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Décembre 2013

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fleche25 décembre 2013 :  Un peu de politique... linguistique

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Une bonne partie de cette année, de mars à juillet, j’ai consacré beaucoup de mon temps au Comité consultatif pour la promotion des langues régionales et de la pluralité linguistique interne mis en place par Madame Fillippeti, ministre de la culture, comité dont le but était de faire des propositions de politique linguistique au gouvernement. Il y avait dans ce comité deux juristes constitutionnalistes, deux linguistes, deux députés, deux sénateurs et deux personnes nommées par deux président de conseils régionaux. C’est-à-dire quatre « experts » ou présumés tels et six élus politiques. Dès le début, nous nous sommes rendus compte que la ratification de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires, que nous pouvions bien sûr proposer, serait impossible. Le Conseil d’Etat s’opposant à cette Charte il fallait en effet pour cela réunir le Congrès (c’est-à-dire l’Assemblée nationale et le Sénat) et y avoir une majorité qualifiée des trois cinquièmes, ce qui n’est pas le cas dans l’état actuel des choses. Nous avons donc pris le problème d’un autre point de vue (après avoir, bien sûr, reçu et auditionné de nombreuses personnes concernées), en décidant de faire des propositions allant plus loin que celles de la Charte. Ces propositions, nombreuses, vont de l’élaboration d’une loi cadre à la rédaction d’un code des langues de France en passant par un certain nombre de mesures comme l’apprentissage de la lecture et de l’écriture en créoles dans les Département d’Outre Mer et bien d’autres qu’il serait fastidieux de citer ici : notre rapport est disponible sur le site du Ministère de la Culture.

Pendant ces mois de travail, je me suis soigneusement abstenu d’intervenir publiquement sur les réflexions et les propositions de notre comité, considérant que la ministre devait en avoir la primeur, mais je me suis toujours dit qu’une fois le rapport rendu je redeviendrai un citoyen comme les autres et retrouverai ma liberté de parole. En gros, j’attendais de voir ce que le gouvernement allait faire de nos propositions. Et voici que le premier ministre, Jean-Marc Ayrault, en visite en Bretagne, a annoncé le 13 décembre dernier qu’il envisageait de passer par une loi constitutionnelle pour ratifier la Charte. En gros cette démarche implique que le texte de loi soit voté dans les mêmes termes par l’Assemblée et le Sénat puis qu’il soit adopté par référendum. Or, la popularité du gouvernement étant ce qu’elle est, il est difficile d’imaginer que le moindre référendum organisé par lui (sauf peut-être s’il proposait une distribution gratuite de foie gras et de vins fins...) recueille aujourd’hui l’assentiment du corps électoral. Dès lors, que veut le Premier ministre ? En ces temps de trêve des pâtissiers je laisserai de côté l ‘hypothèse simple mais désagréable selon laquelle il ne saurait pas ce qu’il veut. Donc, s’il sait ce qu’il veut, que veut-il ? Faire croire aux militants des langues de France qu’il va répondre à leurs voeux, puis s’abriter derrière le résultat d’un vote en disant « c’est pas moi c’est les sénateurs », ou « c’est pas moi, c’est le corps électoral » ? Ce serait bien sûr une manoeuvre minable, un tour de passe-passe, d’illusionniste. Inimaginable ? Alors avançons une autre hypothèse : il veut tout faire pour que la stratégie choisie réussisse, que les deux chambres puis le peuple accepte une loi constitutionnelle ? Cela semble tellement irréaliste que j’ai du mal à le croire aussi naïf. Le problème est qu’il ne me reste pas d’autre hypothèse et que je crains fort que la première soit la bonne. En gros François Hollande a promis de « faire ratifier la charte », nous allons faire comme  si nous voulions tenir cette promesse et la représentation nationale ou le corps électoral se chargeront de nous en empêcher... Si cela était, ce serait minable, donnerait une triste image de la politique, fût-elle seulement la politique linguistique, et témoignerait de peu d’intérêt pour la cause des langues. Alors attendons. Mais le gouvernement devrait prendre garde : on ne fait pas croire impunément aux gens que l’on va réaliser des choses qu’on sait ne pas pouvoir réaliser.

Bon, je ferme boutique pour causes de vacances. A l'année prochaine.

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fleche23 décembre 2013 :  Paranoïa ou tris croisés?

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J’ai déjà parlé ici de la liste d’information et de débats du RFS (Réseau Français de Sociolinguistique), liste sur laquelle je ne m’exprime plus, trouvant  son ton politiquement correct et mélodramatique peu propice à la discussion scientifique. Mais cela ne m’empêche pas de faire parfois écho à ce qu’il s’y passe. Or, depuis quelques jours, les esprits s’y échauffent à propos d’une note de l’INSEE dont le titre est effectivement intriguant : Les personnes en difficulté à l’écrit:  des    profils régionaux variés. Cette note s’appuie sur des données venant de l’enquête IVQ (information et vue quotidienne) de 2011, menée auprès d’un échantillon aléatoire de 14.000 personnes et qui avait pour objectif de « mesurer le degré de compétence de la population adulte en calcul et en compréhension orale». Elle s’appuyait sur un certain nombre d’exercices « fondés sur des supports de la vie quotidienne : programme tv, CD de musique, ordonnance médicale... ». Et deux des questions biographiques concernaient les langues parlées à domicile à l’âge de cinq ans et langues parlées à domicile aujourd’hui. Revenons donc à la note incriminée. Le passage qui a mis le feu aux poudres est le suivant : 

« Un éloignement prolongé du marché du travail peut agir à   la fois comme une cause et une conséquence sur les  difficultés  à l’écrit. D’autres facteurs pourraient être  évoqués. Le risque  accru   observé dans certaines régions  pourrait aussi trouver son  origine   dans un usage plus fréquent  des langues régionales au  cours de   l’enfance : par exemple, 19  % des Nordistes déclarent  avoir utilisé   une langue régionale ou  le patois autour de l’âge  de 5 ans et  parmi  ces personnes, près  d’un quart est en  situation préoccupante  à  l’écrit. Ces  difficultés plus  fréquentes à l’écrit ne sont pas  sans  rapport  avec leur niveau  d’études plus faible, 21 % d’entre  elles   n’ayant pas poursuivi  leurs études au-delà de l’école  primaire ».

Immédiatement, les réactions ont fusé, dans tous les sens et avec beaucoup d’imprécisions. Certains ont confondu cette enquête de 2011 avec le recensement de 1999, d’autres s’insurgent contre « le lien de cause à effet » entre difficultés à l’écrit et pratique des langues régionales, d’autres encore confondent « difficultés à l’écrit » et « illettrisme », ce qui n’est pas tout à fait la même chose, d’autres enfin parlent de « rapprochements hâtifs, d’attitudes stigmatisantes », etc., etc. Tout se passe en fait comme si l’INSEE (institut national de la statistique et des études économiques) avait la volonté nuisible de faire croire que la pratique des langues régionales était néfaste, et que le devoir des sociolinguistes était de dénoncer cette vilénie. J’avoue pour ma part être confondu à la fois par l’aspect un peu paranoïaque des réactions de certains de mes collègues (du genre touche pas à mes langues régionales) et par tant d’ignorance. Dans le texte incriminé, on lit en effet que les difficultés à l’écrit pourraient aussi trouver leur origine   « dans un usage plus fréquent  des langues régionales au  cours de   l’enfance ». La réaction normale devant cette hypothèse, du moins celle qu’on attend de scientifiques, devrait alors être d’interroger le lien entre pratique des langues régionales (ou d’ailleurs des langues issues de la migration) et situation sociale. De se demander si c’est la pratique de ces langues qui explique des difficultés à l’écrit ou le fait qu’on ne parle pas ces langues dans tous les milieux sociaux. De se demander s’il y a un lien entre la pratique de ces langues et les catégories socioprofessionnelle. Ce n’est pas tout à fait la même chose en effet de parler une langue régionale ou une langue issue de la migration dans un milieu intellectuel, dans un milieu paysan ou dans une famille de chômeurs. L’INSEE, il est vrai, ne pose pas cette question, et ce n’était pas son propos. Cet institut a mené une enquête et en publie les résultats, le problème n’est pas alors de savoir si ceux-ci nous plaisent mais d’essayer de les interpréter.

Derrière tout cela apparaît une sorte de crainte de la quantification, qui pourrait très vite tourner à une façon de se voiler la face.

Et pourtant les données chiffrées, dès lors qu’on accepte de considérer que ceux qui les établissent sont de bonne foi et ne se livrent pas à d’horribles tripatouillages, sont toujours intéressantes. Pour finir dans la bonne humeur (ce qui ne s’oppose pas au sérieux), je voudrais vous proposer un petit rappel historique. A la fin des années 1970 nous disposions de quelques données statistiques sur le comportement du corps électoral français, qui pouvaient se ramener aux trois affirmations suivantes:

1) Les jeunes votaient plus à gauche que les vieux

2) Les hommes votaient majoritairement à gauche

3) Les femmes votaient majoritairement à droite.

 Fort bien. En outre nous savions que l’espérance de vie des femmes était beaucoup plus grande que celles des hommes. Dès lors la question qu’il fallait se poser était de savoir si c’était en tant que femmes ou en tant que vieilles que les femmes votaient plus à droite que les hommes. Et la réponse ne pouvait se trouver que dans des analyses plus fines, par tranches d’âge. Car le B.A. BA du traitement statistique des enquêtes réside dans les tris croisés, et nous aurions beaucoup à apprendre de l’enquête IVQ si nous avions les moyens d’approcher ses résultats de ce point de vue.

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fleche21 décembre 2013 :  Un Vert ça va...

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Les écologistes ne sont jamais les derniers à s’élever contre la pollution dont sont responsables les automobilistes, et ils ont bien raison. Ils veulent réduire la vitesse sur les autoroutes ou sur les périphériques, et ils n’ont pas tort. Ils plaident de façon générale pour que se développent les comportements citoyens et l’esprit de responsabilité, et nul ne saurait le leur reprocher. Et tout cela rend particulièrement savoureux ce que l’on vient d’apprendre sur Jean-Vincent Placé, sénateur d’Europe-Ecologie les Verts et éminence grise du parti vert français. Avant d’être sénateur, Placé était conseiller régional d’Ile-de-France et, à ce titre, il bénéficiait d’une voiture de fonction. Et voilà que ladite région reçoit 133 amendes liées à cette voiture, amendes pour excès de vitesse ou fautes de stationnement. Cela se passait en 2010, et la région se tourne vers le conducteur de la voiture, Placé donc, et lui demande de payer la note. La suite est un peu confuse, le sénateur affirme avoir payé, l’administration fiscale lui réclame des pénalités pour paiement tardif. Ce qui est sûr c’est que la note se montait à 22.000 euros et qu’il doit encore plus de 18.000 euros. C’est le Canard enchaîné qui a sorti cette histoire, ce qui prouve au moins que la presse est toujours utile. Que Placé soit mauvais payeur n’a en soi aucun intérêt : il n’est pas le seul et nul ne saurait lui jeter la pierre. En revanche que ce donneur de leçons, grand défenseur de l’écologie, s’adonne au volant aux pratiques qu’il dénonce chez les autres est  plus surprenant. Les Verts prétendent depuis leur naissance vouloir faire de la politique autrement. Certes Placé n’est pas à lui tout seul « les Verts », même s’il aimerait bien le faire croire, mais les adhérents de son parti pourraient peut-être se demander s’il n’est pas un Vert de trop. Je sais que le jeu sur l’homophonie est ici facile, mais je n’y résiste pas : un Vert comme Placé ça va, deux Verts bonjour les dégâts. Allez, à votre santé.

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fleche16 décembre 2013 :  Ni fleurs, ni couronnes, mais vin à volonté

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C’était au milieu des années 1970 et nous passions une bonne partie de la nuit (« nous » : des chanteurs, des musiciens, des journalistes, dont moi) dans un studio de France-Inter, une véritable tabagie où officiait Jean-Louis Foulquier. A l’époque c’était entre trois et cinq heures du matin. Puis, horaire un peu plus humain, ce fut entre minuit et trois heures, pour finir de 18 à 19 heures. On y fumait, donc, on y buvait, on y parlait dans le micro, et les chanteurs chantaient, en direct. Les émissions s’appelaient, Studio de nuit, Y’a d’la chanson dans l’air, Pollen, d’autres noms encore, mais toutes avaient le même propos : servir la chanson française et francophone. Et ils sont beaucoup à lui devoir beaucoup, des artistes débutants à qui Jean-Louis offrait ses ondes, d’autres confirmés qui venaient le soutenir de leur présence. Plus tard encore il créa les Francofolies de la Rochelle, où la même bande se retrouvait, chaque année en juillet, les uns sur scène, les autres, dont encore moi, en coulisse. Emissions ou festival, Foulquier était au centre d’une véritable galaxie de la chanson.

Jean-Louis Foulquier est mort la semaine dernière et a été enterré samedi matin, au cimetière de Montmartre. Une foule énorme est venue l’accompagner, ses amis, ses collaborateurs, et « ses » artistes dont la liste complète constituerait un véritable  annuaire du show biz, enfin du show biz de qualité. Citons au hasard Louis Chedid, Jean-Louis Aubert, Bernard Lavilliers, Alain Souchon, Laurent Voulzy, Lucid Beausonge, Arthur H, Maurane, Francis Lalanne, Sapho, Nilda Fernandez,  Alice Dona, Catherine Lara, etc., etc.

J’ai dit qu’ils étaient beaucoup à lui devoir beaucoup, mais il faut leur ajouter les millions d’auditeurs amoureux de chansons qui n’auraient jamais manqué une de ses émissions, puis les millions de spectateurs qui se pressaient à la Rochelle.

Il faisait beau, samedi et, à l’entrée du cimetière, trônaient deux tonneaux de vin. Ni fleurs ni couronnes, mais vin à volonté. A chacun son verre. Et cette phrase, entendue dans la foule : « Il aura réussit à nous faire boire du vin rouge à dix heures du matin jusqu’au bout ». Ni fleur ni couronne, donc. Mais, à côté du trou dans la terre, nous avons déposé nos verres vides, des verres qui s’entassaient en dernier hommage. Sacré Jean-Louis, il nous aura ému. Jusqu’au bout.

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fleche10 décembre 2013 :  Profs de prépas, mauvaise foi ou cupidité?

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Il y a dans l’enseignement secondaire deux types de titulaires, tous recrutés par concours : les capésiens (ceux qui ont réussi au CAPES) et les agrégés (ceux qui ont réussi à l’agrégation). Cette dernière étant considérée comme plus difficile que le CAPES, les agrégés sont mieux payés et travaillent moins : ils doivent quinze heures hebdomadaires, contre dix-huit pour les capésiens. Tout cela est public, connu de tous. Mais il y a dans certains lycées des classes préparatoires aux concours d’entrée dans les grandes écoles, dont les enseignants, des agrégés comme les autres, jouissent de certains privilèges. D’une part leur service est de huit heures  par semaine, car les programmes des concours changent tous les ans et ils ont donc plus de préparations, d’autre part ils font des « colles » (des interrogations écrites) qui leur sont grassement payées.

Hier, les enseignants de classes préparatoires étaient en grève, à l’appel de deux syndicat, SNALC et SNES, et défilaient dans certaines villes avec des élèves et leurs parents. Tiens, que faisaient là ces derniers ?  Ils venaient défendre les classes préparatoires, dont on leur avait fait croire que l’existence était menacée par les projets gouvernementaux. Or la seule chose menacée est en l’occurrence le bien-être des agrégés profs de prépa. Le ministre voudrait en effet ramener leur service de 8 à 10 heures, et ils protestent, expliquant qu’ils sont surchargés. Très bien. Mais si le passage de huit à dix heures de cours par semaines éreinterait ces enseignants, on comprend mal comment ils peuvent sans problème faire six ou huit heures supplémentaires, bien sûr grassement payées. En fait, en y regardant de plus près, on se rend compte que la rémunération moyenne de ces enseignants est largement supérieure à celle des enseignants du supérieur, qui comme eux doivent préparer leurs cours, corriger des copies, mais en outre dirigent des thèses et font de la recherche. Alors, les profs de prépas qui considèrent que leur métier est menacé : cupides ou de mauvaise foi ? Les deux, peut-être.

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fleche9 décembre 2013 :  Ah les mots et leur pouvoir, une petite réflexion suite à une polémique sur les expressions de tous les jours...

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Sur une liste de diffusion de sociolinguistique à laquelle je suis abonné, celle du Réseau Francophone de Sociolinguistique,  a éclaté il y a quelques jours une mini tempête. Le phénomène est cyclique : des polémiques y éclatent, enflent et s’éteignent sans qu’on sache vraiment pourquoi... Cette fois, en réponse à un appel à communication pour un colloque, dont un passage disait « At a time when many scholars are asking whether it is the relative homogeneity of European French, at least at the diatopic level, which renders it ‘exceptional’ », un de mes collègues, en fait un copain (nous l’appellerons X), sur-réagissant sans doute sur le fond, qui n’était pas bien méchant (on peut effectivement considérer que les formes de français parlées en Belgique, en France et en Suisse sont « relativement » homogènes si on les rapporte aux formes européennes d’anglais ou d’allemand), écrivait ceci :

« Bon comme ça fait deux fois que ça passe sur la liste, ce coup je ronge plus mon frein, je rène, comme on dit dans un de mes chez moi. C'est quoi cteu couillonnade: At a time when many scholars are asking whether it is the relative homogeneity of European French, at least at the diatopic level, whichrenders it ‘exceptional’ ??? Faut avoir jamais voyagé à travers l'espace francophone européen pour le croire même "relativement" homogène at the diatopic level! Y a 10 jours j'étais dans le pays bigouden (Bretagne), y 4 en Provence, purée la différence de françaisss! Les many scholars faudrait qu'ils aillent un peu sur le terrain (les cafés, les écoles, les stades, les marchés...) avant de nous déclarer homogénéisés, ma doué beniguet et fan de chìchou! Because de la socioling sans terrain, c'est comme une belle fille qu'il y manque un œil ».

Je ne sais pas quelles auraient été les réactions de nos collègues masculins si une collègue de l’autre sexe avait par exemple écrit, dans le même style : « because de la socioling sans terrain, c’est comme un mec bien monté qu’il y manque les bourses ». 

J’avais envoyé un mail privé à mon copain, car pour les raisons qu’on verra plus bas je n’interviens plus sur cette liste, pour lui dire qu’à mon sens il était un peu limite dans sa dernière phrase. Je ne suis pas soupçonnable d’être un adversaire de la linguistique de terrain, loin s’en faut, mais je n’apprécie pas nécessairement le style volontairement populiste, voire vulgaire, dans le débat scientifique, et « la belle fille qu’il y manque un œil » me défrisait plutôt. Il y eut d’abord quelques réactions, les unes de type féministe, les autres de type presque « identitaire» (« on parle comme ça à Marseille, c’est peut-être maladroit mais c’est populaire, on aurait pu dire « pute borgne » et pire encore »). Et puis, hier (ce qui semble prouver que les universitaires travaillent en semaine et ont plus de liberté le dimanche), cela a été un tir groupé, essentiellement féminin et critique. Première leçon à ce stade : il y a des sociolinguistes des deux sexes, et cette différence révèle parfois des oppositions, voire des ruptures.

Mais il y a d’autres leçons à tirer de cette histoire, et il me faut d’abord préciser quelques petites choses. Mon copain X, celui qui est donc à l’origine de l’affaire, et celle qui la première a réagi à sa phrase malheureuse, appelons-la Y, appartiennent à un tout petit groupe de personnes qui prennent régulièrement la « parole » sur ce site, y affichent une sorte de légitimité autoproclamée et y prennent parfois une posture de donneurs de leçons, bref s’y comportent comme des « patrons ». J’y avais il y a quelques mois participé de façon active à un débat, avec X, Y et quelques autres, et j’avais eu au bout de deux ou trois jours la surprise de recevoir un message de X, Y  ou Z, me disant que le sujet était important mais qu’il n’intéressait pas tout le monde et que nous allions donc en débattre entre nous, sur une liste privée, ad hoc, en quelques sortesUn tel mépris pour les centaines d’abonnés à cette liste a fait que je m’abstiens donc d’y intervenir désormais. Car il y a dans tout cela des enjeux de pouvoir qui me sont insupportables. Si Y n’avait pas répondu immédiatement à X il n’y aurait pas eu de débat sur cette «belle fille qu'il y manque un œil » (et je veux bien passer pour un vieux con puriste mais le fait même d’avoir à citer à nouveau ce segment de phrase me gêne). C’est-à-dire que la liste de diffusion du RFS s’est enflammée parce que la discussion était entamée par Y répondant à X : seule la présence à l’origine de deux membres de l’ « orchestre invisible » pouvait déclencher de telles réactions.  Revenons donc à ces réactions, inhabituellement nombreuses, au mail (ou à la phrase) de X. Hier matin elles ont pris un titre, celui qu’une intervenante avait donné à son mail : « Ah les mots et leur pouvoir, une petite réflexion suite à une polémique sur les expressions de tous les jours... ». Et l’intervenante écrivait :

« Je vous lis quotidiennement avec intérêt, mais permettez-moi une humble contribution cette fois-ci. Je suis personnellement pour la diversité du français y compris dans son innovation, y compris dans sa créativité à nommer un monde dans lequel je me sens autre chose qu'une femme - qui doit être belle et séduisante (et donc se garder d'être borgne) ou bonne à marier. Permettez-moi de croire que la langue française peut aussi se renouveler quant aux rapports de force reliés au genre, sans que ses locuteurs se sentent brimés dans un monde aséptisé. Moi j'y crois et j'ai autant le droit de m'étaler sur vos boîtes courriels que vous, Messieurs. Sur ce, bonne fin de semaine (car je ne me sens pas brimée ni aseptisée d'utiliser cette expression au Québec, même si je suis française) ».

A partir de là, à une exception près, les hommes se sont tus. L’exception, un autre copain que j’appellerai W, lui aussi membre de l’ « orchestre invisible », qui a posté un très long texte proposant in fine  d’en venir à la solution cette fois-ci explicite qui a fait que je ne m’exprime plus sur cette liste :

« J'ai déjà eu l'occasion de m'expliquer sur ce point sur cette même liste, en proposant deux solutions : quand il y a une discussion, on peut mettre dans la rubrique "Sujet" : "DISCUSSION", et celles et ceux qui ne veulent pas recevoir les discussions mettent en place un filtre dans leur navigateur pour filtrer tous ces messages (où on peut mettre le nom de celle ou de celui dont on ne veut plus entendre parler !  :-)) ). Ou bien on crée une liste de discussion séparée. Jusqu'ici cette seconde option n'a pas emporté l'adhésion, les membres de la liste qui se sont exprimés préférant apparemment filtrer les discussions qui ne les intéresse pas ». En d’autres termes, discutons entre nous. Ce qui n’a pas empêché de réagir de nombreuses autres personnes. Le plus drôle est que Y, la première à intervenir, membre de l’ « orchestre invisible » qui communique parfois secrètement les élus de l’orchestre, a posté ceci : « D'abord un grand merci à toutes ceux et celles qui prennent la parole et qui ne le font pas d'habitude, c'est tellement nécessaire. Et j'espère que ça donnera le courage à celles qui m'écrivent en privé. Je remercie également toutes ceux et celles qui insistent que la question est aussi théorique et épistémologique, et que nous nous devons de débattre à tous les niveaux pertinents. Je suis très reconnaissante du rappel qu'il ne s'agit pas d'un truc purement personnel ». Encore des stratégies de pouvoir, donc, et de démagogie : En d’autres occasions elle n’a pas fait preuve d’une telle ouverture à l’expression démocratique...

Bon, je vais m’arrêter là, l’analyse des dizaines de messages qui ont suivi le texte de X épinglé par Y mériterait au minimum un long article. Mais cet « incident » me paraît exemplaire, s’agissant d’une liste supposée ouverte et surtout consacrée à la sociolinguistique. On a vu, soudain, y apparaître une sorte de libération de la parole, une prise de la parole par « les petits, les sans grades », ce qui est salutaire, au bénéfice peut-être de l’un des membres de l’ « orchestre invisible », ce qui le serait moins. Dans tous les cas, une leçon de choses.

 

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Novembre 2013

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fleche29 novembre 2013 : L'âne national

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Non, il n’y a pas de faute de frappe dans mon titre, il s’agit bien d’âne et non pas d’âme. Vous comprendrez plus loin. Lorsque j’étais jeune j’avais une tendresse particulière pour les ânes tunisiens, de petits ânes gris avec, de chaque côté du cou, un trait noir dirigé vers le bas, comme une flèche vers le sol. En arabe ils s’appelaient bim, ils s’appellent toujours bim d’ailleurs, sauf que l’école est passée par là et que tous les Tunisiens ont en outre appris le nom du même animal en arabe standard, himar. Qu’avons-nous à faire de ces histoires de bim et de himar ? Là aussi, vous le comprendrez plus loin.

Me voici donc de retour de Tunisie où, depuis des semaines, on cherche à mettre sur pied un « gouvernement de compétences », des ministres techniciens qui n’auraient pas pour but de faire une carrière politique mais de redresser le pays. Durant les  quelques jours que je viens d’y passer, la situation semble se débloquer, de deux façons différentes. D’une part parce qu’un consensus montre le bout de son nez sur le nom d’un nouveau premier ministre, et d’autre part parce que l’exaspération populaire contre les islamistes atteint des sommets inattendus. Ceux-là mêmes qui avaient voté pour En-Nahda mettent aujourd’hui le feu aux sièges régionaux du parti, et les nahdawis sont détestés par toutes les couches de la population, depuis les classes populaires qui avaient voté pour eux jusqu’aux grands patrons. Le pays est dans un état économique lamentable, les agences de notation renvoient la Tunisie dans le fin fond des classements, le tourisme manque à l’appel, la production de phosphate est bloquée par de petites mafias locales et pourtant le gouvernement fait des promesses que personne ne pourra tenir, comme de construire une faculté de médecine dans chacune des villes du pays. Les nahqawis savent qu’ils vont devoir laisser la place et ils placent des grenades dégoupillées un peu partout pour le prochain gouvernement. Au début du règne d’Ennahda, on se moquait des fonctionnaires suivistes et opportunistes en les félicitant pour leur barbe, soudainement apparue, bientôt, peut-être, ce sera les barbiers que l’on félicitera pour leur bonne fortune, lorsqu’armés de leur rasoir ils débarrasseront de leurs poils ces convertis de la vingt-cinquième heure.

Quoiqu’il en soit, la constitution d’un « gouvernement de compétences » semble être la seule solution, et même si En-Nahda met des bâtons dans les roues à l’entreprise de toutes les façons possibles, le dialogue se poursuit. Ce dialogue porte un nom, « dialogue national », en arabe hiwar el watani. Mais voilà, le malheureux lapsus d’un malheureux homme politique a fait rire une grande partie de la population dès le lancement de l’opération. Et vous allez maintenant comprendre le pourquoi de mon introduction. En effet, au lieu de dire hiwar el watani, « dialogue national », il a dit himar el watani, « âne national ». Depuis lors on entend fréquemment demander : « où en est l’âne national ? »

 

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fleche25 novembre 2013 : Equitaxe

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Après l’écotaxe l’équitaxe. Cette fois-ci le néologisme (équitaxe pour taxe sur les chevaux, ou taxe chevaline si vous préférez) ne vient pas du ministère des finances mais d’un regroupement imprécis de propriétaires de manèges, de bourgeois pratiquant l’équitation, accompagnés bien sûr des enfants nécessaires (mais qui, précisons-le, n’avaient pas de banane à la main  mais une bombe sur la tête). Et tout ce beau monde hennissait des choses comme « Hollande démission » et déclarait à qui voulait l’entendre que la hausse de la TVA allait ruiner le commerce de l’équitation. Je n’ai rien, bien sûr, contre les cavaliers mais une rapide analyse économique montre qu’en général ils ont les moyens de se payer leurs séances de tape-cul. Après les bonnets rouges bretons manipulés par les patrons voici donc la bourgeoisie cavalière refusant de payer trop cher ses loisirs. On peut imaginer, dans la même lignée, les joueurs de tennis s’insurgeant contre la hausse du prix de la terre battue, les amateurs de bonzaïs se plaindre... Tiens ! De quoi pourraient bien se plaindre les amateurs de bonzaïs? Peu importe, se plaindre. Et les collectionneurs de timbres, les malheureux collectionneurs de timbres qui voient le prix des albums monter en flèche ? Sans oublier les éleveurs de hamsters qui sont étranglés à la fois par les tarifs des vétérinaires et le prix des graines. Je vous laisse compléter la liste, j’ai un avion à prendre. Je vais travailler quelques jours en Tunisie, où les gens n’ont pas ces problèmes de riches. Je vous en parlerai, peut-être, à mon retour.

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fleche24 novembre 2013 : Intellos de bistrot

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Ce matin, en dernière page du Journal du dimanche, une publicité agressive. En grosses lettres blanches sur fond de ciel : n’oubliez pas votre maillot. En dessous, une grande photo du pain de sucre et de la baie d’Urca puis en bas, en plus petit, Rendez-vous au Brésil avec les Bleus et, en plus gros et en bleu blanc rouge le sigle de TF1. Décryptage facile. Nous sommes à Rio de Janeiro, le mot maillot est à prendre en deux sens différents, maillot de bain et maillot de l’équipe de France de football, et, surtout, TF1 joue financièrement très gros sur la coupe du monde. C’est en gros ce que je vous disais mardi matin, avant le match France-Ukraine. Je vous disais aussi que je m’étais rendu compte, en prenant mon café, qu’il y avait dans la salle autant de clients que de sélectionneurs potentiels. Et cela m’a donné l’idée de livrer ici, de temps en temps, ce que j’entends dans mon bistrot, ce que les gens y racontent, bref vous mettre en liaison directe avec les « intellos de bistrot ». Voici donc un premier florilège :

Un jour de pluie, un mec bourré (il n’est jamais que neuf heures du matin) sort en lançant : « les parapluies c’est comme les amis, ils ne sont jamais là quand on en a besoin »

Dimanche, un groupe de joggers arrose le sport et commente l’actualité : « Hollande, il devrait intervenir en Corée du Nord.

Et puis, sans que je puisse juger du degré d’alcoolémie du locuteur : « Moi je rentre dans les pissotières que quand elles sont propres, sinon je pisse à côté ».

Ca vaut bien les émissions de France-Culture, non ?

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fleche20 novembre 2013 : Sauvés!

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Ils sont sauvés! Qui? Eh ben les livreurs de pizza, les vendeurs de télés, TF1, François Hollande, les brasseurs, la FFF (voir hier).

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fleche19 novembre 2013 : La flamme du footballeur inconnu

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Tous les média sans exception, tous, ne parlent aujourd’hui que de ça. Ce soir l’équipe de France de football joue sa qualification pour la coupe du monde : ira-t-elle ou n’ira-t-elle pas au Brésil ? Grave problème, qui va plus loin que le simple domaine du sport puisque Bernard Pivot a même dit que la popularité du président de la république ou du premier ministre, qui n’est déjà pas très élevée, pourrait en être encore affectée. Je ne sais pas si vous saisissez l’extrême importance de l’évènement. Car l’enjeu dépasse largement l’avenir de nos hommes politiques. Si la France ne va pas au Brésil,  la fédération française de foot perdra de l’argent, beaucoup d’argent. Et songez à la télévision, à cette pauvre (enfin, pauvre...) chaîne, TF1 pour ne pas la nommer, qui a payé très cher les droits de retransmission, 130 millions d’euros si je suis bien renseigné,  et qui compte bien évidemment sur un afflux de téléspectateurs pour engranger de la publicité : pas d’équipe de France au Brésil, moins de téléspectateurs et donc moins de recettes publicitaires. Pensez encore aux grandes surfaces et à l’industrie de l’électroménager. Chaque fois qu’il y a un évènement sportif de cette importance, les ventes de téléviseurs explosent, c’est la valse des écrans plats : les amateurs en profitent pour s’équiper afin d’être au top dans leurs fauteuils. Vous rendez-vous compte du manque à gagner ?  Et ce n’est pas tout. Que font les sportifs  en chambre devant leur écran de télé tout neuf lorsqu’ils regardent jouer l’équipe de France ? Ils boivent de la bière et mangent des pizzas. Vous imaginez la détresse des livreurs de pizzas et des fabricants de bières si la France ne va pas au Brésil? Pauvres brasseurs, pauvres pizzaiolos ! Je les vois déjà, coiffés d’un bonnet rouge ou vert, jaune ou brun, de n’importe quelle couleur mais surtout pas bleu, manifester contre... Contre quoi, au fait ? Ah oui, contre quelques millionnaires en short courant après un ballon, quelques enfants gâtés, quelques sales gosses (les deux vont souvent ensemble) bourrés de fric qui, dans leurs clubs respectifs, tentent de justifier leur salaire en marquant des buts mais qui, en équipe de France, sont incapables de jouer en groupe.

Pourtant ils sont très capables de gagner, ils auraient dû gagner, l’un d’entre eux, Karim Benzema, a même déclaré que, « sur le papier on est meilleurs qu’eux, on a plus de talent », mais que... Mais quoi ? Pourquoi perdent-ils ? C’est, bien sûr, à cause du gouvernement. Souvenez-vous, il est question d’imposer durement les salaires de plus d’un million d’euros et le monde du foot a même plus ou moins annoncé une grève pour la fin du mois de novembre. Et voilà, ils ont simplement pris de l’avance sur le calendrier : c’est face à l’Ukraine qu’ils ont fait grève. Ouf ! Nous voilà rassuré : ils sont meilleurs sur le papier, ils ont plus de talent, mais ils sont en grève. Nous voilà même doublement rassurés puisqu’un autre de ces millionnaires en culottes courtes, Olivier Giroud, a affirmé qu’il était prêt à mourir pour la victoire. Alors là je dis non ! Arrêtez le massacre ! Vous imaginez: devoir ajouter des noms de footballeurs sur les monuments aux morts ! Vous imaginez une hécatombe digne de Verdun, du chemin des dames! Vous imaginez le président de la république devoir ranimer la flamme du footballeur inconnu et se faire encore siffler !  D'ailleurs, ils ne sont pas assez nombreux: une hécatombe c'est le sacrifice de cent boeufs, et il y en a moins que ça, dans l'équipe de France.

Bref, vous aurez compris que je me fous comme de ma première chemise de l’avenir de l’équipe de France, et en plus je n’y connais rien. Pourtant, ce matin, en prenant un café au bistrot, j’ai entendu des commentaires éclairés sur la tactique à adopter, sur la sélection la meilleure: tous les clients de sexe masculin faisaient preuve d'une grande compétence... Le sélectionneur de l’équipe devrait prendre son café avec moi, il apprendrait son métier.

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fleche17 novembre 2013 : C'est grand, l'Europe...

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Hier soir, sur la 2, Laurent Wauquiez, jeune loup de l'UMP, était invité de l'émission On n'est pas couchés. Son fonds de commerce est simple: se démarquer de ceux (Copé, Fillon, Sarkozy...) qu'il pourrait rencontrer sur le chemin de ses ambitions, et prétendre ne pas utiliser la langue de bois. La journaliste (pourtant bien à droite) Natacha Polony lui dit que la droite est singulièrement absente du débat politique. Il ne répond pas immédiatement, semble chercher au fond de ses neurones de quels éléments de langage il dispose et, sans doute pour gagner du temps, lance: "on est le seul pays européen au monde qui...". Le seul pays européen au monde! C'est mignon comme formule. Le seul pays européen devrait suffire, le seul pays européen d'Europe serait redondant, mais le seul pays européen au monde laisse entendre qu'il y aurait des pays européens hors d'Europe. C'est grand, l'Europe, du moins pour Laurent Wauquiez...

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fleche15 novembre 2013 : Si on s'amusait!

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Je vous parlais dans mon précédent billet de ceux qui avaient de la suite dans les idées et de ceux qui avaient des fuites dans les deux, mais dans les deux cas, il faut en avoir (des idées). A ce propos, connaissez-vous Nabila ? Non ? Alors, présentation rapide. Une sorte de bimbo dont la poitrine évoque immédiatement une pompe à bicyclette et qui s’est rendue célèbre en lançant dans une émission de téléréalité cette formule : « t’es une fille et t’a pas de shampoing ! Allo, non, mais allo quoi ! ». L’expression a très vite fait le buzz, elle a été détournée par la pub  (« t’es un fruit et t’as pas de pépins, non mais à l’eau quoi », pour la boisson Oasis, « t’es une chaise et t’as pas de coussin ? Allö, Allö » pour les coussins Hallö d’Ikea, etc.). Et ce succès a poussé la maison de production et l’émission, puis Nabila elle-même, à protéger la formule en la déposant à l’Institut National de la Propriété Industrielle, histoire de récupérer des sous. Il n'y a pas de petits profits... Fin du premier acte, qui en dit long sur l’état intellectuel d’une partie de ce beau pays qu’est la France: le connerie peut aujourd'hui être source de revenus.

Or voici que Nabila, tous seins devant, est invitée à une émission hebdomadaire de Canal +, le « supplément politique », dans laquelle l’humoriste belge Stéphane de Groodt fait une chronique délirante, à mi-chemin entre Raymond Devos et Boby Lapointe, qui ravit tous les amoureux de la langue. Voici donc  Nabila et de Groodt côte à côte. Il commence par « ola ! », pour allo bien sûr, en la regardant. Nabila ne comprend pas l’allusion. Elle a chaud, enlève sa veste, sans se rendre compte qu’elle enlève du même coup les micros, on s’empresse autour d’elle, bref de Groodt attend puis se lance dans son texte. «  Sans vouloir prêter la Flandres à la critique... »  « le pas pays qui est le mien »... Tout le monde sur le plateau rigole à chacune de ses saillies, sauf Nabila, qui, ne supportant sans doute pas de ne pas être au centre de l'attention et de l’écran, lance tout haut « Je comprends rien du tout ». Du coup, bien sûr, la caméra se braque sur elle puis nous présente les deux protagonistes. De Groodt raconte une visite à Londres, à la famille royale :  « n’ayant plus le temps de serrer la pince de Monseigneur », « Anvers et contre tout »,  « la reine Elizabeth comme ses pieds », « Charles n’est pas encore marinier » (allez, j’ai pitié de vous, il s’agit d’une allusion à Boby Lapointe : « mari niais »).  Il continue à défiler son texte tandis que le visage de sa voisine exprime la stupeur, voire l’effroi, et comme le public rit, applaudit, elle ne veut pas être larguée, après tout c’est elle l’invitée, et se met à l’interrompre : «C’est trop grave ce qui se passe », « il est chelou ce mec », «non pitié ! », « j’peux avoir une oreillette pour traduire »...  Il s’amuse à répéter pour elle des phrases, qu’elle ne comprend toujours pas, tout le monde rigole, applaudit à chaque bon mot, et elle, ne voulant pas donner l’impression d’être à côté de la plaque, ou ne pas être à l’image, en rajoute dans la bêtise... Bref, elle s’est tiré une rafale de balles dans les pieds (« Elizabeth comme ses pieds »), en nous  fournissant du même coup une excellente définition télévisuelle de ce qu’est l’inculture et l’imbécilité. J’arrête là, vous trouverez facilement la scène sur Internet, vous y trouverez également toutes les chroniques de Stéphane de Groodt, et j’invite instamment les amateurs de calembours à les déguster.

Tiens, à propos de langue française. Il y a ce soir un match de foot décisif pour l’équipe de France qui, si elle ne bat pas l’Ukraine, n’ira pas à la coupe du monde au Brésil. Même Libération consacre deux pages à l’évènement, c’est vous dire, avec pour titre Frank Ribéry dans la posture du messie. Inutile de demander à Nabila si elle perçoit dans cette phrase une allusion malicieuse au joueur de Barcelone, Lionel Messi, mais on pourrait se demander si Ribéry lui même l’a comprise. Or, justement, un petit bouquin, en fait une petite compilation, vient de paraître, Les perles de Ribery. Extraits :

« Je pense que ce soir ça été beaucoup meilleur. »

« On dirait c’était comme si que y avait rien changé hier. »

« J'espère que la roue tourne va vite tourner. »

« Le Touquet, c’est toujours une ville que j’aime bien venir. »

« On est des joueurs qu'on va vite avec le ballon. »

« Il fait attention pour qu'on a du peps. »

« Je pense qu'on espère qu'on va gagner. »

« Là, on est en train de rentrer dans un truc que tout le monde sont en train de s’foutre de nous, c’est-à-dire dans le Monde. »

 

Je vous avais invités à vous amuser, contrat rempli, je l’espère. Ce n’est pas tous les jours que nous pouvons rire, dans la France d’aujourd’hui.

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fleche13 novembre 2013 : Fuites dans les idées

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Minute, vous connaissez ? Un hebdomadaire d’extrême droite qui éructe depuis 1962 et que l’humoriste Pierre Desproges avait parfaitement défini en 1984 dans l’un de ses sketches : « Vous lisez Minute ? Non ? Vous avez tort, c'est intéressant. Au lieu de vous emmerder à lire tout Sartre, vous achetez un exemplaire de Minute, pour moins de dix balles, vous avez à la fois La nausée et Les Mains sales ». Raciste, réac, colonialiste, Le Péniste, Minute a été, comme vous voyez, de tous les combats sympathiques... Pour compléter le tableau, ajoutons qu’un de ses dirigeants fut  Patrick Buisson, oui, le Buisson de Sarkozy... Et voilà que Minute, qu’aucune revue de presse ne cite jamais, fait soudain parler de lui sur toutes les ondes, tous les écrans, tous les journaux. A la « une » de son édition d’aujourd’hui on lit en effet Maligne comme un singe Taubira retrouve la banane et dans un bel élan tout le monde s’indigne, condamne, tandis que le premier ministre annonce qu’il va saisir la justice. On parle même d’interdire le titre.

Je ne sais bien entendu pas ce qu'il en sera, mais j'avoue que cette hypothèse me gêne. Le 16 novembre 1970, après la mort du général de Gaule, Hara Kiri avait titré  « bal tragique à Colombey, un, mort », parodiant la presse qui, la semaine précédente, avait parlé de bal tragique à propos de l’incendie d’une boite de nuit dans lequel avaient péri 146 personnes. Hara Kiri avait été interdit, et nous étions nombreux (enfin, pas très nombreux...) à protester contre cette interdiction. Celle de Minute déchaînerait aujourd’hui la même réaction, venue d’un autre bord politique, et je ne suis pas sûr que la démocratie et la liberté de la presse y gagneraient.

Autre chose. Imaginons que le même titre, Maligne comme un singe Taubira retrouve la banane, soit apparu à la « une » de Charlie hebdo. Nous aurions tous trouvé que Charb, le rédacteur en chef,  dépassait les bornes, mais habitués que nous sommes aux exagérations de Charlie nous aurions peut-être souri, peut-être pas, mais sûrement pas demandé l'interdiction de l'hedo. Je veux dire que ce n’est pas seulement le titre qui indigne, mais son émetteur. Il nous révolte chez Minute, il nous aurait agacés dans Charlie hebdo. Il y aurait beaucoup à dire sur ce genre d'accident de la communication, lorsque le sens n’est plus dans le message mais dans la personnalité de celui qui l’émet. Un peu comme ces histoires plus ou moins drôles qui sont considérées comme antisémites si elles ne sont pas racontées par un Juif. Mais c’est bien sûr une autre histoire.

Il demeure qu’il y a actuellement en France une atmosphère abjecte, détestable, que la droite extrême parle haut et fort, décomplexée, et que nous ne serions pas étonnés si elle réclamait demain la réhabilitation de Pétain. Le versant raciste de cette  abjection s’est étalé en plein jour lorsqu’une candidate du FN a comparé Christiane Taubira à un singe. Nul n'était étonné que cette horreur vienne de ce bord politique, et je m'étais dit que la candidate du Front National méritait une paire de baffes. Puis nous avons vu une gamine accompagnée de ses parents tenir une banane à la main au passage de la ministre, disant quelque chose comme « pour le singe, la banane ». Il est question d’interdire de frapper les enfants, mais en l’occurrence la paire de baffes seraient plutôt pour les parents. Et puis ce fut le titre de Minute, et cette généalogie nous montre que si le journal Minute, réactionnaire depuis plus de cinquante ans, a de la suite dans les idées, il y en a, parents ou pas parents, candidats du FN ou adversaires du mariage pour tous, qui ont des fuites dans les leurs.

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fleche11 novembre 2013 : Plomberie...

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J’avais chez moi en fin de semaine deux plombiers venus réparer quelques dégâts. L’un, râblé comme un indien des Andes, était péruvien, l’autre, grand, mince, français. Ils étaient tous les deux occupés, dans une position inconfortable , à changer un siphon lorsque une sonnerie du téléphone les interrompit. C’est le patron, dit le péruvien en regardant son portable. Et il se mit à parler dans un espagnol typiquement argentin, avec des che et des vos à tous les coins de phrases. Un peu surpris, je lui demande s’il était péruvien ou argentin. « Péruvien. C’est le patron qui est argentin ». Ainsi, parlant avec son patron, il parlait comme son patron. Bel exemple de croisement entre variation dialectale et division sociale. Discutant avec moi il parlait, naturellement, son espagnol péruvien, mais il se pliait à la norme du patron lorsqu’il parlait avec lui. On ne peut pas rêver plus bel exemple d’aliénation sociolinguistique. Ce n’est certes pas une chose nouvelle, nous voyons tous les jours des Méridionaux qui tentent de masquer leur accent pour parler « pointu » et faire ainsi, pensent-t-il, plus chic. Mais le changement instantané de façon de parler, pour revenir ensuite à sa pratique normale, était ici une vraie démonstration de soumission.

Les deux plombiers m’ont encore appris, sans le savoir, autre chose. Le péruvien était très content d’être en France, d’avoir un travail fixe, tandis que le français rêvait de partir travailler au Canada (il disait Canada mais il pensait Québec, comme on verra). Il m’expliqua qu’il était facile d’y aller, qu’on y recrutait des plombiers, qu’on y était mieux payé et que Montréal était une belle ville. Puis, après un silence, il ajouta : « La seule chose qui m’embêterait, ce serait de prendre leur accent, leur français n’est pas beau ». Si le péruvien se soumettait à la langue de son patron, le français pour sa part ne voulait pas se plier à celle des Québécois, et pour un peu il serait parti en croisade pour leur imposer la sienne.

Laissons de côté l’idée d’aller travailler outre-Atlantique, qui tenait plus d’un rêve de jeune que de la fuite fiscale, mais en revanche le bal des variétés linguistiques du Péruvien et les représentations linguistiques du Français sont un bon sujet de réflexion

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Octobre 2013

 

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fleche30 octobre 2013 : Audiarderies...

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Les paysans français en général et bretons en particulier me les brisent menues depuis longtemps (que l’on m’excuse pour cette formule un peu osée, mais je prépare une conférence que je dois donner la semaine prochaine sur la langue de Michel Audiard, et l’expression vient tout droit des Tontons flingueurs). Les paysans, donc, me les brisent menues. Aussi loin que ma mémoire remonte, je les ai entendus se plaindre de la sécheresse, des inondations, de la surproduction, de la chute des prix, des grandes surfaces, je les ai vus accumuler les subventions européennes, les aides, les détaxes, préférer la productivité à la qualité. Et le pouvoir politique les a toujours choyés : ils ont longtemps représenté autour de 3% du corps électoral et l’élection présidentielle se joue en France à 2 ou 3% des voix... Ajoutons à cela qu’ils (les paysans) polluent sans vergogne avec leurs engrais ou leur lisier, qu’ils empoisonnent la nappe phréatique, qu’ils sont largement responsables des algues vertes en Bretagne et, pour couronner le tout, qu’ils produisent des poulets immangeables et du porc dégueulasse. Manipulés ou pas par le patronat, le lobby agro-alimentaire, ils se révoltent alors qu’ils ne se sont pas préoccupés de se moderniser, de traiter le méthane qu’ils surproduisent, bref ils me les brisent menues, je sais, je l’ai déjà dit. Arnaud Montebourg doit cependant être content : les bonnets rouges sont s’affublent les bretons sont fabriqués en France. Mais comme il est toujours content de lui... Quant aux routiers qui bloquent cycliquement les routes, polluent, ont des tarifs préférentiels aux péages et paient leur fuel à des prix imbattables, ils me les brisent tout autant.

Tout ceci dit, et je sais que cette expression de mauvaise humeur ne suffit pas à constituer une analyse politique, tout ceci dit, donc, les cafouillages du  gouvernement et du président de la République font singulièrement désordre. Absence d’autorité, de cohésion, de cohérence, on a l’impression qu’ils ne savent pas où donner de la tête et naviguent à vue. La « communication » des  paysans bretons brûlant des pneus et déversant des tonnes de choux sur la chaussée n’est pas nouvelle, elle est même éculée, mais elle est encore efficace. Celle du gouvernement est inexistante, ou alors elles est déléguée aux guignols de l’info, ce qui n’est pas nécessairement le bon choix.

Bon, essayons quand même de finir dans la joie. Je vous ai dit  que je préparais une conférence sur Michel Audiard, qui a écrit les dialogues de plus de cent films mais en a aussi réalisés une dizaine. En voici certains titres. A vous de savoir lequel correspond le mieux à la situation que je viens d’évoquer : Faut pas prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvage, Le cri du cormoran le soir au-dessus des jonques, Le drapeau noir flotte sur la marmite et, pour finir, Comment réussie quand on est con et pleurnichard...

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fleche28 octobre 2013 : No woman no drive

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Si j’en juge sur certaines réactions, j’ai visiblement raté mon coup avant-hier . J’ai voulu m’amuser, ou exprimer mon agacement (agacement parce que j’aime beaucoup les animaux mais je trouve qu’il y a des causes plus urgentes à défendre) face à un manifeste signé par quelques « éminents » intellectuels. J’ai donc tout bêtement pris une pétition de « 30 millions d’amis » et systématiquement remplacé animaux par fleurs en pots. J’essaierai de faire mieux la prochaine fois.

D’autres causes, disais-je. En Arabie Saoudite, ce grand pays démocratique, les femmes n'ont pas le droit de conduire. Certaines (une dizaine) ont manifesté hier, en se mettant tout simplement au volant. Interviewé par la presse occidentale, le ministre des affaires religieuses a expliqué que « dans la religion rien n’interdit aux femmes de conduire mais rien ne le permet. Nous avons donc pesé le pour et le contre, et le contre l’emporte ». Ces deux phrases méritent quelques commentaires. Tout d’abord on voit mal comment cette religion aurait quoi que ce soit à dire sur la conduite des voitures puisqu’elle repose sur un livre datant de près de quatorze siècles et qu’à ma connaissance la voiture à moteur n’existait pas. Mais peut-être suis-je mal informé. Deuxième commentaire : le respectable ministre des affaires religieuses ne nous dit pas la position de la religion sur la conduite des voitures par les hommes... Nous vivons une époque moderne.

Alors, finissons en riant. Un gag fait depuis hier le buzz sur Internet. Un certain Hisham Fageeh a détourné un reggae célèbre de Bob Marley, No woman no cry. En voici quelques extraits, dans lesquels les amateurs retrouveront facilement la trace de l’original :

No woman no drive (...) I remenber when you used to sit in the family car, but backseat (...)

Good friends we had good friends we lost on the highway (...)

You can’t forget your past so put your car key away (...)

Hey little sister don’t touch that wheel (...)

Of course the driver can can take you everywhere

But you can cook for me my dinner

Your feet is your only carriage, but only inside the house (...)

Et, bien sûr, cela se termine par :

Everything’s gonna be alright

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fleche26 octobre 2013 : Pétition

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À l'attention de Christiane Taubira, ministre de la Justice

Le pays des Droits de l’Homme ne serait-il pas assez éclairé pour reconnaître les droits des êtres vivants doués de sensibilité ? Nos concitoyens sont parmi les plus favorables au respect du bien-être des fleurs en pot : pour 90% d’entre eux, il fait même partie intégrante de la famille (Ipsos, 2004). Plus de 200 ans après sa rédaction en 1804, notre Code civil n'a toujours pas évolué et considère encore les fleurs en pot comme des "biens meubles" (art. 528). Il accuse donc un décalage certain avec la mentalité contemporaine qu'il est grand temps de combler. Aujourd’hui, les fleurs en pot sont devenues une préoccupation sociale suffisamment forte pour que le législateur s'interroge sur une nouvelle définition de son régime juridique, comme l'a déjà fait la plupart de nos voisins européens.

Je m'associe donc à la demande de la Fondation des Amis des fleurs en pot de faire évoluer le régime juridique des fleurs en pot et demande au législateur de retirer les fleurs en pot du droit des biens et de créer dans le Code civil, à côté des “Personnes” et des “Biens” une troisième catégorie pour les “ fleurs en pot ”.

En ce sens, je soutiens la proposition visant à modifier l’intitulé du Livre II du Code civil comme suit : “Des fleurs en pots, des biens et des différentes modifications de la propriété” avec un Titre 1er “Des fleurs en pots ” où il devra être spécifié que les fleurs en pots sont des être vivants et sensibles.

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fleche22 octobre 2013 : Majorité/opposition

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Durant l’été 1981, travaillant à Quito  dans un programme d’alphabétisation des indiens quichua, j’avais beaucoup de mal à expliquer à mes collègues équatoriens que l’alternance politique que nous avions vécue en France s’accompagnait d’une alternance sémantique un peu compliquée. Après plus de vingt ans de pouvoir de droite, la gauche l’avait emporté avec l’ élection de François Mitterrand. C’est-à-dire qu’après avoir été, depuis 1958, l’opposition, elle était devenue la majorité tandis que la droite et le centre avaient bien sûr connu la rotation inverse. Et des habitudes profondément ancrées faisaient que nous étions un peu perdus, qu’il nous était difficile de considérer la droite comme opposition et la gauche comme majorité. Et puis, avec le temps, nous nous sommes accoutumés, jusqu’à ce que de nouvelles élections fassent encore une fois tourner la roue...

Si je vous parle de ces souvenirs presque médiévaux, c’est que j’ai aujourd’hui l’impression que le PS et les Verts n’ont pas encore compris qu’ils ne sont plus dans l’opposition. La grande cacophonie qui règne au gouvernement et dans les partis qui devraient le soutenir tient bien sûr à des egos démesurés, à des conflits de personnes et à une certaine impréparation (sur l’immigration par exemple, il semble n’y avoir eu aucune réflexion, et nous vivons le règne de l’improvisation). Mais, surtout, le personnel politique socialiste et écolo a des réflexes qui le pousse systématiquement à prendre position contre, à alimenter les querelles contre la police ou le ministère de l’intérieur, contre toute velléité de réforme scolaire, en bref contre tout ce qui vient du gouvernement. Et parfois contre ce que l’on suppose venir du gouvernement (je pense par exemple à Samia Ghali accusant Patrick Mennucci d’être l’homme de Paris, de Matignon ou de l’Elysée...). Il en résulte une sorte de délire, au sens technique du terme, une perturbation de la pensée qui ne fonctionne plus sur la réflexion mais sur l’affect. C’est grave, docteur ? Ma fois, ça se soigne, mais il faudrait s’y mettre très vite...

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fleche21 octobre 2013 : Les chiens du langage

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Je voudrais revenir sur le thème que j’abordais dans mon billet précédent, celui des injures dans la vie politique française, car nous vivons une période inédite. N’étant pas sous la table de Sarkozy, Hollande, Le Pen, Copé, Fillon, Montebourg ou quelques autres je ne sais évidemment pas ce qu’ils peuvent dire en privé, mais l’expression publique est suffisante : une foire d’empoigne. On traite madame Taubira de « sauvage », on la compare pratiquement à un singe, on traite Nadine Morano ou Marine Le Pen de « salopes » et de « connes ». Bref, les chiens du langage sont lâchés et l’on ne voit pas très bien qui pourra les arrêter.

Laissons de côté Cécile Duflot (de paroles) ou François Fillon qui, bien que déversant du fiel à tout va sont finalement les plus mesurés, et intéressons-nous plutôt à Jean-Luc Mélenchon qui a fait de la « capacité d’indignation » son fonds de commerce. Il s’est révélé pendant la campagne présidentielle : alors que Marine Le Pen tentait de « dédiaboliser » le FN et que son père était pratiquement forcé au silence, c’est Mélenchon qui a repris le flambeau, traitant par exemple le journaliste David Pujadas de « salaud » et de « larbin », madame Le Pen de « semi-démente », et j’en passe Plus tard il déclarera que Pierre Moscovici « ne pense plus en français mais dans la langue de la finance internationale » et il vient, à propos de l’expulsion la jeune Leonarda et de sa famille, de parler de rafle et de traiter une journaliste d’auxiliaire de la police. Comme dans des vases communicants, on a l’impression que plus le FN fait semblant de policer son discours plus Mélenchon durcit le sien : on attend les vipères lubriques  et les poubelles de l’histoire. Sémiologiquement, le contraste entre son look « respectable » (costume sombre, cravate grenat ou rouge) et son discours de voyou est frappant. Il est bien sûr difficile d’affirmer que c’est lui qui a ouvert les vannes du populisme aujourd’hui ambiant, mais il a joué un rôle non négligeable dans ce qui se produit actuellement.

Plus largement, nous assistons à ce qu’on appelle en psychiatrie une désinhibition, une perte de contrôle qui mène à la violation de la plupart des règles comportementales : la disparition de l’autocensure en quelque sorte. Cela semble se manifester par une vaste déculpabilisation face à l’insécurité, à l’immigration, à la violence. L’élection de Brignoles et le premier tour de la primaire socialiste de Marseille par exemple répondent aux mêmes ressorts : dans les deux cas c’est la victoire de la crainte, du populisme, et surtout du simplisme. On se dit que le FN saura mettre fin à l’immigration et que Samia Ghali mettra la police dans les quartiers nord, que tout ira bien, et l’on vote donc pour eux... Et j’ai entendu ce matin, après la victoire de Patrick Mennucci à Marseille, un militant socialiste partisan de Ghali dire qu’il fera la campagne de Gaudin !

J’ai dit que les chiens du langage étaient lâchés, mais les mots ne sont que la traduction ou l’expression de cette ambiance nauséabonde. Parler de rafles à propos de l’action du ministre de l’intérieur, le traiter donc de nazi, c’est considérer que les mots ne signifient pas grand chose et que l’on peut donc dire n’importe quoi. Il y a derrière tour cela une totale perte de repère, un déboussolage généralisé. Mais, encore une fois, c’est le langage du Front National, celui que Marine Le Pen feint d’avoir enterré, qui passe dans le sens commun. Face à cette débauche sémantique elle peut se frotter les mains, la bonde a sauté et le discours de l’extrême droite est banalisé.

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fleche17 octobre 2013 : Retour en France

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Pendant une semaine je n’ai eu accès qu’à la télévision chinoise, et l’on y parle bien peu de notre douce France. J’ai donc découvert à mon retour qu’à Brignoles le Front National avait gagné une élection et qu’à Marseille Samia Ghali était en tête de la primaire du Parti Socialiste. Je ne peux pas m’empêcher de voir un lien entre ces deux scrutins. Samia Ghali c’est cette femme politique au sourire plein de dents qui a proposé d’envoyer l’armée rétablir l’ordre dans les quartiers nord. L’armée! Cette idée paraissait baroque, mais les électeurs socialistes ne semblent pas en avoir été choqués. Face à l’insécurité, à Brignoles comme à Marseille, on vote de la même façon, et madame Le Pen a donc deux raisons de se frotter les mains.

J’ai aussi appris, et de cela non plus on ne parlait pas à la télévision chinoise, que Guy Bedos avait traité Nadine Morano de conne et de salope. Pourquoi salope, Guy? Bedos a d’ailleurs fait école puisqu’un attaché parlementaire socialiste a utilisé la même formule à l’endroit de Marine Le Pen. Mais pourquoi conne?

J’ai enfin découvert qu’on nous rejouait le scénario de la rumeur d’Orléans. C’était en 1969, à Orléans donc, et une rumeur persistante prétendait que dans des boutiques de lingerie tenues par des Juifs de jeunes femmes disparaissaient et se retrouvaient dans des réseaux de prostituion. Et bien sûr il n’y avait eu aucune disparition... Cette fois-ci une autre rumeur urbaine prétend que certains maires se font payer pour accueillir des Noirs venus du département de la Seine Saint-Denis. Des Noirs! Et pauvres de surcroît! Et bien sûr cette histoire semble entièrement fausse.

Tout cela est nauséabond, et la vie politique française est tombée bien bas. Mais tout celà va dans le même sens, non? Les français un peu déboussolés seraient-ils en train de pencher vers l’extrême droite?

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fleche16 octobre 2013 : Retour de Chine

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Celà fait plus d’un quart de siècle que je vais régulièrement travailler en Chine. J’ai vu au fil des ans des centaines de millions de bicyclettes remplacées par des voitures privées, j’ai vu les vieilles maisons traditionnelles (en particulier les hutongs de Pékin) rasées pour faire place à des immeubles modernes et hideux. Mais je n’avais jamais vu de mendiants dans les rues. C’est fait. Ils sont nombreux dans les rues de Nankin: Ce pays “communiste” est décidément entré dans le libéralisme.

Mais je n’étais pas là pour compter les mendiants. Un siècle après la mort de Ferdinand de Saussure se tenait à l’université de Nankin un colloque au titre  délicieusement ambigu, La linguistique structurale à l’épreuve de sa réception : l’exemple de Saussure. Colloque international comme on dit puisque aux quinze intervenants chinois s’ajoutaient un Japonais (Kazuhiro Matsuzawa), un Taïwanais (Zhu  Jianing), un Coréen (Choi Hong Ho) et trois Français (Gabriel Bergounioux, Claude Hagège et moi-même). J’ai parlé de titre « ambigu » car il pouvait fonctionner comme les poupées gigognes russes, ou comme une auberge espagnole dans laquelle, comme on sait, on trouve ce qu’on apporte. La linguistique structurale par exemple: les mots structure et structuralisme n’apparaissent nulle part dans le CLG, et le structuralisme conquérant, issu de la phonologie de l’école de Prague, s’est en quelque sorte annexé le Saussure public, celui d’avant les textes inédits, pour en faire son père fondateur, voire son créateur. Or rien n’est moins sûr... D’autre part ce titre annonçait, ou ouvrait la voie à, une réévaluation historique du structuralisme et de Saussure, alors que la majorité des interventions allaient plutôt dans le sens d’une réhabilitation ou d’une défense et illustration de Saussure. Ainsi les intervenants chinois ont surtout tenté d’évaluer Saussure à la lumière de la philosophie analytique: pas la moindre référence au marxisme (à une exception près) ni même à la sociolinguistique. En linguistique comme en économie on est entré directement dans le libéralisme.

Bien sûr la Chine éternelle n’est pas tout à fait morte. J’ai ainsi assisté à un spectacle de kunqu, un art vieux de six siècles, qui est à l’origine de l’opéra de Pékin. Le libéralisme n’est pas encore passé par là. Mais on tremble en imaginant ce qui pourrait se passer…

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fleche3 octobre 2013 : Histoire russe

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Après les Suisses, les Russes. Certains d'entre eux, des "personnalités" comme on dit, artistes, journalistes, mais tous poutinophiles, viennent de proposer le camarade Vladimir Poutine pour le prix Nobel de la paix. Poutine prix Nobel de la paix? Oui. Selon ces "personnalités" il aurait évité qu'une troisième guerre mondiale ne débute en Syrie. Poutine serait donc un grand pacifiste: ce doit être de l'humour russe, ou plutôt de l'humour noir russe. On se demande ce qu'en pensent les Tchétchènes.

Je pars quelques jours en Chine. Je vous en parlerai à mon retour (pas des Tchétchènes, de la Chine).

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fleche2 octobre 2013 : Histoire suisse

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L’armée suisse vient de faire de grandes manœuvres en partant d’une étonnante fiction. Sous la pression de la crise, la France éclate en petites entités régionales et l’une d’entre elles décide d’envahir la confédération helvétique pour y prendre tout l’or qui se cache dans ses coffres. L’armée avait donc pour mission de montrer qu’elle pouvait résister à l’envahisseur gaulois. Il y a comme ça des jours où la réalité est bien plaisante ! Mais cette histoire, si elle prouve ce que nous savions déjà, qu’il y a beaucoup d’or en Suisse, a un goût déplaisant. Comment cette pauvre armée suisse pourrait-elle faire le poids face à une armée venue de France, fût-elle seulement savoyarde ou provençale ? Ils sont fous ces Helvètes ! Bon, si l’Italie les envahissait, ils les bouteraient très facilement hors de chez eux. L’armée allemande ne ferait guère mieux. Les valeureux soldats du Liechtenstein résisteraient sans doute un peu plus avant d’être défaits. Mais des Français !

Enfin, oublions l’insulte, ces Suisses sont dépités, vexés que l’on ait piqué les listings d’une de leurs banques, et ils se sont bassement vengés. Et pour qu’on ne les y reprenne plus, je vais, dans ma grande mansuétude, leur proposer d’autres scenarii, plus plausibles, pour leurs prochaines manœuvres. Une invasion de chamois par exemple : il y en a des tas dans les Alpes françaises, et ils ne demandent qu’à aller brouter l’herbe helvète. Ou encore une invasion de marmottes. Elles se cachent tout l’hiver au fond de leurs trous pour mieux préparer, secrètement, un raid d’envergure sur les réserves de gruyère et d’emmenthal. Mais surtout, les stratèges de Berne devraient songer au réel danger qui les menace : une invasion d’abeilles. Comme chacun sait, elles ont tendance à dépérir en France, grâce aux petits malins qui les empoisonnent en déversant des tonnes de produits phytosanitaires sur les cultures. Or les abeilles se tiennent informées, elles savent qu’il y a en Suisse de délectables fleurs à butiner et elles peuvent très bien migrer vers la confédération qui croulera très vite sous le miel. Que pourront faire les guerriers suisses, poursuivis par des dizaines d’essaims et englués dans le sucre ? Il y a là un vrai thème de manœuvres. D’autant plus que les abeilles seront très vite suivis par d’autres envahisseurs, les frelons asiatiques, le redoutable vespa valutina, grand prédateur d’abeilles dont il aime à se nourrir et qui ne pourra que se déplacer vers les alpages suisses pour y poursuivre ses orgies.

Voilà, mon général, sur quoi il conviendrait de réfléchir sérieusement. Mais oubliez cette histoire d’invasion française. Sinon, nous qui sommes déjà spécialistes des histoires belges, nous pourrions vous accabler d’histoires suisses.

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Septembre 2013

 

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fleche28 septembre 2013 : Retour du Brésil

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Je viens de passer dix jours au Brésil et, durant les longues soirées d’hiver (oui, c’était la fin de l’hiver à Rio, un hiver avec une moyenne de 30 degrés …), durant les longues soirées d’hiver donc j’ai lu des mails qu’en général je mets directement à la poubelle, sans les ouvrir, parce qu’ils ressemblent à de la publicité. Et je me suis rendu compte qu’une bonne partie de ces pubs visait juste, me proposait des choses qu’effectivement j’étais susceptible d’acheter. Par exemple, la FNAC me signalant la sortie de CD dans le domaine musical que j’’achète en général, ou encore Air France m’envoyant des propositions de vols au départ de Marseille. Je sais, c’est le B A BA du commerce, cibler le client. Mais nous nous habituons tellement à être fichés que nous ne nous rendons même plus compte. La FNAC connaît mes goûts musicaux ou littéraires, Air France mes habitude de voyage, mes relevés de cartes de crédit disent tout de moi, à quelle heure j’ai pris un autoroute, dans quel restaurant j’ai mangé, dans quelle ville ou dans quel pays… Ajoutez à cela que tous nos mails sont sans doute lus, passés au filtre de moteurs de recherche, stockés quelque part. Nous pourrions bien sûr ne payer qu’en liquide, incognito, mais les caméras de surveillance sont là pour prendre le relai. Bref, vous saviez déjà tout ça, big brother is watching us, mais c’était la séquence « plus naïf que moi tu meurs ».

Retour du Brésil, donc. O Globo, le journal que je lisais tous les jours, ne parle que rarement de la France et j’ai suivi l’actualité nationale de loin, en jetant un coup d’œil sur Libération ou Le Monde sur Internet. Et j’arrive en plein bordel gouvernemental. Bien sûr, Manuel Valls n’est pas vraiment d’extrême gauche, d’ailleurs quelqu’un d’extrême gauche pourrait-il vouloir être ministre de l’intérieur ? Et bien sûr ses déclarations sur les « Roms » laissent rêveur. Mais ce qui m’a surtout frappé c’est la réaction de Cécile Duflot. Cette dame, chacun le sait, est écologiste. Elle aurait donc dû être particulièrement intéressée par le rapport du GIEC (groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) expliquant que d’ici la fin du siècle la température pourrait augmenter de près de 5 degrés (cela va faire plaisir aux ours polaires) et que 95% du réchauffement climatique est dû à l’activité humaine. Mais Duflot est surtout politicienne, et plutôt que d’intervenir dans son domaine de compétence elle tente de se payer Valls. Je dois dire que je n’ai pas beaucoup de respect pour ces magouilleurs qui, ayant eu 2% des voix à l’élection présidentielle intriguent pour avoir des postes ministériels, des sièges de députés et de sénateurs et bientôt des mairies. Duflot est l’archétype de cette dérive, façon péronnelle, Placé (qui rêve d’être ministre et se désole de n’être que sénateur) n’est pas mal non plus, façon arriviste. Et tous deux, qui tiennent leur parti d’une main de fer, nous donnent un bel exemple de politique façon grand-père. Tout va mal chez eux, Noël Mamère les quitte en dénonçant une mafia (il a parlé à leur propos de firme, de clan), Cohn-Bendit exprime lui aussi son ras-le-bol, et madame Duflot, pour détourner l’attention, fait son clash. Ils nous annonçaient leur volonté de faire de la politique différemment, ils nous montrent qu’ils sont pires que les pires des politiciens.

Au Brésil, comme souvent en voyage, je n’ai pas écouté mes messages téléphoniques. En rentrant je découvre donc qu’une journaliste de RTL a cherché à me joindre. Elle voulait m’interroger sur une phrase de Jean-Marc Ayrault. Le premier ministre a en effet déclaré  qu’il assumait « avoir été obligé d’augmenter les impôts ». Intéressante formule en effet. Obligé par qui, ou par quoi ? Par la conjoncture ou par quelqu’un ? La langue est parfois imprécise, ou permet certaines ambiguïtés. Mais les Verts, eux, ou du moins leurs dirigeants, n’ont rien d’ambigus. Leur obsession c’est le pouvoir, le pouvoir et encore le pouvoir. Je vous le disais, c’est de la politique autrement.

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fleche11 septembre 2013 : Repository/suppository

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Bon, on va essayer de rire un peu. Il y a eu le mois dernier, en Australie, dans le cadre des élections législatives, un débat télévisé entre Tony Abbott, leader libéral, et le travailliste Kevin Rudd. Abbott est connu pour ses positions réactionnaires et pour ses gaffes. Et, au cours du débat, il a voulu dire que le travailliste n’était pas le « dépositaire de la sagesse » (en anglais repository of wisdom), affirmation sur laquelle je n’ai pas les moyens de me prononcer. Mais il a en fait prononcé suppository of wisdom, « suppositoire de la sagesse» (je n’ai d’ailleurs pas plus les moyens de me prononcer sur la véracité de cette affirmation). Les libéraux ont gagné les élections et Tony Abbott va prendre les rênes du pays. A suivre, donc, en espérant qu’il tiendra non pas ses promesses électorales mais humoristiques, en poursuivant sur la voie des lapsus.

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fleche10 septembre 2013 : Jean Véronis

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Il était célèbre pour ses travaux sur le traitement automatique des corpus oraux ou écrits, pour les moteurs de recherche qu’il avait construits et j’avais été frappé par l’analyse qu’il avait proposée sur son blog du texte de la Constitution européenne, par sa critique des pratiques de Google, et par deux instruments, le nébuloscope et le chronologue, qu’il avait mis à la disposition du public : son blog était régulièrement cité par la presse et lu par des milliers de personnes.  Ce fut la raison de notre première rencontre privée, en 2005, dans un restaurant près de l’université. J’avais en particulier aimé un texte qu’il avait posté sur son blog en avril 2005, un billet intitulé La constitution européenne pour les cons pressés dans lequel il démontrait avec brio, en utilisant la technique de la compression de texte, que c’était le texte le moins informatif, le plus redondant qu’on puisse imaginer.

Nous nous étions bien sûr croisés dans diverses réunions, commissions, mais nous ne nous connaissions pas vraiment, sinon de réputation.  Nous discutions donc, autour d’une table, de l’état de notre science commune, de sa marginalisation, de sa balkanisation, de sa pauvreté théorique, et il me lança « La linguistique ne fait plus rêver ». Après avoir évoqué notre découverte enthousiaste, ancienne pour moi, plus récente pour lui, de cette science à laquelle nous avions consacré une partie de notre vie, nous en vînmes à la raison de notre rencontre. J’avais suscité ce rendez-vous pour lui proposer de travailler ensemble sur le discours politique à propos de l’élection présidentielle qui se profilait. L’idée lui plut, quelques semaines plus tard le projet était sur les rails, un éditeur convaincu, et nous avons déroulé, à quatre mains et en deux ouvrages, nos analyses. Trois ans de travail passionné et passionnant. Lorsque nos livres sur la campagne présidentielle sont sortis, je craignais un peu les frictions entre nous face à la médiatisation. Pourtant, ensemble ou séparément, nous avons fait face aux interviewes, aux émissions de radio et de télévision, avec une tranquillité, une équanimité, une fraternité presque, inoxydables.

Ces années de travail avec lui furent pour moi une aventure enrichissante (j’ai grâce à lui beaucoup appris dans un domaine qui ne m’était pas très familier), mais surtout une découverte. La découverte d’un être humain que je n’avais pas perçu à prime abord derrière le théoricien brillant et le praticien inventif des technologies du langage. Un être délicat, cultivé, ouvert. Ancien élève du conservatoire, il était pianiste. Curieux de toutes choses, de musique, de littérature, il lisait tout ce qui lui tombait sous la main, collectionnait les dictionnaires, les recueils de poésie. Nous parlions de chansons, de vins, de voyages, de romans, de cuisine, d’émissions de télévision. Il suivait en particulier la vie politique avec gourmandise, avec une acuité comparable à celle d’un Daniel Schneidermann, qui était d’ailleurs un grand lecteur de son blog.

Nous nous sommes moins vus après notre second livre, et les mails, les SMS, devinrent notre forme de communication. Il m’écrivait parfois, au retour d’une promenade matinale à cheval, pour me dire le plaisir qu’il avait eu à voir la nature se réveiller. Il volait à mon secours lorsque j’avais un problème d’analyse statistique d’un texte, ou d’une œuvre complète, comme celle de Georges Brassens par exemple. Tout récemment, après la mort de Georges Moustaki, il me disait que c’était le dernier, après Brassens et Ferré, ajoutant « j’ai senti qu’une page, une époque de ma vie se tournait ». Il ne savait pas, hélas, qu’il était très près de la vérité… Jean Véronis est mort accidentellement le 8 septembre, et je suis bien triste. Allez-voir son blog (http://blog.veronis.fr/), prenez le temps de remonter le temps, de lire tout ce qu’il a écrit. Vous saurez alors quel homme nous avons perdu.

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fleche6 septembre 2013 : Taubira, la chute

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Que les choses soient claires : j’ai toujours considéré que la prison était et n’était que la privation de liberté et que les détenus n’avaient donc à subir aucune humiliation. A une certaine époque de ma vie je suis allé à la centrale de Melun avec Renaud, Guy Bedos ou Lény Escudéro, pour animer un débat après leur spectacle. J’ai présidé un comité de défense de Roger Knobelspiess, et je me sens très concerné par les problèmes de réinsertion… Tout cela pour dire que la loi proposée par Christiane Taubira ne me paraît pas, a priori, rédhibitoire.  Hier soir j’ai donc suivi l’émission dont elle était le centre, Des paroles et des actes, et j’en ai bien du mérite puisqu’en même temps, sur une autre chaîne, Andy Murray se faisait rosser à l’US open de tennis, ce qui m’a d’ailleurs fait bien plaisir. Bref j’ai écouté Taubira sans préjugés, du moins pour ce qui concerne son action au ministère de la justice. Mais j’ai été immédiatement surpris par le ton de sa voix, façon mégère agressive : elle n’était pas à l’aise. Et elle avait visiblement préparé une stratégie de défense maladroite: répliquer aux critiques par « tout ça c’est des on dit, et je ne réponds pas aux on dit ». La surpopulation des prisons, c’est des on dit, sa brouille avec Valls, c’est des on dit, etc. En outre, elle alignait des phrases filandreuses pour ne pas répondre aux questions : sur la légalisation du cannabis, sur le voile à l’université, sur la Syrie, elle évitait soigneusement de donner son avis, et se réfugiait dans un mépris affiché pour ses interlocuteurs : « c’est débile », « c’est faux », lançant même à David Pujadas « ne me décrédibilisez pas ! » alors qu’elle était précisément en train de se décrédibiliser.

Pour finir, après avoir été interrogée par des journalistes, elle se trouve face à Christian Estrosi, qu’elle tente de prendre de haut : « Même un élève de maternelle peut dire ça ». Mais le pâle Estrosi va prendre le dessus et la laisser coite. « Gardez votre sang-froid » lui assène-t-il, avant de lui envoyer à la figure qu’elle est du côté des agresseurs et non pas des victimes. Injuste, bien sûr, mais terriblement efficace. Peu à peu la peur s’installait sur son visage, elle essayait ses armes habituelles, sourires, minauderies, en vain. Pour finir, alors qu’elle devrait par ses fonctions défendre les juges, elle dégage en touche et renvoie à eux pour ne pas répondre à certaines questions. Bref on avait l’impression que son projet de loi, qu’encore une fois je trouve intéressant, n’avait été ficelé que pour répondre à la surpopulation des prisons. Jamais je ne l’ai vue aussi mauvaise, une catastrophe ! Agressive, de mauvaise foi, méprisante, elle semblait creuser le trou dans lequel elle allait tomber.

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fleche3 septembre 2013 : Virgule

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Vous connaissez sans doute déjà cette plaisanterie qui sert à démontrer l’importance de la ponctuation, mais tant pis. Comparez les deux versions d’une même phrase ci-dessous, en les prononçant à voix haute puisque la ponctuation n’est jamais qu’une transcription de l’intonation :

-Pierre, dit l’instituteur, est un âne.

-Pierre dit : l’instituteur est âne.

On voit que l’ânitude si je puis dire change de camp, que la première phrase signifie que Pierre est un âne, la suivante que l’instituteur est un âne.

Passons maintenant à l’actualité. Nadine Morano a tweeté hier soir le message suivant : Ils  veulent casser tout ce que Nicolas Sarkozy a fait au détriment des Français ! Sans doute voulait-elle dire Ils  veulent casser tout ce que Nicolas Sarkozy a fait, au détriment des Français ! Eh oui, c’est important, la ponctuation. Morano, dit l’instituteur…

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août 2013

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fleche31 août 2013 : Magouilles diplomatiques

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Il y a des jours où l’actualité est réjouissante. Vous vous souvenez peut-être de Boris Boillon, qui fut un petit protégé de Sarkozy, son conseiller à l’Elysée pour les pays arabes, puis ambassadeurs en Irak et enfin en Tunisie où les choses se passèrent assez mal. C’était l’époque où Michèle Alliot-Marie, ministre des affaires étrangères, avait un peu fricoté avec Ben Ali, lui proposant même des conseils pour la répression des manifestations. Bref, interrogé par la presse tunisienne sur ces dérives alliot-mariennes il avait brutalement répondu qu’il ne répondait pas aux « questions débiles » et s’était définitivement aliéné une bonne partie de la population tunisienne. En toute logique, l’ambassadeur fut remercié par le nouveau président français, François Hollande, et depuis un an on n’avait pas entendu parlé de lui.

Et soudain, coucou le revoilà. Le 31 juillet dernier il a été interpellé par la douane, à Paris,  alors qu’il s’apprêtait à quitter la gare du Nord pour Bruxelles. Interpellé pour rien, au flair. On lui demande s’il quitte le pays avec des devises, il bredouille, on le fouille et bingo ! Monsieur l’ex ambassadeur dissimulait sur lui 350.000 euros et 40.000 dollars, alors qu’il est interdit de passer plus de 10.000 euros d’un pays de l’Union Européenne à un autre.  Les billets étaient soigneusement rangés dans des enveloppes. Petit cachotier ! Pour couronner le tout, il n’avait sur lui aucun papier ni téléphone portable, simplement des cartes de crédits.

D’après Médiapart qui sort ce dossier Boillon aurait expliqué qu’il travaillait désormais avec l’Irak et qu’il était payé en liquide, 500.000 euros par mois. L’histoire ne dit pas s’il a généreusement donné au Sarkothon pour atténuer les dettes de l’UMP, ni s’il fréquente madame Bettencourt, ou monsieur Woerth, ou son ancien patron Sarkozy. On nous cache tout on nous dit rien !

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fleche29 août 2013 : Chronique de frappes politiquement correctes annoncées

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Bernard-Henri Levy, invité en début de semaine au Grand Journal de Canal + laissait dire sans protester qu’il avait été quelques chose comme le ministre des affaire étrangères de Sarkozy au moment de l’intervention en Libye, intervention dont il se glorifiait. Or la Libye est devenu non seulement un pays ingouvernable mais surtout un immense supermarché d’armes qui se retrouvent entre les mains des islamistes  en Egypte, en Tunisie, au Mali et sans doute ailleurs mais qu’importe : Sarkozy et Cameron se sont à la fois donné bonne conscience et fait plaisir, et Bernard-Henri Levy plastronne. Nous avons débarrassé la Libye d’un tyran. Comme en Irak, comme en Afghanistan. Après nous le chaos mais nous avons fait notre devoir de démocrates.Notre devoir moral. Et nous allons sans doute recommencer en Syrie

Car Bachar al-Assad a fauté et doit donc être puni. Cela fait plus de deux ans que les puissances internationales regardent de loin cette guerre civile, que Russes et Chinois disent à l’unisson « pas touche ! », qu’Obama dit à Assad, comme un papa à son mioche, qu’il ne faut pas exagérer, qu’il y a un ligne à ne pas dépasser sinon on lui tapera sur les doigts, et voilà, le sale gosse a fait ce qu’il ne fallait pas faire, on lui tapera donc sur les doigts. En visant plusieurs buts à la fois. Se donner bonne conscience, tout d’abord (nous autres, les Occidentaux, nous avons une morale : on peut tuer qui on veut et tant qu’on veut, mais pas gazer). Inciter Assad à négocier ensuite. Ne pas donner d’armes à des gens dont on n’est pas sûrs. En gros, ce sera un coup de règle sur les doigts, en disant : « surtout ne recommence pas ! »

Bernard-Henri Levy sera content, et on continuera à tuer proprement. Devoir moral, faute, punition, ces mots sont mis à toutes les sauces, on s’en gargarise, on les fait rouler dans la bouche, comme des berlingots, faute, punition, devoir moral, les Israéliens attendent dans leur coin, Obama n’a pas encore vraiment décidé mais attention, il y pense, et Poutine surveille de loin en faisant de  gros yeux.

Je dois dire que ce gag bernard-henri-lévien ne me fait pas rire. Je connais bien l’Egypte, le Mali et la Tunisie et les retombées de l’aventure libyenne n’y sont pas drôles. Il y a assez d’armes qui circulent comme cela sans qu’il soit besoin d’aller en distribuer d’autres en Syrie. Pour les donner à qui, d’ailleurs ? Comment savoir si elles seront récupérées par l’ « armée syrienne libre » ou par des jihadistes ? Et y a-t-il vraiment de grosses différences entre ceux-ci et celle-là ? Bachar El-Assad n’est pas très sympathique ? Certes, mais ça tire et ça tue dans les deux sens, ça continuera à tuer dans les deux sens, et je ne vois pas la nécessité de choisir et d’aider un camp de tueurs plutôt que l’autre en intervenant dans une guerre civile qui ne me concerne pas. Mais il est vrai que je n’ai aucun sens moral, c’est bien connu, et que je ne suis pas vraiment politiquement correct. Bon, j’arrête, sinon ils vont me menacer de me taper sur les doigts.

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fleche27 août 2013 : Lecture

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Je sais, cela commence à être répétitif: Mon Que Sais-Je? consacré à La sociolinguistique vient de sortir, huitième édition "mise à jour". Mettre à jour, qu'est-ce que cela veut dire? Pour tout autre livre, c'est simple: il s'agit de tenir compte des avancées de la science, des nouvelles publications, bref de ce qui a changé dans le domaine. Pour un Que Sais-Je? s'y ajoute une contrainte, le nombre de pages étant fixe: mettre à jour, c'est à la fois ajouter et retrancher. Vous ajoutez deux nouvelles pages, il vous faut en enlever deux. Et cela vous mène parfois à certaines réflexions de fond. Ainsi, pour la cinquième édition, j'avais ajouté un paragraphe sur la sociolinguistique urbaine, et cela m'avait mené à supprimer un paragraphe consacré aux positions marxistes sur la langue, qui relevaient plus de l'histoire que de l'actualité de la sociolinguistique. Cette fois-ci les ajouts sont plus lègers, et le suppressions moins drastiques. Mais vous y trouverez des renvois à des travaux de linguistes maghrébins sur le sociolinguistique urbaine, et il est toujours intéressant de constater que la science progresse et de voir dans quelles directions.

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fleche22 août 2013 : Tunisie, l'islam n'est plus la solution

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Des entreprises ferment, des entrepreneurs quittent le pays dont l’économie va à vau l’eau,  un pays qui vient d’être rétrogradé à la note B et se trouve au bord de la faillite : ils ont beau se gargariser avec prétention de citations du Coran les islamistes tunisiens ont fait la preuve de leur incapacité à gérer un Etat. Ce pourrait être une bonne nouvelle : avec ce qui se passe en Egypte, c’est la fin de l’islamisme politique qui se profile, nous montrant que contrairement à un slogan maintes fois entendu, l’islam n’est pas la solution. D’un point de vue géopolitique, nous pourrions dire que les deux grands perdants sont le Qatar (qui avec sa chaîne Al Jazira soutient sans discontinuer les frères musulmans de tous poils et risque de se retrouver gros Jean comme devant) et le gouvernement turc (qui se voyait depuis les « printemps arabes » comme un modèle d’islam politique modéré, comme un leader potentiel, et a lui-même des problèmes), mais vu de plus près, c’est surtout le peuple tunisien qui trinque. Et qui va sans doute continuer à trinquer. Car après la chute de Morsi en Egypte, le bordel Libyen, le drame syrien, les difficultés d’Erdogan en Turquie, les islamistes considèrent la Tunisie comme leur dernière chance de rester au pouvoir et le parti En Nahda ne cèdera pas facilement à la pression populaire. Plutôt que de s’occuper des affaires courantes ils ont systématiquement promus à des postes clefs des affidés en général incompétents, laissé les salafistes aller trop loin en pensant tirer les marrons du feu, fermé les yeux sur des assassinats politiques, bref ils ont tout fait sauf s’occuper des problèmes du pays. Pendant ce temps la bourgeoisie affairiste, souvent  proche du pouvoir, fait ce qu’elle veut, se construit des villas somptueuses sur des sites protégés, détourne de l’argent public : c’est la gabegie généralisée, pendant que le prix des denrées alimentaires monte et que la vie est de plus en plus difficile pour le citoyen moyen.

Il y a chaque jour dans La Presse de Tunisie un dessins de Lotfi ( Au gré du jour), un petit bonhomme coiffé d’une chéchia qui lance une phrase ironique sur l’actualité. Le dimanche 11 août 2013 avait lieu la finale 2011-2012 de foot, et le lendemain le bonhomme de Lotfi disait  : « encore une preuve que le pays est en train de reculer ! ». Trois jours avant, en sortant de l’avion, j’avais effectivement l’impression qu’il n’avait pas avancé : des files interminables et bordéliques au contrôle des passeports, des gens essayant de resquiller en passant d’une file à l’autre, bref une caricature. Il suffirait d’aller faire un tour dans n’importe quel aéroport international d’environ 150 pays pour y trouver un modèle simple, des barrières canalisant la foule… Mais les « Nahdawis » ne se préoccupent pas de ces problèmes quotidiens, ils s’en foutent, ils veulent seulement mettre la main sur l’appareil l’état. Et puis, bien sûr, l’islam est la solution..

Le pays semble vivre en pleine schizophrénie, en contradiction permanente. Juste un petit exemple. Dans l’hôtel dans lequel j’étais à Bizerte il y avait dans la piscine, au mépris de tous les règlements et de toutes les règles élémentaires de l’hygiène, des femmes en niqab, voilées, parfois même en vêtement de ville : le moyen âge ! Elles barbotaient à côté de femmes en maillot deux pièces : Contradiction visible, ou, si l’on veut être gentil, tolérance. Contradiction supplémentaire, à vingt mètres de là, au bar, des hommes se pintaient la gueule à la bière. Nous pourrions bien sûr en conclure que la liberté règne. Sauf qu’un Tunisien n’a pas le droit de ne pas être musulman, qu’il ne devrait donc pas boire d’alcool, qu’il est compliqué d’acheter de l’alcool pour en consommer chez soi, qu’il faut faire la queue dans de rares débits, que cette noria de bières que je viens d’évoquer est une hypocrisie institutionnalisée et qu’elle n’est possible que dans quelques hôtels un peu chics et surtout fréquentés par des touristes et par la bourgeoisie locale. Risquons une analyse sociologique : cette « fuite » vers l’alcool, presque clandestine mais pourtant visible partout, pourrait être considérée comme une critique implicite de la situation. Et revenons au dessinateur Lotfi, qui le 17 août, toujours dans La Presse, mettait en scène deux personnages autour d’une table couvertes de bouteilles.  «La consommation de la bière a encore augmenté en Tunisie »… disait le surtitre. Et les personnages :

-Les clignotants sont au vert !

-Non ! Les clignotants sont aux verres ! 

Cette situation me rappelle furieusement la situation de l’Union Soviétique ou de la Chine, il n’y a pas si longtemps, où les étrangers pouvaient acheter ce qu’ils voulaient en des endroits réservés (et parfois avec une monnaie spéciale), privilège auquel avaient également accès une toute petite partie de la population locale.  Oublions l’alcool. Ce que je viens de décrire est un système totalitaire en train de se mettre en place. Ajoutons à cela ce que j’ai dit plus haut de l’économie, et la comparaison est presque parfaite. Les choses changent donc, mais pas nécessairement dans le bon sens. Et pourtant…

Et pourtant les choses changent aussi de l’autre côté, celui des gens qui s’opposent à cette lente glaciation de la société. Les femmes sont mobilisées pour défendre leur liberté, acquise au début du régime bourguibien, et ne se laisseront pas faire. La liberté de la presse, relative mais réelle, est l’objet d’un combat quotidien. Les sit-in se succèdent, contre le projet de constitution, contre le pouvoir en place, contre les tentatives de juguler les libertés, contre les assassinats. Et, comme en Egypte, les gens qui ont voté pour les islamistes regrettent souvent leur choix et le font savoir. Signe des temps, le 13 août, pour la journée de la femme, la compagnie Tunisair a assuré deux vols AR sur Paris avec des équipages exclusivement féminins et l’a fait savoir: cela ne mange pas de main, bien sûr, il n’y a qu’une journée de la femme par an, mais cette décision se produisait en pleine protestation populaire.

Bref, la « troïka » (les trois partis au pouvoir, En Nahda, Ettatakol, le groupe du président de la constituante et le CPR, parti du président de la république) sont la cible de bien des critiques. Mais, si elles sont parfois violentes, elles s’expriment dans la presse francophone (Le Temps, La Presse) en des termes parfois voilés. On parle par exemple « d’état civique » pour ne pas écrire « laïque », on refuse les « idéologies rétrogrades et obscurantistes » pour ne pas écrire « islamistes ». L’islam, d’évidence, n’est plus la solution, mais on ne le crie pas trop fort.

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fleche4 août 2013 : IBK et Soumi

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Le second tour de l’élection présidentielle malienne va donc voir s’opposer Ibrahim Boubacar Kéita et Soumaïla Cissé ou, pour aller plus vite, Kéita et Cissé, comme on disait l’an dernier en France Hollande et Sarkozy.

Mais les deux finalistes maliens sont en fait baptisés autrement par leurs partisans, IBK pour le premier et Soumi pour le second, siglaison dans un cas et abréviation dans l’autre, et dans les deux cas hypocoristique (ne cherchez pas dans un dictionnaire : un hypocoristique est un diminutif affectueux). La chose est d’autant plus remarquable que Kéita, s’il était élu, remplacerait l’ancien président, Amadou Toumani Touré, que tout le monde appelait ATT. Deux présidents successifs seraient ainsi appelés par le sigle de leurs patronymes, IBK remplaçant ATT. Or la siglaison est un phénomène essentiellement écrit : il faut savoir lire et écrire pour créer un sigle, savoir par exemple qu’autonome s’écrit autonome (et non pas otonome, eautonome ou hautonome) pour transformer la Régie Autonome des Transports Parisiens en RATP. Mais le Mali est plutôt un pays de tradition orale et si Soumi pour Soumaïla ne surprend guère (il s’agit d’un procédé oral), IBK est plus surprenant. Les sigles apparaissent d’ailleurs plus souvent dans le vocabulaire administratif ou bureaucratique  que dans la formation d’hypocoristiques et dans la désignation d’êtres humains.

Cette façon de désigner des personnages politiques est d’ailleurs assez rare, y compris dans les pays de tradition écrite, et pour ce qui concerne la France elle ne s’est manifestée que de façon sporadique : JJSS pour Jean-Jacques Servan-Schreiber au début des années 1960, VGE pour Valery Giscard d’Estaing dans les années 1970, DSK pour Dominique Strauss-Kahn plus récemment, guère plus. Servan-Schreiber et Giscard voulaient sans doute faire « moderne », sur le modèle de JFK (Kennedy), et  Nathalie Kosciusko-Morizet qui se fait appeler NKM vise peut-être la même image (reste à savoir si elle finira comme VGE ou comme DSK…)

Mais ce qui me retient ici est de savoir pourquoi le nom de tel ou tel personnage est-il siglé alors que celui tel autre ne l’est pas.  Une hypothèse facile se présente à l’esprit : pour qu’un patronyme soit siglé il faut qu’il soit constitué de plus de deux noms, ce pourquoi Nicolas Sarkozy par exemple n’aurait pas donné NS et François Hollande n’aurait pas donné FH. Mais il s’agit là d’une tendance plus que d’une loi. BB (Brigitte Bardot) ou le JR du feuilleton américain Dallas s’inscrivent en effet en faux contre mon hypothèse. On peut bien sûr imaginer d’autres explications. L’économie par exemple (il est plus économique de prononcer les trois syllabes de DSK que les cinq syllabes de son nom complet) ou la facilitation (ce à quoi renvoie NKM peut être considéré comme imprononçable…). Bref, si derrière l’élection présidentielle malienne se profilent des enjeux plus importants, elle nous permet cependant de réfléchir sur ces procédés  d’anthroponymie un peu particuliers. Et, pour une fois, je signe : LJC.

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Juillet 2013

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fleche24 juillet 2013 : Information

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Le « mariage pour tous » a fait, ces derniers mois, un certain bruit mais, maintenant que la France a rejoint la quinzaine de pays ayant légalisé le mariage entre gens du même sexe, les nouvelles qui nous parviennent du Liban peut paraître médiévale. La société libanaise de psychiatrie vient en effet de mettre fin à une position de principe : l’homosexualité n’est plus considérée comme une maladie et le rôle des psychiatres n’est plus de modifier l’orientation sexuelle de leurs patients. Certes cette décision ne fait pas l’unanimité dans la profession, mais elle sonne tout de même comme un coup de tonnerre dans un pays où les « relations sexuelles contre nature » sont toujours condamnées par le code pénal. Et le Liban n’est pas isolé : L’homosexualité est en effet punie par la prison ou les travaux forcés dans 88 pays, dont vous trouverez facilement la liste sur Internet. Et elle est condamnée à mort dans 10 pays qui,  de l’Afghanistan au Yémen en passant par l’Arabie saoudite, la Mauritanie ou la Somalie, sont tous musulmans. Soyons précis : je ne dis pas que tous les pays musulmans condamnent les homosexuels à mort mais que tous ceux qui le font sont musulmans. C’était juste une information pour commencer la journée.

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fleche22 juillet 2013 : Couleurs

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Un assassin est, selon le dictionnaire, « celui qui commet un meurtre » et un meurtre « l’action de tuer volontairement un être humain ». Le tribunal de Sanford, en Floride, vient de modifier ces définitions. Un vigile, George Zimmerman, a tué d’un coup de révolver un jeune homme désarmé et dont le comportement lui paraissait suspect, Trayvon Martin. Il aurait donc aux yeux du dictionnaire tué un être humain. Mais il a été acquitté, et donc n’a pas commis de meurtre et n’est pas un assassin. Il était selon le tribunal « en état de légitime défense ». Reprenons mot à mot la définition du meurtre, action de tuer volontairement un être humain. George Zimmerman a sans contestation possible commis une action, et il a tué. Volontairement ? Ici encore il est difficile de le nier puisqu’il a dégainé son arme et que personne ne l’a forcé à tirer. Ne reste donc qu’un seule possibilité, Trayvon Martin n’était pas un être humain. Pourtant il en a avait toutes les apparences : bipède, doué de la faculté de langage, ce n’était ni un singe ni un raton laveur mais bien un être humain. Une seule chose peut nous faire hésiter : le tueur était blanc et le mort noir. Et nous touchons alors du doigt l’apport inestimable du tribunal de Sanford à la lexicologie : il nous faudrait désormais entendre meurtre comme « l’action de tuer volontairement un être humain blanc ». Nous savions déjà que le sens était en linguistique une chose compliquée mais nous sommes là devant un embrouillamini de traits sémantiques qu’il nous faut démêler. A l’article meurtre du dictionnaire il faudrait mettre deux entrées, selon que le mort est blanc ou noir. Ou encore définir le meurtre comme le fait de tuer un blanc et la légitime défense comme le fait de tuer un noir. Mais nous allons peut-être trop vite en besogne, car nous oublions le tireur: si un Noir tuait un Noir, serait-ce un meurtre ou de la légitime défense ? Et si un Blanc riche et bien-pensant tuait un Blanc pauvre, ou opposé à l’intervention en Afghanistan ou militant contre le droit de porter des armes ? Il nous faudrait en fait construire notre article de façon plus précise, prenant en compte quatre possibilités : tireur blanc-mort blanc, tireur blanc-mort noir, tireur noir-mort noir et tireur noir-mort blanc. Mais je simplifie beaucoup les choses puisqu’aux USA, où on aime bien les catégorisations raciales, il faudrait en outre prendre en compte les Asiatiques, les Indiens et les Latinos : la combinaisons de ces cinq éléments deux à deux nous mènerait alors à écrire 25 entrées différentes dans notre article, ou 25 articles différents.  Et nous voyons que le métier de rédacteur de dictionnaire demande d’exceptionnelles qualités de raisonnement et de combinaisons mathématiques. Sauf si, pour simplifier les choses et pour ne pas avoir à refaire tous les dictionnaires, nous avancions l’hypothèse que le jury du tribunal de Sanford, composé faut-il le rappeler de Blancs, était tout simplement raciste.

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fleche20 juillet 2013 : Annonces

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La Grande-Bretagne attend avec impatience nous dit-on la naissance d’un héritier ou d’une héritière, naissance qui ne vient pas alors qu’elle était prévue pour il y a une dizaine de jours. Pourquoi ce retard ?Il y a plusieurs hypothèses. Par exemple: le futur nouveau-né pourrait avoir été informé de l’ambiance délétère qui règne dans la famille royale et il refuserait de sortir. Ou encore: c’est la mère, enfin la future mère, qui serait atteinte de fainéantise congénitale et refuserait le travail. Troisième hypothèse : le bébé serait né mais ne serait pas montrable. Pourquoi ne serait-il pas montrable? Ici, d’autres hypothèses se présentent: il pourrait être bossu, mongolien, ou bien encore noir, jaune, strié…Quoiqu’il en soit, l’annonce de la naissance tarde à venir.

Et il se passe la même chose, mais à l’envers si je puis dire, en Afrique du Sud, où c’est l’annonce d’une mort que l’on attend. Mandela va un peu mieux, il est dans un état critique, il sourit, il regarde la télévision avec des écouteurs, il va mal, il bouge la main, il est mourant, les bruits les plus divers sont ainsi rapportés mais personne ne l’a vraiment vu. Et s’il était mort et qu’on attendait pour l’annoncer que des problèmes politiques complexes soient réglés au sein de l’ANC, ou que la guéguerre familiale soit apaisée ? Cela vous paraît impossible, horrible, honteux ?

Allons donc ! En Israël il y a sept ans qu’Ariel Sharon est, nous dit-on, dans un coma profond. Il faudra bien qu’un jour ou l’autre on le déclare mort. Ce sera alors une grande émotion, des funérailles nationales, une mobilisation générale, bref une unité qui pourrait être politiquement utile au pays. Et il serait donc tout à fait logique d’attendre le moment propice pour annoncer la mort du « héros », qui pourrait ainsi servir une dernière fois la politique israélienne. Après tout, selon le dictionnaire, annoncer  c’est « faire savoir », « porter à la connaissance », mais pas nécessairement en temps réel. Alors, ce bébé royal strié, il vient ?

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fleche19 juillet 2013 : 14-18

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Non, ce n’est pas d’une guerre que je vais vous parler mais de quatre ou cinq jours que je viens de passer, du 14 au 18 juillet, de Marseille à Lille en passant par Paris.

Lorsque, vers 22 heures 15, l’éclairage public s’est éteint sur le vieux port de Marseille, s’est élevée une voix improbable en ces lieux et à cette date, celle de Léo Ferré. Nous étions le 14 juillet, vingtième anniversaire de sa mort, il est vrai, et c’est sa Marseillaise qui s’élevait dans l’obscurité. Pendant ce temps on rendait hommage à Léo au théâtre Toursky et le spectacle commençait par Marseille :

« ô Marseille on dirait que le vente t’a vaincue

Dans la miséricorde où la vallée te traîne

Et que de ce mistral qui glace la vertu

Il ne reste qu’un peu d’accent qui se promène… »

 Décidément, nous étions en pleine récupération.  La prochaine fois (c’est-à-dire le 14 juillet 2014, mais qui sera maire de Marseille à cette date?) je leur suggère de prendre un peu de Brassens, «  le jour du 14 juillet je reste dans mon lit douillet, la musique qui marche au pas, cela ne me concerne pas ».

Le lendemain, le 15 juillet donc, je ne suis pas resté dans mon lit douillet, j’ai pris un TGV matinal pour Paris où nous devions, au Ministère de la Culture, remettre à Aurélie Filippetti notre rapport sur les langues régionales et minoritaires. Pendant cinq mois, au sein d’un  comité ad hoc , j’ai observé avec intérêt le fonctionnement du pouvoir, et surtout celui des lucioles attirées par son éclat. Il y avait là, dans ce comité mais aussi, et peut-être surtout, dans les gens que nous avons auditionnés,  comme une sorte de jeu de rôles, avec différentes postures.

-Celle de l’ « expert » : Je ne suis pas militant, je n’ai aucun intérêt en la matière,  je veux juste souligner qu’aux yeux de ma compétence ceci n’est pas possible, ceci est erroné, cela serait souhaitable (je mets tout cela au masculin, dans le respect d’une antique règle de grammaire qui veut que le masculin vaille aussi pour le féminin…).

-Celle de l’ « élu » qui ne peut pas ouvrir la bouche sans penser en même temps que ses électeurs pourraient être avertis de ses interventions, et pèse donc soigneusement ses propos (je mets tout cela au masculin, dans le respect d’une antique règle de grammaire etc.).

-Celle du militant, souvent à la frontière entre l’argumentation et l’imprécation, qui importe des effets de tribunes dans une petite salle à l’atmosphère compassée comme on viendrait en denim râpé au bal des débutantes (je mets tout cela au masculin etc.)

-Celle du j’m’en foutiste qui vient ou ne vient pas aux réunions hebdomadaires, et lorsqu’il vient arrive plutôt en retard mais sera là le dernier jour, pour la photo (Je mets tout cela, bref vous avez compris)

-Celui qui porte soigneusement une cravate et celui qui ostensiblement n’en porte pas (tiens, ici, le masculin ne vaut pas pour le féminin) alors que d’habitude il n’en porte pas ou, à l’inverse, en porte.

-Celui qui veut sans cesse intervenir et celui qui se dit qu’en parlant moins il n’en sera que plus écouté.

-Celui qui, dès la première séance, se demande quel bénéfice il pourra plus tard tirer de sa présence dans ce comité ou de sa comparution devant lui.

-Celui qui a fait régulièrement fuiter des informations sur ce qui se disait dans ce comité, annonçant des propositions à venir pour donner à penser qu’il en était le principal auteur.

Etc.

Il va de soi que nous étions tous, y compris donc moi-même, potentiellement exemplaires de ces différentes postures, mais il demeure que nous avons fait un travail intéressant et utile, du moins je le pense. Il reste maintenant un rôle à analyser, en aval de tout cela, celui du ministères qui pourra tout faire de ce rapport, dans un éventail allant d’une solution radicale (le mettre à la poubelle) à une autre (accepter toutes nos propositions) en passant par une position intermédiaire (y puiser quelques idées pour une politique de la diversité linguistique). De cela nous jugerons d’ici quelques mois. A suivre, donc.

Le 17 juillet, à Paris, une sorte de guinguette a été installée sur la voie Pompidou, fermée pour accueillir Paris-plage. Face à l’île Saint-Louis je bois une bière en regardant passer les péniches, les bateaux mouches ou les joggers (les uns, vous l’aurez compris, sur l’eau, les autres sur la voie rive droite débarrassée de ses voitures). Et je me dis que les Parisiens ont eu du nez en élisant un maire aussi inventif. Comme le chantait Georges Moustaki à propos des filles à bicyclette (sur des vélibs, bien sûr) : « Merci monsieur Bertrand ! »

Le 18 juillet enfin j’étais à Lille où se réunissaient les acteurs de la politique linguistique et culturelle de la France à l’étranger. Ici aussi une galerie de portraits serait la bienvenue, de l’ancien ministre au prof de français langue étrangère en passant par le conseiller culturel et le bureaucrate. Mais je n’ai pas le talent d’un La Bruyère… En revanche, pour rester dans mon domaine de compétence, j’ai entendu le Secrétaire Général du ministère des affaires étrangères annoncer qu’en 2050 il y aurait 700 millions de francophones. En début d’après-midi, la ministre déléguée à la francophonie en annonçait pour la même date 800 millions. Remarquable progression : cent millions en trois heures ! Mais on me signale que François Hollande aurait pour sa part annoncé un milliard de francophones potentiels. Potentiels, c’est-à-dire le contraire de réels. Il faudra développer cette subtile distinction (peut-être songeait-il aux habitants des pays dont le français est la langue officielle…) Pour revenir à Léo Ferré, il disait dans l’un de ses textes que « ce qu’il y a d’encombrant dans la morale, c’est que c’est toujours la morale des autres ». Il en va de même pour les chiffres : les chiffres des autres peuvent être bien encombrants, surtout lorsqu’on tente de travailler sérieusement sur l’évolution possible des situations.

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fleche9 juillet 2013 : Sarkothon et halalité

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A l’époque où Sarkozy était aux affaires on parlait à propos de certaines personnalités politiques de sarkocompatibilité. Le harki Kouchner par exemple était dit sarkocompatible. On a ensuite parlé de sarkophiles, des sarkophages, on parle aujourd’hui sarkonostalgiques,  mais le néologisme qu’on entend le plus depuis deux ou trois jours est sarkothon, construit bien sûr sur téléthon. Le téléthon  est une émission qui chaque année, se propose de réunir en 24 heures le plus possible de dons pour une œuvre caritative. Nous serions donc face à une quête non pas télévisée mais sarkozyste pour récolter des dons pour… Là, les choses commencent à déraper car, que je sache, l’UMP n’est pas une œuvre caritative. Mais qu’importe. Notons que téléthon est un mot valise (télévision et marathon) faisant référence à une ville grecque d’où Phidippidès était parti en 490 avant J-C pour courir annoncer à Athènes la victoire contre les Perses. Mais s’il est vrai que Copé, Fillon et quelques autres sont engagés dans une course de fond vers la prochaine élection présidentielle, ce qui nous ramène au Marathon, c’est d’une course de fonds qu’il s’agit ici. Avant de passer à autre chose, je ne peux m’empêcher de rappeler que thon n’est pas seulement un faux suffixe emprunté à Marathon mais aussi le nom d’un poisson, auquel Jean Constantin avait consacré une immortelle chanson, Cha cha cha des thons, dont le texte disait « cha cha cha des thons avec un T comme crocodile… »

Autre néologisme, en ce premier jour de ramadan, halalité. Le mot halal, en arabe « licite », désigne ce qui est permis par la religion, correspondant exactement à l’hébreu cacher. Il est indéniable que cette formation est linguistiquement « licite », ou du moins qu’elle va dans le sens de la langue : de nombreux adjectifs en –al ont donné un substantif en –lité (généralité, banalité, oralité, banalité, etc.) Mais ce halalité-là apparaît dans une publicité d’une marque d’aliments halals, Isla Délice, qui proclame Qualité Fierté Halalité. Si nous en restions à ces trois mots, nous pourrions tenter d'analyser leurs rapports, dire par exemple qu’il est normal d’affirmer dans une publicité la qualité des produits vendus, qu’ils soient ou non halals, mais nous demander ce que la fierté vient faire ici : faut-il la lire à partir de l’amont (fier de la qualité) ou vers l’aval (fier de manger halal, d’être musulman) ? Mais il faut analyser l’affiche dans sa globalité. On y voit, à droite, un coq (gaulois ?) et, sous les trois mots, une ligne tricolore, bleue sous qualité, blanche sous fierté et rouge sous halalité. C’est-à-dire qu’il n’est pas seulement question d’être fier d’être musulman et de manger halal  mais qu’il y a visiblement (c’est le mot) la volonté d’affirmer une image française, nationale. Et cela a déchaîné sur le web une avalanche de commentaires, certains antisémites (le patron d’Isla délices serait juif… Et alors ?), d’autres racistes (les musulmans voudraient islamiser la république), etc.

Au delà de ces problèmes de néologie, ou à mi-chemin entre ces deux néologismes, halalité  et sarkothon, nous pourrions nous demander si l’opération publicitaire (ou la course de fond pour des fonds) organisée lundi soir par l’UMP est bien halal. A propos, et même si ça n'a rien à voir, je vous soumets une grave question que j’ai entendue récemment : est-ce un blasphème que de citer un blasphème ? Un véritable sujet de bac religieux ! Par exemple, est-ce halal de citer le dicton populaire selon lequel « tout est bon dans le cochon ». Tiens, ça rime avec Sarkothon !

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fleche1er juillet 2013 : Tamarrud/Tagarrud

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Il y a plusieurs mois que je pense que la main mise des islamistes sur la Tunisie et l’Egypte n’était pas très grave, et qu’il allaient très vite faire la preuve de leur incompétence. Ce qui se passe en Egypte en est une belle démonstration. Parmi les centaines de milliers, voire les millions d’Egyptiens, qui demandent le départ de Morsi il y en a beaucoup qui ont voté pour lui. Mais le président frère musulman s’étant plus préoccupé de noyauter l’appareil d’état que de développer l’économie du pays, il est la victime d’un retour de bâton.

Bon, je ne suis pas politologue, et c’est d’un aspect particulier, et linguistique, de ces mouvements que je voudrais parler. Les manifestants qui occupent la place Tahrir (le mot signifie « libération ») ne crient pas seulement leur désir de voir Morsi dégager, démissionner, ils ont un autre slogan, tamarrud, « rebellion ». De l’autre côté, celui des frères musulmans, on scande tagarrud.

Et l’on est tout de suite frappé par la rime. En fait, dans les deux cas, il y a formation de noms d’action à partir des verbes tamarrada (« se rebeller ») et tajarrada (« se dépouiller de quelque chose »), que les Egyptiens prononcent  tagarrada. Le Journal du dimanche d’hier a traduit tagarrud (ou tajarrud, mais c’est une autre histoire) par « impartialité ». Le mot signifie plutôt « dépouillement » mais il peut, par extension, prendre les sens de « renoncement », « désintéressement ». Nous avons donc d’un côté des gens se proclamant rebelles et de l’autre des gens se proclamant désintéressés.

Mais ce que j’aime bien dans ces deux slogans, c’est cet affrontement sémiologique qui a poussé deux groupes antagonistes à utiliser le même mode de dérivation pour parvenir à un parallélisme grammatical et à une rime. La guerre des mots face aux maux générés par Morsi prend ainsi un aspect poétique…

PS : Mes compétences en arabe n’étant pas illimitées, je remerci mon ami Pierre Larcher qui m’a éclairé sur certains des point que j’évoque en répondant à mes questions. Elf chokr, Pierre.

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Juin 2013

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fleche28 juin 2013 : Delaware

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J’ai été absent de ce blog depuis quelques temps, un silence qui s’explique parce qu’on appelle la « promotion ». Après la sortie de mes livres et la polémique sur l’utilisation de l’anglais comme langue d’enseignement à l’université j’ai fait deux émissions de télévision (dont une pour la télévision coréenne !!!), deux interviewes (Télérama, Le Républicain lorrain) et cinq émissions de radio. Ajoutons à cela le comité sur les langues régionales mis en place par la ministre de la culture, qui me donne pas mal de travail, et un colloque de sociolinguistique début juillet où je dois faire une conférence… Bref j’ai été un peu surchargé. Pendant ce temps, l’actualité a été riche en France : Affaire Tapie (mal nommée, il s’agirait plutôt d’une affaire Guéant-Sarkozy-Lagarde), affaire Karachi (c'est-à-dire, sans doute, affaire Balladur-Sarkozy, encore lui) , affaire de la vente de tableaux et des primes en liquide de Guéant (encore lui)…

Mais j’ai plutôt envie de parler du Delaware. Vous connaissez cet état, sur la côte Est des USA ? Sans doute, mais savez-vous qu’il conviendrait de le classer dans la liste des paradis fiscaux  avec le Luxembourg, la Suisse, les Bermudes  et quelques autres? Le Delaware en effet offre une fiscalité à taux zéro qui attire  des riches rentiers ou de grosses entreprises non seulement US mais encore du monde entier. On y compte des milliers de boites postales correspondant à des  entreprises situées en fait aux quatre coins du monde. Bref le Delaware, état de la fédération US, géographiquement peu "exotique" puisqu'il se situe entre New York et Washington, se comporte comme un état "voyou", comme dit le gouvernement américain. Pendant ce temps, les USA font tout ce qu’ils peuvent pour traquer leurs ressortissants qui, à l'étranger, fuient l’impôt. Chercher l’erreur.

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fleche20 juin 2013 : Nomenklatura

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Les élus français devraient se méfier. Qu’ils soient de droite ou de gauche, leurs réactions globalement négatives aux propositions de transparence des revenus, de non-cumul des mandats, leur pudeurs concernant leur système de retraite ou leur utilisation sans aucun contrôle de leurs frais de mandat qui en outre ne sont pas fiscalisés, tout cela ne peut donner qu’une impression : ils se goinfrent et ne veulent surtout rien changer à leurs agapes. Pour ne citer que l’un d’entre eux, le très respectable président socialiste de l’Assemblée Nationale, Claude Bartolone, qui hurle comme un putois pour ne pas dévoiler son patrimoine : son violent refus de rendre public son train de vie est, c’est le moins qu’on puisse dire, gênant, voire douteux. Bien sûr, certains arguments peuvent sembler recevables : on parle de voyeurisme, de « transparence paparazzi »... Mais à l’heure où l’on s’interroge sur une réforme du système des retraites, sur un alignement du public sur le privé, ce qui a priori paraît normal, il semble proprement surréaliste que ceux qui sont amenés à voter sur ces questions ne remettent pas en cause leur propre statut. Un simple exemple : un député, après cinq ans de mandat, s’assure une retraite de 1200 euros. Pour cinq ans de travail ! Or la moyenne française des retraites est de 1256 euros, pour trente à quarante années de travail. Cherchez l’erreur.

Je sais que ce qui précède pourrait paraître ambigu, que mon discours pourrait être taxé de poujadiste. Mais c’est, je crois, tout le contraire. Les élus apparaissent de plus en plus comme une nomenklatura défendant ses privilèges. Et ils risquent fort de déclencher des mouvements populistes, sur le thème de « tous pourris », qui ne pourraient que profiter au Front National. Tout cela pour défendre quelques avantages financiers.

Post scriptum qui n’a rien à voir. Il y a eu dans le sud-ouest de la France d’énormes inondations et, selon les sources, il y aurait dans la grotte de Lourdes un mètre quarante, deux mètres voire trois mètres d’eau. Bref ça augmente miraculeusement. Mais on ne nous dit pas si cette eau est bénite.

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fleche18 juin 2013 : Fourre-tout

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A l’élection législative partielle de Villeneuve sur Lot nous aurons donc au second tour un face-à-face UMP-FN, le PS ayant été éliminé dès le premier tour. L’effet Cahuzac a bien sûr joué à plein, mais aussi le ras-le-bol d’une population qui n’arrive pas à lire la politique du gouvernement, parce qu’elle n’est pas très lisible. Restent deux petites questions. Regardons tout d’abord les chiffres, ou plutôt quatre d’entre eux:

UMP : 9431 voix

FN : 8552 voix

PS : 7748 voix

EELV : 914 voix

Les Verts ont donc obtenu 2,32% des voix. Belle victoire ! S’ils n’avaient pas présenté de candidat et appelé à voter PS, celui-ci serait donc passé devant le Front National. De toute façon, les Verts ont une politique déconcertante, pour ne pas dire imbécile. Prenons un autre exemple. Avec leurs arrachages successifs de champs expérimentaux d’OGM ils sont en train de réduire à néant la recherche scientifique de l’INRA. Belle démonstration des effets stupides de l’idéologie. Deuxième question : le vote au second tour. Comme d’habitude, invoquant le pacte républicain, le PS appelle à voter UMP. Après le 21 avril 2002, lorsque Jean-Marie Le Pen était arrivé au second tour de l’élection présidentielle, éliminant Lionel Jospin, j’avais comme beaucoup de gens appelé à voter Chirac. Et puis, dans le bureau de vote, je n’avais pas mis de bulletin dans l’enveloppe, ne pouvant pas voter Chirac. Or l’UMP est aujourd’hui pire qu’à l’époque de Chirac, elle flirte avec l’extrême droite et je ne vois pas pourquoi nous devrions la préférer au FN. Je ne vote pas à Villeneuve sur Lot, mais si tel était le cas je laisserais ces deux partis de droite se débrouiller entre eux . UMP façon Copé et FN même combat en quelque sorte.

Passons à autre chose. Au Brésil, la population proteste contre les dépenses faramineuses engagées par le gouvernement pour la coupe du monde de football, et on la comprend, lorsqu’on voix l’augmentation du coût de la vie. Selon certains journaux, lors des affrontements entre la police et les manifestants, on a échangé des grenades lacrymogènes contre des jets de noix de coco. C’est beau, l’exotisme. En France, nous ne disposons pas de ces projectiles écologiques. Tiens, voilà un point sur lequel les écologistes français pourraient être utiles. Au lieu de se battre pour obtenir des postes de députés, de sénateurs, de ministres, de les mendier souvent, ils pourraient planter des cocotiers biologiques pour alimenter en munitions les futurs manifestants.

Ne quittons pas la police. Le 3 mai dernier, rentrant de Tunisie, j’avais fait preuve d’un peu d’optimisme en annonçant que les rappeurs Weld el 15 avaient obtenu un non lieu pour leur Boulicia kleb (les policiers sont des chiens). Ils viennent d’être rattrapés par la police islamique : deux ans de taule.

Et, pour finir dans la joie, la police aurait trouvé dans les tiroirs de Christine Lagarde, ancienne ministre de Sarkozy et actuellement patronne du FMI et soupçonnée de complaisance dans l’affaire Tapie, la lettre suivante, manuscrite, et adressée à Nicolas Sarkozy. Elle n’est pas datée, on ne sait pas si elle a été envoyée, mais la lecture en est réjouissante :

"Cher Nicolas, très brièvement et respectueusement, Je suis à tes côtés pour te servir et servir tes projets pour la France. J'ai fait de mon mieux et j'ai pu échouer périodiquement. Je t'en demande pardon. Je n'ai pas d'ambitions politiques personnelles et je n'ai pas le désir de devenir une ambitieuse servile comme nombre de ceux qui t'entourent dont la loyauté est parfois récente et parfois peu durable. Utilise-moi pendant le temps qui te convient et convient à ton action et à ton casting. Si tu m'utilises, j'ai besoin de toi comme guide et comme soutien : sans guide, je risque d'être inefficace, sans soutien je risque d'être peu crédible. Avec mon immense admiration.

 Christine L. "

Hier, les lycéens français passaient l’épreuve de philosophie du baccalauréat, et je trouve que cette lettre aurait été un beau sujet de commentaire de texte. Nous sommes le 18 juin, jour anniversaire de l'appel du général de Gaulle, depuis Londres. Vous imaginez que, lorsque le même général devint président de la république, une minsitre aurait pu lui écrire une telle lettre? Cher Charles (déjà cela commence mal, allitération inélégante), je suis à tes côtés pour te servir (mais non, cela continue en pire, on ne tutoyait pas le général)... Mais pourquoi perdre notre temps: sous bénéfice d'inventaire, je n'ai pas le souvenir de femme ministre sous de Gaille.

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fleche9 juin 2013 : Xyloglossie

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En mars 2006 Jean-François Copé sortait chez Hachette littérature un livre au titre alléchant Promis j’arrête la langue de bois. Ah bon ! Jusque là, donc, il avait pratiqué cette xyloglossie à laquelle les hommes politiques nous ont tant habitués qu’on a du mal à croire ce qu’ils nous racontent…Mais les années qui suivirent nous ont montré que Copé avait très vite oublié cette promesse, et il se surpassa l’été dernier avec une histoire de pain au chocolat que de méchants musulmans avaient volé à un gentil petit garçon parce qu’on ne mange pas pendant le ramadan, puis en s’autoproclamant élu à la tête de l’UMP à la fin d’une élection dont tout le monde s’accorde à dire qu’elle fut truquée. Bref, Copé, la langue de bois, il connaît (j’aime bien cette dernière phrase, qui devrait faire frémir les grammairiens orthodoxes et normatifs).

Le week end dernier, comme vous savez, l’UMP a organisé des primaires pour désigner sa candidate aux élections municipales à Paris. Et Copé, toujours lui, interrogé par la presse, a eu cette merveilleuse phrase : « A l’UMP nous apprenons effectivement  la démocratie, c’est assez nouveau ». Là, effectivement, il arrête la langue de bois, nous annonçant que le parti gaulliste qui depuis plus de cinquante ans est au centre de la vie politique française ne connaissait pas la démocratie. Le scoop, quoi ! A moins, bien sûr, qu’il ne s’agisse d’une astuce de communication. Vous voyez : « Moi, Jean-François Copé, à la tête de l’UMP, j’y ai enfin insufflé de la démocratie ». Ca a dû plaire à Sarkozy, à Chirac, à Juppé… Mais s’il s’agissait de com, cela consisterait à passer de Charybde en Scylla. Allez, Jean-François, encore un petit effort, il te reste du chemin à faire pour tenir ta promesse.…

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fleche7 juin 2013 : Hypocrisies

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Depuis dix ans la Turquie et son premier ministre Erdogan tentent de nous faire croire que l’arrivée au pouvoir du parti AKP ne changeait rien au caractère du régime. La Turquie est en effet officiellement un pays laïque, cette laïcité étant inscrite dans la Constitution. Or, depuis qu’il est aux affaires, Erdogan n’arrête pas de chercher la faille, de pousser le bouchon de plus en plus loin, bref de jouer l’anti-constitutionnalité. Il avait d’ailleurs commencé avant : condamné à quatre ans de prison pour incitation à la haine pour avoir lu en public, alors qu’il était maire d’Istanbul, un poème du nationaliste Ziya Gökalp, il est, pesons nos mots, repris de justice pour délit d’opinion… Cela ne l’empêchera pas d’accéder au pouvoir, et il tente alors systématiquement d’aller contre la laïcité constitutionnelle, en particulier en 2008 lorsqu’il tente de rendre légal le port du voile à l’université. Les amendements à la constitution qu’il proposait seront annulés par la Cour constitutionnelle. La même année son parti, l’AKP, a failli être dissous, à une voix près,  pour activité anti-laïque, mais a cependant été condamné financièrement pour le même motif, perdant 13 millions d’euros de subvention publique. Et tout récemment, encore une fois dans un pays « laïque », il tente de mettre des entraves à la consommation d’alcool, non pas pour des raisons de santé publique mais pour des raisons idéologiques. Passons sur l’insolence d’un premier ministre qui impose sa femme voilée en public, sur la violence de la mise au pas de l’armée (jusqu’ici garante de la laïcité kémaliste), sur tous les manquements à la tradition constitutionnelle : le pouvoir turc est évidemment tendanciellement islamique, les seules limites à cette tendance étant au début sa volonté d’être candidat à l’entrée dans l’Union Européenne. Nous étions là dans un bal de faux culs, l’UE ne voulant pas vraiment de ce pays et ce pays tentant de faire croire qu’il était démocratique.

Puis vinrent les « printemps arabes ». Erdogan a cru y voir une ouverture : vendre le modèle turc à la Tunisie et à l’Egypte. En fait il s’agissait d’exporter la « faux culterie » turque: nous sommes un modèle musulman démocratique et laïque, les frères musulmans égyptiens et en nahda tunisien pourraient apprendre de notre expérience. Mais ce qui se passe actuellement en Turquie montre qu’il y a un gouffre entre la démocratie et le pouvoir de l’AKP, et il est symbolique que pendant les révoltes qui auront peut-être sa peau Erdogan était au Maghreb. Car il se passe systématiquement la même chose en Tunisie, où en nahda laisse faire les salafistes (souvenez-vous de ce qui s’est passé à l’université de La Manouba) et en Egypte.

Tout cela pose le problème de la compatibilité entre la démocratie et la religion. Il s’agit ici de l’islam, mais les autres religions ne sont ou n’ont été guère plus brillantes : songez au catholicisme à l’époque de l’inquisition et à ce qui se passe aujourd’hui en Israël.

Bref, pour en revenir à l’Islam, nous sommes en pleine hypocrisie. Laissons de côté l’Iran, où les fraudes électorales et les mensonges permanents nous dispensent de commentaires, mais entre la Turquie, La Tunisie et l’Egypte, nous assistons à un réjouissant bal des faux culs. Il nous reste à espérer que les réactions populaires renverront enfin ces grenouilles de Coran à leurs mosquées. Car les pays musulmans ne sortiront pas de leur moyen-âge sans un passage par la laïcité.

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fleche1er juin 2013 : Cumul

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Je sais, cela devient lassant, mais bis repetita placent... Le 13 mai je vous annonçais la parution d'un livre et vous parlais d'un pétage de plomb d'Henri Guaino, et bien nous y revoilà. Côté Guaino, il était hier soir invité sur Canal + et comme les journalistes parlaient du rôle probable de Sarkozy dans différents scandales (Tapie, Bettencourt, Karachi...) il a lancé: "Je vais vous donner un scoop, l'assassinat d'Henri IV et celui de Kennedy, c'est Nicolas Sarkozy". Côté livre, il s'appelle Chansons, la bande son de notre histoire, et il est publié aux éditions de l'Archipel, qui ont aussi sorti il y a quelques semaines une réédition en poche de ma biographie de Léo Ferré. Maintenant, promis, j'arrête (enfin, pour un temps) : trois livres en un mois ça frôle l'indécence ou le cumul...

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Mai 2013

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fleche30 mai 2013 : Rapt

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Nous avons donc accompagné Georges Moustaki, lundi après-midi, au cimetière du Père Lachaise. Cérémonie d’abord douce et tranquille, quelques prises de parole entrecoupées de chansons, Elle est elle, Grand-Père, En Méditerranée, Il est trop tard et, surtout, Ambassadeur, qui se termine ainsi : « le ciel d’Alexandrie sera mon dernier toit ». Pourquoi « et surtout » ? Vous allez comprendre.

Alexandrie, sa ville natale, était une ville cosmopolite, dans laquelle se côtoyaient donc différentes religions, et coexistent dans le quartier de Chatby, une suite de cimetières, grec orthodoxe, grec catholique, catholique, copte ainsi qu’un carré des libres penseurs, ce qui est assez inhabituel. Mais il y avait au début du XXème siècle dans cette ville une loge maçonnique importante, et ceci explique sans doute cela. Or le 7 décembre dernier, sur RTL, Jo annonçait qu’il voulait y être enterré. A Noël, il me le confirma et me demanda  de me renseigner sur les démarches à effectuer. J’écrivis donc à un ami travaillant à Alexandrie, qui me répondit ceci:

« Le cimetière des libres penseurs est désormais sous la juridiction des Coptes qui ont entrepris de le squatter en faisant disparaître systématiquement les anciennes tombes. J'y prends régulièrement des photos avant que tout disparaisse. Donc aucun espoir d'y reposer un jour »...

Exit, donc, la possibilité d’y enterrer Jo. Mais ce qui est sûr, c’est qu’il était certes juif de naissance mais athée, antisioniste et très nettement pro-Palestiniens. Si je rappelle cela c’est que lors de son enterrement, après la séquence que j’ai relatée plus haut, quelques interventions, quelques chansons, les choses ont subitement changé de genre : lecture de psaumes en hébreu, bref rite israélite dont il ne voulait absolument pas. J’ai attendu quelques jours pour en parler, le temps que ma colère se calme un peu, mais j’ai le sentiment d’avoir assisté à un détournement de corps, ou à un rapt. Il ne méritait pas ça.

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fleche23 mai 2013 : A Moustaki

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Jo,

Je ne sais pas si tu aurais aimé que je m’exprime, mais depuis ce matin le téléphone n’arrête pas de sonner, journaux, radios, télés, et c’est la même chose pour Sophie, pour Marc, pour d’autres encore je suppose. Jusqu’ici j’ai tout refusé.

De quoi veulent-ils que je parle? Tu te souviens d’octobre 1963 ? Piaf mourait à Grasse et le lendemain Jean Cocteau la suivait. Tu viens de mourir à Nice, quelques heures après  Henri Dutilleux, ton voisin de l’île Saint-Louis avec qui tu avais, dans la rue, de longues discussions sur la théorie musicale.

De quoi veulent-ils que je parle? De ta délicatesse ? Il y a deux mois tu me tenais la main, silencieusement, alors que je venais d’enterrer ma mère. Et il y a exactement une semaine, jour pour jour, alors que je partais pour un aller-retour de travail aux îles du Cap-Vert tu m’écrivais : « Prends bien soin de toi ».

De quoi veulent-ils que je parle? Tu te souviens de ce jour où, rentrant du Brésil, je t’avais dit qu’on y chantait Joseph dans les églises et que nous en avions bien ri ?

De quoi veulent-ils que je parle? Tout à l’heure, dans le métro, un accordéoniste roumain jouait (mal) La Vie en rose et je lui ai donné un peu d’argent de ta part. En fait j’allais à Europe 1, pour une émission consacrée à ma biographie de Ferré et, bien entendu, nous n’avons parlé que de toi. Tu te souviens de cette soirée, alors que Léo t’avait écouté chanter et qu’il te disait : « au fond tu murmures ce que je hurle » ?

De quoi veulent-ils que je parle? Tu te souviens de nos promenades dans les rues d’Alexandrie, lorsque tu me racontais tes souvenirs d’enfance et d’adolescence, l’odeur du calfatage sur le port, le jus de canne à sucre que nous buvions, les loubias au cumin, et les cailles dans le souk d’Attarine, chez Malik es smen ?

De quoi veulent-ils que je parle? Tu te souviens de ces plateaux d’oursins que nous dévorions chez toi, dans l’île ? Des huîtres qu’ouvraient les membres du club des babas au rhum ? De nos repas chez Mavrommatis, et du vin blanc de Jean-Louis Trintignant que nous avons bu à Noël dernier ?

De quoi veulent-ils que je parle? De cette fille qui a vingt ans, des eaux de mars, de ta liberté et de ta solitude, d’eden blues, du facteur qui ne passera plus, du temps de vivre ? De ce jardin qu’on appelait la terre, de Sarah, sans la nommer ? Il est trop tard, bye bye Bahia.

De quoi veulent-ils que je parle? Tu te souviens, le 17 février dernier, ton interview dans Nice Matin d’avant Tapie : « J'ai envie de vivre ce qui peut encore se présenter ».

De quoi veulent-ils que je parle? Tu te souviens que nous faisions des concours pour savoir qui de nous deux connaissait le plus de pays et que nous avions conclu, diplomatiquement, que nous étions à égalité ?

De quoi veulent-ils que je parle? Tu te souviens, lors de nos discussions, de tes clins d’œil avec Claude, lorsque ça t’arrangeait de faire croire que j’étais de mauvaise foi ?

De quoi veulent-ils que je parle? Tiens, je vais parler de la Méditerranée, que tu résumes dans tes prénoms. Tes parents t’avaient baptisé Giuseppe, ton vrai prénom puisque vous parliez italien à la maison. La sage-femme t’avait déclaré à l’état civil égyptien en le traduisant en arabe, Youssef. A l’école française on l’avait traduit en français, Joseph. Devenu Jo pour les intimes, et devenu Georges en France. Tes prénoms, comme les langues que tu parlais, étaient un condensé de ce continent liquide, notre mer, notre mère. Il y a un bel été qui ne craint pas l’automne en Méditerranée.

De quoi veulent-ils que je parle?

Tu es parti ce matin au soleil levant. Alors bon vent, Ciao, salut, adios, adio, saudade, salam, shalom…

(Ce texte a été publié aujourd'hui dans le Huffington Post)

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fleche20 mai 2013 : Caca parle créole et Carmen portugais

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Je viens de participer pendant deux jours à un « forum parlementaire » sur l’officialisation du créole dans la république du Cap Vert, dans lequel j’ai prononcé une conférence inaugurale. Cette république est constituée de neuf îles habitées au total par environ 500.000 habitants, dont 99% parlent créole.  Mais la langue officielle est le portugais. Situation classique de diglossie, donc, et tous les spécialistes de politique linguistique rêvent de n’avoir à connaître que des situations de ce genre car on ne voit guère ce qui pourrait faire obstacle à l’officialisation du créole, la seule question étant de savoir s’il faut conserver le portugais avec la même fonction (et avoir donc deux langues officielles) ou le remplacer par le créole. Une simplicité biblique, donc. Mais…

Mais pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué. Sur le plan linguistique tout d’abord, le créole capverdien connaît quelques variantes entre les îles au vent et les îles sous le vent, variantes qui ne font nullement obstacle à la communication mais permettent aux adversaires du créole de mettre en avant les difficultés d’unification orthographique.

Sur le plan politique, il y a deux principaux partis, le PAICV (parti africain pour l’indépendance du Cap Vert) et le MPD (le mouvement pour la démocratie), le premier ayant 38 députés sur 72, une petite majorité qui ne lui permet pas d’obtenir une révision de la constitution, nécessaire pour officialiser le créole (il y faut les 2/3 des voix). Et comme le parti d’opposition ne veut pas permettre à celui qui est au pouvoir de tirer le bénéfice d’une officialisation, il est contre. Et serait sans doute pour s’il était au pouvoir. Quelqu’un, pendant les débats, a d’ailleurs lancé avec humour : « le PAICV fait semblant d’être pour l’officialisation, le MPD fait semblant d’être contre ». Ce pourrait d’ailleurs être l’inverse, peu importe, nous sommes dans un jeu de rôles où personne ne veut laisser l’autre gagner et où le seul perdant est au bout du compte la langue créole.

Changeons de registre. Dans l’hôtel où nous étions logés, avec un collègue linguiste du Mozambique, nous avons interrogé la jeune femme de la réception sur ses sentiments linguistiques. Elle parlait bien sûr créole et portugais et était plutôt favorable à l’officialisation du premier, même si elle reproduisait le discours sur les difficultés orthographiques. Mon collègue lui demande pourquoi tout le monde a des noms portugais, pourquoi il n’y a pas de noms créoles. Elle réfléchit et dit, « moi je m’appelle Carmen mais à la maison on m’appelle Caca, c’est mon nom créole ». En l’interrogeant un peu plus nous découvrons que là où on l’appelle Caca, en famille, avec ses amis, elle parle créole, et que là où on l’appelle Carmen, au travail, dans les situations formelles, elle parle portugais. La diglossie n’est pas seulement une répartition fonctionnelle des usages, ou la traduction linguistique d’un rapport de force, elle est aussi un brisure interne de l’individu, une schize : Caca parle créole et Carmen parle portugais. Je rapporte cette anecdote et cette analyse au forum, les gens rient, puis je suggère que les rapports entre Caca et Carmen sont en quelque sorte parallèles au comportement du PAICV et du MPD, et l’on rit un peu moins.

Mais les discussions continuent sur le mode de la divergence plutôt que de la convergence. Deux exemples. Au début de la réunion, le ministre de la culture avait déclaré qu’il voulait sortir le créole de sa « clandestinité constitutionnelle », programme qui me paraissait résumer de façon poétique un projet politique. Pourtant sa formule fut contestée par certains affirmant que le créole n’était pas clandestin, puisque tout le monde le parlait. Un peu plus tard, un linguiste et par ailleurs ancien ministre de la culture, Manuel Veiga, propose un court texte à insérer dans la constitution : « le portugais et le créole sont langues officielles de la République ». Immédiatement un intervenant déclare que non, il faut que les langues officielles soient le créole et le portugais, les mêmes donc mais en sens inverse. Et tout à l’avenant…

Bref le Cap Vert vit peut-être un moment historique et dispose des moyens de mettre en route une politique linguistique exemplaire. Sauf si les petites divergences politiciennes continuent d’y faire obstacle. Auquel cas Carmen continuera à parler Portugais et Caca créole…

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fleche15 mai 2013 : Cabuverdianu

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Après mon billet d’hier, je reçois un mail d’une lectrice, donnant ce qui pour elle en est, je suppose, le résumé : « à bas les cons et vivent les confettis ». On peut imaginer pire slogan…

Ceci dit, je pars pour trois jours aux îles du Cap Vert où le gouvernement envisage d’officialiser le créole capverdien (la langue officielle est actuellement le portugais) et organise un forum parlementaire sur ce thème. Je vous raconterai à mon retour.

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fleche14 mai 2013 : Printemps de cons ?

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Ce printemps sera donc celui des cons. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est Jean-François Copé qui, à Nîmes, a lancé devant un public UMP un peu médusé « Les cons c’est vous, c’est moi », avant de prédire un « printemps des cons ». Bien sûr il n’y a pas lieu de s’attarder outre mesure sur les sortie de l’inventeur du vol de pain au chocolat, mais il se trouve qu’au même moment, il y a donc une dizaine de jours, je recevais un message d’un journaliste du prestigieux journal américain Harper’s Magazine me demandant mon sentiment sur la fameuse phrase de Sarkozy, Casse toi pauv’ con. Pourtant notre ex-président a prononcé cette auguste phrase en 2008, le moyen âge presque, et l’on peut se demander pourquoi la presse américaine s’intéresse soudain à cette phrase. En cherchant un peu, je me suis rendu compte que ladite phrase avait donné lieu à un article de Wikipedia, mais oui, avec pour titre Casse toi pauv’ con ! On y apprend que la vidéo de l’événement a été vendue au Parisien, puis à l’Associated Press, qu’elle a été diffusée par CNN puis par toutes les chaînes françaises, TF1 étant la seule à demander l’autorisation à l’Elysée. Elle sera ensuite largement diffusée sur le Web, Youpress renégociant les termes du contrat avec Le Parisien. On y trouve aussi que le 2 mars 2008 Le Monde avait publié un article (que j’avais lu, mais oublié) relatant les difficulté de la presse étrangère à traduire le belle phrase présidentielle. Florilège :

-Dann hau doch ab, Du armseliger Dummkopf (« Alors, tire-toi, misérable imbécile ») dans Die Welt

-Dann hau' doch ab, du Idiot (« Alors, tire-toi, idiot ») dans Der Spiegel

-Dann hau doch ab, Du Blödmann (« Alors, tire-toi, connard ») dans Der Tagesspiegel

-Vai via, vai via, allora, povero coglione19 (« Va-t’en, va-t’en, alors, pauvre con ») dans La Stampa

-Then get lost, you poor jerk! (« Alors, dégage, pauvre crétin ! ») dans l’International Herald tribune

-Rajá, pobre pelotudo (« Taille-toi, pauvre con ») dans Clarin

-¡Lárgate, pobre imbécil! (« Tire-toi, pauvre imbécile ! ») dans El Pais

Etc.

Mais aucune traduction ne rendait vraiment compte de la connotation sexuelle et machisme du terme con (latin cunnus, sexe féminin). Il demeure, comme je l’écrivais plus haut, que ce printemps serait celui des cons, du moins selon Copé, envers qui je professe bien sûr le plus grand respect et qui doit savoir de quoi il parle. La soudaine notoriété de ce délicieux mot est bien sûr due au syndicat de la Magistrature et à son Murs de cons. Mais la morale de l’histoire est cependant ailleurs. Sarkozy aura marqué l’histoire sur un point au moins. Et il aura du même coup servi la langue française. Je suggère qu’on le décore immédiatement de l’ordre de la Francophonie.

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fleche13 mai 2013 : Confettis et pétage de plombs

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Un ami qui dînait chez moi, Joseph pour ne pas le nommer, et à qui je l’avais offert, m’a fait remarquer que je n’avais pas signalé la parution de mon dernier livre. Ciel ! Alors : Louis-Jean Calvet et Alain Calvet (qui n’est pas, comme l’ont écrit certains journalistes, mon fils mais mon frère), Les confettis de Babel, diversité linguistique et politique des langues, aux éditions Ecriture. Voilà, vous savez tout.

Et si vous suivez l’actualité, vous savez aussi qu’Henri Guaino fait des siennes. Après avoir déclaré qu’un juge avait déshonoré les institutions et déshonoré la justice, pour la « simple » raison qu’il avait mis Sarkozy en examen, il est poursuivi par le procureur de Paris pour outrage à magistrat. Et voilà qu’il déclare à qui veut l’entendre qu’il n’a pas l’intention de répondre aux questions de la police, chargée de mener une enquête préliminaire. Pour un député, chargé de voter les lois et sensé représenter la nation, voilà une curieuse façon de faire, une attitude que l’on pourrait conseiller à tous les délinquants, petits ou grands, interrogés par la police : « je refuse de répondre à vos questions ». D’ailleurs certains le font, ce qui tendrait à montrer que Guaino se conduit comme un délinquant, petit ou grand. Mais ce n’est pas tout. Il s’est en effet lancé hier, lors d’une émission de télévision, dans une comparaison un peu foireuse. Les livres d’histoire, explique-t-il, disent tous que Zola avait raison lorsqu’il avait pris la défense du capitaine Dreyfus, alors qu’à l’époque il avait été trainé dans la boue. Sarkozy-Dreyfus et Guaino-Zola ? Ca se saurait ! Disons plutôt que le député a pété les plombs.

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fleche4 mai 2013 : Premier anniversaire

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Il y a un an, lorsque nous nous sommes débarrassé de ce furoncle qui déshonorait le visage de la France, j’ai été, comme beaucoup d’autres, ravi. Même si, après avoir ici pendant des années analysé , critiqué, brocardé le pouvoir en place, je me suis senti un peu orphelin, privé de cible… Et nous voici au premier anniversaire de l’élection de François Hollande. L’heure des bilans ? Difficile à dire, tant les réformes avancées dans le désordre sont occultées par un immense bordel ambiant. Je rentre d’une semaine en Tunisie où, à part un journal quotidien, je n’ai guère regardé la télévision, sauf pour une émission, autour de Jean-Luc Mélenchon. Je venais de faire un article sur son discours, pour l’hebdomadaire Politis, et en le voyant plastronner, invectiver, afficher son air content de lui, menton levé, je me suis dit que j’étais passé à côté de la plaque. J’avais insisté sur son langage de voyou, sur ses ressemblances avec Georges Marchais mais, en le voyant, en l’écoutant, une comparaison s’imposait à moi : Mussolini ! Il y a en effet du duce dans cet homme, un duce d’autant plus pitoyable qu’il est sans pouvoir. Et puis, de retour en France, l’actualité m’impose Arnaud Montebourg et sa sortie sur Dailymotion. Depuis des mois ce type me paraît ridicule, prétentieux, prompt à ouvrir sa gueule avec componction, affectation , sans jamais tenir ses promesses. Il est au pouvoir, lui, contrairement à Mélenchon, mais tout aussi inefficace. Et son couac, un de plus, avec Moscovici, commence à faire désordre, un désordre qui devient l’image publique du gouvernement. S’il fallait revoter, je voterai bien sûr de la même façon, mais si j’avais une once de pouvoir je secouerais Hollande : alors, François, tu ne peux pas imposer ton autorité ? En mai dernier, un ami lecteur de ce blog m’avait écrit ceci :

Après avoir exercé ta verve contre la langue (si l'on peut dire) du sarkozysme triomphant, j'espère que tu feras de même (fût-ce sur un autre mode) non pas nécessairement contre mais sur le discours hollandais. N'oublie pas que le rôle de l'intellectuel est d'être toujours "ardent mais sceptique".

J’avais enregistré, sans plus. Je relis aujourd’hui son mail et je me dis d’une part qu’il avait raison, bien sûr, et d’autre part que ce n’est pas le discours « hollandais » qu’il faudrait analyser mais celui, plus large et plus brouillé, du gouvernement. Un an c’est court ou c’est long, cela dépend du point de vue, mais quoiqu’il en soit c’est largement suffisant pour se rendre compte que ceux que nous avons envoyé au pouvoir bredouillent. Allez, reprenez vous !

Pour revenir tout de même à la droite, il y avait hier soir dans l’émission Ce soir (ou jamais !) deux invités cravaté, sûr d’eux, bronzés ou trop maquillés, bref des têtes à claques. L’un, Eric Brunet, est un polémiste de droite, qui sévit sur différents media comme « journaliste » (je mets ce terme entre guillemets car il ne semble pas avoir de carte de presse) et qui avait sorti en 2012 un livre au titre visionnaire : Pourquoi Sarko va gagner. L’autre, Thierry Saussez, a été  à partir de 1982 dans l’équipe de communications de Sarkozy, puis de 2008 à 2010 délégué à la communication du gouvernement. Il a hier soir annoncé qu’aux prochaines élections européennes. «Madame Le Pen sera devant la liste du PS». Nous avons pu juger du bien-fondé de la prédiction de Brunet, il nous reste à attendre pour voir ce qu’il en sera de celle de Saussez.

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fleche3 mai 2013 : Khemais et Achour

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Je viens de passer une semaine en Tunisie, pour prendre l'air de mon pays natal. Je vous en avais parlé ici (voir avril 2012) : j’avais assisté à l’université de la Manouba, à Tunis, à une tentative des salafistes d’imposer de différentes façons leur loi, d’obtenir une mosquée sur le campus, le droit pour les étudiantes d’être voilées, la fin de la mixité dans les amphithéâtres, etc. Et une étudiante avait prétendue que, dans son bureau, le doyen l’avait giflée. Il vient d’être acquitté, et même si cela n’est pas grand chose, c’est tout de même une victoire dans le contexte actuel. Autre petite « victoire » : le groupe Weld el 15 avait posté sur You Tube un rap portant le doux nom de Boulicia Kleb  (« les policiers sont des chiens »), un rap que vous pouvez écouter mais, désolé, en arabe tunisien. Condamnés à deux ans de prison en mars pour « atteinte aux bonnes mœurs », les auteurs viennent en appel  d’obtenir un non lieu. Difficile de savoir s’il faut en conclure que les policiers tunisiens sont des chiens ou n’en sont pas. Ce qui est sûr c’est que la petite corruption (la grande corruption est plus difficile à percevoir) semble se généraliser dans les services publics, police et douanes en tête. Un billet glissé dans un permis de conduire ou un passeport que l’on tend à un représentant de l’autorité arrange ainsi bien des choses. Parallèlement, et c’est cela qui m’intéresse, une sorte d’argot des corrompus et des corrupteurs semble se développer. Ainsi les billets de banque les plus quotidiens, ceux de cinq et de dix dinars, ont été affublés de prénoms.  Khemais ou Khamous pour un billet de 5 dinars, Achour pour un billet de dix.  Et alors, me direz-vous. Nous avions bien pascal ou, en verlan, scalpa, pour notre ancien billet de 500 francs ! Oui, mais le mot renvoyait simplement à la figure du philosophe Blaise Pascal qui se trouvait sur le billet alors qu’il s’agit là de quelque chose de plus linguistique. Le lexique arabe repose en effet sur des racines consonantiques et l’on peut modifier le sens d’un mot en jouant sur les voyelles. Ainsi le kleb  de Boulicia kleb  est le pluriel du mot kelb, « chien ».  Or « cinq » se dit en arabe khamsa et « dix » achra, et vous voyez que les prénoms donnés aux billets reposent sur la racine consonantique de ces deux mots, avec des voyelles différentes. Je dois dire que j’adore cette inventivité…

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Avril 2013

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fleche20 avril 2013 : Lapsus

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Je sais, j’arrive un peu en retard mais j’avais d’autres choses à faire et à écrire. Alors, retour au début de la semaine. Mardi dernier, le 16 avril, Jérôme Cahuzac se livrait sur BFM TV à une sorte de confession-confidence dont les commentateurs ont très généralement dit ou écrit qu’il s’agissait d’un exercice de communication, contrôlé, calibré, préparé avec l’aide de spécialistes. Ce qui n’était pas faux. En particulier l’absence de cravate, le col ouvert, lui donnait un air de suspect en garde à vue. Pourtant l’exercice n’était pas aussi maîtrisé qu’on l’a dit et j’avais noté sur un bout de papier le passage suivant :

« J’oublie cette affaire à force de l’occulter. C’est probablement d’ailleurs ce qui me permet de faire ce que j’étouffais… ce que j’ai fait par ailleurs, pardon. Si on n’admet pas ça, on ne peut rien comprendre».

 Le lapsus était énorme, se voyait comme le nez au milieu de la figure (le nez de Pinocchio, bien sûr). Cahuzac avait tout fait pour étouffer son affaire et s’emmêlait joyeusement les pinceaux. Mais ce qui m’avait frappé était ailleurs. Dans mon livre Le jeu du signe je prenais pour illustrer le rôle de ce que j’appelle la rétroaction dans la construction du sens un passage d’une chanson de Bénabar : « J’ai tout lu, j’ai tout vu, j’ai tout fait, j’étouffe encore ». Et le lapsus de Cahuzac, révélant son « je », calquait le jeu du chanteur. Pour la petite histoire, notons que l’ancien ministre n’en était pas à son premier dérapage. En décembre 2011, alors qu’il était député et président de la commission des finances, il était interrogé par le journaliste Jean-Michel Apathie : « Une question concernant Dominique Strauss-Kahn, dont vous étiez proche ». Et sa réponse fut délicieuse : «Je crois que les lapins, euh, les latins, euh, la grippe me fait vraiment des dégâts, je crois que les latins ont une formule, is fecit cui prodest, à qui profite le crime »… Cahuzac avait une grippe, il avait pris froid, et c’est sans doute cela qui le faisait penser à un chaud lapin…

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fleche19 avril 2013 : Ferré, Fillon, Copé

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Commençons par le plus (ou le moins ?) important : ma biographie de Léo Ferré, sortie il y a dix ans, vient d’être publiée en format de poche avec, en prime, une préface de Bernard Lavilliers (chez Archipoche). Il y aura dans les semaines qui viennent deux autres livres, originaux ceux-ci, l’un sur la diversité linguistique et l’autre sur la chanson, je vous tiendrai au courant.

Et passons au plus (ou au moins ?) important. Cette nuit, l’Assemblée Nationale a été le témoin d’un beau désordre. Tiens Ferré, justement, disait dans Il n’y a plus rien « le désordre c’est l’ordre moins le pouvoir » : c’est peut-être parce qu’elle n’a plus le pouvoir que la droite, si attachée d’habitude à l’ordre, tente de semer le désordre. Frigide (peut-être, je n’ai pas le moyen de savoir) Barjot (ça, c’est sûr) est dorénavant un peu hors course. Après avoir été dépassée par l’extrême droite voilà qu’elle est marginalisée par les députés UMP qui ont failli en venir aux mains avec ceux de la majorité. Nous sommes loin du « mariage pour tous », sur lequel portait théoriquement la discussion. Partout montent des rancoeurs, des aigreurs, des haines anti homos, anti IVG, anti gauche en fait, tandis de Jean-François Copé et François Fillon tentent de tirer les marrons du feu, chacun pour soi. Pour le premier il s’agit de montrer qu’il est le meilleur opposant puisque le plus bruyant, qu’il monte au créneau, qu’il est digne en somme d’être non seulement le patron (mal élu, comme on s’en souvient) de son parti mais encore le prochain candidat à la présidentielle. Pour le second il s’agit de montrer qu’il est un opposant raisonnable, convenable, calme, intelligent, bref qu’il est digne d’être le prochain candidat à la présidentielle. Il y a longtemps que la sagesse africaine dit qu’il n’y a place pour deux caïmans dans le même marigot. Le caïman Copé et le caïman Fillon n’ont pas fini de nous montrer la véracité de ce proverbe.

Pourtant la loi sur le « mariage pour tous » a été votée par l’Assemblée, puis votée avec quelques modifications par le Sénat, elle est revenue à l’Assemblée où elle sera définitivement adoptée dans quelques jours. Alors pourquoi ce chahut ? Ils ont voté, après tout ! Tiens, ça me rappelle une autre chanson de Léo, Ils ont voté. Ponctué par des « ils ont voté…et puis après ? », son texte se terminait ainsi :

« Dans une France socialiste

Je mettrais ces fumiers debout

A fumer le scrutin de liste

Jusqu'au mégot de mon dégoût

Et puis assis sur une chaise

Un ordinateur dans le gosier

Ils chanteraient la Marseillaise

Avec des cartes perforées ».

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fleche16 avril 2013 : Frilosités

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Virginie Merle, vous connaissez ? Non ? C’est vrai qu’il s’agit de son nom de jeune-fille. Alors Virginie Tellenne ? Vous ne connaissez pas non plus ? C’est vrai qu’elle se cache derrière un pseudonyme, Frigide Barjot. Là, vous y êtes. Elle fut dans le temps rédactrice des discours de Charles Pasqua, ce qui est déjà une référence, elle est aujourd’hui sur toutes les chaînes de radio et de télé, dans tous les journaux, cheftaine de file (si je puis risquer ce féminin de chef de file) des antis « mariage pour tous », avec  à ses côtés l’incroyable Christine Boutin et pas très loin derrière elle des militants d’extrême droite. Car le mariage pour tous exacerbe les passions et génère les dérapages. Brigide Barjot a même promis du sang, voire la guerre civile. Et elle n’est pas la seule. J’ai entendu hier un jeune et gros con à qui l’on tendait complaisamment un micro parler d’ « accouplement sodomite » et un vieux con parler de « sainte colère ». Je crois l’avoir déjà écrit ici, cette histoire de mariage ouvert à tous, donc aux homosexuels, me laisse assez indifférent, et seuls ces crispations réactionnaires me pousseraient à le défendre. Mais surtout, face à ces manifestations hurlantes, je me dis « tout ça pour ça ! ». Souvenez-vous du PACS. Créé en 1999 par le gouvernement Jospin, il avait donné lieu à la même hystérie. La droite avait mené une bataille parlementaire acharnée. Christine Boutin, déjà elle, avait fait à l’assemblée nationale un discours de cinq heures en brandissant la Bible. Aujourd’hui plus personne n’en parle, le PACS est entré dans les mœurs et, selon l’INSEE on célèbre chaque année à peu près autant de PACS que de mariages, et il est surtout utilisé par des couples hétérosexuels. Tout ça pour ça ! Dans quelques années on ne parlera sans doute plus du mariage pour tous, sauf pour constater que les homosexuels ont acquis le droit au divorce.

Autre scandale dans l’actualité : la publication du patrimoine des ministres. On parle de striptease, d’impudeur, de loi des paparazzi... Et les parlementaires semblent redouter qu’on leur applique cette mesure : rendre public leur patrimoine, quelle horreur ! Une amie qui se considère comme d’extrême gauche et n’a d’ailleurs guère de patrimoine me dit avec mépris qu’on copie la morale protestante des pays nordiques. La morale protestante ! Beurk ! Tiens, à propos de morale, musulmane celle-ci, le pianiste turc  Fazil Say a été condamné par la justice de son pays pour avoir proclamé son athéisme. J’aurais tendance à dire que la bêtise est la chose du monde la mieux partagée et à en rester là, mais la chose est plus grave : l’inquisition n’’est pas morte ! Revenons à la France, où l’on peut encore manifester son athéisme. Il est probable que, encore une fois dans quelques années, la publicité du patrimoine des politiques sera entrée dans les mœurs, tout comme le mariage pour tous. Mais l’accouchement de tout cela est bien difficile. Bien sûr ces crispations servent sans doute d'écran de fumée pour tenter de faire oublier d'un côté l'affaire Cahuzac et de l'autre la décrépitude de la droite et ses déchirures interne. Mais il demeure que la France est décidément un pays frileux et rétrograde.

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fleche13 avril 2013 : Verbatim

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J’ai fait cette semaine des conférences en des lieux extrêmement exotiques qui me changent de l’Afrique, des Amériques et de l’Asie entre lesquels j’ai l’habitude d’évoluer : le Luxembourg, Thionville et Sarreguemines. Vous trouverez tout cela sur une carte, en cherchant bien… Mais ce n'est pas de géographie que je voudrais vous parler. Il y a quelques années j’avais reçu une étudiante étrangère, professeur de français dans l’académie de police de la capitale d’un pays de l’est, et qui voulait faire une thèse sur l’argot français. Sa qualité professionnelle  lui avait donné accès à la préfecture de police de Paris où on lui avait confié des transcriptions d’écoutes téléphoniques dont je m’étais délecté. Il y en avait une en particulier, une conversation entre un jeune beur et sa mère : elle le conseillait pour l’utilisation d’une carte de crédit qu’il avait volée… « Surtout ne dépense pas trop à la fois ! ». J’ai repensé à ces écoutes cette semaine. Je me trouvais donc  à Luxembourg, à la terrasse d’un hôtel chic, lorsqu’un monsieur bien mis, l’air distingué, a répondu à un appel téléphonique sur son portable. Il parlait assez fort et dès le début je me suis mis à noter, vous allez comprendre pourquoi. Vous trouverez ci-dessous des notes prises sur le vif. Evidemment il manque la moitié des répliques, celles de la personne qui est à l’autre bout du fil. Mais tout cela déjà bien instructif et vous pouvez vous amuser à tenter de remplir les vides. Voici donc ce que j’ai entendu :

-Votre client, il est Français ou Belge ?

(……)

-Il est à l’ISF en France ?

(……)

-Ca représente combien ?

(……)

-Oui, ça tient la route.

(……)

-Vous me signerez une promesse de  rachat dans 18 mois ?

(……)

-Quel est son problème, sa difficulté ?

(……)

-Il fait quoi dans la vie ?

(……)

-Ah ! Il est connu ?

(……)

-C’est encore des sommes qui sont dans mes possibilités

(……)

-Vous allez avoir du mal à sortir ça comme ça

(……)

-Il faut être plus rigoureux

(……)

-Si vous les amenez à la valeur comptable, y’a  plus de problème

(……)

-Après on les fait expertiser et on les rachète à 60%

(……)

-Faites la séparation. Je suis d’accord pour prendre tout, mais séparez l’hôtel de l’appartement, le professionnel du privé

(……)

-Il a intérêt à ce qu’on rachète pas cher pour que le fisc ne fasse pas de problème, et qu’il puisse racheter six mois plus tard

(……)

-Il a quoi comme hypothèque ?

(……)

-Un million ?

(……)

-Moi j’en prendrai quatre, cinq

(……)

-Vous êtes quoi, vous, vous êtes qui ?

(……)

-Y’a combien de SCI ?

(……)

-Non, il faut créer une SOPARFI par bien, pour chaque bien

(……)

-Il a besoin de combien ?

(……)

-C’est faisable

(……)

-Ca devient des fonds propres

(……)

-On n’est pas capable de mettre dix millions. Il nous faut un autre investisseur

(……)

-Moi je touche partout. Vous vous payez comment?

(……)

-Vous êtes son comptable ?

(……)

La discussion a ensuite porté sur les pourcentages de commission, et j’ai arrêté de noter.

Il se trouve que cette même semaine le Luxembourg annonçait qu’il allait alléger le secret bancaire, mais cela n’avait pas l’air de gêner beaucoup ce monsieur. Pour votre gouverne, et afin que vous compreniez mieux le texte ci-dessus, j’ai cherché le sens de certains termes. Une SOPARFI  est une « société de participation financière » luxembourgeoise qui permet d’encaisser des dividendes sans retenue à la source dans les pays où se trouvent ses filiales. Et une SCI (société civile immobilière) permet en France de posséder à plusieurs un bien immobilier et en facilite la transmission.

Conclusion de tout cela : nous vivons une époque formidable… même sans secret bancaire !

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fleche8 avril 2013 : C'est beau, le sport

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Les jeux olympiques ne posent aucun problème étymologique : comme chacun sait, ils tirent leur nom de la ville d’Olympie, au centre du Péloponnèse, dans lazquelle ils étaient organisés. En revanche le gymnaste ou le gymnase ont une origine intéressante : le mot grec gymnos, « nu ». En effet le pugilat ou le pentathlon se pratiquaient à l’époque antique dans le plus simple appareil. Et alors ? direz-vous. Et  alors il vient de se passer à Doha un événement notable. Le Qatar, qui doit organiser en 2022 la coupe du monde de football (on le soupçonne d’ailleurs d’avoir payé certains des votants…), aimerait également organiser en 2024 les jeux olympiques. En attendant, on a ouvert à Doha une grande exposition sur l’histoire de l’olympisme, avec des statues prêtées par des musées grecs, italiens, français et allemands. Mais, surprise, le jour de l’inauguration une grande salle était quasiment vide, celle où l’on aurait justement dû trouver des athlètes gréco-romains, des gymnastes, donc des nus. La pudibonderie musulmane n’a pas de limites diront certains. Mais ce sont des mauvaises langues et il y a peut-être une autre explication. Lorsque dans certains pays on vitriole des femmes non voilées ou qu’on coupe la main des voleurs, on pouvait tout craindre pour l’intégrité de statues d’hommes nus et les organisateurs de l’exposition ont tout simplement voulu protéger des œuvres d’art. C'est beau le sport! Et c'est beau la protection des oeuvres d'art!

Restons dans le sport. En suivant à la télévision la coupe Davis de tennis j’ai été frappé par le nationalisme des journalistes français dont les commentaires étaient insupportables de chauvinisme. J’ai aussi été frappé par le « talent » du public argentin qui, par ses manifestations (tambours, trompettes, hurlements) réussit à rendre un tournoi de tennis aussi vulgaire qu’un match de football. On n’arrête pas le progrès…

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fleche5 avril 2013 : Look de bourgeois, discours de voyou

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L'hebdomaire Politis a publié dans son numéro d'hier, sous le titre "Clivage", deux textes concernant le discours de Mélanchon, l'un de Benoît Schneckenburger et l'autre de votre serviteur. Je vous mets ci-dessous ma contrinution.

« Je suis le bruit et la fureur, le tumulte et le fracas » : Mélenchon revendique son parler « cru et dru ». Dire qu’il y a du Robespierre en lui est un lieu commun qui doit lui plaire, lui qui s’autoproclamait, lors du congrès du de Bordeaux, «tribun du peuple ». Sa volonté d’être le trublion de la gauche, sa façon d’agresser les journalistes et les politiques (traitant par exemple David Pujadas de « salaud » et de « larbin » et Marine Le Pen de « semi démente »), tout cela vient de culminer à propos de Pierre Moscovici : « Ma manière de parler les dérange parce que j’appelle un chat un chat et qu’un de mes camarades appelle un salopard un salopard », ajoutant que Moscovici « ne pense plus en français mais dans la langue de la finance internationale ». Inutile de multiplier les citations: Mélenchon est une grande gueule et le système médiatique préfère les grandes gueules aux discours sérieux dispensés mezzo voce. Il ne fait pas dans la demi-mesure et sa façon de parler est une forme de communication, une utilisation des media qui se précipitent pour faire écho à ses imprécations. Certains portent sur elles un jugement moral, condamnant ses excès, regrettant ses dérapages ou ses injures. Il me paraît plus intéressant de nous demander de quoi tout cela est-il le signe.

Grande gueule : cette expression est presque la description physique d’une réalité phonétique.  Souvenons-nous de Giscard, bouche en cul de poule, lèvres étirées vers l’avant, susurrant ses phrases, et de Marchais, bouche largement ouverte, articulant ses voyelles à l’arrière. Deux styles, deux façons de s’exprimer qui passaient par le geste, par la voix, par la gueule justement. Pourtant, ce qu’il y a de frappant chez lui, ce n’est pas qu’il nous rappelle le style populiste de Marchais, c’est que son style verbal tranche sur son look de notable de province. Costume sombre, cravate grenat ou rouge, assortie à une rosette exhibée à la boutonnière qui ressemble fortement à la légion d’honneur (en fait il s’agirait de l’ordre national du mérite argentin…). Look de bourgeois, discours de voyou : nous avons là une sémiologie qui s’apparente à un oxymore, terme dont il faut rappeler qu’il unit deux racines grecques, l’une signifiant «fin» et l’autre « niais ».

Il fut ministre délégué dans le gouvernement Jospin, et s’y comporta très sagement, il est passé à une autre rhétorique, mais on a l’impression qu’il cherche à corriger le tir,  à affirmer que la violence de la forme ne cache pas une vacuité du fond, à rappeler qu’il a des lettres: « Je suis plus instruit et cultivé que la plupart des petites têtes d’œuf qui m’affrontent. Je suis allé à l’école… » . Qu’il soit allé à l’école nul n’en doute, et on a alors presque envie de le consoler, de lui dire doucement « Mais non, mon petit, tu n’es pas un cancre ».

Le ton, la facture de ses interventions orales ont quelque chose d’une crise d’adolescence.  Tout est là, dans cet oxymore fait homme, qui semble se débattre entre deux pulsions, sautiller d’un bord à l’autre de sa schize, hurlant d’une part « je vous hais » et murmurant d’autre part « aimez-moi ». On sait que les adolescents se construisent contre leur environnement, contre le pouvoir de leurs parents. Léo Ferré, dans Madame la misère, évoquait ceux qui prenaient « par la main leurs colères adultes afin de ne les perdre pas ». Les colères de Mélenchon semblent pour leur part juvéniles, et l’on peut se demander contre quelle autorité parentale elles se dressent, contre qui il veut se construire.

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Mars 2013

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fleche29 Mars 2013 : Lectures

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En 1964, à 22 ans, j’ai quitté Nice où j’étais étudiant pour Paris où j’avais été élu vice-président de l’UNEF, chargé de la communication. A ce titre, j’étais en même temps rédacteur en chef de 21.27, le journal du syndicat (le nom renvoyait simplement au format A 4)  et, dans le paquet cadeau, j’avais trouvé en prime Michel Politzer, le maquettiste, qui avait (qui a toujours d’ailleurs) huit ans de plus que moi. Il me fit découvrir la cuisine vietnamienne, me fit comprendre l’importance du rapport entre texte et illustration dans une page et surtout, au fur et à mesure que la confiance puis l’amitié s’installaient, il me parla de sa famille. Son père, Georges Politzer, philosophe communiste, fut fusillé par les Allemands en 1942 sur le mont Valérien, tandis que sa mère, Maï, mourrait à Auschwitz. Michel n’avait de ses parents qu’un souvenir flou et quelques photos, mais il me parlait de son père, qu’il appelait Georges, dont il voulait construire une image plus consistante. Le graphisme journalistique n’était qu’un gagne-pain passager, Michel était peintre et il s’installa bientôt en Bretagne pour se consacrer à la peinture et à l’illustration de livres pour enfants. Lors de nos rencontres désormais espacées, de nos échanges de mails, il me laissait entendre qu’il progressait dans sa quête. Et bien voilà, il a terminé : un livre qui après bien des recherches, bien des enquêtes, retrace la vie de ses parents. Sur le fond, on y apprend des tas de choses sur l'Europe de la première moitié du XX° siècle (Georges Politzer, né en Hongrie où il fait ses études secondaires, passe par Vienne où il découvre Freud pour aller étudier la philosophie à Paris), sur les mœurs du Parti Communiste dans les années 1930 et 1940, sur ses fluctuations politiques au moment du pacte germano-communiste, sur sa façon de s’inventer des héros ou des couples exemplaires pour alimenter la machine à fabriquer des mythes. Sur la forme, je dois dire que je suis tombé sur le cul. Une écriture splendide, une écriture de peintre si je puis dire, dont l’œil analyse une photo en noir et blanc ou une écriture en graphiste autant qu’en historien, une écriture qui se raconte en train d'écrire et ne vous laisse pas un moment de répit ou d'inattention. C’est à la fois touchant et jouissif, et je dois dire que j’ai dévoré l’ouvrage. Il s’appelle Les trois morts de Georges Politzer et il sort la semaine prochaine chez Flammarion.

Cela n’a rien à voir, mais Le Point vient de sortir un supplément consacré aux Tontons flingueurs, ce film mythique dont on fête cette années les cinquante ans. Vous y trouverez entre autre choses trois pages dans lesquelles j’analyse la langue de Tontons, ou plutôt celle de Michel Audiard, le dialoguiste.Ca, c’était la petite minute d’auto-promotion.

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fleche26 Mars 2013 : Mythologies

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Cela n’aura pas échappé à mes lecteurs français : pendant deux jours la marque de caramel Carambar a fait le buzz. Pensez donc : le bruit courrait qu’ils allaient abandonner les petite blagues à deux sous que l’on trouvait sur le papier d’emballage ! Tous les journaux radio et télé en ont parlé, des pétitions ont circulé sur Internet. Rendez-nous nos blagues Carambar ! Rendez-nous nos blagues Carambar ! Rendez-nous nos blagues Carambar ! Dimanche, à Paris, on manifestait contre le mariage pour tous, mais on pouvait imaginer que lundi ou mardi les mêmes foules en émoi allaient défiler pour réclamer le retour des blagues Carambar. Finalement c’était une blague. Ou un coup de pub gratuit. Non, Carambar n’allait rien changer à ses papiers d’emballage, mais jamais on n’avait autant parlé de cette marque. Apparemment leur projet était de faire durer la supercherie jusqu'au premier avril, mais devant l'ampleur des réactions et des protestations ils ont dû la révéler plus tôt. C'est beau, la mobilisation populaire!

Samedi un responsable du Front de gauche traitait un ministre de salopard tandis qu'Henri Guaino agressait verbalement un juge, celui qui a mis Sarkozy en examen, disant qu'il deshonnorait la justice, suivi par une meute UMP déchaînée. L'injure en politique avait un peu disparu, voici qu'elle revient en force.

Et puis hier soir, au grand journal de Canal +, trois invités « politiques ». Outre un sénateur socialiste il y avait là Frigide Barjot, une sorte d’allumée qui est devenue la porte parole des manifestations contre le « mariage pour tous », et Isabelle Balkany, venue défendre son ami  Sarkozy, injustement mis en examen selon elle et quelques autres. Elle sait de quoi elle parle, Isabelle Balkany, elle qui avait été condamnée par la chambre régionale des comptes d’île de France pour prise illégale d’intérêt : avec son mari, elle avait utilisé des employés municipaux qui travaillaient chez eux, dans leurs résidences principale et secondaire…

Les blagues de Carambar, le mariage pour tous, des injures de charretier, la mise en examen de Sarkozy, des « femmes politiques » improbables, je sais, tout cela n’a rien à voir. Et pourtant… Il y a trente trois ans, le 26 mars 1980, mourrait Roland Barthes, et il se serait bien amusé de ces petits faits, qu’il aurait disséqués avec plaisir et cruauté. Alors, c’est l’occasion de relire ses Mythologies. Dans leur grande majorité, elles n’ont pas pris une ride.

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fleche23 Mars 2013 : IMPRESSIONS MAURITANIENNES

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Je viens de passer cinq jours à Nouakchott, invité à donner trois ou quatre conférences. Je connaissais la situation linguistique de la Mauritanie de façon livresque, grâce à des articles, des thèses, des ouvrages lus, mais je n’y avais jamais mis les pieds. Impressions…

Un pays et des langues

Commençons par l’aspect juridique. Il y a en Mauritanie une langue officielle, l’arabe, et quatre langues nationales, l’arabe, le wolof, le soninké et le pulaar. Ajoutons-y une langue sans statut mais enseignée à tous les niveaux à côté de l’arabe, le français, qui est également très présente dans l’environnement graphique (les enseignes sont systématiquement bilingues). Reste une langue que pratiquement tout le monde parle mais qui n’a aucun statut officiel, le hassaniya, ou arabe mauritanien. Il y a dans cette situation juridique quelque chose de paradoxal, que l’on retrouve d’ailleurs dans tous les pays arabophones : l’arabe officiel n’est la langue maternelle de personne tandis que l’arabe parlé, langue maternelle de la majorité de la population, n’a aucun statut officiel alors qu’on s’attendrait à la trouver dans la liste des langues nationales.

Il est difficile de savoir combien de locuteurs parlent ces langues. Selon le site de l’université Laval, 80% de la population auraient l’arabe hassaniya pour langue première, 88% selon Ethnologue. Et il est impossible de savoir combien de gens parlent les autres langues locales. En revanche j’ai été très frappé par la différence faite par tout le monde entre les beidane et les haratine. Les beidane (singulier bidhani) sont les maures blancs tandis que les haratine (singulier hartani) sont les maures noirs. Tous parlent la même langue, l’arabe mauritanien, et ils s’opposent globalement aux locuteurs des autres langues. Mais les haratine sont descendants d’esclaves et continuent à avoir un statut inférieur. « Un bidhani, me dit-on, ne donnera pas sa fille en mariage à un hartani, sauf si celui-ci est très riche ». Et on ajoute : « Les beidane sont d’anciens éleveurs, des nobles, les haratine d’anciens cultivateurs, et les cultivateurs ne sont pas nobles ». Il est difficile d’aller plus loin car le sujet est quasi tabou : l’esclavage est théoriquement aboli en Mauritanie, depuis peu, mais la loi n’est pas vraiment appliquée. Ce qui est sûr c’est qu’une classification linguistique (l’ensemble des locuteurs du hassaniya) est recoupée par une classification raciale (la couleur de la peau de ces locuteurs), et que les beidanes semblent socialement dominer les haratines. Dans les rues, les noirs sont nettement plus nombreux, ce qui ne prouve rien : les maures blancs sont plus riches et roulent en voiture…

Quoi qu’il en soit, cet arabe mauritanien est le produit de l’histoire du pays. Les envahisseurs arabes sont arrivés ici sans femmes, la population blanche est donc arabo-berbère et elle a réduit en esclavage des noirs qui ont acquis la langue des maîtres. Il en résulte une évidence : le hassaniya a un fort substrat berbère et des influences de langues négroafricaines. Mais se pose une question. Ailleurs, dans des situations comparables, les esclaves ont développé un créole. Dès lors on peut se demander si l’arabe des haratine est spécifique, s’il est différent de celui des beidane. Je n’ai guère réussi à avoir une réponse sur ce point, et n’ai pas eu le temps d’enquêter. En revanche, tout le monde me dit que l’on reconnaît les peuls, les soninkés, les maures blancs et les maures noirs dans leur façon de parler le français. Ce qui peut être considéré comme une façon de dégager en touche : on évite de poser directement le problème de la diversité linguistique et ethnique, mais on l’aborde par le biais du français….

J’avais senti que ce problème linguistique était délicat, qu’il ne fallait pas trop insister dans mes questions, mais il a éclaté le jour d’une conférence sur les politiques linguistiques que j’ai donnée à l’université. Un amphithéâtre bondé, des gens assis par terre et, au moment de la discussion, des salves d’applaudissements chaque fois que quelqu’un plaidait la cause des langues minoritaires africaines ou critiquait la politique du gouvernement en faveur de l’arabe. On a frôlé l’émeute… Deux jours plus tard, à l’Ecole Normale Supérieure, même scénario, ou presque. Je présentais notre baromètre des langues du monde et, en avant-première si je puis dire, notre projet de baromètre des langues africaines. Au moment où j’expliquais qu’il était difficile d’y intégrer l’arabe officiel, qui n’est la langue maternelle de personne, et que nous préférions prendre en compte les arabes nationaux, dont bien sûr le hassaniya, j’ai essuyé une série de critiques furieuses de la part de certains professeurs arabisants. L’un d’entre eux a même déclaré que LA langue arabe était parlée de la même façon depuis quinze siècles. Le décalage entre la discussion scientifique que j’essayais de mener et les crispassions idéologues de certains membres de l’assemblée était assez étonnant (et détonant…), comme était étonnante la volonté de nier le hassaniya, la langue que tous ou presque parlent sans doute chez eux. On valorise à outrance la langue officielle et l’on méprise la langue réelle. En même temps des étudiants noirs m’expliquaient qu’ils avaient fait semblant d’étudier l’arabe (officiel, bien sûr) pendant toute leur scolarité, mais qu’il ne le connaissaient pas. Dans les deux cas, une fuite évidente du concret…

Sketch

Le jour de l’inauguration de la semaine de la francophonie, pour laquelle j’étais invité, j’assiste à un sketch présenté par les élèves de l’école annexe de l’école normale d’instituteur. Un gamin joue le rôle d’un épicier qui ne s’exprime qu’en arabe. Deux autres, l’un portant veston et l’autre un uniforme militaire, parlent en français, font les malins, se vantent « moi je suis allé en France, à Paris,j’ai vu la tour Eiffel, moi j’ai rencontré De Gaulle…), et semblent mépriser l’épicier. Puis viennent deux femmes, parlant mieux français que les deux hommes, et elles se font rembarrer. « Les hommes, dit alors l’une d’elles, n’aiment pas les femmes instruites ». Et un client noir évoque le pulaar, le wolof, « toutes les langues du pays». Les gamines et les gamins sont chaudement applaudis et semblent très fiers de leur succès. Savent-ils qu’ils ont posé, à travers un texte qu’on a bien sûr écrit pour eux, une problème fondamental, celui du statut des langues dans le pays, du rapport entre ces langues et le pouvoir politique et social? Sans doute pas. Mais il est un problème qu’on ne leur a pas fait illustrer, et que j’ai évoqué plus haut à propos de ma dernière conférence, celui des rapports entre langue et religion, ce qui me mène à mon point suivant.

Le Coran, la mer, la terre

Comme dans tous les pays arabo-musulmans, l’arabe officiel de la Mauritanie, vous l’aurez compris, n’est donc pas l’arabe parlé par le peuple. Chaque matin, en attendant la voiture qui me menait au travail, j’ai feuilleté dans le hall de l’hôtel un livre qui y était exposé, un étrange bouquin édité à compte d’auteur, Mohamed, le vrai visage du prophète de l’islam (2009) de Moussa Hormat-Allah. L’ouvrage a dû avoir un gros succès dans le pays car l’année suivante l’auteur publiait Mohamed, le vrai visage du prophète de l’islam face à la critique, dans lequel il regroupait des articles publiés dans la presse locale, en très grande majorité laudateurs. En feuilletant l’ouvrage j’y apprends que Voltaire, Goethe, Bonaparte, Hugo, Lamartine s’étaient convertis à l’Islam et que l’occident le cachait soigneusement. Pourquoi pas : tout le monde a le droit de croire ou de ne pas croire, d’adhérer à la religion qu’il souhaite, Hugo, Goethe ou Bonaparte comme les autres. Mais s’il n’y a dans la démonstration de l’auteur aucune preuve directe, uniquement des références à des références qui citeraient des preuves indiscutables.

 Plus loin l’auteur évoque une verset du Coran disant que Dieu ressuscitera les morts et recollera même  les extrémités de leurs doigts comme la preuve que le texte avait prévu avec une avance de plusieurs siècles que l’on identifierait un jour les individus grâce à leurs empreintes digitales.  Plus amusant encore est un passage sur la place de la mer et de la terre dans le Coran. L’auteur cite un certain Abde Daim Kahuel qui, dans une communication intitulée « La mer et la terre, une vérité étonnante » ferait allusion à « une réalité numérique que le saint Coran a citée avec une précision prodigieuse, et ce concernant la proportion de la mer (océan, mers, lacs…) par rapport au continent (terre ferme) ». Intrigué, je me plonge dans l’argumentation, qui est en fait fort simple. Le mot mer apparaîtrait dans 32 versets du Coran et le mot terre dans 13, ce qui donnerait une proportion de 71% contre 29%. Fort bien. Mais l’auteur poursuit en expliquant que l’on trouve sur le site web de la NASA ces deux mots dans les mêmes proportions. Donc : « Le Coran est la parole de Dieu et Mohamed est son prophète. Il s’agit d’une vérité mathématique. Seuls s’en détournent les mécréants ». Cette approche « numérique », cette « vérité mathématique » peuvent faire rire ou pleurer ou peuvent effrayer par leur naïveté, je vous en laisse juges, mais il y a en amont de ce fatras un petit problème sémantique concernant les termes de cette remarquable comparaison. On ne nous donne pas en effet les mots exacts qui apparaissent dans les deux textes. Pour le texte anglais il doit s’agir de sea et/ou d’ocean. Mais pour le texte arabe ? S’agit-il de bahr ? Dans ce cas il s’agirait à la fois des mers, des lacs, des fleuves, et la comparaison, même si elle avait un sens, serait impossible avec l’anglais… Mais qu’importe, car ce mode de raisonnement laisse pantois. Dieu, s’il existe et s’il est un peu statisticien, doit s’en rouler par terre de rire.

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fleche11 Mars 2013 : Taj la ekool ubbi

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Nous sommes dans une école du quartier Grand Dakar. Un tableau long de dix mètres, divisé en deux parties égales, avec les activités du jour en wolof à droite et à gauche les mêmes en français (mathématiques, lecture, communication écrite). Ils sont cinquante cinq dans la classe, âgés de 6 à 7 ans, en première année de primaire. C’est-à-dire qu’ils ont commencé leur initiation à la lecture et l’écriture, en deux langues, il y a à peine quatre mois. Cinquante cinq ce n’est pas beaucoup au Sénégal, où les classes tournent autour de cent gamins, mais il s’agit là d’une classe expérimentale, privilégiée donc. Au tableau la maîtresse a écrit :

Taj la ekool ubbi, eleew yi ñew nañu,                                                           

and ak séen waajur, Raina sol na dall yu rafet          

(Aujourd’hui l’école a démarré, les élèves sont venus avec leurs parents, Raina a mis de jolies chaussures)   

On lit les phrases à haute voix. Puis les élèves viennent prendre des ardoises préparées par la maîtresse       . Sur chacune d’entre elles il y a un mot. Ils se placent, face à la classe, portant à bout de bras leur ardoise, restituant l’ordre des mots écrits au tableau. J’ai l’impression que le tableau a éclaté en différentes ardoises, et c’est de fait ce qui s’est passé : la phrase a été segmentée en mots, qui seront ensuite segmentés en lettres. Je me rend compte, en voyant les lettres inscrites des deux côtés du tableau, qu’il y a une progression parallèle : on utilise celles qui sont les plus fréquentes et se prononcent de la même façon dans les deux langues .  Au dessus, de petites affichettes bilingues : ça va ? Nanga def ?, Ca va bien Man ngi fi rekk, Merci Jere Jef… On passe à la lettre l, en l’écrivant dans le vide, avec de grands geste du bras, puis la maîtresse en met trois formes au tableau, majuscule, minuscule, cursive. « Dans quels mots y a-t-il l ? » Les gosses donnent d’abord des mots du texte, ekool, eleew, dall, puis en trouvent d’autres, par reconnaissance auditive. A chaque question ils lèvent le doigt pour répondre, certains dans l’enthousiasme quittent leur banc et se précipitent vers le tableau. On passe alors au français : « un mot français ayant le son l ? ». Les réponses sont moins nombreuses, moins spontanées : lundi, soleil, table, bleu, lion… Il y a quelques dérapages : entendant lundi une petite fille dit vendredi, entendant bleu un gamin dit rouge… Mais il y a cependant un bel exemple de transfert d’un acquis en wolof vers le français. Au tableau, ils vont ensuite à tout de rôle entourer à la craie la lettre l dans des mots français.

Bref, j’ai assisté à une classe bilingue remarquablement menée, sans que jamais les langues ne soient mélangées. Il en va de même pour le calcul : la progression est parallèle dans les deux langues. Il y a 114 classes de ce genre dans tout le pays, en wolof ou en pulaar pour l’instant, et en français. Les enseignants, tous volontaires, ont eu treize jours de formation fin septembre, avant la rentrée, puis cinq jours pendant les vacances de Noël, et ils en auront encore trois à Pâques. Tout cela peut paraître banal, mais il y a dans cette expérimentation quelque chose de fondamental. En apprenant à lire et écrire dans leur langue maternelle, puis en transférant cet acquis vers la langue officielle, le français, qu’ils ne connaissent pas encore, les enfants progressent beaucoup plus vite que ceux des classes monolingues, uniquement en français. Et la même expérience est menée au Mali, au Niger, ai Burkina Faso. C’était juste pour vous montrer ce que des linguistes associés à des pédagogues peuvent faire lorsqu’ils ne sont pas dans leurs bureaux, dans leurs laboratoires…

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fleche10 Mars 2013 : Baromètre

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Me voici de retour du Sénégal, en passant par Bruxelles et Paris. Je vous parlerai de Dakar un peu plus tard et vous signale pour l'instant que vous avez désormais accès direct au baromètre des langues du monde, dans sa version 2012. Vous pouvez aussi comparer avec la version 2010, et vous verrez qu'il y a certains changements. En particulier le français est passé en troisième position, derrière l'anglais et l'espagnol. Bonne visite.

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Février 2013

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fleche23 février 2013 : Cochonneries

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Depuis plusieurs semaines je ne lis plus la chronique de Marcela Iacub dans Libération, agacé par cette intelligence un peu tordue qui cherche avant tout à se positionner contre, par exemple contre les féministes lorsqu’elles-mêmes sont contre la prostitution, à chercher à tout prix le contre-pied, l’originalité, en s’appuyant sur des faits juridiques mineurs. Une posture, fût-elle systématiquement politiquement non correcte, reste une posture, et je trouvais dans ses textes plus de forme que de contenu, plus de pensée retorse que d’analyses.

Les évènements me ramènent vers elle, vers un livre dont elle vient de faire la promotion avant même sa publication et dont le titre est une parfaite illustration de sa façon de pensée: Belle et bête. Comment en effet le comprendre ? Comme « la belle et la bête », deux personnages donc ? Ou comme une double qualification, « je suis belle et bête » ? Dans les deux cas, d’ailleurs, Marcela Iacub pratique l’autoproclamation (je suis belle), ce qui est une affaire de goût. Quoi qu’il en soit il s’agit dans son livre de cochon, d’un cochon, enfin d’un personnage qu’elle considère comme mi-homme mi-cochon et qu’elle dit avoir aimé à la folie, de la tête à la queue oserais-je ajouter. Elle dit par ailleurs être végétarienne, mais qu’importe. Il paraît que cet homme n’est jamais cité dans l’ouvrage. J’écris « il paraît » car je n’en ai lu que des bonnes feuilles, dans le Nouvel Observateur. L’ennui est que l’hebdomadaire en fait cette semaine sa couverture, avec la photo des deux protagonistes et, en titre Mon histoire avec DSK. Iacub donne d’ailleurs une longue interview à l’hebdo, dans laquelle on comprend qu’elle a eu une relation amoureuse et sexuelle avec Dominique Strauss-Kahn, avec l’idée dès le départ d’en faire un livre. Le béotien que je suis se dit que si le personnage central n’avait pas été DSK mais Dupont ou Durand, le Nouvel Observateur n’en aurait pas parlé, et en tout cas n’aurait pas titré « Mon histoire avec Dupont » ou « Mon histoire avec Durand ». Il s’agit donc bien d’une opération commerciale destinée à faire vendre du papier, celui du journal et celui du livre, d’une double opération, dans laquelle on a du mal à discerner une once de moralité ou de déontologie. Mais, comme le dit la sagesse populaire, « tout est bon dans le cochon ». Pour finir cette histoire de cochonneries, je lis dans l’extrait publié que les femmes du cochon étaient toutes « laides et vulgaires ». Ah bon ? Toutes ? Il ne s’agit donc pas seulement d’autopromotion mais aussi d’auto flagellation ? Une fois n’est pas coutume, je vais une seconde fois citer la sagesse populaire (je déteste d’ailleurs cette expression, sagesse populaire, mais bon…) : »C’est celui qui l’a dit qui l’est ».

Allez, demain je pars vers d'autres cieux pour une semaine de travail au Sénégal.

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fleche18 février 2013 : Non habemus papam

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Le pape a donc, a donc quoi ? Démissionné ? Non, car une démission ça se présente à quelqu’un qui accepte ou refuse. Et à qui le pape pourrait-il s’adresser ? A Dieu ? « Cher Dieu, je l’honneur de te présenter ma démission… ». Il y a longtemps que Dieu ne répond plus.. Disons donc que le pape a renoncé à sa tâche. Et il l’a annoncé, devant des cardinaux incrédules, pas sûrs de comprendre, en latin. Ce n’est pas tous les jours qu’on renonce en latin, et la lecture, même quotidienne, de Saint Augustin ne prédispose pas nécessairement un cardinal moyen à comprendre une renonciation papale. Ils n’avaient pas encore vraiment compris, les pauvres cardinaux, que l’agence italienne ANSA annonçait la nouvelle, à 11 h 46 pour être précis, avant toutes les autres agences de presse. Un scoop ! Le pape avait-il prévenu une partie de la presse ? Pas du tout, mais une journaliste, Giovanna Chirri, a entendu en direct le discours du pape. Et lorsqu’il a prononcé ces mots

«Conscientia mea iterum atque iterum coram Deo explorata ad cognitionem certam perveni vires meas ingravescente aetate non iam aptas esse ad munus Petrinum aeque administrandum.»

elle a, comme vous tous qui me lisez, immédiatement compris, et hop, une dépêche, que toutes les autres agences ont reprise. Qui donc disait que l’enseignement des langues classiques était inutile, obsolète, à supprimer ? Vous allez voir, nous y reviendrons. Bientôt les rappeurs, les slameurs scanderont en latin. Bientôt les graffitis, sur les murs de nos villes, seront en latin. Et les injures échangées à l'assemblée nationale? En latin, elles auraient plus de gueule, non? Déjà le roi du Maroc prononce chaque année le discours du trône dans un arabe qu'aucun Marocain ne comprend. Pourquoi François Hollande ne donnerait-il pas ses conférences de presse en latin? Bon, je rigole, mais quoi qu'il en soit, Ave Giovanna Chirri!

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fleche15 février 2013 : Obscénité, suite...

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Je m’y attendais, je l’ai eue : une rafale de protestations contre mon billet du 13 février. Des arguments variés (nous sommes peu payés…), des tentatives d’explication (nous ne sommes pas contre le travail le mercredi matin, mais dans d’autres conditions…), des accusations (je serais un anti prof primaire…).  J’ai été enseignant-chercheur pendant 44 ans (oui, j’ai pris ma retraite à 68 ans, un « privilège » des profs de fac) et je suis difficilement soupçonnable d’être systématiquement contre les fonctionnaires ou les enseignants. J’ai été longtemps syndiqué au SNESup, jusqu’au jour où j’en ai eu assez du corporatisme, me rendant compte que les syndicalistes pensaient plus à leurs intérêts qu’à ceux des  étudiants. Un exemple parmi d’autres, qui m’a particulièrement fait rire. Il y a quelques années, dans une réunion syndicale, un professeur a très sérieusement expliqué que notre service (192 heures d’enseignement par an, soit entre 6 et 7 heures par semaine de cours) avait été défini alors que la durée légale de la semaine de travail était de 40 heures et qu’il fallait donc le recalculer en fonction des 35 heures. Selon lui il convenait d’appliquer une règle de 3 qui l’aurait ramené à 168 heures. Je n’invente rien, même si ce prof était une véritable caricature. Je ne suis pas anti enseignant, donc, mais il y a parfois des limites à ne pas franchir et qui, pourtant, sont souvent franchies. Pour ce qui concerne les grèves dont je parlais avant-hier, j’ai parmi mes proches des chômeurs, harassés, humiliés, parfois en fin de droits, qui cherchent désespérément du travail et aimeraient bien avoir le statut des grévistes, pouvoir s’arrêter de travailler une journée, pousser un coup de gueule, et retrouver son job le lendemain. Alors, oui, je crois que le mot obscénité était le bon.

Dans le Siné mensuel de ce mois-ci, un dessin résume assez bien mon sentiment. On y voit un prof qui manifeste en portant une pancarte sur laquelle on lit « Peillon on t’aura ». Mais la pancarte a déjà servi, plusieurs fois même, et, au dessus de cette inscription, d’autres noms apparaissent, barrés les uns après les autres: Monory, Devaquet, Jospin, Lang, Bayrou, Allègre, Ferry, Darcos… bref, la liste des précédents ministres de l’éducation nationale. Il semble en effet impossible en France de mener la moindre réforme de l’éducation : les enseignants sont toujours contre. Chez Arcelormittal, chez PSA, chez Peugeot, chez Michelin, des milliers de travailleurs voient leurs postes supprimés. Ils sont contre, bien sûr, ils aimeraient bien « travailler encore », comme chante Bernard Lavilliers. Mais ils n’ont pas la chance des enseignants qui, encore une fois, la grève passée, retrouvent leur job.

C’était la séquence « donneur de leçon », je sais que c’est un peu grandiloquent. Mais il y a des jours où je me sens beaucoup solidaire de ceux qui souffrent vraiment de la crise que des mes ex-collègues.

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fleche14 février 2013 : Gastronomie

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J’ai dans ma vie mangé bien des variétés carnées un peu rares, singe, chameau, agouti, caïman, serpent (mais est-ce carné ?), rat palmiste, chien, cochon d’Inde et, bien sûr, cheval. Aussi l’histoire des lasagnes faussement au bœuf ne me fait ni chaud ni froid  mais me pousse plutôt à rire car la supercherie a été dévoilée en Angleterre où il est impensable de manger du canasson. De la viande de cheval ! C’est presque aussi horrible que de la viande de Reine ! Bien sûr, si j’achetais des plats préparés surgelés je n’apprécierais guère qu’on me vende autre chose que ce que j’ai demandé, mais je fais ma cuisine à partir de produits crus… Tout cela n’a pas beaucoup d’importance, mais je viens d’apprendre qu’un autre scandale a éclaté en Angleterre : on aurait trouvé du porc dans des boulettes de bœuf congelées. Et bien sûr les musulmans et les juifs sont horrifiés : ciel (c’est le cas de le dire), du porc ! Pourtant l’idée n’est pas mauvaise d’habituer les gens  à manger, à petites dose, ce dont ils se privent pour des raisons médiévales. On pourrait par exemple mettre un peu d’alcool dans les jus de fruits pour que les musulmans y prennent goût . Ou ajouter une once de langouste dans la carpe farcie, pour que les juifs s’y habituent. Pour donner à cela un aspect militant, l’alcool pourrait être du rhum de Cuba, ainsi que les langoustes, ce qui aurait le double avantage de lutter contre l’injuste blocus américain et de faire évoluer les habitudes alimentaires. Beau programme, non ? A la fois internationaliste et moderniste. On pourrait lui trouver un titre vendeur, genre Anti Hallal, Anti Kasher. Le problème, j’en suis bien conscient, est que ces cochons de catholiques mangent de tout. Du porc, des crustacés… Or il serait injuste de les laisser en dehors de cette opération. Du coup, j’abandonne mon idée. Mais la gastronomie mondialisée y perdra.

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fleche13 février 2013 : Obscénité

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Les enseignants du primaire étaient hier en grève. Pour la sixième fois depuis deux mois. Je n’ai pas d’enfants à l’école, je ne suis donc a priori pas concerné, mais, étant par nature solidaire avec les opprimés, je me suis demandé pourquoi ces pauvres enseignants se mettaient en grève, prêt bien sûr à leur apporter mon soutien.

 La France est le pays d’Europe dans lequel, à l’école primaire, le nombre d’heures d’enseignement quotidien est le plus élevé. Elle est aussi le pays dans lequel le nombre de jours d’enseignement est le plus bas, le pays dans lequel les vacances scolaires sont donc les plus longues. Depuis 2008, les élèves du primaire n’ont plus cours le mercredi matin. A l’époque, lorsque le gouvernement prit cette décision, les enseignants d’enseignants étaient contre. Aujourd’hui, alors que le nouveau gouvernement veut rétablir cette demi-journée, les mêmes syndicats sont à nouveau contre. Cherchez l’erreur. Le ministre explique que les élèves seront ainsi moins stressés, qu’ils étudieront mieux et auront en même temps des activités périscolaires, mais les enseignants sont contre, et j’avoue que leurs arguments sont obscurs, au point que l’on peut se demander si leur seul problème n’est pas de refuser de travailler comme avant le mercredi matin.

Les élèves du primaire n’ont pas non plus cours le samedi. Là, il s’agit de faire plaisir à certains parents, les plus aisés, qui veulent pouvoir partir en week-end dès le vendredi après-midi. Quant au mercredi matin, il fait bien plaisir aux enseignants qui jouissent ainsi de trois jours de congés par semaine. Dans les deux cas c’est le confort des adultes et non pas le bien des élèves qui est pris en compte. Et, quitte à passer pour un vieux réac, je dois dire que les fonctionnaires français me paraissent particulièrement gonflés. Ils jouissent d’un énorme privilège, face aux plus de trois millions de chômeurs : la sécurité de l’emploi. Et  à l’heure où, dans des dizaines d’entreprises, des travailleurs se battent pour tenter de sauver leur place, voir des fonctionnaires en grève pour obtenir une augmentation ou pour refuser de travailler un jour de plus me paraît en effet singulièrement gonflé. Parmi les fonctionnaires, les enseignants jouissent d’un autre privilège : ils ont près de quatre mois de vacances par an. Et, là aussi, faire grève à répétition me paraît gonflé. En ces temps de crise, de misère ou de précarité pour une grande partie de la population, les privilégiés du système se comportent ainsi comme des irresponsables, et cela porte un nom : obscénité.

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fleche6 février 2013 : Baromètre...

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Je vous l'avais annoncé avec un peu de précipitation (voir le 10 janvier) mais il y avait encore des boulons à serrer, des surfaces à polir, bref le travail n'était pas tout à fait au point et il manquait certaines fonctionnalités un peu compliquées à mettre en ligne. Mais ça y est, le Baromètre Calvet des langues du monde est définitivement accessible (http://wikilf.culture.fr/barometre2012/) sur le site du ministère de la culture, avec la version 2010 que l'on peut comparer avec celle de 2012. Ouf! Maintenant on passe à autre chose...

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fleche3 février 2013 : Lecture...

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Pour ceux qui lisent le portugais, je viens de publier dans la revue brésilienne Alea un article sur Lacan et l’écriture chinoise : « Lacan e a escrita Chinesa: um inconsciente estruturado como escrita? » Alea, décembre 2012. Il est en ligne sur le site suivant : www.scielo.br/alea

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Janvier 2013

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fleche30 janvier 2013 : Information

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Chaque fois qu’il y a en France une manifestation, régulièrement, nous disposons de deux évaluations du nombre de manifestants : celle des organisateurs et celle de la police, la première étant généralement le double de la seconde. Ainsi, le 13 janvier dernier les organisateurs de la manifestation contre le « mariage pour tous » annonçaient 800.000 manifestants (ils « arrondiront » ensuite à un million…) tandis que la police les évaluait à 340.000, et le 27 janvier les organisateurs d’une manifestation pour annonçaient 400.000 manifestants et la police « plus de 120.000 ». Dans les journaux télévisés, à la radio et dans la plupart des quotidiens on annonce ces deux sources : « selon les organisateurs… selon la police… », et chacun peut se forger son opinion, faire la moyenne des deux chiffres ou s’en foutre. J’ai écrit « la plupart des quotidiens » car il y a une exception, Le Figaro. Pour la première manifestation il titrait « selon les organisateurs, près d’un million de personnes ont défilé dimanche à Paris », sans donner le chiffre de la police, et pour la seconde « le défilé dimanche à Paris a rassemblé un peu plus de 120.000 personnes », sans donner le chiffre des organisateurs.

Vous avez besoin de commentaires ?

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fleche27 janvier 2013 : And the winner is...

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Baptiste Vignol vient de sortir un livre, Le top 100 des chansons que l’on devrait tous connaître (éditions Didier Carpentier) pour lequel il a demandé à 275 chanteurs, paroliers et compositeurs et à 69 « spécialistes » de la chanson, parmi lesquels votre serviteur, de répondre à la question : « Quelles sont vos dix chansons francophones préférées ? Le résultat en est donc une liste de cent chansons, présentées dans le livre en ordre inversé (de la centième à la première) avec, chaque fois, une notice sur la chanson et sur son auteur ou son interprète. Vous y trouverez aussi, pour les 344 personnes interrogées, la mention des dix chansons qu’elles ont choisies.

Avant de vous donner la chanson qui l’a emporté, quelques réflexions. Tout d’abord ce sont les « anciens » qui viennent largement en tête : Gainsbourg est cité dix fois, Brassens neuf fois, Ferré et Brel sept fois, Barbara six fois, et les autres sont loin derrière. Il s’agit là, vous l’aurez noté, d’ ACI (auteur-compositeur-interprète), cités pour des chansons qu’ils ont écrites et également chantées. Et le seul artiste récent, une artiste en fait, est Camille pour Ta douleur, mais à la quatre-vingt-unième place. Cela confirme, mais en partie seulement,  de nombreuses enquêtes que j’ai faites auprès d’étudiants  à l’étranger et en France pendant une quinzaine d’années, dans lesquelles on voyait systématiquement Brassens en tête, Gainsbourg pas très loin, et autour d’eux des artistes très récents : les gens du métier sont donc dans leurs goûts plus « classiques » ou moins branchés sur l’actualité que les étudiants.

Les choses sont plus compliquées pour les interprètes. Edith Piaf par exemple est citée trois fois dont une pour Milord (mais le texte est de Georges Moustaki, la musique de Marguerite Monnot), Yves Montand est cité pour Le Temps des cerises , chanson datant de 1868, ou Les Feuilles mortes (de Prévert et Kosma) ou encore Juliette Gréco est citée pour Le Bal perdu  (de Robert Nyel et Gaby Verlor). Certaines chansons échappent ainsi à leurs auteurs. Syracuse, merveille concoctée par Bernard Dimey est Henri Salvador, est ainsi « attribuée » à Yves Montand, qui hérite également d’A bicyclette (de Pierre Barouh et Francis Lai). Bref on retrouve derrière ce palmarès le partage des tâches qui caractérise la chanson en général  (un auteur, un compositeur, un interprète) et la spécificité de la chanson francophone (les ACI, qui remplissent ces trois fonctions).

Mais, me direz-vous, qui a gagné, ou plutôt quelle chanson a gagné ? Silence, suspense, roulement de tambour, and the winner is… Avec le temps, de Léo Ferré. Derrière elle, et dans cet ordre, pour les dix premières,  La nuit je mens (Alain Bashung), Mistral Gagnant (Renaud), La Javanaise (Gainsbourg), Ne me quitte pas (Brel), La chanson des vieux amants (Brel), La mémoire et la mer (Ferré), Je suis venu te dire que je m’en vais (Gainsbourg), Foule sentimentale (Souchon) et Que reste-t-il de nos amours (Charles Trenet). Une domination totale d’ACI, donc. Maintenant la réponse à une question que vous ne vous posez peut-être pas, mais qu’importe : pour qui ai-je voté ? And the winners are (dans un ordre indifférent) L’écharpe (Maurice Fanon), Avec le temps (Léo Ferré), San Francisco (Maxime Le Forestier), Nantes (Barbara), Animal on est mal (Gérard Mancet), Tranche de vie (François Béranger), Les mains d’or (Bernard Lavilliers), Alexandrie (Georges Moustaki), Les passantes (Georges Brassens) et L’encre de tes yeux (Francis Cabrel). Je sais, ça ressemble à un test projectif. Mais vous pouvez vous y essayer. Alors je lance une consultation : quelles sont les chansons que vous auriez choisies ?

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fleche18 janvier 2013 : Marchandises

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On apprend toujours des choses en observant sur le long terme les petits changements formels dans les média. Ainsi, jusqu’à il y a une vingtaine d’années, on lisait dans les pages littéraires du Monde, du Figaro ou de Libération  qu’un livre avait été traduit « de l’anglais » ou « de l’espagnol »… Peu à peu s’est mis en place un système aujourd’hui généralisé : « traduit de l’anglais (USA) » ou « traduit de l’américain », de « l’australien » et, pour ce qui concerne l’espagnol, « de l’espagnol (Argentine) » ou « du cubain », ou encore, pour ce qui concerne le portugais, "du brésilien". Derrière ces variations l’idée bien sûr que les langues changent, prennent des couleurs locales, et/ou que les traducteurs sont particulièrement compétents puisqu’ils peuvent traduire de l’espagnol spécifiquement cubain ou de l’anglais spécifiquement australien ou du portugais spécifiquement brésilien. Et nous trouvons bien sûr la même chose à propos de traductions vers l’anglais ou l’espagnol « du français québécois » ou « du français sénégalais ». Mais ce n’était qu’un exemple.

Ce qui me frappe en effet depuis quelques semaines est une tendance (essentiellement pour l’instant dans Le Nouvel Observateur, mais cela pourrait s’étendre) à indiquer lorsqu’on parle d’un auteur et de son livre, du tirage. Oui. On précise que tel livre a été tiré à 10.000, 20.000 ou 50.000 exemplaires. Or cette donnée, sans doute importante pour les directeurs commerciaux, ne m’intéresse guère lorsque je lis un article sur le contenu d’un livre. Il y a longtemps déjà que la plupart des journaux donnent une sorte de palmarès des ventes de la semaine, voilà qu’avant même la sortie du livre on nous donne son tirage. Ce qui signifierait qu’il faudrait lire tel livre parce qu’il a eu un gros tirage, et peut-être pas tel autre parce qu’il a un tirage plus limité. Ce mélange des genres, ou des références institue un parallélisme inquiétant entre consommation (ou prévision de consommation pour ce qui concerne les tirages) et qualité . Ce film a eu X millions spectateurs, donc il est bon. Cette huile est vendue à X millions d’hectolitres donc elle est bonne. Ce livre a été tiré à X mille exemplaires donc…  Ce qui est à la fois une curieuse conception de la critique littéraire et l’installation, peu à peu, de l’idée que le livre est une marchandise comme les autres.

Le dernier pour la route (mais là aussi il s'agit de marchandises) : le ministre algérien de l’intérieur a déclaré hier : « nous avons neutralisé un certain nombre d’otages… pardon, de terroristes ». Nous vivons une époque moderne !

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fleche15 janvier 2013 : Le temps ne fait rien à l'affaire, suite

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Quand je vous disais hier que la liste de conneries que je donnais était incomplète ! Un certain Yves Simon, non, pas le chanteur-écrivain, mais l’ancien député UMP de l’Allier (élu en 2002, puis battu en 2007), actuellement maire de Meillard (Allier) a écrit sur son blog le samedi 12 janvier une analyse qui m’éblouit par son intelligence. Il parle de l’intoxication médiatique orchestrée par le régime socialiste, je vous donne son billet dans sa totalité mais c’est surtout la deuxième partie qui m’intéresse :

« A-t-on encore le droit de s'interroger en France socialiste?
Chérèque est nommé IGAS la semaine dernière et la CFDT vote l'accord minimal avec le patronat! Que n'aurait-on pas dit si la droite avait menacé de voter une loi contraignante en cas de désaccord? On aurait parler d'ingérence, de régime dictatorial et les syndicats auraient quitté la table des négociations. Voilà l'intoxication médiatique à l’œuvre socialiste.
Deuxième sujet, l'intervention militaire de la France au Mali, la veille de la grande manif à Paris! Pas une photo, pas un téléphone portable sur place.... pas un militaire français... Le Président Malien à la demande de Paris fait une demande d'intervention alors que les exactions durent depuis des mois! La ficelle médiatique est énorme à la veille de la manif de Paris pour détourner les regards des caméras. Il ne manque plus qu'une intervention d'Hollande au 20 h. dimanche et le paquet anti manif sera ficelé! »

Ainsi il n’y aurait pas de guerre au Mali, pas de soldats français, pas de morts. Tout cela était une manœuvre pour éviter que l’on parle de la manifestation anti mariage pour tous. Il fallait le trouver, non ? Comme l’écrivait Michel Audiard dans les dialogues du film Les Tontons flingueurs : «Les cons ça ose tout, c'est même à ça qu'on les reconnaît"

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fleche14 janvier 2013 : Le temps ne fait rien à l'affaire

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Je me soucie du « mariage pour tous » comme de ma première chemise ou, mieux, de mes premiers langes. Mais nous sommes soumis en ce moment à un déferlement de conneries dont la liste suivante ne vous donnera qu’une faible idée.

Connerie : Le battage médiatique nous rebat les oreilles depuis des semaines (tiens, à propos de rebattre les oreilles, j’ai entendu hier soir Laurent Wauquiez, qui a il est vrai de grandes oreilles, déclarer que le gouvernement socialiste lui rabattait les oreilles, comme quoi on peut avoir fait l’ENA, avoir été député, puis ministre, et ne pas connaître le français, à moins qu’il ne s’agisse d’un lapsus révélant un espoir secret), le battage médiatique donc nous rebat les oreilles de cette histoire de « mariage pour tous ». Quand on sait qu'aujourd'hui en France les couples homos représentrent 1% de l'ensemble des coyples, cela fait beaucoup de bruit pour rien.

Connerie : Nous savons tous que les candidats au mariage sont aujourd’hui essentiellement les prêtres et les homosexuels. Pour les prêtres, nous n’avons guère les moyens de décider (mais si l’Eglise se décidait, cela diminuerait peut-être la pédophilie). Pour les homos, la réforme sera de toute façon adoptée par l’Assemblée Nationale et, dans dix ou quinze ans, le "mariage pour tous" paraîtra normal à tout le monde. La société évolue ainsi, par petits sauts.

Connerie : Le mariage « gay » entrera donc dans notre culture  d’ici quelques années (ce n’est pas là la connerie) et les gays découvriront les joies du mariage triste : scènes de ménage, divorce, pension alimentaire…. Bienvenue au club ! Mes amis avocats disent en plaisantant que cela leur fera des clients.

Connerie : le PACS, que l’on croyait fait sur mesure pour les homos, a été majoritairement utilisé par des hétéros. Les homos veulent-ils ou vont-ils réellement se marier, ou n’est-ce qu’une revendication symbolique ? Mes amis avocats se rongent les ongles en invoquant tous les dieux: Pourvu qu'ils se marient, pourvu qu'ils se marient, et qu'ils divorcent ensuite...

Connerie encore : la manifestation qui a eu lieu hier à Paris . La droite catholique s’émeut. Ce que j’en ai vu à la télévision (vous imaginez que je n’y étais pas) m’a donné à voir tout ce que je déteste. Des femmes avec quatre ou cinq voire six gamins (les catholiques n’ont-ils pas encore découvert la contraception ?). Des gamins contraints de venir manifester, certains chialant, et dont les parents  prétendaient qu’ils savaient pourquoi ils étaient là. Une moyenne d’âge (si j’enlève les enfants martyrs) au delà de ce qui est imaginable. Tout ça habillé comme on peut l’imaginer, entre foulards Hermès et fringues youkaïdi youkaïda. Beurk !

Pour finir la cerise sur le gâteau, une super connerie. J’arrive un peu tard, cela s’est passé le 24 décembre, mais je devais être occupé à autre chose. Christine Boutin a ce jour-là déclaré sur iTélé que les homosexuels "peuvent se marier naturellement: mais il faut qu'ils se marient avec une autre personne d'un autre sexe, pas avec le même sexe". C’est beau, non ? Les homos peuvent bien sûr se marier, à condition qu’ils deviennent hétéros.

Evidemment nous avons eu droit à la guerre des chiffres, ceux de la police et ceux des organisateurs, pour savoir combien il y avait de manifestants. Qu’importe ! Comme le chantait Brassens, « quand on est plus de deux on est une bande de cons ». Et tant qu’à citer le vieux Georges, puisque les lardons avaient été mobilisés avec leurs arrières grands-pères :  « Le temps ne fait rien à l’affaire, quand on est con, on est con, qu’on ait vingt ans qu’on soit grand-père, quand on est con, on est con…

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fleche10 janvier 2013 : Baromètre

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Certains d’entre vous m’ont écrit qu’ils n’arrivaient plus à trouver sur la toile notre baromètre des langues du monde. En fait l’Union Latine, qui l’accueillait sur son site, n’existe plus. Mais le baromètre vient d’entamer une nouvelle vie. Il se trouve maintenant sur le site de la Délégation générale à la langue française et aux langues de France (www.dglf.culture.gouv.fr) et vous y trouverez deux versions. La version 2010 et la mise à jour 2012, considérablement augmentée et mise à jour. En 2010 nous prenions en compte les langues ayant plus de 5 millions de locuteurs (soit 137 langues), nous prenons en compte dans la version 2012 les langues ayant plus de 500.000 locuteurs (soit 563 langues). L’utilisateur pourra donc comparer les deux versions et verra en particulier que la hiérarchie a varié, en particulier en tête du classement. Bonne visite.

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fleche7 janvier 2013 : Ils sont fous ces Gaulois!

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Vous aurez reconnu dans mon titre le détournement d’une formule récurrente dans les albums d’Astérix, ils sont fous ces Romains. En fait j’aurais dû écrire il est fou ce Gauloi, et elle est folle cette Gauloise, puisque c’est à Gérard Depardieu et à Brigitte Bardot que je fais allusion. Le premier, comme on sait, vient d’obtenir un passeport russe. Les méchantes langues disent que ça ne fera jamais qu’un alcoolique de plus en Russie, mais nous sommes là dans de si grands nombres que son arrivée ne sera jamais qu’une goutte de vodka de plus dans la Volga. La seconde menace pour sa part de faire de même si l’on euthanasie les deux éléphants malades du zoo de Lyon, qui portent les doux noms de Baby et Népal. Depardieu pourra donc désormais pisser à loisir sur les moquettes de la compagnie Aeroflot et rouler en scooter et pris de boisson (je sais, c’est un zeugme, et c’est en outre, concernant Depardieu, une tautologie ) sur la place Rouge. Quant à Bardot, on se demande pourquoi elle ferait ce choix. Il faut bien sûr saluer son juste combat pour les éléphants et sa courageuse décision de quitter la France, ce pays éléphantophobe notoire. Mais pourquoi la Russie ? Les méchantes langues, encore elles, susurrent qu’on y trouve d’excellents chirurgiens esthétiques et que les cures d’amaigrissement y sont bon marché, mais il ne faut pas croire les méchantes langues. Non, Bardot a sans doute de plus nobles raisons. Mais lesquelles ?

Quoi qu’il en soit, ces départs annoncés vers la douce démocratie russe devraient servir d’exemple à d’autres Français. Nadine Morano par exemple, qui n’a pas réussi à retrouver son siège de député, pourrait tenter sa chance à la Douma. Et Jean-François Copé, qui se demande s’il retrouvera son poste de patron de l’UMP, pourrait très bien entamer une nouvelle carrière démocratique en Russie, il trouverait bien un parti qui n’attend que lui. Je vous laisse le soin d’allonger la liste de ces partants potentiels, car elle pourrait être longue : les vrais démocrates savent que le Kremlin correspond plus à leurs choix que l’Elysée… 

Cela n’a pas grand chose à voir mais,  dans les traductions italiennes d’Astérix, la phrase d’Obélix, ils sont fous ces Romains, devient sono pazzi questi romani, formule qui a l’avantage de donner en sigle SPQR, le symbole de la république romaine (Senatus Populusque Romanus), mais ils sont fous ces Gaulois ne donne rien de semblable. Encore que… Dans ISFCG on peut en effet distinguer ISF, l’impôt sur la fortune, et CG, quelque chose comme Contribution Généralisée. Finalement, ils ne sont pas si fous…

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fleche3 janvier 2013 : Charb et Charlie le nez dans le caca

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Vous vous en souvenez peut-être, c’était en juillet 2008, le 2 pour être exact, et Siné dans sa chronique de Charlie Hebdo se payait la tronche du fils Sarkozy : « Jean Sarkozy, digne fils de son paternel et déjà conseiller général de l'UMP, est sorti presque sous les applaudissements de son procès en correctionnelle pour délit de fuite en scooter. Le Parquet a même demandé sa relaxe ! Il faut dire que le plaignant est arabe ! Ce n'est pas tout : il vient de déclarer vouloir se convertir au judaïsme avant d'épouser sa fiancée, juive, et héritière des fondateurs de Darty. Il fera du chemin dans la vie, ce petit ! » Aucune réaction dans l’instant, ce n’est que quinze jours plus tard que Philippe Val, alors directeur du journal, annonce que Siné est licencié, avant même que ce dernier n’en soit légalement averti. Motif : antisémitisme. De très nombreuses personnes protestent comme cette décision, Télérama  écrit  qu’en «renvoyant le dessinateur Siné pour “antisémitisme”, Philippe Val, le directeur de “Charlie Hebdo”, s'est rangé du côté des censeurs qu'il prétend combattre. Dans sa chronique, qui visait Jean Sarkozy, Siné était pourtant fidèle à son goût de la provoc' et de l'outrance » et que « Philippe Val, le directeur de Charlie Hebdo, l’ignore sans doute, mais il a au moins un point commun avec Nicolas Sarkozy : l’art consommé du pétage de plombs». Mais il n’a pas que cela en commun avec le Président d’alors : Moins d’un an plus tard, Jean-Luc Hees, vieil ami de Val, est nommé par Sarkozy à la direction de Radio-France et nomme Val à la direction de France-Inter. Entre temps Siné avait porté plainte pour licenciement abusif. Charlie Hebdo sera condamné une première fois à lui payer 40.000 euros, fera appel et sera de nouveau condamné, le 14 décembre dernier, à 90.000 euros. Fin du premier acte. Dans son numéro du 26 décembre, l’hebdomadaire publie la condamnation en une (je suppose qu’il y était obligé, mais je n’ai pas lu le jugement : « Par arrêt partiellement confirmatif du 14 décembre 2012, la cour d’appel de Paris Pôle 5 chambre 2 a condamné la société Les EDITIONS ROTATIVE, société éditrice du journal CHARLIE HEBDO à payer à Maurice SINET dit SINE la somme de 90.000 euros à titre de dommages intérêts pour rupture abusive de de leur collaboration à la suite de la parution de la chronique de Siné, dans le numéro du 2 juillet 2008 ». Mais, au dessus de cette annonce légale figure un dessin titré « Bonne année Siné ! » sur lequel on voit la tête de Siné jaunâtre (il est en ce moment malade), sous perfusion (mais le tube de perfusion plonge dans une bouteille de champagne) et à côté, deux petits bonhommes. L’un dit : « Et surtout la santé ! ». L’autre ajoute : « Arrête ! Il va nous faire un procès ! ». Dans un article du même numéro on lit en outre que « cette condamnation nous coûte plus cher que tous les procès que l’extrême droite nous a intenté » et se termine pas « il ira loin dans la vie, ce petit… ».

On peut trouver cela répugnant, dégueulasse, tout ce qu’on voudra. Je m’en tiendrai à un commentaire minimaliste en disant que Charlie Hebdo et son actuel directeur, Charb, sont de bien mauvais perdants. Et que je persisterai dans ma décision de ne plus acheter ce journal.

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fleche2 janvier 2013 : Amarsissage

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L'heddomadaire Télérama avait demandé à une vingtaine d'intellectuels et d'artistes d'écrie, pour son dernier numéro de l'année, un court texte exposant ce qui les avait frappés en 2012. Comme vous ne lisez peut-être pas tous cet estimable journal, je vous donne ci-dessous ce que j'ai écrit sur ce thème.

Si l’on en croit le dictionnaire Robert, le verbe atterrir date de la fin du 18ème siècle, utilisé pour les aérostats,  amerrir de 1912, créé sur le modèle d’atterrir, et alunir de 1930. La succession de ces néologismes est donc parallèle au progrès technologique : les aérostats, les dirigeables puis les avions pour atterrir, les hydravions pour amerrir et enfin l’idée d’aller sur la lune pour alunir. Il était en effet difficile de dire qu’on allait atterrir sur la une, la racine terre étant trop présente dans ce verbe. Atterrir avait donc cédé la place, tout en imposant ses dérivations : Atterrir / atterrissage, amerrir / amerrissage, alunir / alunissage…

Mais nous avons là une exception dans la langue française. Il y a longtemps en effet que, systématiquement, les verbes du premier groupe dominent dans la néologie : ce sont les plus réguliers, les plus faciles à conjuguer. On en voit même certains venir remplacer des verbes anciens : face à résoudre par exemple, malaisé à conjuguer (que nous résolvions !), solutionner s’est imposé, au grand dam des puristes. Et nous pouvons ainsi prévoir que le premier groupe va, dans l’avenir, se systématiser, en épargnant bien sûr quelques rares verbes irréguliers ou d’autres groupes dont nous ne pouvons pas nous passer…

C’est pourquoi, lorsqu’au début du mois d’août les Américains ont envoyé sur la planète mars le robot Curiosity, le linguiste que je suis attendait avec intérêt la façon dont la presse allait rendre compte de l’évènement. Le Monde du 7 août relata l’événement en titrant en première page : Le récit de l’amarsissage réussi de Curiosity. Dans les pages intérieures on trouvait le même « amarsissage » mais entre guillemets, et dans le cours de l’article « s’est posé sur Mars » alternait avec « amarsissage ». Mais aucun autre organe n’osa le néologisme.

Le Huffington post par exemple parlait de « l’atterrissage sur Mars du robot Curiosity » et Libération pour sa part  titrait« Curiosity s’est posé hier ». Alunir s’est donc bien installé mais amarsir semble gêner les gens. D’ailleurs, parallèlement, un débat avait lieu sur le site du Monde : «Doit-on dire « amarsissage » ou « atterrissage sur la lune » ? On y rappelait qu’amarsissage  n’était reconnu ni par l’Académie française ni par l’Académie des sciences, que la terre d’atterrissage n’était pas la planète Terre mais l’élément terre, et qu’en choisissant la solution du néologisme on serait un jour peut-être obligé de parler d’ avénussissage ou d’ ajupiterissage. Nous n’en sommes, bien sûr, pas encore là… Notons au passage que cette question ne se pose pas en anglais puisque la Terre s’y dit earth et la terre land : on ne parle donc pas de earthing, mooning ou marsing  mais de landing. Amarssisage ou attérir sur Mars est donc un problème bien de chez nous…

Cependant amarssissage a vu le jour, et la pratique des locuteurs francophones nous dira si le mot aura une longue vie (après tout, alunir a mis un certain temps à s’imposer) ou s’il disparaîtra. L’histoire de la langue est faite d’innovations d’abord refusées et qui, parfois, perdurent. S’il peut être considéré comme « le mot de l’année », ce n’est donc pas seulement en référence à un progrès technique, mais aussi, et peut-être surtout, à l’évolution de la langue

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