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24 décembre 2011 : Les harkis ne manquent pas d'air
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Il y a une quarantaine d’années, en 1970 ou 1971 (il faudrait que je consulte mes carnets de bal pour être plus précis), j’avais longuement interviewé Yves Montand chez lui, place Dauphine, pour l’article que je préparais sur lui dans un livre paru en 1972, Cent ans de chanson française. Je dois dire que j’avais été à la fois impressionné (j’avais moins de trente ans et me trouvais face à un mythe) et déçu. Je l’avais trouvé un peu fat, un peu limité, et j’avais surtout été étonné de le voir, pendant deux heures, surveiller du coin de l’œil le photographe venu avec moi. Il ne voulait absolument pas qu’on le prenne du côté droit, pensant sans doute avoir un mauvais profil, et dès que le photographe passait du mauvais côté il le rappelait à l’ordre : « Non, petit, tu seras mieux là… ». Mais bref, j’ai toujours eu beaucoup d’admiration pour le chanteur comme pour l’acteur, et ces petites choses ne pèsent guère. Hier soir, j’ai vu à la télévision une émission présentée par Laurent Delahousse et consacrée à la vie de Montand, intéressante, comme tout ce que fait Delahousse. Un passage m’a particulièrement retenu. Après la mort de Simone Signoret, en 1985, Signoret qui était la tête pensante et politique du couple, ou de ce qu’il en restait, Montand s’était cru pendant quelques temps un avenir présidentiel. Deux émissions de télé, l’une sur la politique et l’autre sur la crise, l’avaient plongé dans un tourbillon médiatique et beaucoup croyaient qu’il serait candidat en 1988. Cela, nous étions beaucoup à le savoir, et à en ricaner, mais il s’était repris : Montand ne serait pas Reagan. Ce que je ne savais pas en revanche, et que j’ai appris hier, c’est deux de ses amis le poussaient dans cette direction, André Glucksmann et Bernard Kouchner, aujourd’hui ralliés au sarkozysme. Bien sûr Yves Montand n’est pas responsable, vingt ans après sa mort, de la dérive de ses anciens amis, ayant trahis leurs idéaux. Une question un peu bête m’a cependant taraudé : Montand serait-il aujourd’hui sarkozyste? Je sais, cela n’a aucun sens. Mais voir Glucksmann et Kouchner parader en parlant de lui et, surtout, de Signoret m’a tout de même mis les boules. Ces harkis, décidément, ne manquent pas d’air. La grande Simone leur aurait donné une fessée.

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fleche23 décembre 2011 : Lois électorales

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Les dénégations de la Turquie à propos du génocide subi par les Arméniens en 1915 sont à la fois ridicules et insupportables mais ce comportement inexcusable n’excuse en rien le petit jeu de Sarkozy, aidé en cela par son équipe de supplétifs arméniens au premier rang desquels Patrick Devedjian. L’Assemblée nationale française a donc voté hier en première lecture une loi visant à réprimer la négation des génocides. C’est-à-dire que, si cette loi était finalement adoptée, nous n’aurions pas le droit de dire que le génocide des Juifs, des Hutus ou des Arméniens n’a pas existé. D’où la fureur des Turcs, qui sont aujourd’hui les champions du monde du négationnisme. Vu sous cet angle unique, l’événement ne mériterait guère de commentaire. Mais le problème est ailleurs. Tout d’abord la France connaît depuis quelques années une intrusion de la loi dans des domaines que l’on croyait réservés à l’histoire. Loi Gayssot contre le négationnisme (1990), loi Taubira sur la reconnaissance de l’esclavage (2001), loi sur le rôle positif de la colonisation (2005),  loi sur la reconnaissance du génocide arménien (2006) : l’Assemblée Nationale a décidé non pas de ce qui était interdit ou punissable mais de ce qui était historiquement vrai et qu’on n’avait pas le droit de mettre en question. Ces interventions législatives ont suscité bien des protestations, venues bien sûr des pays anciennement colonisés et de la Turquie, mais surtout des historiens qui se demandent ce que des députés ou des sénateurs ont à faire dans un débat sur des points d’histoire. On peut en effet trouver risible cette prétention des politiques à dire l’histoire et souhaiter que l’on laisse les historiens faire leur travail. Mais l’épisode de la loi votée hier pose d’autres questions. Pourquoi la France serait-elle le seul pays au monde à voter de telles lois ? Aurait-elle une vocation de redresseuse de torts ? Serait-elle porteuse de la vérité universelle ?

Il faut en fait chercher ailleurs l’explication de cet étrange ballet parlementaire. Certains commentateurs disent qu’en mettant le gouvernement turc devant ses mensonges Sarkozy rendrait définitivement impossible l’adhésion de la Turquie à l’Europe. Mais il y a longtemps que les Turcs savent qu’ils n’intégreront jamais l’Union Européenne, et ce raisonnement ne tient pas. La vérité est ailleurs. Il y a, en France, environ 500.000 électeurs d’origine arménienne, et c’est leur vote qui est visé. La loi votée hier ne sera sans doute jamais définitivement adoptée mais elle sera d’évidence évoquée pendant la campagne électorale : souvenez-vous, électeurs d’origine arménienne, que c’est Sarkozy qui a voulu faire passer cette loi ! Edgar Faure avait fait passer en 1966 une loi créant une niche fiscale au bénéfice des fabricants de pipes de Saint-Claude, dans le jura, circonscription dont il était député. Je ne sais pas combien il y avait à l’époque d’électeurs fabricants de pipes, mais Sarkozy devrait faire l’inventaire de ces sous-groupes, ces communautés qu’il convient de caresser dans le sens du poil. Dans ma grande mansuétude, je lui en propose une première liste. Les Pieds Noirs, bien sûr, bien plus nombreux que les descendants d’Arméniens, les propriétaires de chiens et de chats, avec une possibilité de cibler plus précisément (propriétaires de teckels, de chats persans, de lévriers, des caniches, de chats de gouttière, etc…), les amateurs de jazz ou de bossa nova, les abonnés à La vie catholique, les consommateurs de foie gras, les natifs des gémeaux ou de l’année du cheval dans le système chinois, les porteurs de lunettes, les gauchers, les éleveurs de lamas, les motards, bref je ne vais pas vous étouffer sous une liste qui pourrait être longue mais Sarkozy, s’il veut gagner des voix, a tout intérêt à viser plus large que ces quelques Arméniens. En outre, s’il fait voter une loi au bénéfice de chacune de ces catégories, les Pieds Noirs, les propriétaires de chiens et de chats, les amateurs de jazz ou de bossa nova, les abonnés à La vie catholique, les consommateurs de foie gras, les natifs des gémeaux ou de l’année du cheval dans le système chinois, les porteurs de lunettes, les gauchers, les éleveurs de lamas, les motards, etc., non seulement il gagnera des électeurs mais en outre il ne mettra pas en péril les exportations françaises en Turquie, par exemple les exportations de sous-vêtements affriolants à porter sous le voile islamique, ou les exportations d’armes à diffuser un peu partout, ou encore le matériel aéronautique militaire… Ajoutons-y, dans l’autre sens, le fait que l’importation en France de loukoums ou de raki ne sera pas menacée. Bref, oubliez les Arméniens et penchez-vous sur le lamentable sort des Pieds Noirs, des propriétaires de chiens et de chats, des amateurs de jazz ou de bossa nova, des abonnés à La vie catholique, des consommateurs de foie gras, des natifs des gémeaux ou de l’année du cheval dans le système chinois, des porteurs de lunettes, des gauchers, des éleveurs de lamas, des motards, sans oublier les lecteurs de ce billet débile : eux aussi sont des électeurs.

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fleche19 décembre 2011 : Le petit ministre

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Alain Souchon vient de sortir un disque un peu particulier. Cela s’appelle A cause d’elles, et il s’agit de chansons de sa jeunesse, de chansons que lui chantaient ses parents et qui, dit-il, lui ont donné envie de devenir chanteur, d’où le titre de l’album. Ca va de J’ai lié ma botte à En sortant de l’école, de La VChanson de Marianne à Menphis Tennessee (oui, le succès de Chucxk Berry). Mais au milieu de tout ça, une surprise, L’hirondelle. Il s’agit à l’origine d’un texte très court, qu’il chante a cappella :

« Qu’est-ce qu’elle nous a fait, la p’tite hirondelle

Elle nous a volé trois p’tits sacs de blé

Nous la rattraperons la p’tite hirondelle

Et nous lui donnerons trois p’tits coups d’bâton »

Sauf que Souchon a ajouté un second couplet :

« Qu’est-ce qu’il nous a fait, le petit ministre

Il nous a volé trois p’tits sacs de blé

Nous le rattraperons le petit ministre

Et nous lui donnerons trois p’tits coups d’bâton »

C’est tout, et c’est magnifique, cette façon d’ancrer la conscience citoyenne dans la mémoire des chansons de notre jeunesse. En outre, ce disque est vendu au profit de la lutte contre le cancer chez les enfants. Au moins deux raisons de l’acheter. Et n’oubliez pas, ne quittez pas le petit ministre des yeux. Il pourrait bien tenter un autre coup.

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fleche17 décembre 2011 : Sodade, saudade

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Sodade c’est quelque chose comme le « vague à l’âme », la « nostalgie », en créole capverdien, la langue de Cesaria Evoria, la papesse de la morna, qui est morte hier, à 70 ans. Elle avait été découverte hors de son archipel en 1988, à presque cinquante ans, et sa voix entre douceur et douleur en avait scotché plus d’un. Je l’avais vue, à cette époque, sur la scène du printemps de Bourges, pieds nus, charriant ses musiciens et tétant parfois, entre deux chansons, une bouteille de cognac déposée à côté de son sac à main. Plus récemment, en novembre 2009, je l’ai revue à Paris, sur la scène du Grand Rex. Nous avions changé d’époque, étions passés à l’ère du politiquement correct et de la traque anti-fumeurs. Et je vois soudain cette petite vieille laisser ses musiciens accompagner un chanteur invité, allumer une sèche et aller la fumer vaguement cachée derrière la batterie, ses volutes montant dans la lumière des projecteurs comme un chant entonné par des milliers de manifestants. Rien que pour ça, pour ce pied de nez à l’hypocrisie, merci ! Elle fumait, elle buvait mais, surtout, elle chantait. Il faut donc l’écouter, écouter aussi Elle chante, un duo enregistré avec Bernard Lavilliers, une chanson dans laquelle il la croquait avec gourmandise et talent : « Elle chante un peu voilée … une mélodie sans paroles, hors du temps…  mais d’où lui vient cette infinie douceur… ces belles mains quand elles se posent sur une épaule ou sur mon bras… on oublie la mort, on s’en va ». Et il concluait par deux mots, « la fragilité et la force ».  Sodade, donc.

Saudade, c’est à peu près la même chose que sodade, mais en portugais, et ce doit être le sentiment des parents des passagers du vol Air-France Rio-Paris qui s’est écrasé en juin 2009. Hier François Fillon était au Brésil et il est allé nous dit-on se recueillir devant le mémorial érigé en souvenir de ces victimes. Et en même temps, il cherche toujours à vendre des Rafales aux Brésiliens ! Il ne manque pas d’air, Fillon.

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fleche16 décembre 2011 : Cartes

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Vient de sortir un hors série du Monde et de La Vie, L’Atlas des minorités, qui en  186 pages et 200 cartes couvre à peu près toutes les situations, toutes les approches, tous les types de minorités. On y trouve de tout, de la langue de bois parfois à quelques idées nouvelles, et surtout des cartes. J’aime bien les cartes lorsqu’elles sont heuristiques, qu’elles font réfléchir et nous mènent plus loin que la simple représentation graphique de données chiffrées. Prenons deux exemples concernant mon domaine de compétence, celui des langues et de la politique linguistique. Le premier est une carte présentant la trentaine de pays ayant signé la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, et une différence de couleurs fait ressortir ceux qui l’ont également  ratifiée. Deux pays sautent alors aux yeux, la France et l’Italie, cernées par les nombreux pays étant allés jusqu’au bout, et partageant avec la Moldavie et la Russie le fait de ne pas avoir ratifié le texte. A partir de ça, vous pouvez réfléchir, vous demander ce qu’il y a de commun entre la France, l’Italie, la Moldavie et la Russie, et pourquoi ils se singularisent ainsi dans le domaine de la politique linguistique.

Le second exemple est plus intéressant encore. Une carte présente la biodiversité dans le monde et montre qu’elle est forte dans trois zones, l’Amérique centrale et une partie de l’Amérique du sud, l’Afrique centrale et de l’est, l’Inde et la Mélanésie. Une autre carte montre la diversité linguistique : Amérique centrale, Afrique centrale, Mélanésie. La superposition des deux pose alors une question : y a-t-il un rapport entre biodiversité et diversité linguistique, et si oui, lequel ? Voilà, avant les fêtes vous avez de quoi réfléchir un peu.

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fleche12 décembre 2011 : Taxis

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Rassurez-vous, je ne vais pas vous parler de la série de films éponymes (Taxi 1, 2, 3…). Le taxi est pour moi, de façon générale, un excellent terrain d’enquête. Il suffit de le brancher et le chauffeur vous raconte tout et davantage encore sur sa vie, sa ville, sa   vision du monde, une véritable coupe sociologique. A Paris plus particulièrement, les taxis vous permettent de vous renseigner sur l’état de la « pensée » populiste, réac, enfin pour la partie blanche, car vous avez aussi des chauffeurs blacks ou beurs un peu plus nuancés. Je viens justement de passer cinq jours à Paris, d’où mon absence sur ce blog, et j’ai pu apprécier l’avancée du « dossier taxi ». Vous voyez de quoi je veux parler ? De toutes les villes que je connais, Paris est celle dans laquelle il est le plus difficile de trouver un taxi. A Londres, à New York, à Hong Kong, vous avez à peine le temps de lever la main et hop, une voiture s’arrête. A Paris vous pouvez attendre une demi-heure, faire la queue sous la pluie, vous énerver…. Regardez ce qui se passe devant les gares aux heures de pointe, les queues interminables, les voitures qui arrivent au compte-goutte et vous comprendrez. La solution peut paraître simple : multiplier le nombre des véhicules. En 2008, le rapport Attali avait proposé de multiplier le nombre de licences, de les rendre gratuites.  Levée de boucliers immédiate ! Les chauffeurs ont protesté en chœur, ont bloqué la circulation et le gouvernement Fillon a reculé. Il a accepté une augmentation des tarifs, mais pas du nombre de voitures. Ils sont moins de 20.000 dans la capitale, et ces moins de 20.000 là ont réussi  a faire plier le pouvoir. Il faut dire que les licences sont l’objet d’un véritable trafic, et qu’elles servent aussi de capital retraite. Alors, les rendre gratuites ! Il faut dire aussi que les taxis sont contre la concurrence. Ils sont contre les Vélib’, contre les Autolib’, contre les motos taxis. Ils sont en nombre insuffisants mais ils sont opposés à la concurrence. Allez comprendre…

Mais il n’y a pas que ça. Paris est aussi une ville dans laquelle il est extrêmement difficile de savoir si un taxi est libre ou pas. Après soixante ans de pratique, je sais à peine interpréter le jeu des petites lumières blanches, et je me suis toujours demandé comment pouvaient faire les touristes. Là, en revanche, une réforme est intervenue. Dorénavant il y a (ou du moins il devrait y avoir) sur le toit du véhicule, le mot TAXI s’affichant en vert s’il est libre, en  rouge dans le cas contraire. C’est d’une simplicité biblique : vous voyez à cinq cents mètres une lumière rouge ou verte et vous savez qu’arrive un taxi libre ou pas. Enfin presque car, ici aussi, les 20.000 chauffeurs ont fait reculer le gouvernement. La mesure devait être appliquée au 1er janvier prochain mais les chauffeurs ont renâclé : cela coûte trop cher. Certains ont obtempéré, d’autres non, et la mesure a été repoussée : nous approchons de l’élection présidentielle et il ne faut pas mécontenter les taxis parisiens. Vous avez donc des taxis affichant clairement leur état, libre ou pas, et d’autres conservant le système ancien, illisible. Bien sûr tout cela est mineur. Mais à l’heure où l’on nous abreuve de discours laudateurs sur l’action internationale du président de la république, sauveur de l’euro, de l’Europe, du monde, de l’univers, il est intéressant de remarquer qu’il n’est pas capable (puisqu’il s’occupe de tout) de faciliter la vie des gens en imposant aux chauffeurs de taxis de respecter la loi. Cela me fait penser à une vieille chanson, Pour me rendre à mon bureau, qui racontait les problèmes de circulation dans Paris pendant la guerre. Si cela vous amuse, écoutez-la chantée par Georges Brassens (http://www.youtube.com/watch?v=qQiFWDvHjcs). Et, même si cela n’a rien à voir, écoutez du même coup votre serviteur parler sur RFI de son dernier bouquin (http://www.rfi.fr/emission/20111205-il-etait-une-fois7000-mille-langues).

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Novembre 2011

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fleche30 novembre 2011 : Recrutement

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J’ai hier expliqué que le ministre de l’intérieur Guéant était un menteur patenté, lorsqu’il tentait de faire l’amalgame entre droit de vote des étrangers aux élections locales et droits d’être candidat (et, éventuellement, élu). Pourtant il lui arrive de dire la vérité, à la faveur il est vrai d’un lapsus. Durement attaqué à l’Assemblée Nationale par Manuel Valls sur l’échec de la droite en matière de sécurité, il a en effet répondu : « Depuis 2002, la délinquance n’a pas cessé de recruter dans ce pays ». Il voulait, bien sûr, dire qu’elle n’avait pas cessé de reculer. Mais nous savons que les lapsus ne sont jamais gratuits, et si nous prenons l’inconscient au sérieux, se pose alors une question. Guéant, c’est indéniable, a dit recruter. Mais il pensait (inconsciemment, nous en sommes d’accord) à quel recrutement ? La délinquance a-t-elle selon lui recruté dans les banlieues, dans les quartiers, dans les cités ? Et dans ce cas, que fait la police ? Ou a-t-elle recruté au sein des élites ? En d’autres termes, en s’exprimant ainsi, Guéant pensait-il à Mamadou, Jeannot ou Mohamed, pour prendre des prénoms évoquant des jeunes « black, blanc, beur »,  ou à Erie ou Michèle, pour évoquer deux anciens ministres

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fleche29 novembre 2011 : Dégueulasse, du verbe dégueuler

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Il y a des années, je dirais même une trentaine d’années, que le problème est posé en France. Les étrangers non communautaires (c’est-à-dire non membres de l’Union Européenne) qui travaillent dans notre pays, qui paient des impôts, ont-ils le droit de voter localement ? Ont-ils le droit de donner leur avis sur la gestion de la ville ou du village dans lequel ils vivent, dans lequel leurs enfants vont à l’école ? La gauche est pour depuis longtemps mais ne l’a jamais fait lorsqu’elle était au pouvoir. La droite est contre, depuis tout aussi longtemps. Enfin, pas toute la droite. Sarkozy, qui en ce moment est prêt à tout pour rafler des voix au Front National, vient d’affirmer qu’il était contre. Problème, les archives montrent qu’il a dit exactement le contraire il y a quelques années : il était alors pour. Remarquez, comme dit le dicton populaire, « il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis ». Sarkozy a donc trouvé un moyen de prouver qu’il n’était pas un imbécile. Démonstration peu convaincante, car il prouve surtout qu’il est faux cul et qu’il change d’avis comme de chemise. Mais le summum de la mauvaise foi a été atteint par son ministre de l’intérieur, Guéant, qui apparaît de plus en plus comme le perroquet du Front National au sein du gouvernement. Sa dernière sortie vaut son pesant de chouchen (ne cherchez pas : c’est un hydromel breton imbuvable. Ca tombe bien, je ne boirai jamais rien au nom de Guéant). Il a en effet expliqué qu’il ne voulait pas voir des étrangers devenir maires, qu’il ne voulait pas que dans certains départements de la banlieue parisienne la majorité des maires soit constituée d’étrangers. Imbécile, Guéant ? Ou de mauvaise foi ? Je ne sais pas si tous les gens qui écoutent le soir le journal télévisé et y voient le cul serré de Guéant débiter n’importe quelle bêtise s’en rendent compte, mais il déshonore sa fonction de ministre de l’intérieur. En effet, en public, en direct, il fait semblant de confondre droit de vote et droit d’être candidat. Il n’a jamais été question de donner aux étrangers le droit d’être candidat mais le droit de participer au choix de ceux qui seront en charge de la communauté locale. Pouvoir voter et pouvoir être élu, ce n'est pas tout à fait la même chose, un enfant de cinq ans peut comprendre ça. Donc Guéant, qui connaît ses dossiers, ment. Et il ment sciemment. C’est dégueulasse. Du verbe dégueuler.

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fleche22 novembre 2011 : Eléments de langage

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Il va falloir nous y faire : nous sommes d’ores et déjà entrés en campagne présidentielle et nous en avons pour six mois. Ce qui signifie que vous en avez pour six mois à supporter mes petites remarques linguistiques sur les discours de notre personnel politique (et oui, ils sont à notre service ! D’ailleurs, ministre, cela veut dire « serviteur »). Alors, allons-y.

Le 15 novembre, Sarkozy fait un discours pour expliquer qu’il y a plein de voleurs et de tricheurs (je reviendrai sur ces deux verbes) et lance que nous sommes « face à un choc démocratique…euh…démographique ». Le choc démocratique, c’est sans doute dans son inconscient l’affrontement électoral qui s’annonce. Mais pourquoi choc ? Il pense aux sondages ?

Le 17, à la télévision, c’est Jean-François Copé, langue de bois comme jamais, et je suis frappé par une formule qu’il utilise à plusieurs reprises, opposant Paris au reste de la France. « Paris »,  « le système parisien », c’est-à-dire pour lui les intellectuels et les journalistes, et puis en face, « dès qu’on franchit le périphérique », la France, la vraie. Remarquez, je suis sauvé, puisque j’écris d’Aix-en-Provence, bien loin du périphérique. Mais cette volonté de cliver annonce-t-elle l’un des arguments de la campagne?  Je ne sais pas pourquoi, alors qu’il répète une fois de plus qu’il est maire de Meaux (et il ne vous échappe pas qu’il faut franchir le périphérique pour se rendre à Meaux), je songe à Georges Pérec et à son roman La Disparition (vous vous souvenez, un roman écrit sans e). Meaux sans e, cela donne Maux. Et nous savons déjà que les mots ça fait mal…

Le 19, toujours à la télévision, c’est notre brillant ministre des sports, David Douillet, commentant les déclarations de Yannick Noah sur la drogue. Citation : « Ceux qui vont dans cette voie trichent et volent la carrière des autres ». C’est marrant, tricher, voler, les deux verbes employés par Sarkozy quatre jours plus tôt.

Et aujourd’hui, toujours à la télévision, un autre ministre, Laurent Wauquiez (représentant de « la droite sociale », ça ne s’invente pas) présente son livre, La lutte des classes moyennes (ça aussi, dans le genre jeu de mots vaseux, ça ne s’invente pas) et attaque « les riches qui fraudent l’impôt », dénonce « les profiteurs d’en haut » et surtout « l’assistanat ». Les assistés, les voleurs, les tricheurs, un discours est lentement en train de se mettre en place. Alors, à vos oreilles ! Guettez les voix de l’UMP, pour voir s’ils emploient dorénavant plus que d’habitudes ces éléments de langage, comme on dit désormais

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fleche16 novembre 2011 : Vel d'hiv

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Hier soir sur France 3 il y avait une émission sur l’histoire des élections présidentielles en France dont le titre (« La folle histoire des présidentielles ») annonçait la couleur : la bataille des présidentielles est toujours une histoire de folie, de larmes, parfois de sang. Parmi les anciens candidats interrogés, Jean-Marie Le Pen qui explique qu’il faut être en forme pour une campagne, que c’est une épreuve physique, et déclare : « J’ai fait quand même le vel d’hiv…euh…le vélodrome de Marseille ». Nous pourrions en rester là : il y a des lapsus qui n’ont pas besoin de commentaires. Sauf que je ne suis pas sûr que tout le monde comprenne. Alors, avec mes excuses envers certains d’entre vous, un petit guide de lecture.

Le vélodrome de Marseille, ou plutôt le stade vélodrome, c’est le temple marseillais du football, la pelouse de l’OM, et c’est effectivement un énorme espace pour un meeting politique. Mais il est vrai que, dans la région, 25% des gens votent Front National… Le vel d’hiv, ou vélodrome d’hiver, c’est autre chose, une structure aujourd’hui disparue qui, dans le 15ème arrondissement de Paris pouvait accueillir 17.000 spectateurs fanatiques de vélo. Mais  les 16 et 17 juillet 1942 la police française y parqua près de 13.000 Juifs, hommes, femmes, enfants, qui furent ensuite déportés vers Auschwitz et dont bien peu revinrent. Connu sous le nom de « rafle du vel d’hiv », l’événement est un des moments d’horreur et de déshonneur du régime de Vichy, car il y en eut d’autres. Voilà, vous savez tout et pouvez apprécier le lapsus de Le Pen. Il a fait, comme il dit, le vel d’hiv. Précisons tout de même qu’il avait alors 14 ans et n’était pas membre de la police nationale. Mais cette confusion entre stade vélodrome et vélodrome d’hiver mérite d’être soupesée

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fleche16 novembre 2011 : Lecture

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 Publié en 1994 il était épuisé depuis longtemps. Il vient de sortir en format de poche: Louis-Jean Calvet, Les voix de la ville, introduction à la sociolinguistique urbaine, petite bibliothèque Payot. C'était la rubrique "publicité personnelle".

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fleche13 novembre 2011 : Jornal do Brasil

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Chaque fois que j’arrive à Rio de Janeiro, je suis touché en débarquant dans un aéroport qui porte le nom d’un géant de la MPB, la « musique populaire brésilienne, Carlos Jobim, l’un des fondateurs de la bossa nova. Cette fois-ci j’ai en outre découvert que le 31 octobre était désormais le Dia D, non pas le Jour J mais le jour de Carlos Drummond,  sans doute le plus grand poète brésilien, pour célébrer la date anniversaire de sa naissance, il y a 109 ans. Drummond entre donc dans le calendrier culturel du Brésil, comme Jobim est entré dans la liste des aéroports, et un pays qui honore ainsi ses poètes ne peut pas être tout à fait mauvais. Pourtant, et les poètes n’y peuvent rien, la circulation à Rio est aussi toujours insupportable. Il y a bien longtemps j’avais interviewé René Goscinny pour une émission de télévision à laquelle je collaborai, et il m’avait expliqué qu’il était très fier d’une de ses trouvailles linguistiques, dans je ne sais plus quel album d’Asterix. Dans les rues de Rome, la circulation des chars était bloquée et un personnage lançait: « Encore les amphorissages ». Bouteille/embouteillage, amphore/amphorissage, le néologisme était effectivement bien venu, même si Goscinny était bien sûr incapable de prouver qu’il y avait eu réellement des embouteillages, pardon des amphorissages, dans la Rome antique. Arrivant donc à Rio de Janeiro, je retrouve la même image, garrafamiento pour embouteillage  (en portugais bouteille se dit garrafa). Les embouteillages datent sans doute d’après les amphores mais ils datent encore plus sûrement d’après la dispersion indoeuropéenne, et c’est pourquoi ils portent des noms assez différenciés, traffic jam en anglais, atasco en espagnol, Verkehrsstockung en allemand, ingorgo en italien, etc. L’expérience de l’embouteillage est venue après la dispersion des langues indoeuropéennes, et elles se sont débrouillées comme elles pouvaient pour la nommer. Mais trêve de pédanteries, même si je reviendrai plus loin sur des problèmes linguistiques…

J’ai à Rio quelques endroits de prédilection, un petit restaurant où j’aime aller manger du poulpe, un bistrot pour la caïpirinha, un coin de plage à Copacabana, le toit d’un hôtel d’où l’on a une vue sur la baie à vous couper le souffle, mais dans cette liste somme toute assez limitée il y a un lieu particulier, l’Academia da cachaça, l’académie de la cachaça, où mon ami le linguiste Jürgen Heye m’a initié aux diverses variétés de cet alcool de canne à sucre, bien sûr, mais aussi à des petits plats inattendus, comme des cœurs de palmiers grillés à la braise dont je garde un souvenir ému. Nous parlions anglais ou espagnol, il me lançait parfois une phrase ou deux en français, je lui répondais du mieux que je pouvais en allemand, nous fumions, nous étions bien, parfois un peu saouls mais bien. Jürgen était le plus carioca des Allemands, il vivait là depuis plus de trente ans, professeur à l’université où ses étudiants, et surtout à vrai dire ses étudiantes, l’adoraient. Il avait peu publié mais beaucoup lu, il venait parfois suivre mes cours ou mes conférences et ses interventions, ses remarques, étaient toujours judicieuses. L’Academia da cachaça était donc pour moi le lieu de rencontre avec lui. Jürgen me faisait toujours des petits cadeaux, il m’avait un jour offert un instrument de musique qu’il avait ramené d’Amazonie, une autre fois un pilon pour écraser le citron dans la caïpirinha, et l’an dernier, lors de ma précédente visite à Rio, alors que nous étions à la terrasse de l’ Academia da cachaça il avait disparu quelques minutes, puis était revenu avec un paquet qu’il m’avait tendu, un Tshirt à l’effigie des lieux. Cette année, je me suis rendu compte que je n’y irai plus à ces rendez-vous. Jürgen est mort il y a quelques mois et, sans lui,  cela n’aurait plus de sens. J’ai à Rio quelques endroits de prédilection, un petit restaurant où j’aime aller manger du poulpe, un bistrot pour la caïpirinha, un coin de plage à Copacabana, le toit d’un hôtel d’où l’on a une vue sur la baie à vous couper le souffle, mais l’Academia da cachaça ne sera désormais qu’un lieu si plein de souvenirs de Jürgen que je n’y retournerai plus.

Bon, changeons d’atmosphère. En route pour une conférence à 200 kilomètres de Rio, à Juiz da Fora, je remarque le long de l’autoroute de nombreuses pancartes annonçant borracharia. Je rigole, explique qu’en espagnol borracho signifie « ivrogne », qu’une borracharia est donc sans doute un endroit où l’on se saoule, on m’explique que non, que c’est un endroit où l’on répare les pneus, un vulcanisateur. Tout cela se passe dans un mélange d’espagnol et de portugais, le chauffeur a capté au passage le sens espagnol de borracho  et lance : « ah bon, alors la prochaine fois que je rentre bourré je dirai à ma femme que c’est à cause des pneus ». Nous rions, et voici que nous passons devant une capotaria, l’endroit où l’on répare les capots. J’explique qu’en français une capote est un préservatif et le chauffeur enchaîne : après la borracharia la capotaria, c’est logique ! Ma conférence, portant sur le baromètre des langues du monde, sera plutôt sérieuse, mais le chemin qui m’y mena fut plutôt joyeux.

Le Brésil vit à l’heure de la coup du monde de football, qu’il doit accueillir en 2014. Le football mondial au Brésil, pays roi du football, cela devrait être une fête. Mais les choses ne sont pas si simples. En effet la FIFA, la fédération internationale, se livre à un véritable chantage, exigeant de fixer les prix des billets, exigeant également la suppression des billets à demi-tarif (pour les étudiants, les personnes âgées), cherchant à imposer les entreprises chargées des travaux, à mettre la main sur les marchés publicitaires, bref se comporte comme un pays impérial dans une colonie. Le Brésil étant un pays fédéral, c’est donc état par état que la FIFA exerce son chantage : si vous ne passez pas sous nos fourches caudines, vous n’aurez dans vos stades que des matches sans intérêt, les petites équipes, bref vous perdrez de l’argent. Ce qui est sûr, c’est que la FIFA, elle, n’en perd pas, de l’argent, non plus que ses dirigeants. Nous savions depuis longtemps qu’avant d’être un sport le foot était une industrie, il apparaît presque comme une mafia. Et il sera intéressant de suivre la suite des évènements car si le Brésil parvenait à résister à ces pressions, la défaite de la FIFA serait une première.

J’ai terminé mon séjour au Brésil dans l’état du Parana, tout au sud, à la frontière avec le Paraguay et l’Argentine, où j’ai donné des conférences dans plusieurs pôles universitaires. Itaipu, Ipiranga, Iguaçu, les noms de lieux sont très souvent guaranis. Mais inutile de chercher, vous ne trouverez pas d’indiens guaranis, et vous n’entendrez pas parler guarani. Il se trouve que j’ai été pris en charge par des linguistes d’origine allemande, que j’ai assisté à une soutenance de maîtrise sur l’identité germanophone, bref que mon attention était attirée sur cette présence allemande statistiquement importante. Or, en me promenant dans les rues de Cascavel, de Rondom ou de Missal, je n’ai pas vu trace de cette langue, si ce n’est bien sûr des noms propres. Rien sur les murs des villes, dans les enseignes des boutiques, sur les bâtiments officiels, ne témoigne de cette présence. En revanche, au cimetière de Rondom, l’allemand fleurit. Symboliquement, une tombe réunit un père et son fils. Pour le premier, épitaphe en allemand, et en portugais pour le second : en une génération on a changé de langue. A Missal (oui, vous ne vous trompez pas, la ville s’appelle « missel » et la religion est ici omniprésente) j’assiste à une fête du troisième âge : chorale allemande, danses allemandes, costumes traditionnels allemands, tout y est. Tout sauf une langue vivante, une langue qui se transmettrait de génération en génération, et nous avons là tous les signes extérieurs d’une langue qui disparaît. Mais, paradoxe, il s’agit d’une langue internationale qui disparaît localement. J’ai vu les mêmes symptômes en Louisiane, avec le français, et puisque je parle de symptômes il serait possible d’établir une symptomatologie de ce processus. En Louisiane, cependant, l’implantation du français a près de trois siècles. Au Parana l’histoire est beaucoup plus récente : les villes que j’ai traversées ont en moyenne soixante ans d’âge ! En fait les Guaranis ont été expulsés et remplacés par des migrants d’origine allemande venus d’autres parties du pays. Paradoxalement, encore une fois, on s’attendrait à des traces de ressentiment ou de nostalgie de la part des Indiens, mais les Indiens sont invisibles, comme s’ils avaient été déportés, et la nostalgie est du côté des Allemands : on se souvient, on affiche une identité un peu fanée, et l’on change de sujet lorsqu’on interroge sur ce que sont devenus les indiens... Un signe qui ne trompe pas : les musées. J’en ai vu deux, à Porto Mendes et à Missal. Dans les deux cas, la même surprise : l’histoire est ici singulièrement brève. On y trouve des « antiquités », les mêmes dans les deux musées, qui datent des années 1950 et 1960 : glacières, téléphones, ordinateurs, fers à repasser, électrophones, lampes à pétrole, machines à écrire, bref tout un fatras qui relève plutôt du marché aux puces que du musée. Et, dans les deux cas toujours, quelques pierres polies présentées comme des outils indiens. D’un côté des primitifs, de l’autre une technologie d’hier.

Bon, j’arrête là ce Jornal do Brasil. J’aurais pu parler de la guerre entre l’armée et les bandes de trafiquants des favelas, en particulier à Rocinha, mais vous en trouverez des échos dans votre journal favori. Je n’ai pas, bien sûr, trouvé de Rafales mais, c’est promis, je continue à me renseigner.

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Octobre 2011

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fleche30 octobre 2011 :  Le temps ne fait rien à l'affaire

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Cette semaine en France, radios et télévisions ont toutes consacré des émissions au trentième anniversaire de la mort de Georges Brassens. Il venait d’avoir soixante ans et avait derrière lui une douzaine de disques, moins de cent cinquante chansons, c’est-à-dire relativement peu au regard de la production de ses contemporains les plus notables. Mais quelles chansons ! J’écoute et j’essaie de jouer tonton Georges depuis plus de cinquante ans et je me suis toujours insurgé contre des stéréotypes imbéciles selon lesquels « les musiques de Brassens sont monotones », « tout passe sur quelques accords, toujours les mêmes », etc. Seuls les musiciens savaient à quel point ses mélodies et ses harmonies étaient sophistiquées. Et les amoureux de la langue ne peuvent ignorer son sens de l’image, son talent d’artisan en mots, ses jeux sur les syllabes, sur les sonorités. Paradoxalement, Brassens est à la fois l’auteur de chanson le plus difficile à traduire et le plus traduit. Il faut l’écouter en allemand (Peter Blaikner), en brésilien (Bia), en espagnol (Paco Ibañez et quelques autres), en créole martiniquais (Sam Alpha), en russe (Alexandre Avanessov), en japonais (Koshiji Fubuki), en d’autres langues encore : chaque fois le défi est relevé et le linguiste reste pantois. Traduire Brassens est une gageure qui pousse au surpassement tant la qualité de ses textes mérite non pas qu’on les restitue dans une autre langue mais qu’on cherche à leur donner un équivalent. Et ses mélodies sont dans toutes les têtes, au point que je me demande souvent comment des gens de vingt ans peuvent aujourd’hui les connaître. Comme dans les cultures de tradition orale, la transmission est ici constante.  La Chanson pour l’auvergnat ou La Mauvaise réputation bien sûr, mais aussi Au bois de mon coeur, La non demande en mariage, La Marche nuptiale, Bonhomme, autant de petits bijoux qui traversent les générations. On peut aimer le rock, la pop, le rap, le blues et Brassens en même temps. J’essaie sur ma guitare d’interpréter Gainsbourg (La Chanson de Prévert est un petit Chef d’œuvre) ou Lavilliers (Fortalezza est une épreuve pour les doigts), Beau Dommage ou Moustaki, Salvador (Ah ! Les accords de Syracuse), les Beatles, Dylan ou Dutronc, mais je reviens toujours à Brassens. Dans les mythologies au sens où Barthes prenait ce mot, il se résume à trois traits. Laissons de côté la pipe et la moustache et soupesons le troisième, la guitare. On n’imagine pas Brassens sans sa guitare : sur scène il s’accrochait à elle et, entre les chansons, la trimballait comme un instrument aratoire, comme un outil. Mais, et c’est sans doute le secret de son univers musical, il composait sur un clavier. Ce n’est qu’après avoir trouvé ce qu’il cherchait qu’il transposait sur le manche de son instrument les accords qu’il avait inventés au clavier. D’où leur aspect souvent étrange, inhabituel.

Bon, je pourrais vous parler de Brassens pendant des heures, mais j’ai un avion à prendre. Demain je serai au Brésil, pour deux semaines. Si je rencontre des Rafales, je ne manquerai pas de vous en faire part. Pour ceux qui ne comprendraient pas ce « private joke », il suffit de remonter dans le temps à travers ces billets pour retrouver la chronologie des forfanteries sarkozistes relatives à la vente de cet avion aux Brésiliens. Au fait, dans la liste des petites merveilles de Brassens, j’ai omis de citer Le temps ne fait rien à l’affaire (« quand on est con, on est con »)

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fleche22 octobre 2011 :  Platiniste

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Je sais, il est un peu facile de se moquer des gens qui, dans les commissions de terminologie des différents ministères, travaillent sur le problème des néologismes à inventer pour remplacer les vilains emprunts à l’anglais. En des temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, aux débuts de l’informatique, on nous avait proposé pour remplacer le hard et le soft deux mots sur lesquels personne n’aurait parié : quincaillerie et logiciel. L’histoire nous montre que, pour le second, nous avions tort de ne pas y croire. Mais cela n’excuse pas les grosses bêtises que nous voyons cycliquement fleurir. La dernière en date concerne les DJ, ou deejay, ou Disc Jockey, encore un vilain emprunt à l’anglais qu’on nous propose de remplacer par … platiniste. Bon, nous voyons bien l’idée : le DJ utilise des platines sur lesquelles tournent des disques, d’où platiniste. Mais il demeure que, même si l’on n’est pas spécialement intéressé par le foot, ce mot nous fait immédiatement penser à Michel Platini. Pas vous ? Comme toujours, le problème avec la néologie est que deux voies peuvent y mener : celle de la création in vivo, populaire ou spontanée, c’est-à-dire celle des utilisateurs de la langue, et celle de la création in vitro, c’est-à-dire celle des fonctionnaires de la langue. Dans un cas la langue vit sa vie, dans l’autre elle est dirigée, asservie

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fleche21 octobre 2011 : Poker menteur

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Un colonel de moins en Libye, une petite fille de plus en France.

Quel rapport ? Aucun. Ou plutôt si, car nous assistons à une vaste partie de poker menteur qui a été dérangée par la bousculade des évènements. Une naissance, donc, dont on nous dit depuis des semaines qu’on n’en parlera pas, qu’elle relève de la vie privée, ce qui est, vous me le concéderez, une manière comme une autre d’en parler : discrétion mon œil, jamais discrétion n’aura été aussi bruyante, jamais l’annonce du refus de communiquer n’aura été à ce point une forme de communication. Ainsi, hier soir sur la 2 était programmée une émission de la série Complément d’enquête au titre accrocheur : « Sarkozy peut-il encore gagner ? ». En fait nous eûmes un bref reportage assez instructif sur la façon dont on prépare les déplacements du président en province et pour le reste un festival de brosse à reluire, en particulier Carla Bruni minaudant sur le rôle qu’elle pourrait jouer dans la campagne à venir. Enregistrée trois jours avant, l’interview était évidemment destinée à venir renforcer le buzz sur cette naissance dont personne ne devait parler. Quant à la question du titre, « peut-il encore gagner ? », elle ne fut pas abordée.

Revenons à la discrétion, à cette naissance traitée « à la muette » (ou, si vous préférez, à la Muette, mais la formule sans majuscule désigne une forme de troc silencieux) : avez-vous compté le nombre de photos de madame Bruni sur lesquelles on voyait son ventre s’arrondir ? Encore une fois, discrétion mon œil. Mais discrétion tout de même car, comme je l’ai écrit plus haut, dans cette partie de poker menteur s’est introduit un élément perturbateur. Les radios et les télés « discrètes » n’avaient même pas eu le temps de s’interroger sur le prénom de la petite fille que, venue de Libye, une autre nouvelle balayait tout : la mort de Kadhafi. Comme pour Napoléon, auquel on compare souvent Sarkozy, on attendait Grouchy, ce fut Blücher. Ou plutôt on attendait Morano, Pécresse ou Bachelot venues nous parler, des larmes dans la voix, de maternité, et au lieu de ces Grouchy-là ce fut Blücher-Henri Levy venu parler… de lui.

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fleche17 octobre 2011 : Candidat naturel

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La sémantique est parfois floue (et, comme dit l’autre, quand il y a du flou c’est qu’il y a un loup). Prenons un exemple. Si j’en crois mes notes, c’est le député du Nord Marc-Philippe Daubresse qui, début avril 2011, a lancé l’idée que Sarkozy était «le candidat naturel de l’UMP ». Depuis lors la formule a fait florès, elle a été martelée, en réponse le plus souvent au défi des primaires socialistes : pas besoin de primaires à droite puisque nous avons un « candidat naturel ». Coppé, Juppé, Morano et quelques autres, dans un magnifique chœur de psittacidés  (ne cherchez pas : il s’agit de la « famille d’oiseaux grimpeurs exotiques, au plumage vivement coloré, au bec court, très courbé, à la langue épaisse et très mobile », en un mot des perroquets), nous le disent tous les jours, « nous avons un candidat naturel ». Mais ce naturel-là mérite que nous nous y arrêtions un instant, que nous soupesions son sémantisme. Jetez un coup d’œil sur votre dictionnaire favori. Vous y trouverez d’abord cette définition : « qui appartient à la nature d’un être, d’une chose ». Il appartiendrait donc à la nature de Sarkozy d’être candidat. Mais mon dictionnaire ajoute « qui appartient à la nature des choses » et indique qu’en ce sens naturel est le contraire de miraculeux et de surnaturel. Sarkozy ne serait donc pas miraculeux. Je continue à consulter l’article et trouve un peu plus loin « qui correspond à l’ordre habituel, est considéré comme un reflet de l’ordre de la nature » et le dictionnaire me donne alors comme synonyme de naturel normal. Sarkozy serait donc un candidat normal (Tiens ! J’ai déjà entendu ça, mais pour un autre candidat). Pour finir, mon dictionnaire m’indique que naturel s’oppose à légitime, et donne deux exemples : « enfant naturel, bâtard ».

Résumons-nous : le candidat naturel de l’UMP serait donc tout à la fois candidat par nature, ni miraculeux ni surnaturel, normal et enfin illégitime, bâtard. C’est beau, la sémantique 

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fleche15 octobre 2011 : Irresponsabilité
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Jusqu’ici la primaire socialiste avait échappé à tous les dangers : pas de coups bas, pas d’injures, une leçon de démocratie qui laissait la droite verte de rage et en proie à de ridicules réactions contradictoires. Ils étaient six candidats, développaient des arguments souvent intéressants, un vrai débat citoyen comme il n’y en a que très rarement en France. Puis ils ne furent plus que deux, pour le dernier sprint, et l’on aurait pu espérer que se poursuive la même ambiance. Et voici que Martine Aubry rompt le pacte, multiplie les attaques ad hominem et fournit à la droite des arguments pour demain contre Hollande, s’il est choisi. Il y a dans cette subite rage une grande part d’irresponsabilité et quelque chose de moralement assez répugnant. J’entends des féministes appeler à voter pour une femme, et je trouve cet argument stupide : une femme présidente, bien sûr, ce serait bien, mais ça dépend de quelle femme. Nous voyons subitement apparaître celle qui a, peut-être, truqué des élections il n’y a pas si longtemps, pour se débarrasser de Ségolène Royal, celle qui préférerait, peut-être, voir Sarkozy l’emporter en mai plutôt que d’être battue aujourd’hui par Hollande. Bref, et même si mon avis n’a guère d’intérêt, alors que dimanche dernier je n’ai pas pu voter, j’étais au Niger, demain j’irai voter pour François Hollande en espérant que sa victoire soit la plus nette possible. Je n’ai pas vraiment de raisons idéologiques ou politiques pour le choisir lui, plutôt qu’elle, mais des raisons pragmatiques : il faut que Sarkozy dégage, et Hollande me semble avoir plus de chances qu’Aubry de le battre

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fleche12 octobre 2011 : Ca coule ?

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Lundi soir, à la télévision, Jean-François Kahn écoutait, hilare, Nadine Morano puis lançait, en brandissant une feuille, qu’elle venait de débiter les éléments de langage élaborés par l’UMP. Cette feuille, distribuée aux responsables du parti majoritaire dès le 5 octobre, constituait un argumentaire en trois points :

« -Une consultation privée, aussi grande soit-elle, ne fait pas une élection. C’est en 2012 que l’élection présidentielle aura lieu, pas en octobre 2011.

-La primaire PS montre bien la difficulté du PS à désigner un candidat. Faire arbitrer les querelles d’ego par les électeurs, cela montre bien le désarroi de cet ancien grand parti devenu parti de chapelles, de clans.

-Le choix d’un candidat ne résout pas le problème du programme, inapplicable parce que déconnecté des réalités économiques de notre pays. Il faudra un président protecteur et volontaire sur le plan international comme l’est Nicolas Sarkozy plutôt qu’un président de conseil général, ou maire d’une grande ville. »

Munis de leur feuille, les ténors de l’UMP se sont donc répandus sur les media, en improvisant parfois. Certains, comme Claude Guéant ou Bernard Accoyer, n’ont pu s’empêcher de trouver « intéressante » l’initiative socialiste, alors que Sarkozy déclarait de son côté qu’elle était contraire aux principes de la V° république : cela faisait un peu cacophonie. Jean-François Copé de son côté expliquait que « 4 Français sur 100 » seulement s’étaient exprimés, argument repris par Nadine Morano qui ajoutait que les primaires italiennes avaient mobilisés quatre millions de personnes, deux fois plus… Elle aurait pu ajouter (mais sans doute n’y a-t-elle pas pensé) que 100% des électeurs de droite n’avaient pas le droit de choisir leur candidat… Bref, derrière tout cela, on sentait comme un certain flottement. A propos de flottement, justement, Jean-Michel Apathie lançait hier sur Canal +  à Brice Hortefeux, faisant référence aux hésitations de l’UMP, « Ca flotte ». Réponse d’Hortefeux : « On ne flotte sur rien ». Cela veut-il dire que ça coule ?

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fleche11 octobre 2011 : Candidats impétrants

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Depuis dimanche soir Arnaud Montebourg a plusieurs fois parlé, à propos de François Hollande et de Martine Aubry, des candidats impétrants. Etrange formule que, pour les raisons qu’on va voir, je connais fort bien, mais qui risque de surprendre bien des Français. Le verbe impétrer signifie en gros « obtenir ce que l’on demande d’une autorité compétente », et l’impétrant est donc celui qui a obtenu. Qui a obtenu quoi ? Le seul usage vraiment fréquent du participe présent impétrant, et c’est pourquoi je le connais bien, désigne celui qui vient d’obtenir une thèse devant un jury. Dès lors la formule candidats impétrants laisse rêveur. En effet l’ impétrant n’est, par définition, plus candidat : il était candidat avant la décision du jury, il est impétrant après cette décision : candidat est tourné vers le futur (la candidature sera-t-elle retenue ?)  et impétrant indique une chose obtenue. Dès lors, qu’a bien voulu dire Montebourg ? Il suffit de réfléchir deux secondes pour se rendre compte qu’il ne connaît sans doute pas le sens du terme qu’il utilise. Aubry et Hollande étaient candidats au premier tour des primaires, ils ont obtenu le droit de se présenter au second tour et ils sont effectivement de ce point de vue impétrants : ils ont obtenu ce qu’ils demandaient des électeurs. Et s’ils sont encore candidats, c’est pour le second tour : impétrants du point de vue du premier tour, candidats du point de vue du second.  Montebourg aurait-il un problème avec le sens de l’histoire ( :-) ) ? J’ai plutôt l’impression qu’il se paie de mots. Pierre Bourdieu se serait sans doute régalé de cette formule, candidats impétrants , car utiliser une phrase que personne ne comprend témoigne d’un grand mépris pour les auditeurs, et l’utiliser de façon fautive témoigne au choix d’inculture, de bêtise ou de prétention…

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fleche10 octobre 2011 : Les jeux sont faits ?

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J’arrive évidemment après la bataille (je veux dire le premier tour des primaires socialistes) car je viens de passer une semaine au Niger, dont je suis rentré ce matin. Mais les quelques remarques ci-dessous gardent je crois leur pertinence. Après le troisième débat télévisé entre les six candidats Pierre Moscovici avait lancé : « Les jeux sont faits ». Hurlements du côté des autres candidats, qui voyaient là une affirmation selon laquelle Hollande aurait définitivement gagné, qu’à la limite il serait inutile de voter… Moscovici tente de s’expliquer : les jeux sont faits signifie que les dés sont jetés et non pas que les carottes sont cuites. Il n’est pas sûr que cette précision éclaire beaucoup son propos, mais il serait intéressant de faire une petite enquête pour savoir quel sens les locuteurs du français donnent à ces deux expression. Les dés sont jetés et les carottes sont cuites ont-elles, comme le suggère Moscovici, des sens opposés?

L’ennui, avec ces expressions issues d’une lointaine histoire de la langue, c’est qu’on ne sait plus très bien d’où elles viennent et ce qu’elles veulent dire ou ce qu’elles en sont venues à dire. Il faut par exemple pratiquer la cuisine pour savoir que, parmi l’ensemble des légumes, la carotte est celle qui prend le plus de temps à cuire. Dès lors, les carottes sont cuites signifie que l’ensemble, le bœuf bourguignon ou la daube, est prêt, et donc que « c’est fini ». L’expression a pris ensuite le sens de « ça s’est mal fini », ou « c’est foutu », mais ce n’est sûrement pas ce que voulait dire Moscovici.

Et les jeux sont faits ? L’expression est utilisée dans les casinos, à la roulette : les jeux sont faits, rien ne va plus. Elle signifie que les joueurs n’ont plus le droit de miser, que l’on va jeter la boule qui déterminera quel est le numéro gagnant. De ce point de vue, Moscovici aurait voulu dire qu’après ce troisième débat il n’y avait plus rien à ajouter, qu’il fallait désormais attendre le verdict des urnes. Dont acte. Mais il proposait comme équivalent les dés sont jetés. Or, lorsque les jeux sont faits on n’a on n’a pas encore jeté les dés (ou la boule), et les carottes bien sûr ne sont pas encore cuites. Je sais, je pinaille, mais Pierre Moscovici s’est visiblement pris les pieds dans le tapis métaphorique. Il ferait peut-être mieux d’aborder les problèmes en termes politiques, ou chiffrés, ou statistiques. D’ailleurs, les résultats d’hier montrent qu’en fait les jeux ne sont pas vraiment faits…

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fleche1er octobre 2011 : Quarante ans après

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Je pars travailler une dizaine de jours en Afrique de l'ouest et je voudrais vous laisser un élément de réflexion sur la république bananière que la France est en train de devenir. Si vous ne l'avez pas déjà dans votre discothèque, allez acheter un vieux disque (1971) de Léo Ferré, La Solitude, et écoutez soigneusement la dernière plage, Le Conditionnel de variétés. Vous verrez, quarante ans après, rien n'a vraiment changé depuis l'époque où l'on mettait en prison le directeur d'un journal maoïste, où l'on licenciait à tour de bras dans le textile, où les procureurs etc. etc. Sacré Léo, ton souffle nous manque.

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Septembre 2011

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fleche29 septembre 2011 : Accents

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On prend les mêmes et on recommence : je veux parler du débat d’hier soir, dans le cadre des primaires du PS. J’avais souligné la façon dont les candidats se citaient les uns les autres, par leur nom ou leur prénom, et nous avons assisté à une légère mutation : les prénoms fleurissaient hier, seuls Jean-Michel Baylet restant Jean-Michel Baylet (sauf pour Valls qui l’a appelé une fois Jean-Michel) et Ségolène Royal restant Ségolène Royal pour Hollande et Montebourg. Mais au delà de ce que j’avais appelé un ballet de références, au delà de ce jeu de proximité ou de distance, quelque chose pesait sur le débat. Ils avaient tous en tête les récents sondages selon lesquels Hollande continuait à prendre de l’avance sur Aubry et Royal baissait, talonnée par Montebourg, et cela contribuait au formatage de leurs postures. Royal gardait un ton mesuré et un sourire permanent, un sourire de cobra, certes, mais un sourire tout de même. Hollande, victime de sa victoire annoncée, avait tendance à jouer à l’arbitre sur chacun des thèmes annoncés, à prendre du recul, de la hauteur, ou du moins à en donner l’impression, et je ne suis pas convaincu que ce soit un bon choix. Quant à Aubry, voulant peut-être conjurer le danger d'élimination qu'elle anticipe, elle a conclu de façon étrange, par une série de « j’ai besoin de vous pour… », « j’ai besoin de vous pour… », « j’ai besoin de vous pour… », procédé  anaphorique que pratique généralement Henri Guéno lorsqu’il écrit les discours de Sarkozy (souvenez-vous des « pourquoi tant de haine ? », des « j’ai changé » ou des « je veux être le président de… »). Parmi ces six personnages en quête l’électeurs, trois au moins savent qu’ils n’ont aucune chance, et plus particulièrement Jean-Michel Baylet. Est-ce pour cela qu’il détonne un peu, dans le groupe, par son impassibilité, sa volonté de témoigner alors qu’il connaît déjà son sort ? Peut-être, mais il y a autre chose dans sa singularité. Les cinq autres ont cette forme d’accent neutralisé, asseptisé, qui caractérise les énarques, les hauts fonctionnaires, cette façon de gommer leur origine régionale. Nous avons tous un accent, bien sûr, seuls les parisiens pensent le contraire, feignant de croire qu’ils parlent « le » français standard, contrairement aux provinciaux. Or ces cinq-là  parlent « pointu » comme on dit à Marseille, ce qui est d’autant plus frappant que Montebourg par exemple, lorsqu’il est sur son terrain, face à ses électeurs, affecte un accent morvandiau presque caricatural. Or, et c’est là sa singularité, Baylet ne cherche pas à masquer son accent du sud-ouest, il est ce qu’il est, parle comme il parle, et c’en est presque rafraîchissant.

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fleche26 septembre 2011 : Concours ou contours ?

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Surprenant : il y a eu hier de l’agitation au Sénat ! De l’humour aussi. Ainsi un sénateur socialiste rappelait-il le slogan lancé en janvier 2007 par Sarkozy, « Ensemble tout devient possible » et ajoutait « même perdre le Sénat ». Mais le plus drôle, le plus significatif peut-être, fut un lapsus de Gérard Larcher, président sortant de la haute assemblée. Voulant déconnecter sa défaite de la future élection présidentielle (ce qui était sans doute la consigne venue de l’Elysée) il expliqua doctement : « la majorité du Sénat n’avait pas le concours…euh, les contours de la majorité présidentielle ». Il a failli dire qu’il avait été lâché par l’UMP ! Bien sûr, entre concours et contours il n’y a qu’une consonne de différence, comme dans la plupart des lapsus qui reposent justement sur ces oppositions phonologiques. Mais vous imaginez quelqu’un demandant à son épicier une boîte de con à l’huile ? Un journaliste parlant du bon coquet de tel ou tel ministre ? Un sénateur commentant les résultats d’hier en disant que c’est la caca ? Ou encore qu’un admirateur de Sarkozy, voulant dire que le président combat prononce le président tomba ?

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fleche25 septembre 2011 : Histoires d'eau

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Je ne cite que rarement ici le courrier que me vaut mon blog : je réponds directement à mes interlocuteurs, ce qui me permet d’éviter des réponses aux réponses, des interventions sur les interventions, tout cela étant chronophage… Mais je viens de recevoir coup sur coup deux messages que je voudrais vous faire partager. L’un, qui me vient d’une collègue australienne, concerne Orwell. Elle me cite un passage de Politics and the English Language que je vous donne : « In our time, political speech and writing are largely the defence of the indefensible.[...] Political language [..] is designed to make lies sound truthful and murder respectable, and to give an appearance of solidity to pure wind." Gardez cela en tête lorsque vous écouterez les explications emberlificotées des ténors de l’UMP à propos de l’affaire de Karachi… Il faudra un jour écrire un essai sur l’art de noyer le poisson dans le discours politique. Cette expression est d’ailleurs curieuse : comment noyer un poisson qui, vivant dans l’eau, est par définition insubmersible ? En fait il s’agit d’une formule technique des pêcheurs, mais peu importe. Dans le cas précis qui nous retient, c’est dans la salive qu’on le noie, par des discours ni chair ni poisson, pour nous tenter de rendre muets comme des poissons. Mais je m’amuse.

Un autre message, d’une collègue française celle-ci, concerne les sigles, à propos de mon billet du 19 septembre. Je la cite : « S'agissant des sigles, il y a en a un intéressant "MAM "  du point de vue presque "psychanalytique", cette MAM qui justement n'est pas mère et n'a rien de bien "maternel" et qui je crois a été nommée ainsi quand elle dirigeait l'UMP, cette  « communauté des frères » qui met à mal nos institutions… ». Pour continuer à nous amuser, ce MAM pourrait faire songer à une racine phénicienne qui signifiait « eau », et il est vrai qu’en Tunisie par exemple cette MAM-là nageait en eau trouble… Nous n’en sortons pas ! En fait il pleut aujourd’hui sur la Provence, ce qui explique sans doute que je m’aventure dans ces histoires d’eau.

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fleche23 septembre 2011 : Irréprochable...

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Toute la presse quotidienne d’hier (enfin presque car Le Figaro semblait pris d’une soudaine cécité, ou surdité, ou les deux à la fois, comme vous voudrez), toute la presse donc sauf Le Figaro titrait en une sur les « proches de Sarkozy » mis en examen, ou sur « la Sarkozie » menacée. Et bien sûr cette Sarkozie s’affole, d’autant plus que le président est à New York et qu’elle ne sait où prendre les ordres. Le soir, au Grand Journal de Canal +, Nadine Morano est là, et le journaliste Michel Denisot précise qu’elle est la seule de l’UMP et du gouvernement à avoir accepté l’invitation, que les autres « n’étaient pas libres ». Tiens donc ! L’avocat des familles de victimes de l’attentat de Karachi est là aussi et la titille sur cette « république irréprochable » qu’avait annoncé Sarkozy pendant sa campagne. « La preuve que nous avons une république irréprochable », réplique Morano, « c’est qu’on a mis en examen des amis de Nicolas Sarkozy ». Etrange argument. Si, plus de dix ans après les faits, des gens sont mis en examen, cela prouve que la justice est lente, ou méticuleuse, qu’elle ne lâche pas sa proie, mais la phrase de Morano signifie qu’ils ont été mis en examen malgré leur qualité d’amis de Sarkozy, ce qui est la moindre des choses dans un régime de séparation des pouvoirs. D’ailleurs l’avocat lui lance avec délicatesse « La république irréprochable vous pouvez vous la mettre où je pense ». Ambiance sur la plateau ! Pendant ce temps, à l’Elysée, on dénonce la calomnie en soulignant que le président n’a rien à voir avec cette histoire (et l’on voit déjà se profiler à l’horizon le lâchage d’Edouard Balladur), et que d’ailleurs « le nom de Nicolas Sarkozy n’apparaît pas dans le procès verbal » de l’instruction.   Aïe ! Comment le savent-ils ? Bien sûr le secret de l’instruction est en France une plaisanterie, mais là, de deux choses l’une : ou bien la garde rapprochée de Sarkozy bluffe, ou bien elle a eu accès au dossier. Et ce serait la première fois que l’Elysée violerait ouvertement ce secret de l’instruction. Vous avez dit république irréprochable 

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fleche19 septembre 2011 : DSK

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L’avantage d’arriver en retard sur un évènement (j’ai été loin de mes ordinateurs pendant quatre jours) c’est que tout a été dit (je veux parler du débat  de jeudi soir entre les six candidats à la primaire socialiste). Enfin, presque tout. J’ai en effet été frappé par la façon dont les six personnages parlaient les uns des autres, faisaient référence les uns aux autres. Entre Valls et Montebourg c’était « Arnaud » et « Manuel », pas de problème, on se nomme par son prénom et on se tutoie  (mais rarement : les candidats ne s’adressaient pas directement la parole.). Aubry parlant de sa rivale alternait entre « Ségolène Royal » et « Ségolène » mais ne parlait que de « François », alors que Valls l’appelait pour sa part « François Hollande », que Montebourg citait « Ségolène Royal », qui elle ne citait personne. Et personne ne citait Baylet. Intéressant, ce ballet de références, cette façon de marquer une proximité ou une complicité en utilisant un prénom, ou au contraire une distance en y ajoutant le nom de famille…

A propos de nomination, j’ai été frappé en parcourant hier Le Monde  par la fréquence du sigle DSK : une fois en page une, deux fois en page trois, en ne prenant en compte que les titres. Frappé parce que faire référence à quelqu’un en utilisant les initiales de son nom témoigne de sa notoriété, et l’augmente en même temps. Les premières personnalités françaises à avoir été ainsi siglée sont je crois B.B. (Brigitte Bardot) et J-J.S-S. (Jean-Jacques Servan-Schreiber) mais depuis lors le procédé n’a guère été utilisé. Pas de F.M. pour Mitterrand, de J.C. pour Jacques Chirac, de N.S. pour Nicolas Sarkozy, qui le pauvre doit en être bien marri : il ne parvient pas à égaler J-F.K. (Kennedy). Il est vrai que FM renvoie aussi à une arme, JC au Christ et NS à Notre Seigneur… DSK, donc. Oui, je sais, il a parlé hier à la télé, mais j’étais dans le train. En revanche, plus tard dans la nuit, j’ai entendu l’impayable Nadine Morano lancer, dans son français sarkosien : « Y’a pas qu’vous qu’êtes père de famille, j’le suis aussi ». On en apprend tous les jours.

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fleche10 septembre 2011 : Nouvelles

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Et tout d’abord nouvelles du feuilleton lexical libyen : dans Libération d’aujourd’hui on parle du « nouveau régime ». Finis les rebelles, les insurgés, la victoire sémantique sémantique dont je parlais dans mon président billet est quasiment complète. Mais ce décalage entre les évènements et leur nomination est historiquement intéressante…

Nouvelles lectures, maintenant : le Calvet nouveau est arrivé. Je viens de sortir, aux éditions Fayard, Il était une fois 7.000 langues (voir le monde des lettres de cette semaine : http://www.lemonde.fr/livres/article/2011/09/08/le-double-langage-de-la-france_1569281_3260.html). Lectures encore, pour vos longues soirées d’hiver (!), mon  Histoire de l’écriture vient de ressortir  en format de poche dans la collection Pluriel. Enfin  le Glossaire des expressions et termes locaux employés dans l’ouest africain, de Raymond Mauny (1912-1994) vient de sortir aux éditions Ecriture. Publié à Dakar en 1952 par l’IFAN (petite remarque lexicale : le sigle signifiait à l’époque Institut Français d’Afrique Noir puis, après l’indépendance, le F renvoya à « Fondamental »), ce travail constitue l’une des toutes premières descriptions du français d’Afrique. Il était depuis longtemps introuvable et je suis content d’avoir pu le préfacer et le mettre à la disposition d’un large public.

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fleche7 septembre 2011b : Victoire sémantique

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A propos de mon billet d’hier, en particulier du couple majorité/opposition,  je reçois une information savoureuse de M. Walter. Au début du premier septennat de F. Mitterrand, m’écrit-il, en Alsace, les élus de droite incapables de se considérer comme opposition s’étaient auto baptisés majorité alsacienne… Cependant, les choses changent vite. Hier, vingt minutes après avoir mis mon billet en ligne, j’ai écouté les informations sur France Inter et entendu ceci : « Les forces du CNT ». Les insurgés, ou les rebelles, sont donc en train de changer de nom. Après les victoires militaires, les victoires sémantiques.

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fleche6 septembre 2011: Lexique et méthode Coué

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Au cours de l’été 1981, j’avais eu un certain mal à expliquer, lors d’une conférence en Equateur (et en espagnol) la situation sémantique dans laquelle se trouvait la France après la victoire de la gauche. Pendant vingt-trois ans nous avions eu en permanence un majorité de droite et une opposition de gauche, les choses s’étaient inversées mais il était malaisé pour les électeurs de droite de se considérer comme opposition (ou comme minorité) et, à l’inverse, difficile aussi pour la gauche de se sentir majoritaire. Petit problème de nomination, bien sûr, mais que nous retrouvons aujourd’hui avec la façon dont la presse parle de la Libye.

J’ai déjà signalé ici que pendant les trois premiers mois de l’année, sur la toile, les termes désignant ceux qui avaient pris les armes contre Kadhafi étaient insurgés (55%), rebelles (34%) et combattants (11%). Depuis lors la situation a changé, comme elle avait changé en France en mai 1981 avec l’élection de François Mitterrand puis d’une assemblée nationale à majorité socialiste. Qu’en est-il dans le discours? Dans la semaine du 22 août, alors que Tripoli était prise, on trouvait les mêmes termes, avec parfois des mots composés comme combattants rebelles, et en face, armée loyaliste ou khadafistes. Et, sur une carte, Libération indiquait les villes tenues par le gouvernement et celles tenues par l’opposition. En vérifiant, ville par ville, on se rendait compte que le gouvernement désignait les  kadhafistes. C’aurait pu être le CNT, Conseil National de Transition, mais non, la capitale était tombée mais le CNT était toujours l’opposition.   D’ailleurs, le 31 août, j’ai entendu à la radio la ville de Syrte qualifiée de « ville loyaliste » Le 5 septembre, toujours dans Libération, une autre carte distinguait entre les villes contrôlées par les pro-Khadafi et celles contrôlées par les insurgés. En deux semaines le gouvernement s’était donc transformé en loyaliste puis en pro- Khadafi. Et ce matin la presse parle de tension entre  « les rebelles et les Touaregs » à la frontière avec le Niger. Passons sur le s qui n’a pas lieu d’être puisque Touareg est un pluriel dont le singulier est Targui, ce qui me frappe est que, malgré la défaite qui semble inéluctable de Khadafi et de ses troupes, ceux qui ont défait son pouvoir, qui sont reconnus par de plus en plus de pays, en bref le CNT, sont toujours baptisé rebelles, oppositions, insurgés… Les habitudes lexicales ont la vie dure, à propos de la Libye aujourd’hui comme en France en 1981, et il sera intéressant de noter quand le CNT sera appelé gouvernement ou gouvernement provisoire...

Alors, préparez-vous pour l’an prochain. En juin 2012 il faudra vous habituer, chers électeurs de droite, à parler de ce qu’il restera de l’UMP comme de l’opposition. Et pour les autres, il faudra vous (nous) considérer comme la majorité. Je sais, cela relève de la méthode Coué. Mais on reparle beaucoup ces temps-ci d’Emile Coué, de façon plutôt positive…

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fleche4 septembre 2011 : Repérages

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Nous venons d’assister à une réjouissante guéguerre au sein de l’UMP. Les mesures économiques annoncées par le gouvernement n’ont pas convaincu les spécialistes et ont hérissé les chiens de garde de certains lobbies (rappelez-vous, dans chaque niche il y a un chien qui mord). L’un d’entre eux, Jean-Pierre Raffarin, a par exemple protesté contre l’augmentation de la TVA pour ce qu’on appelle les « parcs à thème ». C’est normal, il y en a un chez lui… Immédiatement, Sarkozy réagit et le taxe d’irresponsabilité. Raffarin dit n’importe quoi et la TVA sera augmentée,  circulez, il n’y a rien à voir. Mais voilà, le rocker du Sénat ne l’entend pas de cette oreille, et sur son blog il réplique vertement :

 "Les déclarations brutales à mon endroit, en mon absence, de Nicolas Sarkozy au cours du petit-déjeuner de la majorité sont surprenantes et méritent clarification. D’ici là, je me place en congé de cette instance dite de concertation."

Le président, bien sûr, a toujours raison et ses affidés l’approuvent. Lionnel Luca par exemple, membre de la « droite populaire », le pont entre FN et UMP, lance : « Raffarin est un has been » et il commente : « Un ancien premier ministre qui n’est pas devenu président de la république est un has been ». Aïe ! Et Juppé ? Et Balladur ? Mais qu’importe, Luca espère ainsi être bien vu par le président. L’ennui est que le président recule devant le has been : la TVA incriminée ne sera pas augmentée. Fermez le ban. Marrant, non ?

Plus marrant encore est le délicieux euphémisme de notre ministre de l’intérieur. Le 1er septembre nous apprenons qu’un journaliste du Monde, Gérard Davet, a été espionné par  la DCRI (Direction Centrale du Renseignement Intérieur). C’est déjà une vieille histoire, Le Mondei avait porté plainte il y a un an, mais dorénavant les investigations d’une juge ont montré que c’était vrai. Il y a un an, donc, Sarkozy avait été le premier à réagir : « Je ne l’imagine pas, je ne le crois pas » et il ajoutait « cela ne servirait à rien parce que tout se sait ». Tu l’as dit, bouffi !

Bernars Squarcini, le patron de la DCRI, avait lancé : « Je ne m’intéresse pas aux journalistes ». Hortefeux, Guéant, Frédéric Péchenard (directeur général de la police), tous avaient nié. Et voici que, devant l’évidence, le même Guéant avoue des « repérages de communications téléphoniques ». On cherche à qui un journaliste téléphone, qui lui téléphone, ce n’est pas de l’espionnage mais des repérages de communications téléphoniques. Imaginons que la même officine gouvernementale fouille notre cave, interroge nos fournisseurs, nos amis, se procure nos analyses de sang. De l’espionnage ? Non, des repérages de consommation. Qu’elle s’intéresse à nos amis, nos amantes. De l’espionnage ? Non, des repérages de fréquentations. Qu’elle fouille notre discothèque. De l’espionnage ? Non, des repérages d’audition… On croit rêver ! Car ou tout ce beau monde était sincère l'an dernier en niant tout, et du président de la république au directeur de la DCRI ils sont incompétents, ne tiennent pas leurs troupes, ou alors ils cachaient la vérité et nous vivons dans un monde politique de menteurs. Dans une république « normale », cela aurait dû faire scandale et entraîner quelques démission. Et bien non. Je parlais il y a quelques jours de république bananière et de monarchie absolue, c’est pire. A force de repérages, c’est la Stasi qui se profile.

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fleche1er septembre 2011 : Explication de texte

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Tout le monde en France est au courant, mais pour mes lecteurs étrangers (eh oui, il y en a), je rappelle brièvement les faits. Dans un livre qui vient de sortir, Sarko m’a tuer (non, il n’y a pas de faute d’orthographe, mais je ne vais pas tout raconter aux étrangers, ça leur apprendra à ne pas être français), une quinzaine de personnalités qui ont eu à souffrir de la haine de Sarkozy (ici une explication s’impose. Noam Chomsky dirait que ce syntagme, la haine de Sarkozy, peut avoir deux sens, Sarkozy hait quelqu’un ou quelqu’un hait Sarkozy. Il s’agit du premier, ce qui n’exclut pas le second), une quinzaine de personnalités donc qui racontent comment Sarkozy les a fait virer, déplacer ou rétrograder parce qu’il leur en voulait. Et, parmi elles, la juge Prévost-Desprez, qui fut il n’y a guère dessaisie de l’affaire Bettencourt (bon, les étrangers, abonnez-vous au Monde ou à Libé, à ce que vous voulez sauf Le Figaro, maintenant je n’explique plus), raconte que l’infirmière de celle-ci aurait dit hors procès-verbal avoir vu Sarkozy recevoir des enveloppes pleines de fric. Bien sûr, cela fait les unes, les grands titres, les émissions de radio et de télévision, bien sûr encore les chiens de garde du président montent au créneau, dénoncent les magouilles, les boules puantes , les mensonges, et puis tout d’un coup on apprend que l’infirmière en question nie, déclare sur le site de l’hebdomadaire Marianne qu’elle n’a rien dit de semblable. Je vais sur le site et je trouve ceci :

« Lorsque j’ai été auditionnée par la juge Isabelle Prévost-Desprez, assure-t-elle, je ne lui ai pas parlé de remise d’enveloppes à Nicolas Sarkozy, ni à personne d’autre. Je n’en ai parlé ni à la juge, ni à sa greffière ». En revanche, « H.Y. » confirme le climat de peur qui règne autour de cette affaire : « J’ai reçu des menaces de mort. On m’a fait savoir qu’à cause de mon témoignage dans l’affaire Banier-Bettencourt (NDLR, le 24 janvier 2008), on allait retrouver mon corps dans la Seine ». Pour autant, « H.Y. » n’a pas souhaité porter plainte après ces menaces. « Porter plainte contre qui ? Contre l’invisible ? Contre l’Etat ? (…), dit-elle à Marianne. A l’époque, aucun avocat n’a voulu s’occuper de moi au motif qu’il s’agissait d’une affaire sensible. Aussi, désormais, je ne parlerai plus qu’aux juges. Si un juge veut m’entendre, je suis à sa disposition ».

Allez, je vous laisse cinq minute pour lire ce texte avant de passer à une interrogation écrite. Ce passage mérite en effet une analyse attentive. « H.Y. » ne dit pas qu’elle n’a pas vu Sarkozy recevoir des enveloppes, elle dit qu’elle n’en a parlé à personne, ce qui est différent. Vous voyez que l'explication de texte est une discipline qui peut être utile! Et comme elle déclare avoir reçu des menaces de mort, on se demande bien pourquoi, qu’elle ajoute ne pas pouvoir porter plainte contre l’Etat, on est bien obligé de lever les yeux vers le haut : à qui aurait-elle bien pu faire du tort en témoignant. Bref, vous m’avez compris, les media ont surtout retenu dans leurs titres le fait que l’infirmière niait avoir dit ce que prétendait la juge, mais sa déclaration n’absout pas du tout Sarkozy. Si, donc, les citations de Marianne sont exactes, nous n’en avons pas fini avec cette affaire. Pour les étrangers, je souligne que personne en France n’a paru s’étonner de ce passage : « On m’a fait savoir qu’à cause de mon témoignage dans l’affaire Banier-Bettencourt on allait retrouver mon corps dans la Seine ». Personne n’a crié qu’il était impossible, dans la « patrie des droits de l’homme », que l’on menace de mort un témoin. Et dans le contexte actuel, dans cette république française qui tourne à quelque chose d’intermédiaire entre la république bananière et la royauté absolue (on vire à tour de bras, en ce moment, sur un simple geste du prince), je conseillerais à l’infirmière de se planquer. Elle pourrait demander l’asile politique en Libye…

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Août 2011

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fleche30 août 2011 : A la niche !

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Curieuse histoire que celle de la niche. Issu de la racine latine  nidus, en passant par le verbe nicher, le mot désigne à l’origine l’enfoncement dans un mur servant à accueillir un vase ou une statuette. Puis il a pris le sens de ces petites maisons de bois servant d’abri pour les chiens, et c’est cette idée d’abri que l’on retrouve dans ses usages récents, dont deux au moins sont très fréquents niche écologique ou niche fiscale. Ces deux niches n’ont cependant pas la même vitalité : à coups de marées noires, de pollutions diverses, d’accidents nucléaires, les niches écologiques tendent à se raréfier tandis que les niches fiscales se comptent en France pas centaines. Il y en aurait actuellement 538, mais des dizaines d’autres auraient disparu de la liste officielle d’une façon simple : on les a tout bêtement débaptisées, elles ne s’appellent plus niches mais quelque chose comme abattements fiscaux. Et l’ensemble s’élèverait à 95% du déficit annuel du pays ! Mais revenons au mot lui-même : la niche et le nid sont directement apparentés, l’un abrite les œufs des oiseaux et l’autre protège les gros sous de ses bienheureux bénéficiaires. Bien sûr, en bons citoyens, les français sont opposés aux niches fiscales, mais attention, pas à toutes. Il y a de bonnes niches, celles dont on profite, et de mauvaises, celles dont profite le voisin. On peut supprimer celles-ci mais il ne faut pas toucher à celles-là, et nous voilà face à un cercle vicieux qui, comme ont sait, devient de plus en plus vicieux au fur et à mesure qu’on le caresse. Comme on caresse un chien. Avec un flair sociologique remarquable, le député UMP Gilles Carrez vient d’avoir cette analyse judicieuse : « Dans chaque niche, il y a un chien qui mord ». Judicieuse mais ambiguë. En effet, veut-il appeler le gouvernement à la prudence (« attention, ne touchez pas trop aux niches, vous risquez de vous faire mordre ») ou lui conseiller la fermeté (les chiens, cela se dresse) ? A quelques mois d’une élection importante, le choix est crucial. Pourtant je me demande si monsieur Carrez est conscient des implications sémantiques de sa sortie. En effet, s’il est selon lui dangereux de toucher aux niches (fiscales), c’est que leurs bénéficiaires sont des chiens. Lorsqu’on veut imposer son pouvoir à un chien on lui crie : « à la niche ! ». Tiens, ce pourrait être un bon slogan de campagne, « à la niche ! ». Mais pour qui ? On imagine mal Sarkozy l’adresser aux grosses fortunes qui le souviennent. Le PS ? A voir. Mélenchon ? Il y a sûrement déjà pensé. Mais, derrière les slogans, il faut bien avancer des propositions, annoncer des actions concrètes. On peut penser à des solutions intermédiaires, par exemple mettre aux chiens des muselières, ce qui permettrait de toucher à leurs niches sans avoir à trop souffrir de leurs crocs. Et surtout, il ne faut pas avoir peur des mots, craindre de traiter les chiens de chiens, comme on appelle un chat un chat : Selon le psychologue américain William James, repris par le linguiste Saussure, « le mot chien ne mord pas ».

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fleche24 août 2011 : Sauriens

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Libération est abonné aux titres jeux de mots mais joue rarement sur les photos. Lundi pourtant une page entière était consacré de Jean-Louis Borloo, en déplacement dans la Drôme, où il a successivement visité un centre équestre pour jeunes délinquants, une usine de semences, Marsanne, village natal d’Emile Loubet et enfin la ferme des crocodiles de Pierrelatte. Et c’est là qu’intervient la photo, sur trois colonnes, au centre de la page. On y voit Borloo penché sur une mare dans laquelle somnolent de gros sauriens. La légende ne dit pas grand chose : « Jean-Louis Borloo (3° à partir de la gauche) à la ferme des crocodiles, à Pierrelatte, mercredi ». Mais, à la fin de l’article, après avoir dit que l’ex-ministre se garde bien de lancer des réflexions désagréables sur le gouvernement, le journaliste poursuit : « Pas question non plus de se laisser aller aux petites phrases sur le marigot politique ». Et c’est là que la photo prend tout son sens. En la regardant de près, on voit que Borloo contemple au moins six bestioles, et l’on songe au proverbe africain disant qu’il n’y a pas place pour deux crocodiles dans le même marigot. Il y en a donc au moins cinq de trop, et l’on a envie de les baptiser : le crocodile Bayrou, le crocodile Morin, le crocodile Villepin, le crocodile Sarkozy…  Au fait, et pour sourire un peu, avez-vous remarqué qu’il n’y a qu’une lettre de différence entre saurien et vaurien ? Pour sourire encore, hier soir, au journal de la 2, Manuel Valls a répété deux fois de suite un joli lapsus : « Il faut lutter contre le désendettement ». Il voulait bien sûr dire exactement le contraire, mais il lui faudra  faire attention à ce qu’il dira dans le marigot socialiste…

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fleche21 août 2011 : Brassens, Echos du monde

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Georges Brassens est un des auteurs français de chansons le plus difficile à traduire (il y a pire encore, bien sûr : Boby Lapointe), tant ses textes sont travaillés, ciselés et il est pourtant le plus traduit, dans un nombre invraisemblable de langues. Un CD récent (Brassens, échos du monde) vient apporter une pierre de plus à ce monument de belles infidèles. Les amoureux des bancs publics en japonais, Mourir pour des idées en russe, La Mauvaise réputation en créole réunionnais, 95% en anglais, Heureux qui comme Ulysse en brésilien, Saturne en polonais ou La Prière en corse, il y a là de quoi faire une belle promenade plurilingue dans l’œuvre du grand Georges. Mais surtout de quoi tordre le cou à une rumeur imbécile, propagée par ceux qui ne connaissent pas la musique, et ils sont nombreux, selon laquelle les musiques de Brassens seraient monotones. La voix de Brassens, ses interprétations, pouvaient donner cette impression, mais ses mélodies sont au contraire variées et son rythme d’un swing remarquable. Sur ce disque les uns conservent le rythme de Brassens (Koshiji Fubuki) voire son jeu de guitare (Alexandre Avanessov), tandis que Danyel Waro transforme La mauvaise réputation en  maloya, que Sydney Bechet fait de Brave Margot une petite sœur de Petite fleur ou des Onions, que Justyna Bacz travaille Saturne en percussions et que Carina Iglecias traite Heureux qui comme Ulysse en bossa-nova. L’interprétation de Waro est sans doute la plus surprenante, même si Pierre de Gaillande et Keren Ann font de Ninety-five percent une petite merveille tant pour la traduction que pour le traitement rythmique. N’oublions A l’ombre du cœur de ma mie dont la mélodie revisitée par le duo  Debademba (en bambara « la grande famille ») prend des accents mandingues, la guitare d’Abdoulaye Traoré devenant kora. Un seul regret, Nina Simone qui, croyant peut-être rééditer le coup de Ne me quitte pas, massacre proprement Il n’y a pas d’amour heureux. Nobody is perfect… Il demeure que si vous aimez et Brassens et les voyages à travers les musiques et les langues, courrez de toute urgence acquérir ce disque.

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17 août 2011 : mi short mi costard

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Je ne peux pas dire qu’il me manquait, mais on n’échappe pas aux media : depuis mon retour de Tunisie, à chaque journal télévisé, je vois Sarkozy. Trois fois sur quatre, il pédale, encadré par ses gardes du corps. Et parfois, tel un ludion sautillant, il fait un saut à Paris, pour une réunion avec le ministre des finances ou pour rencontrer Angela Merkel. Entre les deux, rien. Nous ne savons pas s’il passe du cap Nègre à la capitale en hélicoptère, en avion, en train ou à cheval. Mais d’un côté, comme un petit garçon en culottes courtes, il pédale (dans la choucroute ? Le yoghourt ?), de l’autre, ayant revêtu son costume du dimanche (ou de communion) il parade face à la crise et à la bourse en chute. On parle beaucoup, ces dernières années, d’éléments de langage, ces phrases toutes faites et en général creuses, que l’on prépare aux politiques et qu’ils vont répétant, il faudrait parler ici d’éléments de vêture, ou d’éléments de gestuelle. Je ne sais quel gourou, ou quel spécialiste autoproclamé de la communication lui a conseillé cette posture, entre vélo et Elysée, mi short mi costard, mais le but visé se lit aisément. Il est simple dans ses loisirs, ni golf ni tennis mais bicyclette, il est actif, prêt à interrompre ses vacances pour courir au turbin. Vous noterez que ses conseillers ne lui ont pas choisi la pétanque, trop populaires ça foutrait les boules à la population huppée du cap Nègre. Au fait, je n’ai pas encore vu de sondage sur l’efficacité du président auprès de cette population. Ce serait pourtant intéressant. Cela va faire quatre ans qu’il leur a promis le tout-à-l’égout….

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fleche11 août 2011 : Alors, la Tunisie ?

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Je viens de passer deux semaines en Tunisie, dont dix jours en plein ramadan, le premier après la « révolution ». Carnet de voyage d’un « retour au pays ».

A la sortie du bateau, un flic prend mon passeport, le feuillette, me demande où je vais, je réponds Sidi Bou Saïd, Kairouan… je n’ai pas le temps de finir, il a vu mon lieu de naissance et me dit : « tu es fou, il fait trop chaud à Kairouan, va chez toi, à Bizerte !» Après cet accueil sympathique (« chez toi »), on passe aux choses sérieuses, et moins plaisantes. A la douane, une queue insensée, un véritable bordel, il faut passer par trois points différents pour faire tamponner un papier, puis un autre, et enfin retirer une autorisation de circuler avec son véhicule. J’écoute une conversation entre deux travailleurs migrants revenant au pays pour le ramadan, dans un mélange savoureux d’arabe et de français.

-Avant c’était mieux, on faisait tout ça sur le bateau, ça allait plus vite

-Ca c’était l’ancien gouvernement. Mais ils vont s’organiser, ça ira mieux…

Avant, ancien gouvernement: tout au long de mon séjour j’entendrai ou je lirai dans la presse différentes façons de nommer l’ancien régime : le régime novembriste, le régime benaliste, le passé Rcédiste (sur RCD, nom du parti de l’ancien président), dictature, tyrannie, ancien régime et pour Ben Ali le déchu, ou encore ZABA (sigle de Zine Abidine Ben Ali, mais qui en arabe peut avoir une connotation sexuelle injurieuse), etc… Reste le futur, la nouvelle société à construire, et là les choses sont plus embrouillées. Il y a aujourd’hui en Tunisie  plus de cent partis politiques. Il est peu probable que tous présentent des candidats aux prochaines élections, beaucoup d’entre eux vont fusionner ou disparaître, mais le problème est ailleurs. Tout d’abord les inscriptions sur les listes électorales piétinent. Désenchantement ou désintérêt ? Le 30 juillet, à trois jours de la clôture des opérations, seuls 16% des Tunisiens s’étaient inscrits sur les listes électorales, ce qui ne semblait pas prouver une grande mobilisation. La date d’inscription est reculée jusqu’au 14 août, le 4 août, le nombre d’inscrits se montait à 27%, il atteignait hier, à mon départ, autour de 30%, mais cela reste assez bas et certains parlent de permettre à tous les détenteurs d’une carte d’identité de voter. Tous les jours, dans les journaux, d’immenses placards publicitaires appellent à s’inscrire, et l’on indique aux Tunisiens résidant à l’étranger qui sont en vacances en Tunisie qu’il y a pour eux des bureaux spéciaux. Bref, on fait tout pour mobiliser les électeurs, mais il faut cependant noter cette désaffection. Pourtant les élections qui auront lieu le 23 octobre doivent mettre en place une assemblée constituante, ce qui n’est pas rien, et l’on attend des futurs candidats qu’ils présentent leurs positions sur ce point. Pour l’instant, rien, si ce n’est un avant-projet de Sadok Belaïd, professeur de droit, qui a le mérite de balayer l’ensemble des problèmes, liberté de conscience et de culte, indépendance de la justice et séparation des pouvoirs, etc. Mais il s’agit là d’une initiative personnelle et l’on ne sait toujours pas ce que proposeront les partis.

Dans ce contexte, on apprend que sur la chaîne privée Hannibal TV une émission sera assurée pendant tout le ramadan par Abdelfattah Mourdou, fondateur du pari islamiste En Nahdha. Le Temps  titre, avec un joli néologisme, « Brik et chorba aux épices nahdhaouies ? » (« Brik et soupe à la sauce du Nahda ? » Mais la chose est sérieuse car le statut du monsieur est assez ambigu, politique, religieux, sans doute bientôt candidat, et lui confier une émission « religieuse » semble pour beaucoup relever de la confusion des genres. Ce qui donne, dans un dessin humoristique de Lotfi, la réplique suivante : « Ils n’ont pas de programme économique, ils n’ont pas de programme politique, mais ils ont un programme à la télé ». Et cette question de la place de la religion dans la vie du pays et, surtout, dans la future constitution, est comme en Egypte centrale. Le 31 juillet, à la veille du ramadan, le ministre des affaires religieuses rencontre les imams de tout le pays et leur conseille un « discours éclairé » : « Les mosquées servent de lieux pour la diffusion du discours religieux, pour la tenue de cours  et pour la prière, et non pour la campagne électorale ». Il ajoute que la fermeture des cafés et restaurants pendant « le mois saint » est un obstacle aux libertés individuelles des visiteurs étrangers. Ce qui semble signifier que les Tunisiens, eux, doivent jeûner… Ce problème des rapports entre le religieux et le politique est partout dans la presse francophone, parfois traité, comme au billard, par la bande. Ainsi, dans La Presse de Tunisie du 31 août un article relate les manœuvres des islamistes en Egypte. « A les voir, à les entendre, tous ces problèmes seront résolus le jour où les femmes se voileront de la tête aux pieds, les hommes porteront le qamis et la barbe et les uns et les autres se conduiront conformément à ‘la parole de Dieu’ (….. ) Que proposent-ils, ces frères musulmans, pendant tout ce temps, à part le voile pour la femme, quatre épouses pour l’homme et la stricte application de la chariia pour deux ? ». Bien sûr, ces passages visent les islamistes égyptiens, mais on peut voir derrière une autre cible, plus proche… Pendant ce temps Rached Ghannouchi, figure emblématique du parti islamiste En Nahda, en visite en Egypte, déclare le 3 août dans l’émission de télé Sabah el Khir ya masr (« bonjour l’Egypte ») que le but ultime des Musulmans est l’instauration du Califat. Nous voilà prévenus…

Le ramadan est un bon révélateur de l’état et de la tolérance (ou de l’intolérance) d’une société musulmane. Malgré les déclarations  du  ministre des affaire religieuses, le mufti de la République, Othmane Battikh, a appelé à la fermeture des cafés et gargotes. Le résultat de ce double langage officiel est qu’ il est impossible de trouver en ville, dans quelque ville que ce soit, un café ou un restaurant ouvert dans la journée. En outre il est impossible d’acheter du vin ou de l’alcool : les commerces sont fermés pour la durée du « mois saint ». Tout cela a un double effet. Les Tunisiens qui ne veulent pas jeûner ne trouvent nulle part où manger ou boire, et les touristes ne peuvent manger que dans des hôtels de luxe, ce qui creuse un fossé entre Tunisiens et touristes. Pendant ce temps, les affaires continuent. En particulier le prix des œufs et du poulet, une des bases de l’alimentation, monte en flèche, et l’eau en bouteille manque. La presse s’inquiète de la montée des prix et  du couffin de la ménagère, bien sûr adaptation locale du panier de la ménagère, on évoque la Libye, qui a besoin d’eau et de nourriture, mais c’est en fait la spéculation ramadanesque qui fait monter les prix et prend les gens à la gorge…

Alors, la Tunisie ? On a un sentiment plus que mitigé. D’une part, comme une cocotte minute dont on a ouvert trop vite le couvercle, la soudaine liberté successive au départ de Ben Ali a déclenché une prise de parole qui va dans tous les sens. Dans la presse on lit tous les jours des tribunes libres, des opinions, à la télévision on assiste à des débats désordonné, comme si l’on rattrapait le temps perdu  après trente ans de mutisme. On assiste en fait à une sorte d'apprentissage de la liberté et de la démocratie. Mais cette aspiration à la liberté pousse aussi certaines femmes à faire ce qui n’était pas admis jusque là, par exemple à porter le voile intégral, la burka, ce qui constitue bien sûr un symbole paradoxal de liberté. On a souvent dit que la Tunisie était un pays « laïque », disons à tendance laïque, et la « révolution » a fait pencher la balance dans l’autre sens: j'ai rarement vu en Tunisie un ramadan aussi fermé. D'autre part, on a une forte impression que les débats à la télévision, les tribunes libres dans la presse, les revendications islamiques, sont des affaires de « vieux », de politiciens qui jusque là n’avaient pas la parole et qui la prennent dans un désordre au bout du compte sympathique. Mais la jeunesse qui a « fait la révolution » semble avoir abdiqué devant le retour des gérontes et  se réfugier dans l’indifférence ou le scepticisme. En Egypte, il y a deux mois, j'avais rencontré des jeunes enthousiastes, rieurs, fiers. Rien de semblable ici. Par exemple l'élection des présidents d'université, qui jusque là étaient nommés, ne produit que du scepticisme. La Tunisie semble vivre à l'heure du "bof". La police se cache et les gens font n'importe quoi, les voitures brûlent les feux rouges, les scooters roulent en sens interdit. Le pays a une opportunité de faire son avenir et les jeunes, qui sont la majorité, s'en foutent. Bon je n’ai peut-être rien compris à la situation, et au fond je l’espère, mais j’ai tout de même comme un goût amer.

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Juillet 2011

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fleche23 juillet 2011 : Torchon

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En janvier 2007 j’avais relaté ici une petite histoire qui montrait la déontologie à dimension variable du Figaro. Nicolas Sarkozy, en pleine campagne présidentielle, était allé au Mont Saint Michel, où il avait lancé: "Il y a quelques années, François Mitterrand dans une réplique superbe, avait dit: Vous n'avez pas le monopole du coeur. Moi je laisserai le monopole du sectarisme à tous ceux qui veulent être sectaires". Les « quelques années » faisaient un peu anachroniques (la scène s’était passée en 1974) mais surtout la phrase n’était pas de Mitterrand mais de Giscard d’Estaing. Or, le lendemain dans le Figaro, le journaliste Charles Jaigu avait transformé ce qu’avait dit Sarkozy, pour gommer son erreur comme on rectifie une photo : "Je laisse aux autres le monopole du sectarisme, a-t-il lancé. Une allusion à la réplique de Valery Giscard d'Estaing à François Mitterrand en 1974: Vous n'avez pas le monopole du coeur". En juillet 2008, rebelote. Ingrid Bétancourt, à peine libérée, remerciait devant les caméras le président Sarkozy,  Jacques Chirac,  Dominique de Villepin et sa femme. Sur le site du Figaro, la séquence était coupée,  Chirac, Villepin et sa femme disparaissant pour ne laisser la place qu’au seul Sarkozy. Peu de gens, à ma connaissance avaient protesté contre ces libertés prises avec la réalité, peu de gens avaient dénoncé le parti pris systématique de ce journal qui se revendique de Beaumarchais et de la liberté de blâmer. Or voici que quelques protestations montent au sein même de la rédaction. La goutte d’eau qui a fait déborder le vase est un montage, en une, présentant François Hollande et la présumée victime de DSK Tristane Banon côte à côte. Et, sous couvert d’anonymat, des journalistes se plaignent , considèrent que leur journal est en train de devenir le bulletin de l’UMP, que son directeur, Etienne Mougeotte, prend ses ordres à l’Elysée, qu’il a une ligne directe avec Serge Dassault (patron du journal, sénateur UMP, homme d’affaires) qui contrôlerait tout ce qui s’écrit. Si jamais des lecteurs du Figaro lisaient aussi mes billets, ce dont je doute, je leur dirais : faites gaffe, votre journal vous empoisonne lentement les méninges. Mais elles le sont déjà. Quant aux journalistes qui se plaignent en douce mais continuent à trafiquer l’info, on se demande qui les a obligés à travailler dans ce qui apparaît de plus en plus comme un torchon.

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fleche21 juillet 2011 : Lecture

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Je tiens depuis cinq ou six mois un « blog langues françaises » (vous aurez noté le pluriel) sur le site de la revue Le Français dans le monde. J’y interviens une fois par mois en moyenne mais, surtout, j’y invite en même temps des collègues de la francophonie du nord (Belgique, Canada) ou du sud (Algérie, Sénégal, Gabon, Congo) qui m’aident à rendre compte de ce qui se passe à la fois du point de vue de la langue et du point de vue des politiques linguistiques dans l’ensemble de l’aire francophone. Ca vous intéresse ? Juste un clic : http://nathan-cms.customers.artful.net/fdlm-v2/langue-francaise/

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fleche19 juillet 2011 : Pleurer les morts

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Je ne parle pas beaucoup ici de mon travail au jour le jour, mais je suis en train de préparer une grosse étude sur les langues africaines, le pendant africain du baromètre des langues du monde que vous connaissez déjà. Se dégagent des langues en expansion, des langues émergentes, et d'autres menacées de disparition à court terme. En Somalie par exemple, le somali est parlé par près de 9 millions de personnes, soit pratiquement toute la population, alors que des langues comme l’aweer, le dabarre ou le tunni y sont au bord de l’extinction. Ce qui nous mène au thème éculé de la mort des langues, approche larmoyante qui m’a toujours un peu énervé et qui m’énerve d’autant plus dans ce cas particulier qu’une bonne partie de la population du pays est menacée de disparition du fait de la sècheresse. « Mort » des langues, mort des populations, ce n’est pas tout à fait la même chose, métaphore dans un cas, réalité dans l’autre… Imaginons par hypothèse que l’on tue l’ensemble des locuteurs d’une langue. La langue disparaîtra, bien sûr, mais surtout ses locuteurs, non ? Et puisque nous parlons de morts : Depuis deux jours radios et télévisions nous annoncent « l’hommage national » qui a eu lieu ce matin aux Invalides pour les soldats français tombés en Afghanistan. On peut, on doit avoir de la compassion pour leurs familles et ne pas supporter ces manifestations funèbres. Ne pas supporter la tête de circonstance qu’affiche Sarkozy en ces occasions. Et surtout ne pas supporter cette idéologie de la nation, ne pas se sentir concerné. Les soldats ont été décorés à titre posthume de la légion d'honneur. Ca leur fait une belle jambe, et ça m’en fait une plus belle encore, moi qui ricane de ces breloques que certains arborent à leur boutonnière, rouge pour ce qui concerne la légion d’honneur, rouge comme la honte.

Il y a donc eu en Afghanistan 70 morts français depuis 2004.  Et voici que l’on parle de « sécuriser » l’armée. Sécuriser l’armée ! Oui, c’est nouveau, ça vient de sortir. On n’arrive pas à sauver la Somalie de la famine mais on veut sécuriser les soldats français ! J’ai lu dans Le Figaro du 15 juillet que Gérard Longuet, ministre des armées voulait « sécuriser la transition » mais qu’il reconnaissait « ignorer comment parvenir à cet objectif ». Toujours dans Le Figaro on apprenait que Sarkozy, en visite à l’hôpital militaire de Percy, avait déclaré : « Nous sommes maintenant davantage face à des actions de type terroriste que seulement des actions militaires ». Quel stratège ! Quelle hauteur de vue ! Et il a ajouté : « Face à ce nouveau contexte, il faut de nouvelles mesures de sécurité ». On dit souvent qu’il fonctionne sur le modèle « un fait divers, une nouvelle loi », mais là il se surpasse. Et ce matin tous les moyens de la télévision publique et de l'armée ont été mobilisés pour une belle cérémonie. Un curé, ou peut-être un évêque, je ne sais pas, célébrant un office, lance qu'ils "sont mort pour la France" et parle de "notre drapeau". Le drapeau de qui? Des catholiques? Des Français? Il parlait au nom de qui, le curé ou l'évêque? Des catholiques ou des Français? Des Français, bien sûr, mais alors de quoi se mêle-t-il? La laïcité, ça marche dans les deux sens, et un curé ou un évêque ne peut pas parler au nom des Français. Je suis français et je ne partage rien avec lui.... Quant à la télévision publique: la 3 parlait d'un "pays qui pleure ses morts", la 2 annonçait que "la France a rendu hommage à ses soldats". Désolé, ils ne sont pas à moi, même si mes impôts contribuent à les payer. Et Sarkozy: "vous vous êtes sacrifiés pour une grande cause". Bon, fermons le ban. Des soldats sont morts, et c'est triste. Il en est mort 70 en 6 ou 7 ans et c'est toujours trop. Pour mémoire, dans la boucherie de 14-18, il y eut 1.315.000 morts militaires français, plus de 300.000 par an, environ 900 par jours, 37 par heure. Mais que Sarkozy profite de ces quelques morts pour peaufiner son image et préparer sa campagne, ça me gonfle. Si les langues votaient, ils pleurerait sur la mort des langues.

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fleche17 juillet 2011 : Nous sommes cernés

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Après avoir tiré à boulets rouges sur les primaires socialistes, au motif qu’elles permettraient de « ficher les électeurs » (c’est marrant, non, on n’en parle plus du tout), voici que la droite se déchaîne contre Eva Joly qui a eu le malheur de suggérer que l’on puisse bannir les défilés militaires du 14 juillet. On parle d’anti-France, de Vichy ( !), de Maurras, d’esprit munichois, bref de n’importe quoi, la palme revenant bien sûr à François Fillon : « je pense que cette dame n’a pas une culture très ancienne des traditions françaises, des valeurs françaises, de l’histoire française ». Derrière tout cela la volonté de surtout ne pas couper le lien avec l’électorat d’extrême droite, de le caresser dans le sens du poil, de coller au front national, mais en même temps la réapparition de la lutte contre les binationaux (vous vous souvenez ? ). En gros, Eva Joly n’est pas vraiment française, pas depuis assez longtemps, donc elle n’a aucune légitimité… C’est vrai d’ailleurs. Non seulement c’est une femme, mais en plus elle n’est pas née française. Berk ! Shame on you ! Il y en a d’autres, qu’il convient de dénoncer. La femme du président par exemple, née italienne, qui s’est permis de déclarer « pas vu pas pris » lorsqu’on l’interrogeait sur une main du footballeur Thierry Henry (voir 27 novembre 2009). Pas étonnant qu’elle soit du côté des tricheurs, elle vient de chez Berlusconi. Et la femme du premier ministre, née britannique. MadameJoly, Madame Bruni-Sarkozy, Madame Fillon: Nous sommes cernés par les femmes binationales. Pauvre France !

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fleche14 juillet 2011 : Le jour du 14 juillet...

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« Le jour du 14 juillet je reste dans mon lit douillet, la musique qui marche au pas cela ne me regarde pas ». J’ai commencé ma journée en écoutant cette chanson de Brassens,  La mauvaise réputation. Mais il est difficile d’échapper à cette musique qui marche au pas. Depuis hier, les media évoquent en boucle les soldats français morts en Afghanistan. On parle de 69 morts depuis 2004, de 17 morts cette année. Bon, ce sont les risques du métier, un métier qu’ils ont choisi, ils sont payés pour ça. Deux jours avant, à propos de la Libye, les mêmes media parlaient d’enlisement. Dans les deux cas, Sarkozy joue au chef de guerre, et il a besoin de résultats en Libye pour enrichir son profil avant les élections. J'ai cependant deux petites questions. La première : depuis juin 1040, lorsque Pétain s’est couché devant Hitler, y a-t-il une guerre que l’armée française n’a pas perdue ? La deuxième : on nous parle des soldats français morts au front mais peut-on savoir combien de personnes les soldats français ont tuées dans leur carrière ? Par exemple, récemment, en Libye ?

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fleche13 juillet 2011 : Joly vs Le Pen, histoire d'accents

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Lorsque l’on veut féliciter un étranger pour sa façon de parler le français on lui dit qu’il le parle « sans accent ». La formule est bien sûr idiote car nous avons tous un accent, parisien ou marseillais, pied-noir ou BCBG, alsacien ou breton… Certains en sont fiers, le revendiquent, d’autres tentent de le masquer, de le transformer. Et les étrangers ont, bien sûr, un accent qui témoigne de leur première langue. Eva Joly, dans son premier discours de candidate a, hier, innové sur ce point. Après avoir souligné que « c’est la première fois que se présente à la présidentielle une Française qui est née et a grandi à l’étranger » et avoir affirmé « je suis une Française par choix et par conviction » elle a lancé « mon accent est la marque du rayonnement de la France dans le monde entier ».

Etre française par conviction (et non pas par filiation, par le sang), cette formule mérite d’être soupesée et je suppose que beaucoup de nos compatriotes pourraient se l’approprier face aux délires xénophobes de Madame Le Pen.  Sans doute sa première réaction serait-elle de dire que ce n’est pas la même chose d’être française (par conviction) d’origine norvégienne et française (par conviction) d’origine algérienne ou sénégalaise, mais du même coup elle se piégerait elle-même en soulignant son racisme. Ce n’est cependant pas cela qui me retient dans le discours d’Eva Joly mais la phrase suivante, « mon accent est la marque du rayonnement de la France dans le monde entier ». On pourrait bien sûr dire cela de tout accent étranger, comme on pourrait dire qu’un accent étranger en anglais est la preuve du rayonnement de l’anglais dans le monde entier. Cela devrait plaire à madame Le Pen, si prompte à défendre la nation française, ce « rayonnement de la France dans le monde entier ». J’ai écrit « devrait » car il lui faudrait admettre que l’accent arabe, wolof, soninké, bambara, etc. participent à ce rayonnement. Bref, c’est la première fois que, dans un discours d’écologiste, j’entends des accents politiques. Et c'est bien venu, à la vieille du 14 juillet, où certains chanteront La Marseillaise dont je vous rappelle le dernier couplet:

Amour sacré de la patrie, Conduis, soutiens nos bras vengeurs, Liberté, liberté chérie, Combats avec tes défenseur! Sous nos drapeaux que la victoire, Accoure à tes mâles accents..... Décidément cette histoire d'accents est bien intéressante!

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fleche7 juillet 2011 : Que les hommes et les femmes soient belles...

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Victor Hugo, dans un long poème, du livre 1 des Contemplations, « Réponse à un acte d’accusation », dressait un tableau de la langue  française figée et décrivait ce qu’il croyait avoir été son action :

« Je suis le démagogue horrible et débordé, et le dévastateur du vieil ABCD… La langue était l’Etat avant quatre-vingt-neuf, les mots, bien ou mal nés, vivaient parqués en castes… Je mis un bonnet rouge au vieux dictionnaire… Je fis une tempête au fond de l’encrier »

Mais, dans ce beau programme, s’il évoquait l’alphabet et le lexique, il n’évoquait pas la syntaxe. Or voici que, sous le titre que les hommes et les femmes soient belles, circule une pétition contre la « syntaxe antifemme ». Vous avait compris, il s’agit de protester contre la vieille règle qui veut que le masculin l’emporte pour l’accord sur le féminin : Cet homme et ces trois soixante cinq femmes sont beaux. Cela peut paraître stupide, illogique, dans certaines langues on accorde avec le dernier terme, ce qui donnerait Cet homme et ces trois soixante cinq femmes sont belles, mais aussi Ces trois soixante cinq femmes et cet homme sont beaux, ce qui serait tout aussi stupide et illogique. Mais dans la pétition à laquelle je faisais allusion on considère la règle en question comme sexiste. Il se trouve qu’il y a un accord en français, et qu’il force donc à choisir. Ce problème ne se poserait pas en anglais, mais il s’en pose d’autres autour du problème du sexe, et il est de bon ton depuis quelques années de les traiter en termes de domination machiste. La domination de la femme par l’homme, la non parité, le traitement inégal des femmes dans le domaine des salaires par exemple sont des réalités indiscutables. Mais j’ai toujours pensé que vouloir les combattre à travers la langue était une illusion. Une certaine Henriette Zoughebi, présidente du collectif l’égalité c’est pas sorcier, a déclaré au Nouvel Observateur : « Il faut en finir avec cette règle de grammaire qui perpétue l’idée de supériorité masculine et s’ancre dans la tête des enfants avec une lourde valeur symbolique ». Je suis tout à fait convaincu que certains combats symboliques sont fondamentaux, mais j’ai aussi le sentiment qu’il est parfois plus urgent d’agir sur la réalité que sur sa traduction linguistique. En anglais un président de séance n’est plus appelé chairman mais chairperson. Pourquoi pas, mais qu’est-ce que cela change à la situation de la femme. J’ai l’impression de me répéter, car j’ai souvent posé cette question, mais je la réitère : est-ce que la condition des Noirs aux USA a été améliorée par le fait qu’on ne les appelle plus black ni black american mais african american ? Tout cela nous ramène à George Orwell et à son 1984 et aux illusions qui en découlent… Bref, je pourrais continuer pendant des pages sur ce thème, mais cette pétition me suggère d’autres remarques.

Car, à propos de cette règle de grammaire, il semble que l’on déclare la guerre au père Bouhours, (1628-1702), jésuite de son état, successeur de Vaugelas, dont le nouvel Obs, juste après avoir cité Henriette Zoughebi , écrit qu’on lui doit cette règle. Est-ce elle qui le déclare ? Ce n’est pas clair et je sais qu’il faut se méfier de la façon dont la presse rapporte les propos. Mais Henriette Zoughebi écrit sur son blog que « le père Bouhours est l’un des grammairiens qui a œuvré à ce que cette règle devienne exclusive ». Je suis toujours un peu gêné lorsqu’on tente de rendre responsable de n’importe quoi quelqu’un qui ne peut plus se défendre, et toujours surpris par cette tendance à chercher des boucs émissaires. Alors, pour ma propre gouverne, je suis allé voir du côté de ce père Bouhours. Il est vrai qu’on lui prête une formule particulièrement stupide, voire raciste : « De toutes les prononciations, la nôtre est la plus naturelle et la plus unie. Les Chinois et presque tous les peuples de l’Asie chantent ; les Allemands râlent ; les Espagnols déclament ; les Italiens soupirent ; les Anglais sifflent. Il n’y a proprement que les Français qui parlent. » Mais on prêtait ce même type d’ânerie à Charles quint plus d’un siècle avant lui. En revanche, dans le 7ème volume des Lecons de linguistique  de Gustave Guillaume, qui en matière de syntaxe est une autorité, on trouve ceci dans une leçon du 11 avril 1946 : « Les règles du P. Bouhours ont disparu des ouvrages didactiques, mais elles continuent néanmoins d’exprimer à un certain degré la réalité linguistique : ce qui est éprouvé, senti par les sujets parlants ». Tiens, Bouhours aurait été du côté de l’usage ? Et en 1968 Théodore Rosset publiait Entretiens, doutes, critique et remarques du Père Bouhours sur la langue française et, dans une partie intitulée « remarques sur la morphologie et la syntaxe » il écrivait dans le paragraphe consacré à l’accord de l’adjectif : « Lorsqu’un adjectif se rapporte à deux substantifs de genres différents, l’usage tolère, selon Bouhours, qu’on ne fasse accorder cet adjectif qu’avec le dernier substantif ; mais les personnes qui se piquent d’une grande justesse évitent cela comme un écueil ». Et il cite Bouhours lui-même : « qui peut seule lui donner un secours et une consolation parfaite ». Encore une faut, Bouhours n’est peut-être pas le machiste que l’on croit. Je n’aime pas particulièrement les jésuites, je n’ai aucune raison de voler au secours de celui-là, mais je trouve spécialement désagréables les propositions du type C’est la faute à… Pour finir avec le sourire, et le verbe finir est ici à prendre en différents sens, on raconte qu’au moment de mourir Bouhours aurait déclaré : « Je vais ou je vas mourir, l’un et l’autre se dit ou se disent ». Anecdote apocryphe, sans doute, mais on ne prête qu’aux riches. Et puis un petit conseil. Pour éviter les difficultés et le ridicule qui mèneraient à des phrases comme les hommes et les femmes sont connes, mais les femmes et les hommes sont cons, choisissez donc des adjectifs comme bête, stupide,  imbécile, ridicule, plutôt que con ou idiot…

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fleche5 juillet 2011 : Comme si je vous disais...

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On n’en aura jamais fini ! Alors qu’à New York les choses semblent tourner à l’avantage de Dominique Strauss-Kahn, c’est de France que part une nouvelle offensive. Tristane Banon porte donc plainte contre DSK pour une « tentative de viol » qui aurait eu lieu il y a huit ans. Et Christophe Barbier, directeur de L’Express, met son journal au service de l’entreprise en publiant un entretien avec la plaignante. Pourquoi porter plainte après huit ans ? « De voir Strauss-Kahn libre, dîner dans un restaurant de luxe entre mais, ça me rend malade », dit-elle. Et un peu plus loin elle explique que François Hollande, à l’époque patron du PS, était au courant de tout et qu’il avait personnellement géré l’affaire. Ce qu’il dément. Voilà donc pour des faits, que je me contente de rapporter. Pour le reste nous n’avons que des supputations, des hypothèses, du conditionnel.

Justement, à propos de conditionnel. En 1971, Léo Ferré dans un long texte récité comme une litanie sur un fond musical, Le conditionnel de variétés, évoquait  les affaires politiques et sociale du temps. Son texte commençait par une précision : « Je ne suis qu’un artiste de variétés et ne peut rien dire qui ne puisse être dit de variétés…comme si je vous disais… » Et suivait une longue liste, le directeur du journal maoïste La Cause du peuple mis en prison, les cadences chez Renault, les licenciements à Tourcoing… Stylistiquement, l’effet était imparable, et l’auditeur recevait toutes ces dénonciations comme des vérités, ce qu’elles étaient d’ailleurs. Je n’ai pas le talent de Ferré, et en outre je ne suis pas artiste de variétés. Mais je vais tout de même essayer de lui piquer son gimmick, juste pour m’amuser.

Comme si je vous disais, donc, que les services d’un procureur new-yorkais auraient mis cinq semaines pour se rendre compte qu’un témoin central avait menti sur un certain nombre de points. Comme si je vous disais qu’il aurait fallu  cinq semaines  à ces mêmes services pour faire traduire en anglais une conversation téléphonique en peul. Comme si je vous disais qu’il leur aurait également fallu cinq semaines pour découvrir que le témoin central avait plusieurs portables ou que sur son compte en banque transitaient de grosses sommes. Comme si je vous disais que tout cela aurait mené un directeur du FMI en prison, à la démission, à la fin de ses ambitions présidentielles en France. Comme si je vous disais que tout cela aurait miraculeusement été révélé juste après l’élection de madame Lagarde à la direction du FMI. Comme si je vous disais que la plainte de T. Banon pourrait sembler viser, au delà de DSK, F. Hollande ou le PS.  Comme si je vous disais que tout cela pourrait bien ressembler à une contre-attaque de la droite au moment où Strauss-Kahn, blanchi, pourrait, auréolé de ses compétences économiques, jouer un rôle dans la campagne présidentielle. Comme si je vous disais que le directeur du journal hebdomadaire qui aurait publié les accusations de T. Banon aurait pu être un ami de la femme d’un président de la république. Comme si je vous disais…

Bon, je m’arrête là, vous pouvez compléter mon texte à votre guise. Léo pour sa part terminait ainsi le sien : Comme si je vous disais d’aller tous ensemble faire la révolution. Comme si je vous disais que la révolution c’est peut-être une variété de la politique et je ne vous dis rien qui ne puisse être dit de variétés moi qui ne suis qu’un artiste de variétés. Mais il n'y a pas beaucoup de variété dans toutes ces histoires: elles semblent toutes servir les mêmes intérêts, viser la même cible.

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fleche2 juillet 2011 : Examens de conscience

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Je sais, mon titre fait un peu cucul catho, mais les derniers rebondissements dans l’affaire DSK sont une excellente occasion de réfléchir sur les effets des media dans la construction de l’information ou, plutôt, dans la construction du récit de l’information. Vous vous en souvenez, bien sûr, après le 14 mai tous les journaux français, quotidiens et hebdomadaires, ont consacré leur une à cette affaire, plusieurs jours de suite parfois pour les quotidiens, et cela est un fait mondial : jamais un événement n’a suscité autant de unes depuis le 11 septembre 2001. Le problème est que les media dépassaient le niveau de l’information, qu’ils étaient en quelque sorte co-scénaristes du récit. « Affaire DSK, Saison 2 » titrait Libération d’hier, et c’est tout dire. Nous sommes en pleine « feuilletonisation » de l’événement, avec coups de théâtre, retournements de situation, et même changement de pied des scénaristes. La caricature de cette intervention de la presse dans l’événement se trouve aux USA, dans le New York Daily News qui plusieurs jours de suite titrait sur le pervers (le perv, dans le texte original) et qui, retournant sa veste, titrait hier sur le libéré (le freed). Tout ce corpus servira sans doute un jour à plusieurs thèses sur l’information, sur la construction de l’événement, mais la presse n’est pas la seule, bien sûr, elle est à l’image de ses lecteurs. Nous nous souvenons sans doute tous des commentaires variés entendus dans les bistrots ou sur les marchés, chacun s’autoproclamant légitime à juger, dans différents sens d’ailleurs, allant de la théorie du complot à la condamnation d’un porc machiste.  En France les éditions spéciales se sont succédées, les doctes analystes ont analysé. Alors oui, il faut peut-être faire une sorte d’examen de conscience, de retour critique sur ce que l’on a dit ou écrit. Je suis moi-même allé relire mes billets des 16 et 18 mai, craignant d’y trouver quelque chose qui me ferait honte, mais je n’ai pas eu l’impression d’être tombé dans ce piège. Quoiqu’il en soit, après la chute annoncée, le rideau se lève sur le deuxième acte, sur la « saison 2 » annoncée par Libération. Nous ne sommes pas loin de Dallas ou de 24 heures chrono : c’est là l’effet de la presse sur l’évènement. En ce dimanche matin, elle est tiraillée la pauvre, ne sachant où donner de la tête, entre trois directions : DSK, le tour de France et un mariage princier à Monaco…

Bon, tout cela ne prouve pas que DSK soit innocent, simplement qu’il y a de moins en moins de preuves acceptables aux yeux de la justice américaine puisque son seul témoin, Nafissatou Diallo, est décrédibilisée. Et cela relève de ce que nous pourrions appeler une approche interculturelle de la justice. Il est là-bas, sans exagération, plus grave de mentir sur un délit que de l’avoir commis. Vous tuez quelqu’un, c’est mal. Vous dîtes ne pas l’avoir tué, c’est pire. Il est préférable de plaider coupable et de négocier. Souvenez-vous de Bill Clinton : on lui reprochait plus d’avoir menti que d’avoir commis ce qu’on disait qu’il avait commis. De ce point de vue, il faut souligner que les dernières informations, qui sont toutes à l’avantage de Dominique Strauss-Kahn, ne viennent pas de sa défense mais du procureur, de son accusateur. Et, comme souvent, on peut en tirer plusieurs conclusions, selon le point de vue que l’on adopte. Ainsi l’on pourra dire que la médiatisation, il y a six semaines, d’un DSK menotté, humilié, pas rasé, harassé, était un scandale et que la justice américaine méprise les droits des prévenus. Mais on pourra dire aussi que le virage à 180 degrés que vient d’effectuer le procureur est à l’honneur de la même justice américaine. C’est comme vous le sentez.

Reviendra, reviendra pas ? Nous aurons sans doute à partir de demain des sondages sur ce thème: Voulez-vous qu’il revienne ? Voteriez-vous pour lui ? Car eux aussi, les sondages, sont coscénaristes du récit, et cet événement hors norme nous invite à y réfléchir. Nous savons qu’au plus haut sommet de l’Etat on en est friand. Nous voyons dans la presse que chaque titre a son institut de sondage préféré. Mais personne ne nous apprend à les lire, à soupeser la façon dont les questions sont posées. Ici encore il y a du travail à venir…

Pour être tout à fait complet il faut, dans les réactions à ce qui s’est passé le 14 mai, rappeler celles des femmes ou des féministes. Interventions dans la presse, à la télé ou à la radio, allant plus ou moins toutes  dans le même sens : marre du pouvoir macho, du harcèlement sexuel ! Condamnation du silence des femmes abusées. Et là aussi il faudrait opérer une relecture, soulignez les outrances, la violence, la haine (s'il nous faut nous souvenir d'une seule formule, reprise à l'envi, ce serait "Chimpanzée en rut"). Mais des bouches se sont ouvertes et c’est plutôt bien. Ironie de l’histoire, cette prise de parole a mis à mal un autre homme politique français, de moindre réputation, certes, Georges Tron. Décidément, cette histoire, c’est le pied !

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Juin 2011

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fleche29 juin 2011 : C'est parti !

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Depuis que nous avons, avec Jean Véronis, scruté les discours politiques lors de la dernière élection présidentielle (nous en avions tiré deux livres) je me disais que j’en avais un peu assez de ces bavards spécialistes de la palinodie ou du mensonge. Et pourtant ce qui s’est passé depuis quelques jours me donne envie de m’y remettre. Tout le monde le sait, Martine Aubry a annoncé hier sa candidature. Et tout le monde a noté que subitement elle parlait en je alors que jusqu’ici, voulant être la voix du PS, elle parlait en nous. C'est tout bête, mais c'est significatif. On a peut-être moins souligné qu’elle se présentait « à l’élection présidentielle ». Fin mars, François Hollande avait ajouté « à travers les primaires du PS ». Aubry, elle, vise directement le sprint final. Deux jours avant, Ségolène Royal, interrogée sur la candidature Aubry, avait lancé « que la meilleure gagne », excluant donc de la bataille son ancien compagnon. Tout se passerait entre elle et elle. C’est donc parti côté PS ! On fourbit les armes.

Plus intéressant peut-être, les réactions du côté de l’UMP. Hier soir, on attendait des nouvelles de Washington concernant l’avenir de madame Lagarde, qu’il faudrait remplacer à Bercy si elle était prise au FMI. On parlait d’un jeu de chaises musicales, Baroin, Pécresse, etc., mais on parlait aussi de la promotion de Marc-Philippe Daubresse, député de Lille (à le voir on penserait plutôt à un député du sud-ouest, adepte du cassoulet). Il y a longtemps que Daubresse manifeste sa tendresse face à Sarkozy. Début avril par exemple il déclarait que Sarkozy était le « candidat naturel de l’UMP » et ajoutait : « si des voix s’élèvent pour un autre candidat, je ne suis pas certain que cela irait mieux ». Hier soir il était invité à Canal +, attendait d’être fixé sur le sort de Lagarde et par contre coup sur le sien, mais on l’interrogeait sur Aubry, bien sûr. Sa réaction ? Elle tient en trois mots : « C’est une menteuse ». Il sort une vague histoire de marché sur lequel elle a déclaré venir le dimanche alors que selon lui on ne l’y voit pas, et surtout il teste un argument, ou une formule : « Derrière Martine il y a Aubry », comprenez que Martine peut paraître sympa mais qu’Aubry est une femme de fer. On a en outre entendu Sébastien Huyghe, lui aussi député, candidat malheureux à la mairie de Lille (face à Martine Aubry) en 2008, développant à peu près le même type d’arguments. C’est donc parti aussi côté UMP, on sort les premiers traits contre Martine Aubry. Ce premier Scud téléguidé nous monte un premier angle d’attaque (c’est le mot) : c’est du terrain, de Lille, qu’on dressera un portrait négatif de la candidate. Disons qu’on teste les munitions. Daubresse, malgré son empressement sarkozyste,  n’a rien obtenu. Mais bon, nous n’en sommes peu être pas au dernier remaniement ministériel, tant celui-ci semble foutraque. Il reste que si j’étais « en situation » comme on dit, je conseillerais à Aubry de préparer un dossier sur la mairie de Neuilly, lorsque Sarkozy en était maire. On ne sait jamais, il faut toujours avoir des biscuits en poche.

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fleche27 juin 2011 : Mise en scène

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Il pourrait faire penser à un acteur pour film de Pagnol, à un joueur de boules ou à un truand d’opérette, mais non, il est député UMP des Alpes Maritimes, président du conseil général : Eric Ciotti, vous connaissez ? Il était jeudi à la télévision, sur TF1 pour être précis, parlant de la loi contre l’absentéisme scolaire et du CPR (contrat de responsabilité parentale). Un reportage est venu illustrer son propos. On y voyait une femme désespérée exposer son désarroi (son enfant ne va plus à l’école), puis rassurée car le conseiller général va l’aider grâce aux dispositifs de cette loi. Problème : la mère désespérée est en fait l’attachée de presse de Ciotti, et en plus elle n’aurait pas d’enfant. Le reportage était bidonné, il s’agissait d’une mise en scène. La suite des évènements est savoureuse. Ciotti déclare qu’il n’était pas au courant, que sa collaboratrice est intervenue à la demande de TF1 et qu’il est furieux. TF1 explique que ce n’est pas eux mais des journalistes du canard local Nice Matin qui ont réalisé le film. Et à Nice Matin on déclare que la rédaction n’y est pour rien, qu’il s’agit « d’une filiale qui réalise les reportages dans le cadre de contrats de correspondance avec TF1 ». A tous les niveaux, donc, on dégage en touche, ou plutôt on dégage vers le bas : c’est pas moi m’sieur, c’est l’autre… Bis repetita placent : Nous avions déjà vu lors d’une récente rentrée scolaire, des militantes de l’UMP venues en car pour témoigner dans un supermarché que le prix des fournitures scolaires était bien régulé. J’écris bis mais je n’en sais rien en fait : il est tout à fait possible que ce genre de mise en scène se produise souvent. J’ai le vague souvenir, il y a une quinzaine d’années, d’un secrétaire d’état qui avait bourré la salle dans laquelle il faisait une conférence avec des intermittents du spectacle. Je vous disais hier que la meute sarkozyste était à la recherche de gimmicks pour la campagne présidentielle. En voilà un : diminuer le chômage en recrutant des figurants pour des meetings, des reportages, des radios trottoir, bref mettre en scène le peuple sans salaire qui serait ainsi doublement satisfait : on le verrait à la télé et il toucherait de la thune. Mais il faudrait pour cela former les militants à l’art du spectacle, à la mise en scène, leur expliquer clairement les buts de l’opération. L’épisode Ciotti nous montre en effet que nous étions là à côté de la plaque : la mise en scène était bien là, mais l’attachée de presse fausse mère de famille a démissionné, elle n’a plus de boulot. Pour lutter contre le chômage, il faudra revoir la copie.

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fleche26 juin 2011 : Perruques et faux nez

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Est-ce parce que nous sommes d’ores et déjà dans la campagne présidentielle ? J’ai en ce moment l’impression, alors que les regards semblent plutôt braqués vers les vacances, de voir de la politique partout. L’impression par exemple que toute déclaration, toute décision gouvernementale n’a qu’une seule fonction : préparer la campagne de Sarkozy, tester des thèmes, des arguments, des armes. Ils se préparaient à tirer à boulets rouges sur Dominique Strauss-Kahn, mais voilà il n’est plus là et ils ne savent pas qui, de Françoise Hollande ou de Martine Aubry, ils auront en face d’eux. Alors ils vont un peu dans tous les sens. Pour l’instant ils ont cru trouver un truc un peu ridicule, mais qu’ils vont tous répétant : les primaires socialistes seraient une façon de fliquer les électeurs. N’importe quoi ! Et puis Guéant, le ministre de l’intérieur, triture dans tous les sens les statistiques de l’INSEE, leur fait dire n’importe quoi, tandis que la direction de cet institut officiel de statistiques se refuse à démentir, craignant sans doute les représailles. Ensuite ? Nous verrons, faisons-leur confiance, ils sont en train de se constituer un arsenal d’exocets, des réserves. Tiens, puisque nous parlons d’arsenal : il est un mensonge que nous n’entendons plus, celui qui concernait la vente de Rafales au Brésil. Fini ! La France devait également vendre 60 Rafales aux Emirats Arabes Unis, mais là aussi les choses semblent mal tourner. Reste l’Inde : on en parle depuis 2008, mais les choses traînent. Pourtant, soyons justes, la France a vendu des Rafales, onze pour être précis. A qui ? A la France…. Pour épuiser la production, l’armée française est sommée de l’acquérir. Cela sert en Libye. Il semblerait d’ailleurs que dans cette guerre qui ne dit pas son nom nous aurons bientôt des problèmes de munitions… Et, puisque nous y sommes : qui dans le domaine politique demande pourquoi la France intervient en Libye et pas en Syrie ? Pourquoi l’on craint de détruire un équilibre régional (Turquie, Iran, Israël) d’un côté, quitte à laisser un assassin assassiner, et l’on montre ses muscles de l’autre côté ?

J’ai donc l’impression de voir de la politique partout. Tenez, une chanson passe souvent sur France Inter en ce moment, Gagner l’argent français, de Mamani Keita. Une ambiance de musique mandingue, kora et balafon, ça balance, ça déménage, mais au delà du plaisir on entend, en filigrane, tout le problème de l’immigration, du mirage économique français pour ces malheureux qui crèvent de faim chez eux et croient pouvoir faire fortune de l’autre côté de la mer. Ou encore, le film Pater, dans lequel Alain Cavalier et Vincent Lindon jouent au président et au premier ministre avec une redoutable fausse naïveté. Jamais la fiction n’aura autant ressemblé à la réalité. Un exemple parmi d’autres : le président n’est pas content de sa cravate et le premier ministre lui propose d’en choisir quelques unes dans sa collection. Futilité bien sûr, sourire en coin, mais en même temps je ne peux pas ne pas imaginer, horresco referens aurait dit Virgile, Sarkozy en train de se choisir une montre. Et oui, la politique c’est aussi cela, de nos jours…

Pour finir, j’ai assisté cette semaine à un débat entre Cabu et Plantu, sans doute les deux dessinateurs les plus politiques aujourd’hui. Plantu a pris l’habitude de dessiner des mouches tournant autour de Sarkozy. Il raconte que ce dernier avait protesté et, qu’en conférence de rédaction, il avait été décidé que dorénavant il ne mettrait pas plus de trois mouches. Voilà où va se nicher la politique aujourd’hui : dans le nombre de mouches tournant autour d’un étron ! Quelqu’un, dans la salle, leur demande pourquoi ils n’ont pas croqué tel homme ou telle femme politiques. Cabu répond que pour certains il n’y arrive pas, il n’a pas encore trouvé le trait. Et Plantu explique soudain qu’il est facile de dessiner Fillon (un premier ministre en activité, mais vrai celui-ci), qu’il suffit de dessiner Juppé (un ancien premier ministre, tout aussi vrai) et de lui ajouter une perruque. Et je me demande si ce n’est pas toujours le cas, si tous les politiques ne sont pas sortis du même moule et ne se distinguent que par quelques accessoires, en un mot si nous ne sommes pas plongés dans un bal de perruques et de faux nez…

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fleche19 juin 2011 : Politique linguistique

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Le roi du Maroc, Mohamed VI, vient d’annoncer une série de mesures politiques dont il espère qu’elles mettront fin aux contestations générées par ce qu’il est convenu d’appeler les « printemps arabes ». Une de ces mesures retient particulièrement mon attention, pour les raisons que l’on va voir. Dans le préambule de la dernière version de la constitution marocaine (celle de 1996) on lit ceci : « Le Royaume du Maroc, Etat musulman souverain, dont la langue officielle est l'arabe, constitue une partie du Grand Maghreb Arabe ». Et le souverain a fait savoir que le royaume aurait désormais une seconde langue officielle, le berbère. Il s’agit à première vue d’une mesure logique, pleine de sagesse, puisque le berbère ou amazighe, sous différentes formes (tachelhit, tamazight, tarifit), est parlé par une grande partie de la population. On devrait donc lire bientôt dans le préambule de la nouvelle constitution quelque chose comme « Le Royaume du Maroc, Etat musulman souverain, dont les langues officielles sont l'arabe et le berbère… », ou encore « Le Royaume du Maroc, Etat musulman souverain, dont les langues officielles sont l'arabe et l’amazighe… » Fort bien. Mais, derrière ce changement salutaire, se profile un léger problème. Toutes les constitutions des pays arabes disent à peu près la même chose : l’arabe est leur langue officielle. Ces pays étant en même temps musulmans, l’arabe officiel n’est pas la langue parlée par le peuple, que certains appellent avec mépris le « dialecte » (marocain, tunisien, égyptien, etc.) mais la fusha, l’arabe classique. C’est-à-dire que la forme linguistique dans laquelle l’Etat est théoriquement géré n’est pas la langue populaire, et certains réclament que l’on change cette situation, ce qui reviendrait à laïciser la langue officielle. Les berbérophones algériens, les Kabyles, ont d’ailleurs revendiqué à une certaine époque que les deux « langues populaires », c’est-à-dire le kabyle et l’arabe algérien, soient officialisées. Au Maroc, donc, si la mesure annoncée devient effective, nous aurons une situation déséquilibrée avec d’un côté une langue officielle parlée, le berbère, et de l’autre une langue officielle écrite, l’arabe sous sa forme fusha. Qu’on me comprenne bien : le berbère est également écrit, et l’IRCAM (institut royal de culture amazighe) déploie de grands efforts pour faire des livres scolaires, former des enseignants. Mais il n’y a pas entre ces deux formes, orale et écrite, la distance qui existe entre l’arabe marocain, parlé, et l’arabe officiel, écrit. Ce qui m’intéresse dans cette situation déséquilibrée c’est qu’elle devrait à terme souligner l’incohérence de la situation de l’arabe officiel. L’arabe officiel est la langue d’une religion, l’islam, pas le berbère. L’arabe officiel n’est la langue maternelle de personne, le berbère est la langue officielle d’une bonne partie de la population. De ce point de vue, les défenseurs des « dialectes » arabes devraient pouvoir profiter de la promotion du berbère, et il y a là une situation qu’il faudra suivre avec soin.

De façon plus large, beaucoup de commentateurs politiques soulignent que la Turquie pourrait bien être un modèle de démocratie pour les pays arabes. Je mettrais pour ma part un bémol à cette affirmation : la Turquie pourrait peut-être constituer un modèle, mais pour les pays sunnites. Car il est un autre « modèle », l’Iran, chiite celui-ci et qui a sans doute les faveurs du Hezbollah libanais par exemple. Ce qui est paradoxal, c’est que ces deux modèles entre lesquels balancent ou balanceraient les pays arabes sont certes musulmans, mais pas arabes. La langue officielle de la Turquie est le turc, celle de l’Iran est le farsi, ce qui n’empêche pas ces deux pays d’être musulmans. Bref, en ce dimanche matin, je voulais simplement vous inviter à réfléchir un peu sur un problème de politique linguistique. Nous n’avons pas fini d’en entendre parler et je ne sais pas si le roi du Maroc se rend compte du lièvre qu’il vient de lever.

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fleche10 juin 2011 : Du fric, du blé, de l'oseille, de la braise, ou De la vulgarité

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Commençons par une chanson jadis interprétée par Maurice Chevalier (et si, jeunes ignares, vous ne savez pas qui est Maurice Chevalier, allez donc lire mes Cent ans de chanson française, en vente dans toutes les bonnes librairies). Voici donc un extrait de Appelez ça comme vous voudrez (texte de Jean Boyer, musique de de Georges Van Parys, 1939) :

« Du fric, du blé, de l’oseille, de la braise

Des picaillons, du flouze ou bien du pèze

App’lez ça comme vous voulez moi j’m’en fous

Pourvu qu’en j’aie toujours plein les poches »

Beau programme, non ? Et justement, le fric est à la une. Tout d’abord, grâces soient rendues à Dieu, le feuilleton Bettencourt revient sur nos écrans. Dans le rôle de la vieille dame indigne, toujours la mère. Dans le rôle de la rapace, toujours la fille . Elles se sont aimées, puis détestées, réconciliées puis fâchées à nouveau. Pour le reste, la distribution a changé. Plus de photographe mais un infirmier. Plus de chargé d’affaires mais un avocat. Mais le « pitch » comme on dit, reste le même. La fille, bourrée de fric (de blé, d’oseille, de braise…) en veut encore plus et tente de mettre sa mère sous tutelle.  Encore ! encore ! encore ! Rassurez-vous, le feuilleton n’est pas terminé. Mais il y en a une autre. Asterix, vous connaissez ? Son dessinateur, Albert Uderzo, est riche, très riche. ET sa fille itou. Elle vient par exemple de vendre à Hachette ses parts de la société d'édition créée par son père : 13,6 millions d’euros. De quoi voir venir. ET bien non, elle en veut encore plus et trouve que son père dépense trop, qu’il dilapide l’héritage (en plus des 13,6 millions ci-dessus, bien sûr). Elle porte donc plainte pour abus de faiblesse. Le feuilleton ne fait que commencer. Dans les deux cas, une héritière riche, très riche, qui considère ne pas en avoir assez et prétend mettre la main sur tout ce que son père ou sa mère possède. Pour moi qui considère l’héritage comme la première inégalité sociale, ce genre de feuilleton est à la fois sordide et révélateur. Du fric, du blé, de l’oseille, de la braise, des picaillons, du flouze ou bien du pèze, plus on en a plus on en veut.

Hasard du calendrier (mais il n’y a pas de hasard objectif, surtout lorsqu’on se rapproche des élections), se déroule en même temps un autre feuilleton, au titre énigmatique : RSA/ISF. Depuis quelques jours l’UMP, le parti de Sarkozy, tire à boulets rouges sur le RSA (Revenu de Solidarité Active) et les 1,2 millions de personnes qui touchent 411 euros par mois : des fainéants, des assistés, des parasites, qu’il faut de toute urgence mettre au travail. Vous avez essayé de vivre, manger, vous habiller, avec 411 euros par mois ? A titre indicatif, le seuil de pauvreté est, en France, de 950 euros… C’était donc le côté RSA du feuilleton. Avec l’IDF (l’impôt sur la fortune), nous revenons du côté des riches, des très riches. Il vient d’être réformé, allégé, et l’Etat ne touchera plus que  2,2 milliards d’euros, au lieu de 4 : un cadeau de 1,8 milliards à ceux qui voteront Sarkozy. Mais cela ne suffit pas, ne leur suffit pas : non seulement on fait des cadeaux aux riches, mais encore on tente de reprendre aux pauvres les miettes qu’on leur donne. Nous vivons une époque moderne ! Du fric, du blé, de l’oseille, de la braise, des picaillons, du flouze ou bien du pèze, ceux qui en ont et ceux qui n'en ont pas. Exercice : rédigez un article de dictionnaire pour le mot vulgarité, que vous illustrerez d’exemples pris dans l’actualité. Ou, si vous préférez, rédigez un article pour l’adjectif dégueulasse, en n’oubliant pas ses liens avec le verbe dégueuler.

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fleche9 juin 2011 : Une semaine en Egypte
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JEUDI 2: Je trouve depuis longtemps que les Alexandrins ne méritent pas de porter le nom d’un vers : l’état de leur ville n’a rien de poétique sauf si l’on trouve du charme aux gravats, à la saleté, aux odeurs d’égouts, à la mer polluée : sur ce point, la « révolution » n’a rien changé. C’est de révolution, en effet, que je vais parler. Le jour de mon arrivée, je donne une conférence à l’université. « On entre ici comme dans un moulin » dit mon amie Claude, qui a travaillé en Egypte et se souvient . Avant, il fallait montrer patte blanche, les flics veillaient, filtraient. Aujourd’hui, entre qui veut dans l’université, et tout le monde semble se marrer, les responsables sont jeunes, et l’on parle même d’élire dorénavant les présidents d’université (avant, ils étaient nommés par le pouvoir). Avant quoi ? Avant… Les étudiantes sont voilées ou pas, quelques rares salafistes errent comme de noirs fantômes, entièrement bâchées, juste une fente pour les yeux, les mains mêmes protégées par des gants de cuir, pour masquer leur peau à tous. Mon ami Alexandre trouve cela très érotique, j’y vois pour ma part une trace, inquiétante ou ridicule, du Moyen-âge… Après ma conf, autour d’une table de restaurant, on me raconte les dernières blagues, les noktas, sport national égyptien.  « Quelle a été la plus grande erreur de Moubarak ? Il avait vendu toute l’Egypte, sauf la place Tahrir». Combien sont-ils à partager à la fois ce sens de l’humour et cette fierté d’avoir changé ou cru changer les choses? Et qui sont-ils ? Depuis 2004, avec le petit mouvement Kefaya  (quelque chose comme basta ya ! ou ça suffit) les choses bougeaient un peu, un tout petit peu. Mais c’était tout de même dans la nokta que se déversait le ras-le-bol. Exemples. Moubarak arrive au royaume des morts où il est accueilli par Nasser (dont on a dit qu’il avait été empoisonné) et Sadate (assassiné lors d’un défilé militaire). Ils l’interrogent :

-« Poison ou défilé ? »

Et il répond :

« Face book ».

Ou encore : Le seul fait d’armes de Moubarak, qui était aviateur, est d’avoir bombardé les Israéliens en 1973. D’où ce trait : « Il aurait mieux fait de nous bombarder et d’être président d’Israël ».

On me raconte aussi que, place Tahrir, des pancartes proclamaient « dégage » en hébreu ou en chinois, avec cette mention ironique : « puisque tu ne comprends pas en arabe… »

Mais combien sont-ils vraiment, ces amateurs de noktas qui, depuis Midan el Tahrir, la bien nommée place de la libération, sont finalement venus à bout de Moubarak ? Difficile à savoir. J’ai une petite idée, cependant, disons une approximation.  Le 19 mars dernier, 41% des Egyptiens ont voté au référendum pour décider si l’on changerait la constitution avant les élections législatives ou après. Les « révolutionnaires » étaient pour la première solution, ils ont perdu. Un taux de participation historique : 41%. D’habitude 10% seulement se déplacent, et 41% c’est beaucoup, même si c’est 41% seulement… 77% d’entre eux ont dit oui au badigeonnage de la constitution, à un vague relooking avant d’élire des députés qui changeraient ensuite la constitution. Donc les « révolutionnaires » seraient dans les urnes 20% de 41%, quelque chose comme 8%... Pas beaucoup. Pourtant tous les gens que je rencontre se disent contents, mais il est difficile de ne pas penser aux résistants de la 25ème heure, en France, en 1945.

 VENDREDI 3 : Madiha, une copine de longue date, militante de plus longue date encore, et qui depuis des années est de toutes les manifs, me dit qu’elle n’a rien vu venir. « On allait aux manifestations comme certains vont à la messe le dimanche, à la mosquée le vendredi, par habitude, ou par sens du devoir. Je me disais parfois que je n’avais pas envie, mais qu’il fallait y aller, nous étions si peu. Et voilà qu’un jour, fin janvier, les choses se sont accélérées, la sauce a pris ». Et demain ? Nul n’en sait rien et nul ne se hasarde à faire le moindre pronostic. Simplement on suppute sur les frères musulmans, dont les jeunes pourraient s’éloigner. Mais il y a dans les rues, dans les restaurants, comme un air de fête qui surprend un peu après un an d’absence.

L’Egypte est majoritairement peu intéressée par son passé pharaonique : les mosquées comptent plus que les pyramides, mêmes si celles-ci intéressent sans doute plus les touristes que celles-là. Pourtant elle vient en chassant le cacochyme Moubarak de produire une momie de plus. Mais, au niveau du discours, elle ne me paraît pas pour autant être entrée dans la radicalité. Nous étions pendant deux jours réunis à Alexandrie pour un colloque sur la presse francophone d’Egypte. Et une communication de Daniel Lançon sur la revue L’Egypte nouvelle nous a montré que le ton polémique, dans les années 1920, allait bien au delà de ce que j’ai pu entendre ces jours-ci. Autre communication, sur les premières revues féminines ou féministes celles-ci, par exemple L’Egyptienne, publiée entre 1925 et 1940, et qui  revendique dans son premier numéro de créer une revue « dans une langue qui n’est pas la nôtre mais qui en Egypte comme ailleurs est parlée par toute l’Elite» . Pourquoi une presse féministe en français? Parce que peu de femmes lisaient alors l’arabe ? Ou parce qu’il y avait des choses qu’on ne pouvait ou ne voulait pas dire en arabe ? Je ne connais pas assez cette langue pour être sûr de ce que j’avance, mais j’ai le sentiment qu’elle est confrontée à un problème de laïcité. Qu’elle est congelée dans son statut de langue sacrée. Pourtant, dans les manifestations, plus que le fameux dégage on entendait des slogans comme  Houwa  yemshi mish hanemshi  (« lui il s’en va nous on part pas »), El chaab yourid esqat el nizam  (« le peuple veut faire tomber le système ») ou El chaab yourid esqat el raïs (« le peuple veut faire tomber le raïs »), témoignant de l’aspect transitif de la langue, tournée vers l’action, vers le « faire », puisqu’il est parti et qu’ils sont restés. Et la photo du raïs, que l’on voyait dans toutes les boutiques, sur tous les murs, est aujourd’hui introuvable. Mais pourquoi l’adjectif baladi, « du pays » ou « local », a-t-il le plus souvent un sens péjoratif ? Sentiment d’infériorité ?

SAMEDI 4 : Même changement dans la presse, qui semble avoir découvert la liberté d’expression. Le quotidien francophone Le progrès égyptien a toujours été aux ordres du pouvoir, diffusant des informations insipides en encensant Moubarak. Le premier juin on y parle de révolte en page 1, de révolution en dernière page… Dans le numéro du 2 juin, on parle des « pots de vin de Moubarak ». Le lendemain de « justice sociale » Le lendemain encore, en rouge, sur huit colonnes à la une, ce titre: « Les forces armées ont adopté les requêtes légitimes des révolutionnaires ». Une phraséologie impensable il y a quelques mois. Ce qui n’empêche pas quelques titres qui attirent l’œil du linguiste pour d’autres raisons: le 4 juin, toujours à la une : « Le président Saleh échappe à un attentat d’assassinat ». Entre l’anglais attempt et le français tentative

Le 14 janvier, à l’annonce de la chute de Ben Ali, certains au Caire se sont précipité devant l’ambassade de Tunisie. Ils étaient onze, face à deux ou trois cents policiers, qui n’ont même pas eu besoin de les disperser : Devant un rapport de force aussi déséquilibré, on s’incline… Les Egyptiens sont-ils jaloux de la Tunisie ? Je m’amuse à les titiller, à leur dire que c’est « nous » (je veux dire mon pays de naissance) qui leur avons montré la voie… Certains sont conscients des différences. Il y a en Egypte 84 millions d’habitants,  on en prévoit 150 pour 2050, le taux de natalité est  l’un des problèmes, le principal peut-être du pays, le second étant l’analphabétisme, autour de 30%. Sur ces deux points, le contraste avec la Tunisie est frappant. Bourguiba avait réussi à imposer un contrôle des naissances, ici personne n’a osé : les frères musulman ne l’accepteraient sans doute pas. Cette natalité sans contrôle se conjugue avec la géographie : la population ne peut vivre que sur la mince portion de terre qui borde le Nil, et sur son delta, peut-être à peine 10% du territoire.  D’où une densité importante, une crise du logement, une surpopulation… En revanche on compte en Egypte un quart des blogs du monde arabe, et cela a joué depuis quelques mois un rôle fondamental. En juin 2010 la photo de Khaled Saïd, mort, le visage réduit en bouillie, dans le commissariat de Kom el Dikka, a circulé sur le web. Le slogan  Kullena Khaled Saïd, « nous sommes tous Khaled Said », circulait, comme en écho au nous sommes tous des juifs allemands de mai 68. Sauf qu’il y avait là un mort torturé, à côté d’une autre photo de lui, vivant,  souriant. Il a raison, Moubarak, dans la nokta : il a été battu par le web.

DIMANCHE 5 :  Le gouvernorat d’Alexandrie a brûlé et il n’en reste que des tonnes de gravats que des bulldozers sont en train de dégager. La même nuit, tous les commissariats ont également brûlé, strictement à la même heure, ce qui laisse penser que c’est la police qui y a mis le feu, pour faire disparaître les archives. Je ne sais quand le gouvernorat sera reconstruit mais, dans l’attente, les archéologues se frottent les mains. Ils vont pouvoir procéder à des fouilles d’urgence. Ici, dès que l’on gratte un peu on tombe sur des ruines grecques.

Le « révolution » entre dans l’ère de la commercialisation . A l’hôtel Cécil d’Alexandrie on vend des mugs en porcelaine décorés des scènes de la place Tahrir et, dans les librairies les ouvrages commencent à fleurir, un petit livre, el chaab yourid (« le peuple veut ») recense les slogans de la place Tahrir, un autre présente des photos des évènement.

LUNDI 6 : Entre Alexandrie et Le Caire il y a un peu plus de 200 kilomètres, que l’on parcourt dans un étrange trajet, mélange de quasi autoroute entrecoupé de passages très ralentis, sortes de chicanes au milieu de travaux à la destination douteuse, des échangeurs qui n’échangent entre rien... Là des vendeurs de boissons fraîches, de pastèques, mais aussi de matraques noires et de paires de menottes. On me dit que cela vient du pillage des commissariats de police, mais qui donc a besoin d’acheter des menottes ? Quant à la police, elle se fait discrète mais avant-hier un chauffeur de taxi, tabassé, est mort dans un commissariat du Caire. Version officielle : il a insulté un flic et la foule, outragée, l’a lynché. Le peuple défendant sa police, c’est beau comme de l’antique. Mais qui peut y croire ?

Ce qui frappe le plus, tout au long du voyage, comme en ville bien sûr, c’est la disparition totale des portrait de Moubarak que l’on voyait partout, sur des panneaux, sur les murs, sur les ponts… A l’arrivée au Caire on retrouve les embouteillages, la pollution, le bruit permanent, et l’on se demande si cette ville est gouvernable.

A la télé, le soir, des images de DSK, au tribunal de Manhattan, des émissions spéciales pour une audition qui a duré sept minutes et au cours de laquelle la presse n’a même pas enregistré la déclaration du prévenu : Il plaidera « Not guilty ». Du coup les caméras, frustrées, se tournent vers une escouade de femmes de ménage venues dans des bus affrétés par leur syndicat. Elles scandent shame on you, « honte à vous ». Spontanéité populaire ? Au Caire on peut y croire, à New York, dans ce cas d’espèce, beaucoup moins.

MARDI 7 : Tahrir hata tahrir (« (la place de la) Libération jusqu’à la libération »), c’était l’un des slogans de la révolution égyptienne. Aujourd’hui la place est revenue à ses travaux et à ses embouteillages. Il faut rentrer dans la station de métro pour y trouver une exposition de photos des manifestations.  J’y vois aussi, sur les escaliers, une femme bâchée de noir qui allaite. Elle a enfoui le bébé, garçon ou fille, je ne sais pas, sous ses voiles. C’est ce qu’on appelle de l’éducation précoce. Dehors, seuls quelques arbres se souviennent, le tronc peint aux couleurs de l’Egypte avec, parfois, le chiffre 25 en surimpression. Et puis l’on vend un peu partout des Tshirts, en arabe ou en anglais, proclamant « je suis égyptien », « je suis libre »… Commerce.

Dans les grands hôtels, rien ne semble avoir changé. Un peu moins de clients, bien sûr : le tourisme, deuxième entrée de devises après le canal de Suez, est en chute libre. Mais la vie poursuit son cours, en attendant… Dans le journal d’aujourd’hui, ce titre : « L’armée se dit jusqu’au-boutiste en faveur de la révolution ». Et, dans le corps de l’article, on apprend que le CSFA (Conseil suprême des forces armées) « a décidé d’établir des ponts solides avec les jeunes de la Révolution du 25 janvier car les forces armées s’attachent toujours à assurer le succès de cette Révolution glorieuses à travers la concrétisation des objectifs escomptés et la réalisation des demandes légitimes du peuple ». Bien sûr, on a envie d’y croire. Mais cela sonne tellement comme de la langue de bois. Et demain ? La police n’a pas été épurée, l’armée conserve son pouvoir. Et dans le projet de nouveau budget qui vient d’être établi, on trouve la même somme pour les flics et, pour l’armée, un budget d’un montant secret. Comme avant. Il va falloir, après les élections législatives, rédiger une constitution, régler le problème des rapports entre la politique et la religion, décider d’un salaire minimum et de l’écart maximum entre bas et hauts salaires. Autant de dossiers brûlants, conflictuels. Restent les frères musulman. Pour l’instant ils prennent un ton patelin, genre Tarik Ramadan ouvrant le bal de faux culs. Ils sont coincés entre les salafistes, très minoritaires mais de plus en plus agressifs et qui font de la surenchère, et les jeunes qui, place Tahrir, ont fraternisé avec des laïcs et s’éloignent. Certains pensent les frères en embuscade, d’autres disent qu’ils sont devenus un parti de vieux, en outre bien peu démocratique. Je lis le résultat d’un sondage : 15% seulement de la population les soutiendraient. Quant à moi, j’ai fait mon propre sondage, tout sauf scientifique. La majorité des gens, amis ou inconnus, auxquels j’ai demandé pour quel président ils aimeraient voter m’ont répondu : Amr Moussa. Ce serait marrant d’avoir un Moïse (Moussa en arabe) président de l’Egypte. A suivre…

Au total, après une semaine de déambulation et de rencontres, quel bilan ? Un atmosphère indiscutablement nouvelle, libérée. Hier, à la piscine de mon hôtel, je lisais ou plutôt je déchiffrais un recueil de slogans. Un employé s’approche, je lui demande de me traduire un mot, il se marre et plus tard il m’en scandera d’autres, du genre ya moubarak ya majnoun… Personne n’aurait osé il y a trois mois traiter ainsi Moubarak de fou. Mais, au delà de cette ambiance, rien n’est réglé. Et surtout, moi qui vais en Egypte environ une fois par an, je suis frappé par le nombre grandissant de femmes en niqab, par le nombre aussi de zébibas, ces cals sur le front, témoignage de piété, que l’on se fait en se cognant le front contre le sol. Je soupçonne d’ailleurs certaines de ces zébibas d’être l’œuvre d’un chirurgien plutôt que d’une pratique régulière et frénétique de la prière.  Tout cela est certes minoritaire, mais inquiétant. Ici comme ailleurs, la révolution, si révolution il y a, devra remettre la religion à sa place : hors du domaine public. Et ce n’est pas gagné. Allez, je rentre en France. Tiens, je n’ai pas entendu parler de Sarkozy une seule fois en huit jours. Ca repose.

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Mai 2011

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fleche31 mai 2011 : Souvenez-vous
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Georges Tron a donc démissionné du gouvernement français, ou du moins a obtempéré à l’ordre de dégager. J’ai déjà souligné ici la vitesse à laquelle une information chassait l’autre, la vitesse à laquelle nous oublions des évènements récents. Souvenez-vous. En juillet dernier le secrétaire d’état à la coopération et à la francophonie disparaissait : il avait dépensé 115.000 euros en jet privé pour un déplacement. Dans le même mouvement un autre secrétaire d’état, Christian Blanc, était poussé vers la sortie : il avait dépensé pour sa part 12.000 euros en cigares, aux frais de la princesse. Puis ce sera Eric Woerth, coupable de gestion financière douteuse avec sa double casquette de ministre et de trésorier de l’UMP, Michèle Alliot-Marie, apparemment compromise avec le régime de Ben Ali, Brice Hortefeux, condamné pour propos racistes. Nous en sommes à six, six ministres qui ont dégagé en moins d’un an. Le compte y est-il ? Pas tout à fait. Souvenez-vous encore de Fadela Amara et de Christian Estrosi. Tous deux ont disparu du gouvernement pour de sombres histoires de logements de fonction détournés de leur fonction, justement. Et si nous remontons un peu plus loin dans le temps nous rencontrons dans cette galerie de portait un ancien ministre des sports, Bernard Laporte, en délicatesse avec les impôts pour des histoires de casinos, André Santini, mis en examen pour je ne sais plus quoi. Huit ministres ou secrétaires d’état ont donc disparu non pas pour des raisons politiques mais le plus souvent pour des comportements s’apparentant à des délits. Celui qui voulait être le président de la rupture, du changement, qui se vantait de réformer à tout va, est finalement plus président du train de vie que du train de réformes . Bon, c’était ma petite contribution à un nécessaire devoir de mémoire. Demain je pars pour une semaine en Egypte. A mon retour je vous parlerai de cette « révolution » en cours.

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fleche28 mai 2011 : Après cette longue absence

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Je viens de passer dix jours loin de chez moi et mon ordinateur portable m’a lâché le deuxième jour (la carte graphique…). Donc pas de mails, pas de site, pas de blog. Me voici de retour à Aix et à mon ordinateur de bureau. Pendant ces dix jours j’ai renoué avec le stylo, pour le travail, pour l’écriture. En vrac donc, après cette « longue » absence, quelques notes dont chacune aurait pu servir à un billet plus développé.

Mimétisme Il y a longtemps, depuis la campagne présidentielle de 1981 pour être précis, que j’ai noté une forme de mimétisme vocal dans le milieu politique, les affidés parlant comme leur maître. A l’époque les responsables communiste parlaient comme Georges Marchais, avec des voyelles très ouvertes et à l’arrière, les giscardiens parlaient comme Giscard, avec des voyelles fermées, à l’avant, et les mitterrandistes comme Mitterrand, avec son phrasé très particulier. J’entends lundi dernier Stéphane le Foll et je crois entendre Hollande, puis Hortefeux, qui parle comme Sarkozy. Rien de nouveau sous le soleil.

Figaro Abdelwahab Meddeb, dans son livre Printemps de Tunis, raconte que le 14 janvier dernier il met la dernière main à un article commandé par Le Figaro, qu’il termine en disant que Ben Ali doit partir, puis l’envoie, par mail je suppose. Réponse de la rédaction : article refusé car « Ben Ali est un rempart contre l’intégrisme » et « son discours conciliant de la veille doit être pris en considération ». Le soir même, Ben Ali prend la fuite. Le sens politique de ce journal me fascinera toujours…

Claude Guéant fait à propos des radars une déclaration lumineuse : « Il y aura toujours un radar pédagogique avant un radar fixe mais il y aura aussi des radars pédagogiques qui ne seront pas suivis de radars fixes ». Traduisons : il y aura toujours A avant B mais A pourra ne pas être suivi de B. C’est-à-dire que l’on supprime les panneaux annonçant les radars, mais qu’on les remplace par des radars pédagogiques (ceux qui vous disent « attention, vous roulez trop vite ») et qu’on en ajoute des mensongers (ils ne sont pas vraiment suivis d’un radar). Problème : un radar pédagogique coûte 2500 euros. Combien coûtaient les panneaux, qui jouaient à peu près le même rôle ? On n’arrête pas le progrès…

Au procès clearstream, le procureur accuse Villemin de dénonciation calomnieuse et plus particulièrement de « complicité par abstention ». Les juristes de l’Elysée sont pleins d’imagination…

Bretons Dans Libération du 25 mai, un portrait de Joël Collado, monsieur météo de France Inter. Extrait : « Les plus météosusceptibles, ce sont les Bretons, il n’y a aucun doute là-dessus. Depuis belle lurette, il ne dit plus Il pleut en Bretagne mais la pluie arrive par l’ouest ».

Journalistes français Ils sont nombreux à New York, depuis l’affaire DSK. Le New York Times explique comment les reconnaître : « Ils sont mieux habillés que leurs collègues américains, beaucoup d’entre eux fument et ils se font la bise ». Mais que fait la police de New York ?

Rogue States Le 25 mai, Benyamin Netanyahou se fait ovationner par le Congrès américain. Obama a fait semblant de prôner un retour aux frontières de 1967 pour tenter de contrer le projet de reconnaissance d’un état palestinien, Netanyahou s’en fout, les colons continuent de coloniser et les Américains les laissent faire. Comment disait-il, déjà, Bush ? Ah oui : Rogue states.

Politique linguistique  Le 13 juin cela fera un an que la Belgique n’a pas de gouvernement. La société qui gère les transports en commun de Bruxelles vient cependant de prendre une remarquable décision. Dans le métro on diffuse des morceaux de musique tirés des hit parades internationaux, essentiellement en anglais mais aussi des titres francophones. Pas de chansons en flamand : il n’y en a pas dans les hit parades. Les Flamands protestent, le métro décide de ne passer que de la musique anglo-saxonne. Cela s’appelle de la politique linguistique. Pour son gouvernement, la Belgique pourrait peut-être s’adresser au Labour britannique : il a en ce moment du personnel sans emploi.

Politique linguistique bis Pierre Laurent, le patron du PCF, qui choisira peut-être Jean-Luc Mélechon comme candidat du Front de Gauche, hésite. Il souligne de Mélanchon devrait passer dans ses discours du je au vous….

Je est un autre  Sarkozy, dans un discours au e-G8, parle des internautres. Il voulait dire internautes

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fleche18 mai 2011 : Saint Mathieu

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Je suis, comme beaucoup d’autres je suppose, sonné, sidéré par ce qui se passe à New York. Sidéré par ce qui pourrait bien être une forme de suicide. Sonné par ce que la gauche française va avoir à remonter (cette histoire pourrait bien être un boulevard pour Sarkozy). Nous étions des millions à penser que nous voterions Strauss-Kahn au deuxième tour, que cela nous plaise ou pas, et qu’il battrait Sarkozy ou Le Pen. Et nous sommes effondrés. Il va nous falloir imaginer d’autres scenarii : Quoi qu’il arrive, qu’il soit coupable ou innocent, il ne sera bien entendu pas candidat. Mais j’ai du mal à faire le tri entre la compassion pour cet homme humilié que nous montrent les photos de presse et la révolte, si ce dont on l’accuse est vrai. Les photos que nous avons vues de lui sont dégradantes. Mais elles sont dégradantes vues de la France. Je vais souvent aux Etats Unis et dès l’aéroport je suis, comme tout le monde, frappé par l’arrogance, la violence, le mépris des douaniers et des  policiers. Je n’y suis jamais allé en prison, mais je sais que tous les inculpés américains sont traités de la même façon. Simplement, les caméras ne se précipitent pas pour les filmer menottés. Cela nous choque, et c’est choquant, mais cela nous choque surtout parce qu’il s’agit de lui. Or c’est tout le système américain qui est révoltant. Ce système, qui prend racine dans une religiosité archaïque, une pudibonderie ridicule, ce système dans lequel les juges, élus, ont pour unique problème de répondre aux plus bas instincts de leurs électeurs afin d’être réélus. Ce système qui professe un profond dégoût pour les choses du sexe et qui inonde Internet de films pornos. Je ne sais pas ce qui s’est passé dans la chambre 2806 de cet hôtel (2806 : 28 juin, la date limite de dépôt des candidatures aux primaires du PS…). Mais j’assiste, dégoûté, à une avalanche de témoignages disant « nous le savions, il avait un problème avec les femmes » qui me fait penser à l’avalanche de résistants de la vingt-cinquième heure, après la Libération. Hasard ? Dans un journal allemand le père de Sarkozy a confirmé aujourd’hui la grossesse de la Bruni. Mais bon, nous sommes dans une histoire dramatique dans laquelle, comme dans toutes les histoires dramatiques, il y a des clowns.

Vous aurez compris que je suis un peu incohérent ce soir. C’est un droit que je revendique. Je me souviens que le 21 avril 2002, lorsque Lionel Jospin avait été éliminé dès le premier tour de l’élection présidentielle, j’avais vidé une bonne bouteille de scotch en écoutant Bach, la passion selon Saint Mathieu. Je me sens ce soir un peu dans le même état d’esprit.

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fleche16 mai 2011 : Histoire des coups

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Comme d’habitude une information chasse l’autre. Mais cela fait beaucoup en une seule semaine ! Photographie de Dominique Strauss-Kahn et de sa femme entrant dans une Porsche, informations selon laquelle il porterait des costumes dont le prix oscillerait entre 7.000 et 35.000 dollars et pour finir ces accusations de tentative de viol et de séquestration… Je trouve cela un peu gros. Après les deux premiers épisodes, Porsche et costumes, je m’étais dit que l’offensive de Sarkozy venait de débuter. Des bruits circulaient en effet à l’Elysée, des gens y disaient, sous couvert d’anonymat, que DSK aimait les femmes et l’argent, que des dossiers sortiraient pendant la campagne… Mais là, on change de niveau. De deux choses l’une en effet : ou bien DSK est tout à fait inconscient, prêt à mettre en jeu l’avenir de la gauche française et celle du FMI, prêt au suicide politique pour tirer un coup, ou bien il s’agit d’un coup monté. Histoire de coups, donc. Autre coup, médiatique celui-là : la photo de DSK sortant d’un commissariat, le visage fermé, les mains derrière le dos, menottées. Et surtout, dans toutes les infos, du subliminal. Il serait sorti nu de sa douche. Ah bon ? Mais moi aussi je sors nu de ma douche, je ne me douche pas en costume (et encore les miens ne coûtent pas entre 7.000 et 35.000 dollars…). Mais cette phrase maintes fois entendue, « complètement nu » précise la femme de chambre, sonne comme une condamnation, une insinuation d’exhibitionnisme. Ce n’est pas tout. Non seulement il est sorti nu de sa douche mais encore il aurait fui et, dans sa précipitation, oublié son téléphone ainsi que, selon la police américaine, des « éléments médico-légaux ». Or il semblerait qu’il possède plusieurs téléphones portables, il semblerait aussi qu’il n’ait pas fui mais soit allé déjeuner avec sa fille avant d’aller prendre son avion, comme prévu, et qu’il ait téléphoné lui-même à l’hôtel pour demander s’il y avait bien oublié son portable. Tout cela est à vérifier, bien sûr, et je ne suis pas détective, j’essaie simplement de faire le tri dans ce qu’on nous raconte, trop habitué aux coups journalistiques, aux réflexes moutonniers auxquels la presse nous a habitués. Déjà, ce matin, dix pages dans Libération, et la une : DSK out. La curée a débuté, la meute est lâchée, et nous allons assister dans les jours qui viennent à d’autres coups. Reste à savoir qui va les prendre.

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fleche15 mai 2011 : Panneaux

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Mon petit fils a le mauvais goût (enfin, le mauvais goût vu de la région marseillaise, pour ma part je m’en fous) d’être supporter du PSG, équipe parisienne de foot. Je regardais hier une émission sur l’histoire de l’astronomie et je me suis soudain souvenu que sur une autre chaîne, en finale de la coupe de France, s’affrontaient Lille et le PSG. J’y suis donc allé jeter un coup d’œil, par solidarité grand-paternelle, si je puis dire. Et j’ai passé un quart d’heure à me demander qui était qui. Le score était de zéro à zéro et je voyais s’agiter des milliardaires en short, les uns portant des maillots blancs, les autres des maillots rouges. Les commentaires ne m’étaient d’aucune aide : j’entendais des noms propres, ceux des joueurs, mais pas de noms d’équipes. J’ai fini par distinguer sur les maillots blancs le nom d’une banque, le Crédit Agricole, et d’une chaîne de grands magasins, Carrefour, et sur les maillots rouge celui d’une marque sportive, Nike, et du PMU. Il y en avait d’autres, mais plus petits, illisibles dans le mouvement perpétuel des joueurs : il m’aurait fallu un arrêt sur image et un grossissement. Mais chaque joueur portait au bas mot de la publicité pour cinq marques. Finalement une équipe a marqué, le score s’est affiché et, tant pis pour mon petit-fils, c’était Lille. Mais, pendant ce quart d’heure j’ai vu des hommes, des sportifs, transformés en panneaux publicitaires. J’allais retourner à l’histoire de l’astronomie quand la caméra nous a montré les gradins et j’ai vu qu’il y avait là deux supporters un peu particuliers. L’un faisait la gueule, son équipe avait perdu : Nicolas Sarkozy. L’autre souriait, son équipe avait gagné : Martine Aubry. Les milliardaires en short n’étaient pas seulement des panneaux publicitaires mais pouvaient aussi être considérés comme des symboles municipaux. La présence de ces supporters en ferait-elle bientôt des panneaux électoraux ?

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fleche11 mai 2011 : La reprise de la Bastille

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Le 10 mai 1981, sitôt connu le nom du président élu, la place de la Bastille avait été occupée par une foule venue écouter des hommes et des femmes politiques mais aussi des artistes en tous genres. Il pleuvait. Hier, trente ans après, la Bastille était prise à nouveau, à l’appel de Pierre Bergé et Matthieu Pigasse qui finançaient la soirée. Sans politiques cette fois (du moins sans politiques sur scène : ils étaient derrière, dans le carré VIP), et sans pluie, mais avec Yannick Noah, Alpha Blondy, Gotan Project et quelques autres. Sur la place, peut-être 50.000 personnes, debout, qui accueillent Alpha Blondy. A son habitude, le rasta ivoirien fait dans l’œcuménisme et commence par une ode à Jérusalem, en hébreu. Il enchaîne avec Course au pouvoir, chanson un peu ambiguë, ambiguë comme lui qui soutenait il n’y a guère Laurent Gbagbo avant de lui demander de se retirer… Et il termine avec une sorte de chanson-conseil pour lutter contre le SIDA, dont le refrain mérite d’être cité : « Protège ton vuvuzela avant de faire waka-waka ».  Je me dis que la chanson politique n’est plus ce qu’elle était…

Dans la foule des policiers se déplacent, l’air débonnaire, presque en badauds. L’un d’eux, un CRS à la carrure impressionnante, s’arrête devant moi, m’empêchant de voir la scène. Je lui tape sur l’épaule, lui fais signe de se pousser, il obtempère. Tiens, ils seraient presque prêts à retourner leur veste si jamais, l’an prochain… Arrive Noah : « Bonsoir les amis, ce soir nous sommes là pour fêter la victoire de François Mitterrand, il y a trente ans… » Et il chante, bien sûr, il n’est pas venu pour jouer au tennis, il chante Aux arbres citoyens, dont le refrain, dans la version originale, est :

« Puisqu'il faut changer les choses

Aux arbres citoyens !

Il est grand temps qu'on propose

Un monde pour demain ! »

Mais il a légèrement modifié le texte : « Il faut changer les choses comme ça citoyens il est temps qu’on propose un monde pour demain » et, en chantant « comme ça » il lève le bras, poing serré. Au milieu d’une autre chanson il scande soudain un slogan souvent entendu ces dernières années, « tous ensemble, tous ensemble, tous ensemble ». La chanson politique n’est peut-être pas morte, elle change simplement de genre.

Je contemple tout ça assis à la terrasse d’un café, Les phares. Hasard, en face de moi, sur un kiosque à journaux fermé, des affiches dont deux de Télérama, qui me parlent particulièrement. L’une présente un numéro hors série sur les étrangers, que je connais bien, j’y ai participé, et l’autre une enquête faite par mon ami Olivier, dont le titre est « Peuple de gauche es-tu là ? » Oui, Olivier, une partie du peuple de gauche est là, ce soir. Pour une reprise de la Bastille. L’an prochain ?

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fleche6 mai 2011 : Bras cassé

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Il y a des jours où l’on trouve dans les pires dossiers quelque chose de réjouissant. On parle beaucoup de quotas en France depuis quelques temps, d’une réunion de la fédération française de football au cours de laquelle aurait été évoquée la possibilité d’avoir une sorte de numerus clausus ethnique dans le recrutement des jeunes sportifs. Beurk !!!! Et hier, l’excellente émission de télé C dans l’air portait justement sur ce thème. L’un des invités, évoquant cete éventualité de quotas lance : « On risque de discriminer des jeunes qui pourraient devenir de nouveaux Messi ». Il parlait de Lionel Messi, le footballeur argentin qui joue à Barcelone : même moi, particulièrement analphabète en la matière, j’avais compris. Mais il y avait sur le plateau un démographe, Hervé Le Bras, auteur de nombreux ouvrages sur l’immigration, les populations, les races, un démographe donc qui reprend la balle au bond : « En tant qu’agnostique je ne souhaite pas avoir de messie ». Peut-être compétent dans son domaine, mais pas en football, Le Bras. Chic alors, j’ai trouvé plus nul que moi !

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fleche5 mai 2011 : Du rififi sur les ondes

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Rififi : ce mot argotique un peu désuet, inventé au début des années 1940 par le romancier Auguste le Breton, vient bien entendu de rif, « feu » : « y’a du rififi » signifie « y’a l’feu », ou en d’autres termes « il y a des problèmes ». Et il y a bien du rififi dans les media audiovisuels publics français. Commençons par l’audiovisuel extérieur : France 24. Là, c’est carrément la guerre entre le patron, Alain de Pouzilhac et la sous-patronne, Christine  Ockrent. Accusation d’espionnage dans un sens, plainte contre X pour harcèlement moral dans l’autre et pour couronner le tout descente de flics dans les locaux de la chaîne, perquisition, bref tout cela fait désordre… Comme d’habitude dans l’audiovisuel français depuis que Sarkozy s’est arrogé le droit d’en nommer les responsables, ce brouhaha lui est imputable. C’est lui qui a voulu ce système bicéphale, lui qui a choisi ces deux dirigeants, et il faudra bien que, comme pour le bouclier fiscal, il finisse par reculer. Pour ce qui concerne France Télévision, le même Sarkozy a nommé comme président Rémy Pflimlin, qui se trouve, comme Jean-Luc Hees à Radio France ou Philippe Val à France Inter, immédiatement soupçonné de prendre ses ordres à l’Elysée et de virer ceux qui déplaisent au président de la République. Et les exemples ne manquent pas, de Guillon pour France Inter à Durand ou Giesbert pour la télévision. Pflimlin, interrogé hier par Libération, nie tout en bloc : il est seul responsable, il prend ses décisions tout seul, en toute conscience. Hélas, deux fois hélas !

Hélas, une fois : il explique qu’Arlette Chabot, si elle n’était pas partie pour Europe 1, serait restée dans une émission, « aurait effectivement été dans le coup ». Immédiatement, Chabot dément et l’accuse pratiquement de mensonge.

Hélas, deux fois : Libération lui demande s’il n’est pas victime du mode de nomination. Et il répond par un énorme lapsus, que le quotidien a eu la cruauté de conserver : « Vous savez, le mode de domination… « Vous avez dit domination »… Nomination ! »

Nomination, domination, tout est dit. Il est désormais impossible de croire en la liberté des dirigeants de l’audiovisuel, c’est le bordel partout, le rififi si vous voulez, et derrière ce rififi toujours le même responsable, Sarkozy. Semeur de désordre, incapable de maintenir l’ordre.

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fleche3 mai 2011 : Paradoxe

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Chaque fois que je reçois le relevé de mes dépenses par carte bancaire je me dis qu’on (oui, « on ») peut savoir que j’ai pris tel jour l’autoroute pour me rendre à tel endroit, que j’étais dans tel hôtel de tel pays à telle date, que j’ai mangé dans tel restaurant, que j’ai acheté tel billet d’avion ou telle machine à laver à tel endroit, etc. Il n’y a là aucune paranoïa mais tout simplement un fait. Et si l’on veut échapper à ce flicage potentiel, il faudrait bien sûr tout payer en liquide (mais « on » saurait de toute façon où j’ai tiré de l’argent et combien). Ce n’est bien entendu pas fini : chaque fois que j’utilise mon téléphone portable « on » peut savoir où j’étais tel jour à telle heure. L’efficacité de ce maillage est apparu en grand jour lors de l’enquête sur les assassins du préfet Erignac : la police savait à quelques mètres près où et à quelle heure se trouvaient Yvan Colonna et ses complices. Encore une fois, si l’on voulait échapper à ce flicage potentiel, il faudrait renoncer au portable et n’utiliser que des cabines téléphoniques. Reste nos ordinateurs. Chaque fois que nous envoyons un mail, il peut être lu et si nous étions objet d’une enquête tous nos mails sont accessibles : la police n’a qu’à demander aux providers, qui n’ont rien à lui refuser. C’est en gros ce qui se passe en Chine, mais aussi chez nous, dans les affaires de sites pédophiles et nazis par exemple. Donc, pour vivre cachés (et heureux ?) il suffirait de se passer de cartes de crédit, de téléphone portable et d’ordinateur. Ou, bien sûr, ne rien avoir à cacher.

Il ne vous a pas échappé que les Américains ont localisé puis éliminé Oussama Ben Laden. Sans doute a-t-il été donné par une partie des services secrets pakistanais. Mais il y avait un indice fort venant corroborer cette information: la maison dans laquelle il vivait, récente, imposante, moderne, n’avait ni téléphone ni liaison internet (et en outre ses occupants ne donnaient pas leurs ordures au service de voirie mais les brûlaient eux-mêmes). Et voilà le paradoxe de mon titre : nous sommes potentiellement fliqués par nos moyens modernes de communication ou de paiement, mais si nous nous en passons nous sommes immédiatement suspects. Débrouillez-vous avec ça…

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fleche2 mai 2011 : Héritier(e) ?

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Toute la France se demande (enfin j’exagère un peu, mais la presse people essaie de nous le faire croire), toute la France donc, à ce bémol près, se demande si Madame Bruni-Sarlkozy est enceinte.  Et toute la France (j’exagère aussi, mais j’aimerais bien le croire) s’en fout. Tout le monde veut savoir et tout le monde s’en fout. Si vous êtes vous aussi dans cette situation oxymorique, tonton Calvet va vous dire ce qu’il en pense et surtout la façon dont vous devriez aborder cette passionnante question : il suffit de demander. Tout d’abord, il ne vous a pas échappé que Sarkozy, même si rien ne prouve qu’il sera vraiment candidat, se considère d’ores et déjà comme en campagne. Tout ce qu’il fera dorénavant, tout ce qu’il dira, tous ses déplacements, toutes ses postures, les gens qu’il nommera et les gens qu’il virera, les films qu’il annoncera avoir vus et les livres qu’il prétendra avoir lus, tout aura été soigneusement pesé par ses conseillers en communication, dans le seul but d’assumer sa réélection dans le cas d’une éventuelle candidature. Je sais, c’est une étrange façon de remplir sa tâche de président, et l’on pourrait entendre plus de grandeur de celui qui assume une telle fonction. Mais chacun fait ce qu'il peut…

La bonne façon d’aborder cette question qui passionne tout le monde et dont tout le monde se fout (ou devrait se foutre) est donc de savoir si une éventuelle naissance apporterait quelques points de popularité de plus à l’heureux père, en bref si cela le ferait remonter dans les sondages. Si la réponse est oui, il y aura un(e) héritier(e), si la réponse est non, il n’y en aura pas. Dans le premier cas, se pose alors une nouvelle et grave question : quelle serait la bonne date. Non je ne fais pas allusion au thème astral, aux tireuses de bonne aventure et autres billevesées mais tout simplement au rapport entre le moment ou un(e) héritier(e) viendrait au jour et celui où nous aurions à glisser un bulletin dans l’urne. De ce point de vue, la fin du mois d’avril serait idéale : quelques jours avant l’élection. Nous verrions le père à la maternité, l'enfant dans les bras, mais repartant aussitôt au travail, aux affaires de la France. Ce serait parfait comme message! Fin avril, donc. Calculons, remontons de neuf mois (le temps d’une gestation, comme vous le savez), cela nous donnerait début août pour l’acte créateur, parfait, le début des vacances gouvernementales. Donc madame Bruni-Sarkozy ne serait pas enceinte aujourd’hui et devrait l’être fin août. Enfin, dans le cas où les conseillers en communication de la présidence seraient efficaces. Jusqu’ici ils ne l’ont guère prouvé.

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Avril 2011

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fleche29 avril 2011 : Terrorismes

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Mariage du siècle pour France Inter, mariage de l’année pour France 2, le service public de notre pays républicain fait décidément un succès monstre à ce qui va se passer aujourd’hui à Londres, c’est-à-dire rien. L’héritier de la famille royale, peut-être futur roi, épouse une roturière dont le plan de carrière trouve son aboutissement : and so what? A l'aune de ce qui se passe un peu partout dans le monde, il s'agit d'un non évènement qui n'aura aucune influence sur l'histoire. Pourtant je sens que tous ceux qui ne travaillent pas seront scotchés à leur téléviseur, que ceux qui travaillent se cacheront derrière leur ordinateur pour suivre en douce la cérémonie, bref je sens que ce sera le succès de la semaine, du mois, de l’année, du siècle (enfin, n’exagérons pas), comme vous voudrez. C’est intéressant, cette forme, mariage du siècle, ou de l’année, qui ressemble à un possessif (le siècle ne serait donc plus célibataire, l’année connaîtrait sa nuit de noce…), mais ce n’est pas cela qui me retient, plutôt le succès de la semaine, du mois, de l’année, du siècle, comme vous voudrez, que constituera cette cérémonie. Une véritable vitrine ! Bien sûr les services de sécurité y ont déjà pensé et se sont organisés en conséquence mais si j’étais terroriste c’est là, et non pas à Marrakech, que j’irais mettre le bordel. Imaginons. Je suis donc terroriste. Pour quelle cause ? La cause des chats siamois (FLCS, Front de Libération des Chats Siamois), des linguistes au chômage (ALC, Association des Linguistes au Chômage), des fumeurs de haschich (AFH, Amicale des Fumeurs de H), des islamistes homosexuels (GIH, Groupement des Islamistes Homos), des fumeurs de pipes en écume, des collectionneurs de cafards, des éleveurs de chimères, des spécialistes du carbone 14, de ce que vous voudrez. C’est là, et nulle part ailleurs, qu’il faut aujourd’hui se manifester. Terroristes de toutes ces causes, où êtes-vous donc? Un lâcher de chats siamois enragés dans la foule, des linguistes semant la confusion des langues dans l’abbaye de Westminster, au moment où les fiancés doivent se dire yes, un nuage de fumée de cannabis sur Buckingham, fumée sortant bien sûr de pipes en écume, des barbus enturbannés mais maquillés se roulant des pelles sur le Mall, une armée de chimères et de cafards se jetant sur les horse guards, ça aurait de la gueule, non ? Et j’oubliais les spécialiste du carbone 14, qui distribueraient des tracts donnant la datation de la reine. Mais je crains, hélas, que la police britannique ne mette le holà à tous ces beaux projets. Alors je n’allumerai pas ma télé, je n’irai pas me promener (il pleut ce matin), je vais m’installer derrière mon ordinateur (y rester, en fait, puisque j’y suis déjà). Mais je vous souhaite tout de même un beau spectacle.

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fleche25 avril 2011 : Le lieu du crime

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Il est une blague, ou plutôt une devinette, que j’aime bien. La voici : Quelle est la différence entre un architecte et un assassin ? Allez vous servir un verre, fumez une cigarette et revenez. Vous avez trouvé ? Sans doute, mon titre a dû vous aider. Sinon, je vous donne la réponse : Contrairement à un assassin, un architecte ne revient jamais sur le lieu de son crime. Si je vous raconte ça, c’est bien sûr parce que Sarkozy a entrepris de revenir sur ses propres traces, sans aucune vergogne, de revenir sur les lieux où il avait fait des promesses qu’il n’a jamais tenues. Après avoir servi les riches, il se fait son propre VRP en direction des ouvriers qu’il avait oublié depuis son élection. Ainsi des Ardennes : le 18 décembre 2006 il y avait lancé sa formule travailler plus pour gagner plus. Aujourd’hui, après la réforme des retraites, alors que son slogan devrait être quelque chose comme travailler deux ans de plus sans gagner plus, il invente une hypothétique prime de mille euros et retrouve les mêmes postures que lors de sa campagne présidentielle : « Je ne céderai pas là-dessus », ou encore « Je n’accepte pas cet immobilisme »… Bref il nous sert à nouveau une rhétorique bien rodée en 2007, celle du gars qui en veut, qui en a, qui ira jusqu’au bout, qui tiendra ses promesses, qui secouera le cocotier, en un mot qui pratiquera la rupture. En 2007, peut-être vous en souvenez-vous, il avait été élu. Et en 2012 ?

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fleche21 avril 2011 : Combattants, rebelles, insurgés, chebab...

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Nicolas Sarkozy a donc reçu hier le président du Conseil national de transition libyen, qui lui demande des armes et des conseillers militaires. Petit détail, mais qui a son importance, ledit président, Moustafa Abdeljelil, est l’ancien ministre de la justice de Kadhafi. Dès lors, comment le définir ? Est-il un traître ou un déserteur (aux yeux de Kadhafi, sans doute), un transfuge, un repenti, un dissident, voire un opportuniste ? Je ne pose pas cette question par hasard. Depuis le début de l’affaire libyenne j’ai en effet été frappé par les différents termes utilisés par les media pour désigner ceux qui prenaient les armes contre le régime de Kadhafi. On les décrivait comme peu formés, enthousiastes mais inexpérimentés, malhabiles avec leurs armes, sans réelle stratégie, mais comment les appelait-on ?   J'ai déjà abordé cette question ici, le 9 mars, soulignant d'abord la vogue de la révolution de jasmin, puis l'utilisation de mots comme constestation, révolte, opposition, protestation, manifestations insurrectionnelles, évènements, pour conclure: "Lorsque le discours hésite à ce point sur la façon de nommer ce qu’il veut désigner, est-ce que la chose désignée est floue, ou est-ce que l’analyse est insuffisante ?" Depuis lors, j'ai demandé il y a quelques semaines à mon ami Jean Véronis de regarder, à l’aide des logiciels que nous avions utilisés pour nos travaux sur le discours politique, ce qui se passait sur la toile. Résultat des courses (and the winner is…, comme il me l’écrivait) : nous avions 55% d’insurgés, 34% de rebelles et 11% de combattants. Le dernier terme, combattant, le moins fréquent, est en même temps le plus neutre : en nommant combattants ceux qui prennent les armes contre le régime on ne prend pas position sur leur combat. Les choses sont un peu différentes pour les deux autres mots. Un rebelle (étymologiquement celui qui recommence la guerre) est défini par le dictionnaire comme celui qui ne reconnaît pas l’autorité, et on lui donne pour synonymes insoumis, factieux, insurgé et révolté. Quant à l’insurgé, c’est celui qui se soulève, ou se dresse, contre l’autorité, l’injustice. En d’autres termes insurgé semble plus positif que rebelle : une insurrection rappelle la Commune de Paris, tandis qu’une rébellion nous fait plutôt penser à l’OAS ou aux généraux factieux à la fin de la guerre d’Algérie. Or ce matin, sur France Inter, j’entends, toujours à propos de la Libye, parler de combattants révolutionnaires. Puis, dans Libération, je trouve dans l’article consacré à la rencontre d’hier entre Sarkozy et Abdeljelil deux fois insurgés et une fois rebelles. On continue donc à hésiter entre les trois mots, auxquels s’en ajoute d’ailleurs un quatrième : les chebabs. Ce qui, en passant, constitue une double stupidité. D’une part, à en juger par les nombreuses personnes vues dans les différents reportages, tous les insurgés (ou les rebelles, ou les combattants) ne sont pas jeunes. D’autre part, chebab est en arabe un pluriel (le pluriel de cheb) et le s est donc tout à fait inutile. Mais cela est de peu d’importance. Ce qui m’importe est que la presse nous parle depuis quelques jours de risque d’enlisement, que les ministres  jouent sur les mots en nous disant qu’il n’y aura pas intervention terrestre mais envoi de conseillers, bref que nous sommes en plein flou politique et militaire. Et je me dis que ce flou n’est pas sans liens avec le flou sémantique (combattants, rebelles, insurgés, chebab) que je viens de décrire. Il n’est pas sans intérêt de savoir nommer ou définir ceux que l’on soutient. Sauf bien sûr si tous ces mots ne servent qu’à en masquer un autre : pétrole.

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fleche16 avril 2011: Phrase simple

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Dans le supplément télévision et cinéma du Nouvel Observateur de cette semaine on trouve un dossier de six pages sur le « petit journal »de Yann Barthès, huit minutes par jour, du lundi au vendredi vers 19 heures 40, au milieu du grand journal de Canal +. Dossier au ton mitigé . On y cite Le Monde, qui considère qu’il s’agit d’un des rares îlots d’irrévérence dans le paysage télévisuel, Télérama qui y voit une vision dérisoire de la politique, ou Daniel Schneidermann, journaliste spécialisé dans l’analyse des média, pour qui: « Barthès sourit toujours. Ses coups de griffes sont souriants. Au pays du sourire universel, il règne, mesurant avec équité bafouillements de droite et bâillements de gauche ». Six pages pour une émission de huit minutes, c’est déjà un compliment ! Même si l’un des article se termine par un coup de griffe : « Rien de pire qu’une impertinence finalement bien consensuelle ». In cauda venenum….  En fait Barthès et son équipe se contentent de revivifier nos mémoires hémiplégiques, de mettre en parallèle des déclarations contradictoires du personnel politique, de rire de leur langue de bois, de les mettre face à leurs reniements, leur mauvaise foi, leurs mensonges, leurs ridicules . Ils utilisent pour cela du matériel et des informations dont disposent tous les journalistes, mais les journalistes s’en désintéressent le plus souvent, ou ne considèrent pas que leur travail doive consister à les utiliser. Du coup, la façon dont ils pratiquent leur métier, sans agressivité ni impertinence, constitue un faire-valoir pour le « petit journal ». Les journalistes utilisent, comme nous tous, la langue française. En français, une phrase simple est composée de trois éléments, un sujet, un verbe et un complément d’objet. Or, et c’est là le problème, bien des journalistes, c’est la variante Figaro, confondent complément et compliment lorsqu’ils parlent de la majorité. La grammaire du « petit journal » ne comporte pas de phrase simple du type sujet+verbe+compliment et, parfois, le complément d’objet peut être un complément d’objection. C’est là tout son intérêt, et c’est déjà pas mal, dans ce pays où l’on a parfois l’impression, je crois l’avoir déjà écrit mais peu importe, que les interviewers semblent avoir appris leur métier à l’école hôtelière et posent des questions comme on passe les plats.

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fleche14 avril 2011 : Périnée

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Nicolas Hulot a donc annoncé qu’il serait candidat à l’élection présidentielle. On voit mal quelles sont ses compétences en matière de politique, mais qu’importe ! L’écologie et le social seront ses priorités, le gouvernement actuel ne fait rien, d’ailleurs il a dit haut et fort qu’il ne fallait pas prolonger le statut quo d’un système périmé. Mais il a fait un délicieux lapsus, prononçant, avant de se corriger, système périnée. Bienvenue au club, Hulot est bien fait pour la politique, il a son brevet de lappe suceur. Le périnée, comme on sait, est l’ensemble des muscles entourant l’anus et les organes uro-génitaux. Et la France entière en a entendu parler à propos de la fonction présidentielle, justement. Le 7 avril 2009 Le Parisien interviewait Julie Imperiali, « personnal trainer » du couple présidentiel, qui expliquait qu’elle faisait travailler ces muscles au président et à sa femme : « Plus on se renforce à l’intérieur, plus ça se voit à l’extérieur. Le corps, c’est comme une “maison”, le dos et les épaules sont le toit, les abdos et le bas du dos sont les murs, et le périnée, le sol. Sans lui, tout s’effondre ! » Sans lui tout s’effondre ! Nicolas Hulot a déjà le même prénom que le président, s’il travaille en outre comme lui le sol de son corps, il sera un redoutable candidat face à Sarkozy.

Rien à voir avec ce qui précède : Jean-Claude Darnal est mort hier, à 81 ans. Ce matin, entre six et sept heures, France Inter a passé des extraits de trois de ses oeuvres, Le Soudard, Le Tour du monde et Toi qui disais. Au milieu des années 1950, quand je m’initiais à la guitare, j’adorais ces chansons. En les réécoutant aujourd’hui elles m’ont paru terriblement démodées. Et surtout la voix de Darnal, sa façon de chanter. Il est vrai que je ne l’avais pas entendu depuis cinquante ans. Mais cela me pose une question : qu’est-ce qui fait que certaines chansons traversent les années, restent « écoutables » , et que d’autres prennent très vite des rides. A la même époque, je chantais également Brassens, Brel, mais aussi Marie-Josée Neuville ou le père Duval (s’il vous plaît, ne riez pas !). Les uns sont toujours « écoutables », les autres non. Dans cinquante ans les discours de Nicolas Hulot seront-ils écoutables ? Cela dépendra peut-être de l’assiduité avec laquelle il travaillera sont périnée…

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fleche13 avril 2011 : Pas tousses

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Décidément le personnel politique français n’en finit pas de nous étonner. Hier matin Canal + recevait Nadine Morano. On lui fait passer une série de questions brèves auxquelles il faut répondre  j’aime ou j’aime pas ». Après une question sur la vente annoncée du PSG, un club de foot parisien, la journaliste lance: J’aime, j’aime pas Renault, tous coupables sauf Carlos Ghosn ? Réponse : J’aime Renaud sur certaines chansons, pas tous, celle là l’ai pas entendue, donc j’peux pas vous dire si j’l’aime ou pas. Elle a confondu le chanteur Renaud et la marque de voiture Renault, dont le patron, Carlos Ghosn, a échappé à la purge après son énorme bévue concernant un soi-disant espionnage industriel : tous les responsables ont été virés ou déplacés, sauf lui. La journaliste lui fait remarquer son erreur, Tous coupables sauf Carlos Ghosn c’est pas une chanson de Renaud. Morano : C’est quoi ? La journaliste : C’est Renault qui règle ses comptes sur l’affaire d’espionnage. Morano : Ah, …. Vous me parliez du foot, alors…

Ce court échange est plein d’enseignements. Certes Renaud et Renault sont homophones, mais pour une femme politique de premier plan l’association dans la même phrase de Renaud et de Carlos Ghosn aurait dû lui faire comprendre, par ce processus que j’appelle la rétroaction, que Renaud était en fait Renault. En outre, en réécoutant la bande, on entend que la journaliste fait deux pauses, le première après J’aime, j’aime pas… , la seconde après Renault !, ce qui donne un effet d’apposition à tous coupables sauf Carlos Ghosn. La langue parlée est pleine de ces processus qui sont à l’oral ce que la ponctuation est à l’écrit. Par exemple, entraînez-vous à prononcer ces deux phrases, en respectant scrupuleusement les pauses indiquées par deux virgules ou par deux points :

Dati dit : Morano est une idiote

Dati, dit Morano, est une idiote

 Et puisque nous parlons de graphie. Madame Morano, qui est ministre de l’apprentissage et de la formation professionnelle, a prononcé : J’aime Renaud sur certaines chansons, pas tous, celle là j’l’ai pas entendue . Passons sur le sur, si je puis dire, mais il est sûr qu’il faudrait la mettre en apprentissage grammatical pour lui apprendre que tous donne au féminin toutes. Mais peut-être aurait-elle écrit pas tousses…

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fleche9 avril 2011 : Récidive

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 Vous n’avez sûrement pas oublié le lapsus de Rachida Dati, ce jour où voulant parler d’inflation elle avait prononcé fellation. Et voici qu’elle récidive. Parlant le 1er avril dernier (non, ce n’était pas un poisson d’avril), sur LCI, du débat sur la laïcité, elle a déclaré qu’il fallait un gode de bonne conduite. C’est Nicolas Domenach, journaliste à Marianne, qui a levé le lièvre (ou la levrette) hier. Fellation, godemichet, je laisse aux psychanalystes le soin d’interpréter cette série et n’interviendrai qu’en linguiste. Pour noter tout d’abord qu’entre code et gode  il n’y a qu’une opposition de sonorité : k est une consonne sourde,  g est sonore. Que Rachida Dati aime faire du bruit, du buzz, nous le savions déjà, mais en voici donc une confirmation phonétique. Reste, toujours du point de vue du linguiste, le problème de l’étymologie de ce godemichet. Certains pensent à une origine ibérique, un mot catalan désignant le cuir de Gadamès dont on faisait cet accessoire destiné au plaisir solitaire. D’autres à une forme du latin du moyen-âge, gaude mihi, « fais-moi plaisir ». Je n’ai pour ma part aucune préférence. En revanche, toujours en tant que linguiste, je me dois de préciser le contexte dans lequel cet acte de langage a été émis : Madame Dati se trouvait en face du journaliste Christophe Barbier. Alors là, je n’y crois pas. Comment cette dame aurait-elle pu avoir des pensées si frivoles face à ce…  Mais oui, j’y suis ! J’ai une hypothèse puissante (au sens où elle a le pouvoir d’expliquer tout à la fois). En fait, face à Christophe Barbier elle a eu, elle n’a pu qu’avoir, une réaction de répulsion, se disant « mon Dieu, qu’il est gominé ». Et, voulant parler de code, elle a parlé de gode. Lumineux, non ?

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fleche7 avril 2011 : Gaz ou gag

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Le Nouvel Observateur envoie chaque jour par mail à ses abonnés une sorte de « newsletter » où l’on trouve en particulier une liste des « dix mots de la révolution tunisienne ». Le second de la liste concerne le fameux « dégage » adressé par la foule le 14 janvier à Ben Ali, puis le 18 janvier à Alya Abdallah, présidente de la banque de Tunisie, qui elle aussi dégagea (voir mon billet du 1er février). La journaliste de l’Obs, Nathalie Funès, raconte que depuis lors la plupart des « bénalistes » ont pris la poudre d’escampette sous les lazzi et les « dégage » et poursuit : « Les révolutionnaires égyptiens ont tenté d'importer le mot. Mais à en croire une mauvaise langue de Tunis qui tient à ce que le terme reste une marque déposée de son pays, ils prononceraient dégaze !". En fait la « mauvaise langue de Tunis » a un humour linguistique que je tiens à saluer. Il y a en effet en arabe un phonème (noté par la lettre dont le nom est « jim ») qui se prononce généralement « j » ou « dj ». Pour prendre des exemples qui ne sont pas tout à fait inconnus en français, djebel ou jebel pour « montagne », djemel  ou jemel pour « chameau ». Or les égyptiens prononcent ce phonème « g », gebel donc ou gemel, et notre dégage (ou plutôt le dégage des Tunisiens) doit leur poser problème puisqu’ils n’ont pas de « j ». On peut dès lors imaginer deux prononciations : dégag ou dégaz. La « mauvaise langue de Tunis » a choisi malicieusement la seconde, dégaze, elle aurait pu choisir la première en fait référence à un gag. Quoiqu’il en soit, je rêve que la « révolution tunisienne » emprunte à la « révolution égyptienne » la vogue des noqta, ces blagues politiques qui font la joie des rues d’Alexandrie ou du Caire. Courage camarades, le vieux monde croulera sous des tonnes de rires.

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fleche4 avril 2011 : Habillé pour l'hiver

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Interrogé par Le Figaro sur le livre qui l’avait le plus marqué, Frédéric Lefebvre a répondu Zadig et Voltaire. Hélas, si Zadig a bien été écrit par Voltaire, Zadig&Voltaire est une marque de vêtements. On ne savait pas Lefebvre si attaché aux fringues. Et en outre, avec ses airs de porte flingue, on aurait plutôt pensé à une marque italienne, façon mafia. Pour la suite cependant, puisque la mode est aux éléments de langage, voici quelques suggestions à notre valeureux secrétaire d’état au Commerce, pour ses prochaines interviewes. Si on lui demande quelle est sa montagne préférée, il pourrait répondre Yamamoto. A quelle race de chat va sa préférence : Chanel (ou quelle race de perroquet : Coco Chanel). Son saint patron: Yves Saint Laurent. Son grand cru : Lanvin. Quel bal il fréquente : Balmain. Quelle danse il préfère : One Step. Quelle chaîne d’informations il écoute : New Man. S’il assiste à des tournois de l’ATP: celui de Dorothée Tennis. Sa saison préférée : le Temps des cerises. Son médecin traitant : Doc Martens. Et s’il ne veut pas répondre, il pourra toujours évoquer Guess. Avec cela il est paré, disons habillé pour l’hiver.

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fleche3 avril 2011 : A vos plumes

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Nous l’attendions tous, vous, moi, la France entière, le quatrième CD de Carla Bruni. Il était annoncé pour 2011 et nous comptions les jours. Las ! Sa sortie est repoussée à la rentrée 2012. Pas prêt, le CD ? Ou pas satisfaisant ? Nenni.  Voici le communiqué de son agent :

« En  évoquant l’album, les médias, dont les radios, auraient pu faire croire que c’était une façon détournée de soutenir son mari et beaucoup auraient choisi alors de ne pas en parler. Carla Bruni n’aurait pas pu s’exprimer, se trouvant sans doute confrontée systématiquement à des questions ne concernant pas son album ».

Fermer le ban. Et relisez. Quelles sont vos conclusions ? La première, la plus logique, est que son mari (vous le connaissez, le mari de Carla, il est dans la politique) se présentera à l’élection présidentielle. La seconde est que cet album est à ce point intemporel qu’il peut attendre 18 mois avant d’être livré à nos oreilles impatientes. La troisième est qu’avoir pour mari le mari de Carla n’est pas une très bonne chose lorsque l’on veut sortir un disque de chanson. Mais il y a tout de même une bonne nouvelle : si le disque est repoussé, il est encore temps d’y ajouter un ou deux titres. Par exemple celui que je viens de recevoir de mon ami Patrick, en réponse à un appel récent (voir 29 mars). Mais continuez, continuez, à vos plumes: Carla a besoin d'aide.

Quand j'pense à ces peaux d'vache

Je m' fâche, je m' fâche

Quand j'pense à Sarkozy

Je m' fâche aussi

Quand je pense à Le Pen

Je m'fâche à perdre halein'

Quand j'entends ces minus

Je me fâche encor'plus

Marine et Nicolas

Ça peut fair'du dégât

Donc le mari de Carla serait candidat. Enfin, pour le moment, car pour ma part je ne miserai pas un centime sur la fidélité de ceux qui jurent le soutenir. A ce propos, en ces temps de mémoire courte, je vous propose de conserver dans un coin de la votre, les citations suivantes. Au lendemain du second tour des cantonales, la semaine dernière, Jean-François Copé n’avait aucun doute sur la candidature de N. Sarkozy, Dominique Paillé considèrait que « Sarkozy reste le meilleur candidat mais doit nous rassembler » et François Baroin que « ce serait une pure folie d’avoir un autre candidat ».

Je vous rafraîchirai de temps en temps la mémoire, au cas où….

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Mars 2011

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fleche30 mars 2011 : Bled, souk, médina... et blédine

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J’ai participé hier à Marseille à un débat autour de la question « comment dire d’où l’on vient ? ». Il y avait là, outre ma pomme, l’écrivain Ahmed Kalouaz et l’anthropologue Elsa Zotian. On m’avait invité à parler entre autres choses du mot « bled », dont l’histoire est assez fascinante. En arabe tout d’abord où balad, « ville », remonte à une racine BLD, qui porte le sens de « faire halte, séjourner » : la ville est un endroit où l’on s’arrête, et nous avons donc à l’origine une point de vue de bédouins. Comme tous les substantifs balad a un pluriel, bilâd, « villes », mais ce pluriel va prendre le sens de « pays » (considéré donc comme un ensemble de villes), devenant du même coup un singulier dont le pluriel (un « pluriel de pluriel ») sera bouldan. Passant en français (le français des pieds noirs et l’argot des militaires) sous la forme bled le mot va alors signifier l’intérieur du pays, où vivent des paysans et qu’en Algérie l’armée ratisse. Et aujourd’hui, pour les petits Français issus de la migration maghrébine , il désigne le pays d’origine, avec une évidente connotation affective ou identitaire. Mais il y a en arabe un autre mot pour dire la ville, madîna, avec un sens légèrement différent. Si balad est en gros l’endroit où l’on vit, madîna, désigne plutôt la partie administrative de la ville, celle où l’on rend la justice, où se fait le commerce, où se trouve donc  le marché, le sûq, terme qui a également servi à nommer les lieux, villages en général, dans lesquels se tenait un marché ebdomadaire: sûq al-ahad (« marché du dimanche »), sûq al-arba (« marché du mercredi »), sûq al-khemîs (« marché du jeudi »), etc. Ces deux termes sont également passés en français, sous les formes médina et souk. Dans les trois cas ces mots d’origine arabe ont pris en français populaire des sens péjoratifs. Bled signifie en gros « trou », « coin perdu » (Quel bled !), souk a pris le sens de « désordre », « bordel » ( Qu’est-ce que c’est que ce souk !), et médina  a servi à désigner dans le Maghreb la « ville arabe » ou la « ville indigène », au point que l’on a baptisé à Dakar Médina le quartier africain le plus proche du centre ville. Derrière le traitement sémantique de ces emprunts se profile donc une vision nettement coloniale. Ajoutons-y le « bidonville » qui à l’origine, dans les années 1930, désignait à Casablanca un quartier spontané dans lequel on avait construit des abris avec des bidons d’essence vides. Au bout du compte, le fait qu’aujourd’hui bled dise des choses différentes pour un Français « d’origine », disons un « Gaulois » et un autre Français issu de l’immigration n’est pas étranger aux problèmes d’intégration que nous connaissons. Pour terminer, un petit sourire. Ahmed Kalouaz, qui est arrivé en France à l’âge de six mois, nous a raconté qu’à la fin de la guerre d’Algérie il avait entendu  une expression dont l’intonation montrait qu’elle se voulait malveillante « rentrez voir votre fer à tabac ». Il parlait parfaitement le français, connaissait les expressions pot à tabac, ou fer à souder, mais pas fer à tabac. Il lui fallut beaucoup de temps pour comprendre qu’il s’agissait en fait de Ferhat Abbas, le nationaliste algérien qui fut le premier président du GPRA. Comme quoi le construction du sens est bien un délicat problème herméneutique (mais je ne vais pas vous résumer mon livre sur le Jeu du signe). J’avais annoncé un petit sourire, vous en aurez deux. En écoutant les intervenants et les spectateurs parler des liens entre le mot bled donc et les origines, je me suis amusé à inventer un duel à ce mot. On distingue en effet en arabe entre le duel (deux) et le pluriel (plus de deux), le premier se marquant par le suffixe ine. Ainsi le Bahrein signifie-t-il « deux mers » (allez voir une carte, vous comprendrez pourquoi). Donc je me suis inventé un duel à bled, blédine. Ca ne vous fait pas rire ? Pas de chance…

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fleche29 mars 2011 : Fernande

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Je me suis offert hier une soirée Brassens. Dans mon fauteuil, pipe au bec, verre de porto blanc et sec à la main, en écoutant une trentaine de titres interprétés par Maxime Le Forestier. Sa voix et son jeu de guitare font merveille, en particulier lorsqu’il modifie légèrement le rythme, marquant de son sceau et de son style l’œuvre de tonton Georges, faisant de ces chansons sa chose. Puis je me suis dirigé vers des interprétations en d’autres langues, Paco Ibañez en espagnol, Peter Blaikner en allemand (ah ! Vorsich Gorilla), mon ami Eduardo Peralta en espagnol chilien. Je me suis en particulier arrêté sur sa traduction de Fernande, qui est irrésistible : Cuando pienso en Fernanda, se agranda, se agranda… se agranda igual… se agranda madre mia… et pour finir el que se agranda o no, no lo decido yo (petit rappel de l’original : « la bandaison papa ça n’se commande pas »).  J’ai terminé par un disque sorti en 2006 (Putain de toi, hommage à Brassens) sur lequel des gens aussi différents que Grand corps malade ou Pauline Croze, Juliette ou Olivia Ruiz, Bénabar ou Noir Désir, interprètent le maître. Parmi eux la « première dame de France » comme on dit, Carla Bruni donc, chantant elle aussi  Fernande. Je vous en conseille l’écoute. Ce qui me mène (les voies de Dieu, comme celles de la bandaison, sont impénétrables) au mari de Carla Bruni, à son parti et à sa politique. Toute la journée, les diverses voix autorisées de la majorité (Baroin, Copé, etc.) ont dit à peu près la même chose : ce n’est pas vraiment une défaite et surtout c’est de la faute des abstentionnistes. Ah ! L’abstention ! Tous disaient qu’il fallait que les Français votent, qu’il fallait entendre et comprendre ce qu’ils avaient voulu exprimer en ne se déplaçant pas, etc. L’ennui c’est que les mêmes voix autorisées de la majorité, y compris le mari de Carla Bruni, avaient crié haut et fort tout au long de la semaine qu’en cas de duel PS-FN il fallait s’abstenir ou voter blanc. C’était le discours ni…ni dont je parlais récemment. D’ailleurs un sondage vient de nous apprendre que dans ce cas de figure, PS face au FN, 60% des électeurs UMP se sont abstenus (les autres se sont partagés entre PS et FN). Et l’on se prend à chercher une cohérence dans tout cela : ils sont pour ou contre l’abstention ? Ne cherchez pas, ils n’ont d’autre cohérence que la recherche du moyen de gagner l’élection présidentielle. Par tous les moyens rhétoriques possibles, y compris la mauvaise foi. Il faudrait réécrire Fernande, non plus je bande, je bande mais je gerbe, je gerbe. Je vous en propose un ou deux vers, faites le reste :  Quand j’pense à ces acerbes, je gerbe, je gerbe, Quand j’pense à Sarkozy je gerbe aussi. A vos plumes. Nous proposerons le meilleur de vos textes à Carla Bruni.

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fleche23 mars 2011 : Ni...ni....

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En arrivant à l’aéroport de Lisbonne je vois une affiche annonçant fièrement O papel de Portugal no mundo é mais importante do que imagina (« le rôle du Portugal dans le monde est plus important que vous ne l’imaginez »). Je me dis que ce petit pays est un peu complexé, qu’il a besoin de se rassurer, puis je lis, en bas de l’affiche, cette précision : « En Asie nous représentons 13% des exportations européennes de papier ». Papel, en portugais comme en espagnol, a ce double sens qui permet ce jeu de mots, intraduisible en français. J’adore ! Dans l’avion, j’avais remarqué que pour certains films on annonçait des sous-titres en « portugais du Brésil » : tiens, ils admettent enfin les différences entre ces deux formes linguistiques. Mais, à ce portugais du Brésil ils opposent le « portugais européen » : pourquoi pas « du Portugal » ? Ou « ibérique » ? Non, on ne parle ni le portugais du Portugal ni le portugais ibérique mais le portugais européen. Sans doute pour faire contrepoids à l’immense pays, de l’autre côté de l’Atlantique: l'Europe face au Brésil. Là, ils ont vraiment l’air complexés… Ceci dit, nous savons que la crise a durement frappé ce pays, moins que la Grèce ou l‘Irlande, bien sûr, mais la presse nous parle de temps en temps de ses problèmes budgétaires. De loin, cela paraît un peu abstrait. Sur place on comprend mieux. Les fonctionnaires ayant un  salaire supérieur à 1500 euros l’ont vu réduit de 10%, les allocations familiales sont supprimées ainsi que les diverses déductions fiscales, la TVA a été augmentée de deux points, les carburants atteignent des prix faramineux, le Portugal sait ce qu’est la crise : moins de revenus et des prix en hausse. Mais le porto est toujours aussi bon, surtout le blanc sec. De retour en France je découvre le spectacle d’une droite qui a du mal à cacher qu’elle a besoin de l’extrême droite, qui n’y est pas si opposée que ça. « Ni vote FN ni PS » déclare Sarkozy, pour dire sans le dire qu’il faut laisser progresser les petits fachos de l’héritière Le Pen. Ce ni…ni… me rappelle un texte que Roland Barthes avait publié dans les années 1950, « La critique ni-ni » (il est repris dans ses Mythologies). Il faisait référence à un article de L’Express déclarant que la critique ne devait être « ni un jeu de salon ni un service municipal » et traduisait ainsi cette rhétorique balancée : « entendez qu’elle ne doit être ni réactionnaire ni communiste, ni gratuite ni politique ». Suivaient quelques notations bien pesées, dont voici quelques extraits. « Les idéologies sont des inventions partisanes : donc à la balance ! On les renvoie dos à dos sous l‘œil sévère de la culture (sans s’imaginer que la culture est tout de même, en fin de compte, une idéologie) ». Ou encore « Cette belle morale du Tiers-Parti aboutit sûrement à une nouvelle dichotomie, tout aussi simpliste que celle qu’on voulait dénoncer au nom même de la complexité. C’est vrai, il se peut que notre monde soit alterné : mais soyez sûr que c’est une scission sans Tribunal : pas de salut pour les Juges : eux aussi sont bel et bien embarqués ». Et Barthes concluait ainsi : « J’ai bien  peur que la nouvelle critique Ni-Ni ne soit en retard d’une saison ». Je vous laisse appliquer cette analyse à la situation actuelle et à la politique française.

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fleche20 mars 2011 : L'enfer aux enchères
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Dans un des sketches de son spectacle (que je vous conseille fortement), Stéphane Guillon se met dans la peau d’un professeur d’histoire qui explique à ses élèves l’histoire récente de la France (cela doit se passer aux environs de 2025). Il narre le deuxième quinquennat de Sarkozy, raconte que le lendemain du jour où il quitte l’Elysée Carla Bruni demande le divorce, que l’on passe à la VIème république dont le premier président est Jean-François Copé, bref le Guillon prévisionniste n’est guère réjouissant. Mais, à la fin de sa prestation, il raconte qu’étant introduit un jour dans la cabine de pilotage d’un avion il entend le commandant de bord et son second faire les pires plaisanteries : on va s’écraser, je n’ai plus le contrôle, etc. Sa Conclusion : on dit parfois des choses pour qu’elles n’arrivent pas. Et tout le monde, bien sûr, pense à ce qu’il a dit trente minutes avant sur le deuxième quinquennat de Sarkozy et sur Copé. Faut-il, de ce point de vue, considérer que les sondages récents sur le score de Marine Le Pen relèvent de la même pratique magique ? A voir la gueule du patron de l’institut qui a livré ces prévisions, on en douterait. Il n’a l’air ni d’un plaisantin ni d’un rêveur et donne plutôt l’impression d’avoir l’œil rivé sur son compte en banque… Mais, en lisant ces différents chiffres, je ne sais pas pourquoi, je pense à ceux qui frottent un thermomètre pour en faire monter la température…

Bon, je sais, il y a en ce moment des choses plus sérieuses qui se passent de l’autre côté de la Méditerranée. Vous avez remarqué ? Sarkozy a parlé de « nos partenaires arabes » et Juppé des « pays arabes » qui doivent intervenir avec les USA et la Grande Bretagne. Allez-y les rebeus ! En fait, pour l’instant, seul le Qatar serait d’accord et il n’a pas envoyé le moindre avion. « Nos partenaires arabes », « les pays arabes », ce doit être un lapsus. A propos de lapsus : j’étais hier chez un copain qui me parlait d’une vente de vin. Je lui demande qui vend, et il me répond que c’est sans doute une succession, puis ajoute : « Quand je serai mort, ma femme vendra sans doute ma cave aux enfers ». Il voulait dire aux enchères, bien sûr. Tiens, si on vendait l'enfer aux enchères! Je ne suis pas sérieux ? Non, c’est aujourd’hui le printemps et je pars tout à l’heure au Portugal, faire une conférence à Porto. J’en boirai à votre santé.

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fleche16 mars 2011 : L'antépénultième est morte

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Radios et journaux se traînent parfois paresseusement, en quête d’infos, comme un fleuve attendant que de fortes pluies ou la fonte des neiges viennent alimenter son cours. Mais il ne se passe rien ou pas grand chose, et ils nous abreuvent de rien, c’est-à-dire de petites choses, ou de sujets convenus, revenant cycliquement, ce qu’on appelle les marronniers, et pour ce qui concerne en ce moment la France, les sondages. Et puis, soudain, les informations se bousculent au portillon, l’une chassant l’autre. Souvenez-vous : début décembre la Côte d’Ivoire, puis la Tunisie, l’Egypte, la crise avec le Mexique, la Libye et maintenant le Japon. Comme la presse, Sarkozy court après l’événement. Pour la Côte d’Ivoire, un jeudi si je me souviens bien, il déclara avec fermeté que le candidat battu devait se retirer avant dimanche. Trois mois après, Gbagbo est toujours là. Pour la Tunisie et l’Egypte il laissa Alliot-Marie et Fillon se singulariser. Concernant le Mexique il fut l’élément perturbateur  qui créa l’événement. Puis il se voulut ferme face à Kadhafi, remplaçant Juppé par Bernard-Henri Levy comme ministre des affaires étrangères, mais le pari qu’il fit prendre à Paris était l’alibi qu’il s’était trouvé à propos de la Libye, et le voilà bien embarrassé. Pour se tirer de cette situation il tentera de rebondir et parlera aujourd'hui du Japon et du nucléaire. Mais passons, car ce qui m’intéresse est ailleurs, dans cette valse des infos dont chacune chasse l’autre. « La pénultième est morte » écrivait Mallarmé et cela est en l’occurrence presque vrai. Presque car c’est l’antépénultième qui disparaît systématiquement. Il y a la derrière nouvelle, dont tout le monde parle, l’avant-dernière (la pénultième) qui survit un peu dans les media, et l’avant-avant-dernière (l’antépénultième) qui passe à la trappe. Derrière le Japon, en tête des ventes, on parle encore de la Libye, mais finies l’Egypte, la Tunisie ou la Côte d’Ivoire. Pourtant on meurt tous les jours à Abidjan, les coptes et les musulmans s’entretuent en Egypte, la situation politique de la Tunisie ne se décante pas vraiment. Mais qu’importe, the show must go on, le spectacle doit continuer, et il continue, de titre en titre, d’édito en édito. Demain on parlera d’autre chose, le Japon sera retrogradé, le reste oublié. Ainsi va la foire aux infos. Malheur à l’antépénultième.

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fleche15 mars 2011 : Saint Dau

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Hôtel Champollion, place Champollion, lycée Champollion, brasserie de Memphis, bar la Pyramide, place des écritures, bar Champollion, musée des écritures du monde… Figeac, 10.000 habitants, gros village ou petit bourg, a su mettre en valeur un de ses concitoyens, Jean-François Champollion, le Sherlock Holmes des hiéroglyphes. J’y donnais justement hier soir une conférence sur la naissance de l’écriture. Je sais, c’était suicidaire : le public était averti, dans ce lieu où toute personne cultivée se doit de tout connaître sur le hiératique, le démotique, les cunéiformes, l’ougaritique… . Mais bon, ils ont été gentils avec moi. Avant la conf, visite du musée Champollion (consacré donc aux écritures du monde), muséographie intelligente et attrayante, dont je me demande simplement si le niveau n’est pas un peu élevé pour le visiteur moyen et isolé. Mais les responsables qui m’accompagnent sont à la fois compétents et enthousiastes, et je passe un agréable moment. Ce qui me frappe le plus, cependant, c’est le centre ville, admirablement restauré mais là n’est pas mon propos, le centre ville donc et son odonymie. Il y a là comme une sorte de palimpseste en plein air. Un palimpseste, comme vous le savez, était au Moyen-Âge un parchemin qui avait été gratté, effacé, pour laisser place à un nouveau texte. Ici, les plaques des rues  témoignent du même type de pratique. Je regarde autour de moi, dans le quartier de mon hôtel. « Place Champollion », bien sûr, et dessous, « Plaça de las castanhas », sans que les châtaignes n’aient le moindre rapport avec le déchiffreur. « Rue Emile Zola » et dessous « Carrièra drecha ». « Rue du consulat », anciennement « Carrièra del pes del blat ». « Place Carnot », autrement dite « Plaça del froment ». Une couche de langue d’oc, une couche de français, palimpseste donc mais qui garde le souvenir écrit de ce qui a été gratté. S’ajoute à cela la tradition orale, qui en rajoute une couche. Ainsi tout le monde semble appeler « la Halle » ce qui selon les plaques se nomme « Place Carnot »/« Plaça del froment » (en fait le marché couvert). Ou encore la rue « Zola » / « drecha » est pour beaucoup la « rue droite », par simple traduction de ce qu’on appelle ici le patois. Mais le palimpseste est aussi ailleurs. Peu de gens parlent encore le « patois », mais l’accent de certains rappelle qu’on a effacé une langue d’oc pour laisser place à la langue de la capitale… Vous comprenez que tout cela n’est pas étranger au thème de ma conférence, l’écriture. Sans écriture l’environnement graphique ne nous donnerait pas à lire  ces différentes strates de nomination, nous aurions une place Champollion sans savoir qu’elle fut des châtaignes par exemple. Et justement, en arrivant à Figeac par la route, en provenance de l’aéroport de Toulouse, je traverse une sorte de lieu-dit, un hameau rattaché à Figeac et dénommé Ceint d’eau, puis je vois sur ma gauche un monument, le château de Saint Dau. Tiens donc ! C’est, vous l’aurez compris, le genre de choses qui me font saliver. Miam miam ! Première couche, pour rester dans la métaphore du palimpseste (ou du mille-feuilles) : le lieu est inondable, et fréquemment inondé, d’où son nom, Ceint d’eau, entouré d’eau, ce qui est pour moi la meilleure définition d’une île (une terre entourée d’eau). Mais ici l’île est à temps partiel, à la saison des pluies. Que vient faire cependant ce Saint Dau ? J’ai beau eu chercher, ce saint-là n’existe pas. Etymologie populaire, reconstruction, invention ? Ce qui est sûr, c’est que l’écriture est parfois casse-pieds. Dans une société de tradition orale, nous n’aurions pas rencontré ce problème, ce signifiant différencié semblant renvoyer au même référent. Nous entendrions une seule forme phonique, analysable de différentes façons (ceint, saint...), ou nous ne nous poserions pas de problème, considérant qu'il y a un lieu nommé Sindo (pour prendre une graphie neutre) avec en son centre le château de Sindo... Bref, si quelqu'un a une idée sur l'origine de ce Saint Dau

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13 mars 2011 : Tchavolo et Lavillo sont dans un bateau

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Il était environ une heure ce matin, et nous étions six ou sept, parents et amis, à l'Olympia, dans la loge de Bernard Lavilliers, qui venait de donner un concert roboratif et réconfortant. Soudain entre un homme un peu effacé, fine moustache, l’air d’un petit fonctionnaire subalterne et affairé. Bernard se lève, l’accueille chaleureusement, puis nous le présente : « Tchavolo ! Tchavolo Schmitt ! » Et il ajoute : « C’est le nouveau Django Reinhardt ». Le fonctionnaire effacé efface d’un geste ce compliment trop lourd pour lui : mais non, semble-t-il dire, pas du tout… Lavilliers, qui invite chaque jour ou presque dans ses concerts des musiciens différents, pour les présenter au public, jouer avec eux, lui lance : « Je finis demain après-midi. Tu viens jouer avec moi ? ». Pourquoi pas murmure la petite moustache. « Bon, tu viens à 15 heures 30, il faut qu’on répète ». L’homme approuve. « Et puis, poursuit Bernard, on va commencer maintenant ». Il demande qu’on lui apporte deux guitares, « une nylon, une acier », s’enquiert d’une bouteille de scotch, « Tchavolo, il lui faut une verre de whisky pour jouer », les guitares arrivent, le scotch itou, et j’assiste alors à un spectacle dont je ne sais pas si je parviendrai à le restituer. Lavilliers commence à jouer, « tu vois, on pourrait faire cette chanson », et pendant qu’il joue et chante, Tchavolo, les yeux clos, semble plongé dans de profondes réflexions. Puis il sort un médiator de sa poche (non, il ne s’agit pas du médicament), prend la seconde guitare, s’installe sur un tabouret et… Et déferle alors un tsunami d’accords dissonants, de glissandi, un jazz manouche éblouissant, une dextérité telle que j’ai du mal à suivre ses doigts, à comprendre comment il joue. Bernard entame une autre chanson, et c’est le même festival. Ce qui frappe le plus, c’est que la virtuosité du manouche est entièrement mise au service de Lavilliers, qui s’arrête tout à coup de jouer pour regarder son voisin, semblant s’imprégner de son jeu, de ses doigtés. J’ai l’impression d’être face à une éponge musicale, à un aspirateur, mais un aspirateur qui respecterait profondément ce qu’il aspire… Puis ils se lancent tous deux dans une improvisation sur un rythme de samba, en l’honneur du grand photographe brésilien Sebastião Salgado qui est avec nous, Tchavolo et Lavillo sont dans un bateau musical qui tangue sans jamais couler (oui, comme vous le savez, l'Olympia est à Paris: fluctuat nec mergitur), Lavillo passe à une chanson de Brassens sur laquelle Tchavolo virevolte, ils s'arrêtent un instant, se congratulent, Bernard lui interprète une chanson qu’il avait écrite à la naissance de sa fille Salomé, Tchavolo joue une air qu’il a aussi composé "pour sa fille" (on comprendra ensuite qu’il s’agit en fait de sa femme) et nous sommes paralysés par l’admiration, c’est trop, j’ai l’impression que la guitare va exploser. Bernard lui dit qu’il pourrait faire une chanson sur ce thème, le prie de le rejouer, les yeux fixés sur les doigts de Tchavolo et c’est là que se produit l’incroyable.

Bernard : « Quand tu passes de majeur en mineur, qu’est-ce que tu fais comme accord ? »

Tchavolo : « Je ne connais pas les accords ».

En fait il ne connaît rien à la musique…

Je me suis couché bien tard ce matin, puis j’ai pris bien tôt un train pour rentré à Aix, a l’heure où j’écris le concert doit commencer et je ne sais pas si Tchavolo est venu à l'Olympia (retenez son nom, Tchavolo Schmitt, il joue aux puces de Saint Ouen comme sur les scènes internationales et a enregistré quelques disques), mais depuis mon retour chez moi je regarde mes deux guitares et n’ose pas les toucher.

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fleche11 mars 2011 : Mutation

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Vient de sortir aux PUF la septième édition de mon Que Sais-Je ? sur La sociolinguistique. A y réfléchir, il est assez surprenant qu’un livre plutôt austère dépasse les 24.000 exemplaires vendus. D’autant plus qu’il a été écrit dans des circonstances un peu particulières, que je n’ai jamais racontées. J’en profite donc aujourd’hui pour apporter une toute petite contribution à l’histoire de la sociolinguistique française ( !!!). C’était en 1993 et nous avions à la Sorbonne une réunion tendue, pour le recrutement d’un maître de conférences. Avec une collègue, Caroline Julliard, nous insistions sur le profil du poste, « sociolinguistique », et un autre collègue un peu pédant et qui passait plus de temps à faire de l’argent dans l’édition qu’à travailler à la fac nous avait lancé : « Qu’est-ce que c’est que cette sociolinguistique dont vous parlez sans cesse et que vous ne nous montrez jamais ? ». Il m’avait, vous vous en doutez, passablement énervé et, de retour chez moi, j’avais écrit aux PUF pour leur proposer un Que Sais-Je ? sur ce thème. Proposition acceptée,  livre écrit en quinze jours : c’est le premier acte de ce petit rappel historique. Le second est plus intéressant. Pour les premières rééditions, j’avais fait des petites corrections et des modifications de détails. Mais un jour, il y a trois ou quatre ans, je me suis dit qu’il me fallait rendre compte d’un courant que j’avais initié avec 1994 avec mon bouquin Les Voix de la ville et qui avait pris de l’importance, la « sociolinguistique urbaine ». Mais il me fallait respecter le format de la collection (une nombre de pages immuable), et supprimer autant de lignes que j’en ajoutais. Après bien des hésitations, les pages concernant « les positions marxistes sur la langue » sont passées à la trappe, laissant donc la place à d’autres pages sur la sociolinguistique urbaine. Remplaçant la présentation de textes théoriques par celle d’enquêtes de terrain, j’ai l’impression d’avoir mieux illustré ce que pouvait être une approche matérialiste des faits de langues et de leurs rapports avec les faits sociaux. Il n’empêche que cette suppression, sur laquelle certains lecteurs m’ont d’ailleurs interrogé, témoigne modestement d’un changement qui, lui, n’est pas modeste. En supprimant ces pages, j’ai sans doute pris acte d’une mutation théorique, ou idéologique, qui n’était pas la mienne mais qui reste à analyser. Il faudra un jour que nous lancions une réflexion sur ce point. Je vous signale cependant que la revue Langage et société  a publié il y a un peu plus d’un an un numéro spécial sur Marcel Cohen qui constitue une première pierre sur ce chemin.

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fleche9 mars 2011 : Vae victis

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Le soir du 14 juillet 1789 le duc de Liancourt venait informer le roi Louis XVI de ce qu’il est aujourd’hui convenu d’appeler la prise de la Bastille. « Mais c’est une révolte ! » s’exclame le souverain. « Non sire, c’est une révolution », répond Liancourt. Révolte, révolution : Termes différents ? Opposés ? Complémentaires ? Contradictoires ? Ce matin à la radio, à propos de la Libye, j’entends que « l’opposition aurait proposé à Kadhafi de partir » et que l’on a bombardé Benghazi, « ville tenue par l’insurrection ». Opposition, insurrection : Mêmes types de questions. Depuis qu’en Tunisie a débuté la « révolution de jasmin », ou « du jasmin », le discours n’a cessé d’hésiter… Les commentateurs ont d’abord étendu le modèle tunisien. La « révolution de jasmin » s’élargissait à l’Egypte, voire même jusqu’à la Chine : « La révolution de jasmin arrive en Asie» (Europe 1, 1er mars), « Les Chinois préparent leur révolution de jasmin sur internet » (La Tribune, 8 mars).  Puis nous avons entendu parler de la révolte des pays arabes, des révolutions arabes, de contestation, d’opposition au Yémen, de protestations en Oman, de manifestations insurrectionnelles en Egypte, d’évènements… Lorsque le discours hésite à ce point sur la façon de nommer ce qu’il veut désigner, est-ce que la chose désignée est floue, ou est-ce que l’analyse est insuffisante ? Au début des années 1970 le journal Le Monde avait inventé une rubrique baptisée « agitation » pour rendre compte d’évènements gauchistes qu’il ne voulait pas classer dans le domaine de la politique et ne pouvait pas taxer de faits divers. Les choses étaient claires, le quotidien assumait, de façon peut-être contestable, son droit de nommer. Ce matin toujours, d’un journal à l’autre, j’ai entendu parler de rebelles ou d’insurgés et je me suis amusé à réécrire le dialogue entre Liancourt et Louis XVI : « C’est une rébellion ? Non, sire, c’est une insurrection ». Et puis j’entends un journaliste parler de Kadhafi, qualifié de « dictateur ridicule ». Tiens, voilà un terme sur lequel tous semblent d’accord : Ben Ali et Moubarak étaient des dictateurs, Kadhafi est un dictateur. L’ennui est qu’ils étaient il n’y a guère des alliés, voire des amis. Kadhafi était reçu en grandes pompes par Sarkozy, Moubarak et Ben Ali avaient une place de choix dans l’Union pour la Méditerranée. A quel moment les alliés sont-ils devenus des dictateurs ? Ben Ali était-il un dictateur lorsque Michèle Alliot-Marie lui proposait l’aide de la police française ? Moubarak était-il un dictateur lorsque François Fillon acceptait à Noël son invitation ? Non, bien sûr, ils le sont devenus lorsqu’ils ont été battus, chassés par le peuple. C’est ce qui s’appelle courir courageusement au secours de la victoire. Vae victis, « malheur aux vaincus ». Et une petite question pour finir. Imaginons que Kadhafi s’en tire, que la situation en Libye redevienne ce qu’elle était. Le colonel restera-t-il un dictateur ou redeviendra-t-il le « guide de la révolution » ayant triomphé de la révolte ?

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fleche8 mars 2011 : Davantage d'avantages avantagent d'avantage

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Aura lieu ? Aura pas lieu ? Je veux parler bien sûr du procès des emplois fictifs à la mairie de Paris. S’il y a une question qui ne se pose pas, c’est bien celle de la culpabilité de l’ancien président de la république Jacques Chirac. Lui et son parti, l’UMP (avatar du RPR), ont en effet par avance avoué en remboursant plus de deux millions d’euros à la mairie : on ne rembourse pas quelque chose qu’on ne doit pas, qu’on n’a pas volé ou détourné. Etrange situation puisqu’en droit tout accusé est présumé innocent alors que là, avant même le début du procès, l’accusé s’est en quelque sorte dénoncé. Normalement, donc, le tribunal ne devrait pas avoir trop de mal à juger, s’il juge, il ne lui resterait qu’à décider de la peine à appliquer. Normalement… Mais rien n’est normal dans cette affaire. Remontons dix ans en arrière, au début des années 2000, au cas où vous auriez oublié. Un certain Méry dénonce sur une cassette vidéo le système du RPR qui récolte en liquide des commissions sur les marchés passés par la mairie de Paris, et il s’agit de sommes énormes, et met nommément en cause Chirac. Cela porte un nom : racket. On apprend un peu plus tard que le président de la république a payé en liquide, lorsqu’il était maire de Paris, des dizaines de billets d’avion pour lui et sa famille. On apprend aussi que le train de vie du couple Chirac (les « frais de bouche ») atteignait des sommets déraisonnables, qu’il s’agissait en fait d’un camouflage. Cela porte un nom : prévarication . On apprend enfin que des permanents du RPR, ou des amis, ou des sportifs, étaient fictivement employés (c’est-à-dire payés sans travailler pour le payeur) par la mairie ou par des entreprises en contrat avec la mairie. Cela porte un nom : détournement de fonds. Il y eut procès, il y eut des condamnés (dont l’actuel ministre des affaires étrangères) mais jamais Chirac ne sera inquiété. Reste donc une toute petite partie de cet immense scandale, les emplois fictifs. Et l’on a l’impression que tout est mis en œuvre pour enterrer l’affaire. On nous dit que Chirac est sympathique, qu’il s’est toute sa vie dévoué pour sa patrie, qu’il est vieux, fatigué, malade, qu’il s’agit de choses anciennes… Et alors ? A  l’heure où l’on parle beaucoup des détournements de fonds des familles Ben Ali ou Moubarak, des pratiques des clans Bongo ou Kadhafi, on a l’impression que les choses ne sont pas très différentes sur les berges de la Seine, qu’elles sont de même nature.

Cela se passait donc au début des années 2000. Je ne sais pas si Chirac sera jugé dans les jours qui viennent, ou dans un an, ou dans dix ans (nous le saurons dans la journée) mais je sais qu’en 2002 il a été triomphalement réélu  président, dans des conditions il est vrai particulière, face à Le Pen. Il n’empêche : le corps électoral l’avait mis en tête au premier tour, malgré toutes ces casseroles, le RPR défendait et représentait un homme pris la main dans le sac, et le peuple souverain comme on dit votait pour lui. Au delà du procès des emplois fictifs, qui aura peut-être lieu, c’est le monde politique qui est en cause, son appétit insatiable de postes, de titres, de prébendes. Chirac était en même temps maire de Paris, député de Corrèze, chef de parti, président de conseil général et j’en oublie sans doute. Cela s’appelle pudiquement cumul de mandats, pour ne pas dire cumul de rémunérations, de salaires (puis de retraites), d’avantages divers et variés. « Davantage d’avantages avantagent davantage » chantait Boby Lapointe, parlant de chirurgie esthétique et ne sachant pas qu’il définissait ainsi parfaitement la vie politique. Je sais, notre actuel président a maintes fois affirmé qu’il était résolument opposé au cumul des mandats, que les ministres ne seraient plus que ministres. Les choses aurait donc changé, le modèle Chirac serait obsolète. Ah oui ? Suivez mon regard et détaillez les mandats de nos ministres… Davantage d’avantages…

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fleche6 mars 2011 : Aux putes, citoyens

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En avril 1792, à Strasbourg, Rouget de Lisle compose le Chant de marche pour l’armée du Rhin, qu’entonnent deux mois plus tard des fédérés marseillais quittant le club des jacobins pour marcher sur Paris, d’où le nom qu’on donnera désormais à l’hymne, La Marseillaise. Maintes fois détournée, en Marseillaise anticléricale par exemple (« Aux urnes citoyens, contre les cléricaux, votons, votons, et que nos voix dispersent les corbeaux »), ou encore, version féministe, en Marseillaise des cotillons (« liberté sur nos fronts, verse tes chauds rayons, tremblez, tremblez, maris jaloux, respect au cotillon »), devenant même l’hymne (encore une fois détourné) des chouans («aux armes Poitevins, formez vos bataillons, matrchons, marchons, le sang des bleus rougira vos sillons ») la chanson est depuis plus de deux siècles au centre de la vie politique française. Son texte a souvent été critiqué, à juste titre, mais au fond il importe peu car c’est de ses usages qu’elle tirera son sens, ou mieux, ses sens. D’abord « révolutionnaire », chanson de libération, elle sera ensuite entachée par les aventures coloniales et le nationalisme. Ainsi, en 1870, les anarchistes refusent de la chanter, et Louise Michel écrit : « La foule chante La Marseillaise. Mais l’empire l’a foulée, l’a profanée, nous les révoltés nous ne la disons plus ». Plus récemment, et avant que Serge Gainsbourg ne fasse scandale en l’interprétant en reggae,  Léo Ferré en fait une pute : « J’connais une grue sur le vieux port… C’est dans les champs qu’elle traîne son cul, où y’a des croix comme des oiseaux, des croix blanches plantées pour la peau, la peau des autres bien entendu… « ). Bref, avant d’être réservée à des parachutistes avinés ou à d’imbéciles supporters de je ne sais quelles équipes nationales, La Marseillaise a connu bien des avatars. Pourquoi en parler aujourd’hui ? Parce que dans les murs de l’ancien club des jacobins dont partirent les fédérés marseillais vient d’être inauguré une sorte de musée, le « mémorial de la marseillaise ». Son adresse ? Rue Thubaneau. Et, ça ne s’invente pas, la  rue Thubaneau a toujours été à Marseille la rue des putes.Tout un symbole.  Il avait souvent raison, le vieux Léo. Aux putes, citoyens....

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fleche5 mars 2011 : "Génération France"

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Depuis qu’il a réalisé son rêve, ou du moins la première partie de son plan de carrière, prendre la direction de l’UMP, Jean-François Copé est partout, sur tous les fronts, affirmant sa fidélité au président de la République et laissant dire qu’il se positionne pour 2017. En même temps il anime un groupe de réflexion, un think tank comme on dit en globish, génération France. Dans génération France il y a bien sûr France mais il y a surtout Génération. Bien qu’il se défende de faire du jeunisme, Copé pose évidemment le problème en termes de classe d’âge, de conflit de générations. Il suffit de lire le texte de la page d’accueil du site : « Ma génération », « on ne peut plus penser la politique aujourd’hui comme il y a dix ou vingt ans », « Nous ne nous posons pas les mêmes questions que nos parents », etc. Il se pose en s’opposant. Mais contre qui ? Il a d’ailleurs une curieuse formulation : pourquoi écrit-il « moi j’avais 10 ans en 1974 » ? Il aurait pu préciser sa date de naissance, ou donner son âge, mais non, il parle de l’année de ses dix ans, l’année où Giscard d’Estaing a été élu contre Mitterrand. Il en découle, selon ses termes, qu’il a « grandi dans les années 70-80 », qu’il est « un enfant de la télé, de la crise économique et des débuts de la mondialisation », qu’il est « un élu de banlieue car c’est là que se concentrent les défis de demain ». Né en 1964, comme François Fillon. Copé n’a que neuf ans de moins que Sarkozy qui, lui, est né en 1955. Neuf ans, c’est peu de choses, mais cette insistance sur « les années 70-80 » laisse penser qu’il s’oppose à ce que les sociologues appellent les enfants du baby boom : il n’est pas de la génération de Sarkozy (même si neuf ans ne font pas une génération) et tient à le faire savoir, à le rappeler. De ce point de vue, il serait du côté de la nouveauté, de la modernité.

Mais qu’est-ce qui différencie cette nouvelle génération de la précédente, ou qu’est-ce qui différencie Copé de Sarkozy ? Comme lui il utilise le verbe vouloir (« je veux réfléchir », « j’ai voulu rassembler) et la première personne du singulier (« moi j’avais 10 ans », « j’ai souhaité » , « je suis convaincu », « mes expériences », « j’ai mes convictions » « ma génération », etc.). Parlant au nom d’un club, d’un groupe, d’un « think tank », il ne s’exprime pas en nous mais en moi : Moi, moi je, ma génération… Il ne parle donc pas différemment de Sarkozy mais laisse sans cesse entendre qu’il est plus jeune que lui. C’est ce qu’on appelle des « petites phrases ». De ce point de vue la formule 0% de petites phrases, 100% débat d’idées, chère à « génération France », peut faire sourire… Si nous gardons cette grille de lecture, qui considérerait que sans jamais citer Sarkozy Copé s’en démarque sans cesse, alors les formules qui se succèdent constituent en creux comme un contre portrait de l’actuel président (ouvert, constructif, loin de toute idéologie, aller jusqu’au bout, au fond des choses,  mettre les pieds dans le plat), et si jamais, en 2012, Copé venait à être candidat, nous avons peut-être là les éléments de langage qui lui permettraient de se poser, encore une fois en s’opposant.  Cerise sur le gâteau, ou mieux aspartam sur la cerise, les discussions de génération France se feront sans langue de bois. En 2006 Jean-François Copé publiait un livre au titre prometteur, c’est le cas de le dire, Promis, j’arrête la langue de bois. Ce qui signifiait au minimum qu’il l’avait jusque là pratiquée : sur ce point au moins, il parlait vrai. Comment mesurer l’absence ou la présence de langue de bois ? Nous n’avons pas encore inventé le test, mais il nous suffit d’attendre et de voir. Il sortira un jour du bois, le Copé, et nommera Sarkozy sur  le site de son groupe de réflexion. Pour dire que la droite devrait changer de candidat ?

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fleche2 mars 2011 : Beeble et ingérence

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Sans doute l’avez vous remarqué : Sarkozy qui avait annoncé il y a une quinzaine de jours un « débat sur l’islam en France» parle maintenant, ou fait parler, d’un « débat sur la laïcité ». Comment cela s’appelle-t-il? Un recul ? Un changement de pied ? Une correction orwellienne ? A ce propos, sans avoir vraiment de données statistiques (je travaille sur tout autre chose en ce moment), j’ai l’impression qu’on ne parle plus du non remplacement d’un fonctionnaire sur deux (non, ne vous réjouissez pas trop vite) mais du remplacement d’un fonctionnaire sur deux. Je sais, mathématiquement c’est la même chose. Mais stylistiquement, pas tout à fait. Ah, les mots ! Un petit non et le monde en est changé. Pas vrai, Orwell ? A propos de mots, toujours, j’ai écouté hier Kadhafi interviewé par une télévision américaine et déclarant : « They love me, all my beeble love me ». J’ai essayé par la graphie (beeble) de rendre ce qu’il prononçait. Bien entendu beeble n’existe pas en anglais, du moins pas à ma connaissance, et il voulait dire people. Mais il n’y a pas de p en arabe. Cela me rappelle qu’un jour, dans les souks d’Assouan dans lesquels je me promenais pipe au bec qu’on m’avait interpellé « Hey, mister bibe ! ». Bon, redevenons sérieux. Dans les débats sur la Libye on entend dire, par des gens sérieux justement, qu’il n’est pas question d’y intervenir militairement, que ce serait de l’ingérence. Ils ont raison, bien sûr. Mais depuis le temps que la France vend des armes à l’état Libyen, des armes qui servent aujourd'hui à taper sur la gueule du peuple (pardon, du beeble) ce n’est pas de l’ingérence, ça ?

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fleche1er mars 2011 : Vague ou vaste ?

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Ce qu'il y a d'intéressant avec les lapsus, c'est qu'il annihilent la langue de bois et font apparaître la vérité toute crue. Martine Aubry, parlant hier des propositions du PS, a eu cette phrase magnifique: "C'est donc un projet extrêmement vague". Elle voulait dire, bien sûr, "extrêmement vaste". Mais si nous espérons une vague déferlante aux prochaines élections il faudra très vite que ce vague laisse la place à des projets précis, faute de quoi nous risquons d'avoir du vague à l'âme...

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Février 2011

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fleche28 février 2011 : Bonimenteur

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Commençons par un peu de sémiologie. Nicolas Sarkozy, dans son intervention télévisée d’hier soir, avait l’air hagard, désemparé, lisant son texte sur un prompteur et oubliant le sourire imbécile par lequel il a coutume de ponctuer ses phrases. Même à la fin, en lançant son « vive la république, vive la France », il était coincé, comme tétanisé. Il faisait, le pauvre, presque de la peine. D’ailleurs, depuis quelques jours, Henri Guaino est sur tous les fronts, tel un pompier qui tente d’éteindre l’incendie : une intervention sur Canal + en fin de semaine, une longue tribune dans Le Monde de dimanche-lundi, et France Inter ce matin. Lui aussi n’avait pas l’air à son aise et sous son habituel ton patelin, son habituelle langue de bois (il faudra d'ailleurs faire un jour une analyse de ses interventions dans les media, il y fait la preuve de beaucoup de mauvaise foi et d'une rhétorique de lycéen: il est plus à l'aise lorsqu'il écrit les discours de son maître) , perçait un certain énervement. Signe des temps ? Ils ont l’air aux abois. Tout le monde a remarqué que Michèle Alliot-Marie n’a pas été citée dans l’intervention présidentielle, oubli inélégant qui rappelle un peu les photos truquées de l’époque stalinienne, lorsqu’on effaçait l’image de ceux qui avaient cessé de plaire. Remaniement, donc, l’ami de Kadhafi, Patrick Ollier, conserve son portefeuille mais un repris de justice (rappelons qu’un repris de justice est, juridiquement, quelqu’un qui a été condamné), condamné pour propos racistes, quitte le ministère de l’intérieur tandis que le ministère des affaires étrangères est désormais occupé par un autre repris de justice, condamné  en 2004 pour abus de biens publics. Il ne manque plus dans ce gouvernement que l’ami du président, Patrick Balkany, maire de Levallois-Perret, député des Hauts-de-Seine, et condamné lui aussi, en 1996 et 1999, pour la même raison. Mais, dans le cas de Juppé, il n’y avait pas enrichissement personnel, simplement magouille du RPR… Pour le reste, nous avons assisté hier soir à une tentative de tour de prestidigitation : une peinture de politique étrangère pour masquer une intervention de politique intérieure. Le bonimenteur en chef a fait semblant de nous parler des « révolutions arabes », semblant de vouloir relancer l’Union Pour la Méditerranée, alors que son propos était de bétonner un gouvernement qui semble aller à vau l’eau. Tout cela sent la panique, vous ne trouvez pas.

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25 février 2011 : Sarkozy fossoyeur

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Après trois semaines d’absence je retrouve la France vue de la France. J’ai recueilli, au Mexique, des avis sur l’affaire Cassez et les déclarations de Sarkozy, j’en trouve ici d’autres. On parle dans la presse de faux-pas, de faute, de gesticulation, des diplomates publient dans Le Monde du 23 une tribune l’accusant d’amateurisme, d’autres l’encensent aujourd’hui dans Le Figaro, mais dans tous les cas on focalise sur cette histoire d’année du Mexique en France. Or les choses me paraissent beaucoup plus larges et beaucoup plus graves. Le Quai d’Orsay, puisque que c’est son nom (nous allons voir qu’il en a un autre…), est depuis longtemps un modèle de diplomatie, une véritable école, qui a été le bras de la politique extérieure de la France depuis un siècle et demi et jusqu’aux présidences de Charles de Gaulle ou de François Mitterrand. Plus récemment son image de marque a pris un peu de plomb dans l’aile, lorsqu’il a gagné un peu partout dans le monde le sobriquet de Gai d’Orsay, son personnel étant de plus en plus souvent recruté parmi des homosexuels, en particulier mais pas seulement pour les affaires culturelles. Mais il est composé de gens compétents, bien formés, qui connaissent leur boulot et le font bien. Les choses ont changé avec l’arrivée de Sarkozy à l’Elysée, pour deux raisons principales. Il a mis à sa tête un incompétent nombriliste, le harki Bernard Kouchner, et surtout il a privé ce ministère de toute liberté d’action, en concentrant à la présidence tous les pouvoirs, toutes les décisions. Remarquez, c’est la règle depuis de Gaulle, depuis l’apparition de la notion de « domaine réservé : le chef de l’Etat dirige la diplomatie, que le quai d’Orsay applique. Mais, avec Sarkozy, le ministère des affaires étrangères a été réduit à néant. Et, depuis 2007, nous assistons à un festival de complaisances (l’accueil de Kadhafi à Paris, pour ne prendre qu’un exemple), de forfanteries et de mensonges (cela fait 18 mois que Sarkozy prétend avoir vendu des Rafales au Brésil, je sais, je radote, mais la nouvelle présidente vient d’annoncer que la décision ne sera pas prise avant fin 2011) et de goujateries (pour ne prendre encore une fois qu’un exemple, souvenez-vous de l’image de Sarkozy, assis à côté du pape et envoyant des textos).  C’est la marque Sarkozy, le style Sarkozy, une diplomatie bling bling et hasardeuse, que l’on retrouve chez Boris Boillon, cet ambassadeur venu d'Irak pour, à peine arrivé à Tunis, injurier la presse locale et dont les messages publiés par Wikileaks nous montrent qu’il était déjà perçu par les Américains comme un plaisant vantard. Complaisances, forfanteries et goujateries, ces trois termes définissent parfaitement la diplomatie française sous Sarkozy, et le quai d’Orsay n’y est pas pour grand chose : il n’a pas droit à la parole et ce n’est pas madame Alliot-Marie qui lui redonnera du lustre. Le paradoxe est qu’il y a à l’Elysée un homme, Jean-David Levitte, qui a eu une carrière remarquable, de l’Asie à Washington, un homme du sérail, compétent et réfléchi, tout le contraire du président dont il est le conseiller spécial en matière de diplomatie. Si le travail des conseillers est de donner des conseils, celui-ci aurait normalement dû éviter à Sarkozy les nombreuses bouffonneries auxquelles il nous a habitué. Et deux hypothèses apparaissent alors : soit les choses auraient été pire sans sa présence (ciel !), soit il n’est pas écouté. Mais alors, à quoi sert-il ? Pourquoi reste-t-il ? Et le verrons-nous un jour, comme ces généraux qui lâchent Ben Ali, Moubarak et Kadhafi après avoir été leurs proches, dire tout le mal qu’il pensait des pratiques « diplomatiques » de son maître ? Car le Mexique n’est qu’un incident parmi d’autres dont l’accumulation signe peut-être la fin de la grandeur française dans le domaine des affaires étrangères. Amateur, Sarkozy ? A l’évidence. Mais la diplomatie française n’est pas innocente pour autant : elle laisse faire et un de ses plus grands représentants conseille le prince. Ce prince, lorsqu’il sera parti, sera sans doute autant sinon plus moqué que W. Bush, mais il risque bien, d’ici là, d’être le fossoyeur de notre diplomatie.

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fleche22 février 2011 : Miami

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Du niveau de la mer (New York) à 3700 mètres d’altitude (entre Mexico et Toluca), de températures polaires au Canada à 30 degrés à Guadalajara et Miami, des douaniers US arrogants qui nous font presque trouver sympathiques les flics français aux flics mexicains corrompus et indolents, de la cuisine mexicaine goûteuse et variée à la cuisine US plutôt inintéressante, je viens de passer trois semaines en sautant d’une ville à l’autre, d’un avion à l’autre, à donner une quinzaine de conférences et à évoluer entre trois langues. Une excellente façon de toucher du doigt la diversité des cultures et, à propos de diversité je m’aperçois que dans la courte liste ci-dessus, à part pour le froid, le Canada est quasi absent, comme s’il faisait corps dans la perception que j’en ai avec les USA. Je parle ici du Canada anglophone, mais pour les francophones j’ai également le sentiment qu’ils sont américains en tout sauf pour ce qui concerne la langue : ils vivent américain, roulent américain, mangent américain, pratiquent des sports américains mais parlent français. Ce qui pose une autre question : la langue à elle seule suffirait-elle à établir une identité ?

Bref me voici à Miami, arrivé hier du Mexique, pour ma dernière conférence avant mon retour en France. Je savais déjà que l’espagnol gagnait de plus en plus de terrain aux USA, mais cela bat, ici, tous les records. La ville est réellement bilingue, voire plurilingue. Les Cubains, puis des migrants de différents pays latinos, y ont importé l’espagnol, mais on y entend encore dans les rues le créole haïtien, le français, et l’environnement graphique y est largement en espagnol. Cela paraît un peu paradoxal au centre de l’empire linguistique de la langue hypercentrale, comme je l’appelais dans mon modèle gravitationnel, mais c’est comme ça : l’anglais est titillé, contesté, l’espagnol vient frapper jusqu’au cœur du bastion. Cela promet des lendemains qui chantent…en espagnol.

J’ai passé une partie de la nuit devant CNN, à suivre les évènements de Libye, et je me dis que nous n’avons pas fini de tirer les leçons de ce qui est en train de se produire dans les pays arabes. Je me dis aussi que la démocratie, si elle s’installe vraiment, pourrait déboucher, en Egypte par exemple, sur des majorités de type islamiste. Dura lex sed lex, la loi est dure mais c’est la loi, je veux parler bien sûr de la loi de la démocratie, que ces régimes n’ont pas supportée (comme d’ailleurs Gbagbo en Côte d’ivoire) et qu’il nous faudra accepter si nous voulons être conséquents. Ce qui est sûr, c’est qu’en Tunisie  comme en Egypte le modèle du président à vie a pris du plomb dans l’aile. Reste à nous débarrasser en France du modèle du président qui fait deux mandats, auquel nous sommes abonnés depuis un quart de siècle…

Avant hier soir, dans un restaurant de Guadalajara, le patron m’a fait de grandes déclarations : les peuples français et mexicains sont frères, les grands artistes américains, peintres ou romanciers, ont tous séjourné en France (il était cultivé et en citait plusieurs), nous avons une dette envers votre culture et, pour finir, la France serait un pays merveilleux sans Sarkozy. J’approuve et, désignant la jeune femme qui m’accompagne (en tout bien tout honneur, qu’on se le dise), je lui dis que les femmes françaises ne sont pas mal non plus. Il surenchérit et déclare tout de go avec un petit sourire lubrique : « J’ai une idée, nous pourrions libérer Florence Cassez et l’échanger contre Carla Bruni, nous saurions quoi en faire ». Je lui laisse, bien sûr, la responsabilité de ses jugements esthétiques.

Et puisque j’en suis à la France: en 1997, de passage à Buenos Aires, j’avais appris qu’un couple de « coopérants » venait d’arriver dans la capitale argentine alors qu’on n’en avait guère besoin, mais le couple jouissait de hautes protections politiques. Renseignements pris, il s’agissait de la sœur d’Alain Juppé, alors premier ministre, et de son compagnon ou de son mari, je ne sais pas. Elle était alors prof d’espagnol en France et ne supportait pas d’être brocardée par ses élèves, à une époque où Juppé était très impopulaire. J’avais simplement noté dans un coin de ma mémoire qu’il était très difficile, voire impossible, d’obtenir des postes doubles à l’étranger (cela représente des revenus très importants), mais que cela semblait facile lorsqu’on était sœur de premier ministre. Ladite sœur est depuis peu à la retraite mais son compagnon, ou mari, est actuellement en poste à l’Alliance Française de Santiago de Cuba. Entre temps ils ont eu un poste double, encore un, à l’Alliance de Guadalajara, au Mexique. Il semble même que l’on ait créé spécialement pour eux un poste supplémentaire, qui aurait été supprimé après leur départ. C’était la rubrique « il n’y a pas de piston dans notre belle République, tous les enseignants à l’étranger sont égaux, mais il y en a qui sont plus égaux que les autres, par exemple les sœurs d’ancien premier ministre».

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fleche18 février 2011 : Diplomatie bilatérale

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Je me suis toujours intéressé, chaque fois que je me trouve à l’étranger,  à l’image qu’on y a de la France, et je suis servi cette semaine, me trouvant au Mexique au moment où Sarkozy fait l’une de ses plus grosses gaffes diplomatiques. La lecture de la presse, hier, était édifiante. De trois à sept pages, selon les journaux, donnant à la France des leçons de démocratie sur un ton plutôt modéré et surtout ironique. De façon générale on souligne qu’il s’agit d’un problème de politique intérieure en vue de l’élection présidentielle, que Sarkozy a besoin de remonter sa popularité et qu’il saute sur n’importe quoi pour faire parler de lui. D’où des caricatures le représentant en petit mousquetaire faisant des moulinets avec son épée, et des formules assassines.

Une partie de la presse (par exemple La Jornada ou Reforma) reconnaît que l’arrestation de Florence Cassez a eu lieu dans des conditions douteuses et que le film tourné relève du bidonnage, mais c’est pour mieux souligner que la France n’a aucun argument pour démontrer son innocence et qu’elle n’a d’ailleurs jamais cherché à le faire. Dans la partie « opinion » de El Universal un chercheur en sciences juridiques de l’UNAM (une grosse université de Mexico) publie un J’accuse en imitant Zola et donne une volée de bois vert au président français. Milenio  parle de « diplomatie brutale » et toute la presse souligne l’arrogance de Sarkozy. Car c’est bien de cela qu’il s’agit, c’est bien cela que semblent ressentir les Mexicains de tous bords politiques subitement réunis dans un refus national : l’arrogance de la France qui considère qu’être français c’est être innocent, qui considère que la justice doit être aux ordres de la politique et que le Mexique doit être aux ordres de la France.

J’écoute depuis quelques jours la chaîne américaine CNN et je lis la presse mexicaine, la seconde consacre des pages et des pages au problème franco-mexicain, la première traite de l’Egypte, de Bahrein, du Yémen, mais sûrement pas de la France et du Mexique : nous sommes typiquement dans le cas de relations bilatérales qui n’intéressent que peu le reste du monde. Et de ce point de vue nous assistons à un beau gâchis. Je ne sais pas ce qui est passé par la tête des conseillers diplomatiques de l’Elysée mais ils ne pouvaient pas ne pas savoir que le président mexicain, Calderon, présente à peu près le même profil psychologique que Sarkozy et qu’il ne cédera pas. Sur ce point, la déclaration de Lourdes Aranda, sous-secrétaire d'état aux relations extérieures, est claire: "Le différent ira aussi loin que Sarkozy le désire". Nous assistons à un combat de coqs sur un tas de fumier et les relations entre le Mexique et la France en seront affectées « jusqu’en 2012 » dit-on ici, en supposant que ni Calderon ni Sarkozy ne seront réélus. En attendant, ceux qui travaillent au jour le jour dans le domaine de la coopération culturelle, éducative ou sanitaire paieront les pots cassés, et l’art mexicain l’ira pas à la rencontre du public français. Les relations diplomatiques entre la France et le Mexique en prennent un coup et Sarkozy fignole son image de marque internationale de gamin mal élevé, d'enfant gâté colérique.

Le Mexique est un pays gouverné pour partie par des narcotrafiquants et pour partie par des politiciens véreux, géré en outre par une administration largement corrompue, disposant d’une justice à dimensions variables, bref un pays qui pourrait, c'est peu de le dire, améliorer son image de marque. Et voilà que Sarkozy lui offre sur un plateau d’argent une sorte de brevet de respectabilité. La main sur le cœur Calderon peut dire que la justice mexicaine est indépendante, qu’il n’est pas question d’intervenir contre ses décisions, qu’il n’est pas le président d’une république bananière. Par contrecoup, c’est la France qui apparaît comme une république bananière, puisque son président semble croire que l’on peut influencer la justice ou la nier. Il y a bien sûr au Mexique des tas de citoyens qui n’ont pas d’illusion sur ceux qui les gouvernent, et voilà que Sarkozy offre à Calderon une occasion  de sursaut national contre l’arrogance d’un pays étranger. Beau résultat ! La diplomatie a pour principe d’attendre et de réfléchir avant de réagir. Attendre pour réfléchir. Mais il semble que Sarkozy ne sache pas attendre,  qu’il ait quelques difficultés à réfléchir, et nous savons depuis longtemps qu’il fait essentiellement dans la sur réaction : il nous ramène à l’époque de la politique de la canonière.s Avec un tel guignol à l’Elysée et Alliot-Marie au quai d’Orsay, la diplomatie française a de beaux jours devant elle !

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fleche14 février 2011 : Barbie and Ken are together again !

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La Saint Valentin est aux USA un phénomène social qui touche toutes les classes d’âge : les enfants des écoles par exemple sont grands consommateurs de cartes de Valetine’s day, en reçoivent de tout le monde et en envoient à tout le monde. C’est sans doute pourquoi la société Mattel a choisi de lancer une campagne sur le  thème des relations entre deux de ses produits phrares, Barbie et Ken. La poupée Barbie est une blondasse un peu nunuche lancée par Mattel en 1959, qui sera ensuite déclinée pour à peu près tous les groupes ethniques, afin d’éviter l’accusation d’ethnocentrisme. En 1961 on lui adjoint un petit ami, Ken, tout aussi fade, tout aussi blond, tout aussi con. Les deux poupées génèrent des bénéfices colossaux, d’autant qu’il faut les habiller, que la mode, comme on sait, a pour avenir de ses démoder, et que tous les lardons possesseurs d’une poupée Barbie ou d’une poupée Ken tyrannisent leurs parents pour obtenir de nouvelles fringues pour leurs deux imbéciles de plastique. En 2006 on annonçait que Ken et Barbie étaient séparés. Qui ça, « on » ? La société Mattel, bien sûr. Remarquez, on ne voit pas ce qu’ils faisaient ensemble puisqu’en les mettant à poil on constatait qu’ils n’avaient pas de sexe. Mais voici que la même société, profitant de la Saint Valentin, a lancé une énorme campagne de communication sur le thème « Ken va-t-il reconquérir Barbie ? ».  Ken clame son amour sur Facebook, brame sa tristesse sur Twitter, gémit devant qui veut l’entendre, et tout le monde se demande si Barbie va entendre son désarroi, son malheur, et mettre fin à cette insupportable situation. Vous rigolez ? Dimanche le journal local de Detroit consacrait une page entière à ce dramatique problème, avec une accroche à la une. Ken va-t-il retrouver le chemin du cœur de Barbie ? Insupportable suspense ! Pour ma part, je n’en ai pas dormi de la nuit. Je viens de me jeter sur Internet, sur Barbieandken.com (oui, ça existe) et, Halleluiah, j’apprends que « Barbie and Ken are together again ». Ouf, je suis rassuré (pas vous ?), la journée commence sous de bons auspices. Mais tout de même, nous vivons une époque moderne…

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fleche
13 février 2011 : Les gens sont méchants

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Alliot-Marie en Tunisie, Fillon en Egypte, ils sont donc deux à avoir profité des largesses de dictateurs déchus ou de leurs proches. On aurait pu croire à une démission de MAM, elle n’est pas venue, protégée par le bouclier Fillon : si elle sautait, il aurait dû sauter aussi. Mais tous deux ne servent-ils pas de nuage de protection pour un autre voyage discutable ? Les gens sont méchants, vous le savez. On raconte qu’après un voyage officiel à Varsovie, Sarkozy aurait passé le week end du 5 et 6 février à New York, profitant de l’avion présidentiel pour s’organiser un petit voyage privé. Pour la bonne cause paternelle : son troisième fils, Louis, vit à New York avec sa mère. Mais c’est sûrement faux, tout ça, les gens sont méchants et racontent n’importe quoi. Qui oserait imaginer que notre président profite d'un avion officiel, payé par nos impôts, pour aller se promener outre-atlantique?

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fleche9 février 2011 : Infantilisation, suite

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C’était à prévoir : la télévision québécoise se fout de notre gueule, ou plutôt se fout de la gueule de la classe politique au pouvoir en France : « Les ministres français devront demander à Nicolas Sarkozy la permission d’aller en vacances ». Bien sûr ce n’est pas tout à fait cela, mais c’est tout comme. Le président a annoncé lors du conseil des ministres  que les invitations des ministres à l’étranger « seront autorisées par le premier ministre en accord avec la cellule diplomatique de la présidence de la République », et que les modalités des voyages à l’étranger « seront examinées par le secrétariat général du gouvernement qui les autorisera ou les interdira ». Je rêve d’un ministre, en réunion du conseil, levant le doigt en direction du président : « M’sieur, j’peux sortir M’sieur, c’est urgent M’sieur ». Je parlais hier d’infantilisation de la vie politique, je ne me trompais pas… Voilà où nous en sommes réduits. Ces ministres sont tellement imbus d’eux-mêmes, tellement sûrs de leurs droits, tellement dénués de sens commun, qu’on les traite comme des gamins, ou plutôt comme des gosses (cherchez le sens de ce mot en québécois…). Au fait, le communiqué de la présidence ne dit rien des vacances du président : il fait ce qu’il veut, lui ? Il peut aller sur n’importe quel yacht ? Prendre n’importe quel avion ?

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fleche8 février 2011 : Au Canada, la vie (linguistique) n'est pas un long fleuve tranquille

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Il se passe toujours quelque chose au Canada dans le domaine des langues et de la politique linguistique. Voici, en vrac, quelques exemples recueillis depuis le début de mon bref séjour (moins d’une semaine).

En décembre 2003 Gilles Caron, un habitant d’Edmonton se vit infliger une amende de 54 dollars pour avoir, au volant de sa voiture, effectué un virage à gauche illégal. Il se porte immédiatement devant les tribunaux en arguant que la contravention n’était pas rédigée en français, la seconde langue officielle du pays. Le procès dure toujours. Il est vrai que depuis 1988 l’Alberta n’édicte ses lois qu’en anglais et l’affaire Caron, comme on l’appelle ici remet cette décision en question.  Il vient de remporter il y a deux jours une première victoire. La Province avait demandé que Caron paie les frais de justice, le tribunal avait décidé qu’il s’agissait d’une cause d’intérêt public et que c’était à l’Alberta de payer. La cour suprême vient de confirmer cette décision. Le procès continue et si le plaignant venait à gagner, cela remettait en cause un jugement de la Cour suprême qui donnait le droit à l’Alberta et à la Saskatchewan de se déclarer unilingue anglophone. A suivre, donc…

Un député conservateur, Maxime Bernier, vient de faire scandale en disant que le Québec n’avait pas besoin de la loi 101 pour défendre la langue française. Levée de bouclier, bien sûr. La loi date de 1977, le nouvelles générations qui en retirent le profit sans avoir connu les combats qu’elle a nécessités ne se sentent peut-être pas concernées, mais c’est tout de même un symbole qui est attaqué. Encore une fois, à suivre.

Et ce n’est pas fini. En 2010 ont eu lieu, à Vancouver, les jeux olympiques d’hiver. Le français est, vous le savez sans doute, langue officielle des JO, et s’y ajoute la langue du pays d’accueil. Et cette disposition est bien sûr sensible au Canada. Or de nombreuses plaintes ont été exprimées à propos de la portion congrue accordée au français à Vancouver. Voici que l’ancien patron de ces jeux, John Furlong, vient de publier un livre, Patriot Hearts,  dans lequel il explique entre autres choses que si le français était peu présent, c’est de la faute de Gilles Vigneault qui a refusé qu’on passe lors de la cérémonie d’ouverture sa chanson Mon pays. Vigneault est indépendantiste québécois, il ne voulait pas que son œuvre soit diffusée devant un drapeau canadien, que l’on puisse penser que « son pays » est autre chose que le Québec. Furlong explique donc que, pris de court, il fut obligé de se rabattre sur Garou. Pris de court ! rigolent les autres : il a eu plusieurs années pour préparer les jeux…

Bref, je vous la fais courte, mais on ne s’ennuie jamais au Canada lorsqu’on s’intéresse à ces problèmes. La vie, vue du point de vue linguistique, n’y est pas un long fleuve tranquille.

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fleche7 février 2011 : Régression

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Depuis que l’on a révélé son vol, puis ses deux vols, dans l’avion privé d’un industriel tunisien semble-t-il proche du clan Ben Ali, notre ministre des affaires étrangères, Michèle Alliot-Marie a changé plusieurs fois de posture. Le prenant d’abord de haut (en avion, c’est normal), déclarant qu’en vacances elle n’était plus ministre, puis disant le contraire, s’excusant plus ou moins, disant qu’elle ne le referait plus... Elle ne le refera plus ! C’est exactement ce que disent les gosses pris en faute : « je ne le referai plus ». Il ne lui manquait qu’une phrase : « je ne l’ai pas fait exprès ». Et ce matin, du France 2, François Baroin, porte-parole du gouvernement, a repris la même thématique : «  elle a dit honnêtement que si c'était à refaire, elle ne le referait pas, elle a redit qu'elle ne le referait pas, elle a reconnu son erreur". On croit rêver. Madame Alliot-Marie, pour aller passer une journée à Tozeur avec son mec et ses parents, survole en jet privé des villes dans lesquelles la population tunisienne se bat contre la police de Ben Ali, et elle ne le refera plus ! Nous sommes en pleine régression, en pleine infantilisation de la politique. Il ne reste plus qu’à la mettre au piquet, et tout rentrera dans l’ordre. Et que dira monsieur Baroin, porte-parole du gouvernement, si son patron Sarkozy décide de virer Alliot-Marie ? Qu’elle n’avait pas assez reconnu son erreur ?

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fleche6 février 2011 : Relativité

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Dimanche matin à Ottawa, où je trouve la météo canadienne bien optimiste. Elle annonce du temps doux, clément, beau, et affiche des prévisions de -7, -10, -15 degrés… Pour du temps doux, on peut rêver mieux. D’ailleurs je vois par la fenêtre une tache sombre sautillant sur la neige, un écureuil qui semble avoir froid aux pieds et qui est sûrement d’accord avec moi : la température n’est pas vraiment clémente. Je sais, j’enfonce une porte ouverte, celle de la relativité. Cela me fait penser au li, cette mesure de longueur chinoise à dimensions variables. Pour les esprits cartésiens qui définissent le mètre comme la distance parcourue par la lumière dans le vide en 1/299 792 458 secondes, pour les citoyens d’un pays qui abrite au pavillon de Breteuil, à Sèvres, le mètre étalon, cela peut paraître étrange, voire inconvenant. Un mètre est un mètre, un li devrait être un li. Lorsqu’on regarde le caractère par lequel on note le li, on voit qu’il est composé de deux parties, l’un désignant le champ (tian) et l’autre la terre (tu). C’est qu’à l’origine le li désignait la longueur d’un village, bien entendu variable. Je crois me souvenir qu’ ensuite (je suis à plusieurs milliers de kilomètres de ma bibliothèque et ne peux pas vérifier) le li a été défini par rapport à la marche de l’être humain, qui était supposé faire dix lis par heure. Dès lors il n’avait pas la même valeur en terrain plat, descendant ou montant. Mais qu’on se rassure : le li est aujourd’hui officiellement fixé comme valant 500 mètres. Ouf ! Le temps clément, la longueur du li, relativité, donc. Et, en ce dimanche matin sans doute oisif, je vous propose un thème de réflexion. En prenant en compte ses différentes déclarations sur les juges, les Roms, la princesse de Clèves, ses différentes interventions sur les media, le cours de la justice, le chômage ou le bouclier fiscal, ses compétences en matière de langue française, dîtes comme mesurer la présidentialité de Nicolas Sarkozy, étant donné que, par définition, la présidentialité est à la présidence ce que l’intelligibilité est à l’intelligence.

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5 février 2011 : Délation

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Je me promène dans les rues de Calgary et traverse une large rue vide de voitures alors que le feu me l’interdit: il fait plutôt froid et je n'ai pas envie de piétiner. Mais je sens dans mon dos la réprobation des gens qui attendent de pouvoir légitimement franchir la chaussée. Et, regardant ceux qui attendent de l'autre côté, j'ai comme l'impression que leurs yeux me transpercent. Je raconte ça à un collègue qui vit au Canada et il m’explique que les voisins préviennent la police si vous garez une caravane dans la rue (il faut qu’elle soit sur votre terrain) ou si votre pelouse n’est pas correctement tondue (il faut respecter les voisins et aligner la longueur de votre gazon sur la leur). Je me méfie tout de même un peu, je sais que les français à l’étranger ont tendance à critiquer ce qu’ils entendent ou voient, à exagérer des travers bénins. Mais… mais j’étais hier soir en train de travailler dans ma chambre d’hôtel en écoutant d’une oreille distraite une chaîne francophone, quand un verbe attire mon attention, texter : « Il est interdit de texter au volant ». Comme souvent, le néologisme franco-canadien me plaît. J'abandonne mon ordinateur, tends l’oreille et comprends qu’un automobiliste qui envoyait des textos tout en conduisant a été condamné. Jusque là, rien de très surprenant. Mais ce qui est plus frappant, c’est la façon dont il a été pris : Des gens l’ayant vu en action l’avaient photographié et avaient envoyé leur clichés à la police. Finalement, il avait peut-êre raison, mon collègue, avec son histoire de gazon. Mais je suis ici pour quelques jours encore et je suis sûr que je vais trouver plein de choses sympas à vous raconter.

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 fleche1er février 2011 bis : Lapsus sympas
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J'écrivais il y a deux jours qu'il n'y avait guère de femmes dans les manifs égyptiennes. Et bien, aujourd'hui, oui. Comme je ne pense pas que les barbus sourcilleux qui gardent leurs femmes à la cave (enfin, la cave...) lisent mon blog, il me faut conclure que quelque chose est en train de changer. Cependant il y avait toujours autant de fesses en l'air à l'heure de la prière... Mais deux lapsus sympas justifient ce bis alors que je n'ai pas encore fait ma valise. Un "spécialiste" de l'Egypte, invité ce soir par David Pujadas, dissertant sur l'avenir politique du pays, explique que "les frères musulmans attendent leur or". Il voulait dire leur heure, bien sûr. Mais, finalement, les spécialistes autoproclamés sont parfois clairvoyants. Et puis, surtout, sur Canal +, un invité égyptien déclare: "Je m souviens le 14 juillet, lorsqu'on a annoncé la fuite de Ben Ali". C'était, vous le savez, le 14 janvier. Mais ce lapsus a pour moi plus de poids que le dégage dont je parlais aujourd'hui. Saurons-nous être à la hauteur de ce que cette erreur de date implique d'image de la France? Peut-être, si nous nous débarrassons de Sarkozy. Allez, dégage.

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fleche1er février 2011 : Dégage !
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Les emprunts sont aussi anciens que les langues, ou du moins aussi anciens que les rapports entre des populations de langus différentes, et nous pourrions en esquisser une typologie. Mais, le plus souvent, les langues ont emprunté à la fois un mot et une chose et, de ce point de vue, les emprunts témoignent des types de rapports entre deux sociétés. A l’époque coloniale par exemple les langues africaines ont massivement emprunté à l’anglais, au français ou au portugais le vocabulaire de l’administration, de la politique, de la médecine, de la mécanique, dans des domaines donc introduits par le colonisateur… De la même façon, le vocabulaire français du sport est majoritairement d’origine anglaise, tandis que le vocabulaire anglais de la joaillerie est d’origine française, pour des raisons historiques qui seraient longues à expliquer mais qui sont assez évidentes. Il y a donc, entre les langues, un système des emprunts qu’il faut étudier du point de vue linguistique, historique, sociologique, un système socio-sémantique… Parfois cependant des mots voyagent tous seuls, hors système, sous la pression des évènements. Nous n’avons pas beaucoup emprunté au nahuatl ou au japonais, mais ils nous ont donné respectivement  chocolat, et kamikaze, emprunts isolés, et pour prendre des exemples plus récents, le russe nous a donné perestroïka et le polonais Solidarnosc dans des contextes politiques très particuliers. Il faut ajouter que, le plus souvent, ces emprunts sont des substantifs : on n’emprunte presque jamais des verbes ou des adjectifs, encore moins des prépositions ou des articles. Pour toutes ces raisons ce qui s’est passé en Egypte est intéressant. A Tunis tout d’abord nous avons vu des pancartes proclamant Dégage, ou Ben Ali dégage. Rien de surprenant, puisque la Tunisie est en partie francophone, qu’il y avait d’autres pancartes en français et qu’elles étaient plus immédiatement compréhensibles pour les média occidentaux que des pancartes en arabe, qui existaient bien sûr. Et la pancarte dégage fit la une des media, elle était faite pour ça. En revanche, lorsque l’on voit dans les manifestations du Caire des pancartes proclamant Dégage ou Moubarak dégage, avec encore une fois un verbe conjugué à l’impératif (donc, je l’ai dit, un type d’emprunt très rare), les choses sont différentes. L’Egypte n’est que très peu francophone (même si elle est membre de la Francophonie) et les pancartes qui n’étaient pas en arabe, nombreuses, étaient en anglais. Mais il y avait avec Dégage ce que j’appellerais un effet de citation. La pancarte était bien sûr en français, mais elle était surtout tunisienne. Et son sens littéral (« fous le camp ») était secondaire par rapport au clin d’œil des manifestants égyptiens aux manifestants tunisiens. En d’autres termes, dégage voulait dire « ce que les Tunisiens ont fait, nous pouvons le faire ». Et ils le feront d’ailleurs dans les deux ou trois jours qui viennent. Moubarak va partir, remplacé sans doute par un autre militaire, puisque cela fait les affaires des USA, mais je ne traite pas aujourd’hui de politique. On parle parfois à propos des emprunts de mots voyageurs et le cas de dégage nous montre que, derrière le voyage d’un verbe il y a le voyage d’une prise de conscience : comme le disait un autre slogan, au Chili celui-là, El pueblo unido jamas sera vencido. Les Tunisiens ont montré que les dictateurs avaient parfois des pieds d’argile, les Egyptiens ont pris la balle au bond, c’est de cela que témoigne cet emprunt isolé et improbable. Dans quel autre pays verrons-nous cette pancarte ? Je pars demain pour le Canada, puis les USA, puis le Mexique. Je ne l’y verrai sans doute pas.

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Janvier 2011

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fleche30 janvier 2011 : Et les femmes ?
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 Egypte, vendredi. Dans les rues du Caire des manifestants s’arrêtent de manifester, non pas pour aller boire une bière bien méritée, mais pour prier. Et l’un d’entre eux déclare à un journaliste : « Je demande à Dieu de nous donner un autre président ». Nous voilà bien partis ! Ca c’est de la politique !

Egypte/Tunisie. Comme tout le monde j’ai vu des dizaines de reportages dans l’un et l’autre pays. Tous les commentateurs parlent de l’effet ou du modèle tunisien, de la révolution du jasmin qui s’étend, etc. Bien sûr, il y a des différences, qui jouent sans doute un rôle. L’alphabétisation, bien supérieure en Tunisie, le taux de natalité, inférieur en Tunisie. Mais de doctes spécialistes insistent, parlent encore du Yémen, du Liban, où le même mouvement pourrait se produire. Pourtant, en regardant ces reportages, je sentais confusément que quelque chose clochait. Et puis, tout à coup, je comprends. En Tunisie, dans toutes les manifs, il y a des femmes. En Egypte, on n’en voit pas, ou presque pas, une ou deux par manif. Elles sont où, les femmes? A la maison, les femmes ! Elles devraient demander à Dieu d’être libérées de la domination masculine, en même temps que de Moubarak.

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fleche29 janvier 2011 : UPM

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Dans les tiroirs des nombreux projets et gadgets avortés du sarkozisme dort l’UPM, anagramme mélancolique et oubliée du nom du parti présidentiel, l’UMP…. Cette « Union Pour la Méditerranée », suggérée par Sarkozy après son élection de 2007, avait bien sûr pour projet de faire de la France un leader régional (le sigle UPM aurait pu être décodé "union pour moi"), mais il avait suffi que l’Allemagne fronce les sourcils pour que tout cela rentre dans le rang, c’est-à-dire dans le processus de Barcelone. Les 27 pays de l’Union Européenne en sont désormais membres, et l’UPM s’étend de l’Egypte à la Finlande, ce qui peut sembler étrange aux yeux de ceux qui, comme moi, considèrent qu’un des marqueurs de la Méditerranée est l’huile d’olive (et l’olivier, bien sûr). Si j’évoque cette union, dont on n’a plus entendu parler depuis sa création, c’est qu’il est intéressant d’y revenir à la lumière de ce qui vient de se passer sur la rive sud de la Méditerranée. La France voulait en effet que son siège soit à Tunis, et le coprésident (avec Sarkozy) en est le démocrate président de l’Egypte. C’est-à-dire que le projet (ou le gadget) sarkozien était dès l’origine placé sous l’égide de Ben Ali et de Moubarak. On aurait pu imaginer que son siège soit l’île de Malte, au point de passage entre les deux partie de « mare nostrum », l’orientale et l’occidentale, ni au nord ni au sud, cela aurait fait du sens. Mais non, ce fut Barcelone.  Et cela témoigne bien de ce qu’est la diplomatie française depuis 2007, gérée par l’Elysée. Je ne suis pas dans les secrets du Quai d’Orsay mais il est probable que ses spécialistes n’auraient proposé, s’ils avaient été consultés, ni Moubarak ni Ben Ali pour porter l’UPM sur les fonts baptismaux. Que Sarkozy ait fait ce choix est fortement symbolique et prend aujourd’hui un sens très lourd.

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fleche21 janvier 2011 : Mauvaise foi linguistique
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La censure dont j’ai fait état le 18 janvier continue à faire du bruit et à susciter de nombreuses réactions. Richard Pasquier, président du CRIF, écrit ce matin dans une tribune libre publiée dans Libération, que le boycott d’Israël serait illégal, ce qui reste à prouver, mais surtout, voulant répondre à Stéphane Hessel pour qui les implantations  israéliennes sont illégales, il explique que « la résolution de Conseil de sécurité de novembre 1967, dans sa version anglaise de référence, autorise des modifications par rapport aux lignes de cessez-le-feu de 1948 ». Tiens tiens ! Tout d’abord, voici le texte exhaustif auquel monsieur Pasquier fait référence. Lisez-le attentivement, relisez-le, et dîtes-moi si vous y trouvez une « autorisation des modifications par rapport aux lignes de cessez-le-feu de 1948 :

Le Conseil de sécurité, Exprimant l’inquiétude que continue de lui causer la grave situation au Moyen-Orient ;

Soulignant l’inadmissibilité de l’acquisition de territoire par la guerre et la nécessité d’œuvrer pour une paix juste et durable permettant à chaque État de la région de vivre en sécurité ;

Soulignant en outre que tous les États membres, en acceptant la Charte des NAtions Unies ont contracté l’engagement d’agir conformément à 1’article 2 de la Charte.

1. Affirme que l’accomplissement des principes de la Charte exige l’instauration d’une paix juste et durable au Moyen-Orient qui devrait comprendre l’application des deux principes suivants : 
(i) Retrait des forces armées israéliennes des territoires occupés lors du récent conflit ; 
(ii) Cessation de toutes assertions de belligérance ou de tous états de belligérance et respect et reconnaissance de la souveraineté, de l’intégrité territoriale et de l’indépendance politique de chaque État de la région et leur droit de vivre en paix à l’intérieur de frontières sûres et reconnues à l’abri de menaces ou d’actes de force.

2. Affirme en outre la nécessité : 
(a) De garantir la liberté de navigation sur les voies d’eau internationales de la région ; 
(b) De réaliser un juste règlement du problème des réfugiés ; 
(c) De garantir l’inviolabilité territoriale et l’indépendance politique de chaque État de la région, par des mesures comprenant la création de zones démilitarisées.

3. Prie le secrétaire général de désigner un représentant spécial pour se rendre au Moyen-Orient afin d’y établir et d’y maintenir des rapports avec les États intéressés en vue de favoriser un accord et de seconder les efforts tendant à aboutir à un règlement pacifique et accepté, conformément aux dispositions et aux principes de la présente résolution.

4. Prie le secrétaire général de présenter aussitôt que possible au Conseil de sécurité un rapport d’activité sur les efforts du représentant spécial.

Vous avez lu ? Le texte dit exactement le contraire, il parle de « l’inadmissibilité de l’acquisition de territoire par la guerre » et exige le « retrait des forces armées israéliennes des territoires occupés lors du récent conflit ». Mais monsieur Pasquier évoque « la version anglaise de référence ». Pourquoi la version anglaise, alors que la française est tout aussi « de référence » ? Pour une raison toute simple : si le texte français est clair, demandant le retrait des forces israélienne des territoires occupés », le texte anglais est (volontairement ?) ambigu.On y lit en effet : « Withdrawal of Israel armed forces from territories occupied in the recent conflict ». Et, depuis 47 ans, Israël prétend que cela signifie « de certains territoires » et non pas « des territoires ». L’ambiguïté grammaticale qui apparaît en anglais est bien sûr levée par le texte français, et l’on comprend alors pourquoi monsieur Pasquier préfère, bien sûr, la version anglaise.

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fleche18 janvier 2011 : Censure juive, israélienne, française, israélite ?

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Pendant toute mon enfance tunisienne j’ai essayé de comprendre le sens de l’adjectif juif accolé au nom de mes voisins, de mes copains d’école, de mes camarades de rue : s’agissait-il d’une religion, d’une race, des deux ? Et un juif ne croyant pas en Dieu restait-il juif ? Quelques dizaines d’années plus tard, je ne suis pas sûr d’y voir plus clair aujourd’hui. En revanche, depuis la création de l’Etat d’Israël il est une chose claire : un israélien est un citoyen d’Israël, c’est-à-dire un Juif ou un Arabe (ils sont entre 15 et 20%) ayant la nationalité israélienne. Reste une autre question : quel est le rapport entre les Juifs français (je veux dire les Français qui se disent juifs, se considèrent comme juifs, pour ma part je considère qu’il n’y a pas lieu de distinguer entre les Français) et Israël ? Tous les jours ou presque nous voyons des « intellectuels » présumés raisonnables perdre toute raison dès qu’il s’agit d’Israël. Ce qui les mène à traiter d’antisémite quiconque critique cet Etat, ou de mettre un signe d’égalité entre antisionisme et antisémitisme. Bon, je n’ai pas envie d’ouvrir une polémique, je ne citerai pas de noms, je voudrais juste rappeler une évidence : Israël est un Etat comme les autres, il peut être critiqué comme les autres. Mais, dans les faits, Israël n’est pas un Etat comme les autres, il jouit de privilèges exorbitants. Depuis sa création, il refuse régulièrement d’appliquer les résolutions de l’ONU le concernant, il ment sans arrêt sur ses intentions vis-à-vis des Palestiniens, il poursuit sa politique de colonisation, bref il se comporte comme un état impérialiste, sans scrupule, prédateur, assassin, en un mot comme un état voyou. Aujourd’hui devait avoir lieu à l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm, à Paris, un débat réunissant Stéphane Hessel, Leila Shahid,  Elizabeth Guigou, Michel Warschawski et Benoît Hurel, sur la politique d’Israël et l’éventualité d’un boycott des produits israéliens. Ce qui n’est pas sot : c’est un tel boycott qui a aidé à mettre fin à l’apartheid en Afrique du Sud, et s’il pouvait mettre fin à la scandaleuse politique d’Israël en Palestine, personne ne s’en plaindrait. Mais le débat n’a pas eu lieu. Il semblerait que des interventions du CRIF (conseil représentatif des institutions juives de France), soutenu par des « intellectuels » comme Bernard-Heni Levy ou Alain Finkelkraut, ne soient pas étrangère à la décision de la directrice de l’ENS. Si cela était vrai, en dehors même du scandale que cela représente, je me demande en songeant à mes interrogations juvéniles, s’il s’agit d’une censure juive, israélienne, israélite… De toute façon, il s’agit d’une censure, non ?

Bon, passons à autre chose. Cela fait quarante ans que je m’intéresse aux langues, que je prends plaisir à rencontrer une nouvelle structure grammaticale ou sémantique, que je butine dans mon jardin linguistique. Et il y a une chose qui me ravit toujours : les lapsus. Pour une raison toute simple : ils nous font réfléchir à la fois sur la langue (qui les rend possibles) et sur la communication (un lapsus communique quelque chose que l’émetteur ne prévoyait pas d’encoder) et sur l’inconscient. A verser à ce dossier, lors de la visite du président Sarkozy à Truchterheim aujourd’hui, cette déclaration : « Moi je peux accepter les distorsions de concurrence avec la Chine et avec l’Inde, pas avec l’Allemagne (…) C’est totalement incompréhensible. Et je ne le dis pas simplement (…) parce que je suis en Allemagne ». Il se trouve, cela ne vous a pas échappé, que Truchterheim est en Alsace, et que les Alsaciens sont un peu sensibles, pour d'évidentes raisons historiques, sur la distinction entre l'Alsace et l'Allemagne… Se rendant compte de sa bêtise, il a tenté un rattrapage : « C’est là où vous voyez que j’ai raison de m’investir dans le chantier de la dépendance ». La dépendance, nouveau thème du président, c'est l'aide aux personnes âgées. Serait-ce un aveu de gâtisme ?

Et pour finir avec le sourire : ce soir toujours, au journal de 20 heures de la deuxième chaîne de télévision, on nous dit que des ministres récemment nommés au gouvernement tunisien l’ont quitté. Un premier visage apparaît, et en sous-titre on nous donne son nom et la mention Ministre des missionnaires. Tiens, il y a tant de missionnaires en Tunisie qu’il leur faut un ministre ! Un autre visage, le même sous-titre. Deux ministre pour les missionnaires ! C'est une invasion, un complot chrétien! En fait, vous l’avez compris, il s’agissait de ministres qui avaient présenté leur démission. Mais, à l’heure où l’on se désole du niveau lamentable de l’orthographe à l’école, je me dis que soit la télévision recrute de très jeunes gens, ce qui serait plutôt bien, soit l’illettrisme ne date pas d’hier.

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fleche14 janvier 2011 (bis) : Bidouillage

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Les choses vont vite en Tunisie. J’en parlais ce matin et, en fin d’après-midi nous apprenons que Ben Ali, après avoir mis sa famille (et sans doute ses milliards) à l’abri s’est sauvé vers la France, laissant le pouvoir au premier ministre. Je ne sais pas si l’armée est derrière cela, je me précipite sur la radio, le journal de France Inter de 19 heures : confirmation du départ, mais rien de plus. Puis le grand journal, sur Canal +. Et là, stupéfaction. Il y a là, outre Deniseau, Apathie et Ali Badou, trois journalistes, Christophe Barbier, Alain Duhamel et Sonia Mabrouk. Ils parlent de la Tunisie, bien sûr, puis, après la pub, du Front National, puis du Niger, il est dix neuf heures trente, tout le monde sait que Ben Ali a pris la tangente, sauf eux. Ce qui est impossible. Donc, conclusion évidente, ils ne sont pas en direct, l’émission est enregistrée. Est-ce le cas tous les jours ? Ou bien, le vendredi, pour partir tranquillement en week end, enregistrent-ils l’émission sans le dire ? Je n’en sais rien mais dans tous les cas c’est un truquage, du bidouillage. Bravo canal +  Ca c'est du journalisme!

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fleche14 janvier 2011 : Pérenne et périn

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Je n’ai pas l’habitude d’exhiber mes racines, d’afficher ma pédinégritude ou ma tunisianité,  mais il y a, de l’autre côté de la Méditerranée, un pays dans lequel je me sens chez moi (ou plutôt, car ma formule pourrait paraître une peu coloniale, dans lequel je me sens presque chez moi). J’étais à la fin des années 1950, alors même que je quittais mon pays natal pour le pays de ma nationalité, assez fier du président Bourguiba, de son rôle dans l’émancipation des femmes, qu’il s’agisse de la contraception, du divorce, du voile, de ses efforts concernant l’école (il avait porté le budget de l’éducation nationale à 25% du budget de l’Etat). Il a fini autocrate, puis gâteux et enfin déposé par Ben Ali qui se maintient au pouvoir depuis 23 ans. Fin du premier acte. Depuis lors la Tunisie est un pays à deux faces. Il y a celle que voient les touristes : des plages de sable blanc, une mer limpide, une certaine douceur de vivre, l’odeur du jasmin… Et il y a celle que vivent les Tunisiens : des flics en civil partout, une presse muselée, le chômage augmentant tout autant que le coût de la vie, une opposition rendue quasi inexistante par la répression. Et voilà que l’armée ou la police, je n’en sais rien, tire à balles réelles sur les manifestants. Voilà que le masque tombe, que la face cachée du régime apparaît en pleine lumière. Bourguiba, je l’ai dit, a fini autocrate, mais que dire de Ben Ali ? Sa famille a mis le pays en coupe réglée, se remplit les poches de toutes les façons possibles, tandis que de jeunes diplômés ne trouvent pas de travail et crèvent la faim. Et lui fait assassiner froidement ces gens qui expriment leur ras-le-bol, leur désarroi, leur désespoir. Ben Ali, faisant hier un discours tentant de calmer les choses, a au moins innové sur un point. Les officiels des pays arabophones, lorsqu’ils s’expriment publiquement, utilisent une forme linguistique pleine de componction, l’arabe classique, que peu de gens comprennent mais qui fait chic. Hier il a utilisé ce que certains appellent l’arabe dialectal et que je préfère appeler l’arabe tunisien. Pour une fois il était près du peuple.

Allez, pour finir de façon plus gaie citons deux perles de ceux qui nous gouvernent. François Baroin a annoncé une communication au conseil des ministres de François Mitterrand, il voulait dire Frédéric… Et notre impayable président a parlé d’un dispositif périn, ou pérein, ou pérain,  écrivez-le comme vous voulez, de toute façon le mot n’existe pas. Il a tout simplement cru que l’adjectif pérenne était une forme féminine et inventé un masculin. Nous vivons une époque formidable ! Quitte à lasser, je vous redonne à lire ce qu'écrivait le ministre de l'éducation à propos du style du président:

«En ces temps de complexité et de difficulté, le Président de la République parle clair et vrai, refusant un style amphigourique et les circonvolutions syntaxiques qui perdent l'auditeur et le citoyen. Juger de son expression en puriste, c'est donc non seulement lui intenter un injuste procès, mais aussi ignorer son sens de la proximité.»

«Le Président de la République montre de grandes qualités rhétoriques, telles que la force expressive, la conviction, l'à-propos, la répartie ou la puissance d'évocation.»

Il est clair que le parler clair et vrai, non amphigourique de Sarkozy, est périn. Reste à savoir si le régime de Ben Ali le sera, périn, pardon pérenne.

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fleche7 janvier 2011 : Cire pompes
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En février 2010 un député socialiste, François Loncle, avait adressé une question écrite au ministre de l’éducation nationale, Luc Chatel, pour lui demander quelles mesures il comptait prendre pour remédier aux « fautes de langage » du président de la république, à ses « termes et formulations vulgaires, » «ignorant trop souvent la grammaire, malmenant le vocabulaire et la syntaxe, omettant les accords».  Le ministre a pris le temps de la réflexion  (plus de neuf mois) avant de répondre, mais début décembre il s’est fendu d’une belle lettre personnelle (ce qui, apparemment, le dispense de la publier au bulletin officiel, comme il est de règle pour les réponses aux questions écrites des parlementaires). Extraits :

«D'autres responsables politiques, de tous bords, ont été avant (...) critiqués pour de prétendues entorses à l'égard de l'orthodoxie de notre grammaire».

«En ces temps de complexité et de difficulté, le Président de la République parle clair et vrai, refusant un style amphigourique et les circonvolutions syntaxiques qui perdent l'auditeur et le citoyen. Juger de son expression en puriste, c'est donc non seulement lui intenter un injuste procès, mais aussi ignorer son sens de la proximité.»

«Le Président de la République montre de grandes qualités rhétoriques, telles que la force expressive, la conviction, l'à-propos, la répartie ou la puissance d'évocation.»

C’est donc son sens de la proximité (comme la police du même nom) qui, selon le premier instituteur de France, pousse Sarkozy à parler le français comme un cochon. Il domine parfaitement, à en croire le ministre, la langue, mais s’adapte à son auditoire. Il y a longtemps que l’on sait, grâce en particulier aux travaux du linguiste américain William Labov, que les « gens » ont une idée assez précise du bien parler, savent s’ils le pratiquent ou pas (c’est ce qu’on appelle l’insécurité linguistique) et aspirent à le dominer. Supposer que Sarkozy parle comme le peuple pour mieux se faire entendre est donc à la fois une grosse bêtise scientifique (les « gens » ne veulent pas qu’on leur parle ainsi), un mensonge (le président parle toujours comme un semi analphabète) la preuve que le ministre de l’éducation nationale ne connaît rien à la sociolinguistique, ce qui n’est ni surprenant ni très grave, mais surtout qu’il est avant tout un cire pompes du président. Ca vous étonne ?

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fleche5 janvier 2011 : Miettes sénégalaises

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Cela ne m’arrive pratiquement jamais : je viens de passer une semaine dans un hôtel, à ne rien faire ou presque. Lire au bord de la piscine (Houellebecq bien sûr, comme tout le monde, mais aussi Régis Debray, Eloge des frontières, que je vous recommande, ainsi qu’une revue de linguistique et un roman de Ian Mc Ewan, Atonement), nager, faire du sport. Tout cela dans un pays que je connais bien, le Sénégal et que cette fois-ci je n’ai pas vu, sauf les embouteillages entre l’aéroport et le village de Saly. Ce qui m’a permis de faire un peu de sociologie de l’ordinaire, d’observer des touristes qui ne savent rien du pays dans lequel ils se trouvent, ne s’y intéressent pas (d’ailleurs il n’y avait pas de journaux dans l’hôtel), ne le voient pas. Et pourtant… Le 29 décembre devait avoir lieu à Dakar une manifestation, à l’appel du mouvement Benno Siggil Senegaal (« un Sénégal debout »), pour protester contre le chômage, la vie chère, les nombreuses coupures d’électricité (7 à 8 heures par jour mais l’hôtel, bien sûr, a son groupe électrogène et les touristes ne s’en rendent pas compte). Le préfet de Dakar annonce que la manif n’est pas autorisée, car il n’y a pas assez de forces de l’ordre pour l’encadrer. Elle a tout de même lieu, il y a des flics partout, qui la dispersent. Tiens ! On croyait qu’il n’y avait pas assez de forces de l’ordre… En Casamance, au sud du pays, huit soldats sont tués en une semaine, dans les affrontements entre le mouvement séparatiste Atika et l’armée. Cela dure depuis plus de vingt, mais les touristes n’en entendent pas parler. En discutant avec les employés de l’hôtel, on recueille de petites choses, pas des faits avérés mais des rumeurs, des représentations. On me dit par exemple que si le président Wade, vieux et un peu gâteux, veut absolument se représenter, c’est qu’il a peur d’aller en prison avec toute sa famille : ils auraient copieusement puisé dans les caisses de l’Etat. Mais je n’en crois pas un mot : les hommes politiques sont honnêts, ils ne volent pas dans la caisse. Le 31 décembre, j’attends à la télé la phrase suivante : « Le Dakar s’élance demain à Buenos Aires ». Il s’agit du Paris-Dakar délocalisé en Argentine, mais la formule sonne tout de même étrangement. Diakhou, un chanteur qui se produit le soir, voix étrange, modulée très haut, avec des arrangements intéressants sur La Mauvaise réputation ou Tomber la chemise, chante aussi Johnny Clegg ou Alpha Blondy, bref Diakhou m’explique qu’il veut enregistrer un CD. Je lui dis qu’à Dakar Youssou Ndour a un studio, qu’il aide les jeunes. Surtout pas, me répond-t-il ! Il ne me paiera presque rien, et dans la semaine il y aura dans toutes les rues des copies pirates. Rumeur ? Représentation ? Allez savoir. En tout cas, les rumeurs dominantes concernent la Côte d’Ivoire, mais là je n’en ai pas besoin, je sais en gros de quoi il s’agit. Après un « quinquennat CFA » (élu pour cinq ans il est resté au pouvoir dix ans, le double, comme le franc CFA qui valait deux francs français), Laurent Gbagbo est en train d’inventer le candidat battu dans les urnes mais cependant élu. Certes il joue sur les affrontements ethniques et religieux (nord/sud, musulmans/chrétiens…), mais plus encore sur les forces de l’incantation. Il y a chez cet homme de la folie, et il a en commun avec notre président que le jour où l’on créera une discipline psychiatrique appliquée à la politique lui et Sarkozy seront deux cas d’espèce, que l’on étudiera dans les universités. Mais, surtout, il croit en la magie. La magie du verbe (il faut l’entendre dénoncer les complots venus de l’étranger) et la magie tout court. Gbagbo est sans doute fou, mais il n’est pas le premier à tenter un coup d’état électoral ou à truquer les élections. Et l’on peut se demander pourquoi tout le monde proteste ici alors que l’on s’est tu dans d’autres cas. Citons au hasard Bongo, au Gabon, ou Bush, en Floride. Bref, comme vous le voyez, j’étais en vacances. Et bonne année à tous.

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