférence
nationale par
exemple. Nous sommes
évidemment face à une
victoire idéologique du RN
sur un thème, les
migrations, que la gauche se
refuse depuis des années à
analyser, n’ayant aucune
proposition, aucun discours,
aucun thème à proposer et
s’opposant systématiquement
à ce qui vient de la droite
sans savoir quoi poser en
face de concret.
Bref, Macron a trahi ce qu’il essayait de
faire passer pour une
sensibilité sociale. Quant à
ce qu’il est convenu d’appeler
« l’aile gauche » de
la macronie, je veux dire tous
ceux qui sont allés à la soupe
pour avoir un poste
ministériel ou parlementaire,
ils avalent la couleuvre sans
même se demander si la
prochaine fois ce ne sera pas
un boa. De couleuvres en boas
! Et les sondages montrent
qu’une France rancie, raciste,
revancharde, approuve ces
mesures honteuses.
Parfois, plaisantant à moitié, je me dis et je
dis autour de moi que viendra
un jour où je devrai demander
l’asile politique. Mais
où ? Pas en Tunisie, tant
qu’elle aura le même
président. Tiens, pourquoi pas
au Brésil ? Mais il me
faudrait pour cela améliorer
mon portugais. Allez, je m’y
mets.
13
Décembre
: Etrange
sémiologie
Vous
connaissez
le tournesol,
également appelé
soleil ? Cette
grande fleur jaune peut faire
penser à un soleil, ses
pétales figurant ses rayons,
d’où son nom en anglais (sunflower
) et en allemand (sonnenblume).
Elle a aussi la particularité
de suivre tout au long de la
journée la course du soleil,
d’où son nom dans les langues
romanes, tournesol
donc, girasole (en
italien), girasol (en
espagnol) ou girassol (portugais).
Mais ce tournesol est au
centre d’un grave débat
identitaire au Kirghizistan.
Le
parlement
de ce pays vient en effet de
voter la résolution de changer
le drapeau de la nation. Sur
celui-ci, on voit sur fond
rouge un soleil avec 40 rayons
qui représentent les 40 tribus
kirghizes et deux séries de
trois lignes qui sont la
stylisation de la pièce
centrale de la yourte
traditionnelle kirghize. Et
alors, qu’est-ce qu’il a de
répréhensible ce
drapeau ? On lui reproche
de rappeler le tournesol,
fleur qui se dit dans la
langue locale kukarama,
mot qui est utilisé comme
métaphore de la dépendance (la
fleur est
« dépendante » du
soleil). En bref le tournesol
est une girouette. Or le
Kirghizistan est indépendant
depuis 1991…
Comme
quoi
la sémiologie peut mener aux
plus étranges décisions. Mais
on ne sait pas quel sera le
nouveau drapeau du Kirghizistan...
Post
scriptum
qui
n’a
rien à voir : on annonce
en France la parution d’un
livre, Comment faire voter
une loi pour les nuls,
dont on dit que les différents
ministères en ont déjà
commandé plusieurs dizaines
d’exemplaires.
12
Décembre
:Y a-t-il des
adultes à
l'Assemblée
nationale?
Etrange
spectacle
hier à l’Assemblée nationale.
Ils étaient tous à se
congratuler, à
applaudir : l’extrême
droite, les écologistes, la
gauche, la droite, l’extrême
gauche. Ils ne sont d’accord
sur rien mais se félicitaient
d’avoir empêché l’ouverture de
la discussion d’une loi sur
l’immigration. Les uns veulent
jeter tous les migrants à la
mer, d’autres veulent les
accueillir tous, d’autres
encore ont des positions
intermédiaires, mais ils ont
voté hier pour ne pas en
débattre et ils s’en
réjouissent. Face à cette
ambiance de cour de
récréation, on peut se
demander s’il y a des adulte à
l’Assemblée nationale.
Le
ministre
de l’intérieur avait lancé une
formule facile et un
peu infantile : nous
serons méchant avec les
méchants et gentil avec les
gentils. Or la moitié des
députés considéraient hier que
la loi était trop méchante et
l’autre moitié qu’elle était
trop gentille. Mais tous se
réjouissent. De quoi ? Ma
première réaction a été de me
réjouir moi aussi de la claque
prise par Darmanin, mais cette
réaction ne relève pas de la
politique, elle est infantile.
De la même façon, je ne
supporte pas le pouvoir de
plus en plus personnel d’un
Macron dont, en outre, la
pusillanimité fait souvent
qu’il repousse des
décisions importantes (sur la
fin de vie par exemple) ou se
ridiculise en changeant sans
cesse de pied (sur le conflit
Israël-Palestine par exemple).
Mais, pour lui répondre, il
faudrait élaborer des
positions sur ces points,
argumenter, chercher à
convaincre.
Laissons
la
droite et son extrême, qui ne
m’intéressent pas et me
concernent encore moins.
Mais la gauche ?
Elle est depuis des années
désespérante, ne proposant
rien de nouveau sur rien. Le
cas de cette loi est
exemplaire. L’immigration est
là, et elle constitue une
vraie
question de société.
Il est a des clandestins qui
travaillent en France et sont
indispensables à certains
secteurs. Faut-il les
régulariser ? Il y a du
bétail humain que les
trafiquants transportent et
jettent sur les rivages de la
Grèce, de l’Italie et du Nord
de la France ? Faut-il
légiférer, prendre des
mesures ? Il y a des
clandestins qui commettent des
délits, sont jugés, condamnés.
Faut-il les renvoyer dans leur
pays ? Le résultat du
vote d’hier est qu’on refuse
de débattre de ces questions,
ce qui est pourtant la tâche
de l’Assemblée. Devons-nous
considérer cela comme une
victoire ou comme une preuve
d’impéritie ?
Je
ne
sais pas, bien sûr, quelle
sera la suite législative de
cette mascarade parlementaire.
Mais elle donne aux électeurs,
qui sont d’ailleurs de plus en
plus des abstentionnistes, une
triste image de la politique.
Encore
une
fois, y a-t-il des adultes à
l’Assemblée ?

7
Décembre
:Vers une junk
thought?

J’ai assisté la
semaine dernière à une journée
d’études au cours de laquelle
j’ai entendu des gens parler
de décolonial,
d’autres de postcolonial,
sans que la différence entre
les deux soit très claire.
Pourtant il est intéressant de
remonter à l’origine de ces
deux notions. Il y a plus de
quarante ans que l’Argentin
Enrique Dussel (en particulier
dans Filosofia de la
liberacion en1977) a
développé l’idée qu’à partir
de 1492 s’est construite la
« modernité », une
hiérarchisation occidentale
des connaissances et
l’opposition
entre pays
« développés » et
« sous-développés ».
Les études décoloniales se
sont ainsi développées en
Amérique Latine, sans avoir
beaucoup d’écho en Europe. En
revanche lorsqu’aux Etats-Unis
sont apparues plus tard les
études postcoloniales,
essentiellement fondées sur la
critique de l’héritage
colonial britannique en
Afrique et en Inde, elles ont
très vite influencé des
chercheurs européens.
Le fait que ces
deux notions n’ont pas
eu la même fortune en
Europe nous mène à une
question plus large. Il y a
d’une part un tropisme évident
vers tout ce qui vient
d’Amérique du Nord, dont
témoigne le succès de ce que
la presse appelle le wokisme.
Et, d’autre part, une
méconnaissance de ce qui vient
d’Amérique du Sud,
méconnaissance qui parfois
s’apparente à une forme de
mépris. Il y a certes quelques
exceptions, comme le Brésilien
Paulo Freire dont la Pédagogie
des opprimés (1968) fut
traduite en français dès 1974
ou encore la théologie de
la libération. Mais, de façon
générale, c’est surtout par la
musique que ces pays ont
traversé l’Atlantique. Avec la
Bossa Nova tout d’abord, puis
avec les musiciens des pays
ayant connu des coups d’état
et des régimes fascisants,
comme le Chili : Pinochet
a ainsi été le meilleur
attaché de presse du groupe
des Quilapayun, de Violetta
Parra ou de Victor Jara, tout
comme bien avant eux
l’Argentin Atahualpa Yupanqui,
mis en prison sous le régime
de Péron, partit faire
carrière en France et plus
largement en Europe et dans le
monde entier. Les oreilles
occidentales accueillaient
volontiers une musique
utilisant la gamme et les
instruments auxquelles elles
étaient habituées :
l’Europe n’a pas reçus des
musiciens cambodgiens,
vietnamiens chinois, irakiens
ou égyptiens, même si beaucoup
de gens manifestaient contre
ces régimes. Il était
préférable pour un musicien
fuyant un régime totalitaire
et voulant travailler en
Europe de venir d’Amérique du
Sud que du Moyen-Orient ou
d’Asie…
Bien sûr, l’Europe
avait, avant ces musiciens,
reçu des USA le jazz,
considéré comme musique de la
modernité. Mais depuis de
nombreuses années on ne
s’intéresse guère à ce qui
vient d’Amérique du Sud dans
le domaine des idées, comme si
l’Amérique du Nord avait le
monopole de la pensée… Je me
souviens qu’en 1980, alors que
je travaillais en Equateur, le
grand peintre Oswaldo
Guayasamin, que je voyais
souvent, m’avait un soir
longuement parlé de Pablo
Neruda, de Gabriela Mistral,
de Niemeyer, de Garcia Marquez
et de Siqueiros, me disant que
l’Amérique Latine était en
train « de donner au
monde une création artistique
d’une force et d’un humanisme
que l’Europe a perdus ».
Peut-être… Mais les fortunes
différentes de décolonial et
de postcolonial dont je suis
parti me laisse à penser que
s’il y avait pour la Boétie
une « servitude
volontaire » il y a
aujourd’hui dans le domaine de
la pensée une soumission
volontaire à
l’Amérique du Nord, une
américanisation qui frôle
parfois le ridicule. Après
l’invasion
de la junk food (ou, si vous
préférez, la néfaste food),
nous risquons peut-être
d’aller vers celle d’une
junk thought. Et
l’Amérique du Sud nous
serait alors utile pour
analyser cela en termes
décoloniaux.
27
Novembre
: Lecture
Connaissez-vous Tokyo Time Table ?
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vous intéresser (ou vous
amuser). Et en même temps
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22
Novembre
: El
loco et sa tronçonneuse
Une amie brésilienne qui ne manque pas
d’humour m’écrit que les
Argentins ont un tel sentiment
de supériorité qu’ils ont
voulu faire mieux que les
Américains (lorsqu’ils ont élu
Trump) et que les Brésiliens
(lorsqu’ils ont élu
Bolsonaro). Les Argentins ont
donc élu Javier Milei el
loco, « le
fou ».
Armé d’une tronçonneuse il a, dans ses
différents meetings, annoncé
qu’il allait trancher dans le
vif, supprimer une dizaine de
ministères, réduire
l’importance de l’Etat,
privatiser à tout va. Il veut
même privatiser l’eau des
fleuves ! Je suis
d’ailleurs curieux de voir
comment les éventuels
propriétaires des
fleuves pourraient taxer les
animaux qui viennent y boire
leur eau…
En bref, ce type dit n’importe quoi. Il veut
rompre les relations
économiques avec la Chine et
le Brésil (qui sont les
premiers partenaires
commerciaux de l’Argentine),
supprimer les aides sociales,
il traite le pape de dangereux
marxiste, etc. Ses discours
sont une suite de conneries
enfilées comme des perles, un
collier de conneries qui ne
permettent aucun débat
puisqu’elles ne reposent sur
aucune analyse , sur aucune
théorie.
Faut-il en conclure que ses électeurs sont des
cons. Ce serait tentant, mais
cela s’apparente à des
discussions du café du
commerce. La situation de
l’Argentine se ramène à
quelques données
implacables : une
inflation de 145 %, 40% de la
population sous le seuil de
pauvreté, une dette
incommensurable et une classe
politique incapable et
corrompue. Il est toujours
facile de dire qu’on a les
dirigeants qu’on mérite. Mais
lorsque les Argentins élisent
un clown comme président de la
république, les choses sont
plus grave. Elles témoignent
peut-être d’une absence de
réflexion, d’un analphabétisme
politique, mais elles
témoignent surtout d’un grand
désespoir. Beaucoup de
commentateurs analysent cette
élection sur le mode
« ils ont tout essayé,
rien n’a marché, alors ils se
disent pourquoi pas el
loco ! ».
Il est probable qu’avec sa tronçonneuse el
loco se
heurtera très vite à des
bûches qu’il ne pourra pas
trancher : il n’a pour
l’instant aucune majorité
parlementaire. Mais
ce déclencheur, « on a
tout essayé », est à
examiner avec soin. Il
témoigne de l’échec de tous
les partis politiques, de leur
incapacité à résoudre les
problèmes, de leurs promesses
non tenues, de leurs
mensonges, de leur avidité…
Un pays pourri, l’Argentine ? Peut-être,
mais prenons garde. On
commence à entendre ce
« on a tout essayé »
dans les bistrots français. Et
l’extrême droite attend
derrière la porte.
19
Novembre
: L’art et le blé
Je suis allé cette semaine voir, au musée
d’Orsay, l’exposition
consacrée à Vincent Van Gogh.
On peut y voir les 33 dessins
et les 74 toiles qu’il a
réalisés durant les deux mois
précédant sa mort, la dernière
toile ayant été peinte le
matin même de son suicide.
Mais…
Mais j’avais acheté via Internet mes billets
d’entrée pour 15 heures 30
(les billets sont réservés de
30 minutes en 30 minutes).
Arrivés à 15 heures, on nous
désigne une file d’attente
dans laquelle nous avons
piétiné pendant une heure sous
la pluie. A 16 heures nous
entrons enfin dans le hall du
musée et après les contrôles
de sécurité nous arrivons
devant une nouvelle
queue : encore une heure
d’attente. Au total, donc,
deux heures, avant de pénétrer
dans l’exposition. J’ai écrit
plus haut qu’on « peut y
voir »
33 dessins et 74
toiles. A condition de jouer
des coudes et de se faufiler
dans la foule.
Il y a dans les toiles de Van Gogh beaucoup de
champs de blé, aux corbeaux,
avec cyprès, aux iris, aux
herbes, avec graviers, etc. Et
c’est bien de blé qu’il
s’agit. Le peintre n’a vendu
de son vivant aucune de ses
toiles, mais le musée d’Orsay
en tire du blé sans vergogne.
A quoi sert de vendre des
billets pour une heure précise
si on ne peut entrer qu’une
heure et demie plus
tard ? Est-il trop
difficile de calculer le
nombre de personnes qui
peuvent accéder normalement à
une exposition ?
Vous imaginez une salle de cinémas qui
vendrait pour une séance plus
de billets qu’il n’y a de
places assises ? C’est à
peu près ce que fait le musée
d’Orsay. On a vraiment
l’impression que les amateurs
de peinture sont pris pour des
gogos. Peu importe les queues
qu’on leur impose, les
difficultés de déplacement,
l’impossibilité de voir
réellement et tranquillement
les œuvres… Ce qui compte,
c’est de faire du blé. Sur le
dos de l’art et des amateurs
d’art. C’est beau, la
politique culturelle !
14
Novembre
: Jean-Pierre Verheggen
C’était il y a longtemps, à la fin des années
1970 et au début des années
1980. J’étais allé trois ou
quatre fois à Namur, pour
parler de mes livres récemment
parus dans une émission de la
radio belge. C’était le soir
(21, 22 heures ?), cela
durait longtemps (2, 3
heures ?), et je ne me
souviens plus du tout du nom
de l’animateur de l’émission,
pourtant chaleureux et
brillant. Je me souviens
seulement qu’il y avait
toujours des verres et une
grosse bouteille de Chianti
(elles étaient à l’époque
renflées, entourées
d’un revêtement de
paille, et certains les
utilisaient pour en faire des
lampes) et que nous buvions
pas mal. Et je me souviens
surtout que l’animateur avait
un complice, Jean-Pierre
Verheggen.
Je n’ai jamais rencontré un tel acrobate de
mots, une machine à produire
des calembours et de l’humour
noir. Un plaisir
immense ! Nous avions
sympathisé, nous étions rendus
compte qu’il était né un jour
après moi (le 6 juin 1942)
mais nous ne nous sommes revus
qu’une fois, au début des
années 1990, dans un colloque
au Québec.
Quelques titres de ses ouvrages vous donneront
une idée de son immense talent
et de sa fureur linguistisante
(je sais, monsieur le correcteur orthographique, le
mot n’existe pas) : Le Degré Zorro de l'écriture, Divan
le Terrible, Ninietzsche,
peau d'chien, Les
Folies belgères, Artaud
Rimbur, Ridiculum
vitæ,
etc.
Jean-Pierre Verheggen est mort il y a quelques
jours. Lisez ses œuvres.
12
Novembre
: Chasse au trésor

Depuis sa mort, en 2020, il y a eu plusieurs
hommages à Alain Rey. J’ai
participé à certains d’entre
eux, le dernier en date étant
un ouvrage, Alain Rey,
Lumières sur la langue,
sous la direction de François
Gaudin, sorti il y a quelques
semaines aux éditions Honoré
Champion. Les auteurs (nous
sommes près d’une vingtaine)
ont reçu l’ouvrage, quelques
bibliothèques l’avaient acquis
par avance, et puis, patatras,
le livre est retiré de la
vente et tous les exemplaires
sont détruits, semble-t-il
après une intervention de
l’héritière de Rey.
En cause, deux textes. Le premier, « Le Petit
Robert
et
moi », est une conférence
qu’Alain avait donné lors d’un
colloque en 2017 et qu’il
avait confié à François Gaudin
pour une publication des actes
qui ne sont jamais parus et
qui est donc publié ici. Tant
mieux car il est à la fois
scientifiquement riche et
rempli d'humour. Dans le
second, « Alain Rey et le
Trésor de la langue
française. Une formation
exceptionnelle à la
lexicographie »,
Danielle Candel
évoque ses souvenirs de sa
collaboration avec Rey en se
fondant sur les notes de
travail qu’elle a conservées.
On y trouve en particulier des
corrections manuscrites de Rey
à des articles qu’il avait
lui-même rédigés. Un document
extrêmement intéressant.
Candel présente
d’ailleurs A. Rey comme
« un formidable guide
pour les apprentis
rédacteurs ».
Bref, on ne voit pas ce qui a pu déclencher
l’ire de l’héritière. Elle a
déclaré qu’elle n’avait pas
demandé le retrait du livre
mais que « c’est
l’éditeur lui-même qui, averti
par moi, a décidé de cesser
l’exploitation de
l’ouvrage », ce que Rey
aurait sans doute considéré
comme un euphémisme.
Quoiqu’il en soit, ce livre n’existe presque
plus, et en tout cas, vous ne
le trouverez pas en librairie.
Alors, pour finir de façon
plus gaie, je vous propose de
vous lancer dans une chasse au
trésor. Le premier qui, sans
cambrioler l’un de ses
co-auteurs, un journaliste ou
une des rares bibliothèques
qui le possède, en trouvera un
exemplaire, aura gagné… je ne
sais pas quoi. Le droit d’être
cité dans un de mes prochains
billets ?
7
Novembre
: Sans
commentaire
Les
religions, toutes les religions,
sont à mes yeux des machines à
rendre les crétins plus crétins
encore. Mais on apprend parfois
des choses intéressantes
en écoutant leurs représentants
de commerce. L'un d'entre eux,
le rabbin Amichaï Friedman, est
"rabbin militaire" dans l'armée
israélienne. Toutes les armées
ont en effet des représentants
de différentes religions, on
appelle ça en français des
aumoniers, mais ils ne sont pas
nécessairement charitables,
comme nous allons le voir.
Je n'ai pas
visionné la vidéo, et d'ailleurs
je ne comprends pas
l'hébreu. Mais voici ce
que le rabbin Amichaï Friedman,
a, selon Libération de
ce matin, déclaré devant un
parterre de soldats:
"Si
j'enlève les otages et les
morts, je pense à ce mois
comme un des plus heureux et
ma vie" Puis il
ajoute, sous les
applaudissemnts: "Toute la
terre, Gaza, le Liban, toute
la Terre promise. Nous y
retournerons".
Sans
commentaire.
5
Novembre
: Un pays comme les autres ?
Si vous avez bonne mémoire et vous souvenez de
ce que la presse écrite ou
audiovisuelle a mis en avant
depuis cinq ou sixsemaines,
vous avez dans la tête une
succession un peu surréaliste.
Le 7 octobre, alors qu’on
parlait partout de l’Ukraine,
les titres ont soudainbasculé
vers le conflit
israélo-palestinien qui
occupait près de la moitié des
informations, et mêmedans les
petits papiers de bas de page
ou dans les dernières minutes
des journaux télévisés,
l’Ukraine avait disparue.
Depuis deux jours, les
tempêtes sontpartout partout.
Et il est probable que dans
les jours qui viennent le
débat sur une loi concernant
l’immigration sera en France à
la une. Ainsi val’information,
sur le mode pousse toi d’là
que j’m’y mette…
Mais c’est autre chose qui m’a marqué. Après
les atrocités commises par le
Hamas, la réponse d’Israël
fait de la surenchèredans
l’horreur. Des milliers, des
tonnes de bombes, sur une
population dont sans doute
seule une petite minorité
défend les actions du Hamas.
Gaza, quiétait déjà une prison
à ciel ouvert, est désormais
une immense morgue. Sans faire
du sentimentalisme facile sur
les enfants, les femmes qui
n’en demandaientpas tant et
sur le fait qu’Israël se
déconsidère moralement, je
pense surtout aux futurs
survivants. A ceux qui
grandiront en gardant au cœur
la haine qui enfera de
nouveaux ennemis de l’Etat
d’Israël. Je
ne fais pas preuve
d’originalité en disant que
s’il y a une solution à ce
conflit , elle ne peut être
que politique. Mais
l’esprit
de vengeance n’est pas une
politique, pas plus que les
intérêts particuliers d’un
premier ministrecorrompu,
Benyamin Netanyahou, qui tente
de repousser le plus loin
possible l’heure d’affronter
les procès qui l’attendent.
Face à cela, les réactions internationales des
pays démocratiques relèvent de
la cécité volontaire.
On condamne partout
les terroristes du Hamas (à
quelques exceptions près,
comme en France les idiots
utiles mélenchonistes)et on se
bouscule pour affirmer son
soutien à Israël, son droit à
se défendre, mais on oublie ce
qu’est le régime israélien.
J’ai déjà rappelé le 11
octobreque Netanyahou choyait
jusqu’ici le Hamas, en citant
sa phrase que je
reprends: « Quiconque veut empêcher
l’édification d’un état
palestinien doit soutenir le
renforcement du Hamas,
ycompris à travers le
transfert d’argent. C’est
notre stratégie, c’est comme
ça qu’on isolera les
Palestiniens de Gaza de ceux
de la Cisjordanie ». Le
Hamas n’est bien sûr pas une
création volontaire d’Israël,
mais une créature nourrie,
entretenue, par Nétanyahou
En
Cisjordanie
les colons (et il n’échappe à
personne cette appellation
nousrenvoie au colonialisme,
de même étymologie)
transforment le territoire en
fromage à trous, volant chaque
jour, avec la protection de
l’armée israélienneun peu plus
de terre aux Palestiniens, les
tuants si besoin est. Et la
liste des résolutions de l’ONU
qu’Israël n’a pas respectées
est très longue. En
voiciquelques-unes, au risque
de lasser le lecteur, mais je
pourrais en citer quatre fois
plus :
Le 22 novembre 1967 (résolution
242) le
Conseil
de sécurité condamne
l’« acquisition de
territoire par
laguerre » et
demande le « retrait
des forces armées
israéliennes des territoires
occupés ». Il
affirme « l’inviolabilité
territoriale
et l’indépendance
politique » de
chaque Etat de la région. Le
21 mais 1968 (résolution
252) le Conseil de sécurité
déclare « non
valides »les mesures
prises par Israël, y compris
l’« expropriation de
terres et de
biensimmobiliers », qui
visent à « modifier
le statut de
Jérusalem », et
demande à celui-ci de
s’abstenir de prendre de
telles mesures. Le 3 juillet
1969(résolution 267) le
Conseil de sécurité censure « toutes
les mesures prises [par
Israël] pour
modifier le statut de
Jérusalem ». Le 22 mars
1979 (résolution 446) le
Conseil de sécurité
exigel’arrêt des « pratiques
israéliennes
visant à établir des
colonies de peuplement dans
les territoirespalestiniens
et autres territoires arabes
occupés depuis
1967 »,déclare que ces
pratiques « n’ont
aucune
validité en droit » et
demande
à Israël de respecter la
convention de Genève
relative à la protectiondes
personnes civiles en temps
de guerre. Le 20 décembre
1990 (résolution 681),
Israël est sommé d’appliquer
la convention de Genève. Le
24 septembre 2002(résolution
1435) le Conseil de sécurité
exige « le
retrait rapide des forces
d’occupation israéliennes
des villes
palestiniennes ». Il
demande à l’Autorité
palestinienne de « faire
traduire en justice les
auteurs d’actes
terroristes ». Le 19
mai 2004 (résolution1544)
Conseil de sécurité demande
qu’Israël respecte « les
obligations que lui impose
le droit humanitaire
international » et « l’obligation
qui lui est faite de ne pas
se livrer aux destructions
d’habitations », etc
etc..
Arrêtons donc cette liste, lassante mais révélatrice. Israël
se comporte comme ce que les
Américains aiment qualifier de
« pays voyou ». Face
à la cécité internationale
volontaire,nous avons là une
surdité israélienne toute
aussi volontaire. La solution
de deux états a été maintes
fois évoquées, mais Israël
n’en veut pas. Israël
coloniseà tout va les
terrotoires palestiniens.
Israël a décrété que Jérusalem
était sa capitale, au mépris
de tous les traités (et seuls
les USA ont déplacé
leurambassade de Tel Aviv à
Jérusalem). Depuis des
dizaines années, dans les
discours israéliens, on a
essayé de faire croire que les
critiques dont ce paysétait
l’objet étaient de
l’antisionisme et que
l’antisionisme était de
l’antisémitisme. Argument
ridicule : la situation
ne relève ni del’antisémitisme
ni de l’antisionisme, elle
relève du non-respect des
règlements internationaux. Et
la question qui se pose, la
seule recevable, est de
savoirsi Israël est un pays
comme les autres, un pays dont
tout le monde peut critiquer
la politique et que, lorsqu’il
le faut, on peut punir. Non
pas par laguerre, bien sûr.
C’est grâce à des sanctions
économiques et politique qui
l’avait isolée que l’Afrique
du Sud a été contrainte de
mettre fin àl’apartheid et de
revenir à la démocratie
(rappelons qu’à l’époque,
d’ailleurs, Israël avait été
le seul pays à
ne pas
avoir respecté ce boycott). Si
Israël était un pays comme les
autres, il y a longtemps que
le même type de
sanctionsauraient été prises.
Sauf que personne ne veut ou
n’ose le considérer comme tel.
Et c’est bien le problème.
29
Octobre
: Petite
histoire en
trois actes
Premier
acte Au
mois de mai dernier, un
collègue hongrois m’avait
demandé si je voulais être
dans le jury d’une thèse qu’il
codirigeait dans une
université française. Le sujet
(l’argot) m’intéressait, et
j’avais donné un accord de
principe, attendant bien sûr
de lire ce travail. Lorsque je
l’ai reçu, il y a deux
semaines, j’ai constaté avec
étonnement qu’une personne de
nationalité russe, enseignant
dans une université russe,
était à la fois rapporteur
avant soutenance et membre du
jury.
Dans
une série de mails, j’ai
d’abord expliqué que je ne me
voyais pas siéger avec
quelqu’un dont j’ignorais la
position face à l’invasion de
l’Ukraine, que la Russie était
sous embargo. La codirectrice
française m’a alors répondu
qu’elle n’avait aucune
consigne de la direction de
son université
concernant un embargo
sur les chercheurs. Un peu
narquois, je lui dis qu’elle
aurait pu y penser avant et
surtout demander leur avis aux
autres membres du jury, et
qu’il y avait là un problème à
la fois politique et éthique,
que la constitution de ce jury
me paraissait être une façon
de contourner l’embargo (la
collègue russe ne pouvant pas
bien sûr venir en France, elle
devait intervenir par vidéo)
et que dans ces conditions je
ne participerai pas à ce jury.
A ce stade, j’étais surtout
irrité par l’irresponsabilité
et l’absence de réflexion
politique de ma
collègue : On ne m’a rien
dit , donc je ne me pose aucun
problème
Fin
du premier acte.
Deuxième
acte L’irritation
a été remplacée par le rire
lorsque j’ai reçu un mail,
toujours de la codirectrice
française, me disant qu’elle
venait
d’apprendre qu’il y
avait effectivement un embargo
sur
les
collègues
russes. J‘étais
surtout frappé par le fait que
cette courageuse collègue
faisait peser ces erreurs sur
le dos de ses
supérieurs. Je la cite :
« Ma Vice-Présidence Recherche et mon école doctorale ne sont
décidément pas du tout à la
page : on vient de m'apprendre
qu'il y a effectivement
embargo sur les collègues
russes qui sont localisés
institutionnellement en
Russie ». En
d’autres termes, cela
signifiait qu’elle ne prenait
aucune initiative, était prête
à accepter n’importe quoi sans
scrupules, tant qu’elle se
sentait couverte par ses
supérieurs. Et la
collègue russe étant
ipso facto
exclue
du jury, on me demandait si je voulais revenir sur ma décision et y siéger.
Mauvais
esprit
comme je suis, j’ai demandé ce
qui se serait passé si je
n’avais pas ouvert ma
gueule : La soutenance
aurait été déclarée
illégale a posteriori?
Elle aurait pu être
invalidée ? Et la seule
personne à en souffrir
vraiment aurait été la
candidate ? Par
ailleurs, une thèse ne pouvant
pas être présentées sans deux
pré-rapports positifs déposés
quelques semaines avant la
soutenance, je demandais
comment ils allaient gérer
cette situation.
Et
j’ajoutais,
malicieux : «Je
vais m’amuser comme un fou à
raconter tout cela sur mon
blog… »
Fin du
deuxième acte.
Troisième
acte La
réponse fut à la fois
hilarante et
terrifiante : « J’espère
que tu peux comprendre que si
tu vas "t'amuser comme un fou
à raconter tout cela sur ton
blog", je suis dans
l'impossibilité de
t'inviter? ».
Que
des
gens ne soient pas au courant
des décisions d’embargo prise
par leur université, cela peut
se comprendre, même s’il
s’agit aussi d’incompétence
administrative. Qu’ils ne se
posent pas la question de la
présence d’une universitaire
du pays de Poutine dans un
jury français, cela montre
qu’ils n’ont aucune conviction
ni aucune éthique. Mais qu’ils
tentent de m’intimider, qu’ils
aient peur d’une texte sur un
blog peu lu et dont le
titulaire n’est pas un
influenceur d’envergure, c’est
du plus grand comique. Ce qui
est amusant, c’est que cette
réponse ressemble à une
tentative de censure, assortie
d’une
menace de ne pas m’inviter,
comme si une invitation à
siéger dans un jury était un
cadeau ou un honneur…
Au cours de ma longue carrière universitaire,
je me suis parfois fait haïr
quand, devant des collègues
d’une arrogance et d’une
suffisance incommensurables,
je déclarais que,
statistiquement, s’il y avait
X pour cent d’imbéciles ou
d’incapables dans la société,
il devait y avoir le même
pourcentage dans l’université.
S’ils avaient eu le sens de
l’humour, ils auraient pu
répliquer que cela
s’appliquait aussi au
pourcentage de prétentieux et
que j’en étais la preuve. Mais
les universitaires manquent
souvent d’humour. Quoi
qu’il en soit, et tout ce qui
précède le montre,
l’université est, comme sans
doute la majorité des groupes
sociaux ou professionnels, à
l’image de la société avec, à
côtés de ses aspects positifs,
ses
tics, ses lâchetés, ses idées
toutes faites, ses
incompétences, ses obsessions
carriéristes … A quelques
nuances près: la
profession
universitaire est protégée du
chômage, des
licenciements abusifs, et l’on
y trouve peu de SDF…
Pour finir, je ne sais comment définir cette
petite histoire en trois
actes. Pièce comique ?
Tragi-comique ?
Dramatique ? Billet
d’horreur-fiction ? Récit
injuste ? Miroir de la
société ? Ou tout
simplement fait divers
illustrant, hélas, le peu de
sérieux de certains
universitaires ? Je vous
laisse le choix…
23
Octobre
: Du crétin
digital aux
petits
cons
téléphoniques

En
2019 Michel Desmurger sortait
un livre (La Fabrique du
crétin digital (Seuil
2019)
dans lequel il analysait les
dangers pour le développement
cognitif des enfants de la
pratique exagérée des écrans.
Pour information, les enfants
des pays occidentaux à partir
de 2 ans passent près de 3
heures par jour devant un
écran. Entre 8 et 12 ans,
autour de 4 h 45, et entre 13
et 18 ans, près de 6 h 45.
C’est-à-dire qu’un élève de
cours moyen passerait
1 700 heures par an
devant un écran, plus que le
volume horaire annuel
d’enseignement.
Ce
qui se passe depuis quelques
jours en France témoigne d’une
autre forme de crétinisation.
Des coups de téléphone ou des
mails adressés à des
établissements scolaires, des
musées ou des aéroports les
avertissent qu’une bombe a été
placée chez eux. Affolement,
évacuations des gens,
vérification, et puis rien…
Les
crétins qui se livrent à ce
qu’ils pensent sans doute être
une simple plaisanterie ne
savent même pas qu’ils sont
toujours retrouvés, qu’on
remonte facilement à la source
de ces alertes attentat (64
enquêtes sont déjà ouvertes)
et qu’ils risquent de un à
trois ans de prison et une
amende assez lourde, ce qui
fera sans doute un grand
plaisir à leurs parents. L’un
d’entre eux, arrêté, a
expliqué qu’il voulait ainsi
empêcher un cours de maths de
se tenir. On croit
rêver !
Il
ne s’agit plus de crétins
digitaux mais de petits cons de
téléphonistes.
Le
problème est que, comme dans
l’histoire du gamin qui criait
sans cesse « au
loup! » pour rien et fut
un jour bouffé par un loup
parce qu’on croyait plus à ses
alertes, il pourrait un jour y
avoir une vraie alerte et que
les forces de sécurité,
fatiguées par ces
plaisanteries, n’y croient
pas. Et si, ce jour-là,
certains de ces petits cons
téléphonistes étaient dans
l’école victime d’
l’attentat ?
18
Octobre
: Lutte des classes
ou lutte des
identités?
Voilà
que la députée RFI Danièle
Obono remet, comme le disait
la chanson, « deux thunes
dans l’bastringue ». Hier
matin, sur les ondes de Sud
Radio, elle a déclaré que le
Hamas était « une
branche armée », un
« mouvement de
résistance » en outre
« reconnu comme tel par
les instances
internationales ». En
quelques mots elle a donc
réussi à dire une
contre-vérité (les
« instances
internationales »
reconnaissant les Hamas comme
« mouvement de
résistance ») et à
refuser de traiter le Hamas de
terroriste (il est classé
comme organisation terroriste
au moins par l’Union
Européenne).
Comment
analyser l’avalanche de bévues
que Mélenchon et son cercle
rapproché, accumulent ?
Passons sur ce cercle
rapproché : le suivisme
semble être son seul mode de
réflexion et la démocratie ne
semble pas être le mode de
gestion de la France
insoumise. Mais
Mélenchon ? On peut
hésiter entre plusieurs
hypothèses, qui ne sont
d’ailleurs pas exclusives les
une des autres. La première
relève de la
psychanalyse : une
tendance à détruire ce qu’il a
créé pour que personne ne
puisse lui succéder. Une autre
hypothèse est plus politique.
Devant l’évidence de
l’évolution de ce qu’il reste
de la classe ouvrière vers
l’abstention ou le
Rassemblement National,
Mélenchon penserait que sa
base électorale peut être
élargie vers les banlieues,
vers les émigrés musulmans.
Une troisième hypothèse est
que Mélenchon a utilisé le PS,
le PCF et les écologistes
quand il en avait besoin, pour
des raisons électorales, et
qu’il se fout comme de sa
première chemise de ce qu’ils
pensent. De ce point de vue,
selon la façon dont on
prononce le sigle, NUPES rime
avec dupes.
Mais
le refus de parler de
terrorisme à propos du Hamas
évoque une étonnante
étroitesse de vue. Comment ne
pas voir que le Hamas nuit à
la cause palestinienne ?
Comment ne pas comprendre
qu’il joue le jeu de
Nétanyhou (voir mon
billet du 11 octobre)? Comment
ne pas comprendre que la
meilleure façon de défendre la
cause palestinienne est
justement de ne pas la
confondre avec les actions du
Hamas ?
Le
problème est que l’union de la
gauche que constitue la NUPES
ne repose que sur une vision
électoraliste, qu’elle n’a pas
de propositions nouvelles, pas
d’analyse de la situation
sociale actuelle. Ou plutôt
oui, elle a une vision
électoraliste et une analyse
de la situation sociale, mais
elle est complètement
farfelue. Le positionnement de
Danièle
Obono
est de ce point de vue
intéressant. Elle se
définirait (selon Wikipédia)
comme « altermondialiste,
afro-féministe,
anti-impérialiste,
antiraciste, antilibérale,
anti-islamophobe et
panafricaniste ». Cela fait, bien sûr, beaucoup de
choses pour une seule femme,
mais surtout cela évoque une
notion venue des USA, celle
d’intersectionnalité. Et
apparaît alors ce qui
permettrait de définir la
vision politique actuelle
(actuelle car il a été
successivement trotskyste puis
apparatchik socialiste) de
Mélenchon:
remplacer la lutte des
classes par un lutte des
identités.
11
Octobre
: Complément
En
complément de ce que
j’écrivais avant-hier, voici
ce que Netanyahou avait
déclaré en 2019 devant les
députés du
Likoud : « Quiconque
veut empêcher l’édification
d’un état palestinien doit
soutenir le renforcement du
Hamas, y compris à travers le
transfert d’argent. C’est
notre stratégie, c’est comme
ça qu’on isolera les
Palestiniens de Gaza de ceux
de la Cisjordanie ». Ce
passage, que la presse
israélienne rappelle, illustre
bien sûr la stratégie un peu
perverse l’Israël dont je
parlais hier : jouer le
Hamas contre l’Autorité
palestinienne pour qu’on ne
parle jamais d’une solution
pacifique. Mais cette
stratégie est revenu en
boomerang vers Netanyahou.
Du
coup,
ce complément
à mon billet
d’avant-hier l’est aussi
au palmarès des
conneries que j’ai lancé dans
mon billet du 30 septembre….
9
Octobre
: Deux poids et
deux mesure?

On
ne peut pas dénoncer
la barbarie de la Russie en
Ukraine et fermer les yeux sur
celle du Hamas. Et
l’engagement pro-palestinien
ne saurait en rien
justifier les centaines
de morts de
ce week-end. De ce point de
vue, les réactions de Jean-Luc
Mélenchon et d’une partie des
insoumis sont profondément
ambigües. Le bureau du groupe
LFI à l’Assemblée nationale
déplore certes « les
morts israéliens et
palestiniens » mais parle
d’une « offensive armée
des
forces
palestiniens » et le
choix des mots est important.
Offensive armée, certes, mais
faisant surtout des victimes
civiles, victimes absolument
pas collatérales lorsqu’on tue
plus de deux cents jeunes
participants à un meeting
musical. Et justifier cet acte
de terrorisme par le sort que
réserve Israël aux
Palestiniens reviendrait à
justifier le massacre du 13
novembre 2015 au Bataclan par
la présence de l’armée
française au Moyen-Orient pour
lutter contre Daech.
Je
considère pour ma part la
cause palestinienne comme
légitime, et je la soutiens,
ce qui est d’ailleurs de moins
en moins le cas des pays
arabes. Et j’ai au moins deux
raisons de critiquer le Hamas.
La première relève de mes
convictions laïques: la
théocratie, le mélange de la
politique et de la religion me
hérissent, que ce soit en
Israël, dans les pays arabes,
en Inde, au Pakistan, en
Pologne, aux USA ou ailleurs.
La seconde est éthique et
concerne le fait de tuer
sciemment des civils, qu’ils
soient ukrainiens,
palestiniens, israéliens ou
ouighours.
Après
cette première réaction,
peut-être primaire, il faut
prendre un peu de recul. Le
Hamas est bien sûr financé et
armé par l’Iran, tout comme
Israël est armé par les Etats
Unis. En outre, il est
probable que l’Iran se
réjouisse de voir que le
Hamas, par un autre effet
collatéral, mette en
difficulté le rapprochement
entre l’Arabie Saoudite et
Israël. Et s’il est vrai que
le Hamas a pris en otage la
cause palestinienne, le
gouvernement de Netanyahou en
a
joué comme
repoussoir, pour oblitérer la
légitimité de cette cause.
Pour
toutes ces raisons, les
réactions presque unanimes de
la communauté internationale
sont insupportable parce
qu’unilatérales. La
condamnation des crimes commis
par le Hamas est justifiée,
mais la même communauté
internationale est depuis
longtemps muette sur les
crimes commis par Israël, par
son
armée ou ses colons, dans les
territoires palestiniens
occupés. Si l’on désire
vraiment une solution
pacifique, que ce soit sous la
forme de deux pays, la
Palestine et Israël, ou d’un
seul pays qui ne pourrait
alors être que laïque, il faut
souligner que le gouvernement
israélien ne montre aucune
volonté allant dans ce sens.
Seul le premier Yitzhak Rabin,
signataire en 1993 des accords
d’Oslo menant à la création de
l’autorité palestinienne,
était clairement sur la voie
d’une solution pacifique. Il a
été assassiné. Et
l’on ne compte plus les
résolutions de l’ONU, contre
lesquelles deux pays, les USA
et Israël, ont
d’ailleurs régulièrement voté
contre, qu’Israël n’a jamais
appliquées. De ce point de
vue, selon la définition («qui
ne respecte pas les lois
internationales») de la notion
d’ailleurs contestable d’état
voyou, Israël a depuis
longtemps le comportement un
« état voyou ». Mais
un état qu’on se refuse le
plus souvent à critiquer ou à
dénoncer.
Deux poids et deux
mesures ?
6
Octobre
: Inexactitudes
Le
courrier international vient
de sortir un numéro hors-série
sur le thème « La
bataille des langues ».
Comme d’habitude, on y trouve
une sélections d’articles
venant de la presse
internationale, mais cette
fois-ci sur un thème unique,
les langues. Plusieurs pages
sur l’abandon du russe en
Ukraine, un article sur le
recul du français comme langue
internationale, un autre sur
la lutte en Chine contre le
cantonnais (qu’il faut mettre
en lien avec la mise-au-pas
autoritaire de Hong Kong). Ou
encore une analyse de
l’expansion du swahili en
Afrique, ou sur la disparition
probable de l’arabe chypriote,
du llanito de Gibraltar, etc.
Il
est dommage qu’en ouverture,
dans une double page consacrée
aux « principales langues
officielles dans le
monde », on trouve une
confusion assez étonnante. A
côté d’une carte bien informée
sur les principales langues
officielles dans le monde
(elle repose sur les données
d’Ethnologue) on a en effet un
« top 20 des langues les
plus parlées dans le
monde ». l’anglais vient
en tête, devant le chinois
mandarin, le hindi,
l’espagnol, le français,
l’arabe, le bengali, le
portugais, le russe,
l’ourdou, etc. Or ce
classement n’a aucune
signification car il mélange
les locuteurs langue première
et langue seconde. Si l’on
prend en compte les locuteurs
L1, l’anglais devrait être
après l’espagnol, et le
français devrait être à la
quatorzième place (et non pas
à la cinquième). Et classer
l’arabe en sixième position,
avec 274 millions de
locuteurs, n’a aucun sens car
il s’agit de l’arabe standard
qui n’a pratiquement aucun
locuteurs en première langue…
Ces
inexactitudes
permettent, il est vrai,
de réfléchir à la
notion de langue officielle,
qui désigne
dans beaucoup de pays
une langue choisie par le
pouvoir, inscrite dans la
constitution, mais pas
nécessairement parlée par les
citoyens, ce qui est le cas
pour l’anglais, le français ou
le portugais dans un grand
nombre de pays africains.
3
Octobre
: Piégé

En
2018, j’avais participé sur
Antenne 2 à une longue
émission consacrée à Michel
Sardou, produite par Laurent
Delahousse. Je me souviens
qu’une journaliste m’avait
demandé de chanter quelques
mots de La maladie d’amour
(« je le fais faire à
tous ceux que l’interroge pour
cette émission, dans la même
tonalité ») et au bout de
trois ou quatre vers j’avais
lancé « bon, on a assez
déconné ». En voyant plus
tard l’émission, j’avais
découvert qu’avec un certain
humour la journaliste avait
mis cette phrase, « bon,
on a assez déconné », en
conclusion. Mais surtout,
l’émission était balancée, les
arguments pour ou contre
Sardou, ses critiques ou ses
thuriféraires étant, si je
puis dire, mis à armes
égales: c’était un vrai
travail de journalistes
honnêtes.
Début
juin de cette année, une
journaliste m’at demandé une
interview pour BFMTV et
j’avais passé environ une
heure devant sa caméra. Il
s’agissait encore d’une
émission sur Michel Sardou,
devant être programmé début
octobre, à la veille de sa
nouvelle tournée. Elle est
donc passée hier soir. Et là,
immense surprise, ou immense
déception : une heure de
portrait hagiographique, de
brosse à reluire, donnant de
Sardou, qualifié de plus grand
chanteur français, une image
aseptisée, consensuelle,
faisant de lui une sorte de
porte-parole,
d’écho
artistique aux
évolutions de la France
contemporaine.
Prenons
un exemple simple, celui des
pronoms personnels. Sardou
chante très souvent en
« je » :
« je suis pour » (la
peine de mort, bien sûr),
« j’habite en
France », « j’ai
envie de violer des
femmes » (Les villes
de solitude), « Moi
Monsieur j’ai fait la colo,
Dakar, Conakry,
Bamako.. » (Le temps
des colonies), « ne
m’appelez plus jamais France,
la France elle m’a laissé
tomber », etc. Et son
discours comme celui de ses
défenseurs consiste à
dire : ce n’est pas moi
qui veux violer, qui suis
colonialiste, pour la peine de
mort, pour les Ricains au
Vietnam, etc., j’incarne des
personnages. Je pense
exactement le contraire :
cette défense est à la fois
facile et fallacieuse car ses
« personnages »
tiennent toujours un discours
populiste et réactionnaire à
destination d’un public
populiste et réactionnaire.
C’est son droit le plus
strict, mais il faut le
souligner lorsqu’on parle de
lui. Je l’avais dit dans mon
interview, en vain. Le
problème n’est pas qu’on n’a
retenu que deux ou trois
phrases de mon intervention
mais que tous les autres
invités étaient à la fois des
amis et des collaborateurs du
chanteur : ses
paroliers, ses producteurs,
ses compositeurs… En gros, une
émission qui aurait pu être
commandée et financée par la
production du populiste en
chef de la chanson
française .
Bref,
je me suis fait piéger. Alors
un conseil à la
jeunesse : si vous avez
des idées qui ne semblent pas
correspondre à celles des
journalistes ou des media qui
veulent vous faire parler,
surtout n’acceptez que des
émissions en direct. Ou faites
vos propres émissions.
30
Septembre
: Palmarès des
conneries, suite
Pour
alimenter
la liste des candidats, voici
une déclaration de François
Sauvadet, homme politique dont
la carrière n’est guère
reluisante (mais vous pouvez
vous renseigner sur
Internet) : « Il
faut faire attention car le
lit des illusions
se creuse dans le fossé des
annonces ».
Voilà
une
pensée qu’elle est forte! Vous
imaginez la tête des lycéens
si on leur demandait de la
commenter à l’écrit du
baccalauréat ?
24
Septembre:
Palmarès des
déclarations
politiques les
plus connes
Il
y a quelques jours, au volant
de ma voiture pour un voyage
relativement long, nous avions
avec l’amie qui
m’accompagnait, imaginé
d‘organiser un festival de la
chanson con. Et, chantant à
tue-tête, nous faisions un
palmarès : Non ho
l’eta par Gigliola
Cinquetti, Petite fille de
français moyen par
Sheila, etc. J’avais aussi
évoqué un incroyable 45 tours
trouvé en Centrafrique, Catherine,
interprété en français et en
espagnol par le duo Los
Vagabundos et financé par
« l’empereur »
Bokasa en « hommage à la
majesté l’Impératrice
Catherine Bokassa ».
Bref, nous nous amusions bien,
même si ce festival de la
chanson con a peu de chance de
voir le jour.
En
revanche, il serait facile
d’élaborer un palmarès des
déclarations politiques les
plus connes. Et un exemple
récent pourrait lui servir de
présentation. L’Organisation
mondiale de la météorologie
établit une liste alphabétique
des noms de cyclones,
alternant le masculin et le
féminin, liste réutilisée tous
les six ans. Donc, avant même
de savoir où et quand aura
lieu le prochain cyclone ou la
prochaine tornade, on connaît
par avance son nom. Et, en
application de ce principe, le
cyclone subtropical qui a
dévasté la Libye a été baptisé
Daniel. S’il avait frappé la
Grèce ou l’Espagne, il aurait
bien sûr porté le même nom.
Mais
le président de la république
tunisienne, Kaïs Saïed y
a vu la preuve d’un complot
sioniste. « Pourquoi le nom de Daniel a été choisi, car le mouvement
sioniste s’est infiltré,
laissant les esprits et
toute réflexion dans un
coma intellectuel
total »,
a-t-il déclaré, ajoutant que « Daniel est le nom d’un prophète hébraïque et ils ne font que
le répéter (…)
d’Abraham à Daniel, c’est très clair ».
Je propose donc de lancer le
concours de la déclaration
politique la plus conne. Soyez
tout ouïe, envoyez-moi vos
propositions, je les publierai
ici. Toutes les langues (avec
traduction) sont acceptées.
16
Septembre:
Plurilinguismes

En 1988 nous avions lancé, avec Christine Deprez et
Caroline Juillard, Plurilinguismes, revue
de
sociolinguistique éditée par
le CERPL (Centre de recherche
en planification linguistique.
Il s’agissait d’un groupe de
recherche adossé à un
laboratoire de
sociolinguistique que je
dirigeais, le tout voulant (et
parvenant à) échapper à la
bureaucratie du CNRS. Entre
1988 et 2001 nous avons publié
18 numéros, dirigés par des
chercheurs ou des doctorants
et portant soit sur des
situations plurilingues
(Sénégal, Grèce, Louisiane,
Alger, Maroc, Galice, Gabon…)
soit sur des thèmes (villes
plurilingues, Antoine Meillet,
Pygmalion, emprunts,
situations insulaires,
situations frontalières…).
En 2021 nous avons, Michelle Auzanneau et moi-même (en fait
c’est elle qui a fait la plus
grande partie du travail)
entrepris la mise en ligne de
tous ces numéros sur le site
Persée ( https://www.persee.fr/collection/pluri). En relisant cet ensemble, on se rend compte que, de la même façon que
le CERPL était un lieu de dialogue et de
collaborations internationales
ancrées dans la dynamique de
recherches en
sociolinguistique, ouvertes à
la pluridisciplinarité, les
thèmes abordées dans la revue
sont aujourd’hui au centre de
questions vives.
Bref, allez sur le site Persée et vous aurez de la lecture
pour quelques jours.
12
Septembre:
Le club des
dictateurs, suite...

Une
titre choisi au hasard, celui
des Echos de
lundi: « Elections en Russie : le parti de Poutine remporte un
scrutin sans suspense». Sans
suspense, c’est le cas de le
dire, puisque que les
élections russes sont depuis
longtemps truquées. Mais il
s’est passé autre chose en
Russie, sans beaucoup de
suspense non plus.
En 1981, l’histoire Marc Ferro avait sorti un ouvrage dont le
titre était éloquent :
Comment on raconte
l’histoire aux enfants à
travers le monde entier. La
Russie vient de nous donner un
exemple qui l’aurait
intéressé. Un nouveau manuel
d’histoire vient d’y sortir,
pour la rentrée, dans lequel
les élèves apprennent plein de
choses. On y parle des
« aspects négatifs de la
chute de l’URSS », avec
une belle citation de Poutine
(« L’effondrement de
l’Union Soviétique a été
la plus grande catastrophe
géopolitique du XX*
siècle ») et on y
justifie, bien sûr,
« l’opération militaire
spéciale en Ukraine ».
Bref Ferro (mort en 2021)
aurait mieux que moi commenté
cette application de la
science historique à
l’enseignement. C’est ainsi
que l’on bourre de fake
news la tête des
enfants…
Dans le même temps, lors du sommet du G20 en Inde, le président
brésilien Lula a déclaré qu’au
sommet suivant, en 2024 au
Brésil, Poutine serait le
bienvenu (rappelons qu’un
mandat d’arrêt a été lancé
contre lui par la Cour Pénale
Internationale, et qu’il n’a
pas pu se rendre au sommet des
Brics en Afrique du Sud, y
participant en
vidéoconférence).
Bref, je parlais ici le 5 septembre d’un club des dictateurs et
m’interrogeai sur la position
de Lula. Il vient de prendre
une décision incompréhensible
qui semble le rapprocher de ce
club…
6
Septembre:
sondages
Le
sondage qui fait peur titrait
hier Libération. Il
s’agissait d’un sondage
commandé par le journal à
l’institut Viavoice dont les
résultats sont effectivement
intéressants. Ainsi 51% de
gens interrogés déclarent
avoir une image négative de
Marine Le Pen (ils étaient 64%
en 2021), 44% pensent qu’elle
peut apporter des solutions
utiles à la France et 42%
qu’elle a la stature d’une
cheffe d’Etat. Mais le plus
frappant est la comparaison
des opinions concernant le RN
et LFI :
-36%
trouvent le RN plus crédible
que LFI (et 19% moins
crédible)
-35%
le trouvent plus compétent
(18% moins)
-25%
le trouve plus radical (27%
moins)
-22%
le trouvent plus violent (32%
moins)
-18%
le trouvent plus dangereux
(36% moins).
Beaucoup
de commentateurs ont déjà
souligné que moins Le Pen
s’exprimait et plus sa cote
montait. Mais ces chiffres
donnent froid dans le dos. Si
les sondés trouvent la France
insoumise beaucoup plus
violente et encore plus
dangereuse que le
Rassemblement national,
comment pensez-vous qu’ils
voteraient s’il y avait en
2027 un second tour entre Le
Pen et Mélenchon. Bien sûr la
prochaine élection
présidentielle est encore
loin, et de l’eau (tiède ou
glaciale) a le temps de couler
sous les ponts. Mais il y a
tout de même de quoi
s’inquiéter…
Un
autre sondage est également
intéressant, celui que Charlie
Hebdo a commandé à
l’IFOP. Il
s’agit de cerner l’opinion
(échantillon de 2145
personnes, représentatif de la
population de plus de 18 ans
et vivant en métropole) sur sa
vision de l’abaya et du qamis.
70% des gens considèrent ces
tenues comme ayant un
caractère religieux et 81%
approuvent leur interdiction.
Une
bonne
majorité, donc. Mais lorsqu’on
croise des réponses avec les
sympathies politiques des
sondés, on a quelques
surprises. Ainsi 71% des
sympathisants et 69% des
sympathisants EELV les
considèrent ces tenues comme
religieux, mais 48% seulement
des sympathisants LFI. En
revanche, si 79% des
sympathisants EELV et 73% des
sympathisants PS approuvent
leur interdiction, 58% des
sympathisants LFI sont sur la
même position.
Ce
qui pose un petit problème de
logique. Si 48% des Insoumis
considèrent que ces tenues
sont des signes religieux,
pourquoi 58% approuvent-ils
leur interdiction ? Et
surtout, s’il ne s’agit pas de
tenues à caractère religieux,
pourquoi les dirigeants
insoumis déclarent-ils
à qui veut les
entendre que leur interdiction
est anti musulmane ? De
la même façon, 48% des
musulmans nient le caractère
religieux mais ils en
désapprouvent l’interdiction à
66%. Allez comprendre.
Les
membres des associations
féministes sont en revanche
plus logiques : 65%
considèrent ces tenues comme
religieuses, et 63% en
approuvent l’interdiction.
|
5
Septembre:
Lula et le
club des
dictateurs
Avant
la dernière élection
présidentielle
brésilienne, les BRICS
(Brésil, Russie, Inde,
Chine, Afrique du Sud)
s’apparentaient à un
club de dictateurs.
Lula par sa victoire
face à Bolsonaro,
avait fait légèrement
baisser le taux de
pays totalitaires,
mais les nouveaux
entrants (Argentine,
Egypte,
Éthiopie, Arabie
Saoudite, Iran et
Émirats arabes unis)
l’ont singulièrement
renforcé. Qu’est-ce
que Lula,
incontestable
démocrate, peut avoir
de commun avec l’Iran,
L’Arabie saoudite, la
Chine ou la
Russie ? Certains
voient dans ce groupe
informel un nouveau
Yalta, cette
conférence qui, en
février 1945,
établissait une sorte
d’ordre mondial
opposant l’Est
soviétique et
l’Occident. D’autres y
voient plutôt un
contre Bretton Woods,
une autre conférence
qui en juillet 1944
définissait un système
économique
international fondé
sur le dollar.
Mais
ces
comparaisons ne
tiennent guère car si
les BRICS visent
effectivement un ordre
international
post-occidental et
multipolaire, ils ont
surtout des
contradictions
internes importantes,
au premier rang
desquelles le conflit
latent entre la Chine
et l’Inde. D’un côté
une dictature mêlant
communisme et
capitalisme (variante
politique de la
gastronomie chinoise
fondée sur le
sucré/salé ?) et
de l’autre un pays
ultranationaliste
autoritaire, l’Inde
étant en voie de
concurrencer la Chine
dans le domaine
technologique. S’y
ajoute un conflit
frontalier que la
Chine vient de raviver
en publiant une carte
de ses frontières
illustrant bien ses
visées impériales vers
la Russie, l’Inde et
la mer de Chine.
En
outre,
si l’on comprend bien
la volonté de se
débarasser de la
domination du dollar,
on voit moins bien au
profit de quelle autre
monnaie. La Chine
pense bien sûr au ren
min bi (« monnaie
du peuple »,
connue dans le reste
du monde comme le
yuan),mais il reste
sur ce point un long
chemin à
parcourir : le
dollar constitue 59%
des réserves des
banques centrales
(2,6% pour le ren min
bi) et 83,7% des
transactions internationales
sont en dollar (4,5%
pour le ren min bi)..
Car la monnaie
chinoise n’est pas
convertible et le
système bancaire
chinois est sous le
contrôle constant de
l’état). L’équilibre
international entre
ces deux monnaies ne
peut donc être qu’un
objectif
à très long
terme.
Les
onze
pays dorénavant réunis
dans ce qu’il est
devenu difficile de
continuer à appeler
les BRICS, s’ils ont
un objectif clair, n’y
parviendront pas avant
longtemps. Ajoutons à
cela les positions
pour le moins ambigües
de ces pays sur
l’agression de
l’Ukraine par la
Russie, et nous avons
un tableau bigarré de
ce club de dictateurs,
qui apparaît surtout
comme une carte
dans le jeu
de la Chine,
comparable à l’OTAN ou
l’Union Européenne
dans celui des Etats
Unis. Ces pays ne
seraient alors que des
pions dans la guerre
Chine USA qui se
profile, sur le plan
économique d'abord, et
peut-être sur le plan
militaire, selon ce
qui se passera sur le
front de Taïwan?
Peut-être.
Pour
revenir
à la question posée
plus haut (que
fait Lula dans ce club
de dictateurs ?),
la réponse semble
surtout économique.
L’Iran, la Chine,
l’Arabie Saoudite et
quelques autres pays
peu fréquentables sont
des marchés
potentiels. Le fric,
toujours le fric,
passe ainsi avant les
principes
démocratiques.
29
Août: A
bas l'abaya ou
à bas la
laïcité?

En
2004 était votée une
loi contre le port du
voile à l’école et le
bulletin officiel de
l’éducation nationale
publiait en mai un
modèle d’article à
insérer dans le
règlement intérieur
des
établissement :
“Conformément
aux
dispositions de
l’article L. 141-5-1
du code de
l’éducation, le port
de signes ou de tenues
par lesquels les
élèves manifestent
ostensiblement une
appartenance
religieuse est
interdit. Lorsqu’un
élève méconnaît
l’interdiction posée à
l’alinéa précédent, le
chef d’établissement
organise un dialogue
avec cet élève avant
l’engagement de toute
procédure
disciplinaire.”
Il
y eut une discussion
stérile autour les
notions de signe
ostentatoire,
ostensible ou visible,
mais les choses se
calmèrent très vite.
Je pensais à l’époque
que le problème
n’était pas de savoir
s’il fallait ou non interdire
le voile, la kippa ou
la croix dans les
écoles. Il était que
leur acceptation
aurait été une porte
ouverte à d’autres
avancées de cette
intolérance
antidémocratique dont
sont porteuses
certaines conception
de la religion.
Et nous voici aujourd’hui en
plein débat sur le
port de l’abaya. Le
décision de
l’interdire prise par
le ministre de
l’éducation nationale
a déclenché des
applaudissements à
droite, réaction
attendue mais qui
n’invalide pas à mes
yeux cette mesure. En
revanche, les
réactions à gauche
sont plus
intéressantes. Les
communistes et les
socialistes sont
plutôt pour, la France
Insoumise résolument
contre et les
écologistes divisés.
Selon Mathilde Panot
(LFI) l’obsession du
ministre est
« les musulmans,
plus précisément les
musulmanes ».
Pour Sandrine Rousseau
(qui semble ne pas
savoir si elle est
députée LFI ou écolo)
il s’agit d’un nouveau
« contrôle social
sur le corps des
femmes et des jeunes
filles ». Et
Clémentine Autain y
voit pour sa part un
symptôme « du
rejet obsessionnel des
musulmans »,
« contraire aux
principes fondateurs
de la laïcité ».
Et l’on ne comprend plus rien.
La laïcité, c’est le
droit d’avoir la
religion que l’on
veut, ou de ne pas en
avoir, la défense de
ce droit, et sa
limitation à la sphère
privée. Ce qui par
contrecoup implique
que les religions ne
doivent pas s’afficher
à l’école, lieu de
neutralité. La chose
semble claire.
Le
vice-président du
Conseil français du
culte musulman,
Abdallah Zekri, a
de son côté dénoncé la
décision du ministre
en disant «pour moi,
l’abaya n’est pas une
tenue religieuse,
c’est une forme de
mode ». Et l’on
se demande alors
pourquoi ce
responsable musulman
intervient dans un
débat sur la mode…
Mais Panot, Autain et
d’autres militants de
la France insoumise
dénoncent pour leur
part une décision qui
serait dirigée contre
les musulmans, et l’on
croit rêver : ils
ne sont plus pour la
laïcité, les
insoumis ? Car il
n’y a que deux
solutions :
l’abaya est soit un
signe ostensible
d’appartenance
religieuse soit une
mode. Mais protester
contre son
interdiction en disant
qu’elle est dirigée
contre les musulmans
constitue à la fois
une reconnaissance de
sa nature religieuse
et un abandon de la
laïcité.
Il
y aurait bien des
façons simples de
sortir de cet
imbroglio. Imposer par
exemple le port d’un
uniforme dans tous les
établissements
scolaires (certains
disent que cela aurait
aussi l’avantage de
supprimer la
manifestation
vestimentaire des
différences sociales).
En encore faire de ces
établissement un
immense camp de
nudisme (ce qui serait
aussi un réponse au
changement climatique,
une façon de lutter
contre la chaleur).
Mais
restons sérieux.
Mélenchon et ses
affidés n’en ont
décidément pas fini de
brouiller les cartes
autour de leurs choix
idéologiques. Déjà, il
y a vingt ans, les altermondialistes,
confrontés au même
problème à propos du
voile, invitaient à
leurs réunions Tariq
Ramadan, dont on sait
qu’il n’est guère
fréquentable et que,
sous des aspects
modernistes, il
distillait un discours
antisémite classique.
Aujourd’hui, les
Insoumis, n’arrivant
pas à empêcher la
classe ouvrière de
voter pour Marine Le
Pen, croient voir dans
les musulmans les
nouveaux damnés de la
terre. De façon
ostentatoire,
ostensible ou visible,
comme on voudra, ils
tournent le dos à la
laïcité et semble
donner des verges pour
se faire battre à ceux
qui les traitent de
façon d’ailleurs
inappropriées
d’islamogauchistes.
25
Août: Mugshot

Mugshot
désigne aux USA une
photo d’identité
judiciaire que l’on
prend après
l’arrestation d’un
citoyen et qui est
archivée afin de
faciliter la tâche des
enquêteurs pour
l’identification des
malfaiteurs. Fait
historiquement unique,
c’est hier, à la
prison d’Atlanta, un
ancien président des
Etats Unis qui est
passé devant
l’objectif de la
police.
Il
n'est pas beau?

Il
semblerait
que Trump en profite
pour faire sa
publicité. Il aurait
fait imprimer cette
photo sur des T-shirts
et des tasses à café
pour les distribuer
pendant sa campagne.
Ainsi ses partisans,
loin de penser qu’un
tel portait est
infâmant,
affirmeraient leur
soutien à la pauvre
victime. Cela me
rappelle un passage
d’un ouvrage de Serge
Moscovici (L’âge
des foules,
Paris, Fayard,
1981) dans
lequel il
écrivait :
« Si la science a pour axiome, selon
Heidegger, « ne
rien croire, tout a
besoin de
preuve », la
religion a l’axiome
inverse :
« Toujours tout
croire, rien n’a
besoin de
preuve ». Freud
en a bien vu le
danger :
« La prohibition
de pensée,
avertissait-il,
promulguée par la
religion pour
contribuer à
son-auto-préservation,
est aussi loin
d’échapper au danger
pour l’individu
et pour la
société ».
La religion trumpienne n’a donc rien à
craindre :
ses pratiquants croient à l’innocence de
leur idole, et cela
n’a pas besoin de
preuve.
23
Août: Résolver
Je me sens parfois,
dans mon rapport à la
langue, dans une
situation de dualité,
ou de schize. Une de
mes formation, celle
de linguiste, me
pousse à observer, à
noter, à analyser, à
tenter d’expliquer les
usages, sans les
juger. Les gens
parlent comme ils
veulent, ou comme ils
peuvent, ils
s’approprient la
langue, la
transforment, dans
certaines
limites : celles
qui poussent à se
faire comprendre des
autres (ou de ne pas
vouloir être compris).
Mais, n’étant pas
linguiste à plein
temps (et c’est
heureux) il peut
m’arriver face à
certains usages
d’avoirune réaction
toute différence.
En voici un exemple
simple. Il y a
longtemps que j’ai
noté une forte
tendance en français à
remplacer le verbe résoudre
par le verbe solutionner.
Il est évident
que le verbe résoudre
n’est pas facile à
conjuguer (je
résous, vous
résolvez, nous
résolûmes, que nous
résolvions…)
alors que solutionner
se conjugue
aisément, comme tous
les verbes du premier
groupe. Et si solutionner
fait sans doute
grincer les dents des
puristes, il est
probable que la langue
française est en train
d’évoluer lentement
vers une conjugaison
uniforme, tous les
néologismes verbaux
étant du premier
groupe. Cela, donc,
c’estle point de vue
du linguiste. Mais…
Mais j’écoutais
hier à la radio
(France Inter) Justine
Triet parler de son
film Anatomie
d’une chute et,
à propos du tournage
je crois, elle a dit résolver
je ne sais plus
quelles difficultés.
Ma réaction ?
Quelle
inculture ! Je
l’ai dit plus haut, on
n’est pas linguiste
(ou curé, ou
plombier,ou tout ce
que vous voudrez) à
plein temps. Ma
réaction m’a cependant
un peu surpris. Résolver !
Au point que je me
suis dit que je n’irai
sans doute pas voir
son film.
Stupide ? Sans
doute. Peut-être ne
sommes-nous pas non
plus intelligent à
plein temps. C’est
grave, docteur? Et
comment résoudre,
solutionner, résolver
cela ? Je me
console en me disant
que Justine Triet
devrait tout de même
apprendre à trier
entre ces trois
formes, résoudre,
solutionner,
résolver... Tiens!
A une lettre près, un
v à la place du s, et
nous tombons sur
révolver.
21
Août:
Complément
d'enquête
Depuis
bientôt un mois le
doute plane sur
l’avenir des
putschistes du Niger,
un quarteron comme
disait l’autre de
soudards. J’avais dans
mon billet du 7 août
proposé une petite
analyse de ce coup
d’état et des
mouvements de foule
qui le soutenaient
(nous savons
maintenant que la
plupart des
manifestants étaient
payés). Mais nous ne
savons toujours pas ce
que veulent ces
putschistes. Que
reprochent-ils
au
gouvernement qu’ils
veulent
remplacer ?
Quelle politique
proposent-ils dans les
domaines sociaux,
économiques et dans la
lutte contre le
terrorisme islamique?
Sur ces différents
points, silence.
Or quelques détails
instructifs ont fini
par percer. Le général
Abdourahamane Tiani,
chef de ce
pronunciamiento,
avait été
nommé à la tête de la
garde présidentielle
en 2011 par le
président précédent et
confirmé à ce poste
par le nouveau
président Mohamed
Bazoum en 2021. Mais
il était sur un siège
éjectable. Il
semblerait qu’il
devait être démis le
27 juillet par Bazoum.
Or le coup a eu lieu
le 26, la veille de
cette date fatidique
pour lui De là à
penser que Tiani a
fait ce putsch pour
des raisons uniquement
personnelles et non
pas pour le
« bien du
pays », il n’y a
qu’un pas à franchir.
En tous cas, on
discerne mal en quoi
le « bien du
pays » joue le
moindre rôle dans
cette aventure. Ce
qui, je suppose,
n’étonnera personne…
18
Août: De l'art
ou du cochon

Une
polémique
un peu atypique agite
la France depuis plus
d’une semaine.
Interrogée sur un
média belge, en fait
une petite télévision
sur Internet, la
chanteuse Juliette
Armanet a répondu à
une question sur
« les chansons
qui pourraient lui
faire quitter une
soirée a cité Les
lacs du Connemara,
« de »
Michel Sardou
(« de »
parce que le texte est
de Pierre Delanoë,
co-signé comme souvent
par Sardou, et la
musique de Jacques
Revaux): « C’est
vraiment une chanson
qui me dégoûte. C’est
le côté scout,
sectaire, musique est
immonde. C’est de
droite, rien ne
va ».
Scandale à la
droite extrême et à
l’extrême droite (Eric
Ciotti, Gilbert
Collard…), bataille
verbale dans la
presse, etc. Armanet,
qui a osé toucher à
l’idole de la France
aux idées courtes, est
insultée sur tous les
réseaux sociaus...
Quand
on
y regarde de plus
près, la question
semblait un peu
biaisée. La
présentatrice avait en
effet rappelé qu’il y
avait des chansons que
l’on entonnait
toujours à la fin des
soirées de mariage, de
fêtes de promotion
d’HEC, etc., et avait
cité Les lacs du
Connemara que J.
Armanet avait repris
au bond. Mais
qu’importe.
Car
si
cette chanson n’est
pas explicitement de
droite, le texte se
contentant d’enfiler
comme des perles une
série de lieux communs
sur l’Irlande,
l’ensemble est
typiquement
« du »
Sardou. Elle débute
avec quelques accords
en arrière fond, les
paroles étant chantées
sur un rythme très
lent (« terre
brûlée au vent des
lentes de
pierre… »). Puis
la musique entre
lentement, le rythme
s’accélère
(« un
peu plus rapide »
dit la partition),
s’accélère encore
(« vif »)
tandis qu’entrent des
percussions marquant
tous les temps,
entrent des cuivres,
des violons, des
binious dans certaines
versions. Cette montée
en puissance
redescend, monte à
nouveau, bref une
construction en
sinusoïdes que l’on
retrouve souvent chez
Sardou dès ses débuts,
en 1967 par exemple
dans Les Ricains.
Les orchestration
fonctionnent en effet
souvent chez lui sur
le même principe,
consistant à jouer sur
les émotions de
l’auditeur par une
accumulation
progressive des
instruments et une
montée tonale. S’y
ajoute, sur scène, la
machisme affiché du
chanteur, sa volonté
de puissance sans
aucune empathie pour
le public. Sardou
s’est toujours situé
du côté d’une droite
dure (Le temps des
colonies, Les
villes de solitude,
Le France, Je
suis pour…), et
même si Les lacs
du Connemara ne
jouent pas dans la
même cour immonde, il
faut quand même
remercier Juliette
Armanet d’avoir mis
les pieds dans le
plat. Je ne la connais
pas, mais je
l'embrasse.
A
propos de plat, on
mange surtout du
mouton en Irlande. Il
est donc inutile de
nous demander si c’est
de l’art ou du cochon.
Même si la réponse est
évidente.
7
Août: Grands
prix
On
appelle symptomatique
une médecine
qui soigne
les effets de
la maladie (ses
symptômes) sans se
préoccuper de leurs
sources, c’est-à-dire
de la maladie
elle-même. Vous avez
par exemple très mal à
la tête, on vous donne
de l’aspirine, alors
que vos intestins sont
en feu ou que vous
avez une grave
infection. Ce bref
rappel vient de
trouver une
illustration
aveuglante dans la
ville de
Mandelieu-la-Napoule.
Le
maire
a en effet considéré
qu’en pleine saison
touristique il était
malvenu de laisser à
la vue de tous les
ronds-points dans un
état lamentable :
le gazon est en effet
jauni par la canicule.
L’édile a donc pris
une décision
étonnante :
peindre en vert le
gazon des espaces
municipaux. En fait,
il ne s’agit pas
vraiment d’utiliser de
la peinture au sens
courant du terme, qui
aurait pour effet
immédiat de tuer le
gazon ainsi traité,
mais un produit à base
d’algues qui donne une
couleur verdâtre au
pauvre gazon privé
d’eau.
Vous
voyez
bien sûr le rapport
avec la médecine
symptomatique. Et
l’idée judicieuse de
ce maire éclairé
pourrait s’appliquer à
bien d’autres
situations. Dans les
vignobles du Bordelais
ou de la Bourgogne,
les raisins sont
desséchés :
mettons sur tous les
pieds des grappes en
plastique. Les
touristes avides de
photos exotiques sont
désespérés : les
lavandes ne sont plus
bleues. Mettons-y des
lavandes en
plastiques. Il est
vrai que cela ne
changera rien aux
problèmes des
agriculteurs, mais on
ne peut pas satisfaire
tout le monde, et au
moins les touristes
auront leurs photos.
La
technique
symptomatique du maire
de Mandelieu-la-Napoule
pourrait en outre
s’exporter. En Tunisie
par exemple, où on ne
trouve que
difficilement le pain
à bas prix
subventionné par
l’Etat, les boulangers
préférant faire des
pains recherchés pour
les clients ayant les
moyens. Qu’attendent
les services culturels
français pour rappeler
que Jean-Jacques
Rousseau, dans ses Confessions,
écrivait qu’une
« grande
princesse »,
avertie que le peuple
n’avait plus de pain,
avait répondu :
« Ils n’ont plus
de pain ? Qu’ils
mangent de la
brioche ! ».
Rousseau ne pouvait
pas savoir (son livre,
écrit en 1765, a été
publié en 1782) que
cela finirait par une
révolution. Quant au
gazon des ronds-points
de
Mandelieu-la-Napoule,
je ne sais pas comment
cela finira. Mais nous
pouvons d’ores et déjà
attribuer au maire un
grand prix. J’hésite
entre celui de
l’innovation
écologique ou celui de
la connerie. A vous de
juger.
4
Août:
Démocratie et
coup d'état
Rien
ne va plus en Tunisie.
La vie augmente sans
cesse, on manque de
pain, l’eau et
l’électricité sont
coupées de façon
répétitive… Et un ami,
exaspéré par les
déclarations
récurrentes de ses
concitoyens déclarant
à la décharge de
l’incompétence notoire
du président Kaïs
Saïed « c’est de
la faute des autres,
ceux qui sont venus
avant », me
disait
récemment :
« Les Tunisiens
ne méritent pas la
démocratie ».
Déclaration abrupte et
injuste à me yeux, moi
qui souscrit
volontiers à
l’aphorisme de Winston
Churchill
selon qui «la
démocratie est le
pire des systèmes, à
l'exclusion de tous
les autres ».
Mais l’amertume de
mon ami me revient à
l’esprit en observant
ce qui se passe au
Niger. Depuis plus de
50 ans j’ai vu dans la
quinzaine de pays
Africains que je
connais pas mal de
coups d’états. Et j’ai
plusieurs fois été
frappé dans la
rapidité avec laquelle
des manifestants se
précipitaient pour
encenser le nouveau
pouvoir, le plus
souvent les mêmes qui
quelques mois avant
encensaient le pouvoir
déchu.
Mohamed
Bazoum
a été élu en 2021 avec
56% des suffrages et
une participation de
69% des inscrits. Ces
chiffres sont
suffisamment
éloquents : nous
sommes loin des scores
de 95 ou 98% de voix
auxquels nous ont
habitués certains
régimes, et son
élection semble avoir
été démocratique. Je
ne sais pas si le
putsch auquel nous
venons d’assister
s’explique par des
dissensions entre le
pouvoir civil et
l’armée, par l’échec
du pouvoir face aux
djihadistes,
par le fait
que Bazoum
semblait
lutter contre la
corruption et que
certains se sentent
menacés ou par les
liens entre l’armée et
le président
précédent. Mais ce qui
est sûr, c’est que les
manifestants ne se
posent pas ces
questions . Ils
souffrent du coût de
la vie, du chômage, et
tout changement, quel
qu’il soit, à la tête
du pays leur paraît
positif, comme le leur
paraîtra sans doute
le suivant.
Ajoutons à çà la
désinformation menée
par des réseaux
russes, la désignation
de la France comme
responsable de tous
leurs problèmes, et
nous avons le cocktail
qui explique une
grande partie de
choses. Et ce n’est
pas la démocratie qui
est en cause, ou le
fait qu’elle soit ou
pas méritée. Encore
une fois, Bazoum a été
élu démocratiquement.
C’est l’absence totale
de culture
démocratique,
l’analphabétisme
politique. Je
crois que les pays
voisins du Niger
voient l’alliance se
mettant en place entre
le Niger, le Mali et
le Burkina Faso, avec
la force Wagner dans
le décor et commencent
à s’inquiéter. Je ne
sais pas si la CEDEAO
mettra en œuvre ses
menaces, mais il est
clair que la solution
viendra d’eux et d’eux
seuls, sans je
l’espère
l’intervention de
militaires français ou
américains.
Je
sais que mes propos
peuvent être mal
interprétés, voire
considérés comme
néocoloniaux. Mais ne
vous y trompez
pas : il se
passe, ou risque de se
passer, la même chose
en France. Non pas un
putsch bien sûr, mais
le même aveuglement
politique poussant les
gens vers le fascisme
rampant de Le Pen ou
Zemmour soutenus par
la presse de Bolloré.
2
Août:
Bollorisation,
suite
J’ai
évoqué
le 17 juillet la grève
des journalistes du Journal
Du Dimanche. Or
depuis hier Bolloré,
par l’intermédiaire de
sa marionnette
Lagardère, a mis en
place et donc imposé à
la rédaction le
directeur d’extrême
droite qu’il avait
choisi. Bien sûr un
propriétaire peut
faire ce qu’il veut de
ce qu’il achète. Mais
il y a dans des
journaux comme Le
Monde ou Libération
des clauses
éthiques garantissant
aux journalistes qu’on
ne peut pas leur
imposer n’importe
quoi. Pas chez
Bolloré. Ce qu’il y a
de remarquable chez
lui, c’est qu’il ne
cherche pas à faire
plus de bénéfices. Il
a mis la main sur Europe
1, une radio
phare qui a perdu la
plus grande partie de
ses auditeurs. Il a
mis la main sur Canal
+ qui a perdu toute
originalité. Ce n’est
pas l’argent qui
intéresse Bolloré, il
en a beaucoup, c’est
le pouvoir
idéologique. Il est en
train de mettre en
place un réseau
d’information qui
servira en temps voulu
à
la promotion de
Zemmour ou de Le Pen.
Combat culturel donc,
qui ne semble pas
gêner tout le
monde : on
apprend que
l’ineffable Ségolène
Royal aura bientôt un
chronique dans
l’émission la plus
vulgaire de CNews,
celle de Cyril
Hanouna, Touche
pas à mon poste…
Alors,
que
faire ?
En
1971,
lorsque le pouvoir
pompidolien avait
interdit La cause
du peuple après
avoir mis en prison
deux de ses rédacteurs
en chef, Léo Ferré
dans Conditionnel
de variétés scandait
ceci :
Comme
si je vous disais que
le pays qui s'en prend
à la liberté de la
presse est un pays au
bord du gouffre
Comme si je vous
disais que ce journal
qui aurait pu être
interdit par ce pays
au bord du gouffre
pourrait peut-être
s'appeler "la Cause du
Peuple"
Comme si je vous
disais que le
gouvernement intéressé
qui s'en prend à ce
genre de presse
d'opposition pourrait
sans doute s'imaginer
qu'il n'y a ni cause
ni peuple
Comme si je vous
disais que dans le cas
bien improbable où
l'on interdirait le
journal "la Cause du
Peuple" il faudrait
l'acheter et le lire
Comme si je vous
disais qu'il faudrait
alors en parler à vos
amis
Comme si je vous
disais que les amis de
vos amis peuvent faire
des millions d'amis
Alors,
que faire donc ?
A l’inverse de ce que
préconisait Ferré,
dans le cas bien
improbable où un
milliardaire française
s’en prenait à divers
moyens de
communication comme Canal
+,
CNews, Europe
1, Paris
Match , le
JDD ou
le groupe d’édition
Hachette, il faudrait
ni acheter, ni lire,
ni écouter ces media,
en parler à vos amis
en vous disant que les
amis de vos amis
peuvent faire des
millions d’amis…
Pour
finir,
une question à mille
euros. Le JDD était
très prisé par les
responsables
politiques qui adorent
qu’on parle d’eux et
se bousculaient pour y
donner des
interviewes. Alors,
qui aura le courage de
refuser dorénavant de
répondre aux questions
du JDD ? Et qui
sera le premier ou la
première à s’y
précipiter lorsque le
journal
reparaîtra ? Les
paris sont ouverts. Je
pense pour ma part que
Ségolène Royal ne sera
pas la dernière.
1er
Août: Autour
de l'accent
Je
viens
de lire quatre romans
d’Horace McCoy, un
écrivain américain
dont Gallimard a
publié il y a deux
mois dans la
collection Quarto la
plupart des œuvres.
McCoy est un peu
oublié en France, même
si l’un de ses livres,
adapté au cinéma (On
achève bien les
chevaux) avait
connu un grand succès.
Des romans noirs à
tendance sociale dont
certains passages
retiennent l’attention
du linguiste. Ainsi,
dans Kiss tomorrow
good night (1948,
traduction française,
Adieu la vie, adieu
l’amour) on
trouve cette évocation
légère de l’accent du
personnage
central :
« De
quel
coin du Sud
venez-vous ?
-Qu’est-ce
qui
vous fait croire que
je viens du Sud ?
-Votre
accent.
Mon
accent ?
Je n’ai aucun accent.
-Je
ne
m’en étais pas rendu
compte jusqu’à
présent. Mais je viens
de l’entendre. Quand
vous avez prononcé
« sur le
feu ».
J’éclatai
de
rire.
-C’est
une
des expressions qui me
trahissent toujours
avouai-je. Je devrais
faire plus attention.
-Vous
avez
honte de venir du
Sud ?
-Pas
vraiment.
-Alors
pourquoi
le cacher ?
-Je
ne
sais pas.
-Vous
avez
tort de le cacher.
C’est mignon l’accent
du sud.
-Je
le
dissimule pour des
raisons
professionnelles. La
plupart des gens
associent l’accent du
Sud à la paresse et
indolence. C’est
pourquoi j’essaie de
le mettre en
sourdine ».
Mais
c’est
dans I should have
stayed home
(1938, traduction
française, J’aurais
dû rester à la
maison) que l’on
trouve une implacable
illustration de la
fonction sociale de
l’accent. Le
personnage a quitté
son Sud natal pour
tenter à Hollywood sa
chance dans le cinéma.
Extraits :
« -Ca
y
est, tu remets ça…,
a-t-elle dit en
singeant mon accent.
-C’est
pas
de ma faute si je suis
du Sud, si ?
J’essaie de me
débarasser de mon
accent »
« -Vous
êtes
du Sud ?
-Oui,
m’sieur,
de Géorgie.
Il
a
allumé une cigarette,
l’air pensif, en
prenant tout son
temps, et j’ai compris
à son regard que, quel
qu’ait été l’intérêt
qu’il avait pu avoir
pour moi, il s’était
évanoui.
-Vous
avez
un sacré accent. C’est
très mauvais.
-Je
ne
pensais pas que ça
s’entendait.
-Faudrait
être
sourd…Pas étonnant que
vous ayez du mal à
obtenir des
rôles ».
« Il
m’a
interpelé en imitant
mon accent :
-Hé,
mon
gars.
-Salut
Tommy ».
« Super.
Je
vais me changer et je
reviens dans une
demi-heure. A plus
tard mon gars !
a-t-il dit en raillant
mon accent avant de
filer ».
« -Tu
veux
un Coca ?
-Non.
-Qu’est-ce
qui
t’arrive donc, mon
gars ? m’a-t-elle
demandé en singeant
mon accent. Un gars du
Sud qui n’veut pô son
Cockey-Coley ?
-C’est
pas
drôle ».
« -Je
travaillerais
pour presque rien, si
je pouvais obtenir un
contrat. Même
vingt-cinq dollars la
semaine, ça me
suffirait .
-Désolé,
Carston,
je ne peux rien faire.
Cet accent…
-« Ce
que
vous avez de mieux à
faire, c’est de
rentrer chez vous.
Tant que vous resterez
à Hollywood, vous
serez pauvre et
malheureux. Votre
accent vous interdit
le cinéma ».
« J’avais
décidé
d’ajourner mes débuts
dans le cinéma, le
temps d’économiser
assez d’argent pour
prendre des leçons de
diction et me
débarasser de mon
accent. Si je voulais
réussir, il fallait
d’abord que je
surmonte ce handicap
(….) Ne t’en fais pas,
me répétais-je. Trouve
du travail, économise
un peu d’argent, et
puis va voir un bon
professeur de diction
pour travailler ton
accent ».
Quelques
sociolinguistes
ont abordé ce thème,
souvent sur un ton
geignard ou plaintif
(« j’ai un
accent, et
alors ? »),
oubliant parfois que
nous avons tous un
accent, régional ou
social. Alain
Rey explique par
exemple qu’à partir
du 17ème
siècle ce mot
« désigne les
caractères de la
prononciation d’une
langue par rapport à
la norme
sociale :
ainsi, en français,
accent du Midi,
accent parisien,
qui ne caractérisent
que des écarts par
rapport au
phonétisme du
français cultivé
d’Ile de France,
considéré comme sans
accent (alors
que du point de vue
provençal par
exemple, on parle
d’un accent du
Nord, parisien,
dit aussi accent
pointu ».
Et le linguiste
Philippe Blanchet le
définit pour sa part
comme « une
prononciation
particulière issue
du contact avec la
ou les langues
premières des
générations
précédentes et
globalement partagée
par la
population ».
Ces deux
définitions, qui se
complètent en
partie, présentent
cependant un même
défaut, celui de ne
prendre en compte
que l’aspect
géographique des
accents. Or, s’il y
a évidemment des
accents régionaux,
il y a également des
accents sociaux, les
deux pouvant se
combiner.
Plus
convaincantes
sont les approches du
philosophe Jacques Derrida ou du sociologue Pierre Bourdieu. Derrida
écrivait, à propos
de son accent de
Français
d’Algérie : « Je
n’en suis pas fier,
je n’en fais pas une
doctrine, mais c’est
ainsi :
l’accent, quelque
accent français que
ce soit, et avant
tout le fort accent
méridional, me
paraît incompatible
avec la dignité
intellectuelle d’une
parole publique ». Et
Bourdieu,
à propos de son accent
béarnais : « Quand
on vient d’un petit
milieu, d’un pays
dominé, on a de la
honte culturelle.
Moi, j’avais de la
honte de mon accent
qu’il fallait
corriger, j’étais
passé par l’École
normale, etc ».
Le
philosophe
et le
sociologue semblent
ici plus proches des
réalités « du
terrain » que les
linguistes. Mais McCoy,
dès
1938, sans avoir
besoin de théoriser,
montrait cette
évidence
que notre
façon de parler joue
un rôle central dans
notre devenir
professionnel. Comme
quoi la littérature
est parfois plus
riche, plus
évocatrice, que tous
les théoriciens.

31
juillet :
Nomination ou
oblitération

Je
viens
de passer une dizaine
de jours en Tunisie et
j’ai été frappé de
voir, dans la presse
(ou, pour être plus
précis, dans la presse
que je lisais) par un
curieux ballet
sémantique. Dans ce
titre, par exemple, à
propos des
manifestations contre
la réforme judiciaire
en Israël : L’Entité
sioniste au bord de
l’implosion. On
l’aura compris, entité
sioniste désigne,
sans
le nommer, Israël.
Mais, comme il n’est
pas évident de créer
un adjectif à partir
de ce syntagme, on
trouvait dans
l’article la mention
des quotidiens
israéliens, de
la société
israélienne ou
du Parlement
israélien… Mais
la Cour suprême était
qualifiée de plus
haute instance
juridique de
l’Entité sioniste. Tout
ceci pour ne pas citer
Israël. Par ailleurs,
la ville de Jérusalem
(en arabe al Qods)
était nommée Al-Qods
occupée.
Derrière
tout
cela, sans doute, la
volonté de nier
l’existence
d’un pays
qu’une partie des pays
arabes a reconnu (le
Maroc a d’ailleurs été
payé en retour de sa
normalisation des
relations
diplomatiques :
Israël a, de son côté,
reconnu la marocanité
du Sahara espagnol
qu’il occupe). Ce qui
me paraît intéressant,
c’est que faute de
lutter politiquement,
voire militairement,
contre l’impérialisme
israélien en
Palestine, on lutte
par l’intermédiaire de
mots. Or ce n’est pas
avec des mots que l’on
pourra aider le peuple
palestinien, dont les
pays arabes se
désintéressent
d’ailleurs. On ne
l’évoque cycliquement,
par une sorte de tour
de passe-passe, que
lorsqu’il il faut
faire oublier des
problèmes locaux. Des
manifestations contre
la vie chère ? On
lance une opération
verbale contre Israël.
Des problèmes d’eau,
d’électricité,
d’approvisionnement ?
On lance le même type
d’opération verbale…
Et
un
changement de
nomination sert
d’oblitération :
Israël n’existerait
pas si on ne le
nommait pas. On prête
à Albert Camus une
formule selon laquelle
« mal nommer les
choses c’est ajouter
au malheur du
monde ». En
l’occurrence, le
malheur des
Palestiniens n’est pas
près de prendre fin.

17
juillet : La
bollorisation
est en marche
Pour
la
quatrième semaine de
suite, le Journal
du Dimanche
(JDD) ne paraît pas ce
dimanche. Pour quel
motif ? Vous
allez comprendre.
Vincent
Bolloré,
milliardaire prédateur
du monde de
l’information et de la
culture, poursuit ses
destructions depuis
des années. Dans la
presse, il achète,
vire des journalistes
et impose sa ligne,
catholique réac et
d’extrême droite. Dans
le domaine télévisuel
il a fait disparaître
tout ce qu’il y avait
de novateur à Canal +.
Puis il fait de C News
la chaîne à la fois la
plus vulgaire et la
plus réactionnaire de
l’audiovisuel
français. Côté
réactionnaire, Eric
Zemmour, avant de se
porter candidat à la
présidentielle de
2022, en était le
polémiste vedette. Il
a été plusieurs fois
condamné pour
« provocation à
la haine »,
« injures
raciales »,
« insulte à la
France »… Côté
vulgarité, Cyril
Hanouna et son
émission Touche
pas à mon poste battent
tous les records et
ont plusieurs fois été
condamnés à des
amendes dont l’une a
dépassé les trois
millions d’euros.
Etrangement, Raquel
Garrido, aujourd’hui
députée de la France
Insoumise et ancienne
porte-parole de J-L
Mélenchon, a été
pendant trois ans
chroniqueuse, bien sûr
rémunérée, dans cette
émission. Et Marlène
Schiappa,
sous-ministre (disons
secrétaire d’état) du
gouvernement Bordes, y
a son couvert et l’on
murmure qu’elle
pourrait y collaborer
régulièrement si,
comme c’est probable,
elle doit quitter le
gouvernement.
L’extrême droite,
comme on voit, ratisse
large.
Passons
à
la radio. Bolloré a
mis la main sur Europe
1, en a viré une
partie de la
rédaction. Cette
station est
aujourd’hui la moins
écoutée de radio
généraliste, mais
qu’importe si elle
perd de l’argent.
L’extrême droite a du
fric.
Puis,
dans
la presse écrite, ce
fut Paris Match. Bolloré
en a pris
subrepticement le
contrôle il y a un an
et a affiché ses
positions en imposant
une couverture
consacrée au cardinal
Sarah,
traditionnaliste
notoire. La rédaction
proteste, et Bruno
Jeudy, rédacteur en
chef renommé, est viré
au bout d’un mois.
Depuis, les
« unes » de
l’hebdomadaire ne sont
plus validées par la
rédaction mais par la
direction. Pour Europe
1 comme pour Paris
Match, Bolloré
exerce son pouvoir en
sous-main.
C’est en
effet Arnaud Lagardère
qui, dilapidant
l’énorme héritage que
lui a laissé son père,
s’est trouvé en
situation financière
délicate et cède peu à
peu des pans entiers
de ses avoirs dans la
presse mais aussi dans
l’édition.
Et
cela
nous mène au JDD dont
Lagardère est
théoriquement la
patron mais Bolloré le
puissant actionnaire.
Il y a un mois, la
rédaction du journal
apprend qu’elle a un
nouveau directeur,
Geoffroy Lejeune, venu
du journal Valeurs
actuelles et
ami intime d’Eric
Zemmour et de Marion
Maréchal, nièce de
Marine Le Pen.
D’extrême droite
assumée, il est sans
doute chargé de mettre
le JDD dans la ligne
de Bolloré. Tout le
personnel se met en
grève et cela fait
donc quatre semaines
que le JDD ne paraît
plus. Les grévistes
sont soutenus par la
plupart de leurs
confrères mais, ici
encore, il se passe
des choses étranges.
Jean-Luc Mélenchon par
exemple a déclaré que
défendre les
« larbins de
Bolloré n’avait
« aucun
sens ». Du côté
du gouvernement seuls
deux ministres ont
réagi. Celle de la
culture, Rima Abdul
Malak, s’est déclaré
inquiète, que Bolloré
représentait une
menace pour la liberté
d’expression et de
création. Et celui de
l’éducation nationale,
Pap Ndiaye a traité C
News de
« clairement
d’extrême
droite ». Les
autres se taisent
prudemment.
Il
est
vrai que le JDD,
journal plutôt de
centre droit, fait
bien son travail
d’information et que
tout le personnel
politique rêve d’y
être interviewé. D’où
le silence prudent des
politiques…
Il
en
va un peu de même dans
le domaine du show biz
et de l’édition.
Bolloré a en effet
également mis la main
sur le groupe Vivendi,
qui possède en
particulier Editis
(Nathan, Laffont,
Julliard, Plon, etc…)
et Universal (Decca,
Barclay, Polydor,
Virgin, etc.). Et on
comprend le silence de
beaucoup d’artiste et
d’écrivains. On ne
sait jamais…
Bref,
le
JDD est donc en grève.
Il est probable que
les choses finiront
comme ailleurs :
des journalistes
feront jouer la clause
de conscience et
partiront, un chèque
dans la poche. Les
autres se tairont, il
faut bien vivre. Mais
ce qui se joue dans la
plupart des cas
évoqués ci-dessus
concerne notre
liberté, notre droit à
l’information et au
pluralisme. La
bollorisation des
esprits est en marche,
Hanouna et Zemmour
risquent de
devenir les gourous
fascisants de la
« culture »
et de la
« politique ».
Et peu de gens
réagissent à ce
tsunami réactionnaire.
Pourtant, les
journalistes du JDD,
qu’on apprécie ou non
leur journal, se
battent aussi pour
nous, défendent aussi
notre droit à une
information
pluraliste.
La
bonne
question n’est
d’ailleurs peut-être
pas « pourquoi
peu de gens
réagissent ? »
mais « qui lit
aujourd’hui les
journaux ? ».
Regardez autour de
vous. Vous verrez des
gens les yeux rivés
sur leur tablette,
écoutant des
influenceurs,
consultant des sites
plus ou moins
d’information, parfois
complotistes ou, le
plus souvent, suivant
des séries. Or
Internet est
désormais à
l’information ce que
Mac Do est à la
gastronomie :
leur négation, leur
rature. Mais il s’en
foutent. En 1989
sortait un film
intitulé Chérie,
j'ai rétréci les
gosses. Le
projet de Bolloré est
de rétrécir les
esprits.
Une
autre grève fait
beaucoup parler de
l’autre côté de
l’Atlantique, celle à
Hollywood, des
scénaristes (ils sont
11.500 en grève), qui
dure depuis deux mois
et demi. Les acteurs
viennent de les
rejoindre : ils
sont 160.000 en grève.
Résultat :
l’industrie du cinéma
est bloquée. On ne
tourne plus aucune
série, plus aucun
film. Déjà on commence
à rediffuser de
vielles séries, faute
de pouvoir produire
des nouveautés.
Peut-être que les
drogués des tablettes
et des séries,
lorsqu’ils se rendront
compte que ne leur
fourgue que des
vieilleries, se
poseront ils des
questions sur les
raisons et les motifs
des grévistes. On peut
toujours rêver. Pour
l’instant, la
bollorisation est en
marche en France, et
personne ne s’en
soucie vraiment.

11
juillet : Né
quelque part
Il
est
difficile de ne pas le
savoir, tant les média
nous en rebattent les
oreilles : La
France accueillera les
Jeux olympiques en
2024. Ils se
dérouleront pour
l’essentiel à Paris
(d’où le logo Paris
2024) mais aussi
à Tahiti et dans
différents sites de
l’hexagone comme
Bordeaux, Lyon, Nice,
Saint-Etienne et
Marseille. Pour cette
dernière ville il y
aura d’ailleurs deux
sites, le stade
vélodrome pour le
football et la marina
de Marseille pou les
épreuves nautiques.
Or
la
ville
vient de
demander au comité
d’organisation que le
logo Paris 2024 ne
soit pas affiché sur
le stade pour
« protéger
l’identité du stade et
l’histoire du
club ». Et une
élue du conseil
municipal, Samia
Ghali, a précisé que
« le vélodrome
est le temple du
football à Marseille,
avec son club
historique. Apposer
Paris sur le stade
serait très mal vécu
par les Marseillaises
et les
Marseillais ». En
toile de fond, bien
sûr, un non dit : une
querelle de clochers
ridicule entre
l’équipe de Marseille,
l’O.M., et celle de
Paris, le P.S.G., qui
donne régulièrement
lieu lors des matches
entre les deux équipes
à
des insultes, voire
des émeutes. Et cette
querelle de clochers
semble ignorer
que depuis le 9ème
siècle avant notre ère
est instituée ce qu’on
appelait en grec Ekecheiria,
la « trêve
olympique ».
Je
me
soucie du football
comme de ma première
chemise, mais je
déteste depuis
longtemps le
nationalisme, qu’il
soit local, régional,
national ou
continental. En
revanche, j’aime bien
la chanson. Et face à
ce refus marseillais
me viennent en tête
deux titres. Celui
d’une chanson de
Maxime Le Forestier,
tout d’abord, Né
quelque part :
« Est-ce
que les gens naissent
égaux en droits à
l'endroit où
ils naissent, est-ce
que les gens naissent
pareils ou pas »
Et
surtout
celui d’une chanson de
Georges Brassens, La
ballade des gens qui
sont nés quelque
part, dont
chaque couplet se
termine par le même
vers : « Les
imbéciles heureux qui
sont nés quelque
part ».
Sans
commentaire,
bien sûr.

7
juillet :
Caporalisme
Il
n’y
a guère on parlait en
France de gauche
unie, d’union
de la gauche,
formules qui
couvraient
essentiellement quatre
choses. Une stratégie
momentanée de
convergence entre
communistes et
socialistes, une
réalité sociale
(l’existence d’une
classe ouvrière et
d’une petite
bourgeoisie « de
gauche », votant
pour cette gauche),
une analyse de cette
réalité sociale, de
ses besoins et de ses
désirs, et enfin, pour
parler comme Gramsci,
une « hégémonie
culturelle ».
On
pourrait
considérer que la
NUPES correspond
aujourd’hui à une
stratégie d’union. En
revanche la
« classe
ouvrière », ou ce
qu’il en reste,
a connu une
mutation
considérable :
d’une part elle se
dilue, d’autre part
elle a de plus en plus
tendance à voter pour
l’extrême droite. Et
enfin on chercherait
en vain une analyse
convaincante de la
réalité sociale et la
moindre trace
d’hégémonie
culturelle.
Prenons
ces
quatre points dans un
ordre différent. Si la
conquête du pouvoir
politique passe par
celle de l’opinion
publique, c’est du
côté de Bolloré ou de
Zemmour que se trouve
aujourd’hui
l’hégémonie
culturelle :
racisme et opposition
aux migrants dominent
dans l’opinion. Face à
cela, on voit naître
une curieuse analyse
sociale à
l’extrême gauche: si
la classe ouvrière
n’est plus porteuse de
combats, de
« lendemains qui
chantent », cet
espoir est désormais
du côté des
« arabes »,
des
« musulmans »,
vus comme les nouveaux
opprimés. Et toute
révolte dans les
« quartiers »,
toute manifestation
violente, sont vues
comme les prémices
d’une révolution à
venir. Cette analyse,
a été par certains
baptisée
« islamo-gauchisme »,
formule peut-être
stupide mais qui
recouvre une réalité.
Et enfin la NUPES,
« nouvelle union
populaire, écologique
et sociale »,
apparaît de plus en
plus comme un champ de
bataille sur lequel
s’affrontent
différents désirs,
différents egos, des
volontés de pouvoir
pour certains, de
survie pour d’autres.
Les
noms que l’on entend
le plus souvent,
ceux de Jean-Luc
Mélenchon, Sandrine
Rousseau, François
Ruffin, Olivier
Faure, Fabien
Roussel et quelques
autres illustrent
parfaitement cette
double tendance de
volonté de pouvoir
et de crainte de
disparition ?
Pour résumer
cela un peu vite,
la « gauche
française »
ne pense plus, a
surtout un électorat
bobo, un discours
tirant vers la
populisme et une
stratégie que tente
d’imposer un mâle
alpha, Jean-Luc
Mélenchon. En bref la
formule « gauche
française »
n’a plus aujourd’hui
le
moindre sens.
On
en trouve une belle
illustration dans deux
situations très
différentes : les
réactions aux scènes
récentes d’émeutes et
de saccages après le
meurtre d’un jeune
homme par un policier,
et la préparation des
élections européennes.
Dans le premier cas,
Mélenchon et ceux qui
le suivent au doigt et
à l’œil se sont refusé
à appeler au calme,
avec une formule dont
l’ambiguïté saute aux
yeux : nous
n’appelons pas au
calme mais à la
justice. Du coup
socialistes et
communistes ont
exprimé leur désaccord
et la « nouvelle
union » qu’est la
NUPES vire à la
désunion.
Dans
le second cas, la
préparation des
élections européennes,
Mélenchon, encore lui,
insiste obstinément
sur l’importance d’une
liste commune. Les
écolos ont déclaré
depuis longtemps
qu’ils iraient seuls,
imités par le
communistes et sans
doute par les
socialistes. Pourquoi
la France insoumise
veut-elle une liste
commune ? Parce
que, dit Mélenchon,
s’il n’y a pas d’union
aux européennes il n’y
en aura pas à la
présidentielle.
Traduisez : je ne
serai pas le candidat
unique de la gauche.
Pourtant, sur la
question européenne,
les différents partis
de gauche n’ont pas
les mêmes positions,
les mêmes conceptions.
Et le caporalisme
mélenchonien (ne
discutez pas, tous en
ligne derrière moi)
est un signe de plus
de l’absence de
réflexions et
d’analyse théoriques.
Encore une fois, la
gauche française ne
pense guère, n’a pas
grand-chose à
proposer.
Un
récent sondage de
l’institut IPSOS jette
sur tout cela une
autre lumière,
intéressante. Si les
quatre partis de la
NUPES (France
insoumise,
socialistes,
communistes et verts)
allaient unis à
l’élection
européennes, ils
obtiendraient 24% des
suffrages. S’ils y
allaient chacun pour
soi, le total des voix
obtenues serait de
32,5%. Et il y aurait
donc beaucoup plus
d’élus, qui d’ailleurs
ne défendraient sans
doute pas les mêmes
positions au Parlement
européen. Si le
sondage est fiable,
nous aurions donc là
une belle
démonstration du fait
que Mélenchon ne veut
pas obtenir le plus
d’élus possible à
Bruxelles mais ne veut
pas voir une tête qui
dépasse derrière lui.
Encore une fois,
caporalisme.

2
juillet :
Bolsonaro dans
un sous-marin

Les
choses
vont plus vite au
Brésil qu’aux
USA : Trump court
toujours alors que
Bolsonaro a été
rattrapé par la
justice. Il vient
d’être condamné à huit
ans d’inéligibilité
par le Tribunal
Supérieur Electoral
pour le discours qu’il
avait prononcé devant
des ambassadeurs un
mois et demi avant
l’élection
présidentielle. Il y
prétendait que le vote
par urnes
électroniques était
truqué, infiltré par
des hackers et par on
ne sait quelle
« entreprise tertiatisée »(vous
savez peut-être ce que
cela signifie, pas
moi). Les
sept juges ont exprimé
leur décision (à 5
voix contre 2) à la
télévision, l’un
d’entre eux déclarant
que Jair Bolsonaro
avait « violé
ostensiblement ses
devoirs de président
de la
République ».
Immédiatement, les
réseaux sociaux ont
commenté cette
condamnation, les uns
prétendant que
l’ex-président était
victime
de la
« dictature
communiste liée au
milieu
« narco-judiciaire »,
les autres la
commentant de façon
humoristique, comme
sur l'illustration
ci-dessus.
25
juin : Staline
vu par Picasso

Propriété de
l’Etat, acquis
par dation des
héritiers
Picasso
En
1949, pour le 70ème
anniversaire du
dictateur
soviétique, Picasso
avait réalisé à la
demande de la CGT le
dessin ci-dessus .
Le tutoiement, la
forme populaire de
la formule étaient
bien sûr conformes
aux pratiques
langagières des
communistes. Mais le
dessin pouvait aussi
être reçu comme
provocateur,
insinuant que
Staline était un
gros buveur. Picasso
n’avait sans doute
pas lu le poème de
Rakhimov publié dix
ans plus tôt dans la
Pravda à l’occasion
de son 60ème
anniversaire :
O
grand Staline
Ô chef des
peuples
Toi qui fais
naître l'homme
Toi qui
fécondes la
terre
Toi qui
rajeunis les
siècles
Toi qui fais
fleurir le
printemps
Toi qui fais
vibrer les
cordes
musicales
Toi splendeur
de mon
printemps
Soleil
reflété par
des milliers
de cœurs
Mais les traits
entourant le nom de
Staline pouvaient
également suggérer que
le « petit père du
peuple » était un
soleil. Et le vin
sombre dans le verre,
qui semble avoir coulé
sur la main, pouvait
également dire
insidieusement que
Staline avait du sang
sur les mains. Membre
du PCF, le peindre
n’était jamais allé
(ou avait éviter
d’aller ?) en URSS, et
il est difficile de
savoir ce qu’il en
pensait vraiment. Cela
n’empêcha pas Louis
Aragon de lui demander
en mars 1953 quelque
chose pour illustrer
la « une » de
l’hebdomadaire qu’il
dirigeait, Les lettres
françaises, sur la
mort du même Staline.
A mille lieues du
réalisme socialisme
prôné par Andréi
Jdanov, le portrait
fit scandale. Ce
n’était pas l’image,
ou plutôt l’icône,
qu’attendaient les
communistes, certains
la virent comme une
insulte à la mémoire
du chef adoré, et il
s’ensuivit une série
de règlements de
compte au sein du PCF.

In
L’Express, 7/3/
2013
Mais au-delà de
ce procès en « apostasie
» il est intéressant de
se pencher sur l’œuvre.
Le portrait est encadré
par deux articles, l’un
à gauche de F.
Joliot-Curie (« Staline,
le marxisme et la
science » et l’autre à
droite d’Aragon («
Staline et la France ».
On y distingue une
première ébauche du
visage et de la
moustache, au trait fin,
puis le dessin final, le
trait au fusain étant
plus appuyé. L’esquisse
du visage et le visage
définitif ont toutes les
deux la même forme, dans
laquelle le
psychanalyste Paul Fuks
a proposé de voir un œuf
: « En éliminant traits,
cheveux et moustache
pour aller à l'essentiel
du contour de la face,
on s'émerveille en
découvrant un œuf posé
sur un cylindre ».
Tête d’œuf, Staline ?
En fait Fuks va plus
loin, voyant aussi dans
cet œuf posé sur un
cylindre le gland et le
prépuce d’un sexe
masculin. Alors, tête de
nœud, Staline ? Jouant
sur les mots, Fuks
conclue que la formule «
le portrait de Staline
exécuté par Picasso »
pourrait s’entendre «
Staline exécuté par
Picasso ». Mais le
préfère cette cette
boutade, attribuée à
Salvador Dali : «
Picasso est espagnol –
moi aussi. Picasso est
un génie – moi aussi.
Picasso est communiste –
moi non plus… »
21
juin : Kobané
Je
viens
de lire un livre très
intéressant, Introduction
à la linguistique
kurde, de Salih
Akin (éditions
Lambert-Lucas,
Limoges, 2023), qui
présente différents
aspects de la
situation des Kurdes
et de leur langue. Et
je voudrais en
présenter
rapidement un aspect
révélateur
Parlé
principalement dans
quatre pays (l’Irak,
l’Iran, la Syrie et la
Turquie), sur une aire
continue mais découpée
en tranches par les
frontières, le kurde
est donc une langue
minorée et parfois
niée, occultée,
particulièrement en
Turquie ou son nom
même est banni du
discours public (on y
parle des
« autres langues
que le turc »).
Cette occultation
concerne aussi les
noms de lieux, et
l’exemple de la ville
de Kobané est de ce
point de vue
significatif. Cette
ville, attaquée en
2014 par Daech et
défendue par les
Kurdes, était à
l’origine un
village dans lequel la
Baghdad Railway
Company a
installé une gare au
début du 20ème
siècle, installation
qui explique le
développement du
village. Son nom turc
était Arab Pinar
(« source
arabe ») parce
que les bergers arabes
y faisaient boire
leurs troupeaux,
appellation qui sera
traduite en arabe (aïn
el arab) et que
les djihadistes
transformeront en aïn
al-islam (« source
de l’Islam). Mais les
Kurdes qui y vivaient
l’appelaient Kobané,
adaptation phonétique
de Company.
Akin décrit la
façon dont, dans cet
imbroglio toponymique,
la
presse
française a rendu
compte de cette
bataille. Dans les
titres comme dans le
corps des articles, la
ville est d’abord
nommée aïn el arab
avec, entre
parenthèses, (Kobané
en kurde). Puis
Kobané apparaît dans
les titres, avec
parfois entre
parenthèses la mention
(Aïn el arab en
arabe) ou (nom
kurde d’Aïn el arab),
et enfin Kobané
apparaît seul, le nom
kurde supplantant le
nom arabe au fur et à
mesure que la
résistance des Kurdes
à l’Etat islamiste
s’affirme et qu’ils
recueillent la
sympathie ou
l’admiration des pays
étrangers. Ce qui est
ici intéressant c’est
que la presse va dans
ses articles
privilégier le nom
kurde de la ville au
fur et à mesure que la
résistance des Kurdes
semble annoncer sa
victoire victoire. Ce
qui nous montre que le
respect des mots de
l’autre
(anthroponymes,
toponymes, odonymes,
etc.) est
proportionnel au
respect que l’on porte
à cet autre ou que
l’autre impose.
16
juin : Michel
Sardou
Le
chanteur
Michel Sardou avait,
dès la fin des années
1960, déchaîné par ses
positions d’extrême
droite, son machisme,
son racisme (Les
Ricains, J’habite
en France, Les
villes de solitude,
Le France, Je
suis pour, Le
temps des colonies…),
une opposition en
Belgique et en France.
Et l’ activité des
« Comités anti
Sardou » l’avait
obligé en 1977 à
annuler sa tournée.
Nous avions, avec mon
ami Jean-Claude Klein
publié un petit livre
(Faut-il brûler
Sardou ?)
dans lequel
nous analysions son
œuvre et les réactions
qu’elle avait
suscitées. C’était
donc il y a près d’un
demi-siècle.
Il
y
a peu de temps Sardou,
aujourd’hui âgé de 76
ans, avait annoncé
qu’il arrêtait la
chanson. Puis, comme
beaucoup d’autres, il
est revenu sur sa
décision : Il
débute une nouvelle
tournée le 3 octobre
2023. Une chaîne de
télévision a donc
décidé, pour
l’occasion, de
diffuser début octobre
une émission sur sa
carrière, et des
journalistes m’ont
interviewé avant-hier.
Pour l’occasion j’ai
regardé un livre de
1972, Cent ans de
chanson française (C.
Brunchwick, L-J
Calvet, J-C Klein).
Dans cette première
édition, nous
consacrions à Sardou
un très court article
(9 lignes) qui se
terminait ainsi :
« Il
choisira
d’être le chantre de
la majorité
silencieuse et, avec J’habite
en France, Les
Ricains, Monsieur le
président, il
lance de francs succès
réconfortants pour les
bourgeois à cheveux et
idées courtes ».
Dans
une
réédition mise à jour
de 1981, l’article
(qui faisait cette
fois-ci une page et
demie)
concluait : « Lassitude
ou
calcul ? Toujours
est-il qu’après la
polémique ouverte, en
1977, autour de ses
positions , Sardou a
baissé le ton quitte à
apparaître
(provisoirement ?)
… moins souvent au
hit-parade ».
Puis,
en
2008, j’ai refait seul
ce livre et à la fin
de l’article Sardou,
long cette fois de
près de deux pages,
j’écrivais :
« Michel Sardou
est à la chanson
française ce que
Nicolas Sarkozy est à
la politique :
son moteur tourne à la
pulsion de
pouvoir ».
Je
trouve
que cette chronologie
est un bon résumé de
sa carrière. En tout
cas elle témoigne au
moins d’une suite dans
les idées de notre
part.
11
juin : A
garota se foi
Il
y
a quelques semaines, à
Rio de Janeiro, je
dînais avec un
ami dans une
brasserie, A
garota de Ipanema,
quartier du sud de la
ville , chic et
branché. Le nom du
restaurant est le
titre d’une chanson
célèbre. Et l’on peut
même y acheter un
Tshirt sur lequel est
imprimée la partition
de l’œuvre. Légende ou
réalité ? On dit
qu’au tout début des
années 1960, attablés
dans ce lieu, le poète
(et diplomate)
Vinicius de Moraes et
le musicien Calors
Jobim admiraient les
femmes (garotas)
qui passaient devant
eux. Il en résulta un
texte de Moraes, une
mélodie de Jobim,
qu’allait enregistrer
João Gilberto :
c’était parti. Ou
presque. Car, dans un
studio de New York où
Gilberto devait
enregistrer avec Stan
Getz, on cherchait
quelqu’un qui puisse
chanter en
anglais . La
femme de João
Gilberto ,
Astrud, leva la
main : elle
pouvait chanter en
anglais. Et là,
c’était vraiment
parti. Succès mondial
qui devint la drapeau
de la bossa nova naissante.
Cette
samba
au tempo un peu
ralenti devint un
symbole que tout le
monde connaît du
Brésil. Astrud
Gilberto pour sa part
poursuivit une
carrière à mi-chemin
entre bossa nova et
pop, avec une voix
sensuelle mais pas
nécessairement
renversante. Disons
qu’elle jouait, sans
le vouloir peut-être,
sur la nostalgie,
tandis que les
musiciens brésiliens
continuaient de leur
côté leur révolution
musicale, d’ailleurs
très vite en butte aux
dictatures militaires
de leur pays.
Astrud
Gilberto
vient de mourir, à 83
ans. A garota de
Ipanema se foi,
« La fille
d’Ipanéma est
partie ».
6
juin :
Proverbes...
Citer
des
proverbes à tout bout
de champ est une façon
classique de vouloir
renforcer son
argumentation en
invoquant la sagesse
populaire, citations
qui n’ont aucune
valeur démonstrative
ou théorique. Sauf que
parfois…
Prenons
un exemple récent. Les
députés du parti
d’extrême droite Rassemblement
National ont demandé
et obtenu la mise en
place à l’Assemblée
Nationale d’une
« commission
d’enquête sur les
ingérences
étrangères »,
commission présidée
par un membre de ce
parti. Son but était à
la fois de mettre fin
aux nombreuses
accusations de
compromission avec
Poutine et sa
politique dont il
était l’objet, et si
possible de braquer le
projecteur sur
d’autres partis.
Dépendant
financièrement d’un
banque tchéco-russe à
laquelle elle a
emprunté plus de 9
millions d’euros,
Marine Le Pen n’a en
effet jamais cessé de
dire son admiration
pour Poutine et
d’affirmer que la
Russie n’avait pas
illégalement envahi la
Crimée. Mais cette
commission, créée à la
demande de son parti,
allait espérait-elle la
blanchir de ces
« injustes »
accusations.
Hélas !
Le
rapport ne fut pas ce
qu’elle attendait. Il
parle à propos du RN
de « relais
direct du discours
officiel
russe », « d’alignement
total sur le discours
russe », etc.
Bref si, comme je
l’écrivais au début de
ce billet, les
proverbes n’ont aucune
valeur théorique, on
pense quand même à
deux d’entre
eux : tel est
pris qui croyait
prendre et
donner des verges
pour se faire
battre.
1er
juin :
Quelques
nouvelles
"sportives"
Mardi
dernier, j’ai été très
impressionné par
l’exploit d’un
tennisman brésilien
dont jusque-là je ne
connaissais même pas
le nom, Thiago
Seyboth Wild, classé
172ème
joueur mondial et qui
venait d’éliminer au
tournoi de Roland
Garros le deuxième
joueur
du monde, le
russe Danil Medvedev.
Un match remarquable
de puissance et
d’intelligence.
J’envoie un message à
une amie brésilienne
qui me répond
« je le connais
aussi pour sa violence
avec ses
copines ». Un peu
surpris, je me balade
sur Internet et je
tombe sur un entretien
avec un journaliste,
juste après le
match :
«Désolé
de te poser cette
question après une
aussi grande
victoire. Selon le
média UOL Esporte,
qui parle de ton
ex-femme, tu as été
condamné en juin
2022 par le
ministère public de
Rio pour des
violences conjugales
et psychologiques
contre ton ex-femme.
Depuis, il n'y a pas
eu de sentence. Que
va-t-il se passer
d'après toi ?»
Et
Thiago
Seyboth Wild
répond sèchement «Je
ne pense pas que
c'est une question
que l'on devrait
poser ici, ni à
personne. Ce n'est
pas à toi de décider
si c'est l'endroit
pour parler de cela
ou pas.»
Le
journaliste le relance
et le tennisman a
cette réponse
surprenante : «Tu
peux écrire ce que
tu veux. D'ailleurs,
je n'ai jamais été
marié, donc laisse
tomber tout ça.»
Comme si le fait de
n’être pas marié
excusait quoi que ce
soit.
Le
même jour j’apprends
dans la presse que le
pilier du XV de
France, le rugbyman
Mohamed Haouas, vient
d’être condamné à un
an de prison pour
violences conjugales
C’était
quelques nouvelles du
sport.
30
mai : Kiffer
Vous avez sans doute compris en
lisant mon
précédent
billet que je
viens de
passer
quelques jours
au Sénégal. Un
soir que je
buvais au bar
de mon hôtel
une bière (de
la marque
Flag) je vois
sur le verre
la publicité
suivante :
Pas comme
les autre,
mais on kiffe.
Cela m’a rappelé autre chose. En
1994,
rencontrant
l’abbé Pierre,
l’humoriste
Jamel Debbouze
lui avait
lancé : l’abbé,
j’te
kiffe. Le
vieil homme,
de surcroit
sourd, n’y
avait rien
compris. Et,
après sa mort,
en 2007,
Debbouze avait
récidivé :
L’Abbé,
si tu
m’écoutes,
j’te kiffe
toujours et je
te le
redis :
encore merci !
Dans
les
deux cas, le
même verbe,
francisé à
partir d’un
mot arabe, kif,
signifiant
haschich, qui
a pris en
français du
Maghreb le
sens de
« plaisir »
(quel
kif !).
Mais ce verbe,
kiffer,
connote en
France à la
fois une
classe d’âge
et une classe
(ou une
situation)
sociale :
en gros, il
est surtout
utilisé par
les jeunes de
ce qu’on
appelle les
« quartiers ».
Dans la bouche
de Jamel
Debbouze, il
n’était donc
pas inattendu,
témoignant de
son origine
sociale, et
l’incompréhension
de l’abbé
Pierre n’était
pas
surprenante.
En revanche
son
utilisation
dans une
publicité de
bière peut
étonner. En
France, on
l’analyserait
comme la
recherche d’un
public
déterminé.
Mais au
Sénégal ?
La seule
conclusion est
sans doute que
cet usage a
été adopté en
français du
Sénégal, ce
qui est en soi
intéressant
Il
y a une
vingtaine
d’années, à
Libreville au
Gabon, nous
avions été
invités, une
jeune collègue
et moi, par un
animateur de
radio qui
faisait une
émission sur
le rap et qui
n’avait cessé
de répéter que
nous venions
de Paname,
formule qu’il
trouvait sans
doute branchée
alors qu’elle
avait depuis
longtemps
disparu de
l’argot
français. Dans
les deux cas,
kiffer,
Paname,
les mots ne
sont pas innocents.
Les
inspecteurs
des impôts
parlent de
signes
extérieurs de
richesse, les
mots peuvent
être des
signes
extérieurs
d’identité,
d’identité
réelle ou
usurpée. Il y
a des mots de
pauvres et des
mots de
riches, il y a
aussi de
pauvres qui
veulent faire
riches, et des
riches qui
veulent faire
populaires. Je
sais, ceci
n’est pas très
théorique,
mais j’aime
bien butiner
ainsi des
mots, des
usages, et
tenter de les
mettre en
perspective.
Disons que je
kiffe ça.
28
mai : Jaka ja
ngi, ku mën
noddal
Jaka
ja
ngi ni, ku mën
noddal
(en wolof
« en
veux-tu, en
voilà ») :
on prête cette
formule au
président de
la République
sénégalaise
Abdou Diouf
lorsque en
1981 il
signait une
loi sur la
création des
partis
politiques.
Sous son
prédécesseur,
Léopold
Senghor, il y
avait au
Sénégal 3
partis
politiques. Il
y en eut 41 de
plus pendant
les mandats de
Diouf, 143
sous Abdoulaye
Wade, 151 sous
Macky Sall, et
le pays en
compte
aujourd’hui
339. En
imaginant que
seulement 10%
d’entre eux
puissent
présenter un
candidat à la
prochaine
élection
présidentielle,
cela en en
ferait tout de
même plus de
30.
Depuis
quelques
semaines, je
regarde avec
amusement en
France le
groupe
«LIOT »
(Libertés,
Indépendants,
Outre-Mer et
territoires),
qui cherche à
se donner de
l’importance à
l’Assemblée
nationale. Sa
vingtaine de
membres vient
d’une dizaine
de partis
différents,
allant du
Parti
Socialiste ou
de l’Union des
démocrates et
indépendants
au
Parti de la
nation corse
en passant par
Femu a
Corsica,
Réunion libre,
Régions et
peuples
solidaires,
etc. Et les
députés qui le
composent sont
élus de la
Corse, de
Mayotte, de la
Réunion, de
Saint-Pierre-et-Miquelon,
de la
Guadeloupe,
des Ardennes,
du Gers, des
Vosges, de la
Meuse, du
Morbihan, du
Nord, de
l’Aisne, de la
Marne. En
ajoutant ici
ou là dans la
liste des
parti
d’origine de
ces députés ou
des
circonscriptions
qu’ils
représentent
« un
raton
laveur »,
« un
autre raton
laveur »,
« plusieurs
ratons
laveurs »,
nous aurions
un texte qui
ne serait pas
sans rappeler
le poème de
Jacques
Prévert, Inventaire.
Mais il
faut avouer
que le Sénégal
l’emporte
largement sur
l’échelle…. de
quoi ? Du
pluralisme ?
Du
ridicule ?
Comme vous
voudrez.
Quoiqu’il en
soit : Jaka
ja ngi ni, ku
mën noddal !
11
mai : Amor e
sexo
Rita
Lee,
morte il y a
deux jours,
était au
Brésil une
immense star,
ayant vendu
dans sa
carrière 60
millions de
disques. Avec
une voix de
chanteuse de
bossa-nova,
douce, posée,
et des rythmes
de rock, elle
s’était
attaquée à
tous les
tabous, à tous
les interdits,
bousculant la
morale
frelatée, les
conventions
poussiéreuses.
avec
une poésie
dépouillé,
simple.
Dernière
trouvaille (ou
provocation,
ou défi, ou
bravade, comme
vous
voudrez) :
elle avait
baptisé le
cancer du
poumon dont
elle est morte
Jair, le
prénom de
Bolsonaro.
Voici
quelques
passages d’une
de ses
chansons, Amor
e sexo. Inutile
de traduire,
vous
comprendrez
sans peine sa
langue
directe,
ancrée dans la
vie :
Amor
é um livro,
sexo é esporte
Sexo é
escolha, amor
é sorte
Amor
é pensamento,
teorema, amor
é novela
Sexo é cinema,
sexo é
imaginação,
fantasia
Amor é prosa,
sexo é poesia
(…)
Amor
é cristão,
sexo é pagão,
Amor
é latifúndio
Sexo é
invasão, amor
é divino
Sexo é animal,
amor é bossa
nova
Sexo é
carnaval, mor
é para sempre,
sexo também
Sexo é do bom,
Amor é do bem
Amor
sem sexo, é
amizade
Sexo sem amor,
é vontade…
6
mai :
Apprentissage
Le
dessinateur
argentin
Sergio Aquindo
vient de
publier un
roman, Bêtes
à gravats
(éditions
Alma) dans
lequel il
raconte ses
premières
années à
Paris, alors
qu’il ne
parlait pas le
français,
n’arrivait pas
à vendre ses
dessins et
travaillait
dans le
bâtiment.
Quelques
extraits.
A
propos d’un
vieil émigré
espagnol :
« M.
Sanchez me
parle
enespagnol, un
espagnol doux
et suranné,
qui traverse
une
couche de
trente ou
cinquante ans
de français,
un espagnol
familial, de
coin de
cuisine, de
fin de
repas ».
A
propos du nom
des
outils :
« Je
connais déjà
pas mal de
noms
d’outilspar
cœur, mais pas
assez ;
trop souvent
encore on me
demande la
brouette et
j’apporte un
tournevis, on
me demande une
scie sauteuse
et j’apporte
unecarrelette.
J’ai beau
appeler les
outils, ils ne
me répondent
pas ».
A
propos de son
apprentissage
de la
langue :
« Il
n’aime pas son
emploi
actuel :
Enfin une
leçon de
l’Assimil qui
tombe à pic.
Je répète ces
mots en
français (…)
Plus tard,
dans la
descente des
escaliers
quimènent aux
douches de la
rue du Renard,
c’est une
autre phrase
de la méthode
Assimil qui me
revient en
tête : Quand
j’étais en
prison, j’ai
repassé des
chemises. Qui
rédige ces
leçons ?
Probablement
un poète dont
c’est le
travail
alimentaire et
qui sevenge,
comme d’autres
crachent dans
la soupe avant
de la
servir »/
Et
pour
finir :
« Apprendre
une langue,
c’est comme
manger du
poisson dit le
Chilien, il y
a des arêtes
jusqu’à la fin ».
2
mai : "Notes
de terrain"

Il
y
avait hier à
Aix-en-Provence
une
manifestation
tranquille,
bon enfant,
presque
pépère, en
comparaison
des violences
que
nous montre la
télévision à
Paris ou à
Lyon. Sans
doute bien
renseignée, la
police n’était
d’ailleurs que
très peu
présente.
Entre
deux
et trois
milles
personnes
(pour ceux qui
connaissent,
le cortège
avait la
longueur du
Cours
Mirabeau). La
ville est à la
fois
bourgeoise et
universitaire,
mais il y
avait peu de
jeunes parmi
les
manifestants.
Une bannière
proclamant
« lycéens
en
lutte »,
quelques
étudiants, des
enseignants,
mais la
moyenne d’âge
semblait plus
élevée. A vue
d’œil (et mon
témoignage est
donc
critiquable),
il y avait
plus de
retraités
que d’actifs.
Ce qui, pour
une
protestation
contre la loi
sur l’âge de
la retraite,
peut paraître
paradoxal. Il
faut en fait
en conclure
que ce n’est
pas contre la
loi que
manifestaient
les Aixois
mais contre
Macron. Ou que
certains
étaient mus
par la
nostalgie (une
pancarte
proclamait
d’ailleurs,
avec un jeu de
mots
approximatif,
Tu
nous mets 64
on te mai 68).
Seule
chose
un peu drôle.
Assises à une
table voisine,
dans le
bistrot dans
lequel
j’attendais le
départ du
défilé, deux
femmes dont
l’une avait
une casserole
et une cuiller
en bois. Son
amie lui
dit :
« Mais tu
ne l’a pas
lavée ».
Je jette un
coup d’œil. La
casserole
avait sans
doute servi le
matin à faire
bouillir du
lait, et ça se
voyait…
Comment
conclure ?
Qu’importe le
flacon pourvu
qu’on ait
l’ivresse ?
Ou c’est dans
les vieux pots
qu’on fait les
meilleures
confitures ?
24
avril:
Récupérations
Les
concerts
de casseroles
qui
accompagnent
depuis
quelques jours
les
déplacements
de Macron ou
de certains de
ses ministres
peuvent être
interprétés de
diverses
façons. On
peut y voir
(ou y
entendre) la
volonté de
couvrir la
voix de
politiques,
c’est-à-dire
une forme de
censure. Ou
encore une
forme
d’expression
d’un
mécontentement,
d’une
protestation
populaire.
Mais ces
casserolades
ont très vite
été l’objet de
différentes
récupération.
La
première
est celle
d’historiens
qui se
précipitent
devant les
micros et les
caméras pour
faire leurs
cours. Tous
remontent au
charivari mais
ne disent pas
exactement la
même chose. En
faisant la
« moyenne »
de leurs
récits, on
apprend que le
mot vient
d’une racine
grecque
signifiant
« mal de
tête »,
qu’il
s’agissait
d’une action
collective
d’une
communauté
villageoise
pour
sanctionner
l’un de ses
membres ne
respectant pas
la morale ou
la tradition
de ladite
communauté. Ou
encore qu’à
partir du 14ème
siècle le
charivari
servait à
protester
contre un
mariage
considéré
comme mal
assorti :
un vieillard
épousant une
jeune femme ou
un veuf se
remariant trop
vite. On y
apprend ou pas
des choses,
mais il faut
bien que les
historiens
puissent se
montrer de
temps en temps
à la
télévision.
Une
autre
récupération
est celle de
la presse.
Ainsi, la une
de
Libération
d’aujourd’hui
proclame
« Un an
après le
réélection de
Macron, ça
sent le
cramé »,
ce texte
s’insérant
entre une
casserole
au-dessous et
son couvercle
au-dessus
Troisième
réponse
de
récupération,
la publicité
d’IKEA pour
une casserole
à 12,99€ avec
ce
texte :
« A ce
prix-là, ça
peut faire du
bruit ».
On
voit
donc qu’entre
le bavardage
des historiens
et la cupidité
capitaliste,
le spectre des
récupérations
est large. Un
petit détail
pour finir,
qui je vous
laisse
interpréter à
votre
guise :
le manche de
la casserole
de Libération
est à
gauche, celui
d’IKA à
droite. Mais
comment savoir
s’il s’agit
d’un choix
conscient…
22
avril:
Electricité à
tous les
étages?
J’avais
dans
mon billet du
9 février
expliqué
comment des
étudiants
américains
cherchaient à
ridiculiser
les lanceurs
de « fake
news » en
lançant de
fausses
informations
plus
ridicules encore:
il s’agissait
en
l’occurrence
d’expliquer
que les
pigeons
n’existaient
pas, qu’il
s’agissait de
drones lancés
par le
gouvernement
US pour
surveiller sa
population. Je
ne sais pas
quelle fut
l’efficacité
de cette
blague, mais
il vient de se
produire en
France un
événement
similaire.
« Maître
Gims »
est un
rappeur
congolais à
succès. il a
par exemple
rassemblé en
2019 72.000
spectateurs au
stade de
France et a
vendu dans sa
carrière près
de dix
millions de
disques. Mais
il vient de se
faire
remarquer
d’une toute
autre façon.
Dans une
interview
télévisée il a
en effet
expliqué que
l’Egypte
ancienne
disposait déjà
de
l’électricité
et que le
sommet des
pyramides
recouvert d’or
servait
d’antenne,
ponctuant
gravement ces
inepties d’un
: « tous
les historiens
le
savent ».
Derrière cette
invention
fantaisiste,
il avançait
d’autres
fadaises, par
exemple que
l’Europe
aurait été à
l’origine
peuplée de
Noirs, les
« Afropéens »,
qui auraient
été massacrés
par les
Européens
venus d’Asie.
EDF
a alors
imaginé une
réplique
inattendue :
une publicité
sur laquelle
en lit :
EDF,
FOURNISSEUR
OFFICIEL DES
PHARAONS
DEPUIS -2000
AVANT J-C,
avec un texte
en plus petits
caractères:
« Non
Monsieur Gims,
quand même
pas. Mais on
est certains
que si
l’électricité
avait existé
au temps des
Pharaons, ils
nous auraient
sans doute
choisis ».

Bien
sûr,
il s’agit de
la
récupération
de la grosse
bêtise lancée
par Gims par
une entreprise
qui espère en
tirer profit.
Mais une
récupération
humoristique.
La seule
question est
de savoir si
cet humour
sera compris
par
les
« followers »
de
« Maître
Gims »
qui n’ont sans
doute pas
l’électricité
à tous les
étages.
20
avril: Ca
marche chez
moi, pas chez
les autres,
mais ça marche
Dans
le quotidien La
Provence d’aujourd’hui
on lit que
l’inénarrable
Didier Raoult,
malgré sa mise
à la
retraite ,
s’accroche
toujours à
l’IHU dans
lequel il a
conservé un
bureau, et
qu’il continue
à s’y
comporter en
patron. Après
tout, cela
concerne la
direction et
les autres
membres de cet
institut. Mais
il a annoncé
le 22 mars
dernier la
publication
d’un nouvel
article en ces
termes:
"Notre
étude sur la
baisse de la
charge virale
par le
traitement par
hydroxychloroquine
dans le Covid
est en ligne
et confirme
notre première
étude".
Il
s’agit en fait
d’une publication
destinée
au Journal
of medical
virology,
qui n’a pas
encore été
revue par des
pairs, et donc
pas encore
acceptée, dont
la conclusion
est
étonnante :
"L’efficacité
tient
en partie à sa
prise en
charge par une
équipe
particulière
qui a soigné
plus de 30 000
personnes. Et
la qualité
générale de
cette prise en
charge et
l’expérience
des praticiens
ont
probablement
joué un rôle à
la fois dans
l’observance
et l’évolution
des patients
traités".
Et "Les
résultats,
ici, ne
peuvent être
généralisés
qu’à des
patients
similaires, et
une
organisation
de soins
similaire, et
ne peuvent pas
être
extrapolés
dans leur
intégralité à
d’autres
centres »
Traduction :
ça marche,
mais
uniquement
chez nous. Or
le B.A. BA de
toute
recherche
scientifique,
en particulier
mais pas
seulement dans
ce domaine
sensible, est
que tout autre
spécialiste,
au vu des
données de
l’expérience,
puisse la
reproduire
dans son
laboratoire et
obtenir les
mêmes
résultats.
C’est la seule
façon de
vérifier et de
valider une
molécule, un
médicament, un
traitement ou
n’importe
quelle
« découverte ».
Pour Didier
Raoult, cette
règle n’a
semble-t-il
aucune
importance :ça
marche chez
moi, pas chez
les autres,
mais ça
marche.
S’agissant
d’un
médicament
devant guérir
des malades et
pouvant donner
des espoirs à
tous les
autres, une
telle légèreté
laisse rêveur.
Et l’on
hésite :
méthode de
gourou, de
voyou ou
d’illuminé ?
16
avril:
Histoires de
langoustes
Lorsque
je travaillais
sur mon livre,
La
Méditerranée,
mer de nos
langues,
je m’étais
intéressé
aux mots
et aux images
typiquement
méditerranéens,
comme
l’étymologie
commune de
l’huile et de
l’olive (en
Méditerranée,
l’huile ne
peut être que
d’olive). Les
langues
riveraines de
cette mer
intérieure
devraient par
définition
avoir un riche
vocabulaire
maritime, en
particulier
pour les
produits de la
mer. Mais il y
a deux
exceptions,
l’arabe et
l’hébreu.
L’hébreu parce
que les
crustacés ne
sont pas
kasher, et
l’arabe parce
qu’il s’agit
d’une langue
du désert que
l’impérialisme
musulman a
menée
jusqu’aux
rivages.
Prenons
le cas de la
crevette et de
langouste. En
arabe tunisien
le première se
dit goumbar
ou joumbar,
la deuxième angoust.
On voit que
dans le
premier cas il
s’agit
d’emprunt à
l’espagnol,
dans le second
d’un emprunt
au français.
En cherchant
dans des
dictionnaires
on trouve pour
la langouste
des
expressions
comme jarâd
el-bahar (sauterelle
de mer, notons
qu’en latin locusta
signifiait
à la fous
sauterelle et
langouste) ou
saratan al
bahar (crabe
de mer), mais
j’ai entendu
en égypte estakoza
(emprunt
au grec αστακός)
et
au
Koweit oum
el roubiane (« mère
de la
crevette »,
comme Saddan
Housein
parlait de la
« mère
des
batailles »).
Pour
l’hébreu
j’avais
interrogé un
ami
spécialiste de
cette langue,
Philippe
Cassuto, et sa
réponse mérite
d’être
citée :
« Le
homard
se dit en bon
hébreu «
lobster », la
langouste
c’est «
langoustine »
et la
langoustine
c’est «
lobster de
Norvège ».
Pour la
crevette,
c’est «
shrimps ». Le
seul qui
existe c’est
«crabe» qui se
dit sartan
car
il s’agit du
signe du
zodiaque, là
impossible de
faire
l’impasse à
cause des
douze signes,
des douze
tribus, etc.
Aucune trace
donc d’un mot
hébreu pour
ces animaux
impurs, donc
la kasherout
les
exclut, mais
la langue
aussi. Il ne
faudrait quand
même pas salir
la langue avec
des termes
impropres,
cela salirait
la
bouche » .
Il
y
a dans ce
texte une idée
qui me
ravit et
devrait faire
réfléchir les
linguistes :
la langue
exclut ce
qu’exclut la
kasherout. Et,
puisque je
parle de
linguistes,
disons pour
finir avec le
sourire qu’ils
ont un point
commun avec
les
langoustes :
dans les deux
cas il est
préférable de
les consommer
frais.
9
avril:
Précision
On
m’a
demandé quel
était le DVD
auquel je
faisais
allusion dans
mon billet
précédent. Il
s’agit en fait
de deux DVD,
dans la série
Les leçons
de musique lancée
par la
réalisatrice
Emilie
Chedid, Le
Forestier
chante
Brassens,
avec en
caractères
plus petits
«avec
la participations
exceptionnelle
de Louis-Jean
Calvet ».
Maxime avait
choisi douze
chansons, par
ordre de
difficulté
guitaristique,
il les
chantait mais
montrait
aussi, avec
des gros plans
sur ses
doigts,
comment les
jouer, et pour
chacune
d’entre elles
nous faisions,
en duo, des
commentaires
sur leur
histoire. S’y
ajoutaient une
sorte de
dictionnaire
des
expressions
utilisées par
Brassens, des
reportages
divers (par
exemple chez
son luthier,
Favino), des
entretiens
avec certains
de ses
proches, le
guitariste
Joël Favreau,
son homme de
confiance
Pierre
Onteniente
(dit
« Gibraltar »,
etc. Bref, une
somme. Mais
j’avoue ne pas
savoir si on
la trouve
encore dans le
commerce.
3
avril: Encore
Chat GPT
En
2005 Maxime Le
Forestier,
préparant un
DVD sur
Brassens,
m’avait
demandé de lui
donner un coup
de main pour
l’analyse des
textes et
j’avais alors
pensé qu’une
analyse
statistique du
vocabulaire
pouvait être
intéressante.
J’en avais
parlé à Jean
Véronis, avec
qui je
collaborais
pour un livre
sur le
vocabulaire
politique, et
nous avons
ainsi analysé
les œuvres de
trois auteur-compositeurs-interprète
de la chanson
française dont
nous avions
l’intégralité
des textes,
Georges
Brassens donc,
Bernard
Lavilliers et
Georges
Moustaki (pour
ces deux
derniers il
s’agissait de
leur textes
jusqu’en 2005
puisqu’il ont
continué
ensuite à
créer et à
enregistrer).
Pour ce qui
concerne
Brassens,
j’avais
été surpris en
voyant Dieu
à la
première place
(il
apparaissait
140 fois),
devant cœur
(137
fois), femme
(135 ), temps
(123), amour
(109), fleur
(84), mort
(77), etc.
Nous
avions plus de
90 substantifs
ainsi classés,
le dernier
étant enterrement
avec 20
occurrences).
J’avais été
surpris,
disais-je,
parce que
Brassens
n’était pas
croyant et
plutôt
bouffeur de
curé, mais le
logiciel ne
tenait pas
compte du
contexte et Dieu
apparaît
le plus
souvent chez
Brassens dans
des contextes
ironiques ou
dans des
jurons.
Me
souvenant de
ce travail,
que nous
n’avons jamais
publié, je me
suis amusé ce
matin à
demander à
Chat GPT quels
étaient les
substantifs
les plus
fréquent chez
Brassens, afin
de voir si
l’intelligence
artificielle
parviendrait
aux mêmes
résultats. Il
m’a donné 15
termes que je
reproduis
ci-dessous
dans le même
ordre en
ajoutant leur
classement
dans le
travail que
nous avions
fait et en
notant
« n’apparaît
pas »
lorsqu’il
n’est pas dans
les 90
premiers mots
de notre
travail (Nous
nous étions
arrêtés aux
substantifs
apparaissant
20 fois ).
1Amour
5
2
Temps
4
3
Vie
23
4
Homme
18
5
Femme
3
6
Chanson
23
7
Mort
7
8
Joie
15
9
Liberté
n’apparaît
pas
10
Rire
n’apparaît
pas
11
Dieu
1
12
Ville
n’apparaît
pas
13
Rue
11
14
Monde
42
15
Solitude
n’apparaît
pas
On
voit qu’il y a
des
incohérences (Dieu
à la onzième
place, homme
ou vie
surclassés,
liberté,
rire ou
solitude absents
de nos
résultats), et
des absences
(celles
de cœur
et fleur,
pourtant très
fréquents chez
GB). Comment
interpréter ces
différences?
On peut
avancer
plusieurs
hypothèses.
Par exemple
que les deux
approches (la
nôtre et celle
de Chat GPT)
n’utilisent
pas le même
corpus. Nous
avions
travaillé sur
tous les
textes
enregistrés
par l’auteur
alors que
l’algorithme
prend
peut-être en
compte des
textes
inédits, sans
musique. Mais
cela
n’explique pas
l’absence de cœur
ou de fleur.
Sans
faire ici une
étude
scientifique ou
critique, il est
quand même
possible de
conclure que si
nous ne
disposons pas
des sources et
du mode de
travail
sous-tendant
l’algorithme, il
est déconseillé
d’en prendre les
résultats au
sérieux. Et ceci
est sans doute
également
valable pour
tout ce qu’on
trouve sur
Internet. Ce qui
pose un
véritable
problème de
recoupement des
sources, de
vérification de
l’information et
de formation des
jeunes
1er
avril: mais ce
n'est pas une
blague
Demain
on votera à
Paris. Pas
pour élire un
député
défaillant,
non. Il s’agit
d’une sorte de
référendum
pour ou contre
l’usage des
trottinettes
dans les rues
de la
capitale.
Passons sur le
fond. Ceux qui
circulent en
voiture ou
marchent dans
ces rues
connaissent
l’incivilité
de certains
trottinettistes.
Et ceux qui
les utilisent
en savent le
plaisir ou
l’utilité. Ce
qui me frappe
est ailleurs.
Les loueurs de
trottinettes
ont payé des
« influenceurs »
pour qu’ils
parlent de
cette
consultation
et incitent
leurs
« followers »
à voter pour
le maintien.
En outre,
demain à
Paris, les
trottinettes
seront
gratuites.
Nous sommes le
1er
avril, mais ce
n’est pas une
blague.
Broutilles ?
Peut-être.
Et peut-être y
a-t-il des
sujets plus
importants à
soumettre à
votation. Mais
ces
interventions
(influenceurs,
gratuité) des
gens qui
vivent de la
lotation de
ces engins
devraient nous
faire
réfléchir sur
les dérives de
l’informations
générées, en
particulier,
par Internet.
Et ces dérives
sont loin de
ne concerner
que les
trottinettes.
Nous en
sommes, sans
le savoir
souvent,
victimes tous
les jours.
28
mars: Fake or
not fake?

Spécialisé
dans
l’analyse
critique des
media, Daniel
Schneidermann
est un
journaliste
respecté. Mais
un journaliste
qui vient de
faire un
curieux
dérapage.
Tout
d’abord,
rappel des
faits.
Mercredi
dernier, lors
de son
interview
télévisée,
Emmanuel
Macron a mis
les mains sous
la table pour
retirer sa
montre.
Immédiatement,
sur les
réseaux
sociaux, la
« nouvelle »
a
circulé :
il portait une
montre à
80.000 euros
et a voulu
éviter qu’on
s’en rende
compte.
Vérification
faite, comme
il bougeait
les mains en
parlant, sa
montre cognait
contre la
table et
faisait un
bruit sourd,
ce pourquoi il
l’a retirée.
Par ailleurs,
cette montre
valait autour
de 2.000
euros. Bon,
l’histoire
pourrait
s’arrêter
là : fake
news,
vérification,
rétablissement
de la
« vérité »,
et basta.
Mais,
dans
Libération
d’hier,
Daniel
Schneidermann
revient sur ce
mini événement
en commençant
par évoquer la
reine
Marie-Antoinette
qui, en août
1785, avait
été accusée à
tort d’avoir
commandé un
collier d’un
million et
demi de
livres. Son
parallélisme
entre
l’affaire du
collier de la
reine et celle
de la montre
du président
le mène à
cette
conclusion :
«Soit.
Marie-Antoinette
de Habsbourg
n’avait pas
commandé le
collier.
Emmanuel
Macron n’a pas
voulu
dissimuler sa
montre ».
Mais,
poursuit-il,
« si le
feu a pris si
rapidement,
c’est que les
deux faits
étaient
hautement
vraisemblables ».
Et après avoir
critiqué, à
juste raison,
le luxe de
Marie-Antoinette
et les mesures
fiscales
favorables aux
riches de
Macron il
lance sa
flèche
finale :
« Factuellement
fausses et
ressenties
comme
injustes, les
deux
accusations
sont
politiquement
cohérentes ».
On
se
frotte les
yeux. Il
y aurait donc
des
« fake
news »
qui seraient
moins
« fake »
que les
autres, ou qui
seraient
cohérentes,
pour des
raisons
politiques !
Avec cette
justification
assez
incroyable,
Schneidermann
justifie tous
les
complotismes.
Ce n’est pas
vrai, mais
c’est
plausible En
gros : on
ne prête
qu’aux riches,
et ils le
méritent bien.
Et tant pis
pour le
journalisme
objectif…
23
mars: Lectures
Certains
m'ont reproché
de négliger
depuis
quelques temps
ces
rendez-vous
aléatoires.
Vous aurez
compris que je
me suis
déplacé, et
que sous
d'autres
horizons
j'avais
d'autres
choses en
tête. En outre
je suis en
train de finir
un gros livre
qui m'a donné
pas mal de
travail. Et
l'actualité
politique et
sociale en
France occupe
par ailleurs
pas mal de mes
réflexions.
Mais, à seule
fin de
rassurer ceux
qui pensent
que je n'écris
plus, voici
deux textes
que je viens
de publier.
D'une
part, dans un
dossier sur le
thème de
"transmettre
et hériter" de
la revue Sciences
humaines,
un article,
"Comment se
transmettent
les langues".
D'autres
part, dans un
gros numéro
hors série de
la revue L'Eléphant,
sur le thème
de "Tous les
secrets de la
langue
française",
deux articles:
"Le français
dans le monde"
et "Le
français en
France depuis
la loi
Toubon".
Bonne
lecture, donc,
et à bientôt
21
mars: Quelques
notres
brésiliennes

En
1980
j’avais
travaillé tout
l’été à Quito,
en Equateur
et, lisant la
presse
quotidienne
locale, je n’y
avais vu en
deux mois
qu’une fois le
mot France.
C’était à
propos de
Françoise
Sagan qui
avait révélé
dans une
interview que,
présidente
l’année
précédente du
jury du
festival de
Cannes elle
avait subi de
fortes
pressions pour
l’attribution
de la palme
d’or à je ne
sais plus quel
film. Et je
m’étais dit
que, vue de
l’autre côté
du monde, la
France pesait
bien peu. Cela
incite à la
modestie.
Je
viens
de passer
quinze jours
au Brésil et
cette fois-ci
la France est
apparue deux
fois dans O
Globo, le
quotidien de
référence. La
première fois,
le 14 mars, en
pleine page de
la une, une
photo montrant
des monceaux
d’ordures dans
une rue de
Paris avec ce
titre en forme
de jeu de
mot : Cidade
luz en modo
cidade lixo
(ville lumière
en forme de
ville ordures)
et ce
commentaire :
« Montanha
de dejetos
bloqueia
calçada em
Paris, no
oitavo dia
consecutivo de
greve dos
garis, que
protestam
contra a
reforma
previdenciara
proposta pela
governo. Até
ontem havia
5,6 mil
toneladas de
lixo nas rua »
Et
puis,
le 17 mars
dans le même
journal,
encore une
photo de rue à
la une,
montrant cette
fois-ci des
tirs de
fumigènes sur
des
manifestants
et ce
titre :
« Protestos
contra à
‘canetada’ de
Macron pela
reforma de
Previdência »
(canetada :
« trait
de
plume »).
Et, à
l ’intérieur,
une page
entière sous
le titre
« O
trunfo de
Macron,
Governo
francês usa
manobra para
aprovar
reforma de
Previdência
sem voto dos
deputados »
(l’atout de
Macron, le
gouvernement
français
utilise
une manœuvre
pour faire
approuver la
réforme des
retraites sans
vote des
députés). Le
même jour, un
chauffeur de
taxi après
m’avoir
demandé d’où
j’étais se met
à rire :
« Ah,
vous êtes
français !
Ils sont
fainéants chez
vous ! Ils
ne veulent pas
travailler
jusqu’à 64
ans. Chez nous
c ‘est
jusqu’à 65. En
Italie jusqu’à
67 »….
J’avoue avoir
évité la
discussion en
lui disant que
je comprenais
mal le
portugais.
En
revanche,
chaque jour,
la presse
révélait de
nouveaux
détails sur
une histoire
rocambolesque.
L’ancien
président,
Bolsonaro,
avait reçu
lors d’une
visite en
Arabie
Saoudite des
bijoux en
diamant et une
montre d’une
grande valeur
qu’il avait
tenté à son
retour de
faire passer
en douce par
un général.
Les bijoux
furent saisis
par la douane
et, pendant
des semaines,
Bolsonaro a
manœuvré en
vain de
diverses
façons pour
récupérer ce
que la loi
Brésilienne
interdit :
comme en
France, les
cadeaux reçus
par un
président de
la république
deviennent
biens de
l’état.
Bref,
à
chacun ses
problèmes.
L’automne
commence au
Brésil, en
France, que
j’ai retrouvée
hier, c’est le
début du
printemps. Je
laisse
Bolsonaro à
ses pitreries
ici pour
suivre ce qui
se passe . Et
ce n’est pas
mal non plus.
A suivre.
26
févrieir:
Qui suis-je ?
Un ressuscité
Le
23 janvier
dernier je
donnais ici la
réponse qu’un
ami avait
obtenue en
demandant au
logiciel
d’intelligence
artificielle
Chat GPT
« qui est
Louis-Jean
Calvet ? ».
Je vous la
remets
ci-dessous :
«
Louis Jean
Calvet est un
linguiste et
sociolinguistique
français, né
en 1923 et
décédé en
2013. Il est
connu pour ses
travaux sur
les langues et
les cultures
d’Afrique, en
particulier
sur les
langues
créoles et les
langues
minoritaires.
Il a également
étudié les
relations
entre la
langue et la
société, la
linguistique
appliquée et
la
sociolinguistique.
Il est
l’auteurs de
nombreux
ouvrages et
articles sur
ces sujets. Il
était
professeur
émérite de
sociolinguistique
à l’Université
Paul Valery de
Montpellier ».
Je
me
suis amusé
hier à poser
la même
question au
même logiciel,
et voici ce
qu’il m’a
répondu :
« Louis-Jean
Calvet est un
linguiste
français né le
9 janvier 1942
à La
Valette-du-Var
en France. Il
a travaillé
sur plusieurs
domaines de la
linguistique,
notamment la
sociolinguistique,
la
psycholinguistique,
la sémiotique
et la
linguistique
de la parole.
Il est
également
connu pour ses
contributions
à l'étude des
variations
linguistiques
et des
pratiques
langagières
dans les
sociétés
contemporaines.
Parmi ses
ouvrages les
plus célèbres,
on peut citer
"Les
métamorphoses
de la question
sociale : une
chronique du
salariat", "La
sociolinguistique",
"La
communication"
et "La guerre
des langues et
les politiques
linguistiques".
Il a également
été professeur
de
linguistique
française à
l'Université
de Provence et
professeur de
linguistique à
l'Université
de Neuchâtel
en
Suisse ».
On
voit en
comparant les
deux textes
que j’ai
rajeuni de 19
ans et que
j’ai été
ressuscité, ce
qui est plutôt
une bonne
nouvelle. Je
ne sais pas
s’il est
flatteur
d’être né à
« La
Valette-du-Var
en France »,
mais
je préfère
Bizerte en
Tunisie. En
revanche on
m’attribue
quatre livres
dont deux ("La
communication",
"Les
métamorphoses
de la question
sociale : une
chronique du
salariat")
que je
n’ai jamais
écrits. Disons
qu’on ne prête
qu’aux riches…
J’ai aussi
changé
d’université :
Exit
Montpellier,
voici
Neuchâtel.
Tout
cela est
amusant, mais
ces
approximations
nous disent
autre chose.
Les logiciels
ne pensent
pas, ils
balaient en
quelques
dixièmes de
seconde les
milliards de
données dont
ils disposent
et restituent
celles qui ont
un rapport
avec les
termes de la
question
posée.
Vraies ?
Fausses ?
Cela dépend
bien sûr de la
qualités des
données. Ne
pouvant entrer
dans
l’arrière-cour
du logiciel,
ou soulever
son capot, je
ne peux que
constater les
erreurs ou les
inventions.
Mais des
centaines de
millions de
personnes
utilisent ces
type de
« sources
d’information»
et les
prennent pour
argent
comptant,
alors qu’il
s’agit plus de
déformation
que
d’information.
L’erreur
est humaine,
on le sait,
mais les
logiciel n’ont
rien d’humain.
Pourtant ils
sont en train
de devenir des
machines
à
produire du
contenu
invérifiable…
19
février:
Contradictions?
Dans
la rubrique
« idées »
de Libération
d’hier, un
philosophe,
Paul Preciado,
publie un
texte
alambiqué que
je
suis bien
incapable de
vous résumer.
Ce qui m’a en
revanche
frappé c’est,
depuis sont
titre (Iels
sont l’avenir)
l’utilisation
répétée de la
forme ils
(pour ils
et elles) et,
une fois, de toustes
(pour tous
et toutes,
bien sûr). Non
pas en tant
que telle
(même si je
pense qu’on ne
change pas
monde en
changeant les
mots qui
l’expriment)
mais parce que
cette
utilisation me
paraît
contradictoire
avec ce qu’il
écrit. Il
parle par
exemple du
« patriarcat,
du binarisme
hétérosexuel »
, du
« binarisme
du genre»,
alors que
dit-il,
partout où il
va, il ne voit
« que des
jeunes trans
et non
binaires »,
ce qui reste,
statistiquement,
à démontrer,
mais là n’est
pas la
question.
L’auteur
semble en
effet se
réclamer du
mouvement LGBTQIA+
qui lutte
précisément
contre le
binarisme
homme/femme,
contre une
société
post-genre, ce
qui est son
droit. Mais
l’écriture
inclusive de
façon générale
et les formes
iels ou
toustes que
je viens
d’évoquer
confortent
précisément ce
binarisme. En
voulant
imposer par
ces artifices
d’écriture, ne
se met-on pas
en pleine
contradiction,
ne conforte-on
pas ce
binarisme ?
La quête du
politiquement
correct
s’apparente
décidément
souvent à la
langue de
bois.
Cela
n’a rien à
voir (encore
que…) :
dans Le
journal du
dimanche d’aujourd’hui
Christine
Angot encense
un film de
Bernard-Henri
Levy, Slava
Ukraini (qui
devrait sortir
cette semaine)
et termine
ainsi son
papier :
Le piano
mélancolique
accompagne la
voix sur le
mot slava,
qui veut dire
« gloire »
et qui est la
racine de
« slave ».
C’est
beau, mais un
peu
approximatif.
Il y a en
effet deux
hypothèses
étymologiques
pour slave,
celle
qu’utilise
Angot et celle
qui le fait
remonter à slovo,
en russe
« mot »
(d’où slovar,
« dictionnaire »).
Cette dernière
est d’ailleurs
confortée par
le fait que
les Slaves
appellent les
Allemands nemets,
« ceux
qui ne parlent
pas »,
les muets.
Quoi
qu’il en soit,
il demeure qu’en
latin médiéval
sclavus, déformation
de slavus,
a donné le mot
esclave. Comme
quoi on peut
parfois faire
dire ce que
l’on veut aux
étymologies.
Par exemple
que slava
signifie
glorieux en
ukrainien et
esclave en
russe. Ou
l’inverse.
Mais, bien
entendu, je
m’amuse…
9
février:
Histoire de
pigeons

Excédés
par
l’invasion de
« fake
news »
sur les
réseaux
sociaux,
desétudiants
américains ont
décidé de
traiter le mal
par le mal en
diffusant
eux-mêmes de
fausses
nouvelles. Ils
utilisent tous
les éléments
formels,vidéos,
discours
pseudo
scientifiques,
manifestations,
etc.
qu’utilisent
les adeptes de
Qanon, et une
de leurs
trouvailles
est
particulièrement
savoureuses.La
voici.
Les
pigeons
n’existent
pas,
disent-ils.
Bien sûr cette
négation
semblecontre-intuitive,
puisque nous
en voyons tous
les jours.
Mais nos
étudiants
insistent. Les
pigeons
n’existent
donc pas, ou
plutôt
n’existent
plus. Eneffet,
le
gouvernement a
tué douze
millions de
pigeons et les
a remplacés
par des drones
en forme de
pigeon. Et ces
drones ont
pour fonction
de
nousespionner.
Vous en
doutez ?
Vous avez tort
car il y en a
une preuve
formelle :
on ne voit
jamais de
bébés
pigeons !
Et là vous
restezbouche
bée. C’est
vrai, on ne
voit jamais de
bébés pigeons…
Cette
initiative
de fausse
fausse
nouvelle est
d’abord
réjouissante :
on rigole,on
trouve que
c’est bien
trouvé, que ça
va
définitivement
ridiculiser
les amateurs
de fake news
qui iront se
cacher, la
queue entre
les jambes.
Bravo
lesgars !
Et
puis
on
s’interroge.
Bien sûr,
cette blague
est
réjouissante
mais peut-elle
convaincre
d’autres que
des déjà
convaincus ?
Et si l’on
peut croire
que la terre
est plate,
pourquoi ne
pas croire que
desdrones
puissent
laisser des
fientes sur
les parebrises
et la
carrosserie
des voitures.
Bref
en
voulant
convaincre des
imbéciles, on
risque de les
conforter dans
leur
imbécillité.Mais
cette histoire
de pigeons m’a
bien fait
rire.
7
février 2023:
Souk
parlementaire
et bal des
faux-culs

On
a
beau tenter
d’analyser les
différentes
propositions,
soupeser les
arguments,
comparer les
chiffres et
les
prévisions, il
n’est pas
simple
d’évaluer sans
œillères
idéologiques
ce que la loi
sur les
retraites,
dont la
discussion
s’est ouverte
hier à
l’Assemblée
Nationale, a
d’utile ou de
néfaste, de
nécessaire ou
d’injuste…
En
revanche
les postures
que prennent
les différents
participants
au débat
s’apparentent
à un bal des
faux-culs. Les
Républicains
(le parti
« gaulliste »)
prévoyaient
il y a un an
dans leur
programme
présidentiel
l’âge de la
retraite à 65
ans. Mais
voilà qu’ils
font le fine
bouche et
marchandent :
64, 63 ans… On
a l’impression
qu’ils
font monter
les enchères,
feignant
d’avoir des
exigences
avant de
soutenir le
gouvernement
qui, de son
côté, leur
accorde
quelques
miettes comme
s’il
nourrissait
des pigeons.
Tiens, des
pigeons. Les
socialistes
qui ont, sous
la présidence
de Hollande,
fait passer
cet âge de 60
à 62 ans,
s’alignent à
présent sur le
France
insoumise de
Mélenchon :
60 ans, pas un
jour de plus.
Et un
républicain,
Aurélien
Pradié, exige
qu’on reprenne
ses
propositions
« à la
virgule
près »
pour qu’il
accepte de
voter la
réforme. Ils
sont
pointilleux,
ces
parlementaires !
Si
les
socialistes
s’alignent sur
le France
Insoumise de
Mélenchon,
celle-ci joue
un autre
jeu : on
n’arrive pas à
compter le
nombre
d’amendements
qu’elle
présente,
douze mille,
treize mille…
Le
système
est simple. On
rédige un
amendement
quelconque et
on précise en
ouverture : « ce
projet (ou
cette loi) ne
s’applique pas
en
Guadeloupe ».
Puis on
reprend le
même en
précisant
qu’il ne
s’applique pas
en Corse, puis
en Martinique,
en Guyane, en
Polynésie,
etc.. On fait
la même chose
avec un autre
texte en
précisant
qu’il ne
s’applique pas
aux
boulangers,
aux marchands
de légumes,
aux bouchers,
aux bureaux de
tabac, etc. On
multiplie
ainsi par dix
ou quinze le
nombre de
textes et donc
le temps de
discussion. A
ce rythme,
bien sûr,
étant donné
que l’examen
du texte de
loi est limité
à quinze
jours, il sera
impossible
d’en
venir à bout.
C’est le souk
parlementaire,
aux deux sens
du mot souk,
un marchandage
permanent
d’une part,
donne-moi ceci
ou cela et je
vote la loi,
et d’autre
part un bordel
organisé.
Tout
cela
ne donne pas
une très bonne
image de la
politique
parlementaire
et alimentaire
le populisme.
Car, pendant
ce temps,
Marine Le Pen
se frotte les
mains, donnant
de son parti
une image de
respectabilité.
Les uns
alimentent le
feu ou
soufflent sur
les braises
mais le
Rassemblent
National
attend pour un
tirer les
marrons. |
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