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Décembre 2012

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fleche24 décembre 2012: Référendum ou plébiscite?

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Je n’ai jamais apprécié le principe du référendum, pseudo consultation démocratique instaurée par De Gaulle lorsqu’il fit rédiger la constitution de la V° république. Qu’il s’agisse de consulter le peuple ou de le faire décider, l’étymologie nous montre que la frontière entre référendum et plébiscite (plebs et scitum, « décision de la plèbe) est pour le moins ténue, et nous ne sommes pas très loin du césarisme. Un référendum demande de répondre par oui ou par non soit à une question simple (« voulez-vous la légalisation du haschich? » par exemple) soit à un choix plus complexe (« êtes-vous pour l’adoption du traité établissant une constitution pour l’Europe ? », toujours par exemple). Dans les deux cas, le peuple répond souvent à une autre question, selon ce qu’il pense du pouvoir politique qui l’interroge, et dans le second il lit rarement le texte qu’on lui demande d’approuver. Et enfin, si la réponse ne plaît pas à ce pouvoir politique, il peut toujours tourner la chose par un autre moyen. Nous en avons eu une belle démonstration en France lorsqu’en mai 2005 Jacques Chirac interrogea le peuple sur la ratification de la constitution européenne. Près de 55% de non, sans qu’il soit possible de savoir le pourcentage de citoyens qui en avaient lu le texte. Mais ce qui est sûr c’est qu’un sondage IPSOS avait montré après la consultation que 52% ce ceux qui avaient voté non l’avait fait pour s’opposer à la dégradation des conditions de vie, ce qui n’était pas tout à fait la question posée. Et ce qui est également sûr, c’est que Sarkozy s’est payé la tête des citoyens en passant, en 2008, par le Congrès pour finalement faire ratifier le traité par la voie parlementaire. En d’autres termes, si vous répondez oui, tout va bien, si vous répondez non, on vous impose de toute façon ce dont vous ne voulez pas. Si le peuple vote mal, onne prend pas son vote en considération!

Tout ceci pour en venir à l’Egypte, qui vient d’adopter sa nouvelle constitution par référendum. Ici comme en France en 2005 on peut se demander quelle est la proportion des citoyens égyptiens ayant lu le texte sur lequel il devait se prononcer . Mais l’immense majorité des Français sait lire alors qu’il en va très différemment pour les Egyptiens. Selon l’UNESCO, il y aurait 70 millions d’analphabètes  dans les pays arabes, pour une population globale de 320 millions d’habitants, et l’Egypte aurait un taux d’analphabétisme de 66% chez les plus de quinze ans. C’est-à-dire qu’un tiers seulement du corps électoral y est capable de lire le texte de la constitution (ce qui ne signifie pas qu’il l’ait fait) et que ce référendum est tout sauf une consultation démocratique : encore une fois la frontière entre référendum et plébiscite est ténue. Les Egyptiens ont donc voté pour une constitution qu’ils ne peuvent pas lire, et en imaginant même qu’il n’y ait eu ni pressions ni fraudes il est difficile que prendre au sérieux ce qui est une sorte de mascarade. Nous vivons une époque moderne où les analphabètes sont invités à dire ce qu’ils pensent d’un texte. Bientôt on demandera aux aveugles de donner leur avis sur les expositions de peintures et aux sourds de juger de la musique.

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fleche16 décembre 2012: Vu de Dakar

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En Egypte les frères musulmans, comme prévu, essaient de passer en force. Vu de loin, du Sénégal, à travers les informations télévisées, on a l’impression que les gens qui défendent la nouvelle constitution ne l’ont pas lue. Savent-ils lire, d’ailleurs ? Ils semblent se contenter de dire qu’il faut suivre les frères, soutenir Morsi, et puisqu’ils demandent de voter oui alors il faut voter oui. La seule référence au texte constitutionnel que j’ai entendue était dans la bouche d’opposants, citant par exemple l’article 149 qui renforce considérablement la pression de la charia… Samedi matin je vois à la télévision un bureau de vote, au Caire. On précise qu’il s’agit d’un bureau « pour hommes ». Hommes et femmes ne votent pas dans les mêmes lieux en Egypte. C’est beau le progrès.

A Newton, aux Etats-Unis, tous les records sont battus : cette fois-ci c’est 28 morts que l’on déplore dans une école. Obama écrase une larme mais ne parle pas d’interdire les armes. La NRA (national riffle association) est un lobby trop puissant. Aux armes, citoyens ! On devrait y penser en France : on dit qu’il n’y a pas assez d’enseignants, mais c’est une mauvaise évaluation, en fait il y a trop d’élèves. Les Américains, toujours à la pointe du progrès, ont trouvé la solution : diminuer le nombre d’élèves.

En France, Copé et Fillon continuent  leur petit spectacle. Cette fois-ci c’est Raffarin qui joue le monsieur bons offices : nous sommes sauvés !

Pendant ce temps, à Dakar, je me passionne pour les mésaventures de monsieur Guèye. Vous ne connaissez pas monsieur Guèye ? Il s’agit d’un brave enseignant à la retraite qui est allé un jour voir un marabout, Diallo, pour qu’il aide ses deux filles à réussir leurs examens. Non, il ne s’agissait pas de les faire réviser mais de faire des prières spéciales, de donner des bains mystiques, bref de tout ce qu’il faut pour aborder l’âme sereine ces épreuves universitaires. Diallo emmène alors Guèye dans la forêt (la forêt de Sébikotane, pour ceux qui connaissent) et là, ô stupeur, le marabout se transforme en nain. Très impressionné par cette performance, Guèye accepte donc ce que lui ordonne le marabout nanisé : épouser une fille djinn pour faire fructifier son patrimoine financier. Mais pour cela il faut, bien sûr, acheter une bague en or pour la fille djinn, du tissu pour les robes des demoiselles d’honneur, un bœuf, une chèvre blanche pour les parents djinns, bref beaucoup beaucoup d’argent. Monsieur Guèye y laisse toute sa fortune, mais il faut ce qu’il faut. D’ailleurs l’avocat plaide que les filles de l’enseignant retraité ont réussi leurs examens : de quoi se plaint-il. Il ajoute, l’avocat, que le marabout n’aurait pas pu se transformer en nain en présence du plaignant. De telles transformations nécessitent sans doute la solitude. Bref le tribunal hésite. Faut-il condamner ou non le marabout pour escroquerie ? Vous m’accorderez que, face à ce dilemme, l’article 149 de la constitution égyptienne, les 28 morts de Newton et le duel Copé-Fillon n’ont guère d’intérêt

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fleche7 décembre 2012: Tzolkin, haab, katun, baktun...

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A l’approche de l’an 2.000, vous vous en souvenez sans doute, une sorte de peur millénariste s’est répandue un peu partout. Dans mon domaine, celui de la linguistique, elle s’était manifestée par la profusion de livres sur la « mort des langues ». Et l’inénarrable Paco Rabanne, couturier espagnol aux tendances mystiques, avait même annoncé que nous ne verrions pas cet an 2.000 puisque le 11 août 1999 la station russe Mir devait s’écraser sur le château de Vincennes, entraînant à l’en croire une véritable apocalypse.

Depuis lors, Paco Rabanne s’est fait très discret. Mais d’autres ont pris le relais puisqu’on nous promet maintenant la fin du monde pour le 21 décembre prochain, en s’appuyant cette fois sur le « calendrier maya ». Il faut d’abord rappeler qu’il n’y a pas un calendrier maya, mais plusieurs. La chose est assez complexe car on n’a vraiment déchiffré l’écriture maya qu’il n’y a une trentaine d’années. Mais nous connaissions l’un de leurs calendriers grâce au manuscrit rédigé par Diego de Landa au XVI° siècle, et un autre a été analysé à la fin du XIX° siècle. Dans un cas il s’agit d’un calendrier religieux, appelé Tzolkin, composé de 13 cycles de 20 jours, ce qui donne une « année » de 260 jours. Dans l’autre cas il s’agit d’un calendrier « civil » solaire de 365 jours, appelé haab, composé de 18 cycles de 20 jours et de 5 jours complémentaires. Et pour indiquer une date, les Mayas donnaient la référence chronologique dans les deux systèmes, qui débutaient à une date mythique, en 3.114 avant J-C. Ajoutons qu’il fallait  52 années de 365 jours ou 73 années de 260 jours pour que le deux calendriers se synchronisent (disons, pour simplifier, qu’ils retombent sur le début des deux cycles, leur « premier janvier », puis ils se séparaient pour se retrouver 52 ans plus tard.

Mais les Mayas avaient aussi un « compte long », fondé sur des mois de 20 jours, des années de 360 jours, des groupes de 20 ans (katun) et de 400 ans (baktun) et si, comme le pensent certains spécialistes, le point de départ de cet ensemble était le 12 août 3.114 avant notre ère, alors on arriverait à la fin de ce cycle long le 21 décembre 2.012, de la même façon que les deux calendriers se synchronisent tous les 52 ans. Ce qui pourrait signifier que l’on repartirait pour un nouveau, une second, « compte long ». Les Mayas, dont la civilisation s’est éteinte il y a près de mille ans, n’imaginaient pas, bien sûr, que nous nous affolerions aujourd’hui. D’ailleurs, selon d’autres sources et d’autres calculs, nous disposons encore d’un peu de temps. En effet, selon une inscription trouvée à Palenque, le roi Pakal avait suggéré à ses successeurs de pratiquer des rituels magiques jusqu’à l’anniversaire de son intronisation, 20 baktuns (20 X 400 ans) après 615, soit le 14 octobre 4.772… Bon, tout cela est bien intéressant, un peu compliqué sur le plan mathématique, mais on a du mal à comprendre ce que cette « archéologie » maya peut bien avoir à faire avec la fin du monde. On peut songer, pour tenter d’expliquer ces angoisses ou ces pulsions de mort, à l’ouvrage de Freud, Das Unbehagen in der Kultur (traduit en français par Malaise dans la civilisation ou Le malaise dans la culture). Ce qui est sûr, c’est que toutes sortes de sectes et toutes sortes d’illuminés essaient d’attiser les peurs. Ce qui est sûr aussi, c’est que, par pur hasard, je serai le 21 décembre dans un avion. D’ici là, je pars au Sénégal demain. A bientôt


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Novembre 2012

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fleche29 novembre 2012 : Réactions

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J’ai promis hier de ne plus revenir sur le feuilleton de l’UMP et je tiendrai parole. Je veux juste vous donner deux réactions de lecteurs (en fait d’amis) à mon dernier billet, que je viens de recevoir. Le premier, Patrick, me dit qu’il a joué au petit jeu que je suggérai :  « Je viens de lire ton billet du jour et je ne résiste pas au plaisir de continuer ton jeu de permutation de consonnes. Mais je vais transgresser la règle et supprimer deux consonnes. Ça ne vole pas haut, je sais, mais ils l'ont bien cherché, et je suis d'ailleurs sûr, en lisant ton texte, que tu y avais pensé : "c'est normal d'inventer le RUMP quand on s'appelle Fion" . On s'achemine vers un parlement croupion ! » Le second, Didier, revient au «pétage de plombs de O. Mazerolles : apparemment il ne s'est jamais rendu compte que l'UMP est la mise dans le désordre de PMU, où l'aléatoire est donc prédictible ! »

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fleche28 novembre 2012 : It’s a hard day’s night ou Dog day afternoon

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Oui, c’est une dure journée ou une dure soirée  pour qui tente de comprendre la tragi-comédie que nous servent tout les jours les frères ennemis de l’UMP. Leur dernière trouvaille, hier, après l’intervention ex machina de Sarkozy, voter pour savoir si l’on doit voter : la belle idée ! C’est ce que nous avons appris mardi: l’UMP allait organiser un référendum pour savoir si les adhérents considéraient qu’il fallait refaire l’élection du président du parti. Je dois être intellectuellement limité, et je me dis  que le plus simple serait de passer directement au re-vote, mais pourquoi faire simple quand on peut on peut faire compliqué. Je me suis donc couché avec l’idée que l’UMP allait organiser un référendum baroque. Mais voilà, ce matin, j’avais à peine eu le temps d’aller acheter les journaux que j’entends dans le journal de huit heures de France Inter que Jean-François Copé estime que «les conditions d’un référendum ne sont pas réunies ». Le cirque continue donc et les commentateurs hésitent entre deux métaphores feuilletonnesques : Dallas ou 24 heures chrono. Mais les scénaristes du feuilleton ne savent pas très bien où ils vont. Motif du désaccord, semble-t-il, la création par les amis de François Fillon d’un groupe parlementaire, le « rassemblement UMP », ce qui donne le délicieux sigle de RUMP. Nous avions déjà à l’UMP deux acronymes originaux, l’exotique cocoé (commission de contrôle des opérations électorales) et l’osé conar (commission nationale des recours). Ils auraient pu y penser avant… Et voici donc le RUMP. Fillon, dont la femme est anglophone, devrait pourtant savoir qu’en anglais rump signifie « croupe », « croupion » pour un animal et pour un humain, en restant poli, « postérieur ». Nous pouvons dès lors imaginer un certain nombre d’expressions : Tête de RUMP, ras le RUMP, enRUMPé,  plein le RUMP, va te faire enRUMPer, On l’a dans le RUMP, ou dans mon français de Tunisie, qu’on m’en excuse, J’te pisse au RUMP… Bref, revenons au bal des bouffons. A midi, alors que je laisse mon ordinateur pour aller me faire à manger, j’apprends que Copé exige avant 15 heures la dissolution du RUMP. Un ultimatum, donc.. DéRUMPisation obligée, en quelque sorte. Comme je me lève très tôt j’aime bien faire une petite sieste et, à mon réveil, le RUMP est toujours là : Fillon et ses amis refusent l’ultimatum. Plus encore même car il semblerait que 112 des 120 sénateurs UMP aient rejoint Fillon. Bref, onze jours après l’élection (onze jours !) on nage dans un bordel indescriptible dont on voit mal comment il pourrait finir. Alors, je vous le jure, j’arrête désormais de commenter ce triste spectacle qui ne nuit pas qu’à la droite mais à toute la vie politique. Le testostérone, basta !

Changeons donc de paradigme et, pour finir, je vous propose un petit jeu, qui m’est venu à l’esprit ce matin en entendant à la radio un lapsus dont je n’ai pas pu noter l’auteur: « Jean-François Coupé ». Copé/Coupé, juste une voyelle. Il y a d’autres possibilités, en commutant une voyelle ou une consonne, Fillon/million par exemple, ou Copé/dopé. Si vous vous ennuyez, je vous laisse chercher la suite.

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fleche27 novembre 2012 : Titrologie

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Tout d’abord une petite précision préliminaire . Le billet qui suit n’est ni agressif ni même critique envers un titre de presse. Il constitue tout simplement une tentative de réflexion sur la mise en scène d’un texte et sur la force d’un titre. J’ai accepté de donner, par échange de courriers électroniques, une entretien à un quotidien algérien de Constantine, El Acil. Le papier est sorti hier (www.elacil.com/PDF/NOVEMBRE_2012/EDITION_26_11_12. pdf) avec, à la une, l’accroche suivante :

 Un entretien avec le grand linguiste français Louis-Jean Calvet, « La colonisation a fait preuve d’un grand mépris pour les langues locales en Algérie »

En page 6, je retrouve le texte exact que j’avais envoyé en réponse aux questions que l’on m’avait posées. Mais je n’avais consacré qu’une phrase aux rapports entre la colonisation et les langues algérienne, celle qui apparaît en première page et qui occupe trois lignes et demi dans l’article. En revanche, dans un long passage (une trentaine de lignes) je parlais de l’arabe algérien, du kabyle, de l’arabe standard, des rapports entre la langue officielle en Algérie et l’absence de laïcité. Tout cela, bien sûr, est dans mon interview mais ce titre, avant même qu’on aille éventuellement à la page 6, donne une certaine idée du contenu. Ca me rappelle, il y a quelques années, un long entretien que j’avais accordé à Télérama, trois ou quatre pages de l’hebdo, dont le titre était quelque chose comme « les hommes politiques sont plurilingues, ils parlent la langue de bois, la langue de pute et la  langue de vipère ». J’avais bien prononcé cette phrase, mais ce n’était pas le centre du papier. Remarquez, dans ce cas, c’était bien vu : on m’en parle encore et cette phrase s’applique parfaitement à ce qui se passe actuellement à l’UMP. Il demeure qu’on devrait faire réfléchir les enfants des écoles sur les titres : ce serait une forme d’éducation civique. D’autant plus qu’il y a bien des gens qui ne vont pas plus loin dans leur lecture. Le mois dernier, à Ouagadougou, un ami burkinabé me disait que la plupart des gens n’achetait pas les journaux : ils se contentaient de regarder les titres chez le marchand puis de les commenter. Et il ajoutait : « on les appelle des titrologues ».

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fleche25 novembre 2012: Mettre la charia avant les boeufs

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Grosse surprise et énorme plaisir hier soir : Stéphane Guillon était, l’espace d’un soir, de retour sur Canal +. Pour commenter, entre autres choses, le drame shakespearien de l’UMP. Un délire qu’il est impossible de retranscrire.

Il faut remercier les clowns de l’UMP car, à part eux, il n’y a pas beaucoup d’occasion de rire en ce moment. Un exemple. Ce que nous avons, dans un élan optimiste, baptisé les « printemps arabes » semble tourner en  eau de boudin hallal. On nous disait que les frères musulmans, en Egypte ou le parti En-Nahda en Tunisie, allaient jouer le jeu démocratique. J’ai déjà expliqué ici que le islamistes tunisiens au pouvoir, faux culs cachés derrière leurs barbes, poussaient devant eux les salafistes pour savoir jusqu’où on pouvait aller trop loin. En Egypte, le président Morsi est allé plus loin encore, il a fait un véritable putsch en se donnant pratiquement tous les pouvoirs. Est-il conseillé par Jean-François Copé ou par Patrick Buisson? Je n’en sais rien bien sûr, je ne suis pas dans le secret des dieux, du moins de ces dieux là, et d’ailleurs je ne crois pas en dieu. Mais cette façon de trousser la démocratie pourrait porter un  nom, que je me plais à inaugurer: Mettre la charia avant les bœufs. Les bœufs de la démocratie, déjà châtrés, s’effaceront devant la charia médiévale. Bon, heureusement pour ma petite santé que l’expression française que je m’amuse à détourner, mettre la charrue avant les bœufs, a choisi les bovins. Merci à nos ancêtres. Vous imaginez qu’ils aient choisi mettre la charrue avant les porcs, ou avant les gorets ? J’aurais été obligé d’écrire mettre la charia avant les porcs. Mon dieu, ça n’est pas hallal. Pas cacher non plus, d’ailleurs…

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fleche23 novembre 2012 : Girondins

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Le psychodrame de l’UMP donne le tournis et fait perdre la tête à certains. Ainsi le journaliste Olivier Mazerolle a-t-il pété les plombs en direct alors qu’il animait un débat sur BFM TV : « Plus personne ne comprend plus rien à ce parti. Plus personne ne fait confiance à personne dans ce parti (…) Arrêtons parce que la politique française à la petite semaine, y en a ras le bol. (...) J'en ai marre d’être obligé de commenter des inepties ». Il est vrai que la marmite et le chaudron dont je parlais hier donnent un singulier spectacle. Mais, plus largement, l’UMP a ce que nous pourrions appeler des problèmes girondins. Je ne fais pas allusion à une équipe de football, les girondins de Bordeaux (encore que nous ayons assisté à pas mal de coups francs) ni au groupe politique du même nom à l’époque de la révolution française mais, tout simplement, à la ville de Bordeaux, préfecture du département de la Gironde. C’est en effet à Bordeaux que se joue peut-être l’avenir du parti. C’est à Bordeaux que Nicolas Sarkozy, convoqué devant le juge Gentil, a été placé sous le statut de témoin assisté (pas tout à fait mis en examen, mais pouvant le devenir au gré de l’enquête), voyant du même coup son avenir politique sérieusement compromis. Et c’est le maire de Bordeaux, Alain Juppé, qui va tenter de servir de médiateur dans le bourbier UMP. Alors, pour sourire (il le faut, de temps en temps), je vous propose deux citations. Flaubert, dans son Dictionnaire des idées reçues, écrivait que les Girondins étaient « plus à plaindre qu’à blâmer ». Quant à Lamartine, dans son Histoire des Girondins, il faisait parler Danton : « Malheureux Girondins, s'écriait Danton, ils nous ont précipités dans l'abîme de l'anarchie, ils en ont été submergés ; nous le serons à notre tour, et déjà je sens la vague à cent pieds au-dessus de ma tête ». On croirait entendre un membre de l’UMP.

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fleche22 novembre 2012 : Ar pouthouarn a lâr d’ar chaodourenn eo du he revr

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C’est, je crois, Guy Mollet (une leader socialiste dont les jeunes générations n’ont sans doute jamais entendu parler…) qui avait dit que la droite française était la plus bête du monde Et ce qui se passe en ce moment semble lui donner raison. Bon, soyons honnêtes, ce qui se passe chez les écolos et chez les socialistes n’est guère plus  brillant. Devrions-nous en conclure que le peuple français est le plus bête du monde ? Ou que la classe politique française est la plus bête du monde ? Je n’irai pas jusque là, mais tout de même l’UMP (faut–il écrire l’ex UMP ?) nous donne à voir un spectacle assez étonnant. Deux candidats potentiels à la présidence de la république, qui pensent avoir la dignité nécessaire pour représenter un peuple, un pays, et la moralité nécessaire pour cela, se traitent mutuellement de tricheurs, de voleurs de voix, ce qu’ils sont sans doute l’un et l’autre. Il y a un proverbe breton qui s’applique parfaitement à leurs passes d’armes : C’est la marmite qui dit au chaudron qu’il a le cul noir (ar pouthouarn a lâr d’ar chaodourenn eo du he revr). Deux culs noirs, donc, qui s’empaillent, tandis que Juppé va essayer de tirer les marrons du feu. Mes chers amis, lisez la presse, écoutez les media audiovisuels. Nous n’en avons pas fini de nous instruire

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fleche20 novembre 2012 : Faut-il en rire?

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Jean-François Copé a donc été élu président de l’UMP, avec 50,03% des suffrages, soit 98 voix d’avance sur François Fillon. Après un psychodrame ou une comédie burlesque, comme on voudra, qui a duré plus de 24 heures (24 heures pour dépouiller un peu moins de deux cent milles bulletins !) et sous les rires de la France entière le parti de droite a donc fait l’apprentissage de la « démocratie ». Démocratie entre guillemets puisque que le nouveau président a commencé par une tentative de putsch. Dimanche soir à 23 heures 30 il annonçait benoitement qu’il était élu alors que le décompte n’était pas terminé et que la commission chargée de cette tâche était incapable de donner un résultat. Puis les mots ont volé bas, les accusations de truquage ou de bourrage d’urnes se sont croisées, et il fallait voir hier soir sur Canal + la haine derrière les sourires forcés de Rachida Dati (soutien de Copé) et d’Eric Woerth (soutien de Fillon). Bref le spectacle était hilarant. Mais faut-il vraiment en rire? La campagne de Copé a montré qu’il avait enfourché les thèmes les plus droitiers, flirtant avec les thèses du front national, ne reculant devant rien (l’épisode du pain au chocolat restera dans les annales), bref qu’il était prêt à tout pour prendre le pouvoir et préparer sa candidature à la prochaine présidentielle. Choisissant la droitisation maurassienne, identitaire, frileuse, Copé fait courir un énorme risque à son parti. Les sondages le donnaient largement battu par Fillon, mais ces sondages ne concernaient que les sympathisants de l’UMP et non pas les adhérents ou les militants. Or ces derniers se sont précipités en masse pour faire mentir les sondages, ce qui nous mène à au moins deux réflexions. La première est que la droite a sans doute fait la même erreur que les Verts l’an dernier, lorsqu’ils avaient choisi Eva Joly comme candidate alors que leurs électeurs en préféraient un autre, Nicolas Hulot, ce qui les mena à une catastrophe à l’élection présidentielle (2,31%). Choisissant Copé alors que les électeurs préféraient Fillon, l’UMP a choisi la fracture avec son électorat et s’expose peut-être à quelques déconvenues. La seconde réflexion est une question : pourquoi ? Pourquoi les militants de l’UMP ont-ils préféré l’aboyeur Copé au policé Fillon, qui ne dit jamais un mot plus haut que l’autre mais a parlé, après l’annonce des résultats, de « fracture politique et morale » ? En fait il semble que la droite n’ait toujours pas accepté sa défaite, qu’elle considère Hollande comme illégitime, comme un usurpateur, qu’elle veuille en découdre et le fait d’avoir choisi celui qui est apparu comme un quasi putschiste en dit long sur son état d’esprit. Ce parti va sans doute se durcir encore, se radicaliser et peut-être se minoriser

Il y a quelques années, lorsque nous analysions avec Jean Véronis la campagne présidentielle de 2007, nous nous étions amusés à rebaptiser l’UMP « Union des Morts de Peur ». Successivement Union pour la Majorité Présidentielle, puis Union pour un Mouvement Populaire l’UMP, inconsolable depuis la défaite de Sarkozy, va-t-elle devenir l’Union des Malade du Pouvoir ? Ayant manifestement trafiqué un peu les suffrages, serait-elle l’Union des Magouilleurs pour le Pouvoir? Si son nouveau président, élu sur le fil, ne parvenait pas à renouer les fils après la discorde, elle pourrait être l’Union du Marasme Programmé, voire l’Union des Mazettes à Perpète. Ce qui est sûr, c’est que pour Fillon elle vient de devenir l’Union qui l’a Mis à la Porte

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fleche18 novembre 2012 : Autocensure?

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On trouve au Maroc tous les hebdomadaires français, mais ils semblent avoir fait une cure d’amaigrissement. Les pages de publicité sont en effet supprimées, ce qui, par parenthèses, nous permet d’apprécier le nombre incroyable de conneries que nous sommes obligés de voir, même si nous ne les regardons pas, en passant d’un article à l’autre. Une exemple, le Nouvel Observateur de cette semaines : 196 pages, dont plus de 80 de pubs. Mais il n’y a pas que la publicité qui disparaît à l’exportation. Dans ce même numéro, en effet, à la page 130, se trouve un article sur le dernier roman de Mathias Enard, Rue de voleurs, dont la moitié se passe à Tanger. Ambiance un peu à la Mohamed Choukri, image du Maroc qui ne doit pas plaire à tout le monde, le tout finissant sur le terrorisme. Or j’apprends par un coup de téléphone que cette page ne figure pas dans l’édition mise en vente au Maroc. Censure du gouvernement marocain ? Ou prudence du Nouvel Observateur ? Il serait intéressant de voir ce qui se passe dans d’autres pays, en Afrique par exemple, pour savoir si le NO se courbe devant les pouvoirs en pratiquant une autocensure…

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fleche17 novembre 2012: En vert / envers

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Mon billet précédent m’a ramené à une période lointaine de ma vie et, du même coup, me pose étrangement quelques questions sur une partie de mes recherches actuelles. En 1964, j’avais quitté Nice pour Paris, ayant été élu au bureau de l’UNEF (Union Nationale des Etudiants de France) où j’étais vice-président chargé de l’information et rédacteur en chef de la revue de ce syndicat. Nous avions recruté comme vacataire  un jeune portugais venu d’Angola qui avait fui son pays pour ne pas participer à la guerre coloniale que menait Salazar, Luis Cilia. Luis faisait le jour des photocopies et, la nuit, écrivait, composait et chantait des chansons (en portugais, bien sûr). Parfois nous nous retrouvions le soir dans la chambre de bonne qu’il occupait du côté du boulevard Sébastopol (j’habitais pour ma part très loin, à la coté universitaire d’Antony) avec un jeune chanteur espagnol, Paco Ibañez. Paco avait trente ans et allait sortir son premier disque, Luis vingt-et-un et sortira également un disque cette année, et moi j’avais vingt-deux ans et me contentais de gratter la guitare. Je me souviens qu’un soir Paco nous avait fait entendre une version espagnol de La Mauvaise réputation de Brassens, nous expliquant qu’un français, Pierre Pascal, était en train d’en traduire d’autres, mais qu’il était très lent (et de fait le disque Paco Ibañez chante Brassens ne sortira qu’en 1979).

Tout ça pour en venir à une chose que j’avais totalement oblitérée et qui vient de ressortir du dortoir de ma mémoire. J’avais écrit un texte, que Luis Cilia avait mis en musique et chanté dans quelques meetings, une chanson sur Hiroshima qui commençait ainsi : « Tristesse en gris, tristesse en vert, tristesse envers  et contre tout »… En vert/ envers. Je me suis soudain rendu compte que, depuis vingt ou trente ans, lorsque je travaille sur la sémiologie de la chanson, que je décortique des passages de B. Lapointe ou de G. Brassens par exemple, je travaille sur des choses que j’avais pratiquées. Tout récemment par exemple, j’ai souligné que chez Bénabar, dans la suite  « j’ai tout vu, j’ai tout lu, j’ai tout fait et j’étouffe encore », le passage j’ai tout fait pouvait s’entendre, par rétroaction de j’étouffe encore, comme j’étouffais. Et cela venait dans une théorie sur le signe linguistique (voir mon Le Jeu du signe, le Seuil, 2010). Or il se passait strictement la même chose dans « tristesse en vert, tristesse envers et contre tout », et je ne m’en étais jamais rendu compte, j'avais même oublié ce texte (et je ne m'en remémore d'ailleurs que quelques passges). Je sais, cela n’a pas beaucoup d’intérêt et, c’est promis, j’arrête désormais de parler de mon misérable passé. Mais, tout de même, la mémoire suit parfois d'étranges trajets.

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fleche16 novembre 2012 : Une voix qui vient du passé

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J’ai reçu hier un long message qui m’a ramené quarante-six ans en arrière : une voix venue du passé. Jorge-Luis Borges, dans une interview, expliquait un jour que nos souvenirs sont toujours des souvenirs de souvenirs, que nous nous souvenons de la dernière fois où nous nous sommes souvenu de la chose dont nous nous souvenons (vous suivez ?). Il se trouve que j’ai très peu de souvenirs de cette époque. Je bossais dur, rédigeant ma première thèse (à cette époque on en faisait deux) et je revois seulement une masse indistincte de gamins plutôt sympas (en fait ils n’étaient pas tous gamins : j’avais aussi des terminales et certains élèves, essayant de passer le bac après leur service militaire, avaient à peu près mon âge). Et je découvre dans le texte que vous lirez ci-dessous une image de moi qui m’étonne un peu. Bien sûr mon « élève », qui devait alors avoir quatorze ans et doit donc en avoir une soixantaine aujourd’hui, a sans doute les mêmes problèmes de mémoire que moi. Aussi dois-je préciser certaines choses. Je n’ai jamais été champion de boxe par exemple, et j’ai toujours aimé Jacques Dutronc. Et puis je ne me souviens que vaguement de cette histoire de prof d’espagnol, et je n’ose imaginer ce qui se serait produit si ces chenapans avaient continué à la chahuter…. En revanche, j’avais eu des plaintes de certains parents d’élèves, parce que j’avais fait lire à leur progéniture Boris Vian (L’Ecume des jours), qui sentait à l’époque le soufre…. Pour le reste, les choses se passaient sans doute comme le raconte J-P (j’ai anonymisé son nom et publie évidemment son message avec son accord). Pourquoi le publier ? Pas par exhibitionnisme, mais parce qu’il m’a ému, d’une part.  Et parce que, d’autre part, je songe à Roland Barthes qui écrivait, dans son Roland Barthes par Roland Barthes que « les professeurs sont des catalyseurs de mémoire ». Ici, il se produit l’inverse : c’est un (ancien) élève qui est catalyseur de (ma) mémoire de prof. Deux ans après, en mai 1968, dans le même lycée, je racontais aux élèves en grève les barricades sur lesquelles je me trouvais la nuit. Et puis je suis passé en fac. Une dernière précision: après avoir mis un titre à ce billet je me suis rendu compte que je l'avais sans doute emprunté à une chanson de Joël Holmès et Maurice Fanon, Jean-Marie de Pantin, qui disait "Et ça fait mal à n'y pas croire, cette voix qui vient du passé". Ici, ça ne fait pas mal du tout. Et je laisse la parole à J-P.

Bonjour , mon nom est J-P et je suis un de vos anciens élèves du lycée de Montreuil , en 4° je pense et probablement en 66.
Je vous propose quelques souvenirs perso en vrac :
-Vos pantalons velours , votre cartable cuir et la pipe .
-Votre manière enflammée d'écrire une phrase au tableau , puis de la triturer avec méthode ( permutations des mots , flèches partout ) pour l'améliorer et la rendre plus percutante , jusqu'à se mettre totalement au service de la pensée .
-Les corrections de copies faites par le voisin , car vous n'aviez pas le temps de corriger . Vous disiez que les notes comptaient peu , que vous nous faisiez confiance ( tu parles ) et que l'important était de pratiquer la langue . Ma mère était effrayée par la méthode ( elle est décédée à 92 ans avec une orthographe parfaite , mais en dévorant les mémoires de Drucker ...). Il m'a fallu expliquer que je n'avais jamais eu un prof aussi passionnant pour qu'elle renonce à aller se plaindre chez le proviseur ( la honte pour moi ) !!!
- Nous étions une classe de salopards et nous martyrisions méthodiquement notre jeune prof d'espagnol . Vous êtes arrivé en classe et après une grande scène culpabilisante (vous avez fait pleurer cette femme bande de petites frappes...) vous avez posément annoncé que si cela se reproduisait , vous casseriez la gueule des responsables . Les deux messages sont passés et les cours d'espagnol ont pu se faire à peu près normalement ! Cette pratique de la discipline réduite à l'essentiel a été terriblement efficace .
-Les discussions autour des livres que vous nous faisiez lire . On parlait de tout , de la prostitution , de la vraie vie . C'était radicalement nouveau pour moi , cette manière de commenter ses lectures . Un plaisir absolu.
-Vos aimables polémiques avec les écervelées de la classe qui idolâtraient Dutronc .
-Voilà pour les souvenirs . On disait également que vous aviez été un champion de boxe ? Il me semble que nous vous appelions Jean Calvet et non Louis-Jean Calvet
-Votre blog est sympa . Un espace de liberté , genre Sylvie Caster de la bonne époque , en plus maîtrisé . J'ai particulièrement aimé la chronique Delarue . On se sent moins seul . Je vais devenir un lecteur régulier .
-Depuis la disparition de Sarkozy , on respire tout de même mieux !
-Pourquoi avoir limité votre bio à 2020 ?
-Sans déconner , j'ai l'impression de RENDRE MA COPIE et c'est délicieux !!!
Amicalement . JP .

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fleche15 novembre 2012 : Gorets

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J’ai fait hier un aller-retour à Paris pour donner une conférence. A midi, déjeuner rue de Bièvre, dans un restaurant algérien, où mangeait parfois François Mitterrand (il habitait dans la même rue, un peu plus bas). Sur la carte, le premier plat s’appelle Couscous du président, et le second Couscous royal : coexistence des systèmes politiques ?

Dans l’avion du retour, je suis en train de m’installer quand j’entends un hurlement étrange, comme le cri d’un goret qu’on égorge, ou peut-être celui d’une religieuse qui se trouverait soudain face à un sexe en érection. Je me retourne. Ni goret ni religieuse, une femme un peu grassouillette, blonde, habillée façon BCBG, qui continue de hurler. C’est drôle comme on peut penser vite. En une demi seconde, avant même d’accommoder mon ouie pour décrypter le sens qu’il peut y avoir derrière ces cris, je me dis qu’il ne peut pas y avoir d’alligator dans un avion d’Air France, qu’un crotale est également improbable, peut-être une mygale… En fait, elle hurle : Gardez-le, j’en veux pas, j’en veux pas.       .. Je reviens à l’hypothèse d’un sexe en érection. Mais non, à l’entrée de la cabine le stewart proposait gentiment des journaux et lui avait tendu Libération. Sand doute n’avait-il plus de Figaro…. C’était ma contribution à la sociologie de l’ordinaire, chapitre « les réactionnaires sont toujours aussi cons, et en plus ils font du bruit ».

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fleche12 novembre 2012 : Ouled magouille

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Jean-Vincent Placé, le bien nommé, et Cécile Duflot se paient en ce moment notre tête. L’une joue le jeu de la ministre responsable :  « je suis au gouvernement, j’en suis solidaire, et nos quelques points de désaccord ont été actés ». L’autre joue le jeu du sénateur trublion et se demande à haute voix ce que les Verts font dans un ministère socialiste: «Nous nous posons la question de savoir ce que nous faisons au sein du gouvernement ». Et puis Placé revient légèrement sur ses propos tandis que son parti déclare qu’il ne représente que lui-même, ne parle qu’en son nom, que ses « nous » ne sont que des « je ». Rideau, en attendant la prochaine représentation. De son côté, Noël Mamère commente : « nous voulons être respectés ». Oui, bien sûr. Encore faut-il être respectables.  Car Placé et Duflot ne sont là, l’un sénateur et l’autre députée puis ministre, que parce que le PS leur a fait un énorme cadeau. On a par exemple donné une circonscription imperdable à Duflot comme on a donné, à droite, une circonscription imperdable à Fillon. Mêmes magouilles…. Tous seuls, en comptant sur les seules forces des Verts, ni Placé ni Duflot n’auraient pas été élus et ces ouled magouille, ces enfants de la magouille, tiennent maintenant à leurs places, n’est-ce pas Placé. Alors arrêtons ce spectacle qui n’a de fonction que d’amuser la galerie…

PS qui n’a rien à voir. Hier soir, Jean-Claude Gaudin, le sémillant maire UMP de Marseille a mis sur son blog un compte rendu d’une visite des travaux qui ont actuellement lieu au stade vélodrome. Tout va bien, rien à signaler, la visite a été très instructive et s’est très bien passée Il y a juste un petit problème : cette visite devait avoir eu lieu ce matin à 11 heures, et ce compte rendu avait une vingtaine d’heures d’avance. On a beau dire, les politiciens quand ils sont à la fois marseillais et UMP, voient loin. On devrait lui demander les résultats des prochains lotos, à Gaudin.

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fleche9 novembre 2012 : Sémiologies tangéroises

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Les terrasses de café sont nombreuses à Tanger et elles ont au moins deux choses en commun : on n’y sert pas d’alcool et on n’y voit que des hommes. Fumant devant un verre de café au lait ou de thé à la menthe, ils semblent prendre le temps de voir passer le temps. Je ne sais pas si cette posture a un nom. En Algérie on appelle hittistes (du mot arabe hit, « mur ») les jeunes qui passent leurs journées debout à « soutenir le mur ». On appelle ici une place surplombant la mer, d’où l’on voit en face, en Espagne, la ville de Tarifa, la Terrasse des Paresseux, ce qui donne une assez bonne idée de l’occupation de ces disoccupati  qui traînent par là. Mais pour ceux qui passent des heures à la terrasse des cafés, sans femme et sans alcool ? Les macho-analcooliques ?

La place du Grand Socco (Socco étant l’hispanisation de Souk : les Marocains l’appellent Suk bara, le marché extérieur, hors de la Médina) joue un peu le même rôle que naguère celle de l’Hôtel de Ville à Paris. Les gens en quête d’emploi venaient y attendre les patrons, et ils « faisaient la grève » (la grève de la Seine), comme on fait le trottoir ou les Champs Elysées, d’où l’origine de l’expression faire la grève, qui a pris le sens d’arrêter le travail après avoir signifier chercher du travail. Sur la place du Grand Socco donc, des « artisans » attendent que l’on vienne demander leurs services. Et devant eux, pour indiquer leur spécialité, ils ont disposé leurs outils de travail : une scie pour le menuisier, un pot de peinture et un rouleau pour le peintre, une truelle pour le maçon, un robinet pour le plombier, etc. Les clients passent et embarquent celui dont ils ont besoin. Au Moyen Age, en Europe, les enseignes jouaient ce rôle sémiologique : le cordonnier accrochait une botte à sa devanture, le rétameur un pot en étain, le forgeron une enclume… Rien de semblable dans les souks, puisque l’espace y est spécialisé : le souk des parfumeurs, des tapis, des forgerons. Mais les « grévistes » du Grand Socco ont réinventé les enseignes.

Le 6 novembre est ici férié, en l’honneur du trente-septième anniversaire de la marche verte. La presse est unanime, parlant de la « glorieuse » marche verte, de « l’esprit de la marche ». Quant aux membres du Polisario qui réclament leur indépendance ils sont traités de tous les noms, « imposteurs », « menteurs ». J’ai cherché en vain un point de vue contraire, mais il est impossible de mettre en question la version officielle : l’ex Sahara espagnol est marocain, les Saharaouis sont marocains. Du Matin au Soir en passant par tous les autres titres de la presse quotidienne règne la langue de bois.

En route pour la ville berbère de Chefchaouen je regarde les panneaux indicateurs : Tétouan, Chefchaouen, Fès, mais pas de Ceuta. En revanche on indique un Sebta, dont je n’ai jamais entendu parler. Renseignement pris auprès de Si Mohamed, le chauffeur, Sebta (le « septième », signifiant que le samedi y est jour de marché) est le nom arabe de la ville, que les Espagnols ont transformé en Ceuta. Ceuta qui, comme Melilla, est une trace de la colonisation espagnoles, toujours occupée. Faute d’en obtenir la rétrocession, les Marocains en rappellent donc la marocanité à travers la toponymie : Sebta et non pas Ceuta.

En se promenant avec moi dans les petites rues bleues et blanches de Chefchaouen, Si Mohamed m’explique ce que je savais déjà, qu’ à chaque quartier de la ville il faut cinq choses essentielles : une mosquée, un msid (une école coranique), un four (celui du boulanger, où l’on apporte ses plats à cuire), une fontaine (tout le monde n’a pas l’eau courante) et un  hammam. Mais il oublie peut-être quelque chose. Un peu plus bas, en effet, je m’arrête devant un étal de poteries. Le marchand s’approche, me demande ce que je veux. « Rien, je regarde ». « Tu veux du chocolat ? » « Du chocolat ? » Il rigole : « Du kif».

Le lendemain, à Tanger, en rentrant me coucher, je vois à côté du baouab, du portier, une longue et fine pipe en roseau, munie d’un tout petit fourneau. Là c’est moi qui rigole : « tu fumes du kif, tu n’as pas honte ! ». Il acquiesce tranquillement. Oui, il fume du kif. Et alors ? Je lui souhaite d’en profiter. Il y a quelques semaines on parlait en Europe d’un réseau de blanchiment d’argent entre le Maroc, la Suisse et la France, l’argent de la drogue marocaine finissant dans la poche des bobos parisiens voulant frauder le fisc. Le Maroc, bien sûr, proteste de son innocence et affirme son ardeur à lutter contre le trafic. Mais ici, du moins dans le Rif, le haschich est partout. D’ailleurs ce mot, haschich, est bien anodin. Au fond il ne signifie, en arabe, que « gazon », « herbe »… Cette banalisation du H vaut presque autant pour l’alcool. Dans le centre de la ville, les boutiques vendant du vin, de la bière, du scotch ou du gin sont nombreuses. Simplement, on ne les voit pas, leurs vitrines sont opaques et, sur la devanture, on lit le plus souvent « vente de glaçons ».

Le chocolat pour le kif : métaphore. Le gazon pour le cannabis, la truelle pour le maçon: métonymie. Mais les glaçons pour l’alcool: métaphore, métonymie ou tout simplement hypocrisie ? Et Sebta pour Ceuta, ou Ceuta pour Sebta ? Ici le paradigme n’est pas neutre et l’alternance révèle ou souligne une situation politique. C’était quelques notes de sémiologie tangéroise.

En 1980, en Algérie, on parlait du « Printemps Berbère » (Tafsut Imazighen), expression qui sonne aujourd’hui comme annonciatrice des « Printemps Arabes ». Le berbère est ici partout, du moins le tarifit, version rifaine de l’amazight. Partout mais invisible, inaudible. Comme dans les romans de Mohamed Choukri (Le Pain nu, Le Temps des erreurs) dans lesquels cette langue n’apparaît que furtivement, alors qu’elle est la langue maternelle de l’auteur. En questionnant les gens on apprend qu’ils le parlent, qu’ils le transmettent à leurs enfants, mais l’environnement graphique est arabophone, francophone, hispanophone, pas une lettre de tifinagh, pas un mot d’amazight. Pourtant, à Rabat, se trouve un luxueux et très actif IRCAM (Institut Royal de Culture Amazight). Mais (pour l’instant ?) rien, dans les rues, ne rappelle que cette langue est désormais co-officielle avec l’arabe.

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fleche3 novembre 2012 : Lecture

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Dans le revue Hermès (N°63) consacrée au thème "Murs et frontières" : Des frontières et des langues, entretien avec Louis-Jean Calvet. Cela vous permettra (peut-être) de passer le temps. Je pars au Maroc pour une semaine...

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Octobre 2012

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fleche29 octobre 2012 : Accoutumance

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Il y a près de trente ans j’ai eu mon premier ordinateur, un macintosh qui n’avait même pas de disque dur (il fallait y insérer une disquette système pour pouvoir l’utiliser), et je suis incapable de savoir combien j’en ai eu depuis lors. Il y a près de quinze ans j’ai eu mon premier téléphone portable, et je n’en avais usé que deux. Et puis voilà, entre deux avions, dans un aéroport, j’ai perdu (ou on m’a volé) mon Iphone. Cela est sans doute arrivé à des centaines de milliers de personnes, mais je n’avais pas imaginé à quel point cette petite machine allait me manquer, ou plutôt à quel point ce qu’elle contenait allait me manquer. J’ai en effet acheté un nouvel Iphone, rien de plus simple (sauf le prix…), mais je me suis soudain trouvé dépourvu de deux ou trois cents numéros de téléphone que, bêtement, je n’avais pas recopié dans un bon vieux carnet. Et j’avais des tas de coups de fil urgent à passer, de rendez-vous à confirmer ou à annuler. Ce n’est pas seulement un bien matériel que j’avais perdu mais surtout un bien immatériel : une liste de chiffres… Bien sûr, il y a des réseaux : en envoyant une dizaine de mails à des amis j’ai pu reconstituer une partie de la liste perdue, mais une partie seulement. Et puis, pendant quelques heures, je me suis surpris à le chercher sans cesse, à me demander si quelqu’un ne cherchait pas à me joindre ou à avoir soudain un besoin urgent de passer un coup de fil. Cela s’appelle une drogue à accoutumance…

Cela n’a rien à voir mais, la semaine dernière à Ouagadougou nous parlions de la difficulté que les apprenants ont à prononcer le u français. Les Espagnols et les Italiens ont tendance à le prononcer ou, les arabophones i, et les Africains aussi. Un collègue camerounais nous a alors raconté une scène cocasse : un dirigeant de l’UPC, le parti au pouvoir, a lancé dans un grand meeting : « Notre parti est pire ». Il voulait dire « pur », bien sûr. Ou bien sire

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fleche21 octobre 2012 : C'est écrit dans le journal

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Une grande amie, Pauline, fabuleuse chanteuse québécoise, a un jour décidé de quitter la vie, ou plutôt (pourquoi fuir les répétitions ?), a un jour décidé de mettre fin à ses jours. Et je l’ai appris par la presse. Pauline avait justement à son répertoire un titre, C’est marqué su’l’journal, et cette expression, c’est dans le journal, ou c’est écrit dans le journal, résume assez bien la façon dont nous nous informons et dont nous croyons tout ce que la presse nous assène. C’est pourtant « dans le journal », dans Le Monde pour être précis, que j’ai déniché ce matin une information étrange : les douanes ont saisis il y a un peu plus d’un an à Marseille 25.000 porte-clés à destination de la Corse. Des porte-clés ? Oui, mais d’un modèle particulier. Il s’agissait de ribellu (en corse, « rebelle »), un bonhomme cagoulé et armé d’une kalachnikov, le symbole du nationalisme (ou du terrorisme) corse. Et selon le juge Thiel, qui rapporte le fait, ils provenaient de Chine. Son commentaire : « les partisans les plus acharnés des produits identitaires font désormais fabriquer les emblèmes de la clandestinité en Chine ». C’est cela aussi, la mondialisation…

Dans les journaux, toujours : la ville de Lourdes est sous les eaux, victime des inondations. Lourdes, comme on sait, tire depuis un siècle et demi ses revenus de sa grotte, dans laquelle Bernadette Soubirous aurait vu la vierge, et de son eau bénite, que les pèlerins boivent et achètent en bouteilles. Il y a même de l’eau de Lourdes d’origine contrôlée, certifiée par huissier. Bref, Lourdes est sous les eaux, mais la presse ne dit pas si elles sont bénites, ni bien sûr si elles sont certifiées comme telle par huissier…

Bon, je pars demain travailler quelques jours au Burkina Faso, où les gens aimeraient bien qu’il tombe un peu plus d’eau, bénite ou pas.

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fleche20 octobre 2012 : Encre/ancre

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Nous avons tous des amis que nous ne voyons que rarement. Mais nous savons où ils sont, nous savons qu’ils sont là, nous savons que si nous avons besoin d’eux ils répondront au moindre appel, et c’est rassurant. Il en va de même de certains journaux, que nous ne lisons pas tous les jours, de temps en temps seulement, mais que nous retrouvons avec plaisir lorsque nous en avons besoin. C’est pour moi, entre autres, le cas de l’hebdomadaire américain Newsweek. Il pouvait m’arrivait de l’acheter plusieurs semaines de suite, ou de l’oublier plusieurs mois, voire une année. Et je me disais récemment que j’allais y revenir au moment de l’élection présidentielle américaine. Eh bien non, je n’y reviendrai pas : confronté à de grosses difficultés financières Newsweek abandonne sa version papier et n’existera désormais qu’en ligne, et sur abonnement. Libération titrait à ce propos Newsweek lève l’encre. Le mot est joli, et je me disais en le lisant que Francis Cabrel aurait pu chanter « l’ancre de tes yeux ».

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fleche18 octobre 2012 : Plombiers et diversité

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Hier soir, dans un débat sur la criminalité en Corse, le juge antiterroriste Gilbert Thiel a eu un délicieux lapsus, parlant du tribunal de grande instance de mafia. Il voulait dire Marseille…

Hier aussi, des plombiers ont envahi ma résidence, pour changer les colonnes d’eau. Ils étaient trois dont deux ayant un accent qui me parlait. Il y a quelques années, en 2005, Philippe de Villiers s’était élevé contre une directive européenne en expliquant qu’elle permettrait « à un plombier polonais ou à un architecte estonien de proposer ses services en France au salaire et avec les règles de protection sociale de son pays d’origine ». Mais leur accent n’était ni polonais ni estonien. J’ai essayé l’espagnol, banco, l’un était argentin et l’autre péruvien. Nous avons tchatché, à la stupéfaction des voisins, mais ce qui m’a frappé n’a rien à voir avec la formule stupide de de Villiers sur le plombier polonais. Je travaille en ce moment sur la diversité linguistique, et je me suis rendu compte qu’elle est très différente au nord et au sud du monde. En Afrique, en Indonésie, en Inde, la diversité repose sur des langues locales, endogènes. En Europe, elle repose essentiellement sur des langues de migrants. Il y a deux siècles on aurait pu croiser en France des locuteurs du breton ou du provençal. Aujourd’hui… J’habite depuis plus de dix ans à Aix-en-Provence, j’y entend souvent parler l’arabe, parfois l’espagnol d’Argentine ou de Pérou donc, mais jamais le provençal. La chose est d’autant plus importante que la politique linguistique du Conseil de l’Europe n’en tient pas compte, et que sa Charte européenne des langues régionales et minoritaires, énonce clairement dans son préambule qu’elle ne se préoccupe pas des langues de migrants. Il y a là une façon de se regarder le nombril, une politique patrimoniale, qui surprend. En France en effet, à côté du français, la diversité linguistique repose surtout sur le kabyle, l’arabe, le bambara, le chinois ou l’espagnol argentin, beaucoup moins, ou presque plus, sur les langues régionales. Il serait peut-être intelligent d'en tenir compte...

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fleche17 octobre 2012 : Leader maxi maux

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Ca va mal dans les sphères gouvernementale, du moins vu de l’extérieur. Peillon, Duflot et Montebourg disent et font à peu près ce qu’ils veulent, Valls ne pense qu’à sa pomme et érige sa propre statue, les autres à l’avenant, avec un peu moins de puissance de voix mais le même sens de l’indiscipline, et le pauvre Ayrault tente de colmater tout ça. Ca dérape de tous les côtés, ça chahute, ça bordélise, et tout le monde se marre. J’ai pour ma part l’impression que nos ministres n’ont pas encore compris qu’ils étaient au pouvoir, qu’ils n’étaient plus dans l’opposition, et qu’ils lancent des idées dans tous les sens, au hasard ou presque, sans se demander si elles sont en cohérence avec la politique du gouvernement auquel ils appartiennent… Le plus drôle dans ce désordre, c’est qu’il permet d’occulter un désordre encore plus grand, à droite celui-ci. Copé et Fillon se livrent une guerre à mort, Sarkozy sera prochainement convoqué chez un juge, Woerth ira peut-être bientôt en prison, mais tous ou presque tapent sur les errements de la gauche pour faire oublier le spectacle qu’ils donnent de leur côté.

Libération de ce matin titre, en page intérieure, Jean-Marc Ayrault, leader maxi mots. Ils auraient pu pousser le jeu un peu plus loin, juste une case de plus, et écrire leader maxi maux…

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fleche16 octobre 2012 : Pour passer le temps

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Cela s'appelle Parcours d'un linguiste, c'est un film d'une heure, tourné à Rennes et réalisé par l'Université de Bretagne, bref si mes quelques interventions écrites ne vous suffisent pas, si vous avez une heure à perdre, pour passer le temps vous pouvez m'écouter à :

http://www.sites.univ-rennes2.fr/webtv/appel_film.php?lienFilm=588

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fleche8 octobre 2012 : Copé manque de réflexes

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Jean-François Copé fait le buzz! Vendredi, en meeting à Draguignan, il a volé au secours des victimes du « racisme antiblanc », parlant de quartiers dans lesquels, je le cite, « je peux comprendre l’exaspération de certains de nos compatriotes, pères ou mères de famille, rentrant du travail le soir, apprenant que leur fils s’est fait arracher son pain au chocolat par des voyous qui lui expliquent qu’on ne mange pas pendant le ramadan ». Mais il n’a rien vu, Copé. On m’a raconté qu’une petite fille sortant de l’école primaire s’était fait arracher son verre de pastis par des voyous lui expliquant qu’on ne buvait pas pendant le ramadan. Et qu’un jeune garçon fumant tranquillement du haschich s’était fait arracher son joint parce qu’on ne fume pas pendant le ramadan… Bon, restons sérieux. Copé raconte la même histoire (mais sans pain au chocolat, il ne s’agit que de « goûter ») dans un livre qui vient de sortir, Manifeste pour une droite décomplexée. Et c’est vrai qu’il est bien de droite, et qu’il n’a pas de complexe. Pas de réflexe non plus, car cette histoire de pain au chocolat, oui de goûter, il doit la garder sous le  coude depuis longtemps. En effet, le ramadan avait lieu cette année du 20 juillet au 19 août, en dehors de la période scolaire, donc. En 2011 ? Du 2 au 31 août, toujours en dehors de la période scolaire. Et en 2010 ? Du 11 août au 10 septembre. Si cette histoire est réelle, elle ne peut donc pas avoir eu lieu avant septembre 2010. Il aurait dû immédiatement hurler, monsieur Copé, en parler au gouvernement, au ministre de l’intérieur, au président de la république. Pourquoi s’est-il tu ? Il est vrai qu’à l’époque, le président s’appelait Nicolas Sarkozy…

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fleche7 octobre 2012 : Back from Brazil

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Langue des signes

J’ai donc participé à Belem (Brésil) à un énorme congrès (congrès international de dialectologie et de sociolinguistique) dans lequel, chose assez rare, il y avait une traduction simultanée pour les sourds. J’avais expérimenté la chose il y a bien des années, devant un public d’une centaine de sourds, et ce qui m’avait le plus frappé était les regards du public. Pour ne pas me gêner sans doute, l’interprète s’était placé derrière moi, quelque part à ma gauche, et tandis que je parlais je voyais tous les regards dirigés vers lui, comme si je n’avais pas existé. Ce dédoublement ou plutôt cette disjonction entre la parole (ou ici les signes) et le corps (celui du conférencier ou celui de l’interprète) m’avait marqué. Ici, à Belem, je suis pour l’instant dans la salle et j’ai face à moi trois lieux d’émission : le conférencier au centre, un énorme écran sur lequel est projeté son power point à sa droite, et à sa gauche l’interprète. Je devrais d’ailleurs dire les interprètes, car ils se remplacent toutes les vingt minutes, comme tous les interprètes du monde : c’est une mesure syndicale. Mais ici le changement a lieu à vue : Un nouvel interprète monte sur l’estrade, se glisse derrière celui qui est en fonction et qui, au bout de quelques secondes s’efface pour laisser la place à son remplaçant. J’oublie le power point, tente de suivre par les oreilles la conférence en portugais et utilise mes yeux pour suivre la traduction signée. Exercice un peu malaisé, mais plein d’enseignements.

J’avais déjà noté dans des situations d’interprétation orale une forme de mimétisme phonique entre la voix du « transmetteur » et celle de l’émetteur d’origine, mimétisme qui mériterait d’être étudié, en particulier quand c’est une voix féminine qui traduit une voix masculine, ou l’inverse. Ici les choses sont bien sûr différentes, mais encore plus frappantes. Une conférence lente, ennuyeuse, soporifique, et l’interprète semble languide, prêt à s’endormir, une autre conférence énergique et l’interprète est revivifié, et cela se voit sur son corps. Le meilleur exemple de cette sympathie, au sens étymologique, m’a été donné au tout début du colloque. Après quelques allocutions de circonstance on a joué l’hymne national (tous les goûts sont dans la nature…), neuf cents personnes debout dans la salle de conférence, et une interprète traduisait les paroles de l’hymne en langue des signes. Mais elle faisait plus que traduire le texte, tout son corps vibrait, comme si elle traduisait aussi la musique, ou la visualisait. Elle semblait parfois diriger un orchestre, parfois danser. J’aurais préféré une samba ou une bossa nova, mais bon…, et cette séquence m’a fait réfléchir sur la langue des signes. Les langues auxquelles nous sommes habitués sont par définition linéaires : l’être humain ne peut pas émettre deux sons à la fois et les phonèmes et les mots se déroulent, les uns après les autres. Il en va différemment pour la langue des signes, qui permet d’utiliser trois dimensions, de jouer avec l’espace, avec la mémoire visuelle aussi qui peut se souvenir d’un signe déposé quelque part dans l’espace par l’émetteur et auquel l’émetteur renvoie ensuite. Bref, cela ne signifie nullement que je vais apprendre cette langue, mais je lui suis reconnaissant de m’avoir fasciné pendant que d’autres écoutaient un hymne national. Il y est question, par deux fois, de « morts pour la patrie », ce qui est devenu une sorte de métaphore adoucie, aseptisée, détachée de toute réalité. Traduit en langue des signes brésilienne, cela donne la main droite plate, simulant une lame qui, parallèle au sol, vient trancher la gorge. Impressionnant.

Trois jours plus tard, j’ai donne la conférence de clôture du colloque, et je n’ai absolument pas remarqué les interprètes, qui étaient pourtant devant moi, à ma gauche. J’aurais pourtant aimé pouvoir observer leur gestuelle, mais cela aurait sans doute nui à ma conférence : il est difficile de parler et de regarder en même temps comment on est traduit en langue des signes…

Portugais, galicien, brésilien, idéologies

Marcos Bagno, professeur à l’université de Brasilia, est en train de devenir une vedette locale auprès des étudiants brésiliens. Il a présenté au cours du congrès une conférence au titre alléchant : Português não procede do latim, ou porque tudo na lingua tem a ver com ideologias (« Le portugais ne vient pas du latin, ou pourquoi tout dans la langue a à voir avec les idéologies »). Il entame par une introduction théorique sur laquelle nous sommes sans doute beaucoup à être d’accord, affirmant qu’il n’y a pas de langues ou de dialectes mais des pratiques en contexte social, que la nomination des langues est idéologique, etc., ce qui est presque un lieu commun. Puis il assène sa position, selon laquelle le brésilien et le portugais sont deux langues différentes. Là aussi, nous pouvons être d’accord, même s’il y a une énorme contradiction entre son introduction (il n’y a pas de langues mais des pratiques) et cette affirmation selon laquelle portugais et brésilien sont deux langues différentes. La suite est plus surprenante. Il développe un thème simple, voire simpliste, à l’aide de cartes historiques qui ne démontrent pas grand chose: le portugais ne vient pas du latin mais du galicien. Selon lui c’est parce que, au XII° siècle, après la bataille d’Ourique où Alphonse-Enrique a battu les Almoravides, a été proclamé le royaume du Portugal et couronné son roi, Alphonse premier, que la langue portugaise aurait oblitéré la langue galicienne qui serait son origine. Il est clair que si le royaume qui s’est alors constitué ne s’était pas appelé Portugal mais Galice, la langue que l’on parle aujourd’hui du Portugal au Brésil en passant par le Mozambique ou l’Angola ne s’appellerait pas portugais mais galicien. Mais Bagno va plus loin. Pour lui, l’appellation courante de galego-português est erronée car cette langue existait avant la création du Portugal et il faut donc l’appeler galicien. Il me paraît évident que galicien et portugais sont des langues romanes, et que si le portugais « vient » du galicien, le galicien « vient » du latin et donc le portugais « vient » du latin à travers le galicien : dès lors pourquoi affirmer en titre le contraire ? Peut-être le portugais est-il une forme de galicien, peut-être est-ce l’inverse, peut-être n’y a-t-il qu’une seule langue. Mais derrière cette conférence à fondement essentiellement idéologique se profilait une autre question : de quoi l’émergence d’une thématique aussi simpliste et aussi critiquable scientifiquement est-elle le signe?

Il y a au Brésil un fort sentiment anti-Portugal. En simplifiant un peu, je dirais que cela va des blagues sur les Portugais (dans lesquelles ils sont toujours ridiculisés) à la construction idéologique de Marcos Bagno (le Portugal n’est même pas le « propriétaire » d’origine de la langue, puisqu’elle viendrait de Galice). Or j’ai en effet été frappé, tout au long du congrès, par le nombre de communications portant sur les variations dans la langue portugaise au Brésil (ou dans la langue brésilienne, comme on voudra), beaucoup insistant sur le fait qu’elles ne venaient pas du Portugal mais des Açores, d’où sont venus beaucoup de migrants. Galicien ou portugais des Açores, dans les deux cas c’est donc le rôle du portugais péninsulaire qui est oblitéré.

D’où viennent nos langues, et que nous disent leurs origines ? Il y a eu, il y a une vingtaine d’années, un débat sur le créole haïtien, lancée par la linguiste québécoise Claire Lefebvre, débat apparemment théorique mais en fait profondément idéologique. Comme tous les créoles, le haïtien a une base lexicale européenne (et ici française) et une syntaxe mixte (et ici issue à la fois du français et de langues africaines). Beaucoup de militants (par exemple dans les Antilles françaises) préfèrent insister sur l’origine africaine de leur langue, en proposant en particulier un système orthographique le plus éloigné possible du français. Claire Lefebvre allait plus loin, affirmant que le créole haïtien était du fon (une langue du Bénin) et un linguiste français avait même poussé le ridicule très loin en disant : « c’est du fon, à la forme phonique près ».

Et, derrière ces affirmations perçait la volonté de défranciser le créole haïtien, d’en faire une langue uniquement africaine, ce qui constituait un étrange déni de l’histoire. Il se passe peut-être la même chose en ce moment au Brésil, où certains veulent non seulement affirmer qu’ils parlent une langue propre, le brésilien, ce qui est possible, mais encore nier qu’elle vienne du Portugal. Le petit Portugal, face au géant brésilien, a déjà bien du mal à exister linguistiquement. Pourquoi tirer sur une ambulance ?

Dans les deux cas, Brésil et Antilles, se manifestent des sentiments identitaires face auxquels on peut ressentir de la sympathie ou de l’approbation, mais lorsque ces sentiments virent au nationalisme un peu étroit et nécessitent pour s’exprimer des discours scientifiquement farfelus, on peut s’inquiéter. Marcos Bagno est sans doute le signe d’une quête d’identité nationale brésilienne, mais en même temps il risque d’être celui d’un nationalisme un peu étroit. Reste que l’on sent derrière tout cela une sorte de politique linguistique diffuse, non formulée mais en marche, et dont Marcos Bagno est l’un des porte-voix. Cette volonté de sauter ou d’effacer la « case Portugal » dans l’histoire linguistique du Brésil peut faire sourire. Mais en même temps on peut se demander si derrière la volonté de nier la « langue mère » il n’y a pas une volonté de tuer le père. Et ce ne serait pas la première fois que l’inconscient pointerait le bout de son nez dans les soubassements d’une politique linguistique (Turquie, Norvège, etc. mais je n’ai ni le temps ni la place de développer cela ici).

Pacification

La presse brésilienne fait en ce moment grand cas de la « pacification » des favelas de Rio. La police et les forces armées (armée de terre et marine) investissent, nous dit-on, ces lieux de non droit les uns après les autres et en chassent les milices mafieuses et les trafiquants. A Rozinha, tout serait rentré dans l’ordre. A Vidigal, où j’ai fait un tour, on voit des policiers dans les rues, et une fliquette nous fait même coucou en souriant… Cette pacification a au moins deux buts. A très court terme, assurer que les élections municipales qui se tiennent aujourd’hui se passent bien. A plus long terme, en prévision de la coupe du monde de football puis des jeux olympiques, donner à la ville un aspect plus présentable. Mais quelle ville ?  En fait les favelas « pacifiées » voisinent les beaux quartiers, au sud et à l’ouet de Rio. Et les trafiquants « chassés » se dirigent vers les favelas du nord, dans les quartiers pauvres. C’est ce qu’on appelle mettre la poussière sous les tapis…

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Septembre 2012

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fleche20 septembre 2012 : Illusionnisme

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Des imbéciles ont donc réalisé un film imbécile qui a mis dans la rue d’autres imbéciles : Touche pas à mon prophète! A Paris, devant l’ambassade américaine, deux cents manifestants ont manifesté. Deux cents! Pour quiconque a, dans sa vie, participé à une manifestation, deux cents personnes c’est un échec. Et il en allait de même dans d’autres villes, en Egypte ou au Yémen : pas grand monde. Mais voilà, il y avait la presse, et des photos soigneusement cadrées ont donné l’impression aux gogos lecteurs et téléspectateurs qu’il se passait quelque chose. En fait il ne se passait pas grand chose. Sans la presse, un non événement est un non événement, mais lorsque la presse décide qu’il y a un événement, elle le crée.

A l’autre bout du monde, les Japonais et les Chinois montrent leurs muscles pour quelques îles désertes. Qu’ont-ils à faire de ces cailloux ? Rien, mais les titres de la presse nous laissent penser qu’il y a un risque de guerre.

Et voici que l’Iran augmente la prime qui serait versée à celui qui tuerait Salman Rushdie en application d’une vielle fatwa.

Derrière tout cela, quoi? Je suis depuis longtemps frappé par la fonction, dans les pays arabes, des manifestations pour la Palestine. Le peuple palestinien et l’opposition à Israël étaient en effet, jusqu’aux « printemps arabes », le seul thème de manifestation autorisé, qui servait donc de soupape de sécurité : chaque fois que le peuple se sentait d’humeur revendicatrice, le pouvoir organisait une manifestation contre Israël. Cela tient de la prestidigitation, avec un principe très simple: ne regardez pas ce que je fais, regardez ailleurs, là où je fais porter vos regards, pour me permettre de faire tranquillement ma manipulation. Et c’est effectivement à de l’illusionnisme que nous assistons en ce moment.

Il y a actuellement en Chine, au sommet de l’Etat, d’énormes problèmes de succession, et l’on détourne donc les regards vers autre chose, en attisant la vieille haine anti-Japon. L’Iran est en difficulté, tant à cause de son programme nucléaire qu’à cause de son soutien au pouvoir syrien, et l’on détourne les regards vers Rushdie. En toile de fond, bien sûr, l’opposition entre sunnites et chiites, qui explique aussi les manifestations au Liban et les gesticulations du Hezbollah, le « parti de dieu » comme on sait. Et en France on tente de nous faire croire qu’il y a une menace salafiste. On parle beaucoup de la fermeté du ministre de l’intérieur, Manuel Valls. Et se pose alors une question : en faisant porter notre regard sur deux cents malheureux manifestants, de quoi veut-il le détourner ?

Je vous laisse chercher la réponse. Pour ma part je pars travailler quinze jours au Brésil.

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fleche14 septembre 2012 : Bonsoir Michel

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 Je ne vais dans les églises que de façon très épisodique, sauf bien sûr lorsque s'y trouvent des tableaux que j'ai envie de voir. Aujourd'hui la cathédrale d'Aix était pleine pour Michel. Je ne vous parlerai pas de lui, je ne vois dirai que quelques petites choses, qu'il était rayonnant, généreux, ouvert, que je l'aimais, et qu'il a choisi de disparaître. Bref, j'étais dans une cathédrale, pleurant derrière mes lunettes noires et écoutant vaguement un vague curé. Qui commença mal: "Que vous soyiez païen, non croyant ou de n'importe quelle religion...". Non, monsieur, je ne suis pas "païen", je suis athée.. Mais qu'importe, j'étais ailleurs, dans ma peine, une peine partagée par un millier de personnes. Ce doit être une déformation professionnelle, ou une façon de fuir ma tristesse, j'avais cependant une écoute flottante. Une oreille suffisamment présente pour percevoir quelques dérapages du curé. Michel était "mort dans la force de l'âme...euh de l'âge", ou encore "toute marque d'affection que vous donnerez sera signe de cette plaie...de cette paix". Je me sentais misérable d'enregistrer ces pauvres lapsus. Peut-être après tout ce curé connaissait-il Michel, peut-être était-il, lui aussi, désemparé. Il y avait une pauvre musique, avec une pauvre sonorisation, une musique anonyme, indéfinissable. Et puis soudain, au moment où le curé bénissait le cercueil, j'entends, à travers la même pauvre sonorisation, J'ai eu trente ans, ce succès de Julien Clerc, qui ce termine ainsi: "J'ai eu trente ans, je suis content, bonsoir". Je n'étais déjà pas bien mais là j'ai craqué. Cette chanson avait été écrite pat Maxime Le Forestier pour les trente ans de Julien Clerc. Un peu plus tard, pour mes quarante ans, nous avions fait chez moi une grande fête et Maxime avait pris ma guitare pour me la chanter, en changeant simplement la fin: "J'ai quarante ans, je suis content, bonsoir". Je ne sais pas quels étaient les liens de Michel avec cette chanson, sans doute des liens étroits pour que sa famille la passe en cette occasion. Mais soudain je me suis senti tout proche de lui. Ce drôle cette façon dont les chansons sont des catalyseurs de mémoire et d'émotion. Dorénavant, je ne l'écouterai jamais de la même façon. Bonsoir Michel.

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fleche11 septembre 2012 : La fin de la morosité

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 Je ne savais pas hier, en rédigeant mon billet, que Bernard Arnault allait porter plainte contre Libération. Je ne savais pas non plus, bien sûr, que le quotidien allait récidiver ce matin en titrant Bernard, si tu reviens, on annule tout! Pour mes lecteurs étrangers je précise qu'il s'agit d'un calque d'un SMS que Sarkozy aurait adressé à son ex femme alors qu'il commençait à fréquenter Carla Bruni. D'un côté l'humour de Libé, de l'autre la hargne d'Arnault, et au milieu le spectre de Sarkozy dans le bêtisier duquel on puise. Mais l'argent n'est pas étranger à tout cela. Bernard Arnault, comme on sait, est l'heureux propriétaire du groupe de luxe LVMH (Louis Vuitton Moët Hennessy) qui comprend aussi Christian Dior. Or, ce matin, il y avait dans Libération plus de trois pages de publicité pour les parfums Yves Saint Laurent, qui n'appartiennent pas à LVMH. Derrière la guerre des titres se profile ainsi une autre guerre: Libération a certes fait un joli coup publicitaire mais il a peut-être fait aussi un beau coup financier...

Bref, comme vous le voyez, c'est peut-être la fin de la morosité. Depuis la fellation/inflation de Rachida Dati, je me sentais un peu frustré. Or voici que coup sur coup deux lapsus viennent éclairer le paysage. Hier soir, dans l'émission C dans l'air, Ghislaine Hottenheimer, journaliste au très sérieux Challenges, expliquait que la gratuité des grandes écoles ne pouvait pas durer, que Polytechnique ou l'ENA devraient être payants, au moins 15.000 euros, et elle lance soudain: "Les arnaques...euh pardon les énarques..". Succès garanti. Et ce matin, dans la Matinale de Canal +, c'est le président de l'Assemblée Nationale, Claude Bartolone, interrogé sur la succession à la direction du PS (Cambadélis ou Désir) qui répond: "En tant que Président de la Répiblique..." Ouah! Je vous le disais, c'est peut-être la fin de la morosité: les lapsus sont de retour et Libé se dechaîne à la une.

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fleche10 septembre 2012 : Pauvres riches

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Je sais que le sujet divise : il y a ceux qui adorent les titres de Libération et ceux qui les détestent. Je fais plutôt partie du premier groupe et il m’est souvent arrivé, lorsque j’avais mon petit fils avec moi, de le faire « travailler » sur ces titres, lui demandant de me les expliquer : l’activité métalinguistique est toujours fructueuse. Il me reste d’ailleurs en tête pas mal de ces trouvailles linguistiques : la mort de Georges Brassens (31 octobre  1981), Brassens casse sa pipe, celle de Léo Ferré (17 juillet 1003), Avec Léo, va, tout s’en va, de Georges Marchais (17 novembre 1997), Globalement négatif, et de Charles Trenet (20 février 2001), Trenet Y’a eu d’la joie. Un gros livre, paru en 2010 aux éditions de La Martinière (Libération, les titres) me permet parfois, en le feuilletant, de m’en remémorer d’autres. Le 27 octobre 1974, alors que Franco tarde à mourir,  Franco : alors ça vient ?, le 18 juin 1976, un appel pour la dépénalisation du cannabis,  L’appel du 18 joint (et je me rends compte du même coup que j’avais signé cet appel), le 3 janvier 1977, alors qu’Emilien Amaury, propriétaire du Parisien Libéré, est mot d’une chute de cheval,  Le cheval d’Amaury sort indemne d’un accident, le 11 septembre 1981,à la mort de Lacan, Tout fou Lacan, ou encore le 16 mai 1991, alors que Mitterrand vient de nommer Edith Cresson à Matignon, Et Dieu nomma la femme, etc. Il y en a des centaines d’autres, souvent politiquement incorrects, parfois poussifs mais témoignant toujours d’un esprit inventif, et cet immense corpus mériterait que quelqu’un en tire une thèse.

Tout cela pour en venir à Libération d’aujourd’hui. A l’intérieur, à propos d’une sombre histoire de ramassage d’ordures, Marseille écope d’une lourde benne et à propos des mesures de rigueur à Lisbonne  Portugal : le zèle qui glace le pays. Bon, je vous l’accorde, il faut réfléchir un peu pour voir la peine derrière la benne et le gel derrière le zèle, même si cela ravit mon âme de linguiste. Mais c’est la une qui a attiré l’attention des journalistes et, semble-t-il, entraîné un débat houleux au sein de la rédaction de Libération : Casse-toi riche con !  avec une photo de Bernard Arnault, une valise à la main. Personne n’a oublié la formule de notre délicat ex président, Casse-toi pauvre con ! et tout le monde perçoit donc immédiatement la référence. Plus intéressant est le passage de pauvre à riche. Pauvre con est en effet ce que j’appellerai une formule figée et qui, comme son nom l’indique, est immuable. En faisant jouer le paradigme, on défige donc la formule. Brassens, celui qui a cassé sa pipe donc, était spécialiste de ce genre de défigement :

-« Il y avait des temps et des temps...que j'mettais pas d'vin dans mon eau (Celui qui a mal tourné)

-« J'ai l'honneur de ne pas te demander ta main » et "ma mie de grâce ne mettons pas sous la gorge à Cupidon, sa propre flèche" (La non demande en mariage)

-"Mes vingt ans sont morts à la guerre de l'autre côté du champ d'honneur" (Le temps passé)

-« Mieux vaut tourner sept fois sa crosse dans la main » (les deux oncles)

-« Dans ma gueule de bois j'ai tourné sept fois ma langue » (Le Vin)

Et bien d’autres encore. Le titre de Libé a fait beaucoup parler, un des rédacteurs en chef a dû préciser qu’il fallait le prendre au deuxième degré, mais les riches, apparemment, ne sont pas contents. Ils ont raison, les riches. Ce n’est pas gentil de les traiter de cons. Alors, pour le prochain candidat à l’exil fiscal, je suggère de titrer Casse-toi pauvre riche

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fleche5 septembre 2012 : Journaux télévisés

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Sur la deuxième chaîne de la télévision française il y a, chaque week-end, un spectacle qui devrait attirer l’attention de tous les sémiologues. Un même journaliste, Laurent Delahousse, présente le journal de treize heures et celui de vingt heures. Et alors ? Et alors rien : c’est dans son contrat. Mais il y a autre chose qui me frappe : systématiquement, le présentateur est à treize heures en col ouvert et à vingt heures soigneusement cravaté. En outre, à treize heures il arbore de grosses lunettes pour lire ses notes ou son prompteur et le soir, pas de lunettes ! Verres de contacts, peut-être, cela ne m’intéresse pas plus que ça, mais ce qui m’intéresse est la signification de ces changements. Toute variation fait du sens, c’est le B.A. BA de la sémiologie. Pas de cravate à midi, cravate le soir, cela pourrait signifier que le journal du soir est plus solennel, qu’on s’y présente de façon plus « distinguée ». Pourquoi ? J’avoue que je n’en sais rien, mais la répétition de semaine en semaine de cette alternance montre que lui, ou eux, attribuent une importance à cette variation, qu’ils ne considèrent pas de la même façon les deux journaux. Et les lunettes ? Là aussi l’interprétation est malaisée. Les journalistes de télévision, sans doute par coquetterie, cachent en général le fait qu’ils ont besoin de lunettes. Mais pourquoi cette coquetterie ne se manifeste-t-elle que le soir ? Cravate ou pas cravate, lunettes ou pas lunettes, si vous rencontrez Laurent Delahousse, posez-lui donc la question de ma part.

Restons dans la presse. Hier, dans la page « Rebonds » de Libération on pouvait lire une tribune signée par trois personnes et intitulée « Jeunes de France, votre salut est ailleurs : barrez-vous ! ». Parmi les trois signataires, Mouloud Achour, un « journaliste » qui tous les soirs, au « Grand journal » de Canal +, fait un numéro sensé être drôle et qui personnellement m’afflige par sa nullité. Il a bien raison, Mouloud Achour, son salut est ailleurs…

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fleche1er septembre 2012 : "Modérés" et "extrémistes"

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La presse française a vaguement fait écho à ce qui s’est passé en août à Bizerte, en Tunisie, Bizerte qui se trouve être ma ville natale. En gros un élu régional PS, français d’origine tunisienne, se promenait dans les rues avec sa femme et sa fille, l’une en jean et débardeur, l’autre habillée comme une gamine en vacances. Ils ont été attaqués par une bande de salafistes et l’homme a été roué de coups. La presse n’a parlé que de ça, parce que des Français étaient concernés, mais en fait, en différents points du pays, les mêmes salafistes ont attaqué plusieurs manifestations culturelles pour tenter de les interdire. Ces évènements n’ont rien pour étonner : les coups de force des salafistes sont désormais le quotidien de la Tunisie d’aujourd’hui. Mais plus important est le jeu que joue le pouvoir dominé par le parti islamiste En Nahda. En effet la police n’est nulle pas intervenue et la justice a été pratiquement absente. Manque de moyens ? Difficulté à trouver les coupables ? Pas du tout: complicité objective.

J’ai raconté ici, en avril dernier, que le 17 de ce mois j’avais assisté à un coup de force d’étudiants salafistes sur le campus de l’université de la Manouba, à Tunis. Je ne vais pas revenir sur les détails de l’événement mais sur le principal : le doyen avait prévenu le recteur qui avait prévenu le ministère qui avait décidé de ne rien décider. Les analystes parlent en général , à propos d’En Nahda, d’un parti islamiste modéré, et à propos des salafistes d’islamistes extrémistes. Mais il n’y a pas d’islamisme modéré : les gens qui veulent imposer leur religion, quelle qu’elle soit, à l’ensemble de la population, ne sont ni modérés ni extrémistes, ils veulent établir un état totalitaire. Et un pays dans lequel il n’y a pas de liberté de conscience, un pays dans lequel on n’a pas le droit de choisir sa religion ni le droit de ne croire en rien, de se proclamer éventuellement athée, n’est pas un pays libre. En Nahda joue un jeu pervers, ou développe une stratégie subtile, laissant faire les salafistes pour voir jusqu’où on peut aller trop loin, et ne condamnant mollement que lorsque les opinions publique ou internationale protestent. Du coup les salafistes apparaissent comme les nervi du pouvoir « modéré », comme des marionnettes ou des idiots utiles permettant à En Nahda de tester les réactions, de mettre à l’épreuve des scenarii. Bal de faux culs ? L’expression est mal choisie car bientôt il n’y aura plus de musique, plus de bals, si les islamistes parviennent à imposer leur idéologie rétrograde. C’est plutôt un théâtre d’ombre, de faux semblants, d’hypocrisies, de doubles discours. Les salafistes sont une petite minorité, En Nahda est au pouvoir et c’est ce parti qui est responsable de ces dérives antidémocratiques.

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Août 2012

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fleche28 août 2012 : Réhabilitation post mortem

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Je sais, on ne crache pas sur les cadavres. Mais on peut au moins garder le silence. Or la France est en train de subir un discours larmoyant et hagiographique sur Jean-Luc Delarue, à qui la télévision nationale rendra hommage ce soir. Mes lecteurs du bout du monde ne connaissent sans doute pas son nom, et ils ne s’en portent pas plus mal. Du top 50 d’Europe 1 à ça se discute sur la 2 en passant par la grande famille sur Canal + il a en effet participé à toutes les conneries médiatiques du temps, mettant en place une psychanalyse télévisuelle de bazar, un voyeurisme avilissant, participant activement à la dégradante société de spectacle dans laquelle nous vivons. Je suis sans doute très minoritaire et Antenne 2 battra certainement ce soir tous les records d’audience. Mais le processus qui s’est mis en place depuis cinq ans à son propos mériterait qu’on y consacre un jour une minutieuse analyse. Mis en garde à vue en 2007 à la descente d’une vol Johannesburg-Paris  pour violence envers le personnel d’Air France puis mis en examen en 2011 dans une affaire de stupéfiants il avait était exclu de l’antenne par France Télévision lorsqu’il fut notoire (on le savait avant, mais on ne le disait pas jusque là) qu’il était accro à la cocaïne. Il effacera tout cela en déclarant qu’il avait un cancer, lors d’une conférence de presse en décembre dernier, dans les locaux de France Télévision, justement : la société de spectacle prend racine dans un fumier catholicisant qui associe condamnation et rédemption. Depuis vendredi, depuis l’annonce de sa mort, on lui tresse des couronnes à n’en plus finir. Michel Drucker, dans son rôle habituel de « j’aime tout le monde » et « comment puis-je me faire mousser à tout propos ?» s’est répandu sur différents média pour dire tout le bien qu’il pensait de lui, et il n’est pas le seul. J’ai même entendu dire qu’il était « le modèle de toute une génération », « un surdoué », et j’en passe. Le business prépare l’avenir en faisant savoir qu’il aurait commencé à écrire un « livre confession » : on ne sait jamais, cela pourrait faire un succès de librairie. Et, touchante précision, particulièrement efficace en ces temps de rentrée scolaire, on ajoute que ce livre serait écrit « sur un cahier d’écolier ». Il ne manque que la marque, mais cela viendra bien un jour : « Jean-Luc Delarue écrivait sur le cahier à spirales X ». Or Delarue était la quintessence d’un subtil mélange de société de spectacle et de sociétés lucratives (il était à la tête de plusieurs sociétés de production) qui a envahi nos écrans et auquel il faut se battre pour échapper. C’est en cela qu’il était emblématique de notre monde de fric et de décervelage. Mais la télévision défend les siens, même lorsqu’elle les a condamnés de leur vivant. Ils seront tous présents, se bousculant devant les caméras pour être vus, lors de son enterrement (sauf bien sûr si la famille choisit la discrétion, ce que j’ignore). Alors, d’accord, on ne crache pas sur un cadavre. Mais on peut espérer un minimum de décence.

Petit détail qui apporte une touche finale à cette entreprise de réhabilitation post-mortem, l’émission qui lui est consacrée ce soir remplace un thriller américain : Crimes et pouvoirs. Ca ne s’invente pas.

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fleche25 août 2012 : Chrysanthèmes

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Je sais, cela ressemble à une couronne mortuaire, mais je viens de me voir attribuer le Sociolinguists Worldwide Award, quelque chose comme le "sociolinguiste de l'année", distinction descernée par le groupe Sociolinguists on Facebook et par Sociolinguisrs Worldwide Page. Le précédent récipiendaire était, pour 2011, le linguiste américain Joshua Fishman. Cela fait un peu enfantin, mais je suis bien content quand même...

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fleche18 août 2012 : De quoi Poutine est-il le nom?

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Il fut un temps où, dans la discothèque de la maison de la radio, certaines fiches de chansons portaient, en rouge, des mentions comme « ne pas diffuser », ou « diffuser seulement entre minuit et cinq heures », enfin des choses comme ça : il y a longtemps que je ne suis pas allé et, en outre, tout cela est désormais informatisé. Mais, aussi loin que je puisse remonter dans ma mémoire, je ne trouve pas trace d’une chanson dont l’auteur soit allé en prison. Le cas de censure le plus mémorable est celui du Déserteur, de Boris Vian, chanté à l’origine par Mouloudji, enregistré en 1954, c’est-à-dire à la fois à la fin de la guerre d’Indochine et au milieu de la guerre d’Algérie, et qui fut interdit jusqu’en 1962. D’autres chansons, bien sûr, furent interdites de diffusion sur les ondes (Le Déserteur était aussi interdit à la vente), pour des raisons politiques ou de moeurs, mais encore une fois depuis près d’un siècle aucun auteur français de chanson n’est allé en prison pour ce qu’il avait écrit.

Les trois chanteuses russes du groupe Pussy Riot viennent d’être condamnées  à deux ans de détention pour « hooliganisme » et « incitation à la haine religieuse », en fait pour une chanson demandant à la vierge Marie de débarrasser la Russie de Vladimir Poutine. Je les trouve bien naïves, les Pussy Riot : si la vierge Marie existait, ou avait existé, et si elle avait le moindre pouvoir, pourquoi l’utiliserait-elle pour s’occuper de Poutine alors qu’il y a de par le monde bien d’autres problèmes plus brûlants. Mais il demeure que leur requête est recevable : la Russie se porterait sans doute bien mieux sans Poutine.

De quoi Poutine est-il le nom ? Au Québec, la poutine est une chose particulièrement infecte, un mélange de frites, de cheddar fondu et de « brown sauce ». Mais personne ne vous oblige à en manger. En Russie, Poutine est le nom d’un président issu du KGB, qui gère son pays avec les méthodes de cette organisation de sinistre mémoire, un président qui joue avec les lois, un président qui ayant épuisé les mandats auxquels il avait droit fait élire à sa place un pantin puis se représente, le nom du président d’un pays dans lequel on assassine les journalistes critiquant le pouvoir, le nom des président qui envoie ses armées massacrer à ses frontières. Et le pays dont cet individu est président est membre du G8, a droit de veto au conseil de sécurité de l’ONU, bref est admis avec les honneurs dans un certain nombre d’institutions regroupant des pays démocratiques. Monsieur François Fillon a même récemment conseillé à François Hollande d’aller discuter avec ce président de l’avenir de la Syrie. Nous vivons une époque démocratique moderne et François Fillon en est le chantre.

Trois chanteuses ont donc été condamnées à deux ans de prison. Parce qu’elles ont souhaité le départ de ce président-KGB ? Non, parce qu’elles sont coupables de « hooliganisme » et  d’« incitation à la haine religieuse ». On croit rêver ! Nous sommes en plein régime totalitaire, un régime dans lequel la justice est aux ordres, dans lequel une juge invoque n’importe quoi (la haine religieuse !) pour condamner trois chanteuses s’opposant au tsar, et du côté des pays démocratiques qui condamne ? Quelques artistes, quelques intellectuels. Mais le département d’état américain a parlé hier de « peines disproportionnées », et notre ministre de la culture, Aurélie Filippetti, de « peine démesurée ». Dans les deux cas ce n’est pas la condamnation que l’on critique, mais son ampleur. C’est-à-dire que la France et les USA considèrent comme normal que l’on puisse traîner devant un tribunal trois chanteuse s’opposant au régime. Cela ressemble à quelque chose comme Munich…

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fleche13 août 2012 : Torpeur

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Ouf ! Après nous être débarrassés du Tour de France nous en avons fini avec les Jeux Olympiques. Mais, du coup, plus rien à nous mettre sous la dent. Et je dois dire qu’ayant terminé le livre que je devais remettre fin juillet à mon éditeur je m’ennuie un peu face au calme plat de l’actualité. Le bouffi sénateur vert Jean-Vincent Placé comme le ministre Arnaud Montebourg bouffi de suffisance, qui feraient des têtes de Turc tout à fait convenables, sont aux abonnés absents. Et la gauche semble endormie. La droite, elle, ne manque pas de culot et aboie sur tous les tons de la gamme canine. François Fillon, ce matin dans Le Figaro, conseille à François Hollande d’aller à Moscou pour régler avec Poutine le problème syrien, comme l’aurait fait Sarkozy. Il oublie simplement que si la Chine et la Russie traînent les pieds c’est parce que Sarkozy et Cameron ont largement outrepassé leur mandat en Libye, et qu’ils ne veulent pas se faire rouler dans la farine une deuxième fois. Mais, une fois n’est pas coutume, citons ce distingué organe de presse :

"Il y a une grande différence entre la politique de Sarkozy et celle de Hollande: le premier prenait des risques, cherchait à renouveler une politique étrangère trop souvent synonyme d'immobilisme et de faux semblants, le second ne se préoccupe que de sa 'normalitude' et préfère de beaucoup son image à la recherche de résultat!".

Passons sur le néologisme révolutionnaire de Fillon (normalitude) pour en venir au principal : l’ancien premier ministre se positionne bien sûr dans sa lutte contre Jean-François Copé et veut plutôt affirmer sa « Sarkozitude » (Sarkozy reste très populaire dans les rangs de l’UMP) que voler au secours de la Syrie. Et d’ailleurs, en Syrie, l’avenir est bien trouble. L’opposition financée par l’Arabie Saoudite nous prépare, si elle prend le pouvoir, quelques islamismeries  qui font frémir par avance. Tiens, à propos d’islamismeries, on a coupé la main d’un voleur, dans le nord du Mali. Mais revenons en France. Il ne s’y passe pas grand chose, demain on en aura fini avec les athlètes de retour de Londres et ce sera le vide sidéral du côté politique. Seul Manuel Valls s’applique à paraître ferme face aux Roms. Et ce calme étrange, cette torpeur estivale, laisse une drôle d’impression. Il ne faudrait pas que redevienne à la mode un slogan qui, naguère, avait été scandé à l’endroit de Mitterrand : François, tu déçois.

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Juillet 2012

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fleche30 juillet 2012 : Lectures

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Bon, je viens de finir et d'envoyer à l'éditeur un livre sur la chanson française. Ouf! Demain je pars et vacances et reprendrai ce blog autour du 15 août. En attendant, si vous voulez de la lecture:

Louis-Jean Calvet, "Un barometro per 'pesare' le lingue", in Madre lingua, gennaioi-marzo 2012

Louis-Jean Calvet, "Entre impressionnisme et pointillisme", in Monde méditerranéen, 2/2011, "Henri Van Lier, Anthropogénie et linguistique"

Enfin la revue en ligne Glottopol consacre son numéro 20 au thème Linguistiques et Colonialismes. Vous y trouverez des tas d'articles intéressant et en ouverture une interview de mézigue par Cécile Van Den Avenne: http://www.univ-rouen.fr/dyalang/glottopol/numero_20.html

Bonne lecture et bonnes vacances

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fleche28 juillet 2012 : Conférence

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J'ai mis en ligne une conférence que j'ai donnée le 29 juin 2012 à l'Université de Paris 7, Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au delà. Cliquez sur Documents, puis sur TV-Vidéo. Et bonne écoute.

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fleche18 juillet 2012 : Répulsifs

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La municipalité de Courtrai, en Belgique, vient d’avoir une idée lumineuse. Pour empêcher des « jeunes » de traîner dans le parc qui se trouve au centre de la ville elle a décidé d’y diffuser de la musique classique, qui est censée les faire fuir. Nous connaissions des produits chargés de repousser les chiens ou les chats qui viennent pisser devant chez vous, mais Bach ou Beethoven comme répulsifs, il fallait y penser. Les professeurs de musique doivent être contents : ce qu’ils enseignent est ainsi ramené à un digne rang. Nous vivons une époque moderne !

Jeunes encore : il y a dans l’équipe de football de Marseille, l’OM, des espoirs entièrement pris en charge, déjà sous contrat, mais qui sont encore à l’âge de la scolarisation obligatoire. Quatorze ont présenté cette année le baccalauréat. Et aucun n’a été reçu. Certains, peut-être, deviendront des vedettes et gagneront beaucoup d’argent. Mais ils ne seront sans doute pas plus futés que leurs aînés, ceux qui brillent dans l’équipe de France par exemple. Et le Paris Saint-Germain, dont les caisses sont désormais alimentées par de l’argent qatari, vient de recruter Zlatan Ibrahimovic, qui lorsqu’il parle nous éblouit par son intelligence. Si Bach ou Beethoven sont des répulsifs chargés de faire fuir la jeunesse, les footballeurs seraient-ils des répulsifs chargés de faire fuir le public ? Nous vivons une époque très moderne !

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fleche10 juillet 2012 : Addiction

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La panne d’Orange à la fin de la semaine dernière (douze heures sans téléphone, pour les abonnés) a depuis fait beaucoup parler (il fallait bien rattraper le temps perdu…) et a surtout généré quelques blagues, écrites ou orales: « Orange ne répond plus » (Le Journal du Dimanche), « le coût de la panne » (Libération), « Les pépins d’Orange » ou encore« Orange pas pressée ». On aurait pu également penser à « orange amère », « qui a volé l’orange ? » ou « orange pas mûre », voire « orange pourrie »… Mais, surtout, les réactions, les protestations, les commentaires qui se poursuivent encore témoignent d’un phénomène social intéressant : l’addiction dans laquelle nous sommes tous tombés. Il y a deux ou trois mois j’étais au Parlement Européen, à Bruxelles, où je donnais une conférence, et le vice-président chargé des politiques linguistiques expliquait que les deux seules choses qui pouvaient bloquer la machine européenne étaient une panne d’électricité ou une grève des interprètes. Une panne des téléphones portables semble avoir des conséquences plus graves encore ! « Heureusement que c’était un vendredi », explique un homme d’affaires, « en semaine cela aurait été une catastrophe ! ». Pourtant il existe toujours des téléphones fixes, des cabines téléphoniques, mais nous sommes tellement habitués à ce petit appendice collé à notre oreille que nous voilà désemparés dès qu’il nous fait défaut. D’autres font des hypothèses : panne ou attentat, et dans ce cas, quel est le coupable ? Un concurrent ? Des cyberpirates ?

Signe des temps, après les protestations et les hypothèses, on passe aux discussions sur les indemnisations. Une journée de téléphone gratuit, propose Orange. Et j’imagine toute la France tchachant tout au long de la même journée et faisant sauter les réseaux. Ce n’est pas assez, répliquent les consommateurs. Or nous savons que les réseaux sont fragiles, au bord de l’asphyxie. Nous pouvons imaginer qu’un jour ce sera au tour d’Internet d’être bloqué. Et lorsque je vois, dans un hôtel par exemple, la fureur d’un client qui n’arrive pas à se connecter, j’imagine le traumatisme social que causerait une telle situation. Et si la TNT tombait en panne ? Des millions de Français furieux devant leur écran de téléviseur vide ! Bref on nous parle des drogués en manque, près à tout pour obtenir leur ligne de coke ou leur piqûre, mais aucun médecin ne s’est à ma connaissance penché sur cette nouvelle forme d’addiction. Tiens, voilà une piste pour lutter contre le chômage : la création d’une nouvelle spécialité médicale, addictologie aux media numériques. Des cabinets s’ouvriraient dans la France entière et le problème des communes en faible densité médicale serait du même coup réglé.

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fleche7 juillet 2012 : Rigoureusement et austèrement démenti!

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Le 19 août 2008 je me moquais ici de Christine Lagarde qui, alors que la France avait connu  au deuxième trimestre une croissance négative, affirmait qu’il n’y avait pas récession puisqu’il fallait pour cela deux trimestres de croissance négative et ponctuait : "Toute personne qui crierait au loup et à la récession aurait un trimestre d'avance". Elle ne croyait pas si bien dire: le 4 octobre de la même année, la récession était confirmée, et je riais, toujours ici même, d’Eric Woerth qui parlait de  "récession technique", de Frédéric Lefebvre pour qui il s’agissait de "passage récessif", et Jean-Claude Trichet, patron de la banque européenne, qui penchait lui pour une "croissance ralentie", ou une "croissance molle". Et je concluais, bien sûr, que récession était un mot tabou dans le discours gouvernemental : les éléments de langage commençaient à devenir une réalité quotidienne…

La vérité m’oblige à dire qu’il se passe aujourd’hui à peu près la même chose. Je pense, même si je n’ai aucune compétence en économie, et je le pensais bien sûr déjà en allant voter Hollande, que nous ne pourrions pas échapper à des hausses d’impôts et à une certaine austérité. Mais le premier ministre Jean-Marc Ayrault, qui se veut gestionnaire austère et rigoureux comme on sait, a, dans son discours de politique générale, déclaré fermement: « Je revendique le sérieux et la responsabilité budgétaires (...) Mais je refuse l'austérité.». Et les éléments de langage du gouvernement sont, sur ce point, convergents : ni rigueur ni austérité, cette austérité étant donc rigoureusement refusée, ou cette rigueur austèrement niée, ou bien encore la rigueur et l'austérité sont rigoureusement démenties, comme on voudra. Rien de nouveau sous le soleil, donc.

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fleche2 juillet 2012 : In vivo

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Je suis intervenu vendredi à Paris dans un colloque sur les politiques linguistiques en Europe, avec majoritairement des participants espagnols et français auxquels s’ajoutaient quelques britanniques. Chacun s’exprimait dans sa langue, répondait aux questions dans une autre langue que celle dans laquelle elles avaient été posées, et tout cela donnait une impression assez réjouissante de politique linguistique in vivo. A force de vouloir lutter contre la domination de l’anglais on oublie un peu qu’il y a des formes de dominations plurilingues qui posent parfaitement fonctionner pour peu qu’on apprenne à comprendre les langues des autres, sans nécessairement les parler.

Pour rester dans l’in vivo, je viens d’écrire sur un blog dont je m’occupe, consacré aux « langues françaises » (http://nathan-cms.customers.artful.net/fdlm-v2/langue-francaise/), un billet au titre un peu énigmatique, « Tébéïser et jambiser ». J’y traite d’une tendance forte de la langue française qui consiste à ne produit pour les néologismes verbaux que des verbes du premier groupe. Je m’étais beaucoup amusé il y a quelques années en trouvant dans un roman policier américain une scène dans laquelle un suspect répondait sans cesse aux questions d’un policier « perhaps ». Et le flic, excédé, lui lançait : « Stop perhapsing me ». La langue anglaise est ainsi faite qu’on n’a pas besoin de choisir un groupe verbal, il n’y en a pas, et n’importe quel mot peut être ainsi utilisé comme une verbe et conjugué. Jambiser est un calque sur une forme italienne, gambizzare, qui désigne le fait de tirer dans les jambes de quelqu’un. Je suis en train de lire un roman de Fouad Laroui, De quel amour blessé, et j’y trouve un passage dans lequel un personnage ne cesse de dire qu’on n’échappe pas à son destin, et son interlocuteur lui répond : « Tu mektoubises à tout va ». Mektoubiser, création ici sur une forme arabe, mektoub  (« c’est écrit »). Dans les deux cas, la langue change, évolue, et témoigne de la diversité linguistique dans laquelle nous vivons, in vivo donc.

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Juin 2012

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fleche28 juin 2012 : Tout ça pour ça!

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Ceux qui me lisent régulièrement savent que j’ai suivi de près la « révolution de jasmin » en Tunisie, puis sa suite en Egypte, que dans les deux cas je suis allé sur place et que j’avais été frappé par l’ambiance festive qui y régnait. Voici que l’Egypte a élu un Président de la République et que celui-ci est le candidat des frères musulmans. Je n’aime guère les religions, surtout quand elles se mêlent de politique. Les catholiques, en leur temps, ont montré à quel degré d’intolérance ce mélange des genres pouvait mener, Israël et les pays arabe nous en donnent aujourd’hui une nouvelle démonstration : la bêtise médiévale au pouvoir n’a jamais rien eu de bon.

A la télévision j’ai vu un Egyptien, les yeux exorbités, dire avec des larmes dans la voix : « C’est Dieu qui a gagné ». Il était allé dans un bureau de vote, avait choisi un bulletin, l’avait glissé dans l’urne, mais ce n’était pas le peuple qui s’était exprimé, « c’est Dieu qui a gagné ». Voilà une curieuse traduction de la démocratie. Il demeure que les frères musulmans ont gagné. On peut voir dans leur score le résultat d’années de frustration, face à cinquante ans de pouvoir militaire d’une part, à la morgue et à la violence d’Israël d’autre part, qui ne respecte aucun des accords internationaux et impose son blocus aux Palestiniens. Mais tout de même, tout ça pour ça!

Au fait, et les sœurs musulmanes ? Elles ont gagné elles aussi, sous leur voile et les mains dans la vaisselle ?

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fleche24 juin 2012 : Choses lues, vues, entendues...

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Je viens de passer une semaine de travail un peu harassante à Paris et me suis éloigné de ce blog. Pendant ce temps, le site a été remis à jour pour ce qui concerne ma bibliographie, complétée jusqu’en 2011. Par la suite, nous compléterons ma biographie : chaque chose en son temps.

Mais, pendant cette semaine j’ai lu, vu, entendu quelques petites choses, que je vous raconte ci-dessous.

Lundi 18. Les résultats des élections législatives ont fait oublier que l’on commémorait un peu partout en France l’appel gaulliste du 18 juin. A Bollène, où le député élu est Jacques Bompard, un ancien du front National, et la maire Marie-Claude Bompard, sa femme, on chante La Marseillaise puis on passe au Chant des partisans, chanson emblématique de la résistance contre l’occupant nazi. La police municipale coupe alors la sonorisation. Sans commentaire…

Mercredi 20, à midi, je mange dans un restaurant du Marais et je vois, quelques tables plus loin, l’ancien premier ministre Lionel Jospin et le maire de Paris Bertrand Delanoë qui semblent mener une discussion animée. Le soir nous apprenons que Daniel Vaillant, proche de Jospin, est candidat à la présidence de l’assemblée nationale. Y a-t-il un rapport ?

Ce même soir, je suis à l’ambassade Britannique où l’on fête l’anniversaire de la reine (!!!). Manuel Valls, ministère de l’intérieur, répond au discours de l’ambassadeur et tacle David Cameron en expliquant qu’il y a beaucoup de mouvements touristiques entre les deux pays et que, dans les deux sens, on déroule le tapis devant ces visiteurs…  Un verre de scotch (excellent) à la main je me promène sur la pelouse et croise Jean-Vincent Placé, « commissaire politique » des verts, très fier de son costume et de son poste de sénateur, obtenu grâce à la mansuétude du PS. Deux jours plus tard, Daniel Cohn-Bendit tire à vue dans Libération sur « l’insoutenable légéreté de l’arrivisme » des Verts. Hurlements, bien sûr, contre lui à EELV. Pourtant, il n’a pas tort, Dany : les Verts se sont débrouillés pour avoir des sièges de députés et de ministres, un groupe parlementaire dans les deux assemblées, mais l’on voit mal en quoi cela fait progresser la cause de l’écologie ni le rapport entre cette soudaine promotion et le pourcentage ridicule qu’ils ont obtenu à la présidentielle….

Le soir du jeudi 21, fête de la musique. Sous les arcades de la place des Vosges il y a un spectacle tous les trente mètres. Tout près du numéro 13 (oui, là où habitent les Strauss-Kahn), un homme interprète à la guitare des chansons françaises classiques, Les P’tits papiers, l’Auvergnat, La complainte de l’heure de pointe (« à Paris en vélo… »), La Javanaise et quelques autres… Banal ? Pas vraiment car pour chaque titre il lance dans la foule des feuilles sur lesquelles sont imprimées les paroles, et tout le monde chante en chœur avec lui. Nous étions une dizaine lorsque je suis arrivé, près d’une centaine dix minutes plus tard. Et tous semblaient très contents de chanter ainsi, pas toujours juste il est vrai, des chansons qu’ils connaissaient plus ou moins mais qui leur parlaient. Si la musique commence avec le plaisir de faire du bruit, nous étions là en pleine fête de la musique. Mais personne n’a songé à entonner le Chant des partisans

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fleche16 juin 2012 : Refus, intuition.... et Darwin

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Après ma brève intervention politicienne d’hier, je voudrais aujourd’hui changer de genre et exposer, plus longuement, quelques questions théoriques qui me travaillent en ce moment. J’ai lu il y a peu de temps dans un ouvrage d’Henri Bergson (La pensée et le mouvant) une de ses conférences, L’intuition philosophique, présentée le 10 avril 1911, au Congrès de philosophie de Bologne. Alors professeur au Collège de France il donnait chaque année un cours sur l’histoire de la philosophie et il en tirait une leçon à la fois surprenante et séduisante par sa simplicité.  Un système philosophique, expliquait-il, apparaît d’abord comme un système complet et cohérent, qui met de l’ordre dans la complexité, et nous percevons les influences qu’il a reçues, ses sources, ses apports. Mais il poursuivait en disant  qu’à force d’analyser une théorie on découvre que son auteur n’a fait, toute sa vie, que « rendre avec une approximation croissante la simplicité de son intuition originelle ». Mieux encore, il affirmait que tout commence par une négation : « N’est-il pas visible que la première démarche du philosophe (…) est de rejeter certaines choses définitivement ? Plus tard il pourra varier dans ce qu’il affirmera ; il ne variera guère dans ce qu’il nie ». Et il voyait ainsi la pensée zigzaguer, se chercher, constituer ce qu’il appelait « une salade » à partir d’autres pensées, celles des prédécesseurs ou des contemporains, et entrer en elle-même quand elle revenait à l’intuition originelle.

Un refus, une intuition, une salade d’autres pensées, mais une ligne directrice à partir de l’intuition. Cette image, qui est d’ailleurs plus qu’une image mais plutôt un principe épistémologique, m’a frappée. Le hasard a fait que jeudi je devais enregistrer à l’Université de Rennes 2 un petit film sur mon itinéraire en linguistique, et j’ai tenté pour l’occasion de revisiter mon itinéraire en m’appuyant sur cette vision bergsonnienne.

Passons sur la « salade » et sur les ingrédients qui la composent : tous les linguistes de ma génération ont les mêmes, de Saussure à Labov entre passant par Meillet, Martinet, Chomsky et quelques autres, les sommets de différents icebergs théoriques. En revanche le refus de départ (je garde le mot de Bergson, mais nous pourrions aussi dire le choix de départ) permet chez les uns ou les autres de faire un tri parmi ces ingrédients, de se positionner, et je crois que chez moi il s’agit du refus d’une linguistique tournant le dos au social, ou du choix d’une linguistique sociale (le sous-titre d’un de mes premiers livre, en 1975, est d’ailleurs de ce point de vue clair : Pour et contre Saussure, vers une linguistique sociale).

Reste l’intuition. Elle est bien sûr moins aisée à dégager, mais j’ai le sentiment qu’elle se ramène pour moi à l’idée que la solution était du côté de Darwin. J’ai publié beaucoup plus tard, en 1999, Pour une écologie des langues du monde, mais bien avant, après avoir cherché du côté du marxisme ou de Bourdieu, directions que je ne renie absolument pas, j’avais le sentiment que la linguistique n’avait pas trouvé son Darwin (et je pense, j’y reviendrai peut-être un jour dans un livre, que Marx et Darwin sont tout à fait compatibles). J’avais entendu parler de Darwin, j’avais lu des textes sur sa pensée, mais j’ai  lu son oeuvre assez tard, en 1980, dans des conditions particulières, lors d’un voyage d’une semaine aux îles Galapagos, ce qui n’est pas le pire endroit : on sait l’importance des Galapagos dans la naissance de ses théories... Et je me demande quel serait pour la linguistique l’équivalent de ce terrain pour réfléchir sur l’émergence et l’histoire des langues. Les généticiens ont la chance de disposer de la mouche drosophile qui, parce qu’elle est facile à élever, que son cycle de vie est court (deux semaines), qu’elle n’a que quatre paires de chromosomes et qu’elle a, du point de vue génétique, beaucoup de similitudes avec l’être humain, leur sert de modèle dans leurs recherches sur la carte génétique des mutations. La mouche drosophile, ou mouche du vinaigre, est pour ces raisons le modèle le plus utilisé en biologie.  Quel pourrait être, pour le linguiste, l’équivalent de la mouche du vinaigre ? Je veux dire : quelles seraient les situations qui nous permettraient de modéliser l’émergence de la communication, de la langue, de son acquisition et sa transmission. On pourrait par exemple songer à l’émergence des créoles, ou au « langage » des abeilles, avec dans les deux cas ce fait intéressant que nous sommes dans les rapports entre communication et travail. Mais tout ceci, comme on voit, est un peu confus, un peu embryonnaire. Si certains d’entre vous ont des idées…

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fleche15 juin 2012 : Voter

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Aujourd'hui, 15 juin, l'ancien président de la République perd son immunité. Bonne nouvelle, et bonne occasion de tester la justice française. Après-demain, 17 juin, fin des élections législatives. Les sondages annoncent une large victoire de la gauche, voire même une majorité absolue pour le PS. Bien sûr, les sondages sont des indicateurs utiles pour la réflexion, des photographies intéressantes. L'ennui est qu'ils risquent aussi parfois de démobiliser: "bof, la gauche est assurée de passer, inutile de se déplacer". L'abstention a été record au premier tour, et il serait dommage qu'elle augmente, dommage et dangereux. Je sais, cela fait un peu préchi-précha, mais j'assume.

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fleche13 juin 2012 : Tweet ou twit ?

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Il y a quelques années, lorsque Dominique Strauss-Kahn avait été nommé au FMI, un journaliste de Libération avait écrit un papier que son journal avait refusé et qu’il avait finalement posté sur son blog. Le thème en était, il est vrai, dérangeant : Jean Quattremer développait l’idée que son addiction aux femmes était pour DSK une casserole potentielle, et la suite prouva qu’il avait raison. Peu de temps avant, pendant la campagne présidentielle de 2007, Arnaud Montebourg, que j’appellerais volontiers Arnaud Montebourdes si son intelligence n’était évidente, toujours avide de perfidie, avait lancé : « Le plus gros défaut de Ségolène Royal c’est son compagnon ». Nous pourrions aujourd’hui adapter sa flèche: « Le plus gros défaut du président de la République c’est sa compagne ».

Vous connaissez bien sûr les faits : Valérie Trierweiler a lancé hier un tweet dans lequel elle affirmait son soutien à Olivier Falorni, candidat à la Rochelle contre Ségolène Royal. Un coup de couteau dans le dos de l’ex compagne de son compagnon. Et pour ceux de mes lecteurs qui ne vivent pas en France, je peux vous garantir qu’il y a grand bruit dans Landernau. Ce tweet arrange bien la droite qui s’amuse comme une folle et permet de faire oublier ses petits arrangements avec le FN, il embarrasse bien sûr le PS et l’Elysée, où l’on ne sait pas comment réagir. Mais que lui est-il passé par la tête, à Valérie Trierweiler ? Comme je ne crois pas à un machiavélique coup de billard à trois ou quatre bandes (Hollande défendant Ségolène en public et poussant secrètement Valérie à la flinguer), je ne peux conclure qu’à la traduction tweetée d’une jalousie mal contrôlée : Valérie a piqué une crise lorsqu’elle a appris que François soutenait Ségolène. Bref nous sommes en plein vaudeville, du genre femmes au bord de la crise de nerf. Et le moins qu’on puisse dire est que cela ne fait pas très sérieux.

La mode des tweets, ces messages brefs (140 caractères au maximum) que l’on envoie à un réseau social, a déferlé depuis un an ou deux sur le monde politique. Permettant de s’exprimer sans se donner la peine d’argumenter, le tweet est devenu l’arme favorite des impulsifs, des gens pressés, des rageurs ou des cerveaux mal irrigués. Et Valérie Trierweiler illustre ce que nous savions déjà grâce à Nadine Morano : on ne devrait pas laisser les sales gosses jouer avec les tweets. Mais j’entends une question que vous vous posez et à laquelle, dans ma grande mansuétude, je vais tenter de répondre : que veut dire ce mot, tweet ? Le terme est anglais, bien sûr, vous l’auriez déjà deviné, et il désigne le pépiement d’un oiseau, le gazouillis (je devine une autre question, à laquelle je réponds immédiatement : le sifflement d’un serpent se dit hissing).  Mais la langue anglaise distingue entre les voyelles longues et les voyelles brèves, et face à tweet elle a twit, mot qui est d’ailleurs passé en français québécois et désigne  dans les deux langues un corniaud, un imbécile. Mais les Français ont parfois du mal à pratiquer ces oppositions de longueur vocalique… Il existe aussi en anglais un verbe to twit to twit someone with something signifie en gros « reprocher quelque chose à quelqu’un. Pour revenir au vaudeville, Valérie reprocherait donc à François de soutenir Ségolène, elle « twiterait » en « tweetant ».

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fleche12 juin 2012 : Ni-Ni

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Dans ses Mythologies Roland Barthes analysait au milieu des années 1950 ce qu’il appelait « la critique Ni-Ni », à propos d’un journaliste de L’Express pour qui la critique ne devait être « ni un jeu de salon, ni un service municipal », c’est-à-dire ni réactionnaire ni communiste. Cette mécanique de la double exclusion, cette façon de charger à sa guise les deux plateaux de la balance pour apparaître aussi mesuré, ou aussi juste, que le fléau, Barthes y voyait la caractéristique de ceux qui se posent comme « adeptes d’un univers bi-partite dont ils seraient la divine transcendance ». Or l’UMP vient de renouer avec cette position pseudo  arbitrale : ni FN, ni PS. Traduisons : il en est fini du traditionnel « front républicain ». D’ailleurs l’ancien ministre de la défense Gérard Longuet l’a déclaré, « Le FN est un acteur de la vie politique à part entière. Comme le Front de gauche, comme le PS. Il n’y a pas marqué pestiféré ». Et Nadine Morano, elle, a rappelé ses valeurs communes avec le FN. Ce thème n’est pas nouveau à droite, Charles Pasqua l’avait déjà défendu, mais il était minoritaire et en général condamné. Aujourd’hui quelque chose a craqué, une digue, une barrière, et le ni-nisme l’emporte à l’UMP. Ni-ni, c’est-à-dire au bout du compte que l’on ne fait plus barrage au Front national puisque Mélenchon ou les communistes sont l’équivalent de Le Pen. Encore une fois, les deux plateaux de la balance : d’un côté le FN, de l’autre de Front de gauche. Même Nathalie Kosciusko-Morizet, qui avait proclamé haut et fort qu’en cas de duel PS-FN elle voterait PS, a retourné sa veste, comprenant qu’on « ne vote pas pour le droit de vote aux étrangers » ou « pour le tabassage fiscal ». La traduction concrète de cette position est double : soit l’UMP se maintient dans les triangulaires et aide ainsi le FN à passer, soit s’il ne peut pas se maintenir il n’appelle pas à voter contre le FN et encourage ainsi son électorat à voter pour. Ce qui est ici en jeu, ce n’est pas le sort des élections dans une poignée de circonscriptions, c’est l’avenir de la droite, de ses contours, et donc en partie l’avenir de la France. Victoire de Marine Le Pen, qui aurait réussi à dédiaboliser le FN ? Plutôt victoire de Patrick Buisson, conseiller très spécial de Sarkozy et responsable de la ligne droitiste de sa campagne présidentielle. Remarquez, la gauche devrait aussi se poser des questions : Après tout, François Bayrou aurait pu choisir le ni-nisme et n’appeler à voter pour personne au second tour, il a fait le choix contraire, et il en sera peut-être mal récompensé. Allez, je vais laisser la conclusion à Barthes, qui avait souvent raison : « Les Ni-Ni sont eux aussi embarqués dans un système, qui n’est pas forcément celui dont ils se réclament ».

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fleche6 juin 2012 : Graphie

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Au début des années 1960, lorsque j’étais étudiant à Nice, je fréquentais une étrange boutique, Le Trou, tenue par un étrange bonhomme, Benjamin Vautier. On y achetait des disques d’occasions et on y croisait des peintres qui allaient devenir célèbres (mais cela, nous ne le savions pas encore), comme Arman ou Raysse. Ben, c’était le diminutif qu’il s’était donné, avait en outre, si je me souviens bien, une sorte de devise, ou  plutôt de principe tournant à la théorie artistique : Ben signe tout. Depuis, il a beaucoup signé, puis il a beaucoup apposé son écriture, un peu partout… Je viens de passer deux jours à Nice et, circulant en tramway, j’ai rencontré à chaque station la graphie de Ben : chaque fois le nom de l’arrêt et une pensée, en français ou en niçois. Cette écriture peinte, tout la monde la connaît aujourd’hui. On la trouve sur des Tshirts, sur des cartes postales, sur des objets divers, et elle se reconnaît au premier coup d’œil. Lui qui voulait tout signer n’a plus besoin de signer du tout : un peu comme le peintre Raymond Moretti, sa calligraphie lui tient lieu de carte de visite. Et je trouve cela assez extraordinaire, le fait par exemple de descendre du tramway à l’arrêt Garibaldi (par parenthèse, si vous aimez les fruits de mer, ne manquez pas à Nice le café de Turin, place Garibaldi), le fait donc de descendre à l’arrêt Garibaldi et de vous dire : « tiens, c’est du Ben », comme on se dit en entrant dans un musée « tiens, c’est un Turner » ou « Tiens c’est un Monet »… Léo Ferré, lorsque nous nous promenions ensemble et que des gens venaient lui demander une signature, me disait : « Tu vois, c’est un peu casse-pieds d’avoir sa carte d’identité sur sa gueule ». Ben, lui, a sa carte d’identité dans la trace de sa main : c’est moins gênant, ça ménage l’incognito.  Et c’est sans doute bon pour l’ego. Mais en voyant cette trace un peu partout à Nice, j’ai eu envie de le revoir, lui. Un jour, peut-être.

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fleche2 juin 2012 : Ennui ?

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Un ami, qui se reconnaîtra, vient de m’écrire ceci : « après avoir exercé ta verve contre la langue (si l'on peut dire) du sarkozysme triomphant, j'espère que tu feras de même (fût-ce sur un autre mode) non pas nécessairement contre mais sur le discours hollandais. N'oublie pas que le rôle de l'intellectuel est d'être toujours "ardent mais sceptique" ». Je m’étais bien sûr déjà posé la question, mais d’une autre manière, me demandant si je n’allais pas m’ennuyer après avoir perdu ma cible favorite. Voici près de sept ans, nous avons avec Jean Véronis analysé d’abord le discours des candidats à l’élection présidentielle, puis les discours de Sarkozy, et je suis ensuite passé sur ce blog à un autre style, que l’on m’a souvent reproché : tu devrais moins critiquer Sarkozy me disaient d’autres amis…  Je n’ai jamais suivi ces conseils, et je ne le regrette en rien. Mais maintenant ? Peut-être céderai-je à la facilité en visant le clone de Sarkozy, Jean-François Copé, ce qui ne m’empêchera bien sûr pas de surveiller de près les discours du PS et de ses alliés. « Ardent mais sceptique » ? Nous verrons. Ce qui est sûr, c’est que je n’ai pas l’intention de m’ennuyer.

Et puis, après tout, Sarkozy n’est pas tout à fait parti. Tenez, un exemple. Au second tour de l’élection présidentielle Hollande a obtenu 18.005.656 de voix contre 16.865.340 pour Sarkozy, soit un différentiel de plus d’un million de voix : 1.139.316 pour être précis. On peut bien sûr exprimer cela de différentes façons, dire par exemple que Hollande avait 1.139.316 de voix d’avance, ou encore que Sarkozy a pris 1.139.316 de voix dans la vue… Le candidat battu a choisi une autre formulation, expliquant à ses ministres que l’élection s’était jouée à 600.000 voix, ce qui, dans le contexte des élections législatives, est devenu un élément de langage répété par les leaders de l’UMP. Claude Guéant en particulier va répétant que Sarkozy n’a perdu que de justesse, qu’il n’a manqué que 600.000 voix, que la victoire a tenu à 600.000 voix… La victoire ! On voit que le calcul est particulièrement tordu. L’UMP fait semblant de croire (et tente de faire croire) que s’il avait eu 600.00 voix de plus Sarkozy aurait gagné aurait gagné, ce qui est mathématiquement faux : il aurait en effet fallu en outre que Hollande en ait  600.000 de moins. Donc l’élection ne s’est pas jouée à 600.000 voix mais bien à 1.139.316… Allez, ce n’est pas demain la veille du début de l’ennui !

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Mai 2012

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fleche30 mai 2012 : Murailles et caves

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Quand je vous disais que l’affaire Bo Xilai était trouble ! Voilà donc que l’on reconnaît, en Chine même et six mois après, que la mort du britannique Neil Heywood était bien suspecte et qu’en fait il a été assassiné. Et que l’on fait courir le bruit qu’il était un espion à la solde du MI6. L’empire du milieu, malgré sa grande muraille, aurait donc été infiltré ! Et un dignitaire du régime aurait été compromis dans cette histoire d’espionnage ! La succession de versions différentes laisse rêveur : on a l’impression que le pouvoir chinois a hésité entre plusieurs histoires pour sauver les meubles, et qu’il n’y a pas qu’en Occident que le story telling est au cœur de la politique. Remarquez, le navire ne tangue pas qu'à Pékin. Au Vatican, un majordome et un banquier sont démis de leurs fonctions. Et l’on dit même que le premier est en prison, ce qui serait surprenant : il n’y a pas à ma connaissance de prison au Vatican. Mais ce qui est sûr, c’est qu’il se passe de drôles de choses à la banque du Vatican, qu’on y blanchit peut-être de l’argent et que la mafia n’est pas loin. Muraille de Chine d’un côté, caves du Vatican de l’autre, il  y a dans ces murs quelques secrets bien cachés. Au fait, quand saurons-nous ce qui s’est passé à Karachi ? Dans le salon de madame Bettencourt ? Vite, vite, racontez-nous encore des histoires !

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fleche23 mai 2012 : JOURNAL DE CHINE ET DE TAIWAN

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Mardi 8 mai Hong Kong

J’ai quitté la France lundi matin, après une soirée un peu arrosée, à la Bastille bien sûr, et avec comme un immense soulagement : enfin débarrassés de Sarkozy, après des mois, des années de dégoût et de honte, dont bien des billets de ce blog ont continûment témoigné. Je pensais avoir besoin d’être sevré d’infos, de presse, et ce départ pour l’Extrême Orient me paraissait salutaire : tourner la page sur ce ridicule président, ses indécences, sa vulgarité. Me voici pourtant en fin de journée dans mon hôtel de Hong Kong en train de zapper pour avoir des nouvelles de la France : on ne se refait pas…

Bon, demain je passe la frontière et rentre en « Chine continentale ». Comme toujours, où que j’aille, j’ai toujours avec moi quelques questions, quelques dossiers qui me paraissent intéressants. Et là, j’en ai au moins deux.  Chen Guangcheng d’une part, le « dissident » aveugle du Shantong, qui avait été condamné pour avoir dénoncé les stérilisations forcées et les expropriations, puis mis en résidence surveillée, et dont le sort n’est, à l’heure où j’écris, pas clair. Chen Pourra-t-il ou pas quitter la Chine ? Et Bo Xilai, d’autre part, l’ex-patron de Qongqing, cette immense ville de plus de 30 millions d’habitants. Cela vous dit quelque chose ? Il y a dans cette histoire tous les ingrédients d’un polar asiatique. A la mi novembre 2011 on découvre à Chongqing le corps de Neil Heywood, mort d’une crise cardiaque selon la police chinoise, d’un abus d‘alcool selon son consulat (britannique), alors qu’il buvait peu, et incinéré sans autopsie. Heywood était proche de Bo  et aurait mangé avec lui juste avant sa mort. Quant à Bo, il se forgeait depuis des mois et des mois l’image d’un monsieur propre de la politique locale en faisant, avec l’aide d’un policier, Wang Lijun, la chasse aux corrompus. De façon plus que musclée, dit-on, ce qui dérangeait sans doute les mafias locales. Mais voilà, le policier Xang se précipite il y a un peu moins de deux mois au consulat américain de Chengdu avec sans doute pas mal de documents, puis est rendu aux autorités, mais pas à celles de Chendu ou de Qongqing, à celles venues de Pékin, comme si l’on se méfiait des autorités locales. Peu de temps après, Bo est démis de ses pouvoirs (et pas des moindres : secrétaire du parti de Chongqing, membre du politburo…). Bref, cela ressemble à un règlement de comptes à OK corral. Mais pour quel enjeu ?

Je ne sais rien de tout cela, hors ce que je viens d’écrire, je ne sais pas non plus si l’on en parle dans les media chinois et je ne pars pas en reportage, mais donner des conférences sur les langues. Hasard absolu, demain je serai à Chongqing, la ville de Bo, de Wang, celle dans laquelle est mort Heywood. Autre hasard, tout aussi absolu, je vais ensuite à Dalian, ville dans laquelle Heywood a séjourné il y a une vingtaine d’années pour apprendre le chinois, où il a connu Bo, du moins si je suis bien renseigné… Bref ces deux dossiers qui m’interpellent n’ont peut-être aucun intérêt, et peut-être ne trouverai-je d’ailleurs rien d’intéressant à leur propos. Mais j’aime bien avoir des questions, des directions de réflexion, quitte à les jeter très vite à la poubelle. La suite, peut-être, au prochain numéro, ou du moins à la prochaine journée.

Mercredi 9 Chongqing

A Chongqing, les versions sont diverses et discrètes. Diverses parce qu’on dit beaucoup de choses différentes, discrètes parce qu’on en parle peu. Bo Xilai et Wang Lijun auraient voulu nettoyer la ville, lutter contre les mafieux, ce qui semble aujourd’hui en Chine l’équivalent du rocher de Sisyphe.  A trop lutter contre la corruption ils auraient dérangé trop de monde. D’autres suggèrent que Bo était lui-même corrompu, que son fils poursuivait aux USA des études coûteuses et qu’il y menait une vie luxueuse… On dit aussi que Bo et Wang se sont fâché lorsque le second a dit au premier que sa femme était compromise dans la mort d’Heywood. Mais la version qui semble dominer est celle selon laquelle Bo, considéré comme « maoïste » et honnête, était en compétition pour une des neuf places au comité permanent du politburo avec le « patron » de Canton, plus modéré, moins honnête, et qu’il y aurait eu un règlement de compte pour cette élection : ce serait une question d’équilibre au plus haut niveau du pouvoir, sur fond de succession prochaine au pouvoir suprême… Bref, Bo a été démis de toutes ses fonctions et attend d’être jugé. Mais on ne sait pas quelles charges pèsent contre lui.

Jeudi 10 : Dalian

Dalian. C’est dans cette ville que Bo Xilai a construit son image. Fils d’un compagnon de Mao, il sera successivement maire de la ville, gouverneur de la province du Liaoning, ministre du commerce extérieur, avant d’arriver à Chongqing. Mais à Dalian il jouit d’une image très positive. Ici aussi il aurait lutté contre la corruption, modernisé en outre la ville, lancé de grands travaux, et il est considéré comme un incorruptible. La ville semble en pleine expansion, les immeubles poussent comme des champignons. Et tout le monde regrette Bo, dont on ne dit que du bien. Le soir, je dîne avec Li Bin, un grand bonhomme jovial, rigolard, qui ne connaît en français que deux ou trois façons de porter un toast, à la liberté !, à la baise !, et les utilise sans cesse. Li Bin est un peintre célèbre dont une partie de l’œuvre est invisible en Chine : il s’agit de celles de ses toiles qui se moquent du président Mao. Mais il joue aussi de façon subtile sur les masques de l’opéra de Pékin : Li Bin est un sémiologue qui tend avec ses toiles une sorte de miroir à ses contemporains. Il me parle de ses souvenirs de la révolution culturelle, de son grand-père qui y a laissé sa peau, en levant régulièrement son verre pour un toast. A la liberté !, Li Bin…

Vendredi 11 : Qingdao

 A Dalian toujours, on m’avait fait visiter une immense place dont on m’avait dit fièrement qu’elle était la plus grande d’Asie. A Qingdao on me montre un pont sur la mer, qui est me dit-on le plus long du monde. Les Chinois ressemblent de plus en plus à la caricature célèbre des Américains prétendant  posséder the biggest truc ou the biggest machin in the world. Auront-ils bientôt la plus grande mafia du monde ? Pour l’instant, l’affairisme prend racine dans l’immobilier. On construit partout, et partout des gens achètent un, deux, trois appartements. Des gens ? Disons une partie de la partie urbaine de la population. Plus de la moitié de la population est rurale, et le niveau de vie varie considérablement d’une province à l’autre. En outre 17% seulement de la population aurait accès à l’eau potable, 55% à des installations sanitaires. Mais ceux qui peuvent acheter des appartements suffisent à faire la fortune de ceux qui les construisent, et cet argent se retrouve ailleurs, dans diverses affaires plus ou moins claires.  Je n’ai pas osé demander si le pont sur la mer, le plus long du monde, donc,  avait une quelconque utilité, mais il y a à Qingdao autre chose qui attiré mon attention. On vient en effet de planter dans la ville des milliers d’arbres, des arbres déjà développés, de quatre à cinq mètres de haut, plus de vingt centimètres de diamètres, au point qu’il faut de solides structures en bois pour les maintenir avant qu’ils prennent racine. Ils sont si nombreux que, sur le front de mer, ils cachent désormais la vue. Surtout, ils sont plantés très près les uns des autres, un mètre cinquante en moyenne, sur deux ou trois rangées, et il est évident qu’ils vont bientôt se gêner les uns les autres, se faire de l’ombre, c’est le cas de le dire, et qu’une bonne partie d’entre eux va crever. N’importe qui connaissant un peu l’arboriculture les aurait plantés différemment. La ville de Qinqdao n’aurait-elle pas de spécialistes ? Comme souvent, la solution du problème se trouve à un autre niveau, et la bonne question n’est pas « pourquoi les avoir plantés si serrés ? » mais « à qui cela profite-t-il ? ». Car plus les arbres sont plantés serrés plus il faut en acheter et plus cela rapporte au vendeur. Et la réponse éclaire alors les données du problème : la femme du maire nouvellement élu  possède une entreprise qui vend des arbres, et c’est à elle que la ville a acheté ces milliers de pieds… Corruption ? Prise illégale d’intérêt ? Cela fait deux questions, et sans doute deux réponses positives.

Dimanche 13

Je profite d’une journée de repos pour aller visiter Laoshan, dont le thé est célèbre, mais aussi les couvents et les paysages, montagnes plongeant dans la mer. Contre le mur extérieur du temple taoïste de la « très grande pureté » je vois une publicité pour l’Iphone 3 voisinant avec le symbole du ying et du yang. Etrange mélange de spiritualité et d’affairisme. Ce matin, à Qingdao, j’ai vu une cinquantaine d’étudiants s’entraîner aux arts martiaux, au style mei hua (« fleur de prunier »), sous la direction d’un « maître » bénévole, qui a dans la vie un autre métier mais veut transmettre la tradition. Autour d’eux passent des voitures luxueuses : comme à Bamako, le dimanche est à Qingdao le jour des mariages. L’Iphone, le ying et le yang, les arts martiaux, les mariages coûteux: la tradition et la modernité s’entrechoquent.

Lundi 14 Qingdao- Hong Kong

J’ai la même impression ce matin en traversant la ville d’est en ouest, de feux rouges en feux rouges, d’embouteillages en embouteillages, pour aller rendre visite à Song Wen Jing . La Chine est de plus en plus envahie par les stigmates du capitalisme occidental, voitures, téléphones portables, fringues, il n’y a pratiquement plus de vélos, les deux roues étant désormais motorisés, et tout le monde rêve de ressembler à un New-Yorkais ou à un Parisien et surtout ne pense qu’à une chose, gagner de l’argent, de plus en plus d’argent. Mais, en même temps, on trouve partout un fond de confucianisme, des traces d’attachement à une Chine éternelle. Song Wen Jing est un calligraphe célèbre, qui pratique surtout les caractères sigillaires, un style vieux de plus de deux milles ans. Son atelier est une sorte de caverne d’Ali Baba, des toiles, des livres, des pièces de collection variées. Song peint également, aussi bien dans le style traditionnel « shan shui » (montagne et eau) que dans un style abstrait, plus personnel. Voulant me faire un cadeau il prend une longue bande de papier, calligraphie mon nom (je veux dire mon nom chinois, mais c’est une autre histoire), en quelques coups de pinceaux, puis ajoute un poème que ce nom lui inspire, signe avec son sceau, à l’encre rouge, ajoute en haut un autre sceau d’inspiration bouddhiste pour signifier sa croyance. En oubliant le décor, je pourrais croire être en plein moyen âge. Bref nous avons laissé une voiture à quelques centaines de mètres, garée sur l’autoroute (ce qui est parfaitement interdit, mais cette notion est en Chine à géométrie variable), et nous sommes là dans un autre monde. Encore une fois, tradition et modernité, j’y reviendrai.

Mardi 15 Hong Kong- Kiaohsiung

Ce matin, dans China Daily, un article explique que Wang Yang, le chef du parti de la province de Canton, va sur le web au devant des citoyens, écoute leurs doléances, leurs critiques. Il déclare qu’il lit des blogs tous les jour, prend connaissance des critiques à son endroit, et a même une formule choc : «Nous autres les fonctionnaires nous sommes des serviteurs. Il est normal que le maître critique les serviteurs ». Bref, l’article est louangeur. Deux petites précisions. D’une part, China Daily  est le journal anglophone officiel de la Chine populaire, et d’autre part, mais sans doute l’avez-vous deviné, Wang Yang est le concurrent de Bo Xilai, dont le pouvoir s’est débarrassé à Qong Xinq, et il sera sans doute élu au comité permanent du politburo. Ce qui me ramène au début de ce journal. Sur Chen Guangchen je n’ai pas appris grand chose, sur Bo Xilai un peu plus, mais dans les deux cas j’ai le sentiment qu’il y a une même leçon, une double leçon. D’une part la loi n’existe pas en Chine, ni pour le pouvoir, ni surtout pour les responsables locaux qui font à peu près ce qu’ils veulent : Chen était en résidence surveillée de façon illégale, Bo a été démis de façon illégale, après avoir lutté de façon violente et illégale contre la mafia locale, et personne ne semble s’en inquiéter. D’autre part, dans les deux cas, l’ombre des Américains se profile derrière le fait divers. Bo a été limogé après que son adjoint policier se soit rendu au consulat américain de Chendu, et Chen après s’être échappé de manière rocambolesque de sa résidence surveillée s’est réfugié à l’ambassade américaine. A méditer…

Après un bref passage à Hong Kong me voici à Kaohsiung, au sud de Taiwan, sur le campus de l’institut des langues étrangères Wenzao. J’ai l’habitude, lorsque je suis invité à l’étranger, de poser quelques conditions au premier rang desquelles figure l’exigence d’un logement fumeur. Mais je suis tellement habitué à la Chine, où l’on fume partout, que j’avais oublié cette demande, pensant que cela allait de soi. Grave erreur, Taiwan est pire que les USA, où l’on peut partout obtenir une chambre fumeur et où l’on trouve partout, dès que l’on franchit une porte vers l’extérieur, des colonies d’accros à la clope . Ici, il est interdit de fumer sur le campus, même en plein air, et il faut faire près d’un kilomètre, passer le portail, pour pouvoir consommer sa dose de nicotine. Bref, j’ai ici la même impression qu’au Canada : les suiveurs faisant de la surenchère sur les prescripteurs…

J’ai peu parlé de Chen Guangcheng, pour la bonne raison qu’on ne m’en a pratiquement jamais parlé en Chine. Mais ce matin dans le South China Morning Post, un journal de Hong Kong, je lis que des pourparlers se tiendraient afin qu’il puisse quitter la Chine avec sa famille et aller aux USA. La chose se ferait discrètement, personne ne perdrait la face, mais si cela s’avérait nous aurions là le résultat d’une efficace diplomatie américaine, loin des rodomontades auxquelles nous a habitué Sarkozy, par exemple au Mexique dans l’affaire Cassez. Mais j’allais oublier : nous avons viré Sarkozy.

Vendredi 18

Depuis trois jours j’ai beaucoup travaillé, conférences, séminaires, j’ai vécu sur le campus, visité un peu la ville de Kiaohsiung dans laquelle je n’étais pas venu depuis 23 ans. Mais la pluie, incessante, a un peu freiné mes velléités de ballades dans les quartiers populaires. Taiwan est un étrange pays. Cette « république de Chine », revendiquant officiellement (mais de plus en plus discrètement) la souveraineté sur l’ensemble du territoire chinois (de la même façon que la république populaire de Chine revendique à l’inverse, beaucoup moins discrètement, la souveraineté sur Taiwan), ayant perdu depuis 1971 son siège à l’ONU, fait sur le plan diplomatique profil bas. Son produit intérieur brut par habitant est de cinq fois supérieur à celui de la Chine : la modernité et le développement sont ici acquis. Quant à la tradition, elle n’a jamais été mise en question : Taiwan n’a pas connu la censure, la révolution culturelle, la lutte contre la religion ou les arts traditionnels. De ces deux pays, lequel est le plus « chinois » ? La question n’est pas si stupide qu’elle le paraît. Taiwan est une Chine d’importation, en deux temps, au 17ème siècle d’abord lorsque des migrants hakka ou min nan s’y installèrent et s’imposèrent sur les aborigènes, puis au milieu du 20ème avec l’arrivée des troupes du Kuomintang. Les deux pays ont donc une histoire commune, même si cette histoire les a séparés, ils ont la même langue officielle, même si elle ne porte pas le même nom (guo yu à Taipé, pu tong hua à Pékin), et ils semblent se regarder l’un l’autre comme s’ils ne se reconnaissaient pas dans la glace : « ce n’est pas moi, je ne suis pas toi »... Les Taiwanais veulent dans leur majorité conserver leur indépendance, leur destin séparé de celui de Pékin, mais leur gouvernement se garde bien de l’exprimer fortement. Si, officiellement, Taipei ne critique pas la Chine, d’autres le font cependant avec constance. Ainsi le Falun gong, secte ou mouvement spirituel, je n’ai pas les moyens de me prononcer pas sur ce point, réprimé depuis une dizaine d’années par Pékin, fait à Taiwan une contre-publicité permanente au régime communiste. A côté des temples, des musées, des monuments que fréquentent les touristes venus du continent ils affichent des photos illustrant la répression, en particulier à Tian An Men en 1989, pour rappeler aux visiteurs chinois ce que fait leur pays, et personne ne semble les en empêcher : on laisse à la société civile le soin de critiquer le grand voisin.

Samedi 19 Taïnan

J’ai passé la journée avec des amis à Taïnan, l’ancienne capitale culturelle du pays, la « ville aux cent temples ». Je ne sais pas s’il y en a vraiment cent, mais j’en ai vu beaucoup, taoïste ou bouddhistes, parfois les deux à la fois, dans un curieux syncrétisme. Dans la nuit précédant cette visite j’ai par hasard lu un ouvrage datant de 1893, L’île Formose, histoire et description, de C. Imbault-Huart, et j’y ai trouvé l’histoire d’un « pirate », Koxinga, selon l’auteur cruel et cultivé à la fois, qui en 1661 défit les Hollandais et libéra le port de Tayoan (aujourd’hui Anping) en massacrant des centaines de personnes. Dans une rue de Taïnan je vois une statue. « Qui est-ce ? ». « Koxinga ». « Ah ! Le pirate ».  La taïwanaise à qui j’avais posé la question manque de s’étrangler. Et je me rend compte aujourd’hui que ce Koxinga est partout, en statues, en monuments, qu’il est un véritable héros national. Bon, je sais, cela n’a rien d’original, mais j’aime bien ces exemples de points de vue différents qui créent des objets différents : pirate pour les uns, héros pour les autres. Disons qu’il était corsaire, et tout le monde tombera d’accord.

Dimanche 20 Kiaohsiung

J’apprends ce matin, en écoutant la télé, que Chen Guangcheng a quitté la Chine pour les Etats Unis. Il serait parti sans passeport, ce qui prouve que tout est possible en Chine, et surtout que les « amicales pressions » américaines sont efficaces. Je regarde le site de China Daily : pas un mot  sur l’événement. Un jour, peut-être, nous apprendrons les dessous de l’affaire, et il est peu probable qu’elle soit anodine. Pour l’instant, Chen et Bo étaient dans le même bateau. Chen a pris l’avion. Que va-t-il advenir de Bo ?

Mais je voudrais revenir aux différences entre les deux pays. Taiwan, je l’ai dit, a un niveau de développement et de vie très supérieur à celui de la Chine. Pourtant la façon de recevoir des universités est à l’inverse. En Chine, dans tous les repas officiels auxquels j’ai été convié, l’alcool coulait à flot, vin ou bière, plus alcool blanc. A Taiwan, les repas officiels étaient arrosés à l’eau claire ou au thé. Détail, sans doute, mais qui témoigne cependant d’un rapport à l’argent légèrement différent. Dans les deux cas on aime l’argent et on ne le cache pas. Mais il y a en Chine une sorte d’ostentation, qui tranche sur un rigorisme un peu puritain, presque janséniste, à Taiwan. La passion de l’argent passe en Chine avant toute préoccupation démocratique, les « enveloppes rouges » (la corruption) et le Ho Men (« la porte de derrière », la magouille ou le piston) pullulent. A Taiwan, cela existe sans doute aussi, mais de façon moins visible.  Comme si l’on exhibait d’autant plus son  argent qu’on était nouveau ruche : ici encore, je ne suis guère original, ou plutôt les Chinois ne sont guère originaux.

Lundi 21 Taïpei

Aller-retour dans la journée de Kaohsiung à Taipei, pour donner une conférence à l’université Tamkang. Une heure trente de train rapide (le Taiwan High Speed Train) pour parcourir, du sud au nord, toute l’île, ce qui donne une bonne idée de ses dimensions : le poids économique de Taïwan ne doit rien à sa superficie… Demain je prends l’avion pour Hong Kong, puis pour Paris et enfin Marseille, bref je rentre en France, et j’avais un peu considéré cette dernière conférence comme une corvée, à la veille de mon départ. Et pourtant, une double surprise, deux fois agréable, m’attendait, due au plus grand des hasards. J’ai en effet retrouvé dans la même salle un étudiant que j’avais à Aix il y a deux ans, ma dernière année d’enseignement, et un autre que j’avais à la Sorbonne en 1969, ma première année d’enseignement dans le supérieur. Les deux à la fois constituaient comme les deux branches d’une parenthèse..

Mardi 22 Hong Kong

En transit à l’aéroport de Hong Kong, je lis dans l’International Herald Tribune un long article sur l’affaire Bo, signé par pas moins de six journalistes ! On y parle d’un trio de millionnaires qui faisaient leurs petites affaires avec le duo Bo-Wang, on y dit qu’Heywood a été empoisonné et que Gu Kailai, la femme ne Bo, n’y serait pas étrangère (une troisième version pour la mort du britannique, donc,  après la crise cardiaque et l’abus d’alcool). Au terme provisoire de ce feuilleton j’ai surtout l’impression que par petites touches, depuis deux semaines, le pouvoir chinois a diffusé un portrait très négatif de Bo Xilai, et que la presse internationale a peut-être était manipulée… A l’aube du 23 mai je débarque en France, en fredonnant une vieille chanson de Léo Ferré : « Dans une France socialiste je mettrais ces fumiers debout à fumer le scrutin de liste jusqu’au mégot de mon dégoût, et puis après sur une chaise, un ordinateur dans l’gosier, ils chanteraient la Marseillaise avec des cartes perforées…

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fleche5 mai 2012 : Bulletin d'absence

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Demain, comme vous tous je suppose, j'irai déposer mon bulletin Hollande dans l'urne et le soir je me ferai un plaisir de voir la tête des perdants à la télévision après être allé fêter ça à la Bastille.

Après, c'est-à-dire lundi, je disparais pour deux semaines: Hong Kong, la Chine, puis Taiwan. Je vous en parlerai à mon retour, pour l'instant je déserte ce blog, et j'ai une bonne raison: je vais donner des conférences. Soyez sages en mon absence...

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fleche2 mai 2012 :
Du CIP au CPE

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Comme beaucoup de gens je suppose j’ai suivi hier « le » débat entre Hollande et Sarkozy. Avant même le début du « show » je m’étais donné deux clés de lecture. La première, je ne sais pas vraiment pourquoi, concernait la couleur de leurs costumes respectifs. Tous ces hommes politiques (il en va différemment pour les femmes, mais c’est une autre histoire), tous donc sont régulièrement vêtus de sombre, et je me demandais si Hollande trancherait sur cet uniforme. La réponse est vite venue : le sien était légèrement plus clair, mais pas assez pour que cela soit pertinent. Je sais en revanche d’où me venait ma seconde clé. Le cinéaste Serge Moati  et le publiciste Thierry Saussez, interrogés par un journaliste, avaient en effet dit à peu près la même chose, que tout se jouait dans les premiers instants, que l’on savait tout de suite qui allait « gagner ». Sur ce point, je n’ai pas été déçu puisque, dans les cinq premières minutes de sa prise de parole, Sarkozy a aligné quelques belles perles :

« Si les Français le choisissant..le choisissaient »…

« S’adresser aux Français, y compris qui n’ont pas vos idées »…

« Souvenez-vous du CIP…du CPE »

« Le mieux c’est que nous rentrerions dans… »

Bon, rien de nouveau, sauf sur un point : pourquoi CIP à la place du CPE, le Contrat Première Embauche ? Ce sigle correspond en français à différentes sources, par exemple au Centre International de Plongée (jusqu’à quelle profondeur ?), au Club Inter Pharmaceutique (un code permettant d’identifier les médicaments), au Club Informatique de la région PACA, à la Commission Interministérielle de la Précontrainte, à la Commission Internationale du Peuplier,  au Centre International de la Pomme de Terre  ou encore, selon le code international des aéroports, à celui de Chipata, en Zambie… Mais je m’amuse. En fait Sarkozy a confondu le Contrat Première Embauche, proposé aux jeunes en 2006 par le premier ministre Villepin et remisé aux oubliettes après les manifestations dont vous vous souvenez sans doute avec le Contrat d’Insertion Professionnelle. Celui-ci avait été introduit en 1993 par un autre premier ministre, Edouard Balladur, en réponse au chômage des jeunes, et avait lui aussi été abandonné sous la pression des manifestants. Entre l’échec de Balladur et l’échec de Villepin, il a donc choisi celui de Balladur, ce qui n’étonnera personne. Et, après tout, on a le droit de choisir l'échec que l'on veut.

Pour redevenir sérieux, Sarkozy ne m’a posé question qu’une seule fois, ou plutôt deux car il a répété deux fois la même formule : « Un islam de France alors que nous voulons un islam en France ». Et j’ai beau tourner ce syntagme dans tous les sens, j’avoue que je ne saisis pas vraiment la nuance. Mais, même s’il est très tôt ce matin, je renonce à comprendre : j’ai un train à prendre.

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fleche1er mai 2012 : Intelligence tranquille

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Tard dans la soirée d’hier, je suis tombé sur un débat entre Henri Guaino et Régis Debray (Ce soir ou jamais ! sur la 3). En général je fuis Guaino, je ne supporte pas cet air patelin tentant de cacher une poche à venin, mais là, il y avait quelque chose de différent. L’air bonace, Debray semblait avoir annihilé l’agressivité de Guaino et nous eûmes droit à un débat feutré, parfois profond, et pourtant meurtrier. Debray décochait des flèches, ou plutôt des carreaux d’arbalète, avec une sorte de gentillesse et de tranquillité désarmante. Il traitait Guaino de ventriloque, et lui faisait croire qu’il le flattait alors qu’il sous-entendait du même coup que Sarkozy était la poupée de ce ventriloque. Lorsque Guaino expliquait que Sarkozy n’avait pas dit ceci ou cela il lui lançait : « Vous n’êtes pas le seul souffleur du prince. Le problème c’est qu’il y en a d’autres ». Et Guaino se sentait grandir : le souffleur du prince ! Un peu plus tard, Guaino explique que Sarkozy a dit des choses justes et Debray, toujours tranquille : « Certains messages sont corrompus par leur émetteur ». Relisez cette phrase, soupesez-la, elle dit beaucoup de choses en peu de mots.

Dans le concert d’injures et de mensonges auquel nous sommes conviés depuis des semaines il y avait là un ton nouveau, différent. Peut-être parce que Guaino se sentait grandi par son interlocuteur et qu’il en oubliait que, derrière le philosophe, il y avait aussi une tête politique. Peut-être parce que Debray n’est le porte parole de personne, qu’il affirmait certes, encore une fois tranquillement, qu’il voterait Hollande, que nous allions être enfin débarrassés de Sarkozy, mais n’était prisonnier d’aucun élément de langage. Une intelligence tranquille et redoutable. Ca change.

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Avril 2012

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fleche30 avril 2012 : Racisme ordinaire

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Tout le monde l’aura noté, la droite s’affole et l’UMP est à la veille d’une implosion. Parmi ceux qui rejoindront sans doute le FN, ou créeront un groupuscule à la droite du FN, Lionel Lucas, député des Alpes Maritimes, qui s’est particulièrement distingué en appelant la compagne de François Hollande, Valérie Trierweiler, «Valérie Rottweiler ». Puis il s’est livré à un jugement esthético-politique intéressant : « Fadela Amara, ben moi, j'ai toujours préféré Rachida Dati, d'abord parce qu'elle est moins moche et parce qu'elle a fait campagne pour le président». La phrase pue, bien sûr. Mais elle mérite d’être décortiquée. Il  y a des millions de femmes qui soutiennent Hollande et des millions de femmes qui soutiennent Sarkozy, et si nous restreignons notre choix à celles qui sont connues, il en reste des centaines de chaque côté. Pourquoi avoir choisi de comparer Amara et Dati ? La réponse est bien sûr dans la question : parce qu’elles ont toutes deux un nom maghrébin, parce qu’elles sont toutes deux d’origine maghrébine, parce qu’elles sont peut-être toutes les deux musulmanes. C’est, bien entendu, dégueulasse, et cela s’appelle du racisme ordinaire.

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fleche28 avril 2012 : Source bis

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Désolé, mais l'affiche que j'ai mise en ligne ci-dessous était un faux. Si non é vero é ben trovato dit-on en italien, c'était bien trouvé mais faux. Le VRAI de l'affiche a sans doute été composé à partir de lettres prises dans TRAVAIL et, sur l'original, il y a à cette place une francisque.

Toutes mes excuses.

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fleche28 avril 2012 : Source

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Voici la source de ce "vrai travail". Merci à Michel Walter de m'avoir communiqué cette affiche.

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fleche27 avril 2012 :
Royal menteur ou menteur royal?

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Je n’ai vu hier soir que la seconde partie de l’émission, sur la 2, dans laquelle Hollande et Sarkozy étaient successivement soumis aux questions de journalistes, et je ne parlerai donc que de Sarkozy. Une remarque tout d’abord : en 45 minutes il n’a prononcé qu’une seule fois le mot gouvernement (« le gouvernement de François Fillon »). Pour le reste, nous avons eu droit à un festival de je : « j’ai voulu, j’ai fait… » pour le passé et, pour ce qui concerne son éventuel avenir « je ferai » et non pas « je demanderai au gouvernement de faire». A croire qu’il n’a pas eu et n’aura pas de ministres, qu’il a été et serait seul maître à bord : une leçon de choses linguistique, une illustration de ce que nous pourrions appeler de l’egopolitique. Mais cela, nous le savions déjà.

En revanche, j’ai été frappé par l’aplomb avec lequel il ment. David Pujadas l’a mis face à ses contradictions sur deux points. Sarkozy a en effet nié avoir parlé de vrai travail lorsqu’il a appelé à un meeting pour  le 1er mai, alors que l’enregistrement de son discours montre qu’il a répété cette formule une dizaine de fois. Sa réponse : « J’ai voulu dire une vraie fête du travail ». On croit rêver ! Il a voulu dire ! Il serait donc incapable de dire ce qu’il voulait dire et aurait répété dix fois son erreur! Personne ne peut le croire, mais il assène sa vérité : circulez, il n’y a rien à voir. Deuxième exemple : Sarkozy, rappelle Pujadas, a déclaré être allé à Fukushima alors qu’il n’y a pas mis les pieds. Avec le même aplomb le candidat déclare qu’il est allé à Tokyo, ce qui est vrai, et qu’il était donc aux premières loges pour observer ce qui s’était passé dans la centrale nucléaire (précisons qu’elle se trouve à 238 kilomètres de la capitale). Et il lance : « Il vaut mieux dire j’ai été à Fukushima que j’ai été  à Tokyo ». Il vaudrait mieux dire je suis allé, mais là n’est pas la question. En effet, sur le vrai travail comme sur Fukushima, Sarkozy a menti. Il savait très bien qu’il avait dit vrai travail, il savait très bien qu’il n’était pas allé à Fukushima, mais il affirmait le contraire…

Si nous considérons maintenant les deux paragraphes ci-dessous, le premier nous montre que Sarkozy a une vision régalienne (du latin rex, regis, "roi") de la fonction présidentielle, il décide de tout, et le second nous montre qu’il est un fieffé menteur. Un royal menteur, ou un menteur royal, au choix.

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fleche26 avril 2012 :
Lectures...

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Pour ceux qui aiment les langues "étrangères", et les lisent, je vous signale deux publications de votre serviteur.

En arabe, Les politiques linguistiques, aux éditions El-Ikhtilef, à Alger.

En brésilien, Sociolinguistica, aux éditions Parabola, à Sao Paulo. Cette deuxième édition brésilienne est différente de la première: elle reprend les modifications que j'ai apportées dans la septième édition française de La Sociolinguistique (Que Sais-Je?, PUF).

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fleche24 avril 2012 :
Plagiat?

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Nicolas Sarkozy était hier à Saint-Cyr-sur-Loire, pour son premier meeting de second tour. Et il a lancé « je veux parler aux petits, aux sans grades », phrase qui devrait vous rappeler quelque chose. Le 19 janvier, en effet, à Dunkerque, François Bayrou s’était adressé « aux petits , aux obscurs, aux sans-grades ». Alors, Sarkozy plagiaire de Bayrou ? Les choses ne sont pas aussi simples car  Marine Le Pen avait déjà accusé le président du MODEM  de plagier son père : « Bayrou fait du Le Pen. Mais tout le monde fait du Le Pen en réalité, avec plus ou moins de succès, il faut bien le dire ». Il est vrai qu’au soir du premier tour de la présidentielle de 2002, le papa de Marine avait lancé : « N’ayez pas peur de rêver, vous les petits, les sans-grades, les exclus ». Alors, Sarkozy plagiaire de Le Pen? Il est sûr que ces mots n’ont pas été choisis au hasard et que, derrière ces « petits » ou ces « sans grades », il vise les électeurs du Front National. Mais, là aussi les choses ne sont pas si simples. Car Jean-Marie Le Pen reprenait en 2002 un passage de L’Aiglon d’Edmond Rostand : « Et nous, les petits, les obscurs, les sans-grades ». Nous sommes donc face à une suite d’enchâssements de plagiats, Sarkozy plagiant Bayrou qui plagiait Le Pen qui pillait Rostand, ou Sarkozy plagiant directement Le Pen, sans exclure l’hypothèse que la plume de Sarkozy, Henri Guaino, ait plagié sciemment Le Pen en gardant sous le coude la référence à Rostand au cas où on l’accuserait de plagier Le Pen… Oui, tout cela est bien retors. Mais tous semblent avoir oublié que Rostand, trois vers plus loin, écrivait : « Nous qui marchions toujours et jamais n'avancions ».

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fleche23 avril 2012 :
Piqûre de rappel

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Nous voici donc dans le deuxième tour. La une de Libération, ce matin, ignore Sarkozy et nous donne un titre en forme de slogan : Hollande en tête, Le Pen trouble la fête. Tout y est, la rime, le rythme. Essayez. En plaçant deux syllabes brèves dans la deuxième partie de la phrase, on peut la scander en marchant. Mais, quoiqu’il en soit, ce n’est à Le Pen mais à Sarkozy qu’Hollande va maintenant être confronté.

Je ne sais pas, bien sûr, quels arguments nouveaux les deux candidats vont sortir. Jusqu’à il y a un an, Sarkozy, anticipant la candidature de Stauss-Kahn, se préparait avec gourmandise à déballer ses affaires de fesses, et il est depuis l’affaire du Sofitel de New York orphelin de ses dossiers de basse police. Mais, des dossiers, il en a pour sa part quelques-uns aux fesses, du côté de Karachi, de madame Bettencourt ou de Neuilly. Seront-ils évoqués entre les deux tours ? Nous verrons. Pour ma part je voudrais vous faire une petite piqûre de rappel.

Souvenez-vous, c’était en novembre 2006, et Nicolas Sarkozy, invité à la télévision, évoquait dans la partie économique de son intervention une usine de céramique de Limoges qui s’était, disait-il, reconvertie en fabriquant « des prothèses pour réparer les factures ». Réparer les factures ? Sur le moment je n’avais trouvé aucune explication à ce qui ne m’apparaissait pas encore comme un lapsus, j’avais simplement noté cette phrase. Trois mois plus tard, le 27 février 2007, Le Canard enchaîné révélait l’affaire de l’appartement de Sarkozy, dans l’île de la Jatte, pour lequel il aurait d’abord  vendu, au nom de la ville dont il était maire, un terrain à un promoteur immobilier avec un rabais de 775.000 euros, puis aurait obtenu à son tour du même promoteur un rabais de 300.000 euros à l’achat de son duplex. Et je m’étais dit, ce n’était bien sûr qu’une hypothèse, qu’en novembre Sarkozy avait dû apprendre que Chirac était au courant de cette histoire et qu’il risquait de la « faire fuiter », et qu’il se demandait donc comment trouver des factures prouvant sa bonne foi. Factures/fractures, tout s’éclairait. Le lendemain,  à la radio, François Fillon était interrogé sur ce dossier, et il répondait bien sûr que Nicolas était innocent, qu’il recherchait les « fractures qui le prouveront ». Les fractures ! Cet original lapsus en miroir est un cas d’espèce assez rare et il signifiait peut-être que, dans l’équipe de campagne du candidat, on se préoccupait depuis longtemps de cette histoire et qu’on n’avait pas oublié le lapsus de départ, « les prothèses pour réparer les factures ».

Depuis lors, grâce au juge  Philippe Courroye, le dossier a été enterré. Pour longtemps ?

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fleche22 avril 2012 :
Une semaine à Tunis

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J’avais depuis plusieurs années noté que, dans la majorité des villes de Tunisie, il y avait un « boulevard de l’environnement », ce qui était légèrement surprenant étant donné le peu d’intérêt que le pouvoir semblait accorder à l’écologie. Je viens de me rendre compte qu’en fait, dans la plupart des cas, cet odonyme en avait remplacé un autre, « avenue Habib Bourguiba ». En fait la plupart de ces avenues Bourguiba avaient été débaptisées après le coup d’état réalisé par Ben Ali le 7 novembre 1987, les unes devenant « boulevard de l’environnement » et les autres « avenue du 7 novembre ». Il y a un peu plus d’un an, le 14 janvier 2011, la révolution de jasmin a mis fin au pouvoir de Ben Ali, et les avenues commémorant son arrivée au pouvoir ont été à leur tour débaptisées, devenant par exemple « avenue du 14 janvier ». Et cette double chronologie, Bourguiba devenant 7 novembre ou Bourguiba devenant environnement, puis 7 novembre devant 14 janvier montre bien la marque du pouvoir sur les odonymes, les noms de rues ou de voies. Il y a encore en France beaucoup d’avenues Thiers, le massacreur de la Commune de Paris, ce qui constitue un véritable scandale, et j’aime à croire qu’il n’y aura jamais de rue, boulevard, place ou avenue Sarkozy. Mais, dans ma grande tolérance, si certaines municipalités de droite tenaient vraiment à avoir des impasses Sarkozy, j’avoue que je ne m’y opposerais pas outre mesure…

Je viens donc de passer une semaine à Tunis, invité par l’université de La Manouba, et cette petite introduction toponymique me mène à la question centrale aujourd’hui. Comment va le pays ? Où en est-il ? On m’explique que tout est comme avant, que rien n’a changé, que le système des copains, du népotiste, des prébendes, des passe-droits mis en place par ben Ali et été repris et adapté par les islamistes, à une différence près.  Laquelle ? Avant on subissait, on se taisait, maintenant on peut en parler, l’écrire dans les journaux, protester. Mais cela ne change pas grand chose… Le coût de la vie augmente, les salaires ne bougent pas, le chômage des jeunes connaît une croissance exponentielle, mais le gouvernement n’intervient pas. Les nahdawi, les membres d’En Nahda, aujourd’hui au pouvoir ? La seule chose qui les intéresse, me dit-on, c’est la femme : couvrir, cacher son corps. Ils sont obsédés par les cheveux, le cul, les fesses, les jambes de la femme… Il faudra un jour faire la psychanalyse de l’islamisme, de la grande frustration sexuelle qu’il y a derrière le statut qu’il veut imposer à la femme. La gauche quant à elle est divisée, éclatée, un peu KO. Restent les salafistes, une minorité exaltée qui tente de terroriser tout le monde et que les nahdawi laisse faire en penser sans doute les manipuler pour s’avancer derrière eux, masqués, et récupérer leurs revendications à leur profit.

Mardi 17 avril, après une conférence donnée à l’université de la Manouba, je vais régler des problèmes administratifs aux services du rectorat. Devant les locaux, un groupe de jeunes salafistes, dans la tenue presque caricaturale que l’on sait, barbe, calotte ou capuche, qui n’empêchent pas vraiment l’accès mais prennent un air menaçant… A la sortie, j’en vois un assis derrière une table sur laquelle est accrochée une pancarte disant en français « dégage ». Je lui demande qui doit dégager, il me répond : el ‘amid, « le doyen ». Je rigole intérieurement parce qu’il y a quelques semaines, dînant au Maroc avec des collègues et un ami doyen j’avais détourné un slogan égyptien pour lancer par plaisanterie ech chaab yourid digagé el ‘amid, « le peuple veut dégager le doyen ». Mais ici, ils sont sérieux. Un autre arrive, vociférant en arabe : « les français dehors… ». J’essaie de lui dire que je suis né en Tunisie, que je suis un peu tunisien, il continue « vous nous avez colonisés, nous allons tuer la francophonie… » Mais ce qui me frappe le plus c’est son attitude, sa bouche tordue, ses yeux exaltés et son intonation haineuse, une haine qui ne me vise pas uniquement et semble dirigée contre l’ensemble de la société. Que veulent-ils ? Un lieu de prière sur le campus, le droit d’accès aux cours pour les étudiantes portant le niqab, les « niqabées » comme ont dit en français local… Tout cela est théoriquement réglé depuis longtemps par la loi: la religion doit rester hors de l’université, il faut avoir le visage découvert pour suivre les cours et passer les examens. Mais ils n’en ont cure et veulent imposer leur ordre. Une heure plus tard, ils ont occupé les locaux du décanat, bloquant leur accès. Ce mardi-là, comme chaque fois qu’ils se manifestent ainsi, le doyen prévient le recteur qui prévient le ministère… qui se garde bien de se manifester : c’est ce que j’écrivais plus haut, ils laissent faire en espérant récupérer les fruits de cette agitation.

 Des bruits courent : les salafistes  contrôleraient 500 mosquées, ils tiendraient le village de Sedjenane, voudraient en faire une enclave islamiste. Difficile à vérifier. Mais ceux qui interviennent ce jour-là à l’université disent un peu n’importe quoi, par exemple que, dans les cours de français, on insulte le prophète, ce qui est évidemment stupide… Mais il est sûr qu’ils  ont la langue française, les Français et les francisants dans le nez. Ils sont en Tunisie une poignée, qui rêvent d’un califat, d’un territoire gouverné par un descendant du prophète (si vous êtes de cette lignée, vous avez peut-être un avenir devant vous là-bas…), d’un drapeau noir qui n’a rien à voir avec l’anarchie mais tout avec l’oppression… Et pour l’instant, hic et nunc, à l’université et à trois semaines des examens, leur stratégie est de tenter de bloquer la machine, de mettre en l’air l’année universitaire. Il y a dans tout cela un nihiliste effarant et, surtout, dans leur discours, un vide sidéral.

De tout cela, la presse européenne parle. Elle parle moins de la formidable résistance des Tunisiennes et des Tunisiens. La gauche est certes divisée, pour l’instant impuissante, mais les citoyens ne baissent pas les bras. Ils répliquent au coup par coup à toutes ces intimidations. Les femmes, surtout, ne supportent pas qu’on décide à leur place de ce qu’elle font de leur corps et le font savoir. Des intellectuelles athées, disent bien sûr les salafistes. En fait, j’ai aussi rencontré des gens âgés, membres des classes moyennes, musulmans pratiquants mais qui n’ont pas la même conception de la religion et n’ont pas l’intention de se laisser faire. A l’université, quand une « niqabée »  refuse de sortir du cours, le prof arrête son enseignement. Dans la presse, les caricaturistes s’en donnent à cœur joie. Et, surtout, Face book est le lieu de toutes les résistances, de toutes les plaisanteries. Bref, la résistance est partout, mais lorsqu'on parle de résistance c'est bien sûr qu'il y a un danger.

Tout cela laisse un goût amer.  La Tunisie s’en sortira sans doute, ce peuple est trop attaché à la tolérance et à la liberté pour se laisser imposer une vision médiévale de la religion. Mais ailleurs ?

Bon, dans l’immédiat, il faut nous occuper de nous. Demain, tous aux urnes!

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fleche13 avril 2012 : Le
éfti

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Hier soir, au cours de l'émission Des paroles et des actes, François Langlet interroge Sarkozy: pourquoi le Financial Times, porte-voix de la finance, semble-t-il plutôt favorable à François Hollande? Réponse de Sarkozy: "Le éfti comme on dit dans les milieux informés...". Et dans les minutes qui suivent il répétera une quinzaine de fois ce éfti, pour FT bien sûr, c'est-à-dire pour Financial Times. Pour une fois le je passait dans son discours à la deuxième place... Et le ti de éfti cherchait bien sûr à "faire" anglais (il aurait pu, à la française, prononcer éfté). Mais pourquoi ce sigle? Parce qu'il est incapable de prononcer correctement Financial Times? Pour frimer, faire croire qu'il est dans les milieux financiers comme un poisson dans l'eau? Juste avant, il avait en effet successivement déclaré "j'ai l'expérience de la gestion des crises" et "on n'a pas perdu le triple A car il faut deux agences sur trois..." Ah bon? Mais, pour revenir aux sigles, je lui suggère de citer dorénavant les quotidiens français de la même façon: elle aime (Le Monde), elle (Libération), elle hache (L'Humanité) et elle effe ou elle fait (Le Figaro). Cela ferait plus français et, surtout, cela introduirait un peu de féminitude dans son discours...

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fleche12 avril 2012 : La
parence

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 Mon "carnet de bal" est très (trop?) rempli ces temps-ci, je voyage dans tous les sens et j'ai tendance à m'absenter non seulement de France mais aussi de ce blog. Mais pour une autre raison: comme je l'écrivais avant-hier j'ai tenu une sorte de journal de campagne électorale (pas la mienne, je ne suis candidat à rien). Le résultat, si cela vous intéresse, est ici: http://www.telerama.fr/idees/presidentielle-j-10-la-campagne-vue-par-le-linguiste-louis-jean-calvet,80140.php

Ceci dit, je me suis bien amusé hier en écoutant Eva Joly déclarer que "les femmes disposent de leur parence". Il y a là un phénomène de segmentation assez fréquent. J'avais par exemple entendu des non anglophones natif demander des "noranges", an orange étant reçu comme a norange... Il s'agissait de Mexicains, et la présence dans leur tête du mot espagnol naranja facilitait l'erreur. Ici, c'est bien entendu l'apparence qui a été segmenté en la parence. Mais elle a raison, Joly, c'est joli, la parence.

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fleche10 avril 2012 : La honte !


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 Je viens de terminer un texte sur la campagne électorale pour le site de Télérama et j'ai donc suivi depuis trois mois ce que les différents candidats faisaient et disaient. J'en ai donc entendu des vertes et des pas mûres... Mais c'est samedi dernier que le record a été battu. Un journal télévisé présentait Sarkozy critiquant les propositions de Hollande : Hollande veut bloquer les prix du pétrole : "Il a le sens de l'humour. Il va mettre un petit écriteau en demandant aux Saoudiens de ne pas augmenter les prix ?". C’était d’une totale mauvaise foi (en fait Hollande veut bloquer le prix en France, pas à la production), mais de bonne guerre. Et puis, soudain, la honte.  Le candidat PS, assure Sarkozy, veut fermer la centrale de Fessenheim à cause de Fukushima (encore un peu de mauvaise foi, mais passons). « Mais Fessenheim c’est en Alsace. Où elle est la plage ? ». Et il s’arrête avec l’habituel sourire idiot et satisfait qu’il affiche quand il croit avoir fait un bon mot, comme s’il voulait imiter Louis de Funès. La honte ! Et l’assistance rigole. Encore la honte ! Les Japonais apprécieront que l’on plaisante sur un tsunami ravageur. Nah nah nah nah nah nah, nous on n’a pas de plage à côté des centrales, on ne risque rien… Cet homme n’a aucune morale, il est prêt à tout pour grappiller quelques voix, à faire rire avec, en coulisse, 30.000 morts!

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fleche3 avril 2012 : Suggestions

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 Cette partie de mon site a été, comme vous le voyez, reformatée (merci Michel), ce qui est une bonne nouvelle. D'ici quelques jours le reste sera également rénovée, et ma bibliographie mise à jour.

Mais ce n’est pas la seule bonne nouvelle. En effet, vous vous en êtes sûrement rendu compte,  la révolution est en train de faire aux USA d’énormes progrès. Les moustachus ont réclamé une déduction fiscale de 250 dollars, car « ils ont augmenté de 38,7% la beauté des gens de ce pays grâce à leur système pileux », et cela coûte cher d’être beau . Ils ont raison, les moustachus, leur contribution esthétique à la grande nation américaine doit être reconnue. Mais pourquoi s’arrêter là ? Il y a bien d’autres citoyens méritants à récompenser. En cette période de campagne électorale, alors que le candidat Sarkozy semble ramer pour élaborer son programme (cela fait des semaines qu’il nous l’annonce), je voudrais donc dans ma grande mansuétude lui suggérer, lui qui prétend lancer une idée par jour, quelques thèmes, la liste qui suit n’étant bien entendu pas limitative.

-Tout d’abord, étant donné le coût prohibitif des coiffeurs, il serait juste soit de taxer les chauves soit d’accorder une déduction fiscale aux chevelus.

-Et les fumeurs de pipe? Ils n’utilisent pas de papier à cigarette. Or, pour faire du papier, il faut utiliser des fibres cellulosiques végétales, c’est-à-dire qu’il faut abattre des arbres. Le papier à cigarette a donc une empreinte écologique importante : le bois, mais aussi l’eau, et les transports, ainsi que l’appauvrissement de la biodiversité. En outre 78% du papier utilisé en France est issu de l’exportation. On voit donc que les fumeurs de pipe sont particulièrement vertueux. Et comme ni Bayrou, qui veut consommer français, ni Joly qui défend pourtant l’environnement, n’y ont pensé, Sarkozy serait bien inspiré de créer une taxe sur les non-fumeurs de pipe. D’ailleurs Edgar Faure avait naguère fait œuvre de précurseur, en instaurant une déduction d’impôt pour les fabricants de pipe de Saint-Claude (il est vrai qu’ils étaient dans sa circonscription électorale).

-Il faudrait aussi penser aux porteurs de talonnettes, qui ont des frais de chausseur qu’il convient de prendre en considération : une paire de chaussures avec talonnettes, cela constitue un surcoût ! En outre, si ces talonnettes sont fabriquées en France, il serait bien d’envisager une aide aux PME qui les produisent.

-N’oublions pas les philatélistes, qui font gagner d’énormes sommes aux services des postes de tous les pays du monde en achetant des timbres par milliers. Sarkozy devrait donc lancer une campagne d’incitation à consommer français : récompenser les collectionneurs de timbres de chez nous. Je suis sûr qu’il dispose déjà d’un sondage sur les intentions de vote de ces derniers. Les titulaires des plus belles collections de timbres français pourraient par exemple être invités à une soirée au Fouquet’s.

-Je vois d’ici les nombreux propriétaires de boas domestiques protester : et nous ? Et bien oui, le boa constrictor mesure près de trois mètres, et certaines espèces brésiliennes atteignent les cinq mètres. Il leur fut donc de la place, beaucoup de place, et le prix de l’immobilier ne cesse de monter. Les amateurs de ces charmants reptiles, comme tous les amoureux des animaux encombrants,  devraient donc bénéficier d’une allocation spéciale au logement, qu’il faudrait cependant plafonner car certains pourraient exagérer en adoptant illico des éléphants ou des hippopotames.

-Dans le cadre de la lutte contre les paradis fiscaux, pourquoi ne pas faire obstacles aux produits qu’ils nous envoient ? La Suisse par exemple, dont les banques conservent déjà l’argent de nos évadés fiscaux, exporte en outre des Rolex, ces montres fabriquées dans des conditions inhumaines, par des enfants en bas âge travaillant à la chaîne pour des salaires de misère. Taxer à la frontière les Rolex serait une mesure exemplaire, que les électeurs approuveraient sans aucun doute.

-Pour faire rentrer de l’argent dans les caisses de l’Etat, on pourrait également imaginer de réformer le système des contraventions. Ne plus verbaliser les excès de vitesse par exemple, puisqu’ils occasionnent une augmentation de la consommation d’essence et donc une augmentation des rentrées fiscales grâce à la TTIP.

-Et l’alcool ! 28% des accidents mortels sont explicables par le taux d’alcoolémie des chauffeurs. C’est-à-dire que les buveurs d’eau sont responsables de 72% des accidents. Alors que les bouilleurs de crus rencontrent les pires difficultés. Il faut donc d’urgence lutter contre la consommation d’eau.

-Mais il ne suffit pas de faire rentrer de l’argent, il faut aussi faire des économies, diminuer les dépenses de l’Etat. Nous faisons tous des efforts, et il faut nous en récompenser. Par exemple les candidats à l’élection présidentielle qui obtiennent plus de 5% des voix touchent huit millions d’euros d’argent public s’ils ne passent pas le premier tour, dix millions s’ils atteignent le second. Il conviendrait donc de mettre à l’honneur d’une façon ou d’une autre ceux qui pour leur campagne utilisent de l’argent privé, des enveloppes de cash, diminuant d’autant la dépense publique. Ou encore,  certains membres de la police ont évité d’énormes frais d’incarcération et de justice en abattant Mohamed Merah : ils méritent une prime.

Bon, j’ai du travail, mais sii vous avez d’autres idées, dépêchez-vous de les proposer. On nous annonce le programme du président-candidat pour bientôt.

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Mars 2012

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fleche25 mars 2012 : Synesthésie


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Gand, Anvers, Courtrai, je viens de faire des conférences en Belgique flamande et j'ai été frappé par un fait récurrent. Dans les trois villes en effet, chaque fois que j'entrais chez un vendeur de journaux, je constatais la même chose : la presse flamande, bien sûr, plus plusieurs titres en néerlandais, un journal français (Le Figaro ou Le Monde, selon les cas), un autre espagnol (le plus souvent El Pais), deux ou trois titres anglais, un journal turc et un chinois, mais aucun titre belge francophone. Oui, vous avez bien lu, aucun journal belge en français. Cela est d'autant plus frappant qu'entre ces villes je suis passé à Bruxelles où j'ai donné une conférence au Parlement Européen. Là, le plurilinguisme est roi. La salle dans laquelle je parlais était entourée d'aquariums (les cabines des interprètes) : on y traduit 23 langues, bientôt 24 lorsque le croate deviendra à son tour langue officielle. Et cette politique linguistique de l'Union Européenne tranche étrangement avec ce qui ressemble fort à un ostracisme de la presse francophone en Flandre… A Bruxelles, mon hôtel se trouvait dans le quartier d'Ixelles, et un ami malicieux m'informa qu'on y trouvait de nombreux SDF français. Des SDF ? Oui, mais pas des « Sans Domicile Fixe », des « Sans Difficultés Financières ». Ce qui nous ramène donc à la France… J'ai suivi de loin (enfin, pas très) les crimes de Mohamed Merah et ne suis rentré en France qu'après le dénouement, mais j'ai vu à la télévision une interview d'Amaury de Hauteclocque, le patron du RAID, racontant l'assaut final. En voix off un journaliste le présentait et nous disait avec gourmandise qu'il était le petit neveu du général Leclerc (de son vrai nom Philippe de Hauteclocque), qui joua le rôle qu'on sait lors de la dernière guerre mondiale, libérant Paris puis poussant jusqu'à Berchtesgaden, en Bavière. Et j'ai ressenti une certaine gêne. Le petit neveu parlait dans un étrange décor. Derrière lui, un cadre que je n'ai pas identifié, de couleurs sombres, tirant sur le noir, et deux armes croisées, des fusils d'assaut je crois. Et ce décor interpellait le sémiologue. Deux jours avant, à Courtrai, j'étais entré dans une brasserie et, assis devant ma bière trappiste, levant le nez, j'avais vu une affiche du Vlaams Belang, ce parti flamand limite fasciste. Et l'interview d'Amaury de Hauteclocque m'a immédiatement fait penser à cette mauvaise surprise. Entre ces deux moments, une affiche du Vlaams Belang et le décor d'une interview d'un officier français, s'établissait subitement une relation. Ce doit être ce qu'on appelle la synesthésie.Si vous trouvez sur la toile la vidéo de cet entretien, vous comprendrez peut-être ce que je veux dire.

Bien, je pars pour le Congo, à mon retour ce site sera remanié (oui, nous avons pris du retard...).

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fleche 17 mars 2012 : Absence


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Ce site va entrer dans une phase de restructuration. Cela tombe bien, je pars pendant cinq jours faire des conférences en Belgique. A bientôt, donc.

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fleche16 mars 2012 : Disparitions


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Stéphane Guillon, qui a beaucoup d'humour (mais il est vrai que c'est son métier) déclare un peu partout depuis quelques semaines qu'il craint la défaite de Sarkozy. En effet, explique-t-il, qu'allons nous devenir (il veut parler des humoristes) si notre meilleur cible disparaît de la scène politique. Et je le comprends, Guillon. A mon humble niveau, par exemple, je suis en manque, un insoutenable manque, depuis que Nadine Morano et Frédéric Lefebvre ont disparu. Vous avez remarqué? Vous avez des nouvelles d'eux? Il semblerait que l'équipe de campagne de Sarkozy leut ait imposé le silence. Trop excessifs? Trop vulgaires? Allez savoir, mais ce qui est sûr c'est qu'on ne les entend plus, ne les voit plus. Ils sont privés de parole. Une autre disparition, également insupportable et que vous avez sans nul doute remarquée, est celle des talons de Nathalie Kosciusko-Morizet. Elle était perchée sur des échasses ou presque, qui lui donnaient de 15 à 20 centimètres de plus, et voilà qu'elle est désormais en ballerines. Ce n'est pas le pied! Là aussi quelqu'un est intervenu. Depuis que madame Kosciusko-Morizet est porte-parole de Sarkozy, elle a perdu de la hauteur...

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fleche13 mars 2012 : Pinocchio


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Nous l'avons tous entendu : dans les coulisses d'une émission de télé que faisait son mari, Carla Bruni a d'abord joué à la comique en expliquant que leur couple était fait de « gens modestes », puis a déclaré que les journalistes étaient tous des Pinocchio, accompagnant cette affirmation d'un geste allongeant son nez. Accordons-lui l'espace d'un instant du crédit : les journalistes seraient des menteurs. Ainsi, lorsque Le Figaro explique chaque jour que François Hollande a tous les défauts et que Nicolas Sarkozy est le sauveur de la France, il ment ! Vous vous rendez compte ? Pour la « première dame de France », Le Figaro, entre autres organes de presse, raconte des blagues ! Tous les journaux mentent ! Promis juré, demain j'arrête de lire la presse. Merci Carla, je vais faire des économies.

Plus sérieusement maintenant. Le Sarkozy avait il n'y a guère comparé les magistrats à des petits pois, voici que la Bruni (j'utilise bien sûr ces expressions, Le Sarkozy, la Bruni, par respect, comme on disait la Calas), voici donc que la Bruni traite les journalistes de menteurs. Et personne ne bronche ! La France est une « démocratie » dans laquelle le président peut insulter la magistrature et sa femme les journalistes, sans qu'aucune plainte en diffamation ne soit déposée ! Mais que font les syndicats ? On croit rêver. Ces « gens modestes » peuvent dire n'importe quoi impunément ! Il est vrai que la presse est pusillanime, qu'elle ne nous informe pas assez, nous cache des tas de choses. Ment-elle pour autant ? Par exemple, je me sens insuffisamment informé. J'aurais aimé en savoir plus sur l'affaire de Karachi, plus sur l'histoire Woerth-Bettencourt, plus sur les mensonges de Sarkozy à propos de la vente de Rafales au Brésil, mais rien ! La presse nous cache tout, elle ment par omission, elle a raison la Bruni.

Autre exemple. Avant de faire mon choix pour l'élection présidentielle j'aimerais disposer d'un bilan psychiatrique du Sarkozy. Quel journal me le donnera ? Ou encore, c'est mon péché mignon, j'aime bien être au courant des petits secrets des grands de ce monde, même s'ils sont « modestes », et je rêve d'avoir la liste des amants de madame Bruni. Mais la presse me déçoit, elle ne dit rien.

Bon, je sais, c'est bas. Mais il faut bien s'amuser de temps en temps. Et de toute façon, si la presse publiait une telle liste, elle mentirait. Tous des Pinocchio !

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fleche
11 mars 2012 : Villepinte


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Je viens d'enchaîner deux semaines de travail à l'étranger, au Cameroun puis au Maroc, ce qui par parenthèses explique ma longue absence de ce blog. Dans le premier cas j'ai encadré un stage de formation à la politique linguistique de gens venus de huit pays africains, et dans le second je suis allé travailler à l'IRCAM (institut royal de culture amazighe) de Rabat. Et je retrouve, bien sûr, le train-train de la campagne présidentielle. Nous en reparlerons plus loin pour l'instant je ne vais pas vous raconter le détail de mes activités outre-mer mais juste évoquer deux choses.

Le 29 février, à la une d'un quotidien camerounais, Le Jour, je vois un titre d'accroche : « le Code perturbe le sommeil de Paul Biya ». Le président de la république camerounaise est-il à ce point préoccupé par les problèmes juridiques qu'il en perd le sommeil ? Je me précipite (enfin, n'exagérons rien, je vais) à la page 4 et tombe effectivement sur un article titré « Vers un Code électoral unique », expliquant que le dit code doit être modifié. Mais je ne vois rien dans le texte qui puisse produire la moindre insomnie : j'y apprends simplement que le président Biya est parti pour « un court séjour privé » en Europe, le journal ajoutant perfidement que ce court séjour «a déjà fait 29 jours ». Puis, en parcourant le reste de la page je vois un autre titre, « Manifestation devant l'hôtel de P. Biya », et je comprends tout. Le président réside depuis un mois dans un palace de Genève, ce qui est son droit le plus strict si ses moyens le lui permettent (et il semblerait que oui…). Mais des militants du Collectif des organisations de la diaspora camerounaise (dont le sigle est Code) ont décidé de venir manifester devant le palace, d'en investir le hall nuitamment et bruyamment, scandant des slogans déclarant qu'on ne dirige pas un pays de l'étranger, que le président devrait rentrer au pays et se mettre au travail. Il semblerait en effet que le président ne réunisse le conseil des ministres qu'une fois par an… Voilà donc le Code qui perturbait le sommeil du président. Conclusions ? Le Code n'était pas celui que je croyais, bien sûr, et comme je suppose que n'importe quel lecteur camerounais l'aurait compris tout de suite cela nous montre au minimum qu'un titre ou une phrase peuvent être diversement perçus selon la condition du récepteur. Quant aux allégations des militants du Code concernant Paul Biya, j'ai bien entendu trop de respect pour la fonction présidentielle pour leur accorder le moindre crédit….

Passons au Maroc. L'IRCAM est une énorme institution, regroupant des dizaines de chercheurs qui travaillent donc sur l'amazighe (langue que vous connaissez sans doute sous le nom de berbère), langue officialisée depuis peu, au même titre que l'arabe (enfin, presque, mais le décorticage du passage de la nouvelle constitution concernant ces deux langues serait trop long : vous le trouverez sur Internet et pourrez faire votre propre analyse). Ce qui est intéressant, c'est qu'il y a désormais des classes dans lesquelles les élèves apprennent trois langues (amazighe, arabe, français) et trois systèmes graphiques (tifinagh, alphabet arabe, alphabet latin). L'expérience est trop récente pour que nous puissions déjà l'évaluer, mais en ces temps où l'on parle beaucoup de diversité, elle mérite d'être suivie. Bien sûr se pose un problème énorme : les deux langues officielles, l'amazighe et l'arabe, ne sont en rien comparables. L'une est la langue maternelle d'une bonne partie de la population, l'autre n'est parlée par personne et ne doit son statut officiel qu'à son rôle religieux, un peu mythique. C'est-à-dire qu'à terme ne pourra que se poser la question suivante : si l'une des deux langues populaires du Maroc, l'amazighe, est officielle, pourquoi l'autre, l'arabe marocain, ne le serait-elle pas. Ce qui pose, bien sûr, un problème de laïcité. Cette question ne se posera donc pas tout de suite…

Pour finir, j'ai dit plus haut que je retrouvais le train-train de la campagne électorale. Or tous les media ne parlent aujourd'hui que d'une chose, le meeting de Sarkozy à Villepinte. Pour Le Figaro c'est « le rendez-vous vérité pour Nicolas Sarkozy », Le Point se demande « va-t-il réussir à relancer sa campagne ? », Le Parisien y voir « un meeting décisif » et pour Le Monde Sarkozy veut y « réinstaller son autorité ». Vous connaissez Villepinte ? Selon le Dictionnaire de tous les environs de Paris (1816), « ce village est très-peu considérable. On y voit cependant un château et quelques maisons de campagne. Situé dans une plaine, il est à 4 lieues, au nord-est de Paris. Les grains sont à peu près la seule production de son territoire ». Depuis lors le village a bien sûr grandi, le château est devenu un sanatorium, mais c'est pour une autre raison que, pour ma part, je connais les lieux. Je n'y suis allé que deux fois, chaque fois au même endroit et pour la même raison : au crématorium, pour un dernier adieu. Serait-ce un signe ?

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Février 2012

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fleche21 février 2012 : De Dumas à Daumier


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Un lecteur dont le blog est abrité par le site du Nouvel Observateur me signale qu’un de ses billets a été refusé. Il y traitait Henri Guaino de « nègre », au sens littéraire du terme, bien sûr. Puis il a réécrit son texte, sans « négritude », et hop, c’est passé. Voici ce qu’il m’écrit : « Une première rédaction où j'avais qualifié M. Guaino de ce qu'il aurait dû rester, un nègre, a valu à mon billet posté dimanche après-midi d'être rejeté. Je suppose que, en l'absence de censeurs humains, un robot a pour tâche de refouler tout texte contenant quelque injure et visiblement ce robot est incapable d'évaluer le contexte des mots employés ». Et voici l’adresse de son site : http://malesherbes.blogs.nouvelobs.com/archive/2012/02/19/ventriloque.html

Je ne sais pas comment fonctionne la « censure » ou la surveillance des sites de ce type. L’hypothèse de Malesherbes est plausible : un robot réagit à des mots clés, considérés comme racistes ou désobligeants, et il y aurait donc un dictionnaire électronique des mots interdits, dans lequel nègre serait métaphoriquement souligné en rouge. Du coup, écrire qu’Alexandre Dumas était un nègre (c’est l’origine du mot au sens de « qui écrit à la place d’un autre », ce qu'on appelle en anglais un ghostwriter) serait censuré. Ce qui nous montre que l’analyse automatique du discours n’en est qu’à ses balbutiements… Mais passons à autre chose, autre chose qui ne nous éloigne pas trop de la mésaventure de Malesherbes. Toute la journée d’hier les media nous ont dit que Sarkozy et Proglio avaient, en loucedé (vous connaissez le largonji ?), décidé de vider le patron de Veolia pour le remplacer par Jean-Louis Borloo, ce qui serait doublement scandaleux. D’une part ce type de décision dépend du conseil d’administration de la boite et non pas de magouilles entre deux hommes, et d’autre part, bien sûr, il était facile de soupçonner que l’on payait ainsi Borloo de son retrait de la présidentielle, ou qu’on le neutralisait pour qu’il ne puisse pas intervenir dans la campagne. Une rafale de démentis a suivi cette fuite, la publicité faite à l'affaire l’a plombée, et Libération titre ce matin Le projet Borloo prend l’eau. Mais nous avons vu hier un peu partout, à la télé, dans les journaux, sur le web, la tête d’Henri Proglio. J’ai toujours pensé que nous étions responsables de notre gueule, qu’il y avait de l’acquis dans l’inné, que nos rides, notre regard, disaient quelque chose de nous. Je me souviens avoir écrit il y a longtemps qu’Hortefeux avait une tête de tortue, plus récemment que Guéant avait une tête de casier judiciaire et hier, pour Proglio, c’est une formule arabe qui m’est spontanément venue à l’esprit, une formule qui était quotidienne dans la bouche des adolescents que nous étions, il y a longtemps, en Tunisie. Je vais la traduire en français : tête de N… Ou, pour être plus précis, tête de N.. en berne. Je viens de l’écrire, je pense que nous sommes responsables de notre tête, et il n’y a donc là pas injure, mais plutôt métaphore. A la métaphore, cependant, je préfère la caricature, et cela me mène à un contemporain d'Alexandre Dumas, Honoré Daumier. Je rêve parfois que quelqu’un reprenne la plume de Daumier. Vous vous souvenez sans doute de la façon dont, par une lente altération des traits , il avait transformé en quatre dessins la tête de Louis XVIII en poire. Ah, si Daumier était vivant, que ferait-il de la tête d’Hortefeux, de Guéant, de Proglio et de quelques autres !

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fleche19 février 2012 : Marionnette

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Luc Ferry, homme de droite, ancien ministre de l’Education Nationale et philosophe mondain, était hier soir invité sur Canal +, dans l’émission de Thierry Ardisson Salut les terriens. Et, consciemment ou pas, il a vendu la mèche, ou du moins une des mèches. Interrogé sur le point de savoir si toutes les civilisations se valaient ou si certaines étaient supérieures aux autres, il a lancé :

« Quand Henri Guaino a dit que l’homme africain n’est pas entré dans l’histoire… »

Or cette phrase, « l’homme africain n'est pas entré dans l'histoire… » est extraite d’un discours prononcé à Dakar par Nicolas Sarkozy, et Ferry ne peut pas l’ignorer, mais il a été écrit par Henri Guaino. D’ailleurs on voit souvent Guaino, capté par d’indiscrètes caméras, assis au premier rang des meetings de son maître et récitant à voix basse les phrases que l’autre prononce à voix forte. Il écrit ses discours, il les connaît par coeur, mais c'est l'autre qui les prononce. Et l’acte manqué (ou volontaire ?) de Ferry souligne quelque chose d’important. Ce qu’il y a de difficile pour le linguiste, avec Sarkozy, c’est qu’il n’a pas de discours propre, il n’a que ceux des autres. Ceux de ses plumes, bien sûr, mais aussi lors de la campagne de 2007 ceux de la gauche, qu’il allait pêcher par triangulation. Et la formule (ou la pique ?) de Ferry fait de Sarkozy une marionnette entre les mains d’un ventriloque. C’est en gros ce que nous écrivions avec Jean Véronis dans notre livre sur les mots de Sarkozy. Mais qu’un ancien ministre de droite le dise aussi….

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17 février 2012 : Affiche


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Non seulement Sarkozy est candidat, mais encore il a désormais un slogan et une affiche. Le slogan, le voici, tel qu’il est imprimé sur l'affiche:

LA
FRANCE
FORTE

On peut bien sûr s’amuser à y trouver des messages subliminaux, par exemple le nom d’une ville allemande (Francfort) en hommage à son soutien Merkel ou, en lisant de haut en bas la deuxième lettre de chaque mot, un ordre d’attaque (ARO, Haro !, comme dans Haro sur Hollande!). On peut aussi changer du tout au tout le sens du slogan en changeant une seule lettre (La France morte). Mais le plus intéressant est l’affiche elle-même : la tête de Sarkozy, à gauche, l’air martial, sur un fond de mer bleue. Bien sûr le candidat n’a pas posé devant la mer, il s’agit d’un montage, ou d’un collage, et les accros du web se sont immédiatement lancés à la recherche de la source : d’où vient cette photo maritime ? Et ils ont trouvé : d’une banque d’images. De quelle image s’agit-il ? De la Méditerranée, disent-ils, et plus précisément de la mer Egée, c’est-à-dire de la Grèce. La Grèce, ce pays en faillite ! Et la mer dans laquelle Egée, croyant son fils Thésée mort, se précipita et périt! Mauvais présage, candidat Sarkozy! Alors, France forte ou France morte ?

Allez, souriez : on a le droit de s’amuser !

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fleche15 février 2012 : Saga à suspense


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Tout d’abord quelques définitions. Une saga signifie aujourd’hui en français (ce n’est pas son sens en islandais) une longue histoire à rebondissements. Le suspense est un stress lié à l’incertitude, ou une incertitude qui vous met en état de stress. Une saga à suspense serait donc une suite de rebondissements qui chaque fois nous mettent dans l’incertitude. La saga, nous venons de la vivre pendant des mois : Sarkozy sera-t-il candidat ? Quand se déclarera-t-il ? Le problème est que tout le monde savait qu’il serait candidat, et donc qu’il n’y avait aucun suspense sur ce point. Quant au moment de la déclaration, cela ne changeait pas grand chose, sauf du point de vue stratégique, et il entretenait donc un suspense sur le moment de la déclaration et non pas sur le contenu de cette déclaration. Mais la presse l’a entretenu, le suspense, qui était le fondement de la saga.

Nous avons donc vécu une séquence totalement paradoxale. Vous voyez pour la dixième fois un film, par exemple Psycho, de Hitchcock. L’héroïne est sous la douche, vous voyez que quelqu’un la menace, vous voyez son ombre, sur le rideau de la douche, brandir un couteau, vous vous demandez ce qui va se passer, vous le savez déjà mais vous vous le demandez quand même… Suspense paradoxal, puisque vous connaissez déjà la fin, et qu’il n’y a aucun suspense. D’où ma question d’examen: quel intérêt avait donc Sarkozy à entretenir un tel suspense ? J’attends vos réponses.

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11 février 2012 : Bouffer du bourgeois


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Un lecteur qui signe « abbé Suger » m’a écrit hier ceci à propos de mon billet d'avant-hier: 

« Dans la dispute qui oppose les tenants du substantif à ceux du possessif  dans l'expression "les soldes battent son plein"ou "les soldes battent leur plein", vous avez pris parti pour les premiers.Je vous approuve, pour la raison -parmi d'autres- que la tournure me semble plus élégante. Mais pouvez-vous nous en dire plus? »

Je n’aime pas, de façon générale, jouer le rôle du grammairien normatif, mais en l’occurrence, comme on va voir, tel ne sera pas le cas. La forme que j’ai utilisée est en effet probablement erronée, et si je la fais mienne c’est tout bêtement parce que j’ai toujours fait ainsi. Cette habitude remonte sans doute à l’école primaire ou aux premières années du collège, et si les gens préfèrent dire « les fêtes battent leur plein (ou leurs pleins) », c’est leur droit le plus strict. Mais l’abbé Suger met cependant le doigt sur quelque chose d’amusant, ou d’intéressant. J’ai le souvenir d’un instituteur ou d’un professeur nous expliquant que dans battre son plein, son était un nom (un substantif) et que dans une phrase comme la fête bat son plein il fallait comprendre que la musique était au plus haut. Donc, au pluriel, les fêtes ne peuvent que battre son plein. L’ennui est que cette explication est sans doute fausse. En effet il semble bien que la première apparition de battre son plein concerne la marée : « La marée bat son plein », c'est-à-dire qu'elle est au plus haut, avant bien sûr de redescendre, et son serait bien un possessif qui doit donc s’accorder au pluriel. Je continuerai pour ma part à dire les fêtes (ou les soldes) battent son plein, mais chacun fait ce qu’il veut. Cependant, si je me livre à ces considération un peu pédantes, c’est parce qu’elle me rappellent quelque chose d’amusant. Les Américains ont importé d’Allemagne (ou les migrants allemands ont importé aux USA) un sandwich à base de viande hachée, spécialité de la ville de Hamburg et pour cela baptisée hamburger, « hambourgeois ». Mais les anglophones ont vu dans hamburger la racine ham, « jambon », ont donc tout logiquement forgé, pour un sandwich au fromage, cheeseburger, tandis que les néfastes food proposent maintenant à leurs clients diverses formes de burgers, c’est à dire de bourgeois. Bouffer du bourgeois, cela devrait plaire à Jean-Luc Mélenchon… 

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fleche10 février 2012 : Fillon Guéant même combat !


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Sarkozy, qui se prépare à entrer en campagne, ou plutôt à se déclarer candidat puisqu’il est en campagne depuis bientôt cinq ans, annonce et fait annoncer des « idées nouvelles » à venir. La formule doit déjà figurer dans les éléments de langage et vous pouvez vous attendre à la retrouver dans la bouche de tous les cire pompes, Bertrand, Morano, Kosciusko-Morizet Moricet… Il prendra, assure-t-il, Bayrou et Hollande à contre-pied. En fait, tout le monde le sait, il va flatter le populisme ambiant en promettant d’utiliser le référendum, quelque chose comme « vous aurez la parole sur tous les coups dégueulasses que je n’oserais pas lancer moi-même ». Je parlais hier des manœuvres nauséabondes de Sarkozy et Guéant, je ne croyais pas si bien dire, et l’on peut imaginer, dans un régime où l’on considère que le parlement a le droit de légiférer sur le génocide arménien, que l’on aille plus loin encore en demandant aux Français par référendum si toutes les civilisations se valent. Il faut dire que, dans le genre nauséabond, Guéant se surpasse. Ce type dont la gueule ressemble déjà à elle seule à un casier judiciaire a été, lors de son passage à l’Elysée, de tous les sales coups et, en particulier, dans les deux premières années du quinquennat de Sarkozy, il était plus souvent qu’à son tour dans l’avion entre Paris et Damas : le pouvoir syrien, il connaît. Puis il s’est surpassé, les Roms, les expulsions, la culture du chiffre multipliée et maintenant sa sortie sur les civilisations qui ne seraient pas toutes égales. En fait, il est dans son rôle, Guéant, il est payé par Sarkozy pour piquer des voix à Le Pen. Mais le vrai faux cul dans cette histoire c’est François Fillon, le « gentil » Fillon, propre sur lui, gendre idéal, mari fidèle (enfin, je m’avance peut-être…) qui attend que Sarkozy se fasse battre en 2012 pour ensuite tenter de virer Copé de la course pour 2017. Fillon donc, alors que Guéant était attaqué durement à l’Assemblée par un député de la Martinique, s’est levé et a quitté les lieux, entraînant avec lui tout le gouvernement et tous les députés UMP. Si vous lisez la presse de près, ou si vous connaissez l’histoire, vous savez qu’une telle fuite ne s’est jamais produite depuis 1898, au moment de l’affaire Dreyfus, où le gouvernement harcelé au parlement s’était semblablement éclipsé. Du coup, le gentil Fillon a été dispensé de donner sa position sur les déclarations de Guéant. « Toutes les civilisations ne se valent pas » avait déclaré le ministre de l’intérieur. Juppé et Raffarin ont pris, certes avec des gants, leurs distances par rapport à lui. Fillon a pour sa part quitté l’assemblée. Sans avoir à se prononcer. Courage, fuyons, en quelque sorte. Du coup, Guéant Fillon même combat !

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fleche9 février 2012 : Quelques jours à Venise


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Même si l’on trouve ici, bien sûr, tous les journaux, et si l’on peut capter des chaînes françaises, ne pas trop se préoccuper pendant quelques jours de Sarkozy, de Guéant et de leurs manœuvres nauséabondes est un véritable luxe et un repos pour l’esprit. Pour cela, déjà, vive Venise.  Venise qui est à la fois une collection de clichés (le pont des soupirs, les gondoliers, les masques du carnaval…), une source de métaphores (Stockholm Venise du nord, Martigues Venise provençale…) et une ville qui tente depuis des siècles de ressembler à un tableau de Canaletto. Et puis, sous un froid polaire, s’y ajoute une touche surprenante : des glaçons se promènent sur le grand canal, les vaporetti sont obligés de supprimer certains de leurs trajets pour cause de mer gelée, les chiens sont couverts de manteaux de chiens (et leurs maîtresses de fourrures), et les rares touristes semblent crever de froid…

Lorsqu’on se promène, la nuit, dans le quartier de Santa Croce, de ruelle en ruelle, de pont en pont, de canal en canal, on a parfois l’impression d’être attendu au coin du bois. La nuit vénitienne est labyrinthique, toujours, et froide en ce mois de février. C’est donc dans une nuit d’insomnie vénitienne, ou pour être plus précis une nuit vénitienne et d’insomnie, que j’ai lu le dernier livre de Paul Fournel, La Liseuse. Une sorte de postface ironique et obligée (Fournel est président de l’Oulipo) nous apprend que l’ouvrage est un poème de 180.000 signes, espaces compris, et qu’il est constitué de six strophes dont les vers, de façon décroissante, vont de 7.500 à 2.500 signes. Avec, entre les mains, une version papier, on est bien obligé de prendre pour argent comptant les comptes de Fournel. Il y a donc parfois de l’ordre dans le désordre. Mais de là à croire que le labyrinthe vénitien répond également à un ordre, je ne franchirai pas ce pas… Quant au coin du bois de ma première phrase, vous comprendrez quand vous aurez lu le Fournel, ce à quoi je vous engage vivement.

Venise, donc, où je viens de passer quelques jours, vit entre les soldes qui s’obstinent à s’attarder et le carnaval qui s’annonce. Les soldes (saldi) continuent donc de battre son plein, mais à lire la presse, ce sont les subsides (soldi) dont on parle surtout, l’argent que les partis politiques réclament au gouvernement. Saldi/soldi, paire minimale pour débutants en phonologie. Et puisque nous en sommes aux langues : Au palazzo Grassi, à la pointe de la douane, une exposition d’art contemporain s’intitule « le monde vous appartient », ce titre étant décliné en trois langues : Le monde vous appartient, the world belongs to you, il mondo vi appartiene. Mettez dans un shaker, mélangez, et cela donne cette savoureuse publicité plurilingue, que l’on trouve un peu partout dans la ville :

Le mondo vi belongs

The world vous appartient

Il monde appartient to you

Le carnaval se profile donc et partout l’on vend des masques et de longues capes noires. Le carnaval devrait plaire aux salafistes (toutes les femmes sont cachées) et aux féministes (les hommes sont cachés itou). Mais comme, à l’origine, ces déguisements et ces masques permettaient tous les attouchements anonymes, et ce qui pouvait s’ensuivre, ni les salafistes ni les féministes n’y trouvent leur compte. Frustré(e)s et moralistes de tous poils, méfiez-vous des carnavals !

A la galerie de l’Accademia une immense toile de Véronèse qui avait eu le malheur de déplaire à l’inquisition. Elle représente la cène, mais tous les participants (les apôtres donc) semblant se soucier du Messie comme de leur première chemise de nuit et vaquer à d’autres occupations, les sourcilleux juges l’avait déclarée impie. Pas grave : Véronèse débaptise sa toile et l’appelle Le repas chez Levy. Ca me fait beaucoup rire. Pas vous ? Dans une autre salle, je lis plusieurs fois polittico sous des toiles qui n’ont rien de « politique ». Petit mystère étymologique, qui comme on va voir est surtout un mystère graphique (à propos, il y a deux « i grecs » dans ce qui précède, et cela devrait constituer un indice et vous aider à prévoir ce qui suit). En effet les peintures du XV° que je contemplais n’avaient rien de « politiques » mais constituaient des polyptyques, la suite écrite pty en français apparaissant sous la forme tti en italien… Et, pour en finir avec les musées, à la fondation Gougenheim, je tombe sur un petit tableau d’Amédée Ozenfant (1886-1966) et me remonte une bouffée de souvenirs ! En 1961 ou 62, j’avais fait sa connaissance à Vence, et il m’avait donné un dessin dédicacé, qui doit se trouver quelque part dans ma bibliothèque. Je n’imaginais pas que ce vieux monsieur avec qui j’avais bu quelques coups de rouge et qui avait eu la gentillesse de m’écouter jouer de la guitare était un peintre connu, ni bien sûr qui pouvait être présent dans la collection de Peggy Gougenheim… Dès mon retour chez moi je vais me mettre en quête de ce dessin.

Le « dialecte » vénitien est souvent pour moi un véritable mystère. Les cichetti par exemple, variante locale des tapas : d’où peut venir ce mot ? Autre « mystère » (mais tous ces mystères seront résolus dès que j’aurai rejoint ma bibliothèque) : les forts pieux de bois plantés dans l’eau qui servent à la fois à amarrer les gondoles et d’aire de repos aux mouettes s’appellent ici des bricole (pluriel de bricola). Ajoutons-y une note poétique : umbra (« ombre ») pour un verre de vin rouge, et un giro de umbre, un tour d’ombres, pour désigner une virée dans les bistrots, ce qu’on appellerait en anglais un pubs crawl… Mais, surtout, ce qui me frappe toujours en Italie est la vitalité de ces dialectes. De la Sicile au val d’Aoste, partout l’on parle italien et autre chose (dans ces deux exemple le sicilien et le franco-provençal), et cette « autre chose » explique en partie l’absence d’argot italien : les dialectes tiennent lieu de formes cryptiques.

Mais bon, ce soir je rentre en France, qui n’est pas si lointaine, et je reviens au nauséabond.

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fleche1er février 2012 : Le feuilleton des Rafales


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Hier, après avoir présenté ses vœux à la presse, Sarkozy a quitté son pupitre, comme il se devait, puis est revenu en courant, avec un grand sourire, pour annoncer que l’Inde allait acheter 126 rafales, ce qui serait bien sûr une excellente nouvelle pour Dassault, Safran, Thalès et quelques autres entreprises. J’avoue que je me méfie. Vous vous en souvenez, j’ai suivi de près le feuilleton « Rafales au Brésil » avec en introduction Sarkozy affirmant avoir vendu des Rafales à Lula et puis, d’épisode en épisode, le bobard se dégonflant… Que notre cher président, se sentant sur un siège éjectable, cherche des arguments prouvant son efficacité du côté de la vente d’avions n’a rien pour étonner. Mais ma tendance est plutôt attentiste. Tenez, une petite devinette. De qui est cette phrase : « Lorsqu’elle sera confirmée, la commande s’étalera sur plus d’une dizaine d’année » ? Elle est de Gérard Longuet, ministre de la défense. A bon ! La commande n’est pas confirmée ? A suivre…

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Janvier 2012

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31 janvier 201 2: Perspicacité


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Dans les métiers de la communication cela s’appelle du teasing : on nous disait que Sarkozy allait dimanche soir faire des annonces importantes, qu’il allait renverser la table et à 20 heures un journaliste d’A2, en direct de l’Elysée, annonçait « des annonces très importantes, des annonces chocs, des annonces lourdes » auxquelles il fallait s’attendre. Le lendemain, à part le fidèle Figaro, la presse sonnait le glas: « Un président perdu » (Libération), « De l’art de gâcher une bonne idée » (Le Monde), et je laisse de côté les journaux de province, tous dans la même tonalité. Rien à ajouter, donc. J’avoue qu’en fait, stylo en main devant la télé, je n’ai rien trouvé à noter, je veux dire rien de politique. Alors je me contente de vous faire partager une partie de ma moisson linguistique.

« C’est pas un souhait que je souhaite »

« La dégradation des chiffres de l’emploi s’est produit »

« C’est mieux de commencer par le point de départ pour arriver à l’arrivée »

« On licencie ceux à qui on n’a plus de travail »

« Peut-être même faudra-t-il jusqu’à se demander »

« J’ai bien conscience du ridicule que peut avoir les états d’âmes personnels »….

A part ces quelques âneries, bien sûr, il a tout de même annoncé quelques mesures, dont certaines ne devraient prendre effet que …. cinq ou six mois après les élections. Alors, pour conclure, je lui laisse la parole : « Je pense que les Français sont revenus de toutes les promesses ». Quelle perspicacité !

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fleche28 janvier 2012 : Encore un effort


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Reporter sans frontières  publie chaque année un classement des pays du point de vue de la liberté de la presse. En tête, les pays nordiques. Et la France s’y trouve à la 38ème place, deux crans avant la Hongrie ! C’est-à-dire qu’il y a 37 pays mieux classés. Pourquoi la France est-elle à un tel rang? Négation de la protection des sources, écoutes illégales des journalistes (ou plutôt saisie de leurs « fadettes » pour savoir avec qui ils communiquent), droit pour le président de la république de nommer les directeurs des radios et télévisions publiques… La Corée du Nord est, bien sûr, en queue de liste. Mais Reporter sans frontières, au moment d’établir son classement, ne disposait pas  des dernières nouvelles. Demain soir Sarkozy parle en direct sur… six chaînes de télévision ! Les Français qui ne souhaiteraient pas l’écouter et qui n’auraient pas les moyens de s’abonner à Canal + ne pourront donc pas lui échapper. Sauf, bien sûr, s’ils ferment leur poste. Avec le président sur toutes les chaînes d’information, nous allons nous rapprocher d’abord de la Chine et, avec encore un petit effort, de la Corée du Nord. C’est beau, le progrès.

Pour finir sur une touche plus gaie, deux petites notations prises à la volée. Hervé Morin, vous savez, le candidat à l’élection présidentielle qui attend un bakchich de Sarkozy pour se retirer, Hervé Morin donc a lancé dans une belle envolée : « Moi qui ai vu, en Normandie, le débarquement des alliés ». Petit détail : Hervé Morin est né en 1961. Quelle mémoire ! Encore un effort et il nous racontera ses souvenirs de la première guerre mondiale. Et jeudi soir, débattant avec François Hollande du programme économique du candidat socialiste, le lieutenant Alain Juppé ("lieutenant" parce qu'il tenait lieu de Sarkozy, bien sûr: c'est beau l'étymologie), le lieutenant Juppé donc a lâché, à bout d’arguments : « On verra ce que vous ferez… » Lapsus? Défaitisme? Pronostic? Dans les trois cas, le résultat est le même.

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fleche
27 janvier 2012 : Rétroaction

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Je défends depuis longtemps l’idée, développée dans Le jeu du signe (Le Seuil, 2010) que les concepts saussuriens de signifiant et de signifié ne rendent pas compte de façon satisfaisante de la construction du sens. Nous interprétons un signifiant d’une part par anticipation (ce qui  précède, en amont, nous donne un sens attendu) et par rétroaction (ce qui suit, en aval, confirme ou invalide ce sens attendu). Et je trouve tous les jours des exemples venant à l’appui de cette thèse. En voici un qui m’a amusé.   Dans Le Monde daté d’aujourd’hui je lis une analyse du programme de François Hollande par rapport aux propositions attendues de Nicolas Sarkozy. Et je tombe sur ce passage :

« Droit des homosexuels Point de clivage avec la majorité. M. Hollande s’engage clairement en faveur du mariage gay et de l’adoption des couples homosexuels ».

Passons sur la rédaction, qui laisse entendre que l’on pourrait adopter un couple homosexuel. Ce qui m’intéresse en effet est le point que l’on peut comprendre de deux façons, soit comme une négation certes un peu recherchée (il n’y aurait pas de clivage entre Hollande et la majorité), soit comme le contraire (il y a un point de clivage). Et la presse ayant ces derniers temps laissé entendre que Sarkozy hésitait, en tout cas pour le mariage, rien ne permet de choisir entre les deux hypothèses. La suite du paragraphe nous permet, par rétroaction, de choisir le sens adéquat :

 « Nicolas Sarkozy s’était engagé en faveur d’une union civile en 2007, sans y donner suite une fois élu. Cinq ans après, la majorité est toujours très divisée sur le sujet ».

Nous sommes rassurés, il y a un point de clivage, et non pas point de clivage, Hollande n’est pas d’accord avec Sarkozy…

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fleche24 janvier 2012 : A la volée...


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Lorsque les linguistes se constituent un corpus, ils ont le choix entre différentes techniques. Ils peuvent enregistrer, travailler sur des transcriptions, mais ils peuvent aussi, un carnet dans une main et un stylo dans l’autre, noter « à la volée » ce qu’ils entendent. C’est ce que j’ai fait ces derniers jours, et voici quelques éléments de ma récolte.

Je vous parlais le 18 janvier du vocabulaire politique qui évolue lentement vers un vocabulaire militaire. Dimanche, au Bourget, Hollande avait lancé : « Dans cette bataille qui s’engage je vais vous dire qui est mon adversaire ». Le lendemain, dans la presse, à part un « Hollande décolle », fine allusion à l’aéroport du Bourget, le ton est guerrier. Sur France Inter, Pascale Clark utilise cinq ou six fois le verbe riposter et, à propos de l’UMP, déclare que « la cellule riposte envoie ses premiers scuds ». Des scuds ? Ouille ! Il va y avoir des dégâts ! Lundi soir, sur la cinquième chaîne (émission C dans l’air) je note que « Hollande est devenu chef de guerre et il mobilise son camp », et qu’il « est fondamental avant la bataille que le général donne confiance à ses troupes ». Il ne manque que les uniformes ! Un journaliste explique que « Sarkozy doit aller au combat » (on aurait pu attendre « entrer en campagne »), un autre se demande « quand Sarkozy va-t-il contre-attaquer ? » Bien sûr, ce ne sont encore que des mots, mais la campagne promet d’être rude. Pendant ce temps, je note chez certains candidats une subtile récupération d’un thème lepéniste, qui remonte au père et a été repris par la fille, le thème de l’Etat qui serait entre les mains de deux partis, et pour exprimer ce thème la formule UMPS. Ecoutez du côté de Bayrou et de Mélenchon… Dernière notation, qui nous mène vers la poétique : les rimes que certains candidats donnent au nom France. Pour Hollande, c’est espérance. Pour Bayrou résistance. Ce qui nous ramène bien sûr à la guerre…

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18 janvier 2012 : A l'assaut !


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Le 10 juillet dernier Jean-François Coppé, réunissant les « jeunes talents » de l’UMP, avait une série de métaphores curieusement militaires : « Nous sommes en train de préparer les soldats qui mèneront les combats de demain », « ce ne sont pas mes troupes, ce sont celles de l’UMP », « Au delà de la présidentielle et des législatives, on veut participer à la reconquête en 2014 des territoires perdus ». Mais il n’est pas le seul. Ainsi Jean-Luc Mélenchon faisait-il il y a deux jours feu de tous bois : « Ils ont déclaré la guerre au pays, et ça va chauffer » lançait-il à propos des agences de notations, ajoutant « nous ne sommes pas sans armes » et accusant le premier ministre de « capituler ». Cerise sur le gâteau, la presse parle sans cesse, à propos de Morano, Longuet, Coppé et quelques autres des snipers de l’UMP, ajoutant à la guerre frontale, avec soldats et troupes, la guerre d’embuscade. Mais guerre contre qui ? Contre les autres candidats pour les uns, contre le système pour les autres, mais rien pour l’instant, ou pas grand chose, contre le chômage, la pauvreté, les difficultés de logement. A l’UMP toujours on aurait installé une cellule de riposte. Traduisons : quelques « têtes » sont chargées de préparer les éléments de langage que l’on diffuse tous les jours, sur le modèle « dîtes ceci, ne dîtes pas cela ». Cela me fait penser à ce qu’il est convenu d’appeler l’appendix Probi, une liste de prescriptions remontant environ au 7ème siècle de notre ère qui, sur le modèle « dîtes..ne dîtes pas.. », corrigeait des « fautes » de latin. Par exemple angulus non anglus, ou encore auris non oricla : à gauche du non ce qu’il fallait selon l’auteur dire et à droite ce qu’il ne fallait pas dire. Mais, ironie de l’histoire, ce qu’il y avait à droite était précisément ce que les gens disaient, ce qu’ils ont continué à dire, ce qui explique l’évolution du latin parlé vers les langues romanes (et ici, en français, vers angle et oreille). Dire de ne pas dire serait donc inefficace…

Il demeure que le vocabulaire politique devient de plus en plus militaire et, l’armée ne brillant pas par la richesse de son lexique, nos hommes politiques risquent, s’ils poursuivent sur cette voie, de parler tous de la même façon. Ils se copient déjà. Ainsi, Mélenchon ayant traité François Hollande de capitaine de pédalo, Gérard Longuet surenchérit en  le comparant au capitaine du Costa Concordia, le navire qui a fait naufrage en Italie. Si les snipers  de bords opposés tirent sur la même cible et utilisent la même métaphore, la guerre va très vite devenir désordonnée : des belligérants ne sachant pas qui est leur ennemi…

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fleche15 janvier 2012 : Je, nous, le front de gauche


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Je suis le candidat de la résistance des Français aux agences de notation" a déclaré hier soir Jean-Luc Mélenchon lors de son premier grand meeting de campagne. Ce n’est pas le fond de sa déclaration qui me retiendra ici, mais sa forme, singulièrement son je. Fin mai 2011, en effet, le patron du PCF, Pierre Laurent, hésitait à le choisir comme candidat du Front de Gauche, soulignant qu’il devrait passer dans ses discours du je au nous… Fin juillet, Mélanchon avait réussi son examen de passage, « il est dans les rails d’une posture collective, il a appris à dire nous » déclarait alors le porte-parole du PCF, Patrice Bessac. Jeudi soir, j’ai écouté l’émission Des paroles et des actes, sur la deux, un crayon à la main. Pendant une bonne heure, c’était la première personne qui dominait, très nettement chez Mélanchon: « je…, je…, je préférerais, j’ai entendu, j’en ai assez, je les combats frontalement, je dis, moi je, je sais ce que je fais… ». Puis, vers la fin de l’émission, comme s’il se souvenait subitement des consignes de ses conseillers en communication, il s’est mis à alterner je et nous ou je et le front de gauche : « Ma préférence, la préférence du front de gauche…, Je suis partisan, le programme du front de gauche… ». Il est même parvenu à enchaîner les trois dans un seul segment de phrase: « Ce que je ne veux pas faire, dans le programme du front de gauche, nous ne faisons pas… ». Je, nous, le front de gauche entraient alors dans une sorte de ballet assez fascinant. Et la formule de Patrice Bessac, « posture collective », est peut-être une clé : Les sujets grammaticaux des candidats constituent un bon moyen d’analyse des discours des candidats, mais le problème est aussi de savoir si c’est leur inconscient qui s’exprime à travers eux ou leur tactique.

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13 janvier 2012 : Bogulawski/Delon


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Connaissez-vous Bogulawski ? Moi non plus, à vrai dire, enfin, pas directement. Il s’agit d’un Russe original qui s’était fait pendant vingt ans régulièrement photographier dans la même pose, le premier et le quinze de chaque mois et qui avait ensuite exposé les 480 portraits ainsi réalisés. C’est Ferdinand de Saussure qui raconte l’histoire dans une de ses conférences, en 1891, expliquant que, si dans cette exposition on prenait sur la paroi deux photographies contiguës quelconques, on avait le même Bogulawski, mais que si l’on prenait le n° 480 et le n° 1 on avait deux Boguslawski différents. Cela lui permettait d’expliquer, métaphoriquement, qu’une langue était toujours la même d’un jour à l’autre, d’un mois ou d’un an à l’autre, mais qu’elle était « incalculablement différente de 500 ans en 500 ans, ou même de 100 ans en 100 ans ». Ce qui l’intéressait, bien sûr, était le rapport entre continuité et mutabilité dans la langue, et il utilisait cette anecdote pour mieux s’expliquer. Mais si je vous parle ici de Bogulawski, c’est pour une toute autre raison.

Depuis deux ans on peut voir une publicité pour le parfum « eau sauvage », de Dior, avec pour la version affiche une photo d’Alain Delon datant de 1966. Cheveux longs et noirs, l’air pensif, un pouce soutenant son menton, et pas le moindre texte : tout le monde reconnaît Delon, pourquoi le nommer ? Pour la version spot télé il s’agit d’un extrait du film La Piscine (1968), où l’on voit le même Delon, allongé en maillot de bain, se faire soudain asperger d’eau. Il n’a donc ni posé ni joué, il a simplement accepté que l’on utilise ces documents, contre un chèque confortable, bien sûr. Et, dans les deux cas, affiche ou film, il avait la trentaine.

Il a aujourd’hui 76 ans, et je ne sais pas s’il manque d’argent mais il vient de s’impliquer dans une nouvelle campagne publicitaire, pour la marque de lunettes Krys. Après les chanteurs Johnny Hallyday (Optic 2000) et Antoine (Atoll), il vole donc au secours des presbytes. Sur l’affiche, portant de grosses lunettes, il pose, les yeux mi-clos, et un texte dit : « avant il était Alain Delon ». Il ne serait plus Alain Delon ? Allez comprendre… Mais le spot publicitaire explique tout. On le voit répéter, lisant ses notes: «avant il était intimidant, avant il était…  il était quoi déjà ? ». Une voix crie  « C’est à vous… » Il se lève, se précipite dans une autre pièce, le studio, s’installe et déclare  «Bonjour, avant il était Alain Delon », puis il chausse ses lunettes et ajoute « mais ça, c’était avant ». Et une voix féminine éthérée murmure « Krys, vous allez vous aimer ». On respire, Alain Delon s’aime encore ! Vous voyez, bien sûr, le lien avec Bogulawski et la question qui se pose : même s’il s’aime encore, Delon est-il encore le même à quarante ans de distance ?

Plus sérieusement, et plus que cette coexistence entre deux Delon à quarante ans de distance, la complémentarité entre l’affiche et le film m’interpelle. On ne peut pas comprendre le texte imprimé sur l’affiche, avant il était Alain Delon, sans avoir vu le clip publicitaire, et les concepteurs de la campagne supposent donc que nous verrons l’un et l’autre et que nous nous interrogerons sur les liens qu’ils entretiennent. C’est-à-dire que nous sommes cernés ! Que nous ne pouvons pas y échapper ! Vous sortez dans la rue: l'affiche! Vous ouvrez la télé: le spot! Cauchemar : Bientôt, en ouvrant notre ordinateur nous trouverons un message faisant écho à l’affiche ou au film des lunettes Krys, et en décrochant notre téléphone, avant de pouvoir composer un numéro, nous entendrons un message vantant les mérites des lunettes Krys, bientôt… Heureusement, ce n’est qu’un cauchemar. Vraiment ? Vous allez voir, nous entrons en campagne présidentielle et, plutôt que les lunettes Krys, c’est à propos de Sarkozy  que ce cauchemar va se réaliser. Du Sarkozy partout! Mais je ne suis pas sûr qu’ils oseront utiliser, comme Delon, une photo du susdit faite il y a quarante ans, ou comme Bogulawski une photo faite il y a vingt ans.

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fleche9 janvier 2012 : Jurassic Park


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Je ne sais bien sûr pas ce qu’Angela Merkel va raconter à Sarkozy aujourd’hui, mais j’ai pour elle une suggestion. Elle pourrait par exemple lui dire :

« L'affaire de la taxe Tobin est une absurdité. Pourquoi, monsieur Sarkozy ? Parce vous vous taxerez et qu’aucun autre pays ne le fera. Si vous le faites en France, vous allez encore le payer de dizaines de milliers de chômeurs supplémentaires. Ce que vous ne comprenez pas, c'est que le monde a changé, le monde est devenu un village. Et à chaque fois que vous pénalisez la création de richesse sur votre territoire, vous favorisez la création de richesse chez les autres. Les chômeurs pour vous les emplois pour les autres ».

En bref elle pourrait lui donner une petite leçon d’économie mondiale. A vrai dire, je n’ai pas eu à faire travailler mon imagination, j’ai tout simplement démarqué ce que disait Sarkozy en 1999, lors d’un débat télévisé sur Antenne 2. S’adressant à Robert Hue, il lui lançait :

« L'affaire de la taxe Tobin est une absurdité.  Pourquoi, monsieur Robert Hue ? Parce nous nous taxerons et aucun autre pays ne le fera. Si nous le faisons en France, on va encore le payer de dizaines de milliers de chômeurs supplémentaires. Ce que vous ne comprenez pas, c'est que le monde a changé, le monde est devenu un village. Et à chaque fois que nous pénalisons la création de richesse sur notre territoire, nous favorisons la création de richesse chez les autres. Les chômeurs pour nous, les emplois pour les autres. Et ce que vous ne comprenez décidément pas c’est qu’à force d’accumuler comme des cathédrales des réglementations, des impôts et des taxes vous avez à ce moment là le résultat inverse à ce que vous cherchez (…) Réveillez-vous, le monde a changé ! (…) Vous êtes le dernier communiste d’Europe, en direct de Jurassic Park».

En bref, Sarkozy a changé d’avis. Dans la dernière ligne de la course à la présidence il accumule comme des cathédrales (étrange image d’ailleurs) des effets d’annonce. Arrivera-t-il au résultat inverse de celui qu’il cherche ? Ce qui est sûr c’est qu’un humoriste malicieux pourrait lui dire : « Vous êtes le dernier tobiniste d’Europe, en direct de Jurassic Park ».

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7 janvier 2012 : Lectures


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J’ai subi hier une petite opération et me sens d’humeur fainéante. Je vous suggère donc, si jamais vous étiez dangereusement inoccupés, deux petites lectures. L’une est une  interview qui se trouve sur le site du Nouvel Observateur:

 http://leplus.nouvelobs.com/contribution/228579-sale-mec-comment-politiques-et-medias-utilisent-les-petites-phrases.html

L’autre est un article que Thierry Paquot a consacré à mon dernier livre, Il était une fois 7.000 langues:

http://www.nonfiction.fr/article-5336-langues_vivantes_et_langues_mortes.htm

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fleche4 janvier 2012 : Morano rêve que Sarkozy ne rêve pas


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Ce matin sur France Inter, vers 8 h 30, échange entre le journaliste Patrick Cohen  et Nadine Morano, toujours semblable à elle-même ( je transcris ci-dessous scrupuleusement sa syntaxe) :

NM : « Quand François Hollande dit que lui il veut faire rêver les jeunes, et je pense que le rêve fait partie de la vie personnelle, mais ça doit pas être la préoccupation des responsables politiques…. »

PC « Vous êtes sûre que le mot rêve n’a jamais été utilisé par Nicolas Sarkozy ? »

NM «écoutez, je pense pas que le mot rêve, en plus  le connaissant, il est plutôt dans l’action que dans le rêve »

PC « On vérifiera ».

C’est tout vérifié, mon cher Patrick. Dans le livre que nous avons, avec Jean Véronis, consacré aux Mots de Nicolas Sarkozy (le Seuil, 2008), nous consacrions une dizaine de pages au rêve  dans les discours de Sarkozy. Entre 2006 et 2007 sa fréquence est multipliée par 6, essentiellement dans les discours écrits par Henri Guaino. Je ne vais pas ici citer tous ses discours dans lesquels il dit que la France a besoin de rêves, appelle les Français à rêver, fait un parallèle entre le rêve européen de Jean Monnet et le rêve méditerranéen qu’il veut vendre. A la fin de sa campagne l’expression je rêve devient chez lui un tic. Elle scande son discours du 18 mars 2007, au Zénith de Paris. Puis le 10 avril, à Tours, c’est je rêve d’une France qui se lève tout entière qui est plusieurs fois répété. Et si l’on compare la fréquence de rêve chez les quatre principaux candidats, on se rend compte que Sarkozy est le champion toutes catégories : Le Pen, Bayrou et Royal l’utilisent chacun moins de dix fois sur 100.000 mots quand le futur président l’utilise cinquante fois sur 100.000 mots…

Première conclusion : Nadine Morano dit n’importe quoi, mais cela nous le savions déjà. Deuxième conclusion: Elle, la sarkozyste de choc, ne connaît pas les « oeuvres » de son mentor, c’est plus grave et d’autres ont été virés pour moins que ça. Troisième conclusion: surtout elle applique à la lettre les consignes de l’Elysée qui sont d’attaquer Hollande de toutes les façons possibles, elle a sauté sur ce mot, rêve, croyant trouver là une façon d'opposer le rêve de l'un à l'activisme de l'autre, et elle en a tiré une grosse bêtise. Semblable à elle-même, je vous le disais.

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3 janvier 2012 : Sauve-qui-peut !

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Claude Guéant serait donc candidat aux élections législatives. Dans la 9ème circonscription de Hauts-de-Seine en plus, où n’importe quel âne bâté, pourvu qu’il soit de droite (oui, il y a aussi des ânes de gauche), serait élu. Le député sortant, Pierre-Christophe Baguet, lui laisse très gentiment la place, du moins était-ce la version officielle à la fin de la semaine dernière. Car, patatra, voici qu’un jeune loup UMP, un certain Thierry Solère, qui n’a pour titre de gloire que d’être le copain du fils Sarkozy, revendique le droit d’être candidat au même siège. Et laisse entendre que Guéant ferait mieux « d’employer sa notoriété à la conquête de nouveaux territoires ». En d’autres termes : pas touche à ma circonscription! Après l’affaire Dati/Fillon, cette nouvelle tentative de parachutage est intéressante à plus d’un titre. Fillon est depuis longtemps un élu de la Sarthe. Guéant est à l’origine préfet, puis il a suivi Sarkozy un peu partout, du ministère de l’intérieur à l’Elysée, avant de devenir le ministre que vous savez, protégé du président, ou son protecteur, on ne sait pas très bien (de toute façon les deux termes sont équivalents, ils font tous deux mafieux). Et voici que tous deux visent des circonscriptions dans lesquelles leur élection est quasiment assurée. Fillon aurait-il subitement perdu le goût du risque ? Et Guéant aurait-il subitement une vocation pour la vie parlementaire ?

Je crois que l’explication est ailleurs. Nous allons sans doute voir, dans les semaines qui viennent, ce genre de scénario se répéter plusieurs fois : les circonscriptions dans lesquelles la droite est assurée de gagner vont déchaîner les appétits (Il faudra de ce point de vue suivre la bataille entre Frédéric Lefebvre et le frère de Balkany pour le siège de député des Français en Amérique du nord, où là aussi la droite est assurée de gagner). Pourquoi ? Parce que ces candidats, apparemment très motivés par l’idée de servir le peuple français, anticipent en fait la défaite de Sarkozy à la présidentielle. Si Fillon veut se faire élire sur le siège que vise Dati, ce n’est pas seulement, comme le dit la presse, parce qu’il vise ensuite la mairie de Paris, mais aussi parce qu’il a peur de ne pas être réélu chez lui, dans la Sarthe.  Si Guéant veut devenir député, c’est sans doute parce qu’il n’a pas envie de redevenir préfet et pense que son protecteur/protégé ne sera plus en situation, dans quelques mois, de lui trouver une bonne petite place bien au chaud. En bref, c’est le sauve-qui-peut généralisé qui ne fait que commencer. Et comme Guéant, de par sa fonction de ministre de l’intérieur, est le mieux placé pour consulter les sondages, sa soudaine conversion au parlementarisme est plutôt un signe encourageant. Vous ne trouvez pas ?

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fleche1er janvier 2012 : Sana sa'ida


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Sana sa’ida, en bon français « bonne année », année olympique bien sûr, année surtout au cours de laquelle nous avons une chance de nous débarrasser de ces furoncles sur le visage de la France que sont Sarkozy, Guéant et quelques autres, année sarkophage comme dit ma copine qui aime autant l’archéologie qu’elle déteste notre président… Sana sa’ida, donc. J’ai pour ma part passé le réveillon à Tanger, ville un peu mythique, ville kaléidoscope, dont on découvre sans cesse un nouvel aspect. De l’hôtel El Minzah on voit distinctement, à une quinzaine de kilomètres, les côtes espagnoles, Tarifa en face et, un peu plus à l’est, Gibraltar. Je n’ai visité jusqu’ici que deux autres endroits où deux continents soient aussi proches, Suez, où l’on passe de l’Afrique à l’Asie en quelques minutes, et Istanbul, où l’Europe et l’Asie se mêlent. Ici, au delà de l’histoire, des mélange culturels, cette proximité est surtout porteuse de rêves, les rêves des postulants à la migration qui, il y a quelques années encore, tentaient de traverser le détroit. Ils ont depuis lors changé d’itinéraire, passant par la Libye d’abord, puis aujourd’hui par les îles Canaries, avec chaque fois le même avenir de clandestinité et de misère. Mais ils ne le savent pas encore, ils ne savent pas que leurs rêves se transformeront bientôt en cauchemars.

Pour notre part, que savons-nous de Tanger ? Que cette ville a accueilli des dizaines d’artistes étrangers, Matisse, Delacroix, Paul Bowles, Jean Genet, Tennessee Williams, Roland Barthes, Michel Foucauld, des amateurs d’exotisme, de chanvre indien et de jeunes garçons ? Ce n’est pas faux, mais c’est un peu court.

J’y étais venu en 1958 et c’était alors un mélange de port franc et de nid d’espions, mais surtout une petite ville lovée autour de son port. Aujourd’hui sa superficie a été multipliée par dix, on a construit dans tous les sens, les émirs du Golfe y ont des palais et la jet set européenne s’y affiche, quand elle n’est pas à Marrakech. C’était aussi une ville de contrebande, on y trouvait tout à des prix défiant toute concurrence. Aujourd’hui c’est le royaume de la contrefaçon. Des sacs, des vêtements, bien sûr, mais aussi des parfums. Et là, l’ingéniosité touche au génie. Un habile artisan propose une cinquantaine de fragrances pour homme, autant pour femme, qui sont présentées comme « style Boss de Hugo Boss », « style l’air du temps de Nina Ricci », « style eau sauvage de Christian Dior », etc. Il ne prétend pas imiter, ses flacons sont d’ailleurs anonymes, il vous vend juste quelque chose dans le « style » d’autre chose. Imparable ! Aucun douanier n’y trouverait à redire ! Et en outre les imitations (non, il ne s’agit pas d’imitations mais de styles !) sont assez réussies.

Il y a à Tanger des bars et des pensions portant des noms espagnols, un cimetière de chiens et de chats, laissé par les Anglais, des voitures majoritairement françaises et une base américaine. Dans les souks, on vous aborde d’abord en espagnol, ce qui étonne un peu quand on sait par expérience que dans le reste du monde les étrangers n’ont qu’une langue, l’anglais . Puis l’on se dit que cela s’explique par un tourisme de voisinage. Mais les choses sont un peu plus complexes. Successivement phénicienne, romaine, arabe, occupée par les Portugais, les Anglais, les Espagnols, les français, ville officiellement internationale dans la première moitié du XX° siècle, Tanger a connu un destin singulier, tournant longtemps le dos au Makhzen, au pouvoir royal. Dans la vieille ville les plaques des rues sont parfois trilingues, arabe, espagnol et français, et les gens parlent mieux espagnol que français, très peu l’anglais ce qui est surprenant, en particulier chez les commerçants… Le Maroc a d’abord hérité de sa longue histoire une diglossie tamazight/arabe, et de son histoire coloniale deux diglossies supplémentaires et parallèles, l’une avec l’espagnol au nord du pays, l’autre avec le français ailleurs.Tanger est donc plurilingue par destin, et si les commerçants baragouinent bien sûr l’anglais c’est l’espagnol qui est leur première langue européenne. Pour ma part c’est la première fois que, lorsque mon arabe est insuffisant, ce qui est assez fréquent, je dois passer par l’espagnol pour me faire comprendre.

Je songe à Jean Cocteau, qui disait que le jazz est comme les bananes, qu’il doit le consommer sur place. Et je « consomme » ici les romans de Mohamed Choukri, né dans le Rif, qui a appris à lire et à écrire à partir de l’âge de vingt ans pour devenir ensuite instituteur puis écrivain, dans les deux cas en arabe. Dans ses deux premiers romans, Le pain nu  et Le Temps des erreurs, on comprend que, tout jeune, après le rifain et l’arabe dialectal, il a appris l’espagnol, avec ses « voisins gitans et les Andalous de Tanger et de Tétouan ». Et, dans les nombreuses scènes de beuveries qu’il relate, on consomme des vins espagnols, du muscat de Moscatel ou encore de l’anis del mono. Appliquant à la lettre le principe selon lequel il vaut mieux être un ivrogne célèbre qu’un alcoolique anonyme, Choukri n’arrêtait de boire que pour fumer du haschisch, manger du majoun ou fréquenter les putes, ces différentes activités n’étant d’ailleurs pas incompatibles entre elles. Il est difficile de savoir si les tangérois boivent autant aujourd’hui, mais c’est peu probable. Le parti de l’Istiqlal discute le bout de gras avec les islamistes pour se partager les postes ministériels, et dans les rues les femmes sont de plus en plus voilées… Océan Atlantique ou mer Méditerranée ? C’est la question que posent tous les touristes, et ils obtiennent des réponses sans cesse différentes. Pour les uns c’est le cap Spartel qui marque la limite entre mer et océan, pour les autres Gibraltar, ou encore le cap Malabata. Mais comment répondre « scientifiquement » à une telle question? Je me dis, mais je me sens d’humeur badine en ce début d’année, qu’il est plus facile de tracer la frontière entre Islam et démocratie qu’entre ces deux masses d’eau salée. Allez, je vais boucler ma valise, l’avion pour Paris m’attend. Sana sa’ida et n’oubliez pas : Année sarkophage.

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