
25
décembre
2013
: Un peu de politique...
linguistique

Une bonne partie de cette année, de mars à juillet,
j’ai consacré beaucoup de mon temps au Comité
consultatif pour la promotion des langues régionales
et de la pluralité linguistique interne mis en
place par Madame Fillippeti, ministre de la culture,
comité dont le but était de faire des propositions de
politique linguistique au gouvernement. Il y avait dans
ce comité deux juristes constitutionnalistes,
deux linguistes, deux députés, deux sénateurs et deux
personnes nommées par deux président de conseils
régionaux. C’est-à-dire quatre « experts » ou
présumés tels et six élus politiques. Dès le début, nous
nous sommes rendus compte que la ratification de la Charte
européenne des langues régionales et minoritaires,
que nous pouvions bien sûr proposer, serait impossible.
Le Conseil d’Etat s’opposant à cette Charte il fallait
en effet pour cela réunir le Congrès (c’est-à-dire
l’Assemblée nationale et le Sénat) et y avoir une
majorité qualifiée des trois cinquièmes, ce qui n’est
pas le cas dans l’état actuel des choses. Nous avons
donc pris le problème d’un autre point de vue (après
avoir, bien sûr, reçu et auditionné de nombreuses
personnes concernées), en décidant de faire des
propositions allant plus loin que celles de la Charte.
Ces propositions, nombreuses, vont de l’élaboration
d’une loi cadre à la rédaction d’un code des langues
de France en passant par un certain nombre de
mesures comme l’apprentissage de la lecture et de
l’écriture en créoles dans les Département d’Outre Mer
et bien d’autres qu’il serait fastidieux de citer
ici : notre rapport est disponible sur le site du
Ministère de la Culture.
Pendant ces mois de travail, je me suis soigneusement
abstenu d’intervenir publiquement sur les réflexions et
les propositions de notre comité, considérant que la
ministre devait en avoir la primeur, mais je me suis
toujours dit qu’une fois le rapport rendu je
redeviendrai un citoyen comme les autres et retrouverai
ma liberté de parole. En gros, j’attendais de voir ce
que le gouvernement allait faire de nos propositions. Et
voici que le premier ministre, Jean-Marc Ayrault, en
visite en Bretagne, a annoncé le 13 décembre dernier
qu’il envisageait de passer par une loi
constitutionnelle pour ratifier la Charte. En gros cette
démarche implique que le texte de loi soit voté dans les
mêmes termes par l’Assemblée et le Sénat puis qu’il soit
adopté par référendum. Or, la popularité du gouvernement
étant ce qu’elle est, il est difficile d’imaginer que le
moindre référendum organisé par lui (sauf peut-être s’il
proposait une distribution gratuite de foie gras et de
vins fins...) recueille aujourd’hui l’assentiment du
corps électoral. Dès lors, que veut le Premier
ministre ? En ces temps de trêve des pâtissiers je
laisserai de côté l ‘hypothèse simple mais
désagréable selon laquelle il ne saurait pas ce qu’il
veut. Donc, s’il sait ce qu’il veut, que veut-il ?
Faire croire aux militants des langues de France qu’il
va répondre à leurs voeux, puis s’abriter derrière le
résultat d’un vote en disant « c’est pas moi c’est
les sénateurs », ou « c’est pas moi, c’est le
corps électoral » ? Ce serait bien sûr une
manoeuvre minable, un tour de passe-passe,
d’illusionniste. Inimaginable ? Alors avançons une
autre hypothèse : il veut tout faire pour que la
stratégie choisie réussisse, que les deux chambres puis
le peuple accepte une loi constitutionnelle ? Cela
semble tellement irréaliste que j’ai du mal à le croire
aussi naïf. Le problème est qu’il ne me reste pas
d’autre hypothèse et que je crains fort que la première
soit la bonne. En gros François Hollande a promis de
« faire ratifier la charte », nous allons
faire comme si nous voulions tenir cette promesse
et la représentation nationale ou le corps électoral se
chargeront de nous en empêcher... Si cela était, ce
serait minable, donnerait une triste image de la
politique, fût-elle seulement la politique linguistique,
et témoignerait de peu d’intérêt pour la cause des
langues. Alors attendons. Mais le gouvernement devrait
prendre garde : on ne fait pas croire impunément
aux gens que l’on va réaliser des choses qu’on sait ne
pas pouvoir réaliser.
Bon, je ferme boutique pour causes de vacances. A
l'année prochaine.

23
décembre
2013
: Paranoïa ou tris croisés?

J’ai déjà parlé ici de la liste d’information et de
débats du RFS (Réseau Français de Sociolinguistique),
liste sur laquelle je ne m’exprime plus, trouvant
son ton politiquement correct et mélodramatique peu
propice à la discussion scientifique. Mais cela ne
m’empêche pas de faire parfois écho à ce qu’il s’y
passe. Or, depuis quelques jours, les esprits s’y
échauffent à propos d’une note de l’INSEE dont le titre
est effectivement intriguant : Les personnes en
difficulté à
l’écrit: des profils
régionaux variés. Cette note s’appuie sur des
données venant de l’enquête IVQ (information et vue
quotidienne) de 2011, menée auprès d’un échantillon
aléatoire de 14.000 personnes et qui avait pour objectif
de « mesurer le degré de compétence de la
population adulte en calcul et en compréhension orale».
Elle s’appuyait sur un certain nombre d’exercices
« fondés sur des supports de la vie
quotidienne : programme tv, CD de musique,
ordonnance médicale... ». Et deux des questions
biographiques concernaient les langues parlées à
domicile à l’âge de cinq ans et langues parlées à
domicile aujourd’hui. Revenons donc à la note
incriminée. Le passage qui a mis le feu aux poudres est
le suivant :
« Un éloignement prolongé du marché du travail
peut agir à la fois comme une cause
et une conséquence sur
les difficultés à l’écrit.
D’autres facteurs pourraient être évoqués.
Le risque accru observé dans
certaines régions pourrait aussi trouver
son origine dans un usage plus
fréquent des langues régionales
au cours de l’enfance : par
exemple, 19 % des Nordistes
déclarent avoir utilisé une
langue régionale ou le patois autour de
l’âge de 5 ans
et parmi ces personnes,
près d’un quart est en situation
préoccupante à l’écrit.
Ces difficultés plus fréquentes
à l’écrit ne sont
pas sans rapport avec
leur niveau d’études plus faible, 21 %
d’entre elles n’ayant pas
poursuivi leurs études au-delà de
l’école primaire ».
Immédiatement, les réactions ont fusé, dans tous les
sens et avec beaucoup d’imprécisions. Certains ont
confondu cette enquête de 2011 avec le recensement de
1999, d’autres s’insurgent contre « le lien de
cause à effet » entre difficultés à l’écrit et
pratique des langues régionales, d’autres encore
confondent « difficultés à l’écrit » et
« illettrisme », ce qui n’est pas tout à fait
la même chose, d’autres enfin parlent de
« rapprochements hâtifs, d’attitudes
stigmatisantes », etc., etc. Tout se passe en fait
comme si l’INSEE (institut national de la statistique et
des études économiques) avait la volonté nuisible de
faire croire que la pratique des langues régionales
était néfaste, et que le devoir des sociolinguistes
était de dénoncer cette vilénie. J’avoue pour ma part
être confondu à la fois par l’aspect un peu paranoïaque
des réactions de certains de mes collègues (du genre touche
pas à mes langues régionales) et par tant
d’ignorance. Dans le texte incriminé, on lit en effet
que les difficultés à l’écrit pourraient aussi trouver
leur origine « dans un usage plus
fréquent des langues régionales
au cours de l’enfance ». La
réaction normale devant cette hypothèse, du moins celle
qu’on attend de scientifiques, devrait alors être
d’interroger le lien entre pratique des langues
régionales (ou d’ailleurs des langues issues de la
migration) et situation sociale. De se demander si c’est
la pratique de ces langues qui explique des difficultés
à l’écrit ou le fait qu’on ne parle pas ces langues dans
tous les milieux sociaux. De se demander s’il y a un
lien entre la pratique de ces langues et les catégories
socioprofessionnelle. Ce n’est pas tout à fait la même
chose en effet de parler une langue régionale ou une
langue issue de la migration dans un milieu
intellectuel, dans un milieu paysan ou dans une famille
de chômeurs. L’INSEE, il est vrai, ne pose pas cette
question, et ce n’était pas son propos. Cet institut a
mené une enquête et en publie les résultats, le problème
n’est pas alors de savoir si ceux-ci nous plaisent mais
d’essayer de les interpréter.
Derrière tout cela apparaît une sorte de crainte de la
quantification, qui pourrait très vite tourner à une
façon de se voiler la face.
Et pourtant les données chiffrées, dès lors qu’on
accepte de considérer que ceux qui les établissent sont
de bonne foi et ne se livrent pas à d’horribles
tripatouillages, sont toujours intéressantes. Pour finir
dans la bonne humeur (ce qui ne s’oppose pas au
sérieux), je voudrais vous proposer un petit rappel
historique. A la fin des années 1970 nous disposions de
quelques données statistiques sur le comportement du
corps électoral français, qui pouvaient se ramener
aux trois affirmations suivantes:
1) Les jeunes votaient plus à gauche que les vieux
2) Les hommes votaient majoritairement à gauche
3) Les femmes votaient majoritairement à droite.
Fort bien. En outre nous savions que l’espérance
de vie des femmes était beaucoup plus grande que celles
des hommes. Dès lors la question qu’il fallait se poser
était de savoir si c’était en tant que femmes ou en tant
que vieilles que les femmes votaient plus à droite que
les hommes. Et la réponse ne pouvait se trouver que dans
des analyses plus fines, par tranches d’âge. Car le B.A.
BA du traitement statistique des enquêtes réside dans
les tris croisés, et nous aurions beaucoup à apprendre
de l’enquête IVQ si nous avions les moyens d’approcher
ses résultats de ce point de vue.

21
décembre
2013
: Un Vert ça va...

Les écologistes ne sont jamais les derniers à s’élever
contre la pollution dont sont responsables les
automobilistes, et ils ont bien raison. Ils veulent
réduire la vitesse sur les autoroutes ou sur les
périphériques, et ils n’ont pas tort. Ils plaident de
façon générale pour que se développent les comportements
citoyens et l’esprit de responsabilité, et nul ne
saurait le leur reprocher. Et tout cela rend
particulièrement savoureux ce que l’on vient d’apprendre
sur Jean-Vincent Placé, sénateur d’Europe-Ecologie les
Verts et éminence grise du parti vert français. Avant
d’être sénateur, Placé était conseiller régional
d’Ile-de-France et, à ce titre, il bénéficiait d’une
voiture de fonction. Et voilà que ladite région reçoit
133 amendes liées à cette voiture, amendes pour excès de
vitesse ou fautes de stationnement. Cela se passait en
2010, et la région se tourne vers le conducteur de la
voiture, Placé donc, et lui demande de payer la note. La
suite est un peu confuse, le sénateur affirme avoir
payé, l’administration fiscale lui réclame des pénalités
pour paiement tardif. Ce qui est sûr c’est que la note
se montait à 22.000 euros et qu’il doit encore plus de
18.000 euros. C’est le Canard enchaîné qui a
sorti cette histoire, ce qui prouve au moins que la
presse est toujours utile. Que Placé soit mauvais payeur
n’a en soi aucun intérêt : il n’est pas le seul et
nul ne saurait lui jeter la pierre. En revanche que ce
donneur de leçons, grand défenseur de l’écologie,
s’adonne au volant aux pratiques qu’il dénonce chez les
autres est plus surprenant. Les Verts prétendent
depuis leur naissance vouloir faire de la politique
autrement. Certes Placé n’est pas à lui tout seul
« les Verts », même s’il aimerait bien le
faire croire, mais les adhérents de son parti pourraient
peut-être se demander s’il n’est pas un Vert de trop. Je
sais que le jeu sur l’homophonie est ici facile, mais je
n’y résiste pas : un Vert comme Placé ça va, deux
Verts bonjour les dégâts. Allez, à votre santé.

16
décembre
2013
: Ni fleurs, ni couronnes, mais vin
à volonté

C’était au milieu des années 1970 et nous passions une
bonne partie de la nuit (« nous » : des
chanteurs, des musiciens, des journalistes, dont moi)
dans un studio de France-Inter, une véritable tabagie où
officiait Jean-Louis Foulquier. A l’époque c’était entre
trois et cinq heures du matin. Puis, horaire un peu plus
humain, ce fut entre minuit et trois heures, pour finir
de 18 à 19 heures. On y fumait, donc, on y buvait, on y
parlait dans le micro, et les chanteurs chantaient, en
direct. Les émissions s’appelaient, Studio de nuit,
Y’a d’la chanson dans l’air, Pollen, d’autres noms
encore, mais toutes avaient le même propos : servir
la chanson française et francophone. Et ils sont
beaucoup à lui devoir beaucoup, des artistes débutants à
qui Jean-Louis offrait ses ondes, d’autres confirmés qui
venaient le soutenir de leur présence. Plus tard encore
il créa les Francofolies de la Rochelle, où la
même bande se retrouvait, chaque année en juillet, les
uns sur scène, les autres, dont encore moi, en coulisse.
Emissions ou festival, Foulquier était au centre d’une
véritable galaxie de la chanson.
Jean-Louis Foulquier est mort la semaine dernière et a
été enterré samedi matin, au cimetière de Montmartre.
Une foule énorme est venue l’accompagner, ses amis, ses
collaborateurs, et « ses » artistes dont la
liste complète constituerait un véritable annuaire
du show biz, enfin du show biz de qualité. Citons au
hasard Louis Chedid, Jean-Louis Aubert, Bernard
Lavilliers, Alain Souchon, Laurent Voulzy, Lucid
Beausonge, Arthur H, Maurane, Francis Lalanne, Sapho,
Nilda Fernandez, Alice Dona, Catherine Lara, etc.,
etc.
J’ai dit qu’ils étaient beaucoup à lui devoir beaucoup,
mais il faut leur ajouter les millions d’auditeurs
amoureux de chansons qui n’auraient jamais manqué une de
ses émissions, puis les millions de spectateurs qui se
pressaient à la Rochelle.
Il faisait beau, samedi et, à l’entrée du cimetière,
trônaient deux tonneaux de vin. Ni fleurs ni couronnes,
mais vin à volonté. A chacun son verre. Et cette phrase,
entendue dans la foule : « Il aura réussit à
nous faire boire du vin rouge à dix heures du matin
jusqu’au bout ». Ni fleur ni couronne, donc. Mais,
à côté du trou dans la terre, nous avons déposé nos
verres vides, des verres qui s’entassaient en dernier
hommage. Sacré Jean-Louis, il nous aura ému. Jusqu’au
bout.

10
décembre
2013
: Profs de prépas, mauvaise foi ou
cupidité?

Il y a dans l’enseignement secondaire deux types de
titulaires, tous recrutés par concours : les
capésiens (ceux qui ont réussi au CAPES) et les agrégés
(ceux qui ont réussi à l’agrégation). Cette dernière
étant considérée comme plus difficile que le CAPES, les
agrégés sont mieux payés et travaillent moins : ils
doivent quinze heures hebdomadaires, contre dix-huit
pour les capésiens. Tout cela est public, connu de tous.
Mais il y a dans certains lycées des classes
préparatoires aux concours d’entrée dans les grandes
écoles, dont les enseignants, des agrégés comme les
autres, jouissent de certains privilèges. D’une part
leur service est de huit heures par semaine, car
les programmes des concours changent tous les ans et ils
ont donc plus de préparations, d’autre part ils font des
« colles » (des interrogations écrites) qui
leur sont grassement payées.
Hier, les enseignants de classes préparatoires étaient
en grève, à l’appel de deux syndicat, SNALC et SNES, et
défilaient dans certaines villes avec des élèves et
leurs parents. Tiens, que faisaient là ces
derniers ? Ils venaient défendre les classes
préparatoires, dont on leur avait fait croire que
l’existence était menacée par les projets
gouvernementaux. Or la seule chose menacée est en
l’occurrence le bien-être des agrégés profs de prépa. Le
ministre voudrait en effet ramener leur service de 8 à
10 heures, et ils protestent, expliquant qu’ils sont
surchargés. Très bien. Mais si le passage de huit à dix
heures de cours par semaines éreinterait ces
enseignants, on comprend mal comment ils peuvent sans
problème faire six ou huit heures supplémentaires, bien
sûr grassement payées. En fait, en y regardant de plus
près, on se rend compte que la rémunération moyenne de
ces enseignants est largement supérieure à celle des
enseignants du supérieur, qui comme eux doivent préparer
leurs cours, corriger des copies, mais en outre dirigent
des thèses et font de la recherche. Alors, les profs de
prépas qui considèrent que leur métier est menacé :
cupides ou de mauvaise foi ? Les deux, peut-être.

9
décembre
2013
: Ah les mots et leur pouvoir, une
petite réflexion suite à une polémique sur les
expressions de tous les jours...

Sur une liste de diffusion de sociolinguistique à
laquelle je suis abonné, celle du Réseau Francophone
de Sociolinguistique, a éclaté il y a
quelques jours une mini tempête. Le phénomène est
cyclique : des polémiques y éclatent, enflent et
s’éteignent sans qu’on sache vraiment pourquoi... Cette
fois, en réponse à un appel à communication pour un
colloque, dont un passage disait « At a time when
many scholars are asking whether it is the relative
homogeneity of European French, at least at the diatopic
level, which renders it ‘exceptional’ », un de mes
collègues, en fait un copain (nous l’appellerons X),
sur-réagissant sans doute sur le fond, qui n’était pas
bien méchant (on peut effectivement considérer que les
formes de français parlées en Belgique, en France et en
Suisse sont « relativement » homogènes si on
les rapporte aux formes européennes d’anglais ou
d’allemand), écrivait ceci :
« Bon comme ça fait deux fois que ça passe sur
la liste, ce coup je ronge plus mon frein, je rène,
comme on dit dans un de mes chez moi. C'est quoi cteu
couillonnade: At a time when many scholars are asking
whether it is the relative homogeneity of European
French, at least at the diatopic level, whichrenders
it ‘exceptional’ ??? Faut avoir jamais voyagé à
travers l'espace francophone européen pour le croire
même "relativement" homogène at the diatopic level! Y
a 10 jours j'étais dans le pays bigouden (Bretagne), y
4 en Provence, purée la différence de françaisss! Les
many scholars faudrait qu'ils aillent un peu sur le
terrain (les cafés, les écoles, les stades, les
marchés...) avant de nous déclarer homogénéisés, ma
doué beniguet et fan de chìchou! Because de la
socioling sans terrain, c'est comme une belle fille
qu'il y manque un œil ».
Je ne sais pas quelles auraient été les réactions de
nos collègues masculins si une collègue de l’autre sexe
avait par exemple écrit, dans le même style : « because
de la socioling sans terrain, c’est comme un mec bien
monté qu’il y manque les bourses ».
J’avais envoyé un mail privé à mon copain, car pour les
raisons qu’on verra plus bas je n’interviens plus sur
cette liste, pour lui dire qu’à mon sens il était un peu
limite dans sa dernière phrase. Je ne suis pas
soupçonnable d’être un adversaire de la linguistique de
terrain, loin s’en faut, mais je n’apprécie pas
nécessairement le style volontairement populiste, voire
vulgaire, dans le débat scientifique, et « la belle
fille qu’il y manque un œil » me défrisait plutôt.
Il y eut d’abord quelques réactions, les unes de type
féministe, les autres de type presque
« identitaire» (« on parle comme ça à
Marseille, c’est peut-être maladroit mais c’est
populaire, on aurait pu dire « pute borgne »
et pire encore »). Et puis, hier (ce qui semble
prouver que les universitaires travaillent en semaine et
ont plus de liberté le dimanche), cela a été un tir
groupé, essentiellement féminin et critique. Première
leçon à ce stade : il y a des sociolinguistes des
deux sexes, et cette différence révèle parfois
des oppositions, voire des ruptures.
Mais il y a d’autres leçons à tirer de cette histoire,
et il me faut d’abord préciser quelques petites choses.
Mon copain X, celui qui est donc à l’origine de
l’affaire, et celle qui la première a réagi à sa phrase
malheureuse, appelons-la Y, appartiennent à un
tout petit groupe de personnes qui prennent
régulièrement la « parole » sur ce site, y
affichent une sorte de légitimité autoproclamée et y
prennent parfois une posture de donneurs de leçons, bref
s’y comportent comme des « patrons ». J’y
avais il y a quelques mois participé de façon active à
un débat, avec X, Y et quelques autres,
et j’avais eu au bout de deux ou trois jours la surprise
de recevoir un message de X, Y ou
Z, me disant que le sujet était important mais
qu’il n’intéressait pas tout le monde et que nous
allions donc en débattre entre nous, sur une liste
privée, ad hoc, en quelques sortes. Un
tel mépris pour les centaines d’abonnés à cette liste a
fait que je m’abstiens donc d’y intervenir désormais.
Car il y a dans tout cela des enjeux de pouvoir qui me
sont insupportables. Si Y n’avait pas répondu
immédiatement à X il n’y aurait pas eu de débat
sur cette «belle fille qu'il y manque un œil »
(et je veux bien passer pour un vieux con puriste mais
le fait même d’avoir à citer à nouveau ce segment de
phrase me gêne). C’est-à-dire que la liste de
diffusion du RFS s’est enflammée parce que la discussion
était entamée par Y répondant à X :
seule la présence à l’origine de deux membres de l’
« orchestre invisible » pouvait déclencher de
telles réactions. Revenons donc à ces réactions,
inhabituellement nombreuses, au mail (ou à la phrase) de
X. Hier matin elles ont pris un titre, celui
qu’une intervenante avait donné à son mail :
« Ah les mots et leur pouvoir, une petite réflexion
suite à une polémique sur les expressions de tous les
jours... ». Et l’intervenante écrivait :
« Je vous lis quotidiennement avec intérêt,
mais permettez-moi une humble contribution cette
fois-ci. Je suis personnellement pour la diversité du
français y compris dans son innovation, y compris dans
sa créativité à nommer un monde dans lequel je me sens
autre chose qu'une femme - qui doit être belle et
séduisante (et donc se garder d'être borgne) ou bonne
à marier. Permettez-moi de croire que la langue
française peut aussi se renouveler quant aux rapports
de force reliés au genre, sans que ses locuteurs se
sentent brimés dans un monde aséptisé. Moi j'y crois
et j'ai autant le droit de m'étaler sur vos boîtes
courriels que vous, Messieurs. Sur ce, bonne fin de
semaine (car je ne me sens pas brimée ni aseptisée
d'utiliser cette expression au Québec, même si je suis
française) ».
A partir de là, à une exception près, les hommes se
sont tus. L’exception, un autre copain que j’appellerai
W, lui aussi membre de l’ « orchestre
invisible », qui a posté un très long texte
proposant in fine d’en venir à la
solution cette fois-ci explicite qui a fait que je ne
m’exprime plus sur cette liste :
« J'ai déjà eu l'occasion de m'expliquer sur ce
point sur cette même liste, en proposant deux
solutions : quand il y a une discussion, on peut
mettre dans la rubrique "Sujet" : "DISCUSSION", et
celles et ceux qui ne veulent pas recevoir les
discussions mettent en place un filtre dans leur
navigateur pour filtrer tous ces messages (où on peut
mettre le nom de celle ou de celui dont on ne veut
plus entendre parler ! :-)) ). Ou bien on
crée une liste de discussion séparée. Jusqu'ici cette
seconde option n'a pas emporté l'adhésion, les membres
de la liste qui se sont exprimés préférant apparemment
filtrer les discussions qui ne les intéresse
pas ». En d’autres termes, discutons entre
nous. Ce qui n’a pas empêché de réagir de nombreuses
autres personnes. Le plus drôle est que Y, la
première à intervenir, membre de l’ « orchestre
invisible » qui communique parfois secrètement les
élus de l’orchestre, a posté ceci : « D'abord
un grand merci à toutes ceux et celles qui prennent la
parole et qui ne le font pas d'habitude, c'est
tellement nécessaire. Et j'espère que ça donnera le
courage à celles qui m'écrivent en privé. Je remercie
également toutes ceux et celles qui insistent que la
question est aussi théorique et épistémologique, et
que nous nous devons de débattre à tous les niveaux
pertinents. Je suis très reconnaissante du rappel
qu'il ne s'agit pas d'un truc purement
personnel ». Encore des stratégies de
pouvoir, donc, et de démagogie : En d’autres
occasions elle n’a pas fait preuve d’une telle ouverture
à l’expression démocratique...
Bon, je vais m’arrêter là, l’analyse des dizaines de
messages qui ont suivi le texte de X épinglé
par Y mériterait au minimum un long article.
Mais cet « incident » me paraît exemplaire,
s’agissant d’une liste supposée ouverte et surtout
consacrée à la sociolinguistique. On a vu, soudain, y
apparaître une sorte de libération de la parole, une
prise de la parole par « les petits, les sans
grades », ce qui est salutaire, au bénéfice
peut-être de l’un des membres de l’ « orchestre
invisible », ce qui le serait moins. Dans tous les
cas, une leçon de choses.

29
novembre
2013
: L'âne national

Non, il n’y a pas de faute de frappe dans mon titre, il
s’agit bien d’âne et non pas d’âme. Vous comprendrez
plus loin. Lorsque j’étais jeune j’avais une tendresse
particulière pour les ânes tunisiens, de petits ânes
gris avec, de chaque côté du cou, un trait noir dirigé
vers le bas, comme une flèche vers le sol. En arabe ils
s’appelaient bim, ils s’appellent toujours bim
d’ailleurs, sauf que l’école est passée par là et
que tous les Tunisiens ont en outre appris le nom du
même animal en arabe standard, himar.
Qu’avons-nous à faire de ces histoires de bim et
de himar ? Là aussi, vous le comprendrez
plus loin.
Me voici donc de retour de Tunisie où, depuis des
semaines, on cherche à mettre sur pied un
« gouvernement de compétences », des ministres
techniciens qui n’auraient pas pour but de faire une
carrière politique mais de redresser le pays. Durant
les quelques jours que je viens d’y passer, la
situation semble se débloquer, de deux façons
différentes. D’une part parce qu’un consensus montre le
bout de son nez sur le nom d’un nouveau premier
ministre, et d’autre part parce que l’exaspération
populaire contre les islamistes atteint des sommets
inattendus. Ceux-là mêmes qui avaient voté pour En-Nahda
mettent aujourd’hui le feu aux sièges régionaux du
parti, et les nahdawis sont détestés par toutes les
couches de la population, depuis les classes populaires
qui avaient voté pour eux jusqu’aux grands patrons. Le
pays est dans un état économique lamentable, les agences
de notation renvoient la Tunisie dans le fin fond des
classements, le tourisme manque à l’appel, la production
de phosphate est bloquée par de petites mafias locales
et pourtant le gouvernement fait des promesses que
personne ne pourra tenir, comme de construire une
faculté de médecine dans chacune des villes du pays. Les
nahqawis savent qu’ils vont devoir laisser la place et
ils placent des grenades dégoupillées un peu partout
pour le prochain gouvernement. Au début du règne
d’Ennahda, on se moquait des fonctionnaires suivistes et
opportunistes en les félicitant pour leur barbe,
soudainement apparue, bientôt, peut-être, ce sera les
barbiers que l’on félicitera pour leur bonne fortune,
lorsqu’armés de leur rasoir ils débarrasseront de leurs
poils ces convertis de la vingt-cinquième heure.
Quoiqu’il en soit, la constitution d’un
« gouvernement de compétences » semble être la
seule solution, et même si En-Nahda met des bâtons dans
les roues à l’entreprise de toutes les façons possibles,
le dialogue se poursuit. Ce dialogue porte un nom,
« dialogue national », en arabe hiwar el
watani. Mais voilà, le malheureux lapsus d’un
malheureux homme politique a fait rire une grande partie
de la population dès le lancement de l’opération. Et
vous allez maintenant comprendre le pourquoi de mon
introduction. En effet, au lieu de dire hiwar el
watani, « dialogue national », il a dit
himar el watani, « âne national ».
Depuis lors on entend fréquemment demander :
« où en est l’âne national ? »

25
novembre
2013
: Equitaxe

Après l’écotaxe l’équitaxe. Cette
fois-ci le néologisme (équitaxe pour taxe sur les
chevaux, ou taxe chevaline si vous préférez) ne vient
pas du ministère des finances mais d’un regroupement
imprécis de propriétaires de manèges, de bourgeois
pratiquant l’équitation, accompagnés bien sûr des
enfants nécessaires (mais qui, précisons-le, n’avaient
pas de banane à la main mais une bombe sur la
tête). Et tout ce beau monde hennissait des choses comme
« Hollande démission » et déclarait à qui
voulait l’entendre que la hausse de la TVA allait ruiner
le commerce de l’équitation. Je n’ai rien, bien sûr,
contre les cavaliers mais une rapide analyse économique
montre qu’en général ils ont les moyens de se payer
leurs séances de tape-cul. Après les bonnets rouges
bretons manipulés par les patrons voici donc la
bourgeoisie cavalière refusant de payer trop cher ses
loisirs. On peut imaginer, dans la même lignée, les
joueurs de tennis s’insurgeant contre la hausse du prix
de la terre battue, les amateurs de bonzaïs se
plaindre... Tiens ! De quoi pourraient bien se
plaindre les amateurs de bonzaïs? Peu importe, se
plaindre. Et les collectionneurs de timbres, les
malheureux collectionneurs de timbres qui voient le prix
des albums monter en flèche ? Sans oublier les
éleveurs de hamsters qui sont étranglés à la fois par
les tarifs des vétérinaires et le prix des graines. Je
vous laisse compléter la liste, j’ai un avion à prendre.
Je vais travailler quelques jours en Tunisie, où les
gens n’ont pas ces problèmes de riches. Je vous en
parlerai, peut-être, à mon retour.

24
novembre
2013
: Intellos de bistrot

Ce matin, en dernière page du Journal du dimanche,
une publicité agressive. En grosses lettres blanches sur
fond de ciel : n’oubliez pas votre maillot.
En dessous, une grande photo du pain de sucre et de la
baie d’Urca puis en bas, en plus petit, Rendez-vous
au Brésil avec les Bleus et, en plus gros et en
bleu blanc rouge le sigle de TF1. Décryptage facile.
Nous sommes à Rio de Janeiro, le mot maillot est
à prendre en deux sens différents, maillot de bain et
maillot de l’équipe de France de football, et, surtout,
TF1 joue financièrement très gros sur la coupe du monde.
C’est en gros ce que je vous disais mardi matin, avant
le match France-Ukraine. Je vous disais aussi que je
m’étais rendu compte, en prenant mon café, qu’il y avait
dans la salle autant de clients que de sélectionneurs
potentiels. Et cela m’a donné l’idée de livrer ici, de
temps en temps, ce que j’entends dans mon bistrot, ce
que les gens y racontent, bref vous mettre en liaison
directe avec les « intellos de bistrot ».
Voici donc un premier florilège :
Un jour de pluie, un mec bourré (il n’est jamais que
neuf heures du matin) sort en lançant : « les
parapluies c’est comme les amis, ils ne sont jamais là
quand on en a besoin »
Dimanche, un groupe de joggers arrose le sport et
commente l’actualité : « Hollande, il devrait
intervenir en Corée du Nord.
Et puis, sans que je puisse juger du degré d’alcoolémie
du locuteur : « Moi je rentre dans les
pissotières que quand elles sont propres, sinon je pisse
à côté ».
Ca vaut bien les émissions de France-Culture,
non ?

20
novembre
2013
: Sauvés!

Ils sont sauvés! Qui? Eh ben les livreurs de pizza, les
vendeurs de télés, TF1, François Hollande, les
brasseurs, la FFF (voir hier).

19
novembre
2013
: La flamme du footballeur inconnu

Tous les média sans exception, tous, ne parlent
aujourd’hui que de ça. Ce soir l’équipe de France de
football joue sa qualification pour la coupe du
monde : ira-t-elle ou n’ira-t-elle pas au
Brésil ? Grave problème, qui va plus loin que le
simple domaine du sport puisque Bernard Pivot a même dit
que la popularité du président de la république ou du
premier ministre, qui n’est déjà pas très élevée,
pourrait en être encore affectée. Je ne sais pas si vous
saisissez l’extrême importance de l’évènement. Car
l’enjeu dépasse largement l’avenir de nos hommes
politiques. Si la France ne va pas au Brésil, la
fédération française de foot perdra de l’argent,
beaucoup d’argent. Et songez à la télévision, à cette
pauvre (enfin, pauvre...) chaîne, TF1 pour ne pas la
nommer, qui a payé très cher les droits de
retransmission, 130 millions d’euros si je suis bien
renseigné, et qui compte bien évidemment sur un
afflux de téléspectateurs pour engranger de la
publicité : pas d’équipe de France au Brésil, moins
de téléspectateurs et donc moins de recettes
publicitaires. Pensez encore aux grandes surfaces et à
l’industrie de l’électroménager. Chaque fois qu’il y a
un évènement sportif de cette importance, les ventes de
téléviseurs explosent, c’est la valse des écrans
plats : les amateurs en profitent pour s’équiper
afin d’être au top dans leurs fauteuils. Vous
rendez-vous compte du manque à gagner ? Et ce
n’est pas tout. Que font les sportifs en chambre
devant leur écran de télé tout neuf lorsqu’ils regardent
jouer l’équipe de France ? Ils boivent de la bière
et mangent des pizzas. Vous imaginez la détresse des
livreurs de pizzas et des fabricants de bières si
la France ne va pas au Brésil? Pauvres brasseurs,
pauvres pizzaiolos ! Je les vois déjà, coiffés d’un
bonnet rouge ou vert, jaune ou brun, de n’importe quelle
couleur mais surtout pas bleu, manifester contre...
Contre quoi, au fait ? Ah oui, contre quelques
millionnaires en short courant après un ballon, quelques
enfants gâtés, quelques sales gosses (les deux vont
souvent ensemble) bourrés de fric qui, dans leurs clubs
respectifs, tentent de justifier leur salaire en
marquant des buts mais qui, en équipe de France, sont
incapables de jouer en groupe.
Pourtant ils sont très capables de gagner, ils auraient
dû gagner, l’un d’entre eux, Karim Benzema, a même
déclaré que, « sur le papier on est meilleurs
qu’eux, on a plus de talent », mais que... Mais
quoi ? Pourquoi perdent-ils ? C’est, bien sûr,
à cause du gouvernement. Souvenez-vous, il est question
d’imposer durement les salaires de plus d’un million
d’euros et le monde du foot a même plus ou moins annoncé
une grève pour la fin du mois de novembre. Et voilà, ils
ont simplement pris de l’avance sur le calendrier :
c’est face à l’Ukraine qu’ils ont fait grève. Ouf !
Nous voilà rassuré : ils sont meilleurs sur le
papier, ils ont plus de talent, mais ils sont en grève.
Nous voilà même doublement rassurés puisqu’un autre de
ces millionnaires en culottes courtes, Olivier Giroud, a
affirmé qu’il était prêt à mourir pour la victoire.
Alors là je dis non ! Arrêtez le massacre !
Vous imaginez: devoir ajouter des noms de footballeurs
sur les monuments aux morts ! Vous imaginez une
hécatombe digne de Verdun, du chemin des dames! Vous
imaginez le président de la république devoir ranimer la
flamme du footballeur inconnu et se faire encore
siffler ! D'ailleurs, ils ne sont pas assez
nombreux: une hécatombe c'est le sacrifice de cent
boeufs, et il y en a moins que ça, dans l'équipe de
France.
Bref, vous aurez compris que je me fous comme de ma
première chemise de l’avenir de l’équipe de France, et
en plus je n’y connais rien. Pourtant, ce matin, en
prenant un café au bistrot, j’ai entendu des
commentaires éclairés sur la tactique à adopter, sur la
sélection la meilleure: tous les clients de sexe
masculin faisaient preuve d'une grande compétence... Le
sélectionneur de l’équipe devrait prendre son café avec
moi, il apprendrait son métier.

17
novembre
2013
: C'est grand, l'Europe...

Hier soir, sur la 2, Laurent Wauquiez, jeune loup de
l'UMP, était invité de l'émission On n'est pas
couchés. Son fonds de commerce est simple: se
démarquer de ceux (Copé, Fillon, Sarkozy...) qu'il
pourrait rencontrer sur le chemin de ses ambitions, et
prétendre ne pas utiliser la langue de bois. La
journaliste (pourtant bien à droite) Natacha Polony lui
dit que la droite est singulièrement absente du débat
politique. Il ne répond pas immédiatement, semble
chercher au fond de ses neurones de quels éléments de
langage il dispose et, sans doute pour gagner du temps,
lance: "on est le seul pays européen au monde qui...". Le
seul pays européen au monde! C'est mignon comme
formule. Le seul pays européen devrait suffire,
le seul pays européen d'Europe serait redondant,
mais le seul pays européen au monde laisse
entendre qu'il y aurait des pays européens hors
d'Europe. C'est grand, l'Europe, du moins pour Laurent
Wauquiez...

15
novembre
2013
: Si on s'amusait!

Je vous parlais dans mon précédent billet de ceux qui
avaient de la suite dans les idées et de ceux qui
avaient des fuites dans les deux, mais dans les deux
cas, il faut en avoir (des idées). A ce propos,
connaissez-vous Nabila ? Non ? Alors,
présentation rapide. Une sorte de bimbo dont la poitrine
évoque immédiatement une pompe à bicyclette et qui s’est
rendue célèbre en lançant dans une émission de
téléréalité cette formule : « t’es une fille
et t’a pas de shampoing ! Allo, non, mais allo
quoi ! ». L’expression a très vite fait le
buzz, elle a été détournée par la pub (« t’es
un fruit et t’as pas de pépins, non mais à l’eau
quoi », pour la boisson Oasis, « t’es une
chaise et t’as pas de coussin ? Allö, Allö »
pour les coussins Hallö d’Ikea, etc.). Et ce succès a
poussé la maison de production et l’émission, puis
Nabila elle-même, à protéger la formule en la déposant à
l’Institut National de la Propriété Industrielle,
histoire de récupérer des sous. Il n'y a pas de petits
profits... Fin du premier acte, qui en dit long sur
l’état intellectuel d’une partie de ce beau pays qu’est
la France: le connerie peut aujourd'hui être source de
revenus.
Or voici que Nabila, tous seins devant, est invitée à
une émission hebdomadaire de Canal +, le
« supplément politique », dans laquelle
l’humoriste belge Stéphane de Groodt fait une chronique
délirante, à mi-chemin entre Raymond Devos et Boby
Lapointe, qui ravit tous les amoureux de la langue.
Voici donc Nabila et de Groodt côte à côte. Il
commence par « ola ! », pour allo bien
sûr, en la regardant. Nabila ne comprend pas l’allusion.
Elle a chaud, enlève sa veste, sans se rendre compte
qu’elle enlève du même coup les micros, on s’empresse
autour d’elle, bref de Groodt attend puis se lance dans
son texte. « Sans vouloir prêter la Flandres
à la critique... » « le pas pays qui est
le mien »... Tout le monde sur le plateau rigole à
chacune de ses saillies, sauf Nabila, qui, ne supportant
sans doute pas de ne pas être au centre de l'attention
et de l’écran, lance tout haut « Je comprends rien
du tout ». Du coup, bien sûr, la caméra se braque
sur elle puis nous présente les deux protagonistes. De
Groodt raconte une visite à Londres, à la famille
royale : « n’ayant plus le temps de
serrer la pince de Monseigneur », « Anvers et
contre tout », « la reine Elizabeth
comme ses pieds », « Charles n’est pas
encore marinier » (allez, j’ai pitié de vous, il
s’agit d’une allusion à Boby Lapointe : « mari
niais »). Il continue à défiler son texte
tandis que le visage de sa voisine exprime la stupeur,
voire l’effroi, et comme le public rit, applaudit, elle
ne veut pas être larguée, après tout c’est elle
l’invitée, et se met à l’interrompre : «C’est trop
grave ce qui se passe », « il est chelou ce
mec », «non pitié ! », « j’peux
avoir une oreillette pour traduire »... Il
s’amuse à répéter pour elle des phrases, qu’elle ne
comprend toujours pas, tout le monde rigole, applaudit à
chaque bon mot, et elle, ne voulant pas donner
l’impression d’être à côté de la plaque, ou ne pas être
à l’image, en rajoute dans la bêtise... Bref, elle s’est
tiré une rafale de balles dans les pieds
(« Elizabeth comme ses pieds »), en nous
fournissant du même coup une excellente définition
télévisuelle de ce qu’est l’inculture et l’imbécilité.
J’arrête là, vous trouverez facilement la scène sur
Internet, vous y trouverez également toutes les
chroniques de Stéphane de Groodt, et j’invite instamment
les amateurs de calembours à les déguster.
Tiens, à propos de langue française. Il y a ce soir un
match de foot décisif pour l’équipe de France qui, si
elle ne bat pas l’Ukraine, n’ira pas à la coupe du monde
au Brésil. Même Libération consacre deux
pages à l’évènement, c’est vous dire, avec pour titre Frank
Ribéry dans la posture du messie. Inutile de
demander à Nabila si elle perçoit dans cette phrase une
allusion malicieuse au joueur de Barcelone, Lionel
Messi, mais on pourrait se demander si Ribéry lui même
l’a comprise. Or, justement, un petit bouquin, en fait
une petite compilation, vient de paraître, Les
perles de Ribery. Extraits :
« Je pense que ce soir ça été beaucoup meilleur. »
« On dirait c’était comme si que y avait rien changé
hier. »
« J'espère que la roue tourne va vite tourner. »
« Le Touquet, c’est toujours une ville que j’aime bien
venir. »
« On est des joueurs qu'on va vite avec le ballon. »
« Il fait attention pour qu'on a du peps. »
« Je pense qu'on espère qu'on va gagner. »
« Là, on est en train de rentrer dans un truc que tout
le monde sont en train de s’foutre de nous, c’est-à-dire
dans le Monde. »
Je vous avais invités à vous amuser, contrat rempli, je
l’espère. Ce n’est pas tous les jours que nous pouvons
rire, dans la France d’aujourd’hui.

13
novembre
2013
: Fuites dans les idées

Minute, vous connaissez ? Un hebdomadaire
d’extrême droite qui éructe depuis 1962 et que
l’humoriste Pierre Desproges avait parfaitement défini
en 1984 dans l’un de ses sketches : « Vous
lisez Minute ? Non ? Vous avez tort,
c'est intéressant. Au lieu de vous emmerder à lire tout
Sartre, vous achetez un exemplaire de Minute,
pour moins de dix balles, vous avez à la fois La
nausée et Les Mains sales ».
Raciste, réac, colonialiste, Le Péniste, Minute a
été, comme vous voyez, de tous les combats
sympathiques... Pour compléter le tableau, ajoutons
qu’un de ses dirigeants fut Patrick Buisson, oui,
le Buisson de Sarkozy... Et voilà que Minute,
qu’aucune revue de presse ne cite jamais, fait soudain
parler de lui sur toutes les ondes, tous les écrans,
tous les journaux. A la « une » de son édition
d’aujourd’hui on lit en effet Maligne comme un singe
Taubira retrouve la banane et dans un bel élan
tout le monde s’indigne, condamne, tandis que le premier
ministre annonce qu’il va saisir la justice. On parle
même d’interdire le titre.
Je ne sais bien entendu pas ce qu'il en sera, mais
j'avoue que cette hypothèse me gêne. Le 16 novembre
1970, après la mort du général de Gaule, Hara Kiri avait
titré « bal tragique à Colombey, un,
mort », parodiant la presse qui, la semaine
précédente, avait parlé de bal tragique à
propos de l’incendie d’une boite de nuit dans lequel
avaient péri 146 personnes. Hara Kiri avait été
interdit, et nous étions nombreux (enfin, pas très
nombreux...) à protester contre cette interdiction.
Celle de Minute déchaînerait aujourd’hui la
même réaction, venue d’un autre bord politique, et je ne
suis pas sûr que la démocratie et la liberté de la
presse y gagneraient.
Autre chose. Imaginons que le même titre, Maligne
comme un singe Taubira retrouve la banane, soit
apparu à la « une » de Charlie hebdo.
Nous aurions tous trouvé que Charb, le rédacteur en
chef, dépassait les bornes, mais habitués que nous
sommes aux exagérations de Charlie nous aurions
peut-être souri, peut-être pas, mais sûrement pas
demandé l'interdiction de l'hedo. Je veux dire que ce
n’est pas seulement le titre qui indigne, mais son
émetteur. Il nous révolte chez Minute, il nous
aurait agacés dans Charlie hebdo. Il y aurait
beaucoup à dire sur ce genre d'accident de la
communication, lorsque le sens n’est plus dans le
message mais dans la personnalité de celui qui l’émet.
Un peu comme ces histoires plus ou moins drôles qui sont
considérées comme antisémites si elles ne sont pas
racontées par un Juif. Mais c’est bien sûr une autre
histoire.
Il demeure qu’il y a actuellement en France une
atmosphère abjecte, détestable, que la droite extrême
parle haut et fort, décomplexée, et que nous ne serions
pas étonnés si elle réclamait demain la réhabilitation
de Pétain. Le versant raciste de cette abjection
s’est étalé en plein jour lorsqu’une candidate du FN a
comparé Christiane Taubira à un singe. Nul n'était
étonné que cette horreur vienne de ce bord politique, et
je m'étais dit que la candidate du Front National
méritait une paire de baffes. Puis nous avons vu une
gamine accompagnée de ses parents tenir une banane à la
main au passage de la ministre, disant quelque chose
comme « pour le singe, la banane ». Il est
question d’interdire de frapper les enfants, mais en
l’occurrence la paire de baffes seraient plutôt pour les
parents. Et puis ce fut le titre de Minute, et
cette généalogie nous montre que si le journal Minute,
réactionnaire depuis plus de cinquante ans, a de la
suite dans les idées, il y en a, parents ou pas parents,
candidats du FN ou adversaires du mariage pour tous, qui
ont des fuites dans les leurs.

11
novembre
2013
: Plomberie...

J’avais chez moi en fin de semaine deux plombiers venus
réparer quelques dégâts. L’un, râblé comme un indien des
Andes, était péruvien, l’autre, grand, mince, français.
Ils étaient tous les deux occupés, dans une position
inconfortable , à changer un siphon lorsque une
sonnerie du téléphone les interrompit. C’est le patron,
dit le péruvien en regardant son portable. Et il se mit
à parler dans un espagnol typiquement argentin, avec des
che et des vos à tous les coins de
phrases. Un peu surpris, je lui demande s’il était
péruvien ou argentin. « Péruvien. C’est le patron
qui est argentin ». Ainsi, parlant avec son patron,
il parlait comme son patron. Bel exemple de croisement
entre variation dialectale et division sociale.
Discutant avec moi il parlait, naturellement, son
espagnol péruvien, mais il se pliait à la norme du
patron lorsqu’il parlait avec lui. On ne peut pas rêver
plus bel exemple d’aliénation sociolinguistique. Ce
n’est certes pas une chose nouvelle, nous voyons tous
les jours des Méridionaux qui tentent de masquer leur
accent pour parler « pointu » et faire ainsi,
pensent-t-il, plus chic. Mais le changement instantané
de façon de parler, pour revenir ensuite à sa pratique
normale, était ici une vraie démonstration de
soumission.
Les deux plombiers m’ont encore appris, sans le savoir,
autre chose. Le péruvien était très content d’être en
France, d’avoir un travail fixe, tandis que le français
rêvait de partir travailler au Canada (il disait Canada
mais il pensait Québec, comme on verra). Il m’expliqua
qu’il était facile d’y aller, qu’on y recrutait des
plombiers, qu’on y était mieux payé et que Montréal
était une belle ville. Puis, après un silence, il
ajouta : « La seule chose qui m’embêterait, ce
serait de prendre leur accent, leur français n’est pas
beau ». Si le péruvien se soumettait à la langue de
son patron, le français pour sa part ne voulait pas se
plier à celle des Québécois, et pour un peu il serait
parti en croisade pour leur imposer la sienne.
Laissons de côté l’idée d’aller travailler
outre-Atlantique, qui tenait plus d’un rêve de jeune que
de la fuite fiscale, mais en revanche le bal des
variétés linguistiques du Péruvien et les
représentations linguistiques du Français sont un bon
sujet de réflexion

30
octobre
2013
: Audiarderies...

Les paysans français en général et bretons en
particulier me les brisent menues depuis longtemps (que
l’on m’excuse pour cette formule un peu osée, mais je
prépare une conférence que je dois donner la semaine
prochaine sur la langue de Michel Audiard, et
l’expression vient tout droit des Tontons flingueurs).
Les paysans, donc, me les brisent menues. Aussi loin que
ma mémoire remonte, je les ai entendus se plaindre de la
sécheresse, des inondations, de la surproduction, de la
chute des prix, des grandes surfaces, je les ai vus
accumuler les subventions européennes, les aides, les
détaxes, préférer la productivité à la qualité. Et le
pouvoir politique les a toujours choyés : ils ont
longtemps représenté autour de 3% du corps électoral et
l’élection présidentielle se joue en France à 2 ou 3%
des voix... Ajoutons à cela qu’ils (les paysans)
polluent sans vergogne avec leurs engrais ou leur
lisier, qu’ils empoisonnent la nappe phréatique, qu’ils
sont largement responsables des algues vertes en
Bretagne et, pour couronner le tout, qu’ils produisent
des poulets immangeables et du porc dégueulasse.
Manipulés ou pas par le patronat, le lobby
agro-alimentaire, ils se révoltent alors qu’ils ne se
sont pas préoccupés de se moderniser, de traiter le
méthane qu’ils surproduisent, bref ils me les brisent
menues, je sais, je l’ai déjà dit. Arnaud Montebourg
doit cependant être content : les bonnets rouges
sont s’affublent les bretons sont fabriqués en France.
Mais comme il est toujours content de lui... Quant aux
routiers qui bloquent cycliquement les routes, polluent,
ont des tarifs préférentiels aux péages et paient leur
fuel à des prix imbattables, ils me les brisent tout
autant.
Tout ceci dit, et je sais que cette expression de
mauvaise humeur ne suffit pas à constituer une analyse
politique, tout ceci dit, donc, les cafouillages du
gouvernement et du président de la République font
singulièrement désordre. Absence d’autorité, de
cohésion, de cohérence, on a l’impression qu’ils ne
savent pas où donner de la tête et naviguent à vue. La
« communication » des paysans bretons
brûlant des pneus et déversant des tonnes de choux sur
la chaussée n’est pas nouvelle, elle est même éculée,
mais elle est encore efficace. Celle du gouvernement est
inexistante, ou alors elles est déléguée aux guignols de
l’info, ce qui n’est pas nécessairement le bon choix.
Bon, essayons quand même de finir dans la joie. Je vous
ai dit que je préparais une conférence sur Michel
Audiard, qui a écrit les dialogues de plus de cent films
mais en a aussi réalisés une dizaine. En voici certains
titres. A vous de savoir lequel correspond le mieux à la
situation que je viens d’évoquer : Faut pas
prendre les enfants du bon Dieu pour des canards
sauvage, Le cri du cormoran le soir au-dessus des
jonques, Le drapeau noir flotte sur la marmite et,
pour finir, Comment réussie quand on est con et
pleurnichard...

28
octobre
2013
: No woman no drive

Si j’en juge sur certaines réactions, j’ai visiblement
raté mon coup avant-hier . J’ai voulu m’amuser, ou
exprimer mon agacement (agacement parce que j’aime
beaucoup les animaux mais je trouve qu’il y a des causes
plus urgentes à défendre) face à un manifeste signé par
quelques « éminents » intellectuels. J’ai donc
tout bêtement pris une pétition de « 30 millions
d’amis » et systématiquement remplacé animaux par
fleurs en pots. J’essaierai de faire mieux la
prochaine fois.
D’autres causes, disais-je. En Arabie Saoudite, ce
grand pays démocratique, les femmes n'ont pas le droit
de conduire. Certaines (une dizaine) ont manifesté hier,
en se mettant tout simplement au volant. Interviewé par
la presse occidentale, le ministre des affaires
religieuses a expliqué que « dans la religion rien
n’interdit aux femmes de conduire mais rien ne le
permet. Nous avons donc pesé le pour et le contre, et le
contre l’emporte ». Ces deux phrases méritent
quelques commentaires. Tout d’abord on voit mal comment
cette religion aurait quoi que ce soit à dire sur la
conduite des voitures puisqu’elle repose sur un livre
datant de près de quatorze siècles et qu’à ma
connaissance la voiture à moteur n’existait pas. Mais
peut-être suis-je mal informé. Deuxième
commentaire : le respectable ministre des affaires
religieuses ne nous dit pas la position de la religion
sur la conduite des voitures par les hommes... Nous
vivons une époque moderne.
Alors, finissons en riant. Un gag fait depuis hier le
buzz sur Internet. Un certain Hisham Fageeh a détourné
un reggae célèbre de Bob Marley, No woman no cry.
En voici quelques extraits, dans lesquels les amateurs
retrouveront facilement la trace de l’original :
No woman no drive (...) I remenber when you used to
sit in the family car, but backseat (...)
Good friends we had good friends we lost on the
highway (...)
You can’t forget your past so put your car key away
(...)
Hey little sister don’t touch that wheel (...)
Of course the driver can can take you everywhere
But you can cook for me my dinner
Your feet is your only carriage, but only inside the
house (...)
Et, bien sûr, cela se termine par :
Everything’s gonna be alright

26
octobre
2013
: Pétition

À l'attention de Christiane Taubira, ministre de la
Justice
Le pays des Droits de l’Homme ne serait-il pas assez
éclairé pour reconnaître les droits des êtres vivants
doués de sensibilité ? Nos concitoyens sont parmi les
plus favorables au respect du bien-être des fleurs en
pot : pour 90% d’entre eux, il fait même partie
intégrante de la famille (Ipsos, 2004). Plus de 200 ans
après sa rédaction en 1804, notre Code civil n'a
toujours pas évolué et considère encore les fleurs en
pot comme des "biens meubles" (art. 528). Il accuse donc
un décalage certain avec la mentalité contemporaine
qu'il est grand temps de combler. Aujourd’hui, les
fleurs en pot sont devenues une préoccupation sociale
suffisamment forte pour que le législateur s'interroge
sur une nouvelle définition de son régime juridique,
comme l'a déjà fait la plupart de nos voisins européens.
Je m'associe donc à la demande de la Fondation des
Amis des fleurs en pot de faire évoluer le régime
juridique des fleurs en pot et demande au législateur
de retirer les fleurs en pot du droit des biens et de
créer dans le Code civil, à côté des “Personnes” et
des “Biens” une troisième catégorie pour les “ fleurs
en pot ”.
En ce sens, je soutiens la proposition visant à
modifier l’intitulé du Livre II du Code civil comme suit
: “Des fleurs en pots, des biens et des différentes
modifications de la propriété” avec un Titre 1er “Des
fleurs en pots ” où il devra être spécifié que les
fleurs en pots sont des être vivants et sensibles.

22
octobre
2013
: Majorité/opposition

Durant l’été 1981, travaillant à Quito dans un
programme d’alphabétisation des indiens quichua, j’avais
beaucoup de mal à expliquer à mes collègues équatoriens
que l’alternance politique que nous avions vécue en
France s’accompagnait d’une alternance sémantique un peu
compliquée. Après plus de vingt ans de pouvoir de
droite, la gauche l’avait emporté avec l’ élection
de François Mitterrand. C’est-à-dire qu’après avoir été,
depuis 1958, l’opposition, elle était devenue la
majorité tandis que la droite et le centre
avaient bien sûr connu la rotation inverse. Et des
habitudes profondément ancrées faisaient que nous étions
un peu perdus, qu’il nous était difficile de considérer
la droite comme opposition et la gauche comme majorité.
Et puis, avec le temps, nous nous sommes accoutumés,
jusqu’à ce que de nouvelles élections fassent encore une
fois tourner la roue...
Si je vous parle de ces souvenirs presque médiévaux,
c’est que j’ai aujourd’hui l’impression que le PS et les
Verts n’ont pas encore compris qu’ils ne sont plus dans
l’opposition. La grande cacophonie qui règne au
gouvernement et dans les partis qui devraient le
soutenir tient bien sûr à des egos démesurés, à des
conflits de personnes et à une certaine impréparation
(sur l’immigration par exemple, il semble n’y avoir eu
aucune réflexion, et nous vivons le règne de
l’improvisation). Mais, surtout, le personnel politique
socialiste et écolo a des réflexes qui le pousse
systématiquement à prendre position contre, à
alimenter les querelles contre la police ou le
ministère de l’intérieur, contre toute velléité
de réforme scolaire, en bref contre tout ce qui
vient du gouvernement. Et parfois contre ce que
l’on suppose venir du gouvernement (je pense par exemple
à Samia Ghali accusant Patrick Mennucci d’être l’homme
de Paris, de Matignon ou de l’Elysée...). Il en résulte
une sorte de délire, au sens technique du terme, une
perturbation de la pensée qui ne fonctionne plus sur la
réflexion mais sur l’affect. C’est grave, docteur ?
Ma fois, ça se soigne, mais il faudrait s’y mettre très
vite...

21
octobre
2013
: Les chiens du langage

Je voudrais revenir sur le thème que j’abordais dans
mon billet précédent, celui des injures dans la vie
politique française, car nous vivons une période
inédite. N’étant pas sous la table de Sarkozy, Hollande,
Le Pen, Copé, Fillon, Montebourg ou quelques autres je
ne sais évidemment pas ce qu’ils peuvent dire en privé,
mais l’expression publique est suffisante : une
foire d’empoigne. On traite madame Taubira de
« sauvage », on la compare pratiquement à un
singe, on traite Nadine Morano ou Marine Le Pen de
« salopes » et de « connes ». Bref,
les chiens du langage sont lâchés et l’on ne voit pas
très bien qui pourra les arrêter.
Laissons de côté Cécile Duflot (de paroles) ou François
Fillon qui, bien que déversant du fiel à tout va sont
finalement les plus mesurés, et intéressons-nous plutôt
à Jean-Luc Mélenchon qui a fait de la « capacité
d’indignation » son fonds de commerce. Il s’est
révélé pendant la campagne présidentielle : alors
que Marine Le Pen tentait de « dédiaboliser »
le FN et que son père était pratiquement forcé au
silence, c’est Mélenchon qui a repris le flambeau,
traitant par exemple le journaliste David Pujadas de
« salaud » et de « larbin », madame
Le Pen de « semi-démente », et j’en passe Plus
tard il déclarera que Pierre Moscovici « ne pense
plus en français mais dans la langue de la finance
internationale » et il vient, à propos de
l’expulsion la jeune Leonarda et de sa famille, de
parler de rafle et de traiter une journaliste d’auxiliaire
de la police. Comme dans des vases communicants,
on a l’impression que plus le FN fait semblant de
policer son discours plus Mélenchon durcit le
sien : on attend les vipères lubriques et
les poubelles de l’histoire. Sémiologiquement,
le contraste entre son look « respectable »
(costume sombre, cravate grenat ou rouge) et son
discours de voyou est frappant. Il est bien sûr
difficile d’affirmer que c’est lui qui a ouvert les
vannes du populisme aujourd’hui ambiant, mais il a joué
un rôle non négligeable dans ce qui se produit
actuellement.
Plus largement, nous assistons à ce qu’on appelle en
psychiatrie une désinhibition, une perte de contrôle qui
mène à la violation de la plupart des règles
comportementales : la disparition de l’autocensure
en quelque sorte. Cela semble se manifester par une
vaste déculpabilisation face à l’insécurité, à
l’immigration, à la violence. L’élection de Brignoles et
le premier tour de la primaire socialiste de Marseille
par exemple répondent aux mêmes ressorts : dans les
deux cas c’est la victoire de la crainte, du populisme,
et surtout du simplisme. On se dit que le FN saura
mettre fin à l’immigration et que Samia Ghali mettra la
police dans les quartiers nord, que tout ira bien, et
l’on vote donc pour eux... Et j’ai entendu ce matin,
après la victoire de Patrick Mennucci à Marseille, un
militant socialiste partisan de Ghali dire qu’il fera la
campagne de Gaudin !
J’ai dit que les chiens du langage étaient lâchés, mais
les mots ne sont que la traduction ou l’expression de
cette ambiance nauséabonde. Parler de rafles à
propos de l’action du ministre de l’intérieur, le
traiter donc de nazi, c’est considérer que les mots ne
signifient pas grand chose et que l’on peut donc dire
n’importe quoi. Il y a derrière tour cela une totale
perte de repère, un déboussolage généralisé. Mais,
encore une fois, c’est le langage du Front National,
celui que Marine Le Pen feint d’avoir enterré, qui passe
dans le sens commun. Face à cette débauche sémantique
elle peut se frotter les mains, la bonde a sauté et le
discours de l’extrême droite est banalisé.

17
octobre
2013
: Retour en France

Pendant une semaine je n’ai eu accès qu’à la télévision
chinoise, et l’on y parle bien peu de notre douce
France. J’ai donc découvert à mon retour qu’à Brignoles
le Front National avait gagné une élection et qu’à
Marseille Samia Ghali était en tête de la primaire du
Parti Socialiste. Je ne peux pas m’empêcher de voir un
lien entre ces deux scrutins. Samia Ghali c’est cette
femme politique au sourire plein de dents qui a proposé
d’envoyer l’armée rétablir l’ordre dans les quartiers
nord. L’armée! Cette idée paraissait baroque, mais les
électeurs socialistes ne semblent pas en avoir été
choqués. Face à l’insécurité, à Brignoles comme à
Marseille, on vote de la même façon, et madame Le Pen a
donc deux raisons de se frotter les mains.
J’ai aussi appris, et de cela non plus on ne parlait
pas à la télévision chinoise, que Guy Bedos avait traité
Nadine Morano de conne et de salope. Pourquoi salope,
Guy? Bedos a d’ailleurs fait école puisqu’un attaché
parlementaire socialiste a utilisé la même formule à
l’endroit de Marine Le Pen. Mais pourquoi conne?
J’ai enfin découvert qu’on nous rejouait le scénario de
la rumeur d’Orléans. C’était en 1969, à Orléans donc, et
une rumeur persistante prétendait que dans des boutiques
de lingerie tenues par des Juifs de jeunes femmes
disparaissaient et se retrouvaient dans des réseaux de
prostituion. Et bien sûr il n’y avait eu aucune
disparition... Cette fois-ci une autre rumeur urbaine
prétend que certains maires se font payer pour
accueillir des Noirs venus du département de la Seine
Saint-Denis. Des Noirs! Et pauvres de surcroît! Et bien
sûr cette histoire semble entièrement fausse.
Tout cela est nauséabond, et la vie politique française
est tombée bien bas. Mais tout celà va dans le même
sens, non? Les français un peu déboussolés seraient-ils
en train de pencher vers l’extrême droite?

16
octobre
2013
: Retour de Chine

Celà fait plus d’un quart de siècle que je vais
régulièrement travailler en Chine. J’ai vu au fil des
ans des centaines de millions de bicyclettes remplacées
par des voitures privées, j’ai vu les vieilles maisons
traditionnelles (en particulier les hutongs de Pékin)
rasées pour faire place à des immeubles modernes et
hideux. Mais je n’avais jamais vu de mendiants dans les
rues. C’est fait. Ils sont nombreux dans les rues de
Nankin: Ce pays “communiste” est décidément entré dans
le libéralisme.
Mais je n’étais pas là pour compter les mendiants. Un
siècle après la mort de Ferdinand de Saussure se tenait
à l’université de Nankin un colloque au titre
délicieusement ambigu, La linguistique structurale à
l’épreuve de sa réception : l’exemple de Saussure.
Colloque international comme on dit puisque aux quinze
intervenants chinois s’ajoutaient un Japonais (Kazuhiro
Matsuzawa), un Taïwanais (Zhu Jianing), un Coréen
(Choi Hong Ho) et trois Français (Gabriel Bergounioux,
Claude Hagège et moi-même). J’ai parlé de titre
« ambigu » car il pouvait fonctionner comme
les poupées gigognes russes, ou comme une auberge
espagnole dans laquelle, comme on sait, on trouve ce
qu’on apporte. La linguistique structurale par exemple:
les mots structure et structuralisme
n’apparaissent nulle part dans le CLG, et le
structuralisme conquérant, issu de la phonologie de
l’école de Prague, s’est en quelque sorte annexé le
Saussure public, celui d’avant les textes inédits, pour
en faire son père fondateur, voire son créateur. Or rien
n’est moins sûr... D’autre part ce titre annonçait, ou
ouvrait la voie à, une réévaluation historique du
structuralisme et de Saussure, alors que la majorité des
interventions allaient plutôt dans le sens d’une
réhabilitation ou d’une défense et illustration de
Saussure. Ainsi les intervenants chinois ont surtout
tenté d’évaluer Saussure à la lumière de la philosophie
analytique: pas la moindre référence au marxisme (à une
exception près) ni même à la sociolinguistique. En
linguistique comme en économie on est entré directement
dans le libéralisme.
Bien sûr la Chine éternelle n’est pas tout à fait
morte. J’ai ainsi assisté à un spectacle de kunqu, un
art vieux de six siècles, qui est à l’origine de l’opéra
de Pékin. Le libéralisme n’est pas encore passé par là.
Mais on tremble en imaginant ce qui pourrait se passer…

3
octobre
2013
: Histoire russe

Après les Suisses, les Russes. Certains d'entre eux,
des "personnalités" comme on dit, artistes,
journalistes, mais tous poutinophiles, viennent de
proposer le camarade Vladimir Poutine pour le prix Nobel
de la paix. Poutine prix Nobel de la paix? Oui. Selon
ces "personnalités" il aurait évité qu'une troisième
guerre mondiale ne débute en Syrie. Poutine serait donc
un grand pacifiste: ce doit être de l'humour russe, ou
plutôt de l'humour noir russe. On se demande ce qu'en
pensent les Tchétchènes.
Je pars quelques jours en Chine. Je vous en parlerai à
mon retour (pas des Tchétchènes, de la Chine).

2
octobre
2013
: Histoire suisse

L’armée suisse vient de faire de grandes manœuvres en
partant d’une étonnante fiction. Sous la pression de la
crise, la France éclate en petites entités régionales et
l’une d’entre elles décide d’envahir la confédération
helvétique pour y prendre tout l’or qui se cache dans
ses coffres. L’armée avait donc pour mission de montrer
qu’elle pouvait résister à l’envahisseur gaulois. Il y a
comme ça des jours où la réalité est bien
plaisante ! Mais cette histoire, si elle prouve ce
que nous savions déjà, qu’il y a beaucoup d’or en
Suisse, a un goût déplaisant. Comment cette pauvre armée
suisse pourrait-elle faire le poids face à une armée
venue de France, fût-elle seulement savoyarde ou
provençale ? Ils sont fous ces Helvètes ! Bon,
si l’Italie les envahissait, ils les bouteraient très
facilement hors de chez eux. L’armée allemande ne ferait
guère mieux. Les valeureux soldats du Liechtenstein
résisteraient sans doute un peu plus avant d’être
défaits. Mais des Français !
Enfin, oublions l’insulte, ces Suisses sont dépités,
vexés que l’on ait piqué les listings d’une de leurs
banques, et ils se sont bassement vengés. Et pour qu’on
ne les y reprenne plus, je vais, dans ma grande
mansuétude, leur proposer d’autres scenarii, plus
plausibles, pour leurs prochaines manœuvres. Une
invasion de chamois par exemple : il y en a des tas
dans les Alpes françaises, et ils ne demandent qu’à
aller brouter l’herbe helvète. Ou encore une invasion de
marmottes. Elles se cachent tout l’hiver au fond de
leurs trous pour mieux préparer, secrètement, un raid
d’envergure sur les réserves de gruyère et d’emmenthal.
Mais surtout, les stratèges de Berne devraient songer au
réel danger qui les menace : une invasion
d’abeilles. Comme chacun sait, elles ont tendance à
dépérir en France, grâce aux petits malins qui les
empoisonnent en déversant des tonnes de produits
phytosanitaires sur les cultures. Or les abeilles se
tiennent informées, elles savent qu’il y a en Suisse de
délectables fleurs à butiner et elles peuvent très bien
migrer vers la confédération qui croulera très vite sous
le miel. Que pourront faire les guerriers suisses,
poursuivis par des dizaines d’essaims et englués dans le
sucre ? Il y a là un vrai thème de manœuvres.
D’autant plus que les abeilles seront très vite suivis
par d’autres envahisseurs, les frelons asiatiques, le
redoutable vespa valutina, grand prédateur d’abeilles
dont il aime à se nourrir et qui ne pourra que se
déplacer vers les alpages suisses pour y poursuivre ses
orgies.
Voilà, mon général, sur quoi il conviendrait de
réfléchir sérieusement. Mais oubliez cette histoire
d’invasion française. Sinon, nous qui sommes déjà
spécialistes des histoires belges, nous pourrions vous
accabler d’histoires suisses.

28
septembre
2013
: Retour du Brésil

Je viens de passer dix jours au Brésil et, durant les
longues soirées d’hiver (oui, c’était la fin de l’hiver
à Rio, un hiver avec une moyenne de 30 degrés …),
durant les longues soirées d’hiver donc j’ai lu des
mails qu’en général je mets directement à la poubelle,
sans les ouvrir, parce qu’ils ressemblent à de la
publicité. Et je me suis rendu compte qu’une bonne
partie de ces pubs visait juste, me proposait des choses
qu’effectivement j’étais susceptible d’acheter. Par
exemple, la FNAC me signalant la sortie de CD dans le
domaine musical que j’’achète en général, ou encore Air
France m’envoyant des propositions de vols au départ de
Marseille. Je sais, c’est le B A BA du commerce, cibler
le client. Mais nous nous habituons tellement à être
fichés que nous ne nous rendons même plus compte. La
FNAC connaît mes goûts musicaux ou littéraires, Air
France mes habitude de voyage, mes relevés de cartes de
crédit disent tout de moi, à quelle heure j’ai pris un
autoroute, dans quel restaurant j’ai mangé, dans quelle
ville ou dans quel pays… Ajoutez à cela que tous nos
mails sont sans doute lus, passés au filtre de moteurs
de recherche, stockés quelque part. Nous pourrions bien
sûr ne payer qu’en liquide, incognito, mais les caméras
de surveillance sont là pour prendre le relai. Bref,
vous saviez déjà tout ça, big brother is watching us,
mais c’était la séquence « plus naïf que moi tu
meurs ».
Retour du Brésil, donc. O Globo, le journal que
je lisais tous les jours, ne parle que rarement de la
France et j’ai suivi l’actualité nationale de loin, en
jetant un coup d’œil sur Libération ou Le
Monde sur Internet. Et j’arrive en plein bordel
gouvernemental. Bien sûr, Manuel Valls n’est pas
vraiment d’extrême gauche, d’ailleurs quelqu’un
d’extrême gauche pourrait-il vouloir être ministre de
l’intérieur ? Et bien sûr ses déclarations sur les
« Roms » laissent rêveur. Mais ce qui m’a
surtout frappé c’est la réaction de Cécile Duflot. Cette
dame, chacun le sait, est écologiste. Elle aurait donc
dû être particulièrement intéressée par le rapport du
GIEC (groupe d’experts intergouvernemental sur
l’évolution du climat) expliquant que d’ici la fin du
siècle la température pourrait augmenter de près de 5
degrés (cela va faire plaisir aux ours polaires) et que
95% du réchauffement climatique est dû à l’activité
humaine. Mais Duflot est surtout politicienne, et plutôt
que d’intervenir dans son domaine de compétence elle
tente de se payer Valls. Je dois dire que je n’ai pas
beaucoup de respect pour ces magouilleurs qui, ayant eu
2% des voix à l’élection présidentielle intriguent pour
avoir des postes ministériels, des sièges de députés et
de sénateurs et bientôt des mairies. Duflot est
l’archétype de cette dérive, façon péronnelle, Placé
(qui rêve d’être ministre et se désole de n’être que
sénateur) n’est pas mal non plus, façon arriviste. Et
tous deux, qui tiennent leur parti d’une main de fer,
nous donnent un bel exemple de politique façon
grand-père. Tout va mal chez eux, Noël Mamère les quitte
en dénonçant une mafia (il a parlé à leur propos de firme,
de clan), Cohn-Bendit exprime lui aussi son
ras-le-bol, et madame Duflot, pour détourner
l’attention, fait son clash. Ils nous annonçaient leur
volonté de faire de la politique différemment, ils nous
montrent qu’ils sont pires que les pires des
politiciens.
Au Brésil, comme souvent en voyage, je n’ai pas écouté
mes messages téléphoniques. En rentrant je découvre donc
qu’une journaliste de RTL a cherché à me joindre. Elle
voulait m’interroger sur une phrase de Jean-Marc
Ayrault. Le premier ministre a en effet déclaré
qu’il assumait « avoir été obligé d’augmenter les
impôts ». Intéressante formule en effet. Obligé par
qui, ou par quoi ? Par la conjoncture ou par
quelqu’un ? La langue est parfois imprécise, ou
permet certaines ambiguïtés. Mais les Verts, eux, ou du
moins leurs dirigeants, n’ont rien d’ambigus. Leur
obsession c’est le pouvoir, le pouvoir et encore le
pouvoir. Je vous le disais, c’est de la politique
autrement.

11
septembre
2013
: Repository/suppository

Bon, on va essayer de rire un peu. Il y a eu le mois
dernier, en Australie, dans le cadre des élections
législatives, un débat télévisé entre Tony Abbott,
leader libéral, et le travailliste Kevin Rudd. Abbott
est connu pour ses positions réactionnaires et pour ses
gaffes. Et, au cours du débat, il a voulu dire que le
travailliste n’était pas le « dépositaire de
la sagesse » (en anglais repository of wisdom),
affirmation sur laquelle je n’ai pas les moyens de me
prononcer. Mais il a en fait prononcé suppository of
wisdom, « suppositoire de la sagesse»
(je n’ai d’ailleurs pas plus les moyens de me prononcer
sur la véracité de cette affirmation). Les libéraux ont
gagné les élections et Tony Abbott va prendre les rênes
du pays. A suivre, donc, en espérant qu’il tiendra non
pas ses promesses électorales mais humoristiques, en
poursuivant sur la voie des lapsus.

10
septembre
2013
: Jean Véronis

Il était célèbre pour ses travaux sur le traitement
automatique des corpus oraux ou écrits, pour les moteurs
de recherche qu’il avait construits et j’avais été
frappé par l’analyse qu’il avait proposée sur son blog
du texte de la Constitution européenne, par sa critique
des pratiques de Google, et par deux instruments, le
nébuloscope et le chronologue, qu’il avait mis à la
disposition du public : son blog était
régulièrement cité par la presse et lu par des milliers
de personnes. Ce fut la raison de notre première
rencontre privée, en 2005, dans un restaurant près de
l’université. J’avais en particulier aimé un texte qu’il
avait posté sur son blog en avril 2005, un billet
intitulé La constitution européenne pour les cons
pressés dans lequel il démontrait avec brio, en
utilisant la technique de la compression de texte, que
c’était le texte le moins informatif, le plus redondant
qu’on puisse imaginer.
Nous nous étions bien sûr croisés dans diverses
réunions, commissions, mais nous ne nous connaissions
pas vraiment, sinon de réputation. Nous discutions
donc, autour d’une table, de l’état de notre science
commune, de sa marginalisation, de sa balkanisation, de
sa pauvreté théorique, et il me lança « La
linguistique ne fait plus rêver ». Après avoir
évoqué notre découverte enthousiaste, ancienne pour moi,
plus récente pour lui, de cette science à laquelle nous
avions consacré une partie de notre vie, nous en vînmes
à la raison de notre rencontre. J’avais suscité ce
rendez-vous pour lui proposer de travailler ensemble sur
le discours politique à propos de l’élection
présidentielle qui se profilait. L’idée lui plut,
quelques semaines plus tard le projet était sur les
rails, un éditeur convaincu, et nous avons déroulé, à
quatre mains et en deux ouvrages, nos analyses. Trois
ans de travail passionné et passionnant. Lorsque nos
livres sur la campagne présidentielle sont sortis, je
craignais un peu les frictions entre nous face à la
médiatisation. Pourtant, ensemble ou séparément, nous
avons fait face aux interviewes, aux émissions de radio
et de télévision, avec une tranquillité, une équanimité,
une fraternité presque, inoxydables.
Ces années de travail avec lui furent pour moi une
aventure enrichissante (j’ai grâce à lui beaucoup appris
dans un domaine qui ne m’était pas très familier), mais
surtout une découverte. La découverte d’un être humain
que je n’avais pas perçu à prime abord derrière le
théoricien brillant et le praticien inventif des
technologies du langage. Un être délicat, cultivé,
ouvert. Ancien élève du conservatoire, il était
pianiste. Curieux de toutes choses, de musique, de
littérature, il lisait tout ce qui lui tombait sous la
main, collectionnait les dictionnaires, les recueils de
poésie. Nous parlions de chansons, de vins, de voyages,
de romans, de cuisine, d’émissions de télévision. Il
suivait en particulier la vie politique avec
gourmandise, avec une acuité comparable à celle d’un
Daniel Schneidermann, qui était d’ailleurs un grand
lecteur de son blog.
Nous nous sommes moins vus après notre second livre, et
les mails, les SMS, devinrent notre forme de
communication. Il m’écrivait parfois, au retour d’une
promenade matinale à cheval, pour me dire le plaisir
qu’il avait eu à voir la nature se réveiller. Il volait
à mon secours lorsque j’avais un problème d’analyse
statistique d’un texte, ou d’une œuvre complète, comme
celle de Georges Brassens par exemple. Tout récemment,
après la mort de Georges Moustaki, il me disait que
c’était le dernier, après Brassens et Ferré, ajoutant
« j’ai senti qu’une page, une époque de ma vie se
tournait ». Il ne savait pas, hélas, qu’il était
très près de la vérité… Jean Véronis est mort
accidentellement le 8 septembre, et je suis bien triste.
Allez-voir son blog (http://blog.veronis.fr/),
prenez le temps de remonter le temps, de lire tout ce
qu’il a écrit. Vous saurez alors quel homme nous avons
perdu.

6
septembre
2013
: Taubira, la chute

Que les choses soient claires : j’ai toujours
considéré que la prison était et n’était que la
privation de liberté et que les détenus n’avaient donc à
subir aucune humiliation. A une certaine époque de ma
vie je suis allé à la centrale de Melun avec Renaud, Guy
Bedos ou Lény Escudéro, pour animer un débat après leur
spectacle. J’ai présidé un comité de défense de Roger
Knobelspiess, et je me sens très concerné par les
problèmes de réinsertion… Tout cela pour dire que la loi
proposée par Christiane Taubira ne me paraît pas, a
priori, rédhibitoire. Hier soir j’ai donc suivi
l’émission dont elle était le centre, Des paroles et
des actes, et j’en ai bien du mérite puisqu’en
même temps, sur une autre chaîne, Andy Murray se faisait
rosser à l’US open de tennis, ce qui m’a d’ailleurs fait
bien plaisir. Bref j’ai écouté Taubira sans préjugés, du
moins pour ce qui concerne son action au ministère de la
justice. Mais j’ai été immédiatement surpris par le ton
de sa voix, façon mégère agressive : elle n’était
pas à l’aise. Et elle avait visiblement préparé une
stratégie de défense maladroite: répliquer aux
critiques par « tout ça c’est des on dit,
et je ne réponds pas aux on dit ». La
surpopulation des prisons, c’est des on dit, sa
brouille avec Valls, c’est des on dit, etc. En
outre, elle alignait des phrases filandreuses pour ne
pas répondre aux questions : sur la légalisation du
cannabis, sur le voile à l’université, sur la Syrie,
elle évitait soigneusement de donner son avis, et se
réfugiait dans un mépris affiché pour ses
interlocuteurs : « c’est débile »,
« c’est faux », lançant même à David Pujadas
« ne me décrédibilisez pas ! » alors
qu’elle était précisément en train de se décrédibiliser.
Pour finir, après avoir été interrogée par des
journalistes, elle se trouve face à Christian Estrosi,
qu’elle tente de prendre de haut : « Même
un élève de maternelle peut dire ça ». Mais le pâle
Estrosi va prendre le dessus et la laisser coite.
« Gardez votre sang-froid » lui assène-t-il,
avant de lui envoyer à la figure qu’elle est du côté des
agresseurs et non pas des victimes. Injuste, bien sûr,
mais terriblement efficace. Peu à peu la peur
s’installait sur son visage, elle essayait ses armes
habituelles, sourires, minauderies, en vain. Pour finir,
alors qu’elle devrait par ses fonctions défendre les
juges, elle dégage en touche et renvoie à eux pour ne
pas répondre à certaines questions. Bref on avait
l’impression que son projet de loi, qu’encore une fois
je trouve intéressant, n’avait été ficelé que pour
répondre à la surpopulation des prisons. Jamais je ne
l’ai vue aussi mauvaise, une catastrophe !
Agressive, de mauvaise foi, méprisante, elle semblait
creuser le trou dans lequel elle allait tomber.

3
septembre
2013
: Virgule

Vous connaissez sans doute déjà cette plaisanterie qui
sert à démontrer l’importance de la ponctuation, mais
tant pis. Comparez les deux versions d’une même phrase
ci-dessous, en les prononçant à voix haute puisque la
ponctuation n’est jamais qu’une transcription de
l’intonation :
-Pierre, dit l’instituteur, est un âne.
-Pierre dit : l’instituteur est âne.
On voit que l’ânitude si je puis dire change de camp,
que la première phrase signifie que Pierre est un âne,
la suivante que l’instituteur est un âne.
Passons maintenant à l’actualité. Nadine Morano a
tweeté hier soir le message suivant : Ils
veulent casser tout ce que Nicolas Sarkozy a fait au
détriment des Français ! Sans doute
voulait-elle dire Ils veulent casser tout ce
que Nicolas Sarkozy a fait, au détriment des
Français ! Eh oui, c’est important, la
ponctuation. Morano, dit l’instituteur…

31
août 2013
: Magouilles diplomatiques

Il y a des jours où l’actualité est réjouissante. Vous
vous souvenez peut-être de Boris Boillon, qui fut un
petit protégé de Sarkozy, son conseiller à l’Elysée pour
les pays arabes, puis ambassadeurs en Irak et enfin en
Tunisie où les choses se passèrent assez mal. C’était
l’époque où Michèle Alliot-Marie, ministre des affaires
étrangères, avait un peu fricoté avec Ben Ali, lui
proposant même des conseils pour la répression des
manifestations. Bref, interrogé par la presse tunisienne
sur ces dérives alliot-mariennes il avait brutalement
répondu qu’il ne répondait pas aux « questions
débiles » et s’était définitivement aliéné une
bonne partie de la population tunisienne. En toute
logique, l’ambassadeur fut remercié par le nouveau
président français, François Hollande, et depuis un an
on n’avait pas entendu parlé de lui.
Et soudain, coucou le revoilà. Le 31 juillet dernier il
a été interpellé par la douane, à Paris, alors
qu’il s’apprêtait à quitter la gare du Nord pour
Bruxelles. Interpellé pour rien, au flair. On lui
demande s’il quitte le pays avec des devises, il
bredouille, on le fouille et bingo ! Monsieur l’ex
ambassadeur dissimulait sur lui 350.000 euros et 40.000
dollars, alors qu’il est interdit de passer plus de
10.000 euros d’un pays de l’Union Européenne à un autre.
Les billets étaient soigneusement rangés dans des
enveloppes. Petit cachotier ! Pour couronner le
tout, il n’avait sur lui aucun papier ni téléphone
portable, simplement des cartes de crédits.
D’après Médiapart qui sort ce dossier Boillon
aurait expliqué qu’il travaillait désormais avec l’Irak
et qu’il était payé en liquide, 500.000 euros par mois.
L’histoire ne dit pas s’il a généreusement donné au
Sarkothon pour atténuer les dettes de l’UMP, ni s’il
fréquente madame Bettencourt, ou monsieur Woerth, ou son
ancien patron Sarkozy. On nous cache tout on nous dit
rien !

29
août 2013
: Chronique de frappes politiquement
correctes annoncées

Bernard-Henri Levy, invité en début de semaine au Grand
Journal de Canal + laissait dire sans protester qu’il
avait été quelques chose comme le ministre des affaire
étrangères de Sarkozy au moment de l’intervention en
Libye, intervention dont il se glorifiait. Or la Libye
est devenu non seulement un pays ingouvernable mais
surtout un immense supermarché d’armes qui se retrouvent
entre les mains des islamistes en Egypte, en
Tunisie, au Mali et sans doute ailleurs mais
qu’importe : Sarkozy et Cameron se sont à la fois
donné bonne conscience et fait plaisir, et Bernard-Henri
Levy plastronne. Nous avons débarrassé la Libye d’un
tyran. Comme en Irak, comme en Afghanistan. Après nous
le chaos mais nous avons fait notre devoir de
démocrates.Notre devoir moral. Et nous allons sans doute
recommencer en Syrie
Car Bachar al-Assad a fauté et doit donc être puni.
Cela fait plus de deux ans que les puissances
internationales regardent de loin cette guerre civile,
que Russes et Chinois disent à l’unisson « pas
touche ! », qu’Obama dit à Assad, comme un
papa à son mioche, qu’il ne faut pas exagérer, qu’il y a
un ligne à ne pas dépasser sinon on lui tapera sur les
doigts, et voilà, le sale gosse a fait ce qu’il ne
fallait pas faire, on lui tapera donc sur les doigts. En
visant plusieurs buts à la fois. Se donner bonne
conscience, tout d’abord (nous autres, les Occidentaux,
nous avons une morale : on peut tuer qui on veut et
tant qu’on veut, mais pas gazer). Inciter Assad à
négocier ensuite. Ne pas donner d’armes à des gens dont
on n’est pas sûrs. En gros, ce sera un coup de règle sur
les doigts, en disant : « surtout ne
recommence pas ! »
Bernard-Henri Levy sera content, et on continuera à
tuer proprement. Devoir moral, faute, punition, ces mots
sont mis à toutes les sauces, on s’en gargarise, on les
fait rouler dans la bouche, comme des berlingots, faute,
punition, devoir moral, les Israéliens attendent dans
leur coin, Obama n’a pas encore vraiment décidé mais
attention, il y pense, et Poutine surveille de loin en
faisant de gros yeux.
Je dois dire que ce gag bernard-henri-lévien ne me fait
pas rire. Je connais bien l’Egypte, le Mali et la
Tunisie et les retombées de l’aventure libyenne n’y sont
pas drôles. Il y a assez d’armes qui circulent comme
cela sans qu’il soit besoin d’aller en distribuer
d’autres en Syrie. Pour les donner à qui,
d’ailleurs ? Comment savoir si elles seront
récupérées par l’ « armée syrienne libre » ou
par des jihadistes ? Et y a-t-il vraiment de
grosses différences entre ceux-ci et celle-là ?
Bachar El-Assad n’est pas très sympathique ?
Certes, mais ça tire et ça tue dans les deux sens, ça
continuera à tuer dans les deux sens, et je ne vois pas
la nécessité de choisir et d’aider un camp de tueurs
plutôt que l’autre en intervenant dans une guerre civile
qui ne me concerne pas. Mais il est vrai que je n’ai
aucun sens moral, c’est bien connu, et que je ne suis
pas vraiment politiquement correct. Bon, j’arrête, sinon
ils vont me menacer de me taper sur les doigts.

27
août 2013
: Lecture

Je sais, cela commence à être répétitif: Mon Que
Sais-Je? consacré à La sociolinguistique vient
de sortir, huitième édition "mise à jour". Mettre à
jour, qu'est-ce que cela veut dire? Pour tout autre
livre, c'est simple: il s'agit de tenir compte des
avancées de la science, des nouvelles publications, bref
de ce qui a changé dans le domaine. Pour un Que Sais-Je?
s'y ajoute une contrainte, le nombre de pages étant
fixe: mettre à jour, c'est à la fois ajouter et
retrancher. Vous ajoutez deux nouvelles pages, il vous
faut en enlever deux. Et cela vous mène parfois à
certaines réflexions de fond. Ainsi, pour la cinquième
édition, j'avais ajouté un paragraphe sur la
sociolinguistique urbaine, et cela m'avait mené à
supprimer un paragraphe consacré aux positions marxistes
sur la langue, qui relevaient plus de l'histoire que de
l'actualité de la sociolinguistique. Cette fois-ci les
ajouts sont plus lègers, et le suppressions moins
drastiques. Mais vous y trouverez des renvois à des
travaux de linguistes maghrébins sur le
sociolinguistique urbaine, et il est toujours
intéressant de constater que la science progresse et de
voir dans quelles directions.

22
août 2013
: Tunisie, l'islam n'est plus la
solution

Des entreprises ferment, des entrepreneurs quittent le
pays dont l’économie va à vau l’eau, un pays qui
vient d’être rétrogradé à la note B et se trouve au bord
de la faillite : ils ont beau se gargariser avec
prétention de citations du Coran les islamistes
tunisiens ont fait la preuve de leur incapacité à gérer
un Etat. Ce pourrait être une bonne nouvelle : avec
ce qui se passe en Egypte, c’est la fin de l’islamisme
politique qui se profile, nous montrant que
contrairement à un slogan maintes fois entendu, l’islam
n’est pas la solution. D’un point de vue géopolitique,
nous pourrions dire que les deux grands perdants sont le
Qatar (qui avec sa chaîne Al Jazira soutient
sans discontinuer les frères musulmans de tous poils et
risque de se retrouver gros Jean comme devant) et le
gouvernement turc (qui se voyait depuis les
« printemps arabes » comme un modèle d’islam
politique modéré, comme un leader potentiel, et a
lui-même des problèmes), mais vu de plus près, c’est
surtout le peuple tunisien qui trinque. Et qui va sans
doute continuer à trinquer. Car après la chute de Morsi
en Egypte, le bordel Libyen, le drame syrien, les
difficultés d’Erdogan en Turquie, les islamistes
considèrent la Tunisie comme leur dernière chance de
rester au pouvoir et le parti En Nahda ne cèdera pas
facilement à la pression populaire. Plutôt que de
s’occuper des affaires courantes ils ont
systématiquement promus à des postes clefs des affidés
en général incompétents, laissé les salafistes aller
trop loin en pensant tirer les marrons du feu, fermé les
yeux sur des assassinats politiques, bref ils ont tout
fait sauf s’occuper des problèmes du pays. Pendant ce
temps la bourgeoisie affairiste, souvent proche du
pouvoir, fait ce qu’elle veut, se construit des villas
somptueuses sur des sites protégés, détourne de l’argent
public : c’est la gabegie généralisée, pendant que
le prix des denrées alimentaires monte et que la vie est
de plus en plus difficile pour le citoyen moyen.
Il y a chaque jour dans La Presse de Tunisie un
dessins de Lotfi ( Au gré du jour), un petit
bonhomme coiffé d’une chéchia qui lance une phrase
ironique sur l’actualité. Le dimanche 11 août 2013 avait
lieu la finale 2011-2012 de foot, et le lendemain le
bonhomme de Lotfi disait : « encore une
preuve que le pays est en train de
reculer ! ». Trois jours avant, en sortant de
l’avion, j’avais effectivement l’impression qu’il
n’avait pas avancé : des files interminables et
bordéliques au contrôle des passeports, des gens
essayant de resquiller en passant d’une file à l’autre,
bref une caricature. Il suffirait d’aller faire un tour
dans n’importe quel aéroport international d’environ 150
pays pour y trouver un modèle simple, des barrières
canalisant la foule… Mais les « Nahdawis » ne
se préoccupent pas de ces problèmes quotidiens, ils s’en
foutent, ils veulent seulement mettre la main sur
l’appareil l’état. Et puis, bien sûr, l’islam est la
solution..
Le pays semble vivre en pleine schizophrénie, en
contradiction permanente. Juste un petit exemple. Dans
l’hôtel dans lequel j’étais à Bizerte il y avait dans la
piscine, au mépris de tous les règlements et de toutes
les règles élémentaires de l’hygiène, des femmes en
niqab, voilées, parfois même en vêtement de ville :
le moyen âge ! Elles barbotaient à côté de femmes
en maillot deux pièces : Contradiction visible, ou,
si l’on veut être gentil, tolérance. Contradiction
supplémentaire, à vingt mètres de là, au bar, des hommes
se pintaient la gueule à la bière. Nous pourrions bien
sûr en conclure que la liberté règne. Sauf qu’un
Tunisien n’a pas le droit de ne pas être musulman, qu’il
ne devrait donc pas boire d’alcool, qu’il est compliqué
d’acheter de l’alcool pour en consommer chez soi, qu’il
faut faire la queue dans de rares débits, que cette
noria de bières que je viens d’évoquer est une
hypocrisie institutionnalisée et qu’elle n’est possible
que dans quelques hôtels un peu chics et surtout
fréquentés par des touristes et par la bourgeoisie
locale. Risquons une analyse sociologique : cette
« fuite » vers l’alcool, presque clandestine
mais pourtant visible partout, pourrait être considérée
comme une critique implicite de la situation. Et
revenons au dessinateur Lotfi, qui le 17 août, toujours
dans La Presse, mettait en scène deux
personnages autour d’une table couvertes de
bouteilles. «La consommation de la bière a encore
augmenté en Tunisie »… disait le surtitre. Et les
personnages :
-Les clignotants sont au vert !
-Non ! Les clignotants sont aux
verres !
Cette situation me rappelle furieusement la situation
de l’Union Soviétique ou de la Chine, il n’y a pas si
longtemps, où les étrangers pouvaient acheter ce qu’ils
voulaient en des endroits réservés (et parfois avec une
monnaie spéciale), privilège auquel avaient également
accès une toute petite partie de la population locale.
Oublions l’alcool. Ce que je viens de décrire est
un système totalitaire en train de se mettre en place.
Ajoutons à cela ce que j’ai dit plus haut de l’économie,
et la comparaison est presque parfaite. Les choses
changent donc, mais pas nécessairement dans le bon sens.
Et pourtant…
Et pourtant les choses changent aussi de l’autre côté,
celui des gens qui s’opposent à cette lente glaciation
de la société. Les femmes sont mobilisées pour défendre
leur liberté, acquise au début du régime bourguibien, et
ne se laisseront pas faire. La liberté de la presse,
relative mais réelle, est l’objet d’un combat quotidien.
Les sit-in se succèdent, contre le projet de
constitution, contre le pouvoir en place, contre les
tentatives de juguler les libertés, contre les
assassinats. Et, comme en Egypte, les gens qui ont voté
pour les islamistes regrettent souvent leur choix et le
font savoir. Signe des temps, le 13 août, pour la
journée de la femme, la compagnie Tunisair a assuré deux
vols AR sur Paris avec des équipages exclusivement
féminins et l’a fait savoir: cela ne mange pas de
main, bien sûr, il n’y a qu’une journée de la femme par
an, mais cette décision se produisait en pleine
protestation populaire.
Bref, la « troïka » (les trois partis au
pouvoir, En Nahda, Ettatakol, le groupe du président de
la constituante et le CPR, parti du président de la
république) sont la cible de bien des critiques. Mais,
si elles sont parfois violentes, elles s’expriment dans
la presse francophone (Le Temps, La Presse) en
des termes parfois voilés. On parle par exemple
« d’état civique » pour ne pas écrire
« laïque », on refuse les « idéologies
rétrogrades et obscurantistes » pour ne pas écrire
« islamistes ». L’islam, d’évidence, n’est
plus la solution, mais on ne le crie pas trop fort.

4
août 2013
: IBK et Soumi

Le second tour de l’élection présidentielle malienne va
donc voir s’opposer Ibrahim Boubacar Kéita et Soumaïla
Cissé ou, pour aller plus vite, Kéita et Cissé, comme on
disait l’an dernier en France Hollande et Sarkozy.
Mais les deux finalistes maliens sont en fait baptisés
autrement par leurs partisans, IBK pour le premier et
Soumi pour le second, siglaison dans un cas et
abréviation dans l’autre, et dans les deux cas
hypocoristique (ne cherchez pas dans un
dictionnaire : un hypocoristique est un
diminutif affectueux). La chose est d’autant plus
remarquable que Kéita, s’il était élu, remplacerait
l’ancien président, Amadou Toumani Touré, que tout le
monde appelait ATT. Deux présidents successifs seraient
ainsi appelés par le sigle de leurs patronymes, IBK
remplaçant ATT. Or la siglaison est un phénomène
essentiellement écrit : il faut savoir lire et
écrire pour créer un sigle, savoir par exemple
qu’autonome s’écrit autonome (et non pas otonome,
eautonome ou hautonome) pour transformer
la Régie Autonome des Transports Parisiens en RATP. Mais
le Mali est plutôt un pays de tradition orale et si
Soumi pour Soumaïla ne surprend guère (il s’agit d’un
procédé oral), IBK est plus surprenant. Les sigles
apparaissent d’ailleurs plus souvent dans le vocabulaire
administratif ou bureaucratique que dans la
formation d’hypocoristiques et dans la désignation
d’êtres humains.
Cette façon de désigner des personnages politiques est
d’ailleurs assez rare, y compris dans les pays de
tradition écrite, et pour ce qui concerne la France elle
ne s’est manifestée que de façon sporadique : JJSS
pour Jean-Jacques Servan-Schreiber au début des années
1960, VGE pour Valery Giscard d’Estaing dans les années
1970, DSK pour Dominique Strauss-Kahn plus récemment,
guère plus. Servan-Schreiber et Giscard voulaient sans
doute faire « moderne », sur le modèle de JFK
(Kennedy), et Nathalie Kosciusko-Morizet qui se
fait appeler NKM vise peut-être la même image (reste à
savoir si elle finira comme VGE ou comme DSK…)
Mais ce qui me retient ici est de savoir pourquoi le
nom de tel ou tel personnage est-il siglé alors que
celui tel autre ne l’est pas. Une hypothèse facile
se présente à l’esprit : pour qu’un patronyme soit
siglé il faut qu’il soit constitué de plus de deux noms,
ce pourquoi Nicolas Sarkozy par exemple n’aurait pas
donné NS et François Hollande n’aurait pas donné FH.
Mais il s’agit là d’une tendance plus que d’une loi. BB
(Brigitte Bardot) ou le JR du feuilleton américain Dallas
s’inscrivent en effet en faux contre mon hypothèse. On
peut bien sûr imaginer d’autres explications. L’économie
par exemple (il est plus économique de prononcer les
trois syllabes de DSK que les cinq syllabes de son nom
complet) ou la facilitation (ce à quoi renvoie NKM peut
être considéré comme imprononçable…). Bref, si derrière
l’élection présidentielle malienne se profilent des
enjeux plus importants, elle nous permet cependant de
réfléchir sur ces procédés d’anthroponymie un peu
particuliers. Et, pour une fois, je signe : LJC.

24
juillet 2013
: Information

Le « mariage pour tous » a fait, ces derniers
mois, un certain bruit mais, maintenant que la France a
rejoint la quinzaine de pays ayant légalisé le mariage
entre gens du même sexe, les nouvelles qui nous
parviennent du Liban peut paraître médiévale. La société
libanaise de psychiatrie vient en effet de mettre fin à
une position de principe : l’homosexualité n’est
plus considérée comme une maladie et le rôle des
psychiatres n’est plus de modifier l’orientation
sexuelle de leurs patients. Certes cette décision ne
fait pas l’unanimité dans la profession, mais elle sonne
tout de même comme un coup de tonnerre dans un pays où
les « relations sexuelles contre nature » sont
toujours condamnées par le code pénal. Et le Liban n’est
pas isolé : L’homosexualité est en effet punie par
la prison ou les travaux forcés dans 88 pays, dont vous
trouverez facilement la liste sur Internet. Et elle est
condamnée à mort dans 10 pays qui, de
l’Afghanistan au Yémen en passant par l’Arabie saoudite,
la Mauritanie ou la Somalie, sont tous musulmans. Soyons
précis : je ne dis pas que tous les pays musulmans
condamnent les homosexuels à mort mais que tous ceux qui
le font sont musulmans. C’était juste une information
pour commencer la journée.

22
juillet 2013
: Couleurs

Un assassin est, selon le dictionnaire, « celui
qui commet un meurtre » et un meurtre
« l’action de tuer volontairement un être
humain ». Le tribunal de Sanford, en Floride, vient
de modifier ces définitions. Un vigile, George
Zimmerman, a tué d’un coup de révolver un jeune homme
désarmé et dont le comportement lui paraissait suspect,
Trayvon Martin. Il aurait donc aux yeux du dictionnaire
tué un être humain. Mais il a été acquitté, et donc n’a
pas commis de meurtre et n’est pas un assassin. Il était
selon le tribunal « en état de légitime
défense ». Reprenons mot à mot la définition du
meurtre, action de tuer volontairement un être
humain. George Zimmerman a sans contestation
possible commis une action, et il a tué.
Volontairement ? Ici encore il est difficile
de le nier puisqu’il a dégainé son arme et que personne
ne l’a forcé à tirer. Ne reste donc qu’un seule
possibilité, Trayvon Martin n’était pas un être
humain. Pourtant il en a avait toutes les
apparences : bipède, doué de la faculté de langage,
ce n’était ni un singe ni un raton laveur mais bien un
être humain. Une seule chose peut nous faire
hésiter : le tueur était blanc et le mort noir. Et
nous touchons alors du doigt l’apport inestimable du
tribunal de Sanford à la lexicologie : il nous
faudrait désormais entendre meurtre comme
« l’action de tuer volontairement un être humain
blanc ». Nous savions déjà que le sens était en
linguistique une chose compliquée mais nous sommes là
devant un embrouillamini de traits sémantiques qu’il
nous faut démêler. A l’article meurtre du
dictionnaire il faudrait mettre deux entrées, selon que
le mort est blanc ou noir. Ou encore définir le meurtre
comme le fait de tuer un blanc et la légitime
défense comme le fait de tuer un noir. Mais nous
allons peut-être trop vite en besogne, car nous oublions
le tireur: si un Noir tuait un Noir, serait-ce un
meurtre ou de la légitime défense ? Et si un Blanc
riche et bien-pensant tuait un Blanc pauvre, ou opposé à
l’intervention en Afghanistan ou militant contre le
droit de porter des armes ? Il nous faudrait en
fait construire notre article de façon plus précise,
prenant en compte quatre possibilités : tireur
blanc-mort blanc, tireur blanc-mort noir, tireur
noir-mort noir et tireur noir-mort blanc. Mais je
simplifie beaucoup les choses puisqu’aux USA, où on aime
bien les catégorisations raciales, il faudrait en outre
prendre en compte les Asiatiques, les Indiens et les
Latinos : la combinaisons de ces cinq éléments deux
à deux nous mènerait alors à écrire 25 entrées
différentes dans notre article, ou 25 articles
différents. Et nous voyons que le métier de
rédacteur de dictionnaire demande d’exceptionnelles
qualités de raisonnement et de combinaisons
mathématiques. Sauf si, pour simplifier les choses et
pour ne pas avoir à refaire tous les dictionnaires, nous
avancions l’hypothèse que le jury du tribunal de
Sanford, composé faut-il le rappeler de Blancs, était
tout simplement raciste.

20
juillet 2013
: Annonces

La Grande-Bretagne attend avec impatience nous dit-on
la naissance d’un héritier ou d’une héritière, naissance
qui ne vient pas alors qu’elle était prévue pour il y a
une dizaine de jours. Pourquoi ce retard ?Il y a
plusieurs hypothèses. Par exemple: le futur nouveau-né
pourrait avoir été informé de l’ambiance délétère qui
règne dans la famille royale et il refuserait de sortir.
Ou encore: c’est la mère, enfin la future mère, qui
serait atteinte de fainéantise congénitale et refuserait
le travail. Troisième hypothèse : le bébé serait né
mais ne serait pas montrable. Pourquoi ne serait-il
pas montrable? Ici, d’autres hypothèses se
présentent: il pourrait être bossu, mongolien, ou bien
encore noir, jaune, strié…Quoiqu’il en soit, l’annonce
de la naissance tarde à venir.
Et il se passe la même chose, mais à l’envers si je
puis dire, en Afrique du Sud, où c’est l’annonce d’une
mort que l’on attend. Mandela va un peu mieux, il est
dans un état critique, il sourit, il regarde la
télévision avec des écouteurs, il va mal, il bouge la
main, il est mourant, les bruits les plus divers sont
ainsi rapportés mais personne ne l’a vraiment vu. Et
s’il était mort et qu’on attendait pour l’annoncer que
des problèmes politiques complexes soient réglés au sein
de l’ANC, ou que la guéguerre familiale soit
apaisée ? Cela vous paraît impossible, horrible,
honteux ?
Allons donc ! En Israël il y a sept ans qu’Ariel
Sharon est, nous dit-on, dans un coma profond. Il faudra
bien qu’un jour ou l’autre on le déclare mort. Ce sera
alors une grande émotion, des funérailles nationales,
une mobilisation générale, bref une unité qui pourrait
être politiquement utile au pays. Et il serait donc tout
à fait logique d’attendre le moment propice pour
annoncer la mort du « héros », qui pourrait
ainsi servir une dernière fois la politique israélienne.
Après tout, selon le dictionnaire, annoncer c’est
« faire savoir », « porter à la
connaissance », mais pas nécessairement en temps
réel. Alors, ce bébé royal strié, il vient ?

19
juillet 2013
: 14-18

Non, ce n’est pas d’une guerre que je vais vous parler
mais de quatre ou cinq jours que je viens de passer, du
14 au 18 juillet, de Marseille à Lille en passant par
Paris.
Lorsque, vers 22 heures 15, l’éclairage public s’est
éteint sur le vieux port de Marseille, s’est élevée une
voix improbable en ces lieux et à cette date, celle de
Léo Ferré. Nous étions le 14 juillet, vingtième
anniversaire de sa mort, il est vrai, et c’est sa Marseillaise
qui s’élevait dans l’obscurité. Pendant ce temps
on rendait hommage à Léo au théâtre Toursky et le
spectacle commençait par Marseille :
« ô Marseille on dirait que le vente t’a vaincue
Dans la miséricorde où la vallée te traîne
Et que de ce mistral qui glace la vertu
Il ne reste qu’un peu d’accent qui se promène… »
Décidément, nous étions en pleine
récupération. La prochaine fois (c’est-à-dire le
14 juillet 2014, mais qui sera maire de Marseille à
cette date?) je leur suggère de prendre un peu de
Brassens, « le jour du 14 juillet je reste dans
mon lit douillet, la musique qui marche au pas, cela
ne me concerne pas ».
Le lendemain, le 15 juillet donc, je ne suis pas resté
dans mon lit douillet, j’ai pris un TGV matinal pour
Paris où nous devions, au Ministère de la Culture,
remettre à Aurélie Filippetti notre rapport sur les
langues régionales et minoritaires. Pendant cinq mois,
au sein d’un comité ad hoc , j’ai observé avec
intérêt le fonctionnement du pouvoir, et surtout celui
des lucioles attirées par son éclat. Il y avait là, dans
ce comité mais aussi, et peut-être surtout, dans les
gens que nous avons auditionnés, comme une sorte
de jeu de rôles, avec différentes postures.
-Celle de l’ « expert » : Je ne suis pas
militant, je n’ai aucun intérêt en la matière, je
veux juste souligner qu’aux yeux de ma compétence ceci
n’est pas possible, ceci est erroné, cela serait
souhaitable (je mets tout cela au masculin, dans le
respect d’une antique règle de grammaire qui veut que le
masculin vaille aussi pour le féminin…).
-Celle de l’ « élu » qui ne peut pas ouvrir
la bouche sans penser en même temps que ses électeurs
pourraient être avertis de ses interventions, et pèse
donc soigneusement ses propos (je mets tout cela au
masculin, dans le respect d’une antique règle de
grammaire etc.).
-Celle du militant, souvent à la frontière entre
l’argumentation et l’imprécation, qui importe des effets
de tribunes dans une petite salle à l’atmosphère
compassée comme on viendrait en denim râpé au bal des
débutantes (je mets tout cela au masculin etc.)
-Celle du j’m’en foutiste qui vient ou ne vient pas aux
réunions hebdomadaires, et lorsqu’il vient arrive plutôt
en retard mais sera là le dernier jour, pour la photo
(Je mets tout cela, bref vous avez compris)
-Celui qui porte soigneusement une cravate et celui qui
ostensiblement n’en porte pas (tiens, ici, le masculin
ne vaut pas pour le féminin) alors que d’habitude il
n’en porte pas ou, à l’inverse, en porte.
-Celui qui veut sans cesse intervenir et celui qui se
dit qu’en parlant moins il n’en sera que plus écouté.
-Celui qui, dès la première séance, se demande quel
bénéfice il pourra plus tard tirer de sa présence dans
ce comité ou de sa comparution devant lui.
-Celui qui a fait régulièrement fuiter des informations
sur ce qui se disait dans ce comité, annonçant des
propositions à venir pour donner à penser qu’il en était
le principal auteur.
Etc.
Il va de soi que nous étions tous, y compris donc
moi-même, potentiellement exemplaires de ces différentes
postures, mais il demeure que nous avons fait un travail
intéressant et utile, du moins je le pense. Il reste
maintenant un rôle à analyser, en aval de tout cela,
celui du ministères qui pourra tout faire de ce rapport,
dans un éventail allant d’une solution radicale (le
mettre à la poubelle) à une autre (accepter toutes nos
propositions) en passant par une position intermédiaire
(y puiser quelques idées pour une politique de la
diversité linguistique). De cela nous jugerons d’ici
quelques mois. A suivre, donc.
Le 17 juillet, à Paris, une sorte de guinguette a été
installée sur la voie Pompidou, fermée pour accueillir
Paris-plage. Face à l’île Saint-Louis je bois une bière
en regardant passer les péniches, les bateaux mouches ou
les joggers (les uns, vous l’aurez compris, sur l’eau,
les autres sur la voie rive droite débarrassée de ses
voitures). Et je me dis que les Parisiens ont eu du nez
en élisant un maire aussi inventif. Comme le chantait
Georges Moustaki à propos des filles à bicyclette (sur
des vélibs, bien sûr) : « Merci monsieur
Bertrand ! »
Le 18 juillet enfin j’étais à Lille où se réunissaient
les acteurs de la politique linguistique et culturelle
de la France à l’étranger. Ici aussi une galerie de
portraits serait la bienvenue, de l’ancien ministre au
prof de français langue étrangère en passant par le
conseiller culturel et le bureaucrate. Mais je n’ai pas
le talent d’un La Bruyère… En revanche, pour rester dans
mon domaine de compétence, j’ai entendu le Secrétaire
Général du ministère des affaires étrangères annoncer
qu’en 2050 il y aurait 700 millions de francophones. En
début d’après-midi, la ministre déléguée à la
francophonie en annonçait pour la même date 800
millions. Remarquable progression : cent millions
en trois heures ! Mais on me signale que François
Hollande aurait pour sa part annoncé un milliard de
francophones potentiels. Potentiels,
c’est-à-dire le contraire de réels. Il faudra
développer cette subtile distinction (peut-être
songeait-il aux habitants des pays dont le français est
la langue officielle…) Pour revenir à Léo Ferré, il
disait dans l’un de ses textes que « ce qu’il y a
d’encombrant dans la morale, c’est que c’est toujours la
morale des autres ». Il en va de même pour les
chiffres : les chiffres des autres peuvent être
bien encombrants, surtout lorsqu’on tente de travailler
sérieusement sur l’évolution possible des situations.

9
juillet 2013
: Sarkothon et halalité

A l’époque où Sarkozy était aux affaires on parlait à
propos de certaines personnalités politiques de
sarkocompatibilité. Le harki Kouchner par exemple était
dit sarkocompatible. On a ensuite parlé de sarkophiles,
des sarkophages, on parle aujourd’hui sarkonostalgiques,
mais le néologisme qu’on entend le plus depuis
deux ou trois jours est sarkothon, construit
bien sûr sur téléthon. Le téléthon est une
émission qui chaque année, se propose de réunir en 24
heures le plus possible de dons pour une œuvre
caritative. Nous serions donc face à une quête non pas
télévisée mais sarkozyste pour récolter des dons pour…
Là, les choses commencent à déraper car, que je sache,
l’UMP n’est pas une œuvre caritative. Mais qu’importe.
Notons que téléthon est un mot valise
(télévision et marathon) faisant référence à une ville
grecque d’où Phidippidès était parti en 490 avant J-C
pour courir annoncer à Athènes la victoire contre les
Perses. Mais s’il est vrai que Copé, Fillon et quelques
autres sont engagés dans une course de fond vers la
prochaine élection présidentielle, ce qui nous ramène au
Marathon, c’est d’une course de fonds qu’il s’agit ici.
Avant de passer à autre chose, je ne peux m’empêcher de
rappeler que thon n’est pas seulement un faux
suffixe emprunté à Marathon mais aussi le nom d’un
poisson, auquel Jean Constantin avait consacré une
immortelle chanson, Cha cha cha des thons, dont
le texte disait « cha cha cha des thons avec un T
comme crocodile… »
Autre néologisme, en ce premier jour de ramadan, halalité.
Le mot halal, en arabe « licite »,
désigne ce qui est permis par la religion, correspondant
exactement à l’hébreu cacher. Il est indéniable
que cette formation est linguistiquement
« licite », ou du moins qu’elle va dans le
sens de la langue : de nombreux adjectifs en –al
ont donné un substantif en –lité (généralité, banalité,
oralité, banalité, etc.) Mais ce halalité-là
apparaît dans une publicité d’une marque d’aliments
halals, Isla Délice, qui proclame Qualité Fierté
Halalité. Si nous en restions à ces trois mots,
nous pourrions tenter d'analyser leurs rapports, dire
par exemple qu’il est normal d’affirmer dans une
publicité la qualité des produits vendus, qu’ils
soient ou non halals, mais nous demander ce que la fierté
vient faire ici : faut-il la lire à partir de
l’amont (fier de la qualité) ou vers l’aval (fier de
manger halal, d’être musulman) ? Mais il faut
analyser l’affiche dans sa globalité. On y voit, à
droite, un coq (gaulois ?) et, sous les trois mots,
une ligne tricolore, bleue sous qualité, blanche
sous fierté et rouge sous halalité.
C’est-à-dire qu’il n’est pas seulement question d’être
fier d’être musulman et de manger halal mais qu’il
y a visiblement (c’est le mot) la volonté d’affirmer une
image française, nationale. Et cela a déchaîné sur le
web une avalanche de commentaires, certains antisémites
(le patron d’Isla délices serait juif… Et alors ?),
d’autres racistes (les musulmans voudraient islamiser la
république), etc.
Au delà de ces problèmes de néologie, ou à mi-chemin
entre ces deux néologismes, halalité et sarkothon,
nous pourrions nous demander si l’opération publicitaire
(ou la course de fond pour des fonds) organisée lundi
soir par l’UMP est bien halal. A propos, et même
si ça n'a rien à voir, je vous soumets une grave
question que j’ai entendue récemment : est-ce un
blasphème que de citer un blasphème ? Un véritable
sujet de bac religieux ! Par exemple, est-ce halal
de citer le dicton populaire selon lequel
« tout est bon dans le cochon ». Tiens, ça
rime avec Sarkothon !

1er
juillet 2013
: Tamarrud/Tagarrud

Il y a plusieurs mois que je pense que la main mise des
islamistes sur la Tunisie et l’Egypte n’était pas très
grave, et qu’il allaient très vite faire la preuve de
leur incompétence. Ce qui se passe en Egypte en est une
belle démonstration. Parmi les centaines de milliers,
voire les millions d’Egyptiens, qui demandent le départ
de Morsi il y en a beaucoup qui ont voté pour lui. Mais
le président frère musulman s’étant plus préoccupé de
noyauter l’appareil d’état que de développer l’économie
du pays, il est la victime d’un retour de bâton.
Bon, je ne suis pas politologue, et c’est d’un aspect
particulier, et linguistique, de ces mouvements que je
voudrais parler. Les manifestants qui occupent la place
Tahrir (le mot signifie « libération ») ne
crient pas seulement leur désir de voir Morsi dégager,
démissionner, ils ont un autre slogan, tamarrud,
« rebellion ». De l’autre côté, celui des
frères musulmans, on scande tagarrud.
Et l’on est tout de suite frappé par la rime. En fait,
dans les deux cas, il y a formation de noms d’action à
partir des verbes tamarrada (« se
rebeller ») et tajarrada (« se
dépouiller de quelque chose »), que les
Egyptiens prononcent tagarrada. Le Journal
du dimanche d’hier a traduit tagarrud (ou
tajarrud, mais c’est une autre histoire) par
« impartialité ». Le mot signifie plutôt
« dépouillement » mais il peut, par extension,
prendre les sens de « renoncement »,
« désintéressement ». Nous avons donc d’un
côté des gens se proclamant rebelles et de l’autre des
gens se proclamant désintéressés.
Mais ce que j’aime bien dans ces deux slogans, c’est
cet affrontement sémiologique qui a poussé deux groupes
antagonistes à utiliser le même mode de dérivation pour
parvenir à un parallélisme grammatical et à une rime. La
guerre des mots face aux maux générés par Morsi prend
ainsi un aspect poétique…
PS : Mes compétences en arabe n’étant pas
illimitées, je remerci mon ami Pierre Larcher qui m’a
éclairé sur certains des point que j’évoque en répondant
à mes questions. Elf chokr, Pierre.

28
juin 2013
: Delaware

J’ai été absent de ce blog depuis quelques temps, un
silence qui s’explique parce qu’on appelle la
« promotion ». Après la sortie de mes livres
et la polémique sur l’utilisation de l’anglais comme
langue d’enseignement à l’université j’ai fait deux
émissions de télévision (dont une pour la télévision
coréenne !!!), deux interviewes (Télérama, Le
Républicain lorrain) et cinq émissions de radio.
Ajoutons à cela le comité sur les langues régionales mis
en place par la ministre de la culture, qui me donne pas
mal de travail, et un colloque de sociolinguistique
début juillet où je dois faire une conférence… Bref j’ai
été un peu surchargé. Pendant ce temps, l’actualité a
été riche en France : Affaire Tapie (mal nommée, il
s’agirait plutôt d’une affaire Guéant-Sarkozy-Lagarde),
affaire Karachi (c'est-à-dire, sans doute, affaire
Balladur-Sarkozy, encore lui) , affaire de la vente de
tableaux et des primes en liquide de Guéant (encore
lui)…
Mais j’ai plutôt envie de parler du Delaware. Vous
connaissez cet état, sur la côte Est des USA ? Sans
doute, mais savez-vous qu’il conviendrait de le classer
dans la liste des paradis fiscaux avec le
Luxembourg, la Suisse, les Bermudes et quelques
autres? Le Delaware en effet offre une fiscalité à taux
zéro qui attire des riches rentiers ou de grosses
entreprises non seulement US mais encore du monde
entier. On y compte des milliers de boites postales
correspondant à des entreprises situées en fait
aux quatre coins du monde. Bref le Delaware, état de la
fédération US, géographiquement peu "exotique" puisqu'il
se situe entre New York et Washington, se comporte comme
un état "voyou", comme dit le gouvernement américain.
Pendant ce temps, les USA font tout ce qu’ils peuvent
pour traquer leurs ressortissants qui, à l'étranger,
fuient l’impôt. Chercher l’erreur.

20
juin 2013
: Nomenklatura

Les élus français devraient se méfier. Qu’ils soient de
droite ou de gauche, leurs réactions globalement
négatives aux propositions de transparence des revenus,
de non-cumul des mandats, leur pudeurs concernant leur
système de retraite ou leur utilisation sans aucun
contrôle de leurs frais de mandat qui en outre ne sont
pas fiscalisés, tout cela ne peut donner qu’une
impression : ils se goinfrent et ne veulent surtout
rien changer à leurs agapes. Pour ne citer que l’un
d’entre eux, le très respectable président socialiste de
l’Assemblée Nationale, Claude Bartolone, qui hurle comme
un putois pour ne pas dévoiler son patrimoine : son
violent refus de rendre public son train de vie est,
c’est le moins qu’on puisse dire, gênant, voire douteux.
Bien sûr, certains arguments peuvent sembler
recevables : on parle de voyeurisme, de
« transparence paparazzi »... Mais à l’heure
où l’on s’interroge sur une réforme du système des
retraites, sur un alignement du public sur le privé, ce
qui a priori paraît normal, il semble proprement
surréaliste que ceux qui sont amenés à voter sur ces
questions ne remettent pas en cause leur propre statut.
Un simple exemple : un député, après cinq ans de
mandat, s’assure une retraite de 1200 euros. Pour cinq
ans de travail ! Or la moyenne française des
retraites est de 1256 euros, pour trente à quarante
années de travail. Cherchez l’erreur.
Je sais que ce qui précède pourrait paraître ambigu,
que mon discours pourrait être taxé de poujadiste. Mais
c’est, je crois, tout le contraire. Les élus
apparaissent de plus en plus comme une nomenklatura
défendant ses privilèges. Et ils risquent fort de
déclencher des mouvements populistes, sur le thème de
« tous pourris », qui ne pourraient que
profiter au Front National. Tout cela pour défendre
quelques avantages financiers.
Post scriptum qui n’a rien à voir. Il y a eu dans le
sud-ouest de la France d’énormes inondations et, selon
les sources, il y aurait dans la grotte de Lourdes un
mètre quarante, deux mètres voire trois mètres d’eau.
Bref ça augmente miraculeusement. Mais on ne nous dit
pas si cette eau est bénite.

18
juin 2013
: Fourre-tout

A l’élection législative partielle de Villeneuve sur
Lot nous aurons donc au second tour un face-à-face
UMP-FN, le PS ayant été éliminé dès le premier tour.
L’effet Cahuzac a bien sûr joué à plein, mais aussi le
ras-le-bol d’une population qui n’arrive pas à lire la
politique du gouvernement, parce qu’elle n’est pas très
lisible. Restent deux petites questions. Regardons tout
d’abord les chiffres, ou plutôt quatre d’entre eux:
UMP : 9431 voix
FN : 8552 voix
PS : 7748 voix
EELV : 914 voix
Les Verts ont donc obtenu 2,32% des voix. Belle
victoire ! S’ils n’avaient pas présenté de candidat
et appelé à voter PS, celui-ci serait donc passé devant
le Front National. De toute façon, les Verts ont une
politique déconcertante, pour ne pas dire imbécile.
Prenons un autre exemple. Avec leurs arrachages
successifs de champs expérimentaux d’OGM ils sont en
train de réduire à néant la recherche scientifique de
l’INRA. Belle démonstration des effets stupides de
l’idéologie. Deuxième question : le vote au second
tour. Comme d’habitude, invoquant le pacte républicain,
le PS appelle à voter UMP. Après le 21 avril 2002,
lorsque Jean-Marie Le Pen était arrivé au second tour de
l’élection présidentielle, éliminant Lionel Jospin,
j’avais comme beaucoup de gens appelé à voter Chirac. Et
puis, dans le bureau de vote, je n’avais pas mis de
bulletin dans l’enveloppe, ne pouvant pas voter Chirac.
Or l’UMP est aujourd’hui pire qu’à l’époque de Chirac,
elle flirte avec l’extrême droite et je ne vois pas
pourquoi nous devrions la préférer au FN. Je ne vote pas
à Villeneuve sur Lot, mais si tel était le cas je
laisserais ces deux partis de droite se débrouiller
entre eux . UMP façon Copé et FN même combat en quelque
sorte.
Passons à autre chose. Au Brésil, la population
proteste contre les dépenses faramineuses engagées par
le gouvernement pour la coupe du monde de football, et
on la comprend, lorsqu’on voix l’augmentation du coût de
la vie. Selon certains journaux, lors des affrontements
entre la police et les manifestants, on a échangé des
grenades lacrymogènes contre des jets de noix de coco.
C’est beau, l’exotisme. En France, nous ne disposons pas
de ces projectiles écologiques. Tiens, voilà un point
sur lequel les écologistes français pourraient être
utiles. Au lieu de se battre pour obtenir des postes de
députés, de sénateurs, de ministres, de les mendier
souvent, ils pourraient planter des cocotiers
biologiques pour alimenter en munitions les futurs
manifestants.
Ne quittons pas la police. Le 3 mai dernier, rentrant
de Tunisie, j’avais fait preuve d’un peu d’optimisme en
annonçant que les rappeurs Weld el 15 avaient obtenu un
non lieu pour leur Boulicia kleb (les policiers
sont des chiens). Ils viennent d’être rattrapés par la
police islamique : deux ans de taule.
Et, pour finir dans la joie, la police aurait trouvé
dans les tiroirs de Christine Lagarde, ancienne ministre
de Sarkozy et actuellement patronne du FMI et soupçonnée
de complaisance dans l’affaire Tapie, la lettre
suivante, manuscrite, et adressée à Nicolas Sarkozy.
Elle n’est pas datée, on ne sait pas si elle a été
envoyée, mais la lecture en est réjouissante :
"Cher Nicolas, très brièvement et respectueusement,
Je suis à tes côtés pour te servir et servir tes
projets pour la France. J'ai fait de mon mieux et j'ai
pu échouer périodiquement. Je t'en demande pardon.
Je n'ai pas d'ambitions politiques personnelles et je
n'ai pas le désir de devenir une ambitieuse servile
comme nombre de ceux qui t'entourent dont la loyauté
est parfois récente et parfois peu durable.
Utilise-moi pendant le temps qui te convient et
convient à ton action et à ton casting. Si tu
m'utilises, j'ai besoin de toi comme guide et comme
soutien : sans guide, je risque d'être inefficace,
sans soutien je risque d'être peu crédible. Avec mon
immense admiration.
Christine L. "
Hier, les lycéens français passaient l’épreuve de
philosophie du baccalauréat, et je trouve que cette
lettre aurait été un beau sujet de commentaire de texte.
Nous sommes le 18 juin, jour anniversaire de l'appel du
général de Gaulle, depuis Londres. Vous imaginez que,
lorsque le même général devint président de la
république, une minsitre aurait pu lui écrire une telle
lettre? Cher Charles (déjà cela commence mal,
allitération inélégante), je suis à tes côtés pour
te servir (mais non, cela continue en pire, on ne
tutoyait pas le général)... Mais pourquoi perdre notre
temps: sous bénéfice d'inventaire, je n'ai pas le
souvenir de femme ministre sous de Gaille.

9
juin 2013
: Xyloglossie

En mars 2006 Jean-François Copé sortait chez Hachette
littérature un livre au titre alléchant Promis
j’arrête la langue de bois. Ah bon ! Jusque
là, donc, il avait pratiqué cette xyloglossie à laquelle
les hommes politiques nous ont tant habitués qu’on a du
mal à croire ce qu’ils nous racontent…Mais les années
qui suivirent nous ont montré que Copé avait très vite
oublié cette promesse, et il se surpassa l’été dernier
avec une histoire de pain au chocolat que de méchants
musulmans avaient volé à un gentil petit garçon parce
qu’on ne mange pas pendant le ramadan, puis en
s’autoproclamant élu à la tête de l’UMP à la fin d’une
élection dont tout le monde s’accorde à dire qu’elle fut
truquée. Bref, Copé, la langue de bois, il connaît
(j’aime bien cette dernière phrase, qui devrait faire
frémir les grammairiens orthodoxes et normatifs).
Le week end dernier, comme vous savez, l’UMP a organisé
des primaires pour désigner sa candidate aux élections
municipales à Paris. Et Copé, toujours lui, interrogé
par la presse, a eu cette merveilleuse phrase :
« A l’UMP nous apprenons effectivement la
démocratie, c’est assez nouveau ». Là,
effectivement, il arrête la langue de bois, nous
annonçant que le parti gaulliste qui depuis plus de
cinquante ans est au centre de la vie politique
française ne connaissait pas la démocratie. Le scoop,
quoi ! A moins, bien sûr, qu’il ne s’agisse d’une
astuce de communication. Vous voyez : « Moi,
Jean-François Copé, à la tête de l’UMP, j’y ai enfin
insufflé de la démocratie ». Ca a dû plaire à
Sarkozy, à Chirac, à Juppé… Mais s’il s’agissait de com,
cela consisterait à passer de Charybde en Scylla. Allez,
Jean-François, encore un petit effort, il te reste du
chemin à faire pour tenir ta promesse.…

7
juin 2013
: Hypocrisies

Depuis dix ans la Turquie et son premier ministre
Erdogan tentent de nous faire croire que l’arrivée au
pouvoir du parti AKP ne changeait rien au caractère du
régime. La Turquie est en effet officiellement un pays
laïque, cette laïcité étant inscrite dans la
Constitution. Or, depuis qu’il est aux affaires, Erdogan
n’arrête pas de chercher la faille, de pousser le
bouchon de plus en plus loin, bref de jouer
l’anti-constitutionnalité. Il avait d’ailleurs commencé
avant : condamné à quatre ans de prison pour
incitation à la haine pour avoir lu en public,
alors qu’il était maire d’Istanbul, un poème du
nationaliste Ziya Gökalp, il est, pesons nos mots,
repris de justice pour délit d’opinion… Cela ne
l’empêchera pas d’accéder au pouvoir, et il tente alors
systématiquement d’aller contre la laïcité
constitutionnelle, en particulier en 2008 lorsqu’il
tente de rendre légal le port du voile à l’université.
Les amendements à la constitution qu’il proposait seront
annulés par la Cour constitutionnelle. La même année son
parti, l’AKP, a failli être dissous, à une voix
près, pour activité anti-laïque, mais a cependant
été condamné financièrement pour le même motif, perdant
13 millions d’euros de subvention publique. Et tout
récemment, encore une fois dans un pays
« laïque », il tente de mettre des entraves à
la consommation d’alcool, non pas pour des raisons de
santé publique mais pour des raisons idéologiques.
Passons sur l’insolence d’un premier ministre qui impose
sa femme voilée en public, sur la violence de la mise au
pas de l’armée (jusqu’ici garante de la laïcité
kémaliste), sur tous les manquements à la tradition
constitutionnelle : le pouvoir turc est évidemment
tendanciellement islamique, les seules limites à cette
tendance étant au début sa volonté d’être candidat à
l’entrée dans l’Union Européenne. Nous étions là dans un
bal de faux culs, l’UE ne voulant pas vraiment de ce
pays et ce pays tentant de faire croire qu’il était
démocratique.
Puis vinrent les « printemps arabes ».
Erdogan a cru y voir une ouverture : vendre le
modèle turc à la Tunisie et à l’Egypte. En fait il
s’agissait d’exporter la « faux
culterie » turque: nous sommes un modèle
musulman démocratique et laïque, les frères musulmans
égyptiens et en nahda tunisien pourraient apprendre de
notre expérience. Mais ce qui se passe actuellement en
Turquie montre qu’il y a un gouffre entre la démocratie
et le pouvoir de l’AKP, et il est symbolique que pendant
les révoltes qui auront peut-être sa peau Erdogan était
au Maghreb. Car il se passe systématiquement la même
chose en Tunisie, où en nahda laisse faire les
salafistes (souvenez-vous de ce qui s’est passé à
l’université de La Manouba) et en Egypte.
Tout cela pose le problème de la compatibilité entre la
démocratie et la religion. Il s’agit ici de l’islam,
mais les autres religions ne sont ou n’ont été guère
plus brillantes : songez au catholicisme à l’époque
de l’inquisition et à ce qui se passe aujourd’hui en
Israël.
Bref, pour en revenir à l’Islam, nous sommes en pleine
hypocrisie. Laissons de côté l’Iran, où les fraudes
électorales et les mensonges permanents nous dispensent
de commentaires, mais entre la Turquie, La Tunisie et
l’Egypte, nous assistons à un réjouissant bal des faux
culs. Il nous reste à espérer que les réactions
populaires renverront enfin ces grenouilles de Coran à
leurs mosquées. Car les pays musulmans ne sortiront pas
de leur moyen-âge sans un passage par la laïcité.

1er
juin 2013
: Cumul

Je sais, cela devient lassant, mais bis repetita
placent... Le 13 mai je vous annonçais la parution
d'un livre et vous parlais d'un pétage de plomb d'Henri
Guaino, et bien nous y revoilà. Côté Guaino, il était
hier soir invité sur Canal + et comme les journalistes
parlaient du rôle probable de Sarkozy dans différents
scandales (Tapie, Bettencourt, Karachi...) il a lancé: "Je
vais vous donner un scoop, l'assassinat d'Henri IV et
celui de Kennedy, c'est Nicolas Sarkozy". Côté
livre, il s'appelle Chansons, la bande son de notre
histoire, et il est publié aux éditions de
l'Archipel, qui ont aussi sorti il y a quelques semaines
une réédition en poche de ma biographie de Léo Ferré.
Maintenant, promis, j'arrête (enfin, pour un temps) :
trois livres en un mois ça frôle l'indécence ou le
cumul...

30
mai 2013
: Rapt

Nous avons donc accompagné Georges Moustaki, lundi
après-midi, au cimetière du Père Lachaise. Cérémonie
d’abord douce et tranquille, quelques prises de parole
entrecoupées de chansons, Elle est elle, Grand-Père,
En Méditerranée, Il est trop tard et,
surtout, Ambassadeur, qui se termine
ainsi : « le ciel d’Alexandrie sera mon
dernier toit ». Pourquoi « et
surtout » ? Vous allez comprendre.
Alexandrie, sa ville natale, était une ville
cosmopolite, dans laquelle se côtoyaient donc
différentes religions, et coexistent dans le quartier de
Chatby, une suite de cimetières, grec orthodoxe, grec
catholique, catholique, copte ainsi qu’un carré des
libres penseurs, ce qui est assez inhabituel. Mais il y
avait au début du XXème siècle dans cette ville une loge
maçonnique importante, et ceci explique sans doute cela.
Or le 7 décembre dernier, sur RTL, Jo annonçait qu’il
voulait y être enterré. A Noël, il me le confirma et me
demanda de me renseigner sur les démarches à
effectuer. J’écrivis donc à un ami travaillant à
Alexandrie, qui me répondit ceci:
« Le cimetière des libres penseurs est désormais
sous la juridiction des Coptes qui ont entrepris de le
squatter en faisant disparaître systématiquement les
anciennes tombes. J'y prends régulièrement des photos
avant que tout disparaisse. Donc aucun espoir d'y
reposer un jour »...
Exit, donc, la possibilité d’y enterrer Jo. Mais ce qui
est sûr, c’est qu’il était certes juif de naissance mais
athée, antisioniste et très nettement pro-Palestiniens.
Si je rappelle cela c’est que lors de son enterrement,
après la séquence que j’ai relatée plus haut, quelques
interventions, quelques chansons, les choses ont
subitement changé de genre : lecture de psaumes en
hébreu, bref rite israélite dont il ne voulait
absolument pas. J’ai attendu quelques jours pour en
parler, le temps que ma colère se calme un peu, mais
j’ai le sentiment d’avoir assisté à un détournement de
corps, ou à un rapt. Il ne méritait pas ça.

23
mai 2013
: A Moustaki

Jo,
Je ne sais pas si tu aurais aimé que je m’exprime, mais
depuis ce matin le téléphone n’arrête pas de sonner,
journaux, radios, télés, et c’est la même chose pour
Sophie, pour Marc, pour d’autres encore je suppose.
Jusqu’ici j’ai tout refusé.
De quoi veulent-ils que je parle? Tu te souviens
d’octobre 1963 ? Piaf mourait à Grasse et le
lendemain Jean Cocteau la suivait. Tu viens de mourir à
Nice, quelques heures après Henri Dutilleux, ton
voisin de l’île Saint-Louis avec qui tu avais, dans la
rue, de longues discussions sur la théorie musicale.
De quoi veulent-ils que je parle? De ta
délicatesse ? Il y a deux mois tu me tenais la
main, silencieusement, alors que je venais d’enterrer ma
mère. Et il y a exactement une semaine, jour pour jour,
alors que je partais pour un aller-retour de travail aux
îles du Cap-Vert tu m’écrivais : « Prends
bien soin de toi ».
De quoi veulent-ils que je parle? Tu te souviens de ce
jour où, rentrant du Brésil, je t’avais dit qu’on y
chantait Joseph dans les églises et que nous en
avions bien ri ?
De quoi veulent-ils que je parle? Tout à l’heure, dans
le métro, un accordéoniste roumain jouait (mal) La
Vie en rose et je lui ai donné un peu d’argent de
ta part. En fait j’allais à Europe 1, pour une émission
consacrée à ma biographie de Ferré et, bien entendu,
nous n’avons parlé que de toi. Tu te souviens de cette
soirée, alors que Léo t’avait écouté chanter et qu’il te
disait : « au fond tu murmures ce que je
hurle » ?
De quoi veulent-ils que je parle? Tu te souviens de nos
promenades dans les rues d’Alexandrie, lorsque tu me
racontais tes souvenirs d’enfance et d’adolescence,
l’odeur du calfatage sur le port, le jus de canne à
sucre que nous buvions, les loubias au cumin, et les
cailles dans le souk d’Attarine, chez Malik es
smen ?
De quoi veulent-ils que je parle? Tu te souviens de ces
plateaux d’oursins que nous dévorions chez toi, dans
l’île ? Des huîtres qu’ouvraient les membres du
club des babas au rhum ? De nos repas chez
Mavrommatis, et du vin blanc de Jean-Louis Trintignant
que nous avons bu à Noël dernier ?
De quoi veulent-ils que je parle? De cette fille qui a
vingt ans, des eaux de mars, de ta liberté et de ta
solitude, d’eden blues, du facteur qui ne passera plus,
du temps de vivre ? De ce jardin qu’on appelait la
terre, de Sarah, sans la nommer ? Il est trop tard,
bye bye Bahia.
De quoi veulent-ils que je parle? Tu te souviens, le 17
février dernier, ton interview dans Nice Matin d’avant
Tapie : « J'ai envie de vivre ce qui peut
encore se présenter ».
De quoi veulent-ils que je parle? Tu te souviens que
nous faisions des concours pour savoir qui de nous deux
connaissait le plus de pays et que nous avions conclu,
diplomatiquement, que nous étions à égalité ?
De quoi veulent-ils que je parle? Tu te souviens, lors
de nos discussions, de tes clins d’œil avec Claude,
lorsque ça t’arrangeait de faire croire que j’étais de
mauvaise foi ?
De quoi veulent-ils que je parle? Tiens, je vais parler
de la Méditerranée, que tu résumes dans tes prénoms. Tes
parents t’avaient baptisé Giuseppe, ton vrai prénom
puisque vous parliez italien à la maison. La sage-femme
t’avait déclaré à l’état civil égyptien en le traduisant
en arabe, Youssef. A l’école française on l’avait
traduit en français, Joseph. Devenu Jo pour les intimes,
et devenu Georges en France. Tes prénoms, comme les
langues que tu parlais, étaient un condensé de ce
continent liquide, notre mer, notre mère. Il y a un bel
été qui ne craint pas l’automne en Méditerranée.
De quoi veulent-ils que je parle?
Tu es parti ce matin au soleil levant. Alors bon vent,
Ciao, salut, adios, adio, saudade, salam, shalom…
(Ce texte a été publié aujourd'hui dans le Huffington
Post)

20
mai 2013
: Caca parle créole et Carmen
portugais

Je viens de participer pendant deux jours à un
« forum parlementaire » sur l’officialisation
du créole dans la république du Cap Vert, dans lequel
j’ai prononcé une conférence inaugurale. Cette
république est constituée de neuf îles habitées au total
par environ 500.000 habitants, dont 99% parlent
créole. Mais la langue officielle est le
portugais. Situation classique de diglossie, donc, et
tous les spécialistes de politique linguistique rêvent
de n’avoir à connaître que des situations de ce genre
car on ne voit guère ce qui pourrait faire obstacle à
l’officialisation du créole, la seule question étant de
savoir s’il faut conserver le portugais avec la même
fonction (et avoir donc deux langues officielles) ou le
remplacer par le créole. Une simplicité biblique, donc.
Mais…
Mais pourquoi faire simple quand on peut faire
compliqué. Sur le plan linguistique tout d’abord, le
créole capverdien connaît quelques variantes entre les
îles au vent et les îles sous le vent, variantes qui ne
font nullement obstacle à la communication mais
permettent aux adversaires du créole de mettre en avant
les difficultés d’unification orthographique.
Sur le plan politique, il y a deux principaux partis,
le PAICV (parti africain pour l’indépendance du Cap
Vert) et le MPD (le mouvement pour la démocratie), le
premier ayant 38 députés sur 72, une petite majorité qui
ne lui permet pas d’obtenir une révision de la
constitution, nécessaire pour officialiser le créole (il
y faut les 2/3 des voix). Et comme le parti d’opposition
ne veut pas permettre à celui qui est au pouvoir de
tirer le bénéfice d’une officialisation, il est contre.
Et serait sans doute pour s’il était au pouvoir.
Quelqu’un, pendant les débats, a d’ailleurs lancé avec
humour : « le PAICV fait semblant d’être pour
l’officialisation, le MPD fait semblant d’être
contre ». Ce pourrait d’ailleurs être l’inverse,
peu importe, nous sommes dans un jeu de rôles où
personne ne veut laisser l’autre gagner et où le seul
perdant est au bout du compte la langue créole.
Changeons de registre. Dans l’hôtel où nous étions
logés, avec un collègue linguiste du Mozambique, nous
avons interrogé la jeune femme de la réception sur ses
sentiments linguistiques. Elle parlait bien sûr créole
et portugais et était plutôt favorable à
l’officialisation du premier, même si elle reproduisait
le discours sur les difficultés orthographiques. Mon
collègue lui demande pourquoi tout le monde a des noms
portugais, pourquoi il n’y a pas de noms créoles. Elle
réfléchit et dit, « moi je m’appelle Carmen mais à
la maison on m’appelle Caca, c’est mon nom
créole ». En l’interrogeant un peu plus nous
découvrons que là où on l’appelle Caca, en famille, avec
ses amis, elle parle créole, et que là où on l’appelle
Carmen, au travail, dans les situations formelles, elle
parle portugais. La diglossie n’est pas seulement une
répartition fonctionnelle des usages, ou la traduction
linguistique d’un rapport de force, elle est aussi un
brisure interne de l’individu, une schize : Caca
parle créole et Carmen parle portugais. Je rapporte
cette anecdote et cette analyse au forum, les gens
rient, puis je suggère que les rapports entre Caca et
Carmen sont en quelque sorte parallèles au comportement
du PAICV et du MPD, et l’on rit un peu moins.
Mais les discussions continuent sur le mode de la
divergence plutôt que de la convergence. Deux exemples.
Au début de la réunion, le ministre de la culture avait
déclaré qu’il voulait sortir le créole de sa
« clandestinité constitutionnelle », programme
qui me paraissait résumer de façon poétique un projet
politique. Pourtant sa formule fut contestée par
certains affirmant que le créole n’était pas clandestin,
puisque tout le monde le parlait. Un peu plus tard, un
linguiste et par ailleurs ancien ministre de la culture,
Manuel Veiga, propose un court texte à insérer dans la
constitution : « le portugais et le créole
sont langues officielles de la République ».
Immédiatement un intervenant déclare que non, il faut
que les langues officielles soient le créole et le
portugais, les mêmes donc mais en sens inverse. Et tout
à l’avenant…
Bref le Cap Vert vit peut-être un moment historique et
dispose des moyens de mettre en route une politique
linguistique exemplaire. Sauf si les petites divergences
politiciennes continuent d’y faire obstacle. Auquel cas
Carmen continuera à parler Portugais et Caca créole…

15
mai 2013
: Cabuverdianu

Après mon billet d’hier, je reçois un mail d’une
lectrice, donnant ce qui pour elle en est, je suppose,
le résumé : « à bas les cons et vivent les
confettis ». On peut imaginer pire slogan…
Ceci dit, je pars pour trois jours aux îles du Cap Vert
où le gouvernement envisage d’officialiser le créole
capverdien (la langue officielle est actuellement le
portugais) et organise un forum parlementaire sur ce
thème. Je vous raconterai à mon retour.

14
mai 2013
: Printemps de cons ?

Ce printemps sera donc celui des cons. Ce n’est pas moi
qui le dis, c’est Jean-François Copé qui, à Nîmes, a
lancé devant un public UMP un peu médusé « Les
cons c’est vous, c’est moi », avant de prédire un
« printemps des cons ». Bien sûr il n’y a pas
lieu de s’attarder outre mesure sur les sortie de
l’inventeur du vol de pain au chocolat, mais il se
trouve qu’au même moment, il y a donc une dizaine de
jours, je recevais un message d’un journaliste du
prestigieux journal américain Harper’s Magazine
me demandant mon sentiment sur la fameuse phrase de
Sarkozy, Casse toi pauv’ con. Pourtant notre
ex-président a prononcé cette auguste phrase en 2008, le
moyen âge presque, et l’on peut se demander pourquoi la
presse américaine s’intéresse soudain à cette phrase. En
cherchant un peu, je me suis rendu compte que ladite
phrase avait donné lieu à un article de Wikipedia, mais
oui, avec pour titre Casse toi pauv’ con ! On
y apprend que la vidéo de l’événement a été vendue au Parisien,
puis à l’Associated Press, qu’elle a été diffusée
par CNN puis par toutes les chaînes françaises, TF1
étant la seule à demander l’autorisation à l’Elysée.
Elle sera ensuite largement diffusée sur le Web, Youpress
renégociant les termes du contrat avec Le Parisien.
On y trouve aussi que le 2 mars 2008 Le Monde avait
publié un article (que j’avais lu, mais oublié) relatant
les difficulté de la presse étrangère à traduire le
belle phrase présidentielle. Florilège :
-Dann hau doch ab, Du armseliger Dummkopf
(« Alors, tire-toi, misérable imbécile ») dans
Die Welt
-Dann hau' doch ab, du Idiot (« Alors,
tire-toi, idiot ») dans Der Spiegel
-Dann hau doch ab, Du Blödmann (« Alors,
tire-toi, connard ») dans Der Tagesspiegel
-Vai via, vai via, allora, povero coglione19
(« Va-t’en, va-t’en, alors, pauvre con ») dans
La Stampa
-Then get lost, you poor jerk! (« Alors,
dégage, pauvre crétin ! ») dans l’International
Herald tribune
-Rajá, pobre pelotudo (« Taille-toi, pauvre
con ») dans Clarin
-¡Lárgate, pobre imbécil! (« Tire-toi,
pauvre imbécile ! ») dans El Pais
Etc.
Mais aucune traduction ne rendait vraiment compte de la
connotation sexuelle et machisme du terme con
(latin cunnus, sexe féminin). Il demeure, comme
je l’écrivais plus haut, que ce printemps serait celui
des cons, du moins selon Copé, envers qui je professe
bien sûr le plus grand respect et qui doit savoir de
quoi il parle. La soudaine notoriété de ce délicieux mot
est bien sûr due au syndicat de la Magistrature et à son
Murs de cons. Mais la morale de l’histoire est
cependant ailleurs. Sarkozy aura marqué l’histoire sur
un point au moins. Et il aura du même coup servi la
langue française. Je suggère qu’on le décore
immédiatement de l’ordre de la Francophonie.

13
mai 2013
: Confettis et pétage de plombs

Un ami qui dînait chez moi, Joseph pour ne pas le
nommer, et à qui je l’avais offert, m’a fait remarquer
que je n’avais pas signalé la parution de mon dernier
livre. Ciel ! Alors : Louis-Jean Calvet et
Alain Calvet (qui n’est pas, comme l’ont écrit certains
journalistes, mon fils mais mon frère), Les
confettis de Babel, diversité linguistique et
politique des langues, aux éditions Ecriture.
Voilà, vous savez tout.
Et si vous suivez l’actualité, vous savez aussi
qu’Henri Guaino fait des siennes. Après avoir déclaré
qu’un juge avait déshonoré les institutions et déshonoré
la justice, pour la « simple » raison qu’il
avait mis Sarkozy en examen, il est poursuivi par le
procureur de Paris pour outrage à magistrat. Et voilà
qu’il déclare à qui veut l’entendre qu’il n’a pas
l’intention de répondre aux questions de la police,
chargée de mener une enquête préliminaire. Pour un
député, chargé de voter les lois et sensé représenter la
nation, voilà une curieuse façon de faire, une attitude
que l’on pourrait conseiller à tous les délinquants,
petits ou grands, interrogés par la police :
« je refuse de répondre à vos questions ».
D’ailleurs certains le font, ce qui tendrait à montrer
que Guaino se conduit comme un délinquant, petit ou
grand. Mais ce n’est pas tout. Il s’est en effet lancé
hier, lors d’une émission de télévision, dans une
comparaison un peu foireuse. Les livres d’histoire,
explique-t-il, disent tous que Zola avait raison
lorsqu’il avait pris la défense du capitaine Dreyfus,
alors qu’à l’époque il avait été trainé dans la boue.
Sarkozy-Dreyfus et Guaino-Zola ? Ca se
saurait ! Disons plutôt que le député a pété les
plombs.

4
mai 2013
: Premier anniversaire

Il y a un an, lorsque nous nous sommes débarrassé de ce
furoncle qui déshonorait le visage de la France, j’ai
été, comme beaucoup d’autres, ravi. Même si, après avoir
ici pendant des années analysé , critiqué, brocardé
le pouvoir en place, je me suis senti un peu orphelin,
privé de cible… Et nous voici au premier anniversaire de
l’élection de François Hollande. L’heure des
bilans ? Difficile à dire, tant les réformes
avancées dans le désordre sont occultées par un immense
bordel ambiant. Je rentre d’une semaine en Tunisie où, à
part un journal quotidien, je n’ai guère regardé la
télévision, sauf pour une émission, autour de Jean-Luc
Mélenchon. Je venais de faire un article sur son
discours, pour l’hebdomadaire Politis, et en le
voyant plastronner, invectiver, afficher son air content
de lui, menton levé, je me suis dit que j’étais passé à
côté de la plaque. J’avais insisté sur son langage de
voyou, sur ses ressemblances avec Georges Marchais mais,
en le voyant, en l’écoutant, une comparaison s’imposait
à moi : Mussolini ! Il y a en effet du duce
dans cet homme, un duce d’autant plus pitoyable qu’il
est sans pouvoir. Et puis, de retour en France,
l’actualité m’impose Arnaud Montebourg et sa sortie sur
Dailymotion. Depuis des mois ce type me paraît ridicule,
prétentieux, prompt à ouvrir sa gueule avec componction,
affectation , sans jamais tenir ses promesses. Il
est au pouvoir, lui, contrairement à Mélenchon, mais
tout aussi inefficace. Et son couac, un de plus, avec
Moscovici, commence à faire désordre, un désordre qui
devient l’image publique du gouvernement. S’il fallait
revoter, je voterai bien sûr de la même façon, mais si
j’avais une once de pouvoir je secouerais
Hollande : alors, François, tu ne peux pas imposer
ton autorité ? En mai dernier, un ami lecteur de ce
blog m’avait écrit ceci :
Après avoir exercé ta verve contre la langue (si
l'on peut dire) du sarkozysme triomphant, j'espère que
tu feras de même (fût-ce sur un autre mode) non pas
nécessairement contre mais sur le discours hollandais.
N'oublie pas que le rôle de l'intellectuel est d'être
toujours "ardent mais sceptique".
J’avais enregistré, sans plus. Je relis aujourd’hui son
mail et je me dis d’une part qu’il avait raison, bien
sûr, et d’autre part que ce n’est pas le discours
« hollandais » qu’il faudrait analyser mais
celui, plus large et plus brouillé, du gouvernement. Un
an c’est court ou c’est long, cela dépend du point de
vue, mais quoiqu’il en soit c’est largement suffisant
pour se rendre compte que ceux que nous avons envoyé au
pouvoir bredouillent. Allez, reprenez vous !
Pour revenir tout de même à la droite, il y avait hier
soir dans l’émission Ce soir (ou jamais !)
deux invités cravaté, sûr d’eux, bronzés ou trop
maquillés, bref des têtes à claques. L’un, Eric Brunet,
est un polémiste de droite, qui sévit sur différents
media comme « journaliste » (je mets ce terme
entre guillemets car il ne semble pas avoir de carte de
presse) et qui avait sorti en 2012 un livre au titre
visionnaire : Pourquoi Sarko va gagner.
L’autre, Thierry Saussez, a été à partir de 1982
dans l’équipe de communications de Sarkozy, puis de 2008
à 2010 délégué à la communication du gouvernement. Il a
hier soir annoncé qu’aux prochaines élections
européennes. «Madame Le Pen sera devant la liste du PS».
Nous avons pu juger du bien-fondé de la prédiction de
Brunet, il nous reste à attendre pour voir ce qu’il en
sera de celle de Saussez.

3
mai 2013
: Khemais et Achour

Je viens de passer une semaine en Tunisie, pour prendre
l'air de mon pays natal. Je vous en avais parlé ici
(voir avril 2012) : j’avais assisté à l’université
de la Manouba, à Tunis, à une tentative des salafistes
d’imposer de différentes façons leur loi, d’obtenir une
mosquée sur le campus, le droit pour les étudiantes
d’être voilées, la fin de la mixité dans les
amphithéâtres, etc. Et une étudiante avait prétendue
que, dans son bureau, le doyen l’avait giflée. Il vient
d’être acquitté, et même si cela n’est pas grand chose,
c’est tout de même une victoire dans le contexte actuel.
Autre petite « victoire » : le groupe Weld
el 15 avait posté sur You Tube un rap portant le
doux nom de Boulicia Kleb (« les
policiers sont des chiens »), un rap que vous
pouvez écouter mais, désolé, en arabe tunisien.
Condamnés à deux ans de prison en mars pour
« atteinte aux bonnes mœurs », les auteurs
viennent en appel d’obtenir un non lieu. Difficile
de savoir s’il faut en conclure que les policiers
tunisiens sont des chiens ou n’en sont pas. Ce qui est
sûr c’est que la petite corruption (la grande corruption
est plus difficile à percevoir) semble se généraliser
dans les services publics, police et douanes en tête. Un
billet glissé dans un permis de conduire ou un passeport
que l’on tend à un représentant de l’autorité arrange
ainsi bien des choses. Parallèlement, et c’est cela qui
m’intéresse, une sorte d’argot des corrompus et des
corrupteurs semble se développer. Ainsi les billets
de banque les plus quotidiens, ceux de cinq et de dix
dinars, ont été affublés de prénoms. Khemais ou
Khamous pour un billet de 5 dinars, Achour pour un
billet de dix. Et alors, me direz-vous. Nous
avions bien pascal ou, en verlan, scalpa,
pour notre ancien billet de 500 francs ! Oui, mais
le mot renvoyait simplement à la figure du philosophe
Blaise Pascal qui se trouvait sur le billet alors qu’il
s’agit là de quelque chose de plus linguistique. Le
lexique arabe repose en effet sur des racines
consonantiques et l’on peut modifier le sens d’un mot en
jouant sur les voyelles. Ainsi le kleb de
Boulicia kleb est le pluriel du mot kelb,
« chien ». Or « cinq » se dit
en arabe khamsa et « dix » achra,
et vous voyez que les prénoms donnés aux billets
reposent sur la racine consonantique de ces deux mots,
avec des voyelles différentes. Je dois dire que j’adore
cette inventivité…

20
avril 2013
: Lapsus

Je sais, j’arrive un peu en retard mais j’avais
d’autres choses à faire et à écrire. Alors, retour au
début de la semaine. Mardi dernier, le 16 avril, Jérôme
Cahuzac se livrait sur BFM TV à une sorte de
confession-confidence dont les commentateurs ont très
généralement dit ou écrit qu’il s’agissait d’un exercice
de communication, contrôlé, calibré, préparé avec l’aide
de spécialistes. Ce qui n’était pas faux. En particulier
l’absence de cravate, le col ouvert, lui donnait un air
de suspect en garde à vue. Pourtant l’exercice n’était
pas aussi maîtrisé qu’on l’a dit et j’avais noté sur un
bout de papier le passage suivant :
« J’oublie cette affaire à force de l’occulter.
C’est probablement d’ailleurs ce qui me permet de faire
ce que j’étouffais… ce que j’ai fait par ailleurs,
pardon. Si on n’admet pas ça, on ne peut rien
comprendre».
Le lapsus était énorme, se voyait comme le nez au
milieu de la figure (le nez de Pinocchio, bien sûr).
Cahuzac avait tout fait pour étouffer son affaire et
s’emmêlait joyeusement les pinceaux. Mais ce qui m’avait
frappé était ailleurs. Dans mon livre Le jeu du
signe je prenais pour illustrer le rôle de ce que
j’appelle la rétroaction dans la construction du sens un
passage d’une chanson de Bénabar : « J’ai tout
lu, j’ai tout vu, j’ai tout fait, j’étouffe
encore ». Et le lapsus de Cahuzac, révélant son
« je », calquait le jeu du chanteur. Pour la
petite histoire, notons que l’ancien ministre n’en était
pas à son premier dérapage. En décembre 2011, alors
qu’il était député et président de la commission des
finances, il était interrogé par le journaliste
Jean-Michel Apathie : « Une question
concernant Dominique Strauss-Kahn, dont vous étiez
proche ». Et sa réponse fut délicieuse : «Je
crois que les lapins, euh, les latins, euh, la grippe me
fait vraiment des dégâts, je crois que les latins ont
une formule, is fecit cui prodest, à qui profite
le crime »… Cahuzac avait une grippe, il avait pris
froid, et c’est sans doute cela qui le faisait penser à
un chaud lapin…

19
avril 2013
: Ferré, Fillon, Copé

Commençons par le plus (ou le moins ?)
important : ma biographie de Léo Ferré, sortie il y
a dix ans, vient d’être publiée en format de poche avec,
en prime, une préface de Bernard Lavilliers (chez
Archipoche). Il y aura dans les semaines qui viennent
deux autres livres, originaux ceux-ci, l’un sur la
diversité linguistique et l’autre sur la chanson, je
vous tiendrai au courant.
Et passons au plus (ou au moins ?) important.
Cette nuit, l’Assemblée Nationale a été le témoin d’un
beau désordre. Tiens Ferré, justement, disait dans Il
n’y a plus rien « le désordre c’est l’ordre
moins le pouvoir » : c’est peut-être parce
qu’elle n’a plus le pouvoir que la droite, si attachée
d’habitude à l’ordre, tente de semer le désordre.
Frigide (peut-être, je n’ai pas le moyen de savoir)
Barjot (ça, c’est sûr) est dorénavant un peu hors
course. Après avoir été dépassée par l’extrême droite
voilà qu’elle est marginalisée par les députés UMP qui
ont failli en venir aux mains avec ceux de la majorité.
Nous sommes loin du « mariage pour tous », sur
lequel portait théoriquement la discussion. Partout
montent des rancoeurs, des aigreurs, des haines anti
homos, anti IVG, anti gauche en fait, tandis de
Jean-François Copé et François Fillon tentent de tirer
les marrons du feu, chacun pour soi. Pour le premier il
s’agit de montrer qu’il est le meilleur opposant puisque
le plus bruyant, qu’il monte au créneau, qu’il est digne
en somme d’être non seulement le patron (mal élu, comme
on s’en souvient) de son parti mais encore le prochain
candidat à la présidentielle. Pour le second il s’agit
de montrer qu’il est un opposant raisonnable,
convenable, calme, intelligent, bref qu’il est digne
d’être le prochain candidat à la présidentielle. Il y a
longtemps que la sagesse africaine dit qu’il n’y a place
pour deux caïmans dans le même marigot. Le caïman Copé
et le caïman Fillon n’ont pas fini de nous montrer la
véracité de ce proverbe.
Pourtant la loi sur le « mariage pour tous »
a été votée par l’Assemblée, puis votée avec quelques
modifications par le Sénat, elle est revenue à
l’Assemblée où elle sera définitivement adoptée dans
quelques jours. Alors pourquoi ce chahut ? Ils ont
voté, après tout ! Tiens, ça me rappelle une autre
chanson de Léo, Ils ont voté. Ponctué par des
« ils ont voté…et puis après ? », son
texte se terminait ainsi :
« Dans une France socialiste
Je mettrais ces fumiers debout
A fumer le scrutin de liste
Jusqu'au mégot de mon dégoût
Et puis assis sur une chaise
Un ordinateur dans le gosier
Ils chanteraient la Marseillaise
Avec des cartes perforées ».

16
avril 2013
: Frilosités

Virginie Merle, vous connaissez ? Non ? C’est
vrai qu’il s’agit de son nom de jeune-fille. Alors
Virginie Tellenne ? Vous ne connaissez pas non
plus ? C’est vrai qu’elle se cache derrière un
pseudonyme, Frigide Barjot. Là, vous y êtes. Elle fut
dans le temps rédactrice des discours de Charles Pasqua,
ce qui est déjà une référence, elle est aujourd’hui sur
toutes les chaînes de radio et de télé, dans tous les
journaux, cheftaine de file (si je puis risquer ce
féminin de chef de file) des antis « mariage pour
tous », avec à ses côtés l’incroyable
Christine Boutin et pas très loin derrière elle des
militants d’extrême droite. Car le mariage pour tous
exacerbe les passions et génère les dérapages. Brigide
Barjot a même promis du sang, voire la guerre civile. Et
elle n’est pas la seule. J’ai entendu hier un jeune et
gros con à qui l’on tendait complaisamment un micro
parler d’ « accouplement sodomite » et un
vieux con parler de « sainte colère ». Je
crois l’avoir déjà écrit ici, cette histoire de mariage
ouvert à tous, donc aux homosexuels, me laisse assez
indifférent, et seuls ces crispations réactionnaires me
pousseraient à le défendre. Mais surtout, face à ces
manifestations hurlantes, je me dis « tout ça pour
ça ! ». Souvenez-vous du PACS. Créé en 1999
par le gouvernement Jospin, il avait donné lieu à la
même hystérie. La droite avait mené une bataille
parlementaire acharnée. Christine Boutin, déjà elle,
avait fait à l’assemblée nationale un discours de cinq
heures en brandissant la Bible. Aujourd’hui plus
personne n’en parle, le PACS est entré dans les mœurs
et, selon l’INSEE on célèbre chaque année à peu près
autant de PACS que de mariages, et il est surtout
utilisé par des couples hétérosexuels. Tout ça pour
ça ! Dans quelques années on ne parlera sans doute
plus du mariage pour tous, sauf pour constater que les
homosexuels ont acquis le droit au divorce.
Autre scandale dans l’actualité : la publication
du patrimoine des ministres. On parle de striptease,
d’impudeur, de loi des paparazzi... Et les
parlementaires semblent redouter qu’on leur applique
cette mesure : rendre public leur patrimoine,
quelle horreur ! Une amie qui se considère comme
d’extrême gauche et n’a d’ailleurs guère de patrimoine
me dit avec mépris qu’on copie la morale protestante des
pays nordiques. La morale protestante !
Beurk ! Tiens, à propos de morale, musulmane
celle-ci, le pianiste turc Fazil Say a été
condamné par la justice de son pays pour avoir proclamé
son athéisme. J’aurais tendance à dire que la bêtise est
la chose du monde la mieux partagée et à en rester là,
mais la chose est plus grave : l’inquisition n’’est pas
morte ! Revenons à la France, où l’on peut encore
manifester son athéisme. Il est probable que, encore une
fois dans quelques années, la publicité du patrimoine
des politiques sera entrée dans les mœurs, tout comme le
mariage pour tous. Mais l’accouchement de tout cela est
bien difficile. Bien sûr ces crispations servent sans
doute d'écran de fumée pour tenter de faire oublier d'un
côté l'affaire Cahuzac et de l'autre la décrépitude de
la droite et ses déchirures interne. Mais il demeure que
la France est décidément un pays frileux et rétrograde.

13
avril 2013
: Verbatim

J’ai fait cette semaine des conférences en des lieux
extrêmement exotiques qui me changent de l’Afrique, des
Amériques et de l’Asie entre lesquels j’ai l’habitude
d’évoluer : le Luxembourg, Thionville et
Sarreguemines. Vous trouverez tout cela sur une carte,
en cherchant bien… Mais ce n'est pas de géographie que
je voudrais vous parler. Il y a quelques années j’avais
reçu une étudiante étrangère, professeur de français
dans l’académie de police de la capitale d’un pays de
l’est, et qui voulait faire une thèse sur l’argot
français. Sa qualité professionnelle lui avait
donné accès à la préfecture de police de Paris où on lui
avait confié des transcriptions d’écoutes téléphoniques
dont je m’étais délecté. Il y en avait une en
particulier, une conversation entre un jeune beur et sa
mère : elle le conseillait pour l’utilisation d’une
carte de crédit qu’il avait volée… « Surtout ne
dépense pas trop à la fois ! ». J’ai repensé à
ces écoutes cette semaine. Je me trouvais donc à
Luxembourg, à la terrasse d’un hôtel chic, lorsqu’un
monsieur bien mis, l’air distingué, a répondu à un appel
téléphonique sur son portable. Il parlait assez fort et
dès le début je me suis mis à noter, vous allez
comprendre pourquoi. Vous trouverez ci-dessous des notes
prises sur le vif. Evidemment il manque la moitié des
répliques, celles de la personne qui est à l’autre bout
du fil. Mais tout cela déjà bien instructif et vous
pouvez vous amuser à tenter de remplir les vides. Voici
donc ce que j’ai entendu :
-Votre client, il est Français ou Belge ?
(……)
-Il est à l’ISF en France ?
(……)
-Ca représente combien ?
(……)
-Oui, ça tient la route.
(……)
-Vous me signerez une promesse de rachat dans 18
mois ?
(……)
-Quel est son problème, sa difficulté ?
(……)
-Il fait quoi dans la vie ?
(……)
-Ah ! Il est connu ?
(……)
-C’est encore des sommes qui sont dans mes possibilités
(……)
-Vous allez avoir du mal à sortir ça comme ça
(……)
-Il faut être plus rigoureux
(……)
-Si vous les amenez à la valeur comptable, y’a
plus de problème
(……)
-Après on les fait expertiser et on les rachète à 60%
(……)
-Faites la séparation. Je suis d’accord pour prendre
tout, mais séparez l’hôtel de l’appartement, le
professionnel du privé
(……)
-Il a intérêt à ce qu’on rachète pas cher pour que le
fisc ne fasse pas de problème, et qu’il puisse racheter
six mois plus tard
(……)
-Il a quoi comme hypothèque ?
(……)
-Un million ?
(……)
-Moi j’en prendrai quatre, cinq
(……)
-Vous êtes quoi, vous, vous êtes qui ?
(……)
-Y’a combien de SCI ?
(……)
-Non, il faut créer une SOPARFI par bien, pour chaque
bien
(……)
-Il a besoin de combien ?
(……)
-C’est faisable
(……)
-Ca devient des fonds propres
(……)
-On n’est pas capable de mettre dix millions. Il nous
faut un autre investisseur
(……)
-Moi je touche partout. Vous vous payez comment?
(……)
-Vous êtes son comptable ?
(……)
La discussion a ensuite porté sur les pourcentages de
commission, et j’ai arrêté de noter.
Il se trouve que cette même semaine le Luxembourg
annonçait qu’il allait alléger le secret bancaire, mais
cela n’avait pas l’air de gêner beaucoup ce monsieur.
Pour votre gouverne, et afin que vous compreniez mieux
le texte ci-dessus, j’ai cherché le sens de certains
termes. Une SOPARFI est une « société de
participation financière » luxembourgeoise qui
permet d’encaisser des dividendes sans retenue à la
source dans les pays où se trouvent ses filiales. Et une
SCI (société civile immobilière) permet en France de
posséder à plusieurs un bien immobilier et en facilite
la transmission.
Conclusion de tout cela : nous vivons une époque
formidable… même sans secret bancaire !

8
avril 2013
: C'est beau, le sport

Les jeux olympiques ne posent aucun problème
étymologique : comme chacun sait, ils tirent leur
nom de la ville d’Olympie, au centre du Péloponnèse,
dans lazquelle ils étaient organisés. En revanche le gymnaste
ou le gymnase ont une origine
intéressante : le mot grec gymnos,
« nu ». En effet le pugilat ou le pentathlon
se pratiquaient à l’époque antique dans le plus simple
appareil. Et alors ? direz-vous. Et alors il
vient de se passer à Doha un événement notable. Le
Qatar, qui doit organiser en 2022 la coupe du monde de
football (on le soupçonne d’ailleurs d’avoir payé
certains des votants…), aimerait également organiser en
2024 les jeux olympiques. En attendant, on a ouvert à
Doha une grande exposition sur l’histoire de
l’olympisme, avec des statues prêtées par des musées
grecs, italiens, français et allemands. Mais, surprise,
le jour de l’inauguration une grande salle était
quasiment vide, celle où l’on aurait justement dû
trouver des athlètes gréco-romains, des gymnastes, donc
des nus. La pudibonderie musulmane n’a pas de
limites diront certains. Mais ce sont des mauvaises
langues et il y a peut-être une autre explication.
Lorsque dans certains pays on vitriole des femmes non
voilées ou qu’on coupe la main des voleurs, on pouvait
tout craindre pour l’intégrité de statues d’hommes nus
et les organisateurs de l’exposition ont tout simplement
voulu protéger des œuvres d’art. C'est beau le sport! Et
c'est beau la protection des oeuvres d'art!
Restons dans le sport. En suivant à la télévision la
coupe Davis de tennis j’ai été frappé par le
nationalisme des journalistes français dont les
commentaires étaient insupportables de chauvinisme. J’ai
aussi été frappé par le « talent » du public
argentin qui, par ses manifestations (tambours,
trompettes, hurlements) réussit à rendre un tournoi de
tennis aussi vulgaire qu’un match de football. On
n’arrête pas le progrès…

5
avril 2013
: Look de bourgeois, discours de
voyou

L'hebdomaire Politis a publié dans son numéro
d'hier, sous le titre "Clivage", deux textes concernant
le discours de Mélanchon, l'un de Benoît Schneckenburger
et l'autre de votre serviteur. Je vous mets ci-dessous
ma contrinution.
« Je suis le bruit et la fureur, le
tumulte et le fracas » : Mélenchon
revendique son parler « cru et dru ».
Dire qu’il y a du Robespierre en lui est un lieu commun
qui doit lui plaire, lui qui s’autoproclamait, lors du
congrès du de Bordeaux, «tribun du peuple ».
Sa volonté d’être le trublion de la gauche, sa façon
d’agresser les journalistes et les politiques (traitant
par exemple David Pujadas de « salaud »
et de « larbin » et Marine Le Pen de
« semi démente »), tout cela vient de
culminer à propos de Pierre Moscovici : « Ma
manière de parler les dérange parce que j’appelle un
chat un chat et qu’un de mes camarades appelle un
salopard un salopard », ajoutant que
Moscovici « ne pense plus en français mais dans
la langue de la finance internationale ».
Inutile de multiplier les citations: Mélenchon est une
grande gueule et le système médiatique préfère les
grandes gueules aux discours sérieux dispensés mezzo
voce. Il ne fait pas dans la demi-mesure et sa
façon de parler est une forme de communication, une
utilisation des media qui se précipitent pour faire écho
à ses imprécations. Certains portent sur elles un
jugement moral, condamnant ses excès, regrettant ses
dérapages ou ses injures. Il me paraît plus intéressant
de nous demander de quoi tout cela est-il le signe.
Grande gueule : cette expression est
presque la description physique d’une réalité
phonétique. Souvenons-nous de Giscard, bouche en
cul de poule, lèvres étirées vers l’avant, susurrant ses
phrases, et de Marchais, bouche largement ouverte,
articulant ses voyelles à l’arrière. Deux styles, deux
façons de s’exprimer qui passaient par le geste, par la
voix, par la gueule justement. Pourtant, ce qu’il y a de
frappant chez lui, ce n’est pas qu’il nous rappelle le
style populiste de Marchais, c’est que son style verbal
tranche sur son look de notable de province. Costume
sombre, cravate grenat ou rouge, assortie à une rosette
exhibée à la boutonnière qui ressemble fortement à la
légion d’honneur (en fait il s’agirait de l’ordre
national du mérite argentin…). Look de bourgeois,
discours de voyou : nous avons là une sémiologie
qui s’apparente à un oxymore, terme dont il faut
rappeler qu’il unit deux racines grecques, l’une
signifiant «fin» et l’autre « niais ».
Il fut ministre délégué dans le gouvernement Jospin, et
s’y comporta très sagement, il est passé à une autre
rhétorique, mais on a l’impression qu’il cherche à
corriger le tir, à affirmer que la violence de la
forme ne cache pas une vacuité du fond, à rappeler qu’il
a des lettres: « Je suis plus instruit et
cultivé que la plupart des petites têtes d’œuf qui
m’affrontent. Je suis allé à l’école… » .
Qu’il soit allé à l’école nul n’en doute, et on a alors
presque envie de le consoler, de lui dire doucement
« Mais non, mon petit, tu n’es pas un
cancre ».
Le ton, la facture de ses interventions orales ont
quelque chose d’une crise d’adolescence. Tout est
là, dans cet oxymore fait homme, qui semble se débattre
entre deux pulsions, sautiller d’un bord à l’autre de sa
schize, hurlant d’une part « je vous hais » et
murmurant d’autre part « aimez-moi ». On sait
que les adolescents se construisent contre leur
environnement, contre le pouvoir de leurs
parents. Léo Ferré, dans Madame la misère,
évoquait ceux qui prenaient « par la main leurs
colères adultes afin de ne les perdre pas ». Les
colères de Mélenchon semblent pour leur part juvéniles,
et l’on peut se demander contre quelle autorité
parentale elles se dressent, contre qui il veut se
construire.

29
Mars 2013
: Lectures

En 1964, à 22 ans, j’ai quitté Nice où j’étais étudiant
pour Paris où j’avais été élu vice-président de l’UNEF,
chargé de la communication. A ce titre, j’étais en même
temps rédacteur en chef de 21.27, le journal du
syndicat (le nom renvoyait simplement au format A
4) et, dans le paquet cadeau, j’avais trouvé en
prime Michel Politzer, le maquettiste, qui avait (qui a
toujours d’ailleurs) huit ans de plus que moi. Il me fit
découvrir la cuisine vietnamienne, me fit comprendre
l’importance du rapport entre texte et illustration dans
une page et surtout, au fur et à mesure que la confiance
puis l’amitié s’installaient, il me parla de sa famille.
Son père, Georges Politzer, philosophe communiste, fut
fusillé par les Allemands en 1942 sur le mont Valérien,
tandis que sa mère, Maï, mourrait à Auschwitz. Michel
n’avait de ses parents qu’un souvenir flou et quelques
photos, mais il me parlait de son père, qu’il appelait
Georges, dont il voulait construire une image plus
consistante. Le graphisme journalistique n’était qu’un
gagne-pain passager, Michel était peintre et il
s’installa bientôt en Bretagne pour se consacrer à la
peinture et à l’illustration de livres pour enfants.
Lors de nos rencontres désormais espacées, de nos
échanges de mails, il me laissait entendre qu’il
progressait dans sa quête. Et bien voilà, il a
terminé : un livre qui après bien des recherches,
bien des enquêtes, retrace la vie de ses parents. Sur le
fond, on y apprend des tas de choses sur l'Europe de la
première moitié du XX° siècle (Georges Politzer, né en
Hongrie où il fait ses études secondaires, passe par
Vienne où il découvre Freud pour aller étudier la
philosophie à Paris), sur les mœurs du Parti Communiste
dans les années 1930 et 1940, sur ses fluctuations
politiques au moment du pacte germano-communiste, sur sa
façon de s’inventer des héros ou des couples exemplaires
pour alimenter la machine à fabriquer des mythes. Sur la
forme, je dois dire que je suis tombé sur le cul. Une
écriture splendide, une écriture de peintre si je puis
dire, dont l’œil analyse une photo en noir et blanc ou
une écriture en graphiste autant qu’en historien, une
écriture qui se raconte en train d'écrire et ne vous
laisse pas un moment de répit ou d'inattention. C’est à
la fois touchant et jouissif, et je dois dire que j’ai
dévoré l’ouvrage. Il s’appelle Les trois morts de
Georges Politzer et il sort la semaine prochaine
chez Flammarion.
Cela n’a rien à voir, mais Le Point vient de
sortir un supplément consacré aux Tontons flingueurs,
ce film mythique dont on fête cette années les cinquante
ans. Vous y trouverez entre autre choses trois pages
dans lesquelles j’analyse la langue de Tontons, ou
plutôt celle de Michel Audiard, le dialoguiste.Ca,
c’était la petite minute d’auto-promotion.

26
Mars 2013
: Mythologies

Cela n’aura pas échappé à mes lecteurs français :
pendant deux jours la marque de caramel Carambar a fait
le buzz. Pensez donc : le bruit courrait qu’ils
allaient abandonner les petite blagues à deux sous que
l’on trouvait sur le papier d’emballage ! Tous les
journaux radio et télé en ont parlé, des pétitions ont
circulé sur Internet. Rendez-nous nos blagues
Carambar ! Rendez-nous nos blagues Carambar !
Rendez-nous nos blagues Carambar ! Dimanche, à
Paris, on manifestait contre le mariage pour tous, mais
on pouvait imaginer que lundi ou mardi les mêmes foules
en émoi allaient défiler pour réclamer le retour des
blagues Carambar. Finalement c’était une blague. Ou un
coup de pub gratuit. Non, Carambar n’allait rien changer
à ses papiers d’emballage, mais jamais on n’avait autant
parlé de cette marque. Apparemment leur projet était de
faire durer la supercherie jusqu'au premier avril, mais
devant l'ampleur des réactions et des protestations ils
ont dû la révéler plus tôt. C'est beau, la mobilisation
populaire!
Samedi un responsable du Front de gauche traitait un
ministre de salopard tandis qu'Henri Guaino agressait
verbalement un juge, celui qui a mis Sarkozy en examen,
disant qu'il deshonnorait la justice, suivi par une
meute UMP déchaînée. L'injure en politique avait un peu
disparu, voici qu'elle revient en force.
Et puis hier soir, au grand journal de Canal +, trois
invités « politiques ». Outre un sénateur
socialiste il y avait là Frigide Barjot, une sorte
d’allumée qui est devenue la porte parole des
manifestations contre le « mariage pour
tous », et Isabelle Balkany, venue défendre son
ami Sarkozy, injustement mis en examen selon elle
et quelques autres. Elle sait de quoi elle parle,
Isabelle Balkany, elle qui avait été condamnée par la
chambre régionale des comptes d’île de France pour prise
illégale d’intérêt : avec son mari, elle avait
utilisé des employés municipaux qui travaillaient chez
eux, dans leurs résidences principale et secondaire…
Les blagues de Carambar, le mariage pour tous, des
injures de charretier, la mise en examen de Sarkozy, des
« femmes politiques » improbables, je sais,
tout cela n’a rien à voir. Et pourtant… Il y a trente
trois ans, le 26 mars 1980, mourrait Roland Barthes, et
il se serait bien amusé de ces petits faits, qu’il
aurait disséqués avec plaisir et cruauté. Alors, c’est
l’occasion de relire ses Mythologies. Dans leur
grande majorité, elles n’ont pas pris une ride.

23
Mars 2013
: IMPRESSIONS MAURITANIENNES

Je viens de passer cinq jours à Nouakchott, invité à
donner trois ou quatre conférences. Je connaissais la
situation linguistique de la Mauritanie de façon
livresque, grâce à des articles, des thèses, des
ouvrages lus, mais je n’y avais jamais mis les pieds.
Impressions…
Un pays et des langues
Commençons par l’aspect juridique. Il y a en Mauritanie
une langue officielle, l’arabe, et quatre langues
nationales, l’arabe, le wolof, le soninké et le pulaar.
Ajoutons-y une langue sans statut mais enseignée à tous
les niveaux à côté de l’arabe, le français, qui est
également très présente dans l’environnement graphique
(les enseignes sont systématiquement bilingues). Reste
une langue que pratiquement tout le monde parle mais qui
n’a aucun statut officiel, le hassaniya, ou arabe
mauritanien. Il y a dans cette situation juridique
quelque chose de paradoxal, que l’on retrouve d’ailleurs
dans tous les pays arabophones : l’arabe officiel
n’est la langue maternelle de personne tandis que
l’arabe parlé, langue maternelle de la majorité de la
population, n’a aucun statut officiel alors qu’on
s’attendrait à la trouver dans la liste des langues
nationales.
Il est difficile de savoir combien de locuteurs parlent
ces langues. Selon le site de l’université Laval, 80% de
la population auraient l’arabe hassaniya pour langue
première, 88% selon Ethnologue. Et il est
impossible de savoir combien de gens parlent les autres
langues locales. En revanche j’ai été très frappé par la
différence faite par tout le monde entre les beidane
et les haratine. Les beidane (singulier
bidhani) sont les maures blancs tandis que les haratine
(singulier hartani) sont les maures noirs.
Tous parlent la même langue, l’arabe mauritanien, et ils
s’opposent globalement aux locuteurs des autres langues.
Mais les haratine sont descendants d’esclaves
et continuent à avoir un statut inférieur. « Un
bidhani, me dit-on, ne donnera pas sa fille en mariage à
un hartani, sauf si celui-ci est très riche ». Et
on ajoute : « Les beidane sont d’anciens
éleveurs, des nobles, les haratine d’anciens
cultivateurs, et les cultivateurs ne sont pas
nobles ». Il est difficile d’aller plus loin car le
sujet est quasi tabou : l’esclavage est
théoriquement aboli en Mauritanie, depuis peu, mais la
loi n’est pas vraiment appliquée. Ce qui est sûr c’est
qu’une classification linguistique (l’ensemble des
locuteurs du hassaniya) est recoupée par une
classification raciale (la couleur de la peau de ces
locuteurs), et que les beidanes semblent socialement
dominer les haratines. Dans les rues, les noirs sont
nettement plus nombreux, ce qui ne prouve rien :
les maures blancs sont plus riches et roulent en
voiture…
Quoi qu’il en soit, cet arabe mauritanien est le
produit de l’histoire du pays. Les envahisseurs arabes
sont arrivés ici sans femmes, la population blanche est
donc arabo-berbère et elle a réduit en esclavage des
noirs qui ont acquis la langue des maîtres. Il en
résulte une évidence : le hassaniya a un fort
substrat berbère et des influences de langues
négroafricaines. Mais se pose une question. Ailleurs,
dans des situations comparables, les esclaves ont
développé un créole. Dès lors on peut se demander si
l’arabe des haratine est spécifique, s’il est différent
de celui des beidane. Je n’ai guère réussi à avoir une
réponse sur ce point, et n’ai pas eu le temps
d’enquêter. En revanche, tout le monde me dit que l’on
reconnaît les peuls, les soninkés, les maures blancs et
les maures noirs dans leur façon de parler le français.
Ce qui peut être considéré comme une façon de dégager en
touche : on évite de poser directement le problème
de la diversité linguistique et ethnique, mais on
l’aborde par le biais du français….
J’avais senti que ce problème linguistique était
délicat, qu’il ne fallait pas trop insister dans mes
questions, mais il a éclaté le jour d’une conférence sur
les politiques linguistiques que j’ai donnée à
l’université. Un amphithéâtre bondé, des gens assis par
terre et, au moment de la discussion, des salves
d’applaudissements chaque fois que quelqu’un plaidait la
cause des langues minoritaires africaines ou critiquait
la politique du gouvernement en faveur de l’arabe. On a
frôlé l’émeute… Deux jours plus tard, à l’Ecole Normale
Supérieure, même scénario, ou presque. Je présentais
notre baromètre des langues du monde et, en
avant-première si je puis dire, notre projet de
baromètre des langues africaines. Au moment où
j’expliquais qu’il était difficile d’y intégrer l’arabe
officiel, qui n’est la langue maternelle de personne, et
que nous préférions prendre en compte les arabes
nationaux, dont bien sûr le hassaniya, j’ai essuyé une
série de critiques furieuses de la part de certains
professeurs arabisants. L’un d’entre eux a même déclaré
que LA langue arabe était parlée de la même façon depuis
quinze siècles. Le décalage entre la discussion
scientifique que j’essayais de mener et les crispassions
idéologues de certains membres de l’assemblée était
assez étonnant (et détonant…), comme était étonnante la
volonté de nier le hassaniya, la langue que tous ou
presque parlent sans doute chez eux. On valorise à
outrance la langue officielle et l’on méprise la langue
réelle. En même temps des étudiants noirs m’expliquaient
qu’ils avaient fait semblant d’étudier l’arabe
(officiel, bien sûr) pendant toute leur scolarité, mais
qu’il ne le connaissaient pas. Dans les deux cas, une
fuite évidente du concret…
Sketch
Le jour de l’inauguration de la semaine de la
francophonie, pour laquelle j’étais invité, j’assiste à
un sketch présenté par les élèves de l’école annexe de
l’école normale d’instituteur. Un gamin joue le rôle
d’un épicier qui ne s’exprime qu’en arabe. Deux autres,
l’un portant veston et l’autre un uniforme militaire,
parlent en français, font les malins, se vantent
« moi je suis allé en France, à Paris,j’ai vu la
tour Eiffel, moi j’ai rencontré De Gaulle…), et semblent
mépriser l’épicier. Puis viennent deux femmes, parlant
mieux français que les deux hommes, et elles se font
rembarrer. « Les hommes, dit alors l’une d’elles,
n’aiment pas les femmes instruites ». Et un client
noir évoque le pulaar, le wolof, « toutes les
langues du pays». Les gamines et les gamins sont
chaudement applaudis et semblent très fiers de leur
succès. Savent-ils qu’ils ont posé, à travers un texte
qu’on a bien sûr écrit pour eux, une problème
fondamental, celui du statut des langues dans le pays,
du rapport entre ces langues et le pouvoir politique et
social? Sans doute pas. Mais il est un problème qu’on ne
leur a pas fait illustrer, et que j’ai évoqué plus haut
à propos de ma dernière conférence, celui des rapports
entre langue et religion, ce qui me mène à mon point
suivant.
Le Coran, la mer, la terre
Comme dans tous les pays arabo-musulmans, l’arabe
officiel de la Mauritanie, vous l’aurez compris, n’est
donc pas l’arabe parlé par le peuple. Chaque matin, en
attendant la voiture qui me menait au travail, j’ai
feuilleté dans le hall de l’hôtel un livre qui y était
exposé, un étrange bouquin édité à compte d’auteur, Mohamed,
le vrai visage du prophète de l’islam (2009) de
Moussa Hormat-Allah. L’ouvrage a dû avoir un gros succès
dans le pays car l’année suivante l’auteur publiait Mohamed,
le vrai visage du prophète de l’islam face à la
critique, dans lequel il regroupait des articles
publiés dans la presse locale, en très grande majorité
laudateurs. En feuilletant l’ouvrage j’y apprends que
Voltaire, Goethe, Bonaparte, Hugo, Lamartine s’étaient
convertis à l’Islam et que l’occident le cachait
soigneusement. Pourquoi pas : tout le monde a le
droit de croire ou de ne pas croire, d’adhérer à la
religion qu’il souhaite, Hugo, Goethe ou Bonaparte comme
les autres. Mais s’il n’y a dans la démonstration de
l’auteur aucune preuve directe, uniquement des
références à des références qui citeraient des preuves
indiscutables.
Plus loin l’auteur évoque une verset du Coran
disant que Dieu ressuscitera les morts et recollera
même les extrémités de leurs doigts comme la
preuve que le texte avait prévu avec une avance de
plusieurs siècles que l’on identifierait un jour les
individus grâce à leurs empreintes digitales. Plus
amusant encore est un passage sur la place de la mer et
de la terre dans le Coran. L’auteur cite un certain Abde
Daim Kahuel qui, dans une communication intitulée
« La mer et la terre, une vérité étonnante »
ferait allusion à « une réalité numérique que le
saint Coran a citée avec une précision prodigieuse, et
ce concernant la proportion de la mer (océan, mers,
lacs…) par rapport au continent (terre ferme) ».
Intrigué, je me plonge dans l’argumentation, qui est en
fait fort simple. Le mot mer apparaîtrait dans
32 versets du Coran et le mot terre dans 13, ce qui
donnerait une proportion de 71% contre 29%. Fort bien.
Mais l’auteur poursuit en expliquant que l’on trouve sur
le site web de la NASA ces deux mots dans les mêmes
proportions. Donc : « Le Coran est la parole
de Dieu et Mohamed est son prophète. Il s’agit d’une
vérité mathématique. Seuls s’en détournent les
mécréants ». Cette approche
« numérique », cette « vérité
mathématique » peuvent faire rire ou pleurer ou
peuvent effrayer par leur naïveté, je vous en laisse
juges, mais il y a en amont de ce fatras un petit
problème sémantique concernant les termes de cette
remarquable comparaison. On ne nous donne pas en effet
les mots exacts qui apparaissent dans les deux textes.
Pour le texte anglais il doit s’agir de sea
et/ou d’ocean. Mais pour le texte arabe ?
S’agit-il de bahr ? Dans ce cas il
s’agirait à la fois des mers, des lacs, des fleuves, et
la comparaison, même si elle avait un sens, serait
impossible avec l’anglais… Mais qu’importe, car ce mode
de raisonnement laisse pantois. Dieu, s’il existe et
s’il est un peu statisticien, doit s’en rouler par terre
de rire.

11
Mars 2013
: Taj la ekool ubbi

Nous sommes dans une école du quartier Grand Dakar. Un
tableau long de dix mètres, divisé en deux parties
égales, avec les activités du jour en wolof à droite et
à gauche les mêmes en français (mathématiques, lecture,
communication écrite). Ils sont cinquante cinq dans la
classe, âgés de 6 à 7 ans, en première année de
primaire. C’est-à-dire qu’ils ont commencé leur
initiation à la lecture et l’écriture, en deux langues,
il y a à peine quatre mois. Cinquante cinq ce n’est pas
beaucoup au Sénégal, où les classes tournent autour de
cent gamins, mais il s’agit là d’une classe
expérimentale, privilégiée donc. Au tableau la maîtresse
a écrit :
Taj la ekool ubbi, eleew yi ñew nañu,
and ak séen waajur, Raina sol na dall yu
rafet
(Aujourd’hui l’école a démarré, les élèves sont venus
avec leurs parents, Raina a mis de jolies
chaussures)
On lit les phrases à haute voix. Puis les élèves
viennent prendre des ardoises préparées par la
maîtresse . Sur
chacune d’entre elles il y a un mot. Ils se placent,
face à la classe, portant à bout de bras leur ardoise,
restituant l’ordre des mots écrits au tableau. J’ai
l’impression que le tableau a éclaté en différentes
ardoises, et c’est de fait ce qui s’est passé : la
phrase a été segmentée en mots, qui seront ensuite
segmentés en lettres. Je me rend compte, en voyant les
lettres inscrites des deux côtés du tableau, qu’il y a
une progression parallèle : on utilise celles qui
sont les plus fréquentes et se prononcent de la même
façon dans les deux langues . Au dessus, de
petites affichettes bilingues : ça va ?
Nanga def ?, Ca va bien Man ngi fi rekk, Merci
Jere Jef… On passe à la lettre l, en l’écrivant
dans le vide, avec de grands geste du bras, puis la
maîtresse en met trois formes au tableau, majuscule,
minuscule, cursive. « Dans quels mots y a-t-il
l ? » Les gosses donnent d’abord des mots du
texte, ekool, eleew, dall, puis en trouvent
d’autres, par reconnaissance auditive. A chaque question
ils lèvent le doigt pour répondre, certains dans
l’enthousiasme quittent leur banc et se précipitent vers
le tableau. On passe alors au français : « un
mot français ayant le son l ? ». Les réponses
sont moins nombreuses, moins spontanées : lundi,
soleil, table, bleu, lion… Il y a quelques
dérapages : entendant lundi une petite
fille dit vendredi, entendant bleu un
gamin dit rouge… Mais il y a cependant un bel
exemple de transfert d’un acquis en wolof vers le
français. Au tableau, ils vont ensuite à tout de rôle
entourer à la craie la lettre l dans des mots français.
Bref, j’ai assisté à une classe bilingue
remarquablement menée, sans que jamais les langues ne
soient mélangées. Il en va de même pour le calcul :
la progression est parallèle dans les deux langues. Il y
a 114 classes de ce genre dans tout le pays, en wolof ou
en pulaar pour l’instant, et en français. Les
enseignants, tous volontaires, ont eu treize jours de
formation fin septembre, avant la rentrée, puis cinq
jours pendant les vacances de Noël, et ils en auront
encore trois à Pâques. Tout cela peut paraître banal,
mais il y a dans cette expérimentation quelque chose de
fondamental. En apprenant à lire et écrire dans leur
langue maternelle, puis en transférant cet acquis vers
la langue officielle, le français, qu’ils ne connaissent
pas encore, les enfants progressent beaucoup plus vite
que ceux des classes monolingues, uniquement en
français. Et la même expérience est menée au Mali, au
Niger, ai Burkina Faso. C’était juste pour vous montrer
ce que des linguistes associés à des pédagogues peuvent
faire lorsqu’ils ne sont pas dans leurs bureaux, dans
leurs laboratoires…

10
Mars 2013
: Baromètre

Me voici de retour du Sénégal, en passant par Bruxelles
et Paris. Je vous parlerai de Dakar un peu plus tard et
vous signale pour l'instant que vous avez désormais
accès direct au baromètre des langues du monde, dans sa
version 2012. Vous pouvez aussi comparer avec la version
2010, et vous verrez qu'il y a certains changements. En
particulier le français est passé en troisième position,
derrière l'anglais et l'espagnol. Bonne visite.

23
février 2013
: Cochonneries

Depuis plusieurs semaines je ne lis plus la chronique
de Marcela Iacub dans Libération, agacé par
cette intelligence un peu tordue qui cherche avant tout
à se positionner contre, par exemple contre les
féministes lorsqu’elles-mêmes sont contre la
prostitution, à chercher à tout prix le contre-pied,
l’originalité, en s’appuyant sur des faits juridiques
mineurs. Une posture, fût-elle systématiquement
politiquement non correcte, reste une posture, et je
trouvais dans ses textes plus de forme que de contenu,
plus de pensée retorse que d’analyses.
Les évènements me ramènent vers elle, vers un livre
dont elle vient de faire la promotion avant même sa
publication et dont le titre est une parfaite
illustration de sa façon de pensée: Belle et bête.
Comment en effet le comprendre ? Comme « la
belle et la bête », deux personnages donc ? Ou
comme une double qualification, « je suis belle et
bête » ? Dans les deux cas, d’ailleurs,
Marcela Iacub pratique l’autoproclamation (je suis
belle), ce qui est une affaire de goût. Quoi qu’il en
soit il s’agit dans son livre de cochon, d’un cochon,
enfin d’un personnage qu’elle considère comme mi-homme
mi-cochon et qu’elle dit avoir aimé à la folie, de la
tête à la queue oserais-je ajouter. Elle dit par
ailleurs être végétarienne, mais qu’importe. Il paraît
que cet homme n’est jamais cité dans l’ouvrage. J’écris
« il paraît » car je n’en ai lu que des bonnes
feuilles, dans le Nouvel Observateur. L’ennui
est que l’hebdomadaire en fait cette semaine sa
couverture, avec la photo des deux protagonistes et, en
titre Mon histoire avec DSK. Iacub donne
d’ailleurs une longue interview à l’hebdo, dans laquelle
on comprend qu’elle a eu une relation amoureuse et
sexuelle avec Dominique Strauss-Kahn, avec l’idée dès le
départ d’en faire un livre. Le béotien que je suis se
dit que si le personnage central n’avait pas été DSK
mais Dupont ou Durand, le Nouvel Observateur n’en
aurait pas parlé, et en tout cas n’aurait pas titré
« Mon histoire avec Dupont » ou « Mon
histoire avec Durand ». Il s’agit donc bien d’une
opération commerciale destinée à faire vendre du papier,
celui du journal et celui du livre, d’une double
opération, dans laquelle on a du mal à discerner une
once de moralité ou de déontologie. Mais, comme le dit
la sagesse populaire, « tout est bon dans le
cochon ». Pour finir cette histoire de
cochonneries, je lis dans l’extrait publié que les
femmes du cochon étaient toutes « laides et
vulgaires ». Ah bon ? Toutes ? Il ne
s’agit donc pas seulement d’autopromotion mais aussi
d’auto flagellation ? Une fois n’est pas coutume,
je vais une seconde fois citer la sagesse populaire (je
déteste d’ailleurs cette expression, sagesse populaire,
mais bon…) : »C’est celui qui l’a dit qui
l’est ».
Allez, demain je pars vers d'autres cieux pour une
semaine de travail au Sénégal.

18
février 2013
: Non habemus papam

Le pape a donc, a donc quoi ? Démissionné ?
Non, car une démission ça se présente à quelqu’un qui
accepte ou refuse. Et à qui le pape pourrait-il
s’adresser ? A Dieu ? « Cher Dieu, je
l’honneur de te présenter ma démission… ». Il y a
longtemps que Dieu ne répond plus.. Disons donc que le
pape a renoncé à sa tâche. Et il l’a annoncé, devant des
cardinaux incrédules, pas sûrs de comprendre, en latin.
Ce n’est pas tous les jours qu’on renonce en latin, et
la lecture, même quotidienne, de Saint Augustin ne
prédispose pas nécessairement un cardinal moyen à
comprendre une renonciation papale. Ils n’avaient pas
encore vraiment compris, les pauvres cardinaux, que
l’agence italienne ANSA annonçait la nouvelle, à 11 h 46
pour être précis, avant toutes les autres agences de
presse. Un scoop ! Le pape avait-il prévenu une
partie de la presse ? Pas du tout, mais une
journaliste, Giovanna Chirri, a entendu en direct le
discours du pape. Et lorsqu’il a prononcé ces mots
«Conscientia mea iterum atque iterum coram Deo
explorata ad cognitionem certam perveni vires meas
ingravescente aetate non iam aptas esse ad munus
Petrinum aeque administrandum.»
elle a, comme vous tous qui me lisez, immédiatement
compris, et hop, une dépêche, que toutes les autres
agences ont reprise. Qui donc disait que l’enseignement
des langues classiques était inutile, obsolète, à
supprimer ? Vous allez voir, nous y reviendrons.
Bientôt les rappeurs, les slameurs scanderont en latin.
Bientôt les graffitis, sur les murs de nos villes,
seront en latin. Et les injures échangées à l'assemblée
nationale? En latin, elles auraient plus de gueule, non?
Déjà le roi du Maroc prononce chaque année le discours
du trône dans un arabe qu'aucun Marocain ne comprend.
Pourquoi François Hollande ne donnerait-il pas ses
conférences de presse en latin? Bon, je rigole, mais
quoi qu'il en soit, Ave Giovanna Chirri!

15
février 2013
: Obscénité, suite...

Je m’y attendais, je l’ai eue : une rafale de
protestations contre mon billet du 13 février. Des
arguments variés (nous sommes peu payés…), des
tentatives d’explication (nous ne sommes pas contre le
travail le mercredi matin, mais dans d’autres
conditions…), des accusations (je serais un anti prof
primaire…). J’ai été enseignant-chercheur pendant
44 ans (oui, j’ai pris ma retraite à 68 ans, un
« privilège » des profs de fac) et je suis
difficilement soupçonnable d’être systématiquement
contre les fonctionnaires ou les enseignants. J’ai été
longtemps syndiqué au SNESup, jusqu’au jour où j’en ai
eu assez du corporatisme, me rendant compte que les
syndicalistes pensaient plus à leurs intérêts qu’à ceux
des étudiants. Un exemple parmi d’autres, qui m’a
particulièrement fait rire. Il y a quelques années, dans
une réunion syndicale, un professeur a très sérieusement
expliqué que notre service (192 heures d’enseignement
par an, soit entre 6 et 7 heures par semaine de cours)
avait été défini alors que la durée légale de la semaine
de travail était de 40 heures et qu’il fallait donc le
recalculer en fonction des 35 heures. Selon lui il
convenait d’appliquer une règle de 3 qui l’aurait ramené
à 168 heures. Je n’invente rien, même si ce prof était
une véritable caricature. Je ne suis pas anti
enseignant, donc, mais il y a parfois des limites à ne
pas franchir et qui, pourtant, sont souvent franchies.
Pour ce qui concerne les grèves dont je parlais
avant-hier, j’ai parmi mes proches des chômeurs,
harassés, humiliés, parfois en fin de droits, qui
cherchent désespérément du travail et aimeraient bien
avoir le statut des grévistes, pouvoir s’arrêter de
travailler une journée, pousser un coup de gueule, et
retrouver son job le lendemain. Alors, oui, je crois que
le mot obscénité était le bon.
Dans le Siné mensuel de ce mois-ci, un dessin
résume assez bien mon sentiment. On y voit un prof qui
manifeste en portant une pancarte sur laquelle on lit
« Peillon on t’aura ». Mais la pancarte a déjà
servi, plusieurs fois même, et, au dessus de cette
inscription, d’autres noms apparaissent, barrés les
uns après les autres: Monory, Devaquet, Jospin, Lang,
Bayrou, Allègre, Ferry, Darcos… bref, la liste des
précédents ministres de l’éducation nationale. Il semble
en effet impossible en France de mener la moindre
réforme de l’éducation : les enseignants sont
toujours contre. Chez Arcelormittal, chez PSA, chez
Peugeot, chez Michelin, des milliers de travailleurs
voient leurs postes supprimés. Ils sont contre, bien
sûr, ils aimeraient bien « travailler
encore », comme chante Bernard Lavilliers. Mais ils
n’ont pas la chance des enseignants qui, encore une
fois, la grève passée, retrouvent leur job.
C’était la séquence « donneur de leçon », je
sais que c’est un peu grandiloquent. Mais il y a des
jours où je me sens beaucoup solidaire de ceux qui
souffrent vraiment de la crise que des mes ex-collègues.

14
février 2013
: Gastronomie

J’ai dans ma vie mangé bien des variétés carnées un peu
rares, singe, chameau, agouti, caïman, serpent (mais
est-ce carné ?), rat palmiste, chien, cochon d’Inde
et, bien sûr, cheval. Aussi l’histoire des lasagnes
faussement au bœuf ne me fait ni chaud ni froid
mais me pousse plutôt à rire car la supercherie a été
dévoilée en Angleterre où il est impensable de manger du
canasson. De la viande de cheval ! C’est presque
aussi horrible que de la viande de Reine ! Bien
sûr, si j’achetais des plats préparés surgelés je
n’apprécierais guère qu’on me vende autre chose que ce
que j’ai demandé, mais je fais ma cuisine à partir de
produits crus… Tout cela n’a pas beaucoup d’importance,
mais je viens d’apprendre qu’un autre scandale a éclaté
en Angleterre : on aurait trouvé du porc dans des
boulettes de bœuf congelées. Et bien sûr les musulmans
et les juifs sont horrifiés : ciel (c’est le cas de
le dire), du porc ! Pourtant l’idée n’est pas
mauvaise d’habituer les gens à manger, à petites
dose, ce dont ils se privent pour des raisons
médiévales. On pourrait par exemple mettre un peu
d’alcool dans les jus de fruits pour que les musulmans y
prennent goût . Ou ajouter une once de langouste
dans la carpe farcie, pour que les juifs s’y habituent.
Pour donner à cela un aspect militant, l’alcool pourrait
être du rhum de Cuba, ainsi que les langoustes, ce qui
aurait le double avantage de lutter contre l’injuste
blocus américain et de faire évoluer les habitudes
alimentaires. Beau programme, non ? A la fois
internationaliste et moderniste. On pourrait lui trouver
un titre vendeur, genre Anti Hallal, Anti Kasher.
Le problème, j’en suis bien conscient, est que ces
cochons de catholiques mangent de tout. Du porc, des
crustacés… Or il serait injuste de les laisser en dehors
de cette opération. Du coup, j’abandonne mon idée. Mais
la gastronomie mondialisée y perdra.

13
février 2013
: Obscénité

Les enseignants du primaire étaient hier en grève. Pour
la sixième fois depuis deux mois. Je n’ai pas d’enfants
à l’école, je ne suis donc a priori pas concerné, mais,
étant par nature solidaire avec les opprimés, je me suis
demandé pourquoi ces pauvres enseignants se mettaient en
grève, prêt bien sûr à leur apporter mon soutien.
La France est le pays d’Europe dans lequel, à
l’école primaire, le nombre d’heures d’enseignement
quotidien est le plus élevé. Elle est aussi le pays dans
lequel le nombre de jours d’enseignement est le plus
bas, le pays dans lequel les vacances scolaires sont
donc les plus longues. Depuis 2008, les élèves du
primaire n’ont plus cours le mercredi matin. A l’époque,
lorsque le gouvernement prit cette décision, les
enseignants d’enseignants étaient contre. Aujourd’hui,
alors que le nouveau gouvernement veut rétablir cette
demi-journée, les mêmes syndicats sont à nouveau contre.
Cherchez l’erreur. Le ministre explique que les élèves
seront ainsi moins stressés, qu’ils étudieront mieux et
auront en même temps des activités périscolaires, mais
les enseignants sont contre, et j’avoue que leurs
arguments sont obscurs, au point que l’on peut se
demander si leur seul problème n’est pas de refuser de
travailler comme avant le mercredi matin.
Les élèves du primaire n’ont pas non plus cours le
samedi. Là, il s’agit de faire plaisir à certains
parents, les plus aisés, qui veulent pouvoir partir en
week-end dès le vendredi après-midi. Quant au mercredi
matin, il fait bien plaisir aux enseignants qui
jouissent ainsi de trois jours de congés par semaine.
Dans les deux cas c’est le confort des adultes et non
pas le bien des élèves qui est pris en compte. Et,
quitte à passer pour un vieux réac, je dois dire que les
fonctionnaires français me paraissent particulièrement
gonflés. Ils jouissent d’un énorme privilège, face aux
plus de trois millions de chômeurs : la sécurité de
l’emploi. Et à l’heure où, dans des dizaines
d’entreprises, des travailleurs se battent pour tenter
de sauver leur place, voir des fonctionnaires en grève
pour obtenir une augmentation ou pour refuser de
travailler un jour de plus me paraît en effet
singulièrement gonflé. Parmi les fonctionnaires, les
enseignants jouissent d’un autre privilège : ils
ont près de quatre mois de vacances par an. Et, là
aussi, faire grève à répétition me paraît gonflé. En ces
temps de crise, de misère ou de précarité pour une
grande partie de la population, les privilégiés du
système se comportent ainsi comme des irresponsables, et
cela porte un nom : obscénité.

6
février 2013
: Baromètre...

Je vous l'avais annoncé avec un peu de précipitation
(voir le 10 janvier) mais il y avait encore des boulons
à serrer, des surfaces à polir, bref le travail n'était
pas tout à fait au point et il manquait certaines
fonctionnalités un peu compliquées à mettre en ligne.
Mais ça y est, le Baromètre Calvet des langues du
monde est définitivement accessible
(http://wikilf.culture.fr/barometre2012/) sur le site du
ministère de la culture, avec la version 2010 que l'on
peut comparer avec celle de 2012. Ouf! Maintenant on
passe à autre chose...

3
février 2013
: Lecture...

Pour ceux qui lisent le portugais, je viens de publier
dans la revue brésilienne Alea un article sur
Lacan et l’écriture chinoise : « Lacan e a
escrita Chinesa: um inconsciente estruturado como
escrita? » Alea, décembre 2012. Il est en ligne sur
le site suivant : www.scielo.br/alea

30
janvier 2013
: Information

Chaque fois qu’il y a en France une manifestation,
régulièrement, nous disposons de deux évaluations du
nombre de manifestants : celle des organisateurs et
celle de la police, la première étant généralement le
double de la seconde. Ainsi, le 13 janvier dernier les
organisateurs de la manifestation contre le
« mariage pour tous » annonçaient 800.000
manifestants (ils « arrondiront » ensuite à un
million…) tandis que la police les évaluait à 340.000,
et le 27 janvier les organisateurs d’une manifestation
pour annonçaient 400.000 manifestants et la police
« plus de 120.000 ». Dans les journaux
télévisés, à la radio et dans la plupart des quotidiens
on annonce ces deux sources : « selon les
organisateurs… selon la police… », et chacun peut
se forger son opinion, faire la moyenne des deux
chiffres ou s’en foutre. J’ai écrit « la plupart
des quotidiens » car il y a une exception, Le
Figaro. Pour la première manifestation il titrait
« selon les organisateurs, près d’un million de
personnes ont défilé dimanche à Paris », sans
donner le chiffre de la police, et pour la seconde
« le défilé dimanche à Paris a rassemblé un peu
plus de 120.000 personnes », sans donner le chiffre
des organisateurs.
Vous avez besoin de commentaires ?

27
janvier 2013
: And the winner is...

Baptiste Vignol vient de sortir un livre, Le top
100 des chansons que l’on devrait tous connaître
(éditions Didier Carpentier) pour lequel il a demandé à
275 chanteurs, paroliers et compositeurs et à 69
« spécialistes » de la chanson, parmi lesquels
votre serviteur, de répondre à la question :
« Quelles sont vos dix chansons francophones
préférées ? Le résultat en est donc une liste de
cent chansons, présentées dans le livre en ordre inversé
(de la centième à la première) avec, chaque fois, une
notice sur la chanson et sur son auteur ou son
interprète. Vous y trouverez aussi, pour les 344
personnes interrogées, la mention des dix chansons
qu’elles ont choisies.
Avant de vous donner la chanson qui l’a emporté,
quelques réflexions. Tout d’abord ce sont les
« anciens » qui viennent largement en
tête : Gainsbourg est cité dix fois, Brassens neuf
fois, Ferré et Brel sept fois, Barbara six fois, et les
autres sont loin derrière. Il s’agit là, vous l’aurez
noté, d’ ACI (auteur-compositeur-interprète), cités pour
des chansons qu’ils ont écrites et également chantées.
Et le seul artiste récent, une artiste en fait, est
Camille pour Ta douleur, mais à la
quatre-vingt-unième place. Cela confirme, mais en partie
seulement, de nombreuses enquêtes que j’ai faites
auprès d’étudiants à l’étranger et en France
pendant une quinzaine d’années, dans lesquelles on
voyait systématiquement Brassens en tête, Gainsbourg pas
très loin, et autour d’eux des artistes très
récents : les gens du métier sont donc dans leurs
goûts plus « classiques » ou moins branchés
sur l’actualité que les étudiants.
Les choses sont plus compliquées pour les interprètes.
Edith Piaf par exemple est citée trois fois dont une
pour Milord (mais le texte est de Georges
Moustaki, la musique de Marguerite Monnot), Yves Montand
est cité pour Le Temps des cerises , chanson
datant de 1868, ou Les Feuilles mortes (de
Prévert et Kosma) ou encore Juliette Gréco est citée
pour Le Bal perdu (de Robert Nyel et Gaby
Verlor). Certaines chansons échappent ainsi à leurs
auteurs. Syracuse, merveille concoctée par
Bernard Dimey est Henri Salvador, est ainsi
« attribuée » à Yves Montand, qui hérite
également d’A bicyclette (de Pierre Barouh et
Francis Lai). Bref on retrouve derrière ce palmarès le
partage des tâches qui caractérise la chanson en
général (un auteur, un compositeur, un interprète)
et la spécificité de la chanson francophone (les ACI,
qui remplissent ces trois fonctions).
Mais, me direz-vous, qui a gagné, ou plutôt quelle
chanson a gagné ? Silence, suspense, roulement de
tambour, and the winner is… Avec le temps, de
Léo Ferré. Derrière elle, et dans cet ordre, pour les
dix premières, La nuit je mens (Alain
Bashung), Mistral Gagnant (Renaud), La
Javanaise (Gainsbourg), Ne me quitte pas (Brel),
La chanson des vieux amants (Brel), La
mémoire et la mer (Ferré), Je suis venu te
dire que je m’en vais (Gainsbourg), Foule
sentimentale (Souchon) et Que reste-t-il de
nos amours (Charles Trenet). Une domination totale
d’ACI, donc. Maintenant la réponse à une question que
vous ne vous posez peut-être pas, mais qu’importe :
pour qui ai-je voté ? And the winners are (dans un
ordre indifférent) L’écharpe (Maurice Fanon), Avec
le temps (Léo Ferré), San Francisco (Maxime
Le Forestier), Nantes (Barbara), Animal on
est mal (Gérard Mancet), Tranche de vie (François
Béranger), Les mains d’or (Bernard Lavilliers),
Alexandrie (Georges Moustaki), Les passantes
(Georges Brassens) et L’encre de tes yeux (Francis
Cabrel). Je sais, ça ressemble à un test projectif. Mais
vous pouvez vous y essayer. Alors je lance une
consultation : quelles sont les chansons que vous
auriez choisies ?

18
janvier 2013
: Marchandises

On apprend toujours des choses en observant sur le long
terme les petits changements formels dans les média.
Ainsi, jusqu’à il y a une vingtaine d’années, on lisait
dans les pages littéraires du Monde, du Figaro
ou de Libération qu’un livre avait
été traduit « de l’anglais » ou « de
l’espagnol »… Peu à peu s’est mis en place un
système aujourd’hui généralisé : « traduit de
l’anglais (USA) » ou « traduit de
l’américain », de « l’australien » et,
pour ce qui concerne l’espagnol, « de l’espagnol
(Argentine) » ou « du cubain », ou
encore, pour ce qui concerne le portugais, "du
brésilien". Derrière ces variations l’idée bien sûr que
les langues changent, prennent des couleurs locales,
et/ou que les traducteurs sont particulièrement
compétents puisqu’ils peuvent traduire de l’espagnol
spécifiquement cubain ou de l’anglais spécifiquement
australien ou du portugais spécifiquement brésilien. Et
nous trouvons bien sûr la même chose à propos de
traductions vers l’anglais ou l’espagnol « du
français québécois » ou « du français
sénégalais ». Mais ce n’était qu’un exemple.
Ce qui me frappe en effet depuis quelques semaines est
une tendance (essentiellement pour l’instant dans Le
Nouvel Observateur, mais cela pourrait s’étendre)
à indiquer lorsqu’on parle d’un auteur et de son livre,
du tirage. Oui. On précise que tel livre a été tiré à
10.000, 20.000 ou 50.000 exemplaires. Or cette donnée,
sans doute importante pour les directeurs commerciaux,
ne m’intéresse guère lorsque je lis un article sur le
contenu d’un livre. Il y a longtemps déjà que la plupart
des journaux donnent une sorte de palmarès des ventes de
la semaine, voilà qu’avant même la sortie du livre on
nous donne son tirage. Ce qui signifierait qu’il
faudrait lire tel livre parce qu’il a eu un gros tirage,
et peut-être pas tel autre parce qu’il a un tirage plus
limité. Ce mélange des genres, ou des références
institue un parallélisme inquiétant entre consommation
(ou prévision de consommation pour ce qui concerne les
tirages) et qualité . Ce film a eu X millions
spectateurs, donc il est bon. Cette huile est vendue à X
millions d’hectolitres donc elle est bonne. Ce livre a
été tiré à X mille exemplaires donc… Ce qui est à
la fois une curieuse conception de la critique
littéraire et l’installation, peu à peu, de l’idée que
le livre est une marchandise comme les autres.
Le dernier pour la route (mais là aussi il s'agit de
marchandises) : le ministre algérien de l’intérieur
a déclaré hier : « nous avons neutralisé un
certain nombre d’otages… pardon, de
terroristes ». Nous vivons une époque
moderne !

15
janvier 2013
: Le temps ne fait rien à l'affaire, suite

Quand je vous disais hier que la liste de conneries que
je donnais était incomplète ! Un certain Yves
Simon, non, pas le chanteur-écrivain, mais l’ancien
député UMP de l’Allier (élu en 2002, puis battu en
2007), actuellement maire de Meillard (Allier) a écrit
sur son blog le samedi 12 janvier une analyse qui
m’éblouit par son intelligence. Il parle de
l’intoxication médiatique orchestrée par le régime
socialiste, je vous donne son billet dans sa totalité
mais c’est surtout la deuxième partie qui
m’intéresse :
« A-t-on encore le droit de s'interroger en France
socialiste?
Chérèque est nommé IGAS la semaine dernière
et la CFDT vote l'accord minimal avec le patronat! Que
n'aurait-on pas dit si la droite avait menacé de voter
une loi contraignante en cas de désaccord? On aurait
parler d'ingérence, de régime dictatorial et les
syndicats auraient quitté la table des négociations.
Voilà l'intoxication médiatique à l’œuvre
socialiste.
Deuxième sujet, l'intervention militaire de
la France au Mali, la veille de la grande manif à Paris!
Pas une photo, pas un téléphone portable sur place....
pas un militaire français... Le Président Malien à la
demande de Paris fait une demande d'intervention alors
que les exactions durent depuis des mois! La ficelle
médiatique est énorme à la veille de la manif de Paris
pour détourner les regards des caméras. Il ne manque
plus qu'une intervention d'Hollande au 20 h. dimanche et
le paquet anti manif sera ficelé! »
Ainsi il n’y aurait pas de guerre au Mali, pas de
soldats français, pas de morts. Tout cela était une
manœuvre pour éviter que l’on parle de la manifestation
anti mariage pour tous. Il fallait le trouver,
non ? Comme l’écrivait Michel Audiard dans les
dialogues du film Les Tontons
flingueurs : «Les cons ça ose tout, c'est
même à ça qu'on les reconnaît"

14
janvier 2013
: Le temps ne fait rien à l'affaire

Je me soucie du « mariage pour tous » comme
de ma première chemise ou, mieux, de mes premiers
langes. Mais nous sommes soumis en ce moment à un
déferlement de conneries dont la liste suivante ne vous
donnera qu’une faible idée.
Connerie : Le battage médiatique nous rebat les
oreilles depuis des semaines (tiens, à propos de
rebattre les oreilles, j’ai entendu hier soir Laurent
Wauquiez, qui a il est vrai de grandes oreilles,
déclarer que le gouvernement socialiste lui rabattait
les oreilles, comme quoi on peut avoir fait l’ENA, avoir
été député, puis ministre, et ne pas connaître le
français, à moins qu’il ne s’agisse d’un lapsus révélant
un espoir secret), le battage médiatique donc nous rebat
les oreilles de cette histoire de « mariage pour
tous ». Quand on sait qu'aujourd'hui en France les
couples homos représentrent 1% de l'ensemble des
coyples, cela fait beaucoup de bruit pour rien.
Connerie : Nous savons tous que les candidats au
mariage sont aujourd’hui essentiellement les prêtres et
les homosexuels. Pour les prêtres, nous n’avons guère
les moyens de décider (mais si l’Eglise se décidait,
cela diminuerait peut-être la pédophilie). Pour les
homos, la réforme sera de toute façon adoptée par
l’Assemblée Nationale et, dans dix ou quinze ans, le
"mariage pour tous" paraîtra normal à tout le monde. La
société évolue ainsi, par petits sauts.
Connerie : Le mariage « gay » entrera
donc dans notre culture d’ici quelques années (ce
n’est pas là la connerie) et les gays
découvriront les joies du mariage triste :
scènes de ménage, divorce, pension alimentaire….
Bienvenue au club ! Mes amis avocats disent en
plaisantant que cela leur fera des clients.
Connerie : le PACS, que l’on croyait fait sur
mesure pour les homos, a été majoritairement utilisé par
des hétéros. Les homos veulent-ils ou vont-ils
réellement se marier, ou n’est-ce qu’une revendication
symbolique ? Mes amis avocats se rongent les ongles
en invoquant tous les dieux: Pourvu qu'ils se marient,
pourvu qu'ils se marient, et qu'ils divorcent ensuite...
Connerie encore : la manifestation qui a eu lieu
hier à Paris . La droite catholique s’émeut. Ce que
j’en ai vu à la télévision (vous imaginez que je n’y
étais pas) m’a donné à voir tout ce que je déteste. Des
femmes avec quatre ou cinq voire six gamins (les
catholiques n’ont-ils pas encore découvert la
contraception ?). Des gamins contraints de venir
manifester, certains chialant, et dont les parents
prétendaient qu’ils savaient pourquoi ils étaient
là. Une moyenne d’âge (si j’enlève les enfants martyrs)
au delà de ce qui est imaginable. Tout ça habillé comme
on peut l’imaginer, entre foulards Hermès et fringues
youkaïdi youkaïda. Beurk !
Pour finir la cerise sur le gâteau, une super connerie.
J’arrive un peu tard, cela s’est passé le 24 décembre,
mais je devais être occupé à autre chose. Christine
Boutin a ce jour-là déclaré sur iTélé que les
homosexuels "peuvent se marier naturellement: mais il
faut qu'ils se marient avec une autre personne d'un
autre sexe, pas avec le même sexe". C’est beau,
non ? Les homos peuvent bien sûr se marier, à
condition qu’ils deviennent hétéros.
Evidemment nous avons eu droit à la guerre des
chiffres, ceux de la police et ceux des organisateurs,
pour savoir combien il y avait de manifestants.
Qu’importe ! Comme le chantait Brassens,
« quand on est plus de deux on est une bande de
cons ». Et tant qu’à citer le vieux Georges,
puisque les lardons avaient été mobilisés avec leurs
arrières grands-pères : « Le temps ne
fait rien à l’affaire, quand on est con, on est con,
qu’on ait vingt ans qu’on soit grand-père, quand on est
con, on est con…

10
janvier 2013
: Baromètre

Certains d’entre vous m’ont écrit qu’ils n’arrivaient
plus à trouver sur la toile notre baromètre des langues
du monde. En fait l’Union Latine, qui l’accueillait sur
son site, n’existe plus. Mais le baromètre vient
d’entamer une nouvelle vie. Il se trouve maintenant sur
le site de la Délégation générale à la langue française
et aux langues de France (www.dglf.culture.gouv.fr)
et vous y trouverez deux versions. La version 2010 et la
mise à jour 2012, considérablement augmentée et mise à
jour. En 2010 nous prenions en compte les langues ayant
plus de 5 millions de locuteurs (soit 137 langues), nous
prenons en compte dans la version 2012 les langues ayant
plus de 500.000 locuteurs (soit 563 langues).
L’utilisateur pourra donc comparer les deux versions et
verra en particulier que la hiérarchie a varié, en
particulier en tête du classement. Bonne visite.

7
janvier 2013
: Ils sont fous ces Gaulois!

Vous aurez reconnu dans mon titre le détournement d’une
formule récurrente dans les albums d’Astérix, ils
sont fous ces Romains. En fait j’aurais dû écrire
il est fou ce Gauloi, et elle est folle cette
Gauloise, puisque c’est à Gérard Depardieu et à
Brigitte Bardot que je fais allusion. Le premier, comme
on sait, vient d’obtenir un passeport russe. Les
méchantes langues disent que ça ne fera jamais qu’un
alcoolique de plus en Russie, mais nous sommes là dans
de si grands nombres que son arrivée ne sera jamais
qu’une goutte de vodka de plus dans la Volga. La seconde
menace pour sa part de faire de même si l’on euthanasie
les deux éléphants malades du zoo de Lyon, qui portent
les doux noms de Baby et Népal. Depardieu pourra donc
désormais pisser à loisir sur les moquettes de la
compagnie Aeroflot et rouler en scooter et pris de
boisson (je sais, c’est un zeugme, et c’est en outre,
concernant Depardieu, une tautologie ) sur la place
Rouge. Quant à Bardot, on se demande pourquoi elle
ferait ce choix. Il faut bien sûr saluer son juste
combat pour les éléphants et sa courageuse décision de
quitter la France, ce pays éléphantophobe notoire. Mais
pourquoi la Russie ? Les méchantes langues, encore
elles, susurrent qu’on y trouve d’excellents chirurgiens
esthétiques et que les cures d’amaigrissement y sont bon
marché, mais il ne faut pas croire les méchantes
langues. Non, Bardot a sans doute de plus nobles
raisons. Mais lesquelles ?
Quoi qu’il en soit, ces départs annoncés vers la douce
démocratie russe devraient servir d’exemple à d’autres
Français. Nadine Morano par exemple, qui n’a pas réussi
à retrouver son siège de député, pourrait tenter sa
chance à la Douma. Et Jean-François Copé, qui se demande
s’il retrouvera son poste de patron de l’UMP, pourrait
très bien entamer une nouvelle carrière démocratique en
Russie, il trouverait bien un parti qui n’attend que
lui. Je vous laisse le soin d’allonger la liste de ces
partants potentiels, car elle pourrait être
longue : les vrais démocrates savent que le Kremlin
correspond plus à leurs choix que l’Elysée…
Cela n’a pas grand chose à voir mais, dans les
traductions italiennes d’Astérix, la phrase d’Obélix, ils
sont fous ces Romains, devient sono pazzi
questi romani, formule qui a l’avantage de donner
en sigle SPQR, le symbole de la république romaine
(Senatus Populusque Romanus), mais ils sont fous ces
Gaulois ne donne rien de semblable. Encore que…
Dans ISFCG on peut en effet distinguer ISF, l’impôt sur
la fortune, et CG, quelque chose comme Contribution
Généralisée. Finalement, ils ne sont pas si fous…

3
janvier 2013
: Charb et Charlie le nez dans le caca

Vous vous en souvenez peut-être, c’était en juillet
2008, le 2 pour être exact, et Siné dans sa chronique de
Charlie Hebdo se payait la tronche du fils
Sarkozy : « Jean Sarkozy, digne fils de son
paternel et déjà conseiller général de l'UMP, est sorti
presque sous les applaudissements de son procès en
correctionnelle pour délit de fuite en scooter. Le
Parquet a même demandé sa relaxe ! Il faut dire que
le plaignant est arabe ! Ce n'est pas tout :
il vient de déclarer vouloir se convertir au judaïsme
avant d'épouser sa fiancée, juive, et héritière des
fondateurs de Darty. Il fera du chemin dans la vie, ce
petit ! » Aucune réaction dans l’instant, ce
n’est que quinze jours plus tard que Philippe Val, alors
directeur du journal, annonce que Siné est licencié,
avant même que ce dernier n’en soit légalement averti.
Motif : antisémitisme. De très nombreuses personnes
protestent comme cette décision, Télérama écrit
qu’en «renvoyant le dessinateur Siné pour
“antisémitisme”, Philippe Val, le directeur de “Charlie
Hebdo”, s'est rangé du côté des censeurs qu'il prétend
combattre. Dans sa chronique, qui visait Jean Sarkozy,
Siné était pourtant fidèle à son goût de la provoc' et
de l'outrance » et que « Philippe Val, le
directeur de Charlie Hebdo, l’ignore sans
doute, mais il a au moins un point commun avec Nicolas
Sarkozy : l’art consommé du pétage de plombs». Mais
il n’a pas que cela en commun avec le Président
d’alors : Moins d’un an plus tard, Jean-Luc Hees,
vieil ami de Val, est nommé par Sarkozy à la direction
de Radio-France et nomme Val à la direction de
France-Inter. Entre temps Siné avait porté plainte pour
licenciement abusif. Charlie Hebdo sera
condamné une première fois à lui payer 40.000 euros,
fera appel et sera de nouveau condamné, le 14 décembre
dernier, à 90.000 euros. Fin du premier acte. Dans son
numéro du 26 décembre, l’hebdomadaire publie la
condamnation en une (je suppose qu’il y était obligé,
mais je n’ai pas lu le jugement : « Par
arrêt partiellement confirmatif du 14 décembre 2012,
la cour d’appel de Paris Pôle 5 chambre 2 a condamné
la société Les EDITIONS ROTATIVE, société éditrice du
journal CHARLIE HEBDO à payer à Maurice SINET dit SINE
la somme de 90.000 euros à titre de dommages intérêts
pour rupture abusive de de leur collaboration à la
suite de la parution de la chronique de Siné, dans le
numéro du 2 juillet 2008 ». Mais, au dessus
de cette annonce légale figure un dessin titré
« Bonne année Siné ! » sur lequel on voit
la tête de Siné jaunâtre (il est en ce moment malade),
sous perfusion (mais le tube de perfusion plonge dans
une bouteille de champagne) et à côté, deux petits
bonhommes. L’un dit : « Et surtout la
santé ! ». L’autre ajoute :
« Arrête ! Il va nous faire un
procès ! ». Dans un article du même numéro on
lit en outre que « cette condamnation nous coûte
plus cher que tous les procès que l’extrême droite nous
a intenté » et se termine pas « il ira loin
dans la vie, ce petit… ».
On peut trouver cela répugnant, dégueulasse, tout ce
qu’on voudra. Je m’en tiendrai à un commentaire
minimaliste en disant que Charlie Hebdo et son
actuel directeur, Charb, sont de bien mauvais perdants.
Et que je persisterai dans ma décision de ne plus
acheter ce journal.

2
janvier 2013
: Amarsissage

L'heddomadaire Télérama avait demandé à une
vingtaine d'intellectuels et d'artistes d'écrie, pour
son dernier numéro de l'année, un court texte exposant
ce qui les avait frappés en 2012. Comme vous ne lisez
peut-être pas tous cet estimable journal, je vous donne
ci-dessous ce que j'ai écrit sur ce thème.
Si l’on en croit le dictionnaire Robert, le
verbe atterrir date de la fin du 18ème
siècle, utilisé pour les aérostats, amerrir
de 1912, créé sur le modèle d’atterrir, et alunir
de 1930. La succession de ces néologismes est donc
parallèle au progrès technologique : les aérostats,
les dirigeables puis les avions pour atterrir,
les hydravions pour amerrir et enfin l’idée
d’aller sur la lune pour alunir. Il était en
effet difficile de dire qu’on allait atterrir sur la
une, la racine terre étant trop présente
dans ce verbe. Atterrir avait donc cédé la
place, tout en imposant ses dérivations : Atterrir
/ atterrissage, amerrir / amerrissage, alunir /
alunissage…
Mais nous avons là une exception dans la langue
française. Il y a longtemps en effet que,
systématiquement, les verbes du premier groupe dominent
dans la néologie : ce sont les plus réguliers, les
plus faciles à conjuguer. On en voit même certains venir
remplacer des verbes anciens : face à résoudre
par exemple, malaisé à conjuguer (que nous
résolvions !), solutionner s’est
imposé, au grand dam des puristes. Et nous pouvons ainsi
prévoir que le premier groupe va, dans l’avenir, se
systématiser, en épargnant bien sûr quelques rares
verbes irréguliers ou d’autres groupes dont nous ne
pouvons pas nous passer…
C’est pourquoi, lorsqu’au début du mois d’août les
Américains ont envoyé sur la planète mars le robot Curiosity,
le linguiste que je suis attendait avec intérêt la façon
dont la presse allait rendre compte de l’évènement. Le
Monde du 7 août relata l’événement en titrant en
première page : Le récit de l’amarsissage
réussi de Curiosity. Dans les pages intérieures on
trouvait le même « amarsissage » mais entre
guillemets, et dans le cours de l’article « s’est
posé sur Mars » alternait avec
« amarsissage ». Mais aucun autre organe n’osa
le néologisme.
Le Huffington post par exemple parlait de « l’atterrissage
sur Mars du robot Curiosity » et Libération
pour sa part titrait« Curiosity s’est posé
hier ». Alunir s’est donc bien
installé mais amarsir semble gêner les gens.
D’ailleurs, parallèlement, un débat avait lieu sur le
site du Monde : «Doit-on dire
« amarsissage » ou « atterrissage sur la
lune » ? On y rappelait qu’amarsissage n’était
reconnu ni par l’Académie française ni par l’Académie
des sciences, que la terre d’atterrissage
n’était pas la planète Terre mais l’élément
terre, et qu’en choisissant la solution du néologisme on
serait un jour peut-être obligé de parler d’ avénussissage
ou d’ ajupiterissage. Nous n’en sommes, bien
sûr, pas encore là… Notons au passage que cette question
ne se pose pas en anglais puisque la Terre s’y dit earth
et la terre land : on ne parle donc pas de
earthing, mooning ou marsing mais
de landing. Amarssisage ou attérir sur Mars
est donc un problème bien de chez nous…
Cependant amarssissage a vu le jour, et la
pratique des locuteurs francophones nous dira si le mot
aura une longue vie (après tout, alunir a mis
un certain temps à s’imposer) ou s’il disparaîtra.
L’histoire de la langue est faite d’innovations d’abord
refusées et qui, parfois, perdurent. S’il peut être
considéré comme « le mot de l’année », ce
n’est donc pas seulement en référence à un progrès
technique, mais aussi, et peut-être surtout, à
l’évolution de la langue
|