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Décembre 2019

 

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fleche27 décembre  2019: Perte de mémoire

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Le président brésilien, Jair Bolsonaro, est tombé lundi dans sa baignoire et s’est cogné la tête. Et il a raconté avoir perdu la mémoire, ne sachant plus ce qu’il avait fait la veille.

La perte de mémoire, comme on sait, est l’un des symptômes de la maladie d’Alzheimer, en particulier la perte de la mémoire récente : on publie des évènements récents mais on garde la mémoire des choses anciennes. De ce point de vue, Bolsonaro est donc dans la norme. Il semble cependant avoir retrouvé toute sa mémoire pour amnistier, à l’occasion de Noël, les «agents publics qui font partie du système national de sécurité publique (police fédérale, police civile et militaire, pompiers ; entre autres) qui, dans l’exercice de leurs fonctions ou en raison de leurs fonctions, ont commis des crimes (…) sans intention » ainsi que ceux qui ont commis le même crime lors de  leurs périodes de repos pour « éliminer un risque existant pour eux-mêmes ou pour un tiers ». Mais il a oublié de gracier les agents publics somnambules  qui avaient tué pendant leur sommeil. Ce qui prouve qu’il n’a pas vraiment recouvré toute sa mémoire. Personne n’est parfait…

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fleche19 décembre  2019: Phonologie

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Certains trouvent que la phonologie, l’analyse du fonctionnement des sons de la langage, est une science complexe. Pourtant la chose est simple. Considérez par exemple ce deux mots, bon et con. Ils se différencient sémantiquement par l’opposition entre deux phonèmes, b et k, comme dans bout et cou, bas et cas, brique et crique, etc…  C’est donc sur l’opposition de phonèmes que repose l’opposition de sens entre les deux éléments de ces différentes paires. Il en va de même des paires comme pain et bain, pont et bon, pas et bas, dans lesquelles la différence sémantique repose sur l’opposition entre les phonèmes  p et b. Et parfois un phonème peut s’opposer à son absence, à zéro. C’est le cas dans  grève et rêve,  révolution et évolution.

Vous avez compris ? Alors passons à des travaux pratiques. La presse a parlé hier, à propos de la mise en accusation de Trump par la chambre des représentants, d’événement historique. Le susdit Trump a écrit une longue lettre à la dirigeante démocrate Nancy Pelosi, dans laquelle il l’accuse de fomenter un coup d’état. Question :  trouvez un adjectif s’opposant sémantiquement à historique  grâce à l’opposition et phonème o et é et caractérisant le président américain.

 

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fleche17 décembre  2019: Vin kasher

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Il y a une vingtaine d’années, à Buenos-Aires, j’avais été invité à un concert de tango au « Club del Vino ». Arrivé en avance, j’étais entré dans la boutique qui donnait son nom au bâtiment, pour voir les vins qu’elle proposait, et j’étais tombé sur un rayon intitulé « vins casher ». Je connais assez bien la nourriture kasher et je ne voyais pas bien ce que le vin avait à voir avec la kashrout. Je me suis donc renseigné et on m’avait tendu une brochure expliquant en gros qu’un vin kasher était du début du processus (vendanges) jusqu’à la fin (mise en bouteille) fabriqué par des mains juives. Et le texte se terminait par un  trait d'humour un peu lourdingue: « mais les non juifs peuvent le consommer ». J’avais été un peu choqué par cette forme de racisme : Imaginez qu’on vous propose du coton, des bananes ou du cacao garantis récoltés par des mains blanches…

Et puis j’avais oublié cette anecdote un peu surréaliste lorsque je suis tombé dans le dernier numéro du Journal du dimanche sur un article intitulé « le vin casher à la fête ». On y explique qu’un propriétaire du Bordelais s’est lancé dans la production de vins kasher, et on en détaille le processus. Le grand rabbin de Bordeaux forme des étudiants des écoles rabbiniques à la vinification pour qu’ils puissent ensuite travailler dans les chais. Tout le matériel doit être « purifié » avant les vendanges, toutes les opérations doivent être menées par des religieux et le vin doit ensuite passer par un négociant juif pour être commercialisé. En outre un chimiste est chargé d’analyser des échantillons du vin pour vérifier les enzymes et les levures utilisés. Il y a quand même là, après réflexion, un vague lien entre cette vinification et la nourriture kasher : pendant la fête de Pessa’h en effet les juifs ne doivent pas manger de pain au levain et on doit même détruire ceux qui seraient dans la maison. Mais cela n’enlève rien au fait que tout cela paraît bien raciste

Bref, vous croyez peut-être rêver, mais non, nous vivons réellement une époque moderne.


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fleche16 décembre  2019: Que  fais-tu pour ta langue?

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Jeudi j’aurais dû être au Louvre, où le ministère de la culture fête le soixantième anniversaire de sa création, pour participer avec Jean-Marie Klinkenberg, Rozenn, Milin et Barbara Cassin à une table ronde sur le thème de « droits culturels et langues ». Je devais prendre un train pour Paris mercredi et repartir vendredi à l’aube pour Casablanca où on m’attendait pour un colloque sur l’arabe marocain, la « darija ». La SNCF étant dans l’incapacité de garantir le premier voyage, j’ai décidé de changer de plan, d’annuler ma présence à Paris et de partir directement jeudi de Marseille pour le Maroc.

Mais j’avais commencé à réfléchir sur le thème de notre discussion et je vais résumer ci-dessous l’état de mes cogitations.  J’avoue que je ne savais pas trop bien comment me situer, de quel point de vue aborder le débat car, sans avoir jamais eu le sentiment de changer d’opinion je me suis trouvé, au cours des 50 dernières années dans des lieux d’intervention et de parole variés. J’ai donc commencé à noter quelques repères biographiques.

Je suis rentré la semaine dernière du Sénégal où, comme toujours en Afrique, on m’accueille comme l’auteur de Linguistique et colonialisme, un livre publié en 1974, il y a 45 ans, dont j’ai parfois l’impression qu’il fonctionne comme un Petit livre rouge, ou comme un évangile selon saint Louis-Jean alors que j’attends depuis longtemps que des linguistes africains, au lien de m’encenser, prennent la suite, me critiquent s’ils le veulent et aillent plus loin. Dans les années 1970 j’ai continûment analysé dans les colonnes de l’hebdomadaire Politique hebdo les mouvements minoritaires, la chanson bretonne, occitane ou alsacienne, interviewant des militants basques ou irlandais. J’ai même, en 1972, été cité comme témoin de la défense lors du procès du FLB devant la cour de sûreté de l’état. Par ailleurs je travaille depuis 40  ans sur l’analyse de situations plurilingues, en particulier par le biais d’enquêtes sociolinguistiques sur les marchés plurilingues en Afrique, en Chine et en Amérique latine. Et enfin ma principale activité depuis des années concerne le domaine de la politique linguistique, et j’ai travaillé plusieurs fois avec l’Organisation Internationale de la Francophone ou la Délégation Générale à la Langue Française et aux Langues de France…

Tout cela fait un peu désordre et, face à la table ronde à laquelle je devais participer, « droits culturels et langues », je me sentais tiraillé entre différentes options.

Si je considère d’une part quelques interventions législatives récentes en France, l’ajout à l’article 2 de la Constitution en 1992 d’une mention de la langue (« la langue de la république est le français »), la loi d’août 1994, dite « loi Toubon », l’existence de commissions de terminologie dans différents ministères et une partie de l’action de la DGLF, la non ratification de la charte européenne, je me dis que la France est sans cesse sur une position défensive, en particulier face à l’anglais mais aussi face aux langues régionales.

Si je considère d’autre part la transformation de la DGLF en DGLFLF, les nombreuses publications de cette DGLFLF dans sa série de documents « langues et cités », je me dis que la France intervient de plus en plus de façon positive dans ce domaine.

Si je considère enfin l’introduction en 2008 dans la Constitution d’un article 75-1 (« les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France »), je me dis que le patrimoine et sa défense relève toujours du passé, qu’il s’agisse du patrimoine matériel, des monuments historiques par exemple, ou du patrimoine immatériel, comme les langues ou la tradition orale, et que les langues régionales semblent considérées comme des espèces en péril, qu’il faudrait protéger comme les baleines ou les bébés phoques.

Mais mon travail de sociolinguiste, mes enquêtes, mes analyses, me montrent que les langues appartiennent à ceux qui les parlent, dépendent de leurs pratiques quotidiennes, et que ces pratiques n’ont guère besoin de l’aide de l’état. Je sais en outre que la force des langues repose essentiellement sur deux choses : les sentiments identitaires qui nous lient à elles, et leurs fonctions sociales. Je  sais aussi, parce que mes enquêtes me l’ont montré, qu’il y a deux façons de résister pour une langues menacées : la transmission familiale, d’une génération à l’autre, et le renforcement de leurs fonctions sociales. Les travaux de l’INED nous montrent qu’en France la transmission est très faible.

Quant aux fonctions sociales, elles sont  limitées, sauf pour ce qui concerne les situations frontalières (la place de l’alsacien ou du mosellan dans les rapports professionnels quotidiens avec l’Allemagne ou le Luxembourg). Il est une autre fonction qui renforce les langues, la fonction véhiculaire,  mais en France elle favorise uniquement le français.

Et tout cela me mènerait donc en gros à paraphraser une citation de John Kennedy, ne demande pas ce que ton pays peut faire pour toi, demande ce que tu peux faire pour lui, qui deviendrait ici avant de te demander ce que l’état fait pour ta langue, demande-toi ce que tu fais pour elle.

 

Mais je ne serai pas à Paris jeudi ne saurait donc jamais ce qu’on m’aurait répondu ou opposé…

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fleche14 décembre  2019: Deux élections

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En Grande-Bretagne les élections viennent de donner à Boris Johnson les coudées franches pour réaliser définitivement le Brexit, sauf imprévu bien sûr, puisque les parlementaires britanniques nous ont habitués à des rebondissements inattendus et ridicules. Certains s’en désolent, d’autres sont contents d’en finir avec cette tragicomédie. Pour ma part il y a longtemps que je considère que lorsqu’on s’assied à une table de jeu on en respecte les règles, ce qui n’était pas vraiment le cas de Britanniques. En Algérie, c’est un apparatchik du FLN qui a été élu président de la république au premier tour, mais avec près de 60% d’abstentions, ce qui est énorme. Les Britanniques en avaient assez de voter et ont mis fin à cette mascarade électorale à répétition en plébiscitant Johnson, les Algériens ne voulaient pas voter dans un scrutin arrangé d’avance.

 

Deux élections donc, qui toutes deux pourraient sembler mettre fin à un  suspense. Les Britanniques quitteront l’Europe et l’Algérie a un président de la république. Pourtant… Pourtant le spectacle n’est pas fini. Pour Johnson, ne boudons pas notre plaisir : fils de la high society, passé par les meilleurs écoles, il nous a donné un spectacle hilarant, une caricature de l’homme politique, prêt à tout pour arriver au pouvoir, mentant sans cesse, se contredisant. Et ceux qui avaient aimé les Monty Python ont dû adorer cette bouffonnerie  et sont sans doute prêts à crier en chœur « Encore ! Encore ! ». Quant à l’Algérie, elle a certes un président, mais rien n’a vraiment changé. Cette élection ne mettra sans doute pas fin au Hirak, aux manifestations qui, depuis des mois, regroupent chaque vendredi des milliers d’Algériens. Après avoir dégagé Bouteflika, ils veulent un autre régime, avec des militaires dans les casernes et des hommes politiques d’un autre temps à la retraite. En bref, ils pourraient reprendre un slogan de la « révolution » égyptienne : Ech cha’b yourid isgat en nazam (le peuple veut se débarasser du système). Mais le système n’est sans doute pas prêt à se laisser mettre à la porte.

 

 

 

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Novembre 2019

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fleche29 novembre  2019: Succès ?

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Depuis lundi, les chaînes de Radio France sont en grève : sur France Inter, France Culture, France Info ou France Musique, à part des flashes d’information et quelques rares émissions, on a pu entendre des bandes musicales. Et, le premier énervement passé, on se dit que ce n’est pas mal, mais pas mal du tout, ces plages musicales. On découvre des chansons ou des morceaux qu’on ne connaissaient pas, et comme il n’y a pas d’annonces, on se demande à qui appartient telle ou telle voix, qui est ce compositeur ou ce pianiste… Ils devraient pourtant se méfier, les grévistes, car on arrive parfois à se dire qu’il est salutaire de se désintoxiquer de certaines émissions pour écouter de la musique, rien que de la musique.

Mais au fait, ils faisaient grève pourquoi, les gens de France Inter, France Culture, France Info ou France Musique ? La direction a annoncé la suppression d’ici 2022 de 203 postes, par le biais de départs à la retraite ou de départs volontaires non remplacés, et les grévistes demandaient l’abandon pur et simple de ce plan. Le problème est qu’ils n’ont strictement rien obtenu à ce jour : la direction reste droite dans ses bottes, comme disait l’autre. Alors les uns parlent d’un conflit sur la durée, et le syndicat national des journalistes annonce que la grève reprendra plus tard, les autres, comme la CGT, annoncent que la grève pourra reprendre dès lundi. Mais tous ont déclaré jeudi, lors d’une conférence de presse, que la grève avait été « un succès ». Un succès ? Oui, un succès, car la grève a été suivie, même si elle n’a rien obtenu.

Il y a longtemps, bien longtemps, succès signifiait « ce qui arrive de bon ou de mauvais » à la fin d’un acte  ou d’une action. En gros il y avait un lien entre le mot succès et le verbe succéder. C’était à l’époque de Rabelais. Mais aujourd’hui succès signifie quelque chose comme « fin heureuse », « réussite ». Alors de deux choses l’une. Soit les syndicats sont linguistiquement très conservateurs, soit ils sont très optimistes. A moins que, bien sûr, le succès en question soit celui des organisations nationales, qui ont "réussi" leur grève, mais pas celui des travailleurs, qui ne voient rien changer. Dans tous  les  cas, cependant, la lutte continuera. Ou pas…

 


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fleche27 novembre  2019: Elections piède à cons?

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En 1881 Léo Taxil écrivait La Marseillaise anticléricale, dont le refrain disait :

Aux urnes, citoyens, contre les cléricaux !
Votons, votons et que nos voix
Dispersent les corbeaux !

Je n’ai pour ma part pas toujours été chaud partisan du système électoral, il m’est même arrivé d’appeler à l’abstention et beaucoup d’entre nous scandions naguère  élections piège à cons. Mais ce qui vient de se passer à Hong Kong constitue un beau plaidoyer pour ce système démocratique. On sentait déjà un frémissement en observant les inscriptions sur les listes électorales : 400.000 nouveaux inscrits ces derniers mois. La participation est venue confirmé ce mouvement : 71% de votants contre 47% en 2015, un taux record. Et les résultats, eux, sont sans appel : 17 district sur 18 remportés par les « anti-Pékin », une véritable baffe pour le pouvoir central. Avec la publication par le New York Times de documents concernant la répression au Xinjiang dont j’ai déjà parlé ici (voir 19 novembre), cela fait deux grosses épines dans le pied de Pékin. Etrangement, au moment où j’écris, les réactions sont plutôt discrètes en Chine. Seul le ministre des affaires étrangères a déclaré que Hong Kong c’était la Chine et que peu importait ce qui se passait dans ces élections. D’accord, monsieur le ministre. Mais il y a une chose que je ne comprends pas. Puisque Hong Kong c’est la Chine, pourquoi la première réaction vient-elle des affaires étrangères ? Parce que le peuple chinois ne sera pas informé de ces résultats et que seuls les étrangers s'y intéressent?

 


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fleche23 novembre  2019: Une arme secrète dans la culotte

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J’ai longtemps conseillé à mes étudiants de sémiologie d’analyser les publicités télévisuelles Et nous avions, il y a une quarantaine d’années, dégagé une sorte de machisme inhérent illustrant le statut qu’on cherchait à imposer à la femme dans la société, en particulier dans le couple. Le plus intéressant, de ce point de vue, était ce qu’on y disait des produits pour la vaisselle ou la lessive.

Roland Barthes avait, dans une de ses Mythologies (« saponides et détergents », article qui date de 1954) étudié la façon dont on présentait les « qualités » d’Omo, Paic, Persil , Lux ou Crio, en donnant une image euphorique de ces produits censés laver plus blanc, en profondeur et sans attaquer les tissus, et il terminait par une flèche assassine : « Euphorie qui ne doit d’ailleurs pas faire oublier qu’il y un plan ou Persil et Omo c’est tout comme : le plan du trust anglo-hollandais Unilever ».

Mais il ne s’intéressait pas aux utilisatrices de ces produits. Or les publicités que nous avions étudiées avec mes étudiants étaient caricaturales. Je n’en donnerai qu’un exemple, que je décris de mémoire. On voit, par la porte ouverte d’une salle de bain, un homme sortant de sa douche ou de son bain en train de se sécher la peau avec une serviette. Au premier plan, hors de sa vue, une femme l’observe, l’air un peu inquiète, et on entend sa voix : « va-t-il se rendre compte que j’ai lavé sa serviette avec (Omo ou Persil ou Lux, je ne me souviens plus de la marque) ».

Mais je vous parle là de temps anciens, et personne aujourd’hui n’oserait afficher un tel machisme, une telle assignation de leur rôle domestique aux femmes. Il y a même une marque, Ariel, qui fait pénitence avec une pub sur le partage des tâches dans le foyer. Tout cela est donc fini. Encore que…

Encore que, chassez le machisme par la porte il revient par la fenêtre. Pas pour vendre de la lessive cette fois mais des protections contre les pertes urinaires. Frappé par une de ces publicités j’en ai cherché d’autres et, surprise, il n’y a que des femmes. Une femme mince, élancée, explique que son slip anti-pertes est non seulement joli mais très efficace. Une autre explique que grâce à sa serviette spéciale elle peut vivre sans soucis. Tiens donc, il n’y a que des femmes ? Les hommes n’ont-ils pas de fuites urinaires ? Je me suis renseigné : oui, ils en ont aussi. Et pourtant !

Un dernier exemple, la marque Tena discreet. Elle nous montre une femme en survêtement, dans une salle de sport, qui lève des haltères et lance : « Pertes urinaires ? J’ai une arme secrète dans ma culotte ». On appréciera l’élégance de la formule. Aux dernières nouvelles, la même marque préparerait une campagne « pleine d’humour » en direction des hommes. On peut lui faire confiance.

 

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fleche19 novembre  2019: Virus

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Il y a en Chine moins de 2% de musulmans (ce qui fait quand même une vingtaine de millions de personnes) et, en trente-cinq ans de séjours réguliers dans ce pays, je n’en ai réellement rencontrés qu’à Xian, capitale de la province du Shaanxi, qui était le départ de la route de la soie. On les appelle les Huis, et ils occupent au centre de la ville tout un quartier (le « quartier musulman ») très touristique. On y trouve des mosquées, des boutiques de toutes sortes, mais ces musulmans ne se distinguent guère, physiquement, des Hans (les Chinois), même s’ils sont sans doute d’une lointaine ascendance  perse ou arabe. Mais ils ne parlent pas arabe (du moins je n’en ai jamais entendu parler arabe, et ceux auxquels j’ai parlé arabe ne comprenaient rien) et les inscriptions indiquant les restaurants musulmans sont toutes écrites de la même façon, avec la même calligraphie arabe, une sorte de copié-collé, comme un logo halal.

Il y a dans le pays une dizaine de millions de Huis, mais il y a également dans le nord-est environ neuf millions d’autres musulmans, en particulier les Ouïghours, dans le Xinjiang, qui eux parlent turc.  Et, depuis des années, des bruits couraient sur le sort que leur réserve le pouvoir central. On disait qu’on séparait les parents de leurs enfants, pour bourrer le crâne de ces derniers et leur apprendre le mandarin et les empêcher de parler turc, que la police était partout, que l’on traquait ceux qui ne boivent pas d’alcool ou portent la barbe, qu’il s’agissait d’un véritable génocide culturel, on racontait des tas de choses, mais essentiellement sur la base de « on dit » ou de « ouï dire ».

Les choses ont changé lorsque, samedi dernier, le New York Times  a publié des documents que l’on pourrait appeler les Ouïghourleaks, qui comporte selon Libération « 96 pages de discours inédits du président Xi Jinping, 102 pages de discours de cadres du parti, 161 pages de directives et de rapports sur la surveillance des citoyens et 44 pages d’enquêtes internes », bref une véritable mine. Derrière ces fuites il y a bien sûr un lanceur, ou une lanceuse, d’alerte, et l’on peut supposer que le pouvoir le, ou la, recherche activement. Mais cela prouve que, dans les hautes sphères du pouvoir, il y a quelques opposants.

On apprend dans ces documents que les fonctionnaires disposent d’une guide bourré d’éléments de langage, pour apprendre par exemple à répondre aux questions des étudiants qui, rentrant chez eux pour les vacances, de retrouvent pas leurs parents. On leur explique qu’ils doivent être reconnaissants aux autorités, car « quel que soit l’âge, tous ceux qui ont été infectés par le virus de l’extrémisme religieux doivent être soignés et mis en quarantaine avant que la maladie se répande ».

Moi qui suis athée de chez athée, qui me fous des religions comme de ma première chemise mais qui ne supporte pas les dérives terroristes de certains musulmans, je me sens assez libre pour exprimer mon aversion face à ces pratiques chinoises. Le vocabulaire utilisé (infectés, virus, soignés, quarantaine, maladie) n’est pas innocent. Le religion est l’opium du peuple, disait Marx, et je suis assez d’accord avec lui. Mais de là à considérer les religions comme des maladies ou des virus, il y a un large pas. En outre, nous avons tous entendu les mêmes termes, dans d’autres pays, en particulier mais pas seulement arabes, à propos de l’homosexualité. Et pourquoi pas, demain, pour les non communistes, pour les manifestants de Hong Kong (qui sont déjà traités de terroristes) ou pour tout autre groupe social qui gêne le pouvoir.

Nous vivons décidément une époque moderne, qui risque de nous ramener à l’usage de la psychiatrie que faisait la Russie stalinienne.

 

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fleche15 novembre  2019: Une deux, une deux....

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Les professionnels de santé étaient hier dans la rue et j’ai noté en écoutant la télévision un de leurs slogans, Hôpital en colère, y’en a marre de la galère. Il y a très longtemps que je travaille, dans diverses langues, sur les slogans, ces formes que les manifestants scandent en défilant et sur la façon dont, spontanément, ils adaptent la structure de leur langue, les contraintes parfois de l’accent tonique ou des oppositions entre longues et brèves au rythme de la marche, qui est toujours à deux temps, un pied puis l’autre, une deux, une deux, une deux…. . Hôpital en colère, y’en a marre de la galère en est un nouvel exemple, qui illustre parfaitement ce que j’ai pu décrire par ailleurs.

Tout d’abord, et comme  très souvent, ce slogan rime (colère galère) et cette rime le découpe en deux segment. Mais ils n’ont pas la même longueur (six pieds pour le premier, sept pour le second). Or la scansion va les ramener à deux unités rythmiques semblables par une jeu sur la longueur des syllabes. Le premier, Hôpital en colère, est scandé comme naguère Mitterand président,  lui aussi composé de six syllabes, avec une suite de deux brèves et une longue, ou de deux croches et une noire, répétée deux fois. Ainsi les six syllabes sont ramenées à quatre unités, ou à quatre temps, compatibles avec le rythme de la marche.

Le traitement de y’en a marre de la galère est plus complexe car nous avons sept syllabes qu’il faut donc ramener à quatre temps. Et la solution est encore dans un jeu sur la longueur. Si y’en a marre est traité comme hôpital ou en colère, deux brèves une longue, ou deux croches une noire, de la galère présente une difficulté supplémentaire : comment ramener  ces quatre syllabes à deux temps ? Et la solution passe parce ce le solfège appelle un triolet, une suite de trois notes correspondant à un seul temps. C’est-à-dire que les trois syllabes  de la ga ont la même longueur que la syllabe lère. Et je suis sûr que, si je me suis bien fait comprendre, vous n’aurez aucune difficulté à scander maintenant ce slogan comme il l’était hier dans les rues de Paris.

Derrière tout cela il y a ce que j’appelle une compétence rythmique, une façon d’imposer spontanément la loi du corps (les deux temps de la marche : on n’imagine pas une troupe défiler sur un air de valse ou de java) à la langue.


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fleche13 novembre  2019: Divers

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Vous avez sans doute noté que j’ai dû arrêter quelques temps mes billets. A mon retour de Singapour j’ai découvert des problèmes d’accès à mon site que j’ai mis quelques jours à résoudre (pour être honnête, avec l'aide de mon copain Michel).

Je reviens donc à mes notes de voyage et  tout d’abord à une information assez étonnante que j’ai trouvée dans un quotidien local (The strait times, 4 novembre 2019). En Indonésie le ministre des affaires religieuses a déclenché un débat en annonçant que le gouvernement pourrait interdire le port du tchador et du voile dans les bâtiments gouvernementaux. Et il a ajouté qu’il faudrait aussi interdire aux hommes fonctionnaires le port du pantalons d’arrêtant milieu du mollet, qui a la faveur des islamistes radicaux. L’Indonésie est le plus grand pays musulman du monde, et le ministre des affaires religieuses annonce là des décisions qui s’apparentent fort  à la laïcité française… Allez comprendre.

Dans le même numéro le récit d’une attaque au couteau à Hong Kong qui a fait six blessés. Les témoins ont déclaré que le suspect « parlait mandarin ». Traduisez : il ne parlait pas cantonais et il n’était donc pas de Hong Kong. La lutte pour la démocratie est en même temps un combat culturel, une défense de la langue locale ou un refus de se laisser imposer la langue officielle venue de Pékin (le cantonais est toujours une des langues officielles dans l’île).

Enfin, dans un autre numéro du même journal local je suis tombé sur un mot que je ne connaissais pas : netizen. Il s’agit bien sûr d’un néologisme, parallèle à citizen, « citoyen », construit sur city, pour désigner ce que nous appelons en français internaute et non pas netoyen. Le suffixe -naute vient d’un mot grec désignant le navigateur, qui a aussi donné  nautique, nautile et, bien sûr, le Nautilus de Jules Vernes. L’internaute navigue donc sur le Net comme l’astronaute navigue dans les astres. Et les deux mots, internaute et netizen, on le même sens. Mais je suis frappé par le fait qu’en anglais on soit membre du Net (comme le citoyen est membre de la cité) tandis qu’en français on y passe, on y navigue, ce qui implique l’existence de ports où l’on peut s’arrêter. Tirez-en ce que vous voulez.

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fleche8 novembre  2019: De Singapour au Cameroun, et des langues au caoutchouc

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Je viens de passer quelques jours à Singapour, invité par le SWF (Singapore Writers Festival) qui avait cette année pour thème A language of our own, thème qui convient parfaitement à cette île-état  surpeuplée et plurilingue. Singapour a une superficie de 721 km2, douze fois moins que la Corse pour vous donner une idée, et un nombre d’habitants 17 fois plus grand que la même Corse. Un rêve pour sociolinguiste ! Et la constitution rend en partie compte de ce Babel asiatique : quatre langues officielles (anglais, mandarin, tamoul et malais) et une langue nationale (le malais). Mais l’anglais, langue héritée bien sûr de l‘époque coloniale, est partout, dans l’administration, le commerce, l’environnement graphique (les plaques des noms de rues par exemple ne sont qu’en anglais) tandis que la langue « nationale », le malais, qui apparaît certes dans le texte de l’hymne national, n’est utilisé que dans l’armée, comme langue de commandement.

Le système scolaire est entièrement bilingue, tout le monde apprenant l’anglais et une des trois autres langues, selon l’origine ethnique de la famille. Les « Malais »  étudient donc en anglais et malais, les «Chinois »en anglais et mandarin  et les « Indiens » en anglais et tamoul. Mais une bonne partie de la population d’origine chinoise de Singapour parle cantonais, hakka ou teochew, et 60% seulement de celle d’origine indienne parle tamoul. C’est-à-dire qu’il y a, dans ce domaine comme dans d’autres, un autoritarisme de l’état qui  assigne  (ou impose) à certains citoyens une identité linguistique passant parfois par une langue qui n’est pas la leur.

Et en fait, l’anglais semble s’imposer jusque dans les familles. Ainsi, une enquête du ministère de l’éducation publiée en octobre et menée auprès des parents d’élèves montre que 70% en moyennes des enfants d’origine chinoise, malaise ou indienne parlent surtout anglais à la maison. Le système qui apparaît donc d’abord comme très respectueux du plurilinguisme est peut-être en train de préparer en deux ou trois générations la domination de l’anglais. A moins que…

A moins que l’anglais lui-même ne soit à terme menacé par le singlish (l’anglais de Singapour) que certains considèrent comme un créole et contre lequel le gouvernement lutte avec acharnement, demandant aux citoyens d’utiliser l’anglais standard. Mais le singlisj est parlé partout, dans les rues, entre amis, et on commence même à écrire dans cette langue des romans ou de la poésie. La situation est donc à suivre avec intérêt.

J’ai participé, au festival des écrivains, à deux tables rondes, l’une sur Language death et l’autre sur The future of language. Woody Allen a dit un jour qu’il est très difficile de faire des prévisions, surtout lorsqu’il s’agit de l’avenir, et tout ce qui précède montre qu’il avait raison. Mais l’investissement de Singapour dans la défense du plurilinguisme a peut-être ses limites.

Il existe en effet une grosse société singapourienne, Halcyon Agri, géant du caoutchouc qui possède de nombreuses filiales à travers le monde, en particulier, au Cameroun, l’entreprise Sud Cameroun Hévéa. Celle-ci a obtenu d’une façon douteuse (on parle de diverses corruptions) le droit de raser 10.000 hectares de forêt primaire pour y planter des hévéas, l’arbre à caoutchouc, afin de fournir les fabricants de pneus, Michelin, Goodyear ou Bridgestone. Bien sûr cet immense territoire était peuplé, essentiellement par des pygmées, qui sont obligés de dégager. Et ils finiront sans doute dans une ville, où  ils perdront en une ou deux générations leur langue. En outre, le territoire en question, la réserve du Dja, est classé au patrimoine mondial de l’UNESCO. Ce qui signifie qu’aux yeux de la société Halcyon Agri le caoutchouc importe plus que le patrimoine mondial de l’UNESCO, plus qu’une population de pygmées, plus que leur langue.

J’ai bien sûr raconté cette histoire à la table ronde sur Language Death, mais cela n’a pas eu l’air d’étonner spécialement la soixantaine  de personnes qui y assistait. Comme quoi la défense du plurilinguisme est à dimension variable.

 

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Octobre 2019

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fleche27 octobre  2019: Promotion et école hôtelière

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Je me suis, cette année, fait piéger au moins trois fois en allant voir des films dont les media disaient le plus grand bien et que j’ai trouvé nuls. Bien sûr, mon opinion n’est pas raison, mais cela m’avait tout de même mis la puce à l’oreille.

Or, dans la semaine qui s’achève, les choses sont allées très loin, trop loin peut-être. Mon chien stupide, un film d’Yvan Attal, dans lequel il joue avec son épouse, Charlotte Gainsbourg, est sur toutes les ondes. Invité jusqu’à trois fois dans la semaine sur la même chaîne de radio, dans deux émissions en trois jours sur la même chaîne de télé, le couple est partout. Au point que le pauvre Attal ne trouve plus rien de nouveau à dire et se répète d’émission en émission, joue pareillement la même partition avec sa femme, on s’engueule un peu, on fait rire, on se duplique de medium en medium. Une vraie indigestion ! Et ce qu’ils disent me laisse une fois de plus penser, peut-être à tort, que le film sera indigeste. Bien sûr, il y a là une belle opération de promotion. Des coups de téléphones, des attachées (ou des attachés, mais c’est plus rare) convaincants ou complices, la flemme ou le j’m’en foutisme ou le copinage de certains journalistes, bref tout cela débouche sur un insupportable bourrage de crâne. Le résultat est que (encore une fois peut-être à tort) je n’irai pas voir ce film. Mais tout cela me met en rage, car j’ai le sentiment, une fois de plus, que certains animateurs ont appris leur métier à l’école hôtelière et qu’ils posent leurs questions comme on passe les plats, qu’ils remettent le couvert dès qu’un copain se produit quelque part. Certains pourraient penser qu’il y a quelque part des retours d’ascenseur, que les animateurs ou les journalistes s’y retrouvent quelque part, mais je ne me livrerai  pas à de telles insinuations. Simplement, je trouve que la déontologie professionnelle est parfois battue en brèche.

Je sais, il y a pire. Juste un exemple, pour vous couper définitivement l’appétit (décidément ce billet donne dans la gastronomie) : CNews et le Figaro Magazine  continuent à faire une place en or à Eric Zemmour, Beurk !




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fleche25 octobre  2019: Lecture

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Ma vie est, depuis quelques semaines, bouleversée et je me rends compte que j’ai complètement oublié d’annoncer un livre que j’ai publié en septembre.

Il s’appelle My Tailor is still rich, les glottotropies à travers l’histoire de la méthode Assimil, et il est publié aux CNRS éditions. Le titre peut paraître étrange (rassurez-vous, le livre est écrit en français) mais je suis persuadé que vous comprendrez aisément le clin d’œil en anglais et le néologisme hellénisant.


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fleche18 octobre  2019: Prestidigitation

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Il y a bien longtemps (en 2004 pour être précis) je publiais dans Libération une tribune libre dont je vous donne ci-dessous le texte intégral.

 

 

QU’EST-CE QU’UN SIGNE ?

(ostentatoire, ostensible ou visible)


La France politique discute aujourd’hui sur l’adjectif qui conviendrait le mieux dans une loi visant à interdire les signes d’appartenance religieuse à l’école : faut-il interdire les signes ostentatoires (montrés de façon excessive, indiscrète) ostensibles (portés avec l’intention d’être remarqués) ou visibles (qui peuvent être vus). On voit bien sûr immédiatement que les deux premiers adjectifs sont problématiques et que seul le troisième ne prête pas à discussion : quelque chose est visible ou invisible, sans possibilité intermédiaire, tandis qu’il n’y a pas solution de continuité avec ostentatoire ou ostensible, qu’il sera toujours possible d’arguer à longueur de journée.  On imagine déjà les débats portant sur le fait que tel ou tel signe serait plus ou moins ostentatoire, plus ou moins ostensible, et ce choix mènerait à des arguties sans fin, au coup par coup, assorties de manifestations diverses, sur la dimension d’un bandana, sur la longueur d’une croix voire même sur la possibilité de porter en classe une casquette qui recouvrirait la kippa. La République entrerait dans le plus grand ridicule puisque la Loi serait incapable de s’auto-interpréter.

 Mais il y a dans ce débat, du moins aux yeux du linguiste et du sémiologue que je suis, une chose étrange : personne ne semble se demander ce qu’est un signe. Tous les intervenants citent le voile, la kippa et la croix (avec ici une restriction : elle ne doit pas être trop grande), c’est-à-dire les manifestations de ce que l’on considère actuellement comme attentatoire à la laïcité.  Mais demain ? Ne risque-t-on pas d’assister à des discussions sans fin sur d’autres façons d’afficher son appartenance qui pourraient apparaître, d’autres religions ou sectes bien sûr,  mais aussi les nouvelles façons que les musulmans, les juifs ou les chrétiens pourraient inventer pour se manifester.

Mon propos n’est pas ici d’intervenir dans ce débat, mais de souligner d’abord que la différence entre les adjectifs visible et ostensible ou ostentatoire est, bien sûr, que le premier entretient une opposition digitale avec non visible ou invisible tandis que les deux autres relèvent de l’analogique. Cependant ce problème n’est pas sans lien avec la notion de signe, oubliée dans cette discussion, et l’on peut se demander si ce n’est pas sur elle que devrait porter le débat, si le problème du digital et de l’analogique ne se pose pas au sein même du signe.

On sait que l’ancêtre de la linguistique structurale, Ferdinand de Saussure, considérait que le signifiant et le signifié, étaient aussi indissociables que les deux faces d’une feuille de papier, qu’en coupant dans l’un on coupait dans l’autre. Jacques Lacan a mis un peu désordre dans cette vision euclidienne (la feuille de Saussure ne peut se concevoir que dans un espace à deux dimensions) en donnant au signifiant une place prépondérante. C’est à partir de lui qu’on cherche à atteindre le signifié, en tenant de franchir la « barre ». Or ce que nos politiques veulent interdire ce n’est pas un signe mais un signifié (qui dit en gros « je revendique mon appartenance à telle ou telle religion ») et ils ne disposent pour l’instant que de trois exemples de signifiants, la kippa, le voile et la croix. Mais une grande maison de vente par correspondance vient de se rendre compte qu’on lui avait fourgué des T-shirts sur lesquels s’inscrivait, en arabe, un passage du Qoran : personne n’avait perçu le signifié derrière ce signifiant. L’anecdote est intéressante car elle préfigure de futurs débats et de futurs conflits. Pour renvoyer au signifié que veut proscrire la loi des petits malins vont s’ingénier à produire du signifiant à la pelle ou, si l’on préfère, inventeront des formes nouvelles pour le même contenu. Que faire si les chrétiens se mettent à porter un poisson ? Si les musulmans exhibe une sourate du Qoran ?

La sémiologie pose parfois des questions embarrassantes et l’on peut se demander si la meilleure façon d’interdire ce signifié anti-laïque n’est pas d’imposer un signifiant unique. L’uniforme à l’école ? Cela fait bien sûr un peu rétro, un peu réac. Mais le signe ainsi émis ne poserait plus de problème.

 

Je ne suis plus exactement sur les mêmes positions en ce qui concerne la théorie du signe linguistique, et ma conclusion, que je voulais ironique, n’a peut-être pas été perçue comme telle à l’époque, mais le  problème général n’a guère changé aujourd’hui. Voici que l’on s’interroge sur la gradation des signes (ou des indices) de radicalisation . Vous vous souvenez sans doute du feuilleton télévisé Columbo dont le principe était très simple. Dans chaque épisode, le spectateur avait vu le crime, en connaissait le meurtrier et disposait d’un certain nombre de preuves, avant même que l’inspecteur Columbo apparaisse. La question qu’il se posait n’était donc pas « qui est l’assassin ? » ou « comment a-t-il commis son crime ? » mais « comment et quand Columbo va-t-il découvrir ce que je sais déjà» ?

L’avantage de l’enquêteur n’avait cependant pas pour autant disparu puisque, le plus souvent, le criminel allait être démasqué grâce à d’autres indices, et c’était là toute la spécificité de la série. Elle s’apparentait en fait, dans sa technique d’exposition des faits, à la prestidigitation. De façon peut-être paradoxale, malgré son étymologie (« agilité des doigts »), la prestidigitation est une affaire de pieds. Une des techniques du prestidigitateur  consiste en effet à détourner l’attention du spectateur  en se mettant, grâce au déplacement de ses pieds, dans une position lui permettant de diriger les regards vers un point de l’espace  où il ne se passe rien d’important pour effectuer une manipulation dans un autre point de l’espace. Or, dans les épisodes de Columbo c’est la caméra qui jouait le rôle des pieds du prestidigitateur. En choisissant certains plans, certains points de vue, on montrait certaines choses au spectateur et on en omettait d’autres, celles qui allaient servir à l’enquêteur.

Les autorités chinoises viennent d’inaugurer un nouveau discours à propos de ce qui se passe à Hong Kong. Je passe du coq à l’âne ? Vous allez voir que non. Le nouveau discours consiste à dire que les milliardaires de Hong Kong, qui contrôlent très largement le marché immobilier, sont les premiers responsables de la crise : les prix sont trop élevés et les jeunes ne trouvent pas à se loger. On voit la ruse de la raison qui se profile derrière cette interprétation : les manifestants ne réclameraient pas la démocratie mais un accès au logement, et la Chine serait ainsi blanchie. On voit tout de suite le parallélisme avec le prestidigitateur ou avec la caméra de Columbo : on détourne le regard vers autre chose, un autre objet ou une autre interprétation, en faisant du même coup oublier, ou ne pas voir, la chose principale, l’interprétation principale.

Le débat sur le voile qui est en train de s’enflammer à nouveau et de diviser les familles politiques relèvent peut-être du même principe du prestidigitateur. On attire l’attention sur un bout de chiffon sensé être un symbole identitaire ou religieux pour détourner les regards. Mais se posent alors deux questions. De quoi détourne-t-on les regards ? Et qui est « on »? Le problème est que ces deux questions peuvent avoir des réponses diverses, mais pas nécessairement exclusives l’une de l’autre. « On » peut par exemple faire braquer les regards vers une pauvre femme malmenée par un élu d’extrême droite pour les détourner des manœuvres de l’islam politique qui cherche à noyauter la société française. Mais « on » peut aussi faire braquer les regards vers une supposée atteinte à la laïcité pour les détourner de positions racistes. Comme le pouvoir chinois tente de transformer des revendications démocratiques en revendications sociales ou immobilières.

Et c’est sur ce point que, depuis 2004, j’ai un peu changé de position par rapport à la théorie du signe. Les signes ou les indices sont toujours ambigus, un signifiant ne renvoie pas à un signifié qui lui serait consubstantiel,  il doit toujours être interprété. Et l’on peut parfois intervenir sur cette interprétation, la truquer ou l’influencer. Suivez mon regard. Et regardez les pieds du prestidigitateur.

 




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fleche11 octobre  2019: Terroristes et radicalisés

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L’étymologie de terroriste est presque transparente, venant de terreur, qui lui-même vient du latin terror, « terreur, effroi, épouvante ». Le terroriste est donc celui qui pratique ou inspire la terreur.

 Or, depuis une poignée de semaines j’ai successivement entendu à la télévision chinoise les manifestants de Hong Kong traités de terroristes (et, accessoirement, des séparatistes), le président turc Erdogan dire que les Kurdes étaient des terroristes, la presse allemande parler du « terroriste d’extrême droite » de Halle et le président français parler des terroristes islamistes. C’est-à-dire que ceux qui, à Hong Kong, réclament la démocratie ou ceux qui au Moyen-Orient ont lutté contre le soit disant état islamique et luttent pour leur identité sont mis sur le même plan que ceux qui assassinent de façon aveugle, tandis que l’on oublie que l’armée turque intervient dans un pays étranger, la Syrie, et que la Chine ne respecte pas un accord international découlant de la formule de Deng Xiao Ping, « un pays, deux systèmes ». On voit ainsi qu’une définition, même tirée des meilleurs dictionnaires, ne nous dit pas grand-chose et que le sens des mots vient de leurs usages, qui peuvent être extrêmement fluctuant.

Les choses sont encore plus complexes pour ce qui concerne le terme radicalisé, dont l’étymologie peut également paraître transparente. Venant bien sûr de radical, qui lui-même vient du latin radix,  « racine », il devrait signifier quelque chose comme « qui remonte aux sources » ou « qui est remonté aux sources ».  Mais il y a eu là une sorte de contamination par le mot arabe salafiya, de salaf, « ancêtre » ou « prédécesseur », un mouvement sunnite prétendant revenir aux pratiques musulmanes à l’époque de Mahomet (dont, par parenthèse, on ne sait pas grand-chose). Il s’agit en fait d’un mouvement prônant une lecture littérale du Coran, qui s’est d’abord manifesté par le quiétisme, refusant de s’impliquer dans la vie politique et se consacrant à la doctrine. Mais le terme salafisme a ensuite désigné l’islam politique puis le jihadisme, ce qui nous ramène au terrorisme et à l’état islamique.

Il y a donc là une nébuleuse sémantique alors que plus que jamais nous avons besoin de termes précis.  Il est clair que lorsque Pékin parle de terrorisme à propos de Hong Kong il y a une volonté de brouiller de carte, ou de mentir si l’on préfère. Mais lorsqu’ils appellent à lutter contre la radicalisation, les responsables politiques utilisent un terme flou, qui désigne un processus dont on voit mal les contours et les causes. Comment reconnaître un radicalisé ? On (c’est-à-dire en l’occurrence le ministre français de l’intérieur, Castaner) nous parle du port de la barbe (il en porte lui-même une), du refus de faire la bise aux femmes ou de la zébiba, ce mot arabe qui désigne à l’origine le « raison sec » et aujourd’hui la trace calleuse que portent ceux qui prient frénétiquement en tapant leur front contre le sol. Tout cela n’est ni sémantique ni politique. La radicalisation est un processus qui vient sans doute d’un endoctrinement (il ne semble pas que l’on puisse naître radicalisé) qui passe en particulier par certaines mosquées, par certains réseaux sociaux, par certaines chaînes de télévision, par certaines écoles. Pour ne donner qu’un exemple (que je m’emprunte à moi-même, voir mon récent livre My tailor is still rich, les glottotropie à travers l’histoire de la méthode Assimil),  six « écoles associatives » d’île de France donnent des cours d’arabe à 14.000 élèves, soit le double des effectifs des élèves arabisants de l’Education nationale. Quel arabe ? Et quelle idéologie ? C’est peut-être là une des choses que les politiques auraient intérêt à investiguer…

 

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fleche8 octobre  2019 : Geringonça

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Je ne suis pas vraiment spécialiste du portugais mais geringonça, comme son équivalent espagnol jerigonza, signifie d’abord « argot », « jargon », « chose incompréhensible ». Il a pris en outre en portugais le sens de « construction improvisée », « mécanisme complexe », « engin », et désigne depuis quelques années la coalition improbable regroupant le les socialistes, le communistes et le Bloco de esquera (le « bloc de gauche » comparable  aux Insoumis français), coalisation qui gouverne le Portugal depuis 2015. Cette nomination à l’origine péjorative (la coalition apparaissait comme une magouille politique) est en train de changer de sens. Le premier ministre, Antonio Costa, a d'ailleurs déclaré que « les Portugais aimaient la geringonça ». En effet il vient de gagner les élections et avec 106 députés socialistes il frôle la majorité absolue, mais le bloc avec ses 19 députés et les communistes lui renouvellent leur soutien.

Il est vrai qu’en trois ans les socialistes et leurs alliés ont ramené le déficit public de 11 à 0,5% tout en augmentant les retraites et le salaire minimum. Bref, comme le dit la sagesse populaire, l’union fait la force, mais elle peut en outre être efficace et permettre de mener une politique sociale de gauche.

Et l’on se prend à rêver : PS plus PC plus France insoumise plus éventuellement Verts (mais ils ont pris en France la grosse tête), n’est-ce pas possible ? Hélas, on disait naguère que la droite française était la plus bête du monde, mais on peut appliquer le même diagnostic à la gauche.

 

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Septembre 2019

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fleche30 septembre 2019: Aveuglement ou complaisance

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Je rentre de dix jours passés en Chine et retrouve une France subitement chiraquisée. Une sorte d’union nationale autour de lui, sympathique, proche du peuple, grand politique… On croit rêver ! Ou oublie qu’il fut poursuivi par les affaires, celles des emplois fictifs, des faux emplois, des HLM de Paris, qu’il détournait des fonds publics pour alimenter son parti, qu’il laissera condamner à sa place ses plus proches collaborateurs (Alain Juppé, Michel Roussin, Louise-Yvonne Cassetta), qu’il fut d’ailleurs plus tard condamné à deux ans de prison avec sursis pour « prise illégale d’intérêt », “détournement de fonds publics », « abus de confiance » et « délit d’ingérence ». On oublie aussi qu’en 1991, dans un discours à Orléans, il caressait dans le sens du poil son public un passage que Le Pen aurait pu prononcer :

« Comment voulez-vous que le travailleur français qui habite à la Goutte-d'or où je me promenais avec Alain Juppé   il y a trois ou quatre jours, qui travaille avec sa femme et qui, ensemble, gagnent environ 15 000 francs, et qui voit sur le palier à côté de son HLM, entassée, une famille avec un père de famille, trois ou quatre épouses, et une vingtaine de gosses, et qui gagne 50 000 francs de prestations sociales, sans naturellement travailler ! [applaudissements nourris] Si vous ajoutez à cela le bruit et l'odeur [rires nourris], eh bien le travailleur français sur le palier, il devient fou ».

Soit les Français ont la mémoire courte, soit ils trouvent normal de voler l’argent public et de proférer des propos racistes. Il est vrai que, comme le chantait Brassens, « les morts sont tous des braves types », mais il y a des limites à l’aveuglement ou à la complaisance. Je reviens donc de Chine et, là-bas aussi, on peut se demander où passe la frontière entre aveuglement et complaisance. On a beaucoup parlé en Europe des cameras qui filmaient tout dans les rues pour traquer les « délinquants » mais les choses commencent dès la douane. Photo, prise d’empreintes de tous les doigts des deux mains, photo encore à l’hôtel, reconnaissance faciale à l’entrée de différents bâtiments, etc. Les gens que j’ai interrogés trouvent cela normal. C’est, disent-ils, pour assurer la sécurité. Quant à ce qui se passe à Hong Kong, les gens sont sous-informés par les media mais ils répètent le plus souvent le discours officiel : ce sont de « terroristes » qui sont dans les rues. Le territoire compte environ sept millions d’habitants, il y a eu trois millions de manifestants, ce qui constitue effectivement un taux important de terroristes. Bref, il vaut mieux en rire. Et pour cela je vous invite à aller à cette adresse :

https://video.tudou.com/v/XMTk4MjY1NTcyOA==.html?__fr=oldtd

Vous y trouverez un hilarant récit des aventures d’un touriste italien à Malte.

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fleche17 septembre 2019: Petite pause

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Je viens de subir un deuil cruel et je vais prendre un peu de distance. Une pause, donc, pendant deux ou trois semaines.


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fleche6 septembre 2019: Démographie et langues

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Michel Feltin-Palas, journaliste à l’Express, a mis en ligne le 3 septembre sur son site boutdeslangues un texte intitulé « Paris n’est plus la première ville francophone du monde ». Son argumentation était simple : selon un rapport de l’ONU sur « les villes du monde en 2016 », Kinshasa compte 12,1 millions d’habitants tandis que Paris n’en compte que 10,9. Il en concluait que « dans quelques décennies, 70 % des locuteurs de notre langue vivront en Afrique et moins de 20 % en Europe », tout en reconnaissant que la notation de locuteurs était floue. Le lendemain, sur France Inter, dans l’émission Boomerang, Augustin Trapenard reprenait l’information, sans citer sa source. Pour les deux journalistes, donc, Kinshasa était le ville comprenant le plus grand nombre de francophones.

On dit depuis longtemps que l’avenir du français se joue en Afrique, affirmation qui, sans être totalement fausse, doit cependant être largement nuancée. Il y a en effet deux choses très différentes à prendre en compte. D’une part la démographie de l’Afrique, dont la croissance galopante est indiscutable, et d’autre part la connaissance du français par les population de pays africains membres de la Francophonie, ou pour être plus précis ayant le français comme langue officielle. Et, sur ce dernier point, il faut encore distinguer entre la situation de l’enseignement  (et l’école de la RDC, dont Kinshasa est la capitale, est dans un état lamentable) et la politique linguistique des pays africains (dont certains pourraient très bien décider, un jour ou l’autre, de changer de langue officielle). Il faut donc prendre ces chiffres et ces projections avec précaution car, comme disait Woody Allen, il est très difficile de faire des prédictions, surtout quand il s’agit de l’avenir.

Mais restons sérieux : il ne faut pas confondre le nombre d’habitants des pays francophones et celui des locuteurs du français dans ces mêmes pays. On estime (mais il s’agit d’une estimation « à la louche »), que 10% de ces habitants ont une réelle connaissance du français. Kinshasa, avec ses 12 millions d’habitants, aurait alors un peu plus d’un million de francophones, ce qui la mettrait loin derrière Paris. Et le premier problème est, dans ce pays comme dans d’autres, l’améliorer l’enseignement, la formation, nécessaires au développement. Que cela soit en français dans une langue africaine ou dans les deux.

 

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fleche1er septembre 2019: Franchise

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Les cons, ça invente toujours de nouvelles conneries, c’est même à ça qu’on les reconnaît, aurait pu dire Michel Audiard (dans le dialogue des Tontons flingueurs il écrivait en fait « ça vole en escadrille »…). En 2003 la France s’opposait devant l’ONU à l’intervention militaire en Irak, ce qui fut très mal pris aux USA où certains politiques, soutenus par des media populistes, lancèrent l’idée de débaptiser les french fries pour les appeler freedom fries ou liberty fries. L’ambassadeur de France à Washington s’était alors contenté de faire remarquer que les frites venaient en fait de Belgique. Les choses se sont ensuite calmées, et les frites s’appellent toujours des french fries. Mais pourtant, l’idée était belle et pourrait être productive. Imaginons que la France se fâche avec l’Italie. L’Académie française pourrait transformer la pizza napolitaine  en pizza marseillaise, le tournedos Rossini en tournedos Michel Sardou, ou Johnny Hallyday ou qui vous voudrez. Si elle se fâchait avec la Chine, le riz cantonais pourrait devenir riz niçois ou lillois. Et si les Américains avaient des problèmes avec l’Allemagne, il pourraient décider d’appeler les hamburgers (le plat préféré de Trump, avec des french fries justement) des newyorkers. Et s’ils voulaient encore viser la France, que feraient-ils du frenc kiss ou de french letter (« préservatif »). Bref les cons ne sont jamais à cours de conneries.

Le président brésilien vient d’en donner un bel exemple. Depuis son élection, il insiste sur sa simplicité en se faisant photographier, lorsqu’il signe un document officiel, avec dans la main un stylo à bille Bic. Il vient de se rendre compte qu’il s’agissait d’une marque française et a décidé d’utiliser dorénavant un stylo à bille portugais. Il a raison, Bolsonaro, Macron a déclaré qu’il avait menti alors que, bien sûr, il ne ment jamais.

Il y a cependant un petit problème. Le président brésilien pourrait déclarer qu’il ne ment pas, qu’il est franc (franco en portugais). Mais cet adjectif, qui vient du francique frank, a d’abord désigné un peuple (les Francs, puis les Français) avant de signifier libre  puis franc (celui qui dit la vérité). En affirmant sa franchise, Bolsonaro se classerait donc du même coup dans le clan des Francs et, par extension, des Français.

Mais je le laisse avec ce grave dilemme, qu’il se débrouille.

 

 

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Août 2019

 

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fleche30 août 2019: Expropriation ou spoliation?

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Il m’a fallu relire plusieurs fois les différentes sources que j’ai consultées pour me convaincre que je n’avais pas la berlue. Dans un tract distribué depuis le 26 août, Corsica Libera, le parti du président de l‘Assemblée corse, Jean-Guy Talamoni, explique que les « étrangers à la Corse » doivent prendre garde : « Nous prévenons solennellement les acheteurs étrangers à la Corse : n’écoutez pas ceux qui vous disent que l’acquisition est sûre en l’état du cadre légal actuel », et « nous engagerons dès que nous en aurons la possibilité une démarche d’expropriation de tous les biens immobiliers acquis en Corse depuis le 24 avril 2014 par des personnes physiques ou morales ne remplissant les conditions posées par la délibération de l’Assemblée de Corse ». On croit rêver ! La date citée est celle d’une délibération au cours de laquelle a été adopté  le texte suivant (29 voix pour, 18 contre, 4 abstentions) : « l’accès à la propriété foncière et immobilière ne devrait pouvoir être exercé, de manière automatique, que par les personnes physiques et morales considérées comme ayant le statut de résident, à savoir :  les personnes physiques pouvant justifier de l’occupation effective et continue d’une résidence principale située en Corse, durant une période minimale de cinq années etc. » Ce « statut de résident », qui avait ensuite été adopté par quatre communes, a été annulé pour « abus de pouvoir » par le tribunal administratif en février 2016. En fait, et Corsica Libera le sait très bien, il faudrait une modification de la constitution pour que l’on puisse appliquer cette décision, pour l’instant illégale donc.

Mais le problème est ailleurs. Le texte parle d’expropriation et d’étrangers à la Corse. Pour ce qui concerne l’expropriation elle est, juridiquement, une dérogation au droit de propriété, qui est ainsi défini à l’article 544 du Code civil : «La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements ». Et un expropriation doit reposer sur une déclaration d’utilité publique, à laquelle il n’est fait mention  ni dans le tract ni dans le texte d’avril 2014 (si je l’ai bien lu).  Quant aux étrangers à la Corse, il s’agit bien sûr d’abord des Français.  Ce projet, inapplicable en l’état de la loi et qui nécessiterait une improbable modification de la Constitution, ressemble donc plutôt à une spoliation, terme qui a de sinistres connotations remontant au sort que connurent les juifs pendant la dernière guerre, et à une discrimination, tout cela ayant bien sûr de forts relents racistes.

Il y a cependant derrière cette position une tentative de justification : le prix de l’immobilier augmenterait sans cesse en Corse, ce qui entrainerait une discrimination par l’argent, et il s’agirait d’une défense du patrimoine. Habile, mais légèrement faux-cul. Imaginons que pour lutter contre la montée des prix du logement à Paris (ou à Nice, ou à Cannes) on décide que seuls les gens vivant à Paris (ou à Nice, ou à Cannes) depuis au moins cinq ans puissent y acquérir des biens. On entendrait hurler des dizaines de milliers de Français, parmi lesquels sans doute des Corses. Autre proposition avancée par Corsica libera: « appliquer une fiscalité plus lourde aux seules résidences secondaires spéculatives et pas aux résidences secondaires patrimoniales et familiales que les Corses possèdent dans leurs villages ». Autrement dit, les résidences secondaires possédées par des Corses seraient moins taxées que celles possédées par des non corses, ce qui est à la fois contraire au principe d’égalité de tous devant la loi (et l’impôt) et, répétons-le, raciste. Imaginons encore que ces principe soit appliqué à  Paris (ou à Nice, ou à Cannes ou n’importe où ailleurs !) En outre, le passage de la délibération de 2014, disant que seules peuvent acquérir des biens immobiliers les personnes « pouvant justifier de l’occupation effective et continue d’une résidence principale située en Corse, durant une période minimale de cinq années », laisse entendre si on le rapproche du texte ci-dessus que seuls les résidents pourraient acquérir une résidence secondaire, ce qui est légèrement baroque. Vous imaginez un résident à la Martinique, pour rester dans un contexte insulaire, voulant en outre acheter une résidence secondaire à la Martinique.

Bref, mieux vaut en rire. Un petit rappel, peut-être. Spoliation vient du latin spoliare, qui lui-même vient de spolium, dont le sens premier est la « dépouille d’un animal » mais aussi le « butin ». Tout est dit.

Nous vivons vraiment une époque moderne…

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fleche29 août 2019: Y'a d'la joie

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Charles Trenet, « le fou chantant » comme on l’appelait à ses débuts, avait entre autres dingueries imaginé ceci dans Y’a d’la joie :

La tour Eiffel part en balade comme une folle

Elle saute la Seine à pieds joint puis elle dit:

" Tant pis pour moi si j'suis malade

J'm'ennuyais tout' seule dans mon coin"

Julien Prévost et Sylvain Mérol l’ont pris au pied de la lettre, faisant de cette fiction une fiction au carré dans Mademoiselle Tour Eiffel, racontant justement que la Tour Eiffel décide de prendre des vacances pour aller voir la mer. Et elle rencontre toutes les difficultés d’une évadée, toutes les solidarités aussi, arrivera à la mer comme elle le voulait, sans qu’on sache vraiment si elle retournera à Paris.

J’oubliais : il s’agit d’une bande dessinée. Je sais, je ne parle pas de BD dans ces billets, mais pourquoi ne pas faire exception à ce qui n’est pas vraiment une règle. Car cette œuvre, destinée à des enfants, regorge de références discrètes à une pléiade d’auteurs qui me sont chers : outre Trenet, on y trouve l'écho de Lavilliers, Renaud, Sempé, San Antonio, Hugo Pratt, Boris Vian, Brassens et d’autres encore. Qui me sont chers, donc, mais que les jeunes ne connaissent sans doute pas. Alors, si vous avez des enfants ou des petits enfants, faites-leur lire Mademoiselle Tour Eiffel et, à l’occasion, expliquez-leur ces références, histoire de transmettre votre univers culturel ou affectif. C’est publié aux Editions Clair de Lune et cela devrait se trouver dans toutes les bonnes librairies.

 

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fleche18 août 2019: Basta!

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Une photo du ministre de l’agriculture, Didier Guillaume, et de celle de la cohésion des territoires, Jacqueline Gourault, assistant à une corrida à Bayonne circule depuis quelques jours. Et les réactions se succèdent. Le porte-parole D’Europe écologie-Les Verts y voit « un soutien clair et net à un massacre, à un spectacle lugubre », la fondation Brigitte Bardot enchaîne que c’est « au-delà du scandaleux et de l’écœurement  », des associations de défense des animaux comme L.214 ou 30 millions d’amis joignent leurs voix au chœur… De nos jours où tout se photographie, tout se filme, tout s’enregistre et tout se diffuse, ces deux ministres ont sans doute fait la preuve de leur bêtise. Mais rien ne leur interdit d’aller à une manifestation que la loi autorise.

Il fut un temps où  j’assistais aux corridas jusqu’au jour, ou plutôt jusqu’à une nuit d’insomnie où, passant d’une chaîne à l’autre, je suis tombé sur un documentaire taurin. Je me souviens d’un gros plan sur l’œil du taureau auquel on plantait des banderilles et qui semblait dire « mais qu’est-ce que je fais là ? », « je ne vous ai rien fait… ». Bref ma vie d’afficionado s’est arrêtée brusquement. J’ai assisté en Équateur à un combat de coqs. Les propriétaires se remplissaient la bouche d’une gorgée d’alcool qu’ils pulvérisaient dans les yeux de leurs volatiles pour les exciter avant de les jeter dans l’arène où ils devaient s'entretuer. En Chine j’ai vu un spectacle de mangeurs de serpents, de serpents tout crus tout vifs. J’ai donc vu, puis je me suis abstenu. Mais je n’ai jamais pensé un seul instant à exiger qu’on banisse ces spectacles. Les gens font ce qu’ils veulent si rien ne l’interdit. Et, dans une démocratie, ceux qui désapprouvent peuvent militer pour qu’on change la loi.

Pour ma part je mange de la viande, bœuf, porc, volaille, je mange du poisson et des crustacés, dans certains pays je mange du crocodile, du serpent, du singe, du cobaye ou du rat palmiste, dans d’autres des scorpions ou des méduses, et je ne force personne à faire de même. Mais j’ai de plus en plus de mal à supporter cette dictature de bien-pensants autoproclamés qui attaquent des boucheries ou des abattoirs et veulent imposer à tous leur idéologie.

L’histoire nous montre que les églises, mosquées, synagogues ou sectes bouddhistes massacrent ou ont massacré. Je considère en outre, mais cela n’engage que moi, qu’elles sont dangereuses pour la santé mentale des citoyens. Faut-il les interdire ? Et, pour protéger les animaux, faut-il interdire aux musulmans la fête du mouton, aux juifs la carpe farcie, aux catholiques l’agneau pascal ? Viendra peut-être un jour ou d’autres illuminés décideront que les légumes souffrent quand on les arrache à la terre ou quand on les fait cuire, voire que les arbres souffrent quand on les taille pour qu’ils produisent de meilleurs fruits, que les raisins souffrent quand on les presse. Faudra-t-il alors interdire la consommation de légumes et de fruits ? Faudra-t-il condamner alors les végétariens ? Et interdire le vin ?

Bien sûr les paysans, qu’ils produisent du porc ou du maïs, polluent sans vergogne. Bien sûr l’abus de viande, d’alcool, de frites…ou de religion n’est bon ni pour la santé physique ni pour la santé morale. Mais il y a une frontière entre modération et prohibition. Nous vivons dans un monde de fous où des idéologues illustrent dans leurs délires la formule de Michel Foucault, « surveiller et punir ». Il parlait de la prison, il s’agit dorénavant de la société entière. Il ne s'agit plus d'une «écologie punitive », comme disent certains, mais d'une dérive dictatoriale de groupes minoritaires qui veulent imposer à tous leurs opinions. Vous ne croyez pas que ça suffit ? Basta !

 

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fleche5 août 2019: Les paradis extérieurs

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J’ai depuis longtemps le sentiment que la gauche et l’extrême gauche françaises ont a le plus souvent cherché leurs modèles et leurs raisons d’espérer ou de se mobiliser dans des « paradis extérieurs ». L’URSS a jusqu’au bout été la référence des communistes, la « patrie du socialisme » dont le bilan était, selon Georges Marchais, « globalement positif ». Cuba et la Chine ont pris la relève, avec d’un côté le mythe de Guevara et la théorie du « foco », du foyer révolutionnaire, de l’autre la révolution culturelle qui fera des millions de morts, sans oublier la guerre de libération du Vietnam. Puis ce fut le Chili d’Allende, le Venezuela de Chavez et plus près de nous Syriza en Grèce et Podemos en Espagne. Et que dire de ceux qui trouveront un temps admirables Kadhafi ou Khomeiny, ou de ceux qui, aujourd’hui, se situent sur des positions « islamo-gauchistes » ? Ces allégeances, lorsque le  «modèle» était au pouvoir, poussaient d’abord à une absence totale d’esprit critique, et à une rhétorique un peu lourdingue, opposant par exemple la démocratie « formelle », celle des régimes bourgeois, à la démocratie « réelle », des pays socialistes. Je garde moi-même une sorte de tendresse pour le régime cubain alors que je sais parfaitement qu’il emprisonnait à tour de bras ses opposants, et que ces opposants n’étaient pas nécessairement réactionnaires.

Parmi ces suivistes, les trotskystes ont toujours tenu une place à part, puisqu’ils ne soutenaient aucun régime (sauf, un temps, celui de Tito) mais plutôt un proscrit, Léon Trotski, poursuivi par les sbires de Staline, qui finiront par avoir sa peau. Mélenchon, issu du courant le plus sectaire du trotskysme (l’Organisation Communiste Internationale), après avoir tenté de se « blanchir » au PS, a repris cette voie de fascination pour ce qui se passe ailleurs. Il a longtemps soutenu la « révolution bolivarienne » de Chavez au Vénézuela, mais la façon dont son successeur, Maduro, a ruiné ce pays, le plus riche en pétrole du monde, et gouverne  de façon dictatoriale, a rendu ce soutien désormais délicat. Puis il a tenté de se rapprocher de Yanis Varoufakis, le ministre de l’économie du gouvernement de Tsipras, et du parti espagnol Podemos, sans beaucoup de succès, et il vient récemment de changer de paradis : c’est aujourd’hui le Mexique qui a ses faveurs. AMLO (Andrès Manuel Lopez Obrador), élu président de la République en décembre 2018 après deux tentatives infructueuses, n’est pourtant pas un ultra. Mais il a pris des décisions symboliques (diminuer son salaire de 60%, limiter celui des fonctionnaires, augmenter le salaire minimum) et annoncé des mesures de lutte contre les narcotrafiquants et la corruption. A suivre, donc.

Mais, visiblement, Mélenchon s’imagine comme un possible AMLO français. Il a, lui aussi, été battu deux fois à l’élection présidentielle et songe peut-être au troisième round. Cette phrase prononcée  sur son blog vidéo est d’ailleurs significative : « Ici, on a gagné l'élection présidentielle avec 54 % dès le premier tour, ils ont fait 30 millions d'électeurs… C'était sa troisième candidature, il lui a fallu une constance et une force de caractère absolument géantes pour faire ces trois campagnes ». On remarquera le on dans « on a gagné »… Et il a déclaré à un journal local  « Je suis venu pour respirer, connaître ce monsieur AMLO qui m'intéresse tant, apprendre de ce processus mexicain, qui va sûrement donner une nouvelle impulsion en Amérique latine et en Europe. Je viens chercher l'inspiration et un peu d'optimisme. »

Mélenchon a donc trouvé un nouveau « paradis extérieur ». Il a bien sûr rendu visite au président mexicain, a été reçu au Sénat, il s’est rendu sur la frontière avec les Etats Unis… Ah oui, petit détail, il est aussi allé à Coyoacan pour visiter la maison de Trotski.


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Juillet 2019


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fleche27 juillet 2019 : Trio

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Dans le grand cirque de la politique mondiale on distingue diverses tribus, le plus souvent géographiques, dans les intégrations régionales regroupant des pays voisins (l’Union Européenne, le Mercosur, l’Unions africaine, etc…). Mais on pourrait imaginer d’autres types de regroupements tribaux. Par exemple l’union des pays présidés par des femmes (la liste en serait limitée), l’union des pays défendant la laïcité (la liste en serait encore plus limitée), etc. On pourrait aussi penser aux pays gouvernés par des fous, des idiots, des clowns. Je sais que la liste en serait peu scientifique, mais amusons-nous un peu. J’ai sous les yeux une photo de la vitrine d’une librairie de Rio de Janeiro, dans laquelle deux livres sont mis en valeur. A gauche, un livre consacré à Bolsonaro, Mito ou Veridade et à droite l’œuvre de Dostoieski, O idiota. Le hasard (s'il s'agit du hasaed, j'en doute) fait bien les choses ! Un peu plus au Nord du continent, Trump serait aussi un bon candidat. Et plus à l’Est, en Grande-Bretagne, le nouveau premier ministre, Boris Johnson (à propos, Dominic Cummings, le nouveau conseiller de Boris Johnson était considéré par  l’ex premier ministre David Cameron comme un « psychopathe de carrière »), mérite également de monter sur le podium. La tribus des idiots dirigeants ? L’adjectif est discutable, mais puisqu’ils nous font tous les trois à la fois rire et pleurer, je propose de baptiser ce trio le groupe des clowns.

Reste à savoir qui sera le « clown blanc », autoritaire et se drapant de dignité, le « clown rouge » (ou Auguste), le plus bouffon, et le « contre-pitre », le plus gaffeur, qui ne comprend jamais rien et oublie très vite les rares choses qui a réussi à comprendre. Choix difficile ? J’ai mon idée mais je suis démocrate. Alors nous pourrions proposer à Bolsonaro, Johnson et Trump (ici soigneusement classés par ordre alphabétique) de choisir leur rôle. Vous voulez élargir ce trio ? Restons français et ajoutons-y Guignol. Je vous laisse décider de qui jouera ce rôle. Je vous rappelle simplement que Guignol a toujours en main une tavelle, une sorte de matraque avec laquelle il frappe les méchants. Mais, comme idiot, méchant est un terme peu précis, à dimensions sémantiques variables. Un manifestant à Hong Kong est-il un méchant ? Un journaliste russe ? Un gilet jaune ? Un opposant hongrois ou polonais ? Bref, je pourrais allonger la liste, mais le pauvre Guignol risquerait de se vexer. Il sait, lui, qui sont les méchants, et le public est d’accord avec lui. L’ennui est que de nos jours le public élit en général triomphalement les « méchants » ou les « clowns » du cirque de la politique mondiale. C'est sans doute la modernité.

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fleche25 juillet 2019: Referendum d'Initiative Partagée

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Il existe en France depuis 2008 un référendum d’initiative partagée, processus qui débute par le dépôt d’un projet de loi par au moins un cinquième des parlementaires, se poursuit par la validation du Conseil Constitutionnel et doit être ensuite mis en place par le ministère de l’intérieur. Tous les électeurs peuvent ensuite apporter leur soutien à la proposition de loi pendant neuf mois, et elle doit obtenir au moins un dixième des électeurs inscrits (soit, aujourd’hui, 4.717.000 électeurs). Et la proposition de loi revient alors au parlement.

Cette procédure a été activée en avril 2019 par 248 parlementaires (Républicains, Socialistes, Communistes, Insoumis) qui ont déposé une proposition de loi afin que le groupe aéroports de Paris soit considéré comme un service public, alors que le gouvernement a l’intention de le privatiser. On peut donc voter depuis le 13 juin et jusqu’au 12 mars 2020 à 23 heures 59.

Maintenant vous savez tout… ou presque. Car, pour voter, il faut aller sur un site mis en place par le ministère de l’intérieur (c’est-à-dire qu’il faut trouver ce site). Et l’Intérieur ne fait aucune publicité sur cette initiative. Silence radio. Tiens ! Tiens ! Imaginez que vous deviez voter pour l’élection du président de la république ou de votre député et qu’on ne vous dise ni à quelle date ni dans quel bureau de vote il vous faut aller. C’est à peu près ce qui se passe actuellement. Il semblerait que le ministre de l’intérieur, très actif lorsqu’il s’agit d’envoyer la police taper sur des manifestants, ne soit guère efficace lorsqu’il s’agit de renseigner les citoyens sur leurs droits. A moins qu’il n’applique les conseils de silence de son patron.

La procédure a aujourd’hui obtenu un peu plus de 560. 000 signatures (rappel : il en faut 4.717.000). Alors si vous êtes opposés à la privation des aéroports parisiens, remuez-vous. J’ai fait les recherches pour vous. Il faut aller sur ce site, https://www.referendum.interieur.gouv.fr, en vous munissant de votre carte d’électeur et de votre carte d’identité (ou de votre passeport). Et cela vous prendra quelques minutes. Faute de quoi le RIP ne signifiera pas Référendum d’Initiative Partagée mais Requiem In Pace, « repose en paix ».

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fleche23 juillet 2019: Philippe Meyer

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Lundi, au festival d’Avignon, Philippe Meyer présentait un spectacle, Ma radio, retraçant ses rapports depuis son enfance à cet invité permanent dans les foyers. Il parle, il chante, émeut ou fait grincer les dents et nous rappelle des tas de souvenirs et d’émotions  qui somnolent dans le dortoir de nos mémoires. Présent sur France Inter pendant près de vingt ans (une chronique quotidienne : Nous vivons une époque moderne, puis une émission hebdomadaire consacrée à la chanson, La prochaine fois je vous le chanterai ), collaborant à France musique et à France culture (il a annoncé en direct le 29 mai 2017 son limogeage de cette chaîne) il a donc été pendant de longues années dans le paysage audio-visuel auquel il apportait son esprit critique, son sens sociologique, sa culture, son humour et son goût pour la chanson (il m’avait il y a quelques années fait le cadeau de préfacer mes Cent ans de chanson française…).

Je vous donne un petit aperçu de son humour ravageur : à propos du personnel politique qui retourne sa veste ou change de bord (nous en avons vu pas mal depuis l’arrivée de Macron dans le paysage) il a cette formule : Comme quoi quand on change de trottoir on continue à faire le même métier. Le plus vieux métier du monde, comme on sait, ou comme on dit, la prostitution.

Bref, si son spectacle passe par chez vous, courez-y !

 

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fleche15 juiillet 2019 : Calculer

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Dans Le canard enchaîné de cette semaine un dessin a retenu mon attention. On y voit le mathématicien Cédric Villani déclarer : « Le seul truc au monde que je ne peux pas calculer, c’est Griveaux ».

Rappelons les faits. Le parti au pouvoir devait choisir son candidat à Paris pour les prochaines élections municipales, et c’est Benjamin Griveaux qui fut désigné, ou imposé, face à Villani qui semblait avoir les faveurs de beaucoup de militants. Mais ceci n’explique pas la phrase que lui prête le dessinateur : d’une part un mathématicien devrait savoir calculer, et d’autre part que peut bien signifier calculer quelqu’un, en l’occurrence Griveaux ?

Nous sommes, bien sûr, face à un jeu de mots. Le verbe calculer signifie depuis le 14ème siècle en français « déterminer un nombre par une série d’opérations sur d’autres nombres ». C’était le sens du latin calculare, lui-même venant de calculus, « caillou, jeton, boule ». Et ce point de vue, il est impossible de donner un sens à la phrase prêtée à Villani : on voit mal comment il pourrait « déterminer Griveaux par une série d’opérations… »

En fait il s’est produit il y a une vingtaine d’années un élargissement du sens de ce verbe, qui signifie également aujourd’hui « prendre en considération, respecter », phénomène explicable par les pérégrinations des francophones. Il y avait en arabe classique deux verbes ne se différenciant que par une voyelle : hasaba et hasiba. L’un avait le sens du latin calculare et l’autre signifiait « respecter, considérer ». En arabe algérien, ces deux verbes ont été confondus sous la forme haseb qui a dès lors exprimer les deux sens. Le double sens de haseb en arabe algérien est passé au français des pieds noirs, puis au français des rappeurs marseillais et s’est ensuite diffusé sur l’ensemble du territoire. Cette évolution est comparable à celle qui a mené des verbes latin locare et laudare, dont le sens perdure dans les mots location et laudation, à la forme unique louer. On peut ainsi aujourd’hui louer une voiture ou louer dieu. Et l’on comprend ainsi pourquoi Villani n’arrive pas à calculer  Griveaux.

Rien de très nouveau dans tout cela, direz-vous : la langue change sans cesse. Mais encore faut-il calculer ses changements.

 

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fleche13 juillet 2019: Une affaire chasse l'autre, de Benalla au homardgate

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Il y a un an, le feuilleton Benalla battait son plein, et il reviendra sans doute. Nous eûmes ensuite celui des gilets jaunes, celui de Carlos Ghosn et, dans les trous laissés par ceux-ci, le feuilleton comique à rallonge du Brexit et celui de l’affaire Lambert, qui semble, lui, toucher à sa fin. Et puis, subitement, télescopage : le déremboursement de l’homéopathie, vite détrôné par le début de l’affaire de Rugy.

Nous avons entendu, à propos de l’homéopathie, tous les arguments possibles, pour ou contre le déremboursement. Le plus sain (s’agissant de santé, l’adjectif me paraît bienvenu) m’a semblé être celui selon lequel, si l’homéopathie est une médication, alors, comme tous les médicaments, elle doit  faire la preuve de son efficacité. Et le plus spécieux est sans doute celui selon lequel le déremboursement mènerait à la disparition des homéopathes et au danger de voir n’importe qui prescrire ces petites pilules, alors qu’il ne s’agit nullement d’interdire l’homéopathie et qu’il y a en pharmacie des centaines de produits non remboursés que les pharmaciens peuvent conseiller et vendre (des antalgiques, des sirops…), ce qu’ils font d’ailleurs aussi pour l’homéopathie. Mais bref, un sujet chasse autre et l’homéopathie a donc été détrônée dans les media par de Rugy, n’ayant plus aujourd’hui qu’une place…homéopathique.

Début septembre 2018, commentant le remplacement du populaire Nicolas Hulot par le pâlot François de Rugy je citais sur ce blog un article de Libération selon lequel ce remplacement ne changerait rien : « Qu’il s’agisse de Hulot, d’une plante verte, de François de Rugy, d’un bigorneau ou du pape, le résultat sera le même ». et j’ajoutais qu’en fait,  bigorneau pour bigorneau, Hulot était un bigorneau vivant, frais, alors que Rugy était plutôt un bigorneau surcuit. Mais je ne me doutais pas qu’il avait à ce point du goût pour les gros homards frais et cuits à point. Je m’étonne d’ailleurs du silence des animalistes, qui devraient protester à grands cris car, pour bien faire cuire un homard, il faut le jeter vivant dans de l’eau bouillante. La pauvre bête ! Mais monsieur de Rugy a assez de problèmes comme ça…  Ces homards donc, et quelques bouteilles de grands crus,  pourraient donc lui être fatals et, pour ceux qui se souviennent de l’affaire Ghislaine Marchal (« Omar m’a tuer »), il pourrait lancer à son tour Homard m’a tuer, le jour où ceux qui au gouvernement feignent de le protéger le pousseront vers la sortie et que, comme Richard Nixon poussé à la démission par l’affaire du watergate, il soit victime du homardgate.

En attendant, puisqu’une affaire chasse l’autre dans le monde médiatique, les paris sont ouverts pour la suivante.

 

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fleche2 juillet 2019:  一國兩制

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Il y avait quand j’étais jeune un jeu, « chaud et froid », qui existe peut-être encore aujourd’hui mais j’en doute : il n’en existe pas de version numérique. On cachait un objet qu’un des joueurs devait découvrir et les autres, pour l’aider, disaient « c’est tiède, chaud, brûlant » au fur et à mesure qu’il s’en rapprochait, ou « c’est froid, glacé, glacial » s’il s’en éloignait. En ces temps de réchauffement climatique, ce jeu prendrait une certaine saveur. Mais, d’un point de vue écolinguistique, il est bien possible que les adjectifs glacial, glacé et froid disparaissent de notre vocabulaire. Ils pourraient cependant perdurer dans les rêves et viendraient rafraîchir les psychanalystes auxquels les analysants les raconteraient, ou du moins rafraîchiraient leur mémoire : il fut un temps où la glace existait…

Mais il n’y a pas que la glace qui est en voie de disparition. Tenez, la formule que Deng Xiaoping avait lancée avant la rétrocession de Hong Kong à la Chine, Yī guó liǎng zhì, « un pays de système »  (一 国两制  en chinois simplifié, et pour ceux qui préfèrent le classique,  一 國兩制). Elle avait bien sûr pour fonction de rassurer la population de Hong Kong (où elle se dit Yāt gwok léuhng jai) mais surtout celle de Taïwan, pour lui signifier qu’elle pouvait être agrégée à la Chine communiste en gardant son système politique et économique démocratique. Mais ce qui se passe en ce moment pourrait bien mettre à bas tout cet édifice, et la formule que je viens de citer pourrait être transformée en un seul pays, un seul système.

Un pays deux systèmes, la formule semble pourtant être revendiquée plus près de vous. Hier soir, à Levallois-Perret, Patrick Balkany est venu présider le conseil municipal sous des applaudissements nourris. On a requis contre lui sept ans de prison ferme et dix ans d’inéligibilité,  il est probable qu’il sera condamné, mais ses administrés lui font un triomphe. En France, la loi interdit un certain nombre de pratiques et les tribunaux condamnent ceux qui ne respectent pas cette loi. La France est un pays dont Levallois-Perret fait partie, mais il semble que dans la tête des Levalloisiens, ou du moins dans la tête de certains d’entre eux,  ce système juridique ne doive pas s’appliquer à leurs édiles. Un pays deux systèmes, donc, le système de Levallois-Perret et celui du reste du pays.

Alors, Hong-Kong et Levallois-Perret même combat ? Pas vraiment. Hong-Kong a une économie florissante : le revenu par habitant est d’environ 61.000 dollars américains (contre environ 16.000 pour la Chine continentale). Celui des Levalloisiens est d’environ 38.000 euros, mais la commune est la plus endettée de France : 544 millions d’euros de dette, soit 7.000 euros par habitant. Surtout, les millions de manifestants qui défilent à Hong Kong se battent pour la démocratie, tandis que les Levalloisiens qui applaudissent Balkany se battent pour le maintien du droit aux prébendes, à la corruption, à la fraude fiscale.

Ce que ces deux lieux ont en commun, ce serait plutôt le système mafieux, qu’on appelle là-bas les triades. Une triade est dirigée par un homme que peu de gens connaissent et qu’on appelle « la tête du dragon ». Il est entouré de quatre adjoints : celui qui s’occupe des finances (« l’éventail de papier blanc »), celui qui s’occupe de la loi interne (« le bâton rouge »), celui qui gère les affaires extérieures (« la sandale de paille ») et enfin celui qui s’occupe du recrutement des membres (« le maître des encens »). Alors, à votre avis, quel titre mériterait Balkany ? Rien ne vous convient ? Passez à la mafia : laquelle lui convient le mieux, Camorra, Cosa nostra, N’drangheta, Sacra corona unita ? Lorsque vous aurez fait votre choix (dans le paradigme de la mafia ou dans celui des triades), demandez aux gens de votre entourage à quel homme politique français ce terme les fait penser, en les guidant dans leur recherche : « c’est tiède, chaud, brûlant », « c’est froid, glacé, glacial ».

 

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Juin 2019

 

 

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fleche27 juin 2019: Politiquement correct ou économiquement rentable?

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J’ai reçu ce matin un message qui m’a fait réfléchir :

« Monsieur CALVET, je me permets de vous contacter car votre profil est en lien direct avec notre programme de formation diplômant : MASTER-MBA FINANCE IHFI option "Blended" ou "Online". Ce programme vise à vous faire évoluer vers une carrière dans la finance internationale et accéder aux différentes dimensions financières de la décision stratégique. Donnez un nouvel élan à votre carrière et évoluez vers un poste de Directeur financier, Directeur administratif et financier, Responsable financier et trésorier, Directeur général adjoint en charge des finances... »

Mon rêve ! Etre directeur financier, directeur administratif et financier, directeur général adjoint (pourquoi adjoint ?) en charge des finances ! Cela est tout à fait dans mes cordes !

Trêve de plaisanterie. Le hasard fait que mardi, dans Libération, je lisais  un billet d’une « chercheuse à la Rennes School of Business » intitulé Publicité : les lesbiennes frappées d’invisibilité. L’article partait d’un constat : les hommes gays commencent à apparaître dans la publicité (et les exemples étaient Volvo, Evian, Mac Do) mais pas les lesbiennes, alors qu’elles commencent à apparaître dans « des séries populaires comme Plus belle la vie,  Candice Renoir ou Dix pour cent ». Et la « chercheuse à la Rennes School of Business » s’interrogeait : « Comment expliquer cette frilosité spécifique ? ». Pour elle, cela tenait à « l’écart de niveau de vie entre les hommes et les femmes homosexuels » : aux Etats Unis les couples gays gagneraient près de 30% de plus que les couples lesbiens. Une fois cette constatation posée, la conclusion était évidente : « On peut penser que (les marques) qui, les premières, prendront le risque de s’adresser explicitement à elles (aux lesbiennes) bénéficieront  ensuite pour longtemps de leur reconnaissance et loyauté. Plus encore, à l’heure où les femmes balancent leurs porcs et jouent au foot dans des stades de prestige, on peut imaginer que le grand public féminin pourrait être attiré par des marques proposant simultanément de petites robes et des vêtements à la garçonne, s’appuyant sur certains codes lesbiens ». On prête à De Gaule la formule suivante, « des chercheurs qui cherchent on en trouve, des chercheurs qui trouvent, on en cherche », mais à la Rennes School of Business (au fait, pourquoi pas l’école de commerce de Rennes ?) les chercheurs trouvent.

Je me suis frotté les yeux, j’ai lu et relu, mais je ne m’étais pas trompé. J’ai toujours été pour la parité mais pas nécessairement pour les quota, et j’ai toujours eu quelques réticences envers le politiquement correct, mais je n’avais pas pensé qu’on puisse substituer aux arguments politiques ou éthiques des arguments économiques. Le politiquement correct serait-il en train de se transformer en économiquement rentable ? Et la lutte pour la justice devrait-elle se transformer en lutte pour le profit ?

La Rennes School of Business est un peu trop éloignée de mon lieu de résidence pour que je m’y inscrive, mais je vais reconsidérer la proposition d’étudier par correspondance pour devenir Directeur financier, Directeur administratif et financier, Responsable financier et trésorier, Directeur général adjoint en charge des finances, s’ils me proposent une formation adaptée aux métiers de la publicité. J’imagine déjà des slogans chocs : placez votre argent dans l’accueil des migrants, augmentez vos bénéfices grâce aux mal logés, investissez dans Médecins du monde et vous vendrez plus de médicaments, la paix au Yémen (ou au Mali, en Syrie, où vous voudrez) c’est bon pour le tourisme…

Nous vivons une époque moderne, gouvernée par le fric. Mais cela, nous le savions déjà.

 

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fleche20 juin 2019: Thérapie

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Ce matin, au bistrot, deux hommes, jeunes mais apparemment experts en économie politique, commentent le titre du journal du jour sur une possible légalisation du cannabis :

« I-z-ont raison ! Aux Pays-Bas i-z-ont sauvé leur pays avec ça. I-z-ont pas une dette de plusieurs milliards »

J’avoue que je n’avais pas vu cet aspect du problème : le H venant au secours de l’équilibre des comptes publics. Alors, vous savez ce qu’il vous reste à faire, messieurs-dames les politiques. Madame Macron pourrait cultiver de la beuh dans les jardins de l’Elysée. Castaner pourrait demander aux honorables membres des forces de l’ordre de vendre du shit sous le manteau (pardon, sous le bouclier) afin qu’on puisse leur payer les heures supplémentaires qui s’accumulent. Et Sibeth Ndiaye, la porte-parole du gouvernement, qui a déjà l’air un peu allumée, pourrait distribuer des joints lors de ses conférences de presse. N’oublions cependant pas que cette légalisation serait à usage thérapeutique. Benjamin Griveaux pourrait donc se préparer à en consommer pour se consoler de son échec aux élections municipales à Paris. Et, en toute urgence, il faudrait, pour d’évidentes raisons humanitaires, en livrer quelques kilogs à Mélenchon…

 

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fleche15 juin 2019:Baleines ou Galles?

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Comme vous le savez, l’inénarrable Trump a fait une visite officielle en Grande-Bretagne et, twittant comme à son habitude, il a écrit qu’il avait rencontré le Prince Charles, Prince de Galles. Jusque-là, rien à signaler. Sauf que, comme vous le savez aussi, Trump s’exprime en anglais (enfin, comme on va voir, dans un anglais approximatif). En effet, en anglais, Prince de Galles se dit «Prince of Wales ». Or, selon son texte, Trump a rencontré le Prince of Whales, c’est-à-dire le « prince des baleines ». Et, comme il est peu probable que les USA aient créé une nouvelle distinction, il semble bien que leur président confonde Wales et Whales. Ses électeurs devraient se cotiser pour lui offrir des cours d’anglais…

 

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fleche14 juin 2019: Obama en Avignon

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Barack Obama vient passer une semaine de vacances à Avignon. La presse locale s’en donne à cœur joie et un généalogiste a même expliqué qu’ Obama avait, du côté de sa mère, des origines dans la région de Reims, remontant à l’époque de Jeanne d’Arc. Ouah ! Pourquoi du côté de sa mère ? Parce qu’elle est blanche, pardi. Et pourquoi ne descend-t-il pas directement de Jeanne d’Arc ? Ces généalogistes n’ont décidément aucune imagination. Car Jeanne d’Arc était noire, du moins l’a été à un certain moment de sa vie, tout à la fin. Sur son bûcher, avant de cramer définitivement, elle aurait crié « je veux descendre », ce qui fait preuve chez elle d’un remarquable sens de l’humour, immédiatement saisi par le bourreau british qui lui aurait répondu : « t’en fais pas, tu en auras, des cendres ».

Quoiqu’il en soit,  cela aurait de la gueule que notre Jeanne nationale, sainte patronne des  femmes au foyer comme on sait, soit la lointaine aïeule d’Obama. Elle était pucelle ? Elle ne peut pas avoir de descendance ? Pourquoi voulez-vous ternir les belles histoires !

 

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fleche8 juin 2019: Les ble.u.e.s

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Depuis quelques jours les media français parlent sans cesse de la coupe du monde de football féminin. Et, bien sûr, tout le monde (enfin presque tout le monde) rêve aux chances de l’équipe nationale. Le président de la république est allé les encourager à leur entraînement, on nous parle du nombre de billets vendus, nous informe qu’on devait jouer hier à guichets fermés (mais il s’agit d’un stade à dimensions réduites), du montant des droits de transmission télévisuelle attendus, etc. Mais l’événement dépasse la sphère du sport et devient un thème de revendication féministe. En particulier, une autre question, pécuniaire celle-ci, nous mène lentement à l’une des vérités du sport. Le salaire mensuel moyen d’une footballeuse serait de 2.494 euros  contre 100.00 euros pour les footballeurs. Réclamer l’égalité des salaires peut apparaître comme une juste revendication, mais ce serait ignorer les rouages financiers du football (et d’autres sports d’ailleurs). Et les footballeuses sont ainsi transformées, volens nolens, en militantes ou en ambassadrices de la cause des femmes et de l’égalité.

Nous sommes donc presque sommés d’être partisans, de soutenir les femmes. Le titre en une de Libération  de vendredi est sur ce point explicite : « Les femmes touchent au but ». Suivent sept pages complètes, avec encore un titre « à la Libé », « le foot tout feu tout femmes ». Pour leur part, les journalistes audiovisuels font des acrobaties phonétiques pour distinguer entres les bleues, dont ils épellent la finale (e.u.e.s) et les bleus (e.u.s), ce qui est une façon de mettre l’accent, sans qu’ils le sachent sans doute, sur les différences entre l’oral et l’écrit et donc sur l’un des problèmes, parfois,  de la féminisation du lexique.

Pour ma part je dois dire que le football masculin ne m’a jamais intéressé, au contraire : je déteste ce monde du fric, de la frime et de la magouille et je ne vois pas pourquoi le foot féminin m’intéresserait. Mais je ne vois pas non plus pourquoi les femmes ne feraient pas du foot, de la boxe, du rugby ou tout autre sport : c’est leur droit le plus strict. Mais en faire une revendication féministe me dépasse un peu.

 

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fleche7 juin 2019: Soirée radamanesque

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Je l’ai déjà signalé ici :  je viens de faire un court séjour à Tunis. Il s’agissait pour moi de faire une conférence, mais dans un contexte un peu particulier. L’institut français avait en effet organisé ce qu’on appelle en Tunisie une « soirée radamanesque ». Après le coucher du soleil, donc, une conférence (la mienne), puis un poète, mon ami Samir Marzouki, dit cinq de ses poèmes, puis Wafa Ghorbel chante cinq chansons, puis Marzouki revient avec cinq poèmes et Ghorbel termine avec cinq chansons. La conférence est en français, les poèmes sont majoritairement en français (l’un est en arabe classique et l’autre, savoureux, en tunisien) et les chansons sont majoritairement des chansons françaises en partie traduites en arabe. Bref, si cela vous intéresse, voici le lien pour visionner le film de l'ensemble :

https://www.facebook.com/IFTunisie/videos/vb.159195794173874/1327611750713234/?type=2&theater

 

 

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Mai 2019

 

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fleche27 mai 2019: De Tunis à Aix-en-Provencel

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Je viens de faire un court séjour à Tunis et, dans la même journée, les deux chauffeurs de taxi que j’ai pris m’ont, après un court échange, posé la même question, me demandant si j’étais juif tunisien. « Pourquoi ? » « Parce que tu parles arabe. Les français ne parlaient pas arabe ». En fait se tenait à Djerba le pèlerinage annuel de la Ghriba, auquel se rendent des milliers de juifs, et ceci explique cela, mais ce n’est pas cette question qui m’a frappé, plutôt son ton. Pendant de longues années j’ai entendu des Tunisiens prononcer le mot youdi comme un crachat. Je me souviens même d’un ami d’enfance qui, après l’avoir prononcé, m’avait dit « je vais me laver la bouche ». Or cette question, « tu es juif tunisien », sonnait presque comme une bienvenue. Les temps changent, et c’est à mettre au crédit de l’état tunisien qui, plutôt que d’alimenter l’antisémitisme, a même nommé un "juif tunisien" ministre du tourisme. Mais revenons à mes chauffeurs de taxi. L’un des deux, au cours de notre discussion, m’a posé une autre question : « je sais que c’est indiscret, mais vous allez voter Le Pen ou Macron ? ». Macron a tellement cherché à instrumentaliser l’élection européenne en duel que pour un taximan tunisois il s’agissait de choisir entre les deux susdits.

Hier, rentré en France, je suis allé voter (ni pour Le Pen ni pour Macron d’ailleurs) puis je suis allé au bistrot prendre un café et lire la presse. A la table d’à côté quatre hommes, sortant eux aussi du bureau de vote, discutaient. L’un d’entre eux lance : « c’est quoi, cette liste espéranto » ? Un autre, très sûr de lui, rétorque « c’est une langue qui est arrivée il y a vingt ans ». Un autre, sachant sans doute vaguement qui je suis, m’interroge. Je réponds « Plutôt en 1887 ». « Ah, j’étais pas né », lance le premier, poursuivant « c’est des missionnaires qui ont trouvé cette langue en Amérique et l’on ramenée en France ». On me sollicite à nouveau, j’explique rapidement que ce n’est pas tout à fait ça et revient à mes journaux. Il y avait 34 listes en France à cette élection, ce qui paraît beaucoup, et la liste Europe démocratie espéranto a obtenu 0,08% des voix. Venu d’Amérique du sud il y a vingt ans ou inventé par Zamenhof en 1887, l’espéranto n’est pas vraiment populaire. Plutôt que de gaspiller de l’argent pour rien, ses promoteurs auraient dû la baptiser Macron, démocratie, espéranto, ou Le Pen, fascisme, espéranto. Cela leur aurait peut-être mieux réussi.

 

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fleche21 mai 2019: Ras le bol

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Ce site était en panne lorsque j'ai rédigé le billet ci-dessous, et je n'ai donc pas pu le mettre en ligne. Puis je me suis absenté trois jours, et il m'a fallu deux jours pour tout remettre en ordre. Le texte que vous allez lire est donc peut-être dépassé. Mais...

Nous n’en avons pas fini avec l’affaire Lambert, comme on dit. Il y a longtemps que nous ne sommes plus dans un débat médical, éthique ou juridique mais en pleine idéologie, en pleine hystérisation d’un débat grave qui est porté sur la scène publique pour des raisons troubles. Tous les experts se sont accordés sur le fait que l’état de ce pauvre homme était irréversible mais ses parents accumulent depuis des années les procédures. Pour le bien-être de leur fils ou pour leur idéologie ? Ils ont tourné hier une vidéo immédiatement publiée sur les réseaux sociaux. On y voit Vincent Lambert, le visage immobile, inexpressif, les yeux ouverts et les paupières clignant parfois. Et on entend la voix de sa mère : « Vincent, ne pleure pas mon petit, nous sommes là, ne pleure pas, qu’est-ce qu’ils t’ont dit ?… » J’ai regardé deux fois cette vidéo, et il n’y a pas une seule larme sur le visage. Cette utilisation médiatique de ce pauvre homme est proprement obscène. Comme on sait, les parents Lambert sont proches des milieux catholiques intégristes. Pour être plus précis, le père de Vincent Lambert « a été un opposant actif à l’IVG », sa mère « est proche de la fraternité Saint-Pie-X » et leur avocat « est un juriste bien connu des milieux intégristes » (je cite Libération d’aujourd’hui). Et tout est bon pour jouer les cartes les plus répugnantes afin de mobiliser leurs troupes..

Tout récemment, aux Etats-Unis, le sénat d’Alabama a interdit l’IVG, vote obtenu par vingt-cinq hommes blancs, sous l’influence dit-on du mouvement Faith2action : des chrétiens intégristes. Et les religions commencent à nous casser singulièrement les pieds. Les intégristes musulmans, catholiques ou juifs feraient mieux de rester dans leurs mosquées, leurs églises ou leurs synagogues plutôt que de vouloir imposer à la société toute entière leur croyance, leur idéologie, leurs pulsions. Ils ont le droit d’y tenir, mais pas celui de vouloir en faire une loi séculière. La vie est un don de Dieu a dit hier le pape François. Mais alors la mort aussi, et entre ces deux extrêmes, la vie, la mort, doit-on prolonger une « obstination déraisonnable », doit-on forcer un homme à vivre une « vie » invivable et artificiellement maintenue pour le seul bénéfice d’une idéologie ?

J’ai parlé des Etats-Unis et ce n’est pas par hasard, car les choses y sont bien pires. Là-bas, les évangélistes intégristes sont pratiquement au pouvoir, ils ont largement participé à l’élection de Trump qui leur renvoie bien l’ascenseur. Alors ils tentent d’imposer leur volonté médiévale au pays tout entier. Remarquez, on les comprend, ces évangélistes. On comprend leur obstination à dénier aux femmes le droit de disposer de leur corps. Une hypothèse : si Marie avait avorté (après tout elle était fille mère, peut-être violée par un certain Gabriel) il n’y aurait pas eu de Christ, donc pas de chrétiens, et encore moins de chrétiens intégristes. Je blasphème, moi ? Peut-être , mais le droit au blasphème est encore inscrit dans la loi, du moins en France.

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fleche20 mai 2019: Vive Sarkozy

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Je sais, ce titre en surprendra plus d’un. Depuis les longues années que je m’intéresse à la politique, jamais un responsable ne m’a semblé aussi vulgaire, aussi inculte, jamais je n’ai eu autant honte qu’en voyant la majorité de mes concitoyens voter pour lui. Pourtant il a, dans sa vie, fait au moins une bonne chose. C’était le 8 janvier 2008, et à sa manière habituelle, entre petite frappe et gamin dans la cour de l’école, il lançait sa bombe : la suppression de la publicité sur les chaînes publiques. Ni Christine Albanel, ministre de la culture, ni Georges-Marc Benamou, conseiller chargé de l’audiovisuel à l’Elysée, n’étaient au courant, et dans le monde audiovisuel le service public s’affole (comment compenser cette perte de ressources ?) tandis que le public se frotte les mains (nous allons récupérer ces annonces publicitaires). En fait l’idée ne venait pas de  lui : Sarkozy n’a jamais eu la moindre conviction, il cherchait simplement à faire un coup parce qu’il n’avait rien à dire de frappant en cette conférence de presse du 8 janvier. On raconte que c’est Alain Minc qui, un soir, à l’Elysée, lui aurait soufflé : "Tu dois continuer à jouer à contre-emploi. Pourquoi pas sur la télévision ? François Mitterrand l'avait privatisée, tu peux être celui qui va la nationaliser."

Il n’empêche, le résultat en fut un vent de fraîcheur. On pouvait enfin écouter le journal, puis passer à une émission ou à un film, sans être assailli par cette pollution publicitaire qui pourrit les neurones. Mais, dix ans après, il nous faut déchanter. Avant et après chaque émission il nous faut supporter des annonces stupides :

Ecoutez la météo avec (publicité pour une marque de lavage d’automobile)

C’était la météo avec (marque de jardinerie)

Evadez-vous avec la météo (dessert au lait de vache bio)

Vous avez profité de votre fiction avec (marque de prothèse auditive)

Accordez-vous un bon moment avec (un parc pour oiseaux)

C’était votre série, votre soirée ou votre fiction avec , etc.

Tout y passe : produits de beauté, marques de voitures, régimes amaigrissant, crème épilatoire, produit anti-moustiques, machine à café, anti-inflammatoire, nourriture pour chien, caisse d’épargne, boite d’épargne en ligne, et j’en passe… Boris Vian est battu, lui qui dans La complainte du progrès énumérait en 1956 :

Autrefois pour faire sa cour, on parlait d'amour, pour mieux prouver son ardeur, on offrait son cœur, maintenant c'est plus pareil, a change, ça change, pour séduire le cher ange, on lui glisse à l'oreille  Ah, Gudule! viens m'embrasser et je te donnerai :
Un frigidaire, un joli scootaire, un atomixaire, et du Dunlopillo, une cuisinière avec un four en verre, des tas de couvaires, et des pelles à gâteaux. Une tourniquette pou faire la vinaigrette, un bel aérateur pour bouffer les odeurs, des draps qui chauffent, un pistolet à gaufres, un avion pour deux et nous serons heureux.

Je ne sais pas par quel tour de passe-passe les chaînes publiques ont réussi, en douce tout d’abord, puis de plus en plus ouvertement, à revenir à cette pollution insupportable. Mais, tout de même, Vive Sarkozy : de son temps, c’était mieux !

Redevenons sérieux. Il ne vous a pas échappé que l’expression Vive X ou Y est la forme abrégée d’un souhait, Que vive X ou Y. Dès lors, vraiment, que vive Sarkozy le temps de passer devant les tribunaux pour répondre des diverses casseroles qu’il traîne aux fesses.

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fleche19 mai 2019: Nilda Fernandez

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Nilda Fernandez est mort cette nuit, à 61 ans. Il avait eu une carrière en dents de scies, alternant les succès (Madrid Madrid, Nos fiancailles, Mes yeux dans ton regard, etc.) et les quasi disparitions de la scène française, chantant sous d’autres cieux, le plus souvent hispanophones. En 1999 il avait sorti un disque, Mes hommages, dans lequel il interprétait les chansons des autres, Barbara (Dis quand reviendras-tu ?), Ferrat (Ma môme), Ferré (Les anarchistes), Moustaki (En Méditerranée), Béart (Il n’y a plus d’après), Ferrer (La maison près de la fontaine), Christophe (Señorita) histoire de marquer ses références françaises. Mais il avait aussi consacré un disque à Federico Garcia Lorca et chantait souvent en espagnol, en particulier en Argentine. Nous nous étions croisé deux ou trois fois en vingt ans et nous sommes retrouvés après la mort de Georges Moustaki, en 2013. Il m’avait confié un très long texte fait d’échanges de mails avec Jo, pendant deux ans, qu’il m’avait permis d’utiliser pour la biographie que je projetais de refaire. Je vous en cite une partie du dernier, daté du 23 mai 2013 :

Georges, je suis encore à Buenos Aires et tu viens de mourir. Souviens-toi que j'en revenais lorsque je suis passé chez toi pour lancer l'idée de nos correspondances. J'en revenais aussi quand mon père a trépassé dans mes bras à Barcelone, cette ville où tu as chanté pour la toute dernière fois et qui m'a vu naître.  Mon séjour argentin a commencé hier par un concert. A dix heures du soir, j'ai démarré de manière inhabituelle par un sonnet de Lorca : Amor de mis entrañas, viva muerte, En vano espero tu palabra escrita.  Une heure et demie plus tard, le poème de Borges que tu me demandais chaque fois que nous étions ensemble sur scène : Manuel Flores va a morir Eso es moneda corriente Morir es una costumbre que sabe tener la gente. Suivi par un très court poème de Lorca : Cuando yo me muera Enterradme con mi guitarra Sobre la arena.  Enfin, une chanson presque jamais chantée en public, qui commence par : Suite à votre dernière lettre j'ai un peu décroché...  La mort était tellement présente que je me suis senti obligé de me justifier en expliquant que les chansons tristes ne sont pas faites pour peiner, mais pour consoler.  A 23:45, j'arrêtais de chanter. Plus tard, dans un boliche encore ouvert de Palermo, des amis ont entonné Ma Liberté.  Revenu chez moi (j'habite un immeuble où Lorca venait dire ses poèmes dans la cour), je recevais un message de Paris m'annonçant qu'à 4:45, (23:45 de Buenos Aires !), tu rendais le dernier souffle de ces poumons qui te faisaient tant souffrir, et depuis si longtemps.

Au cours de l’hiver 2017, j’étais allé l’écouter dans une salle de spectacle, à Paris. Le lendemain il m’écrivait (il savait que j’étais pari juste avant la fin) :  je suis touché que tu aies été parmi nous. En tout dernier (mais je pense que tu étais déjà parti) on a chanté Le Sud (public + nous), avec un petit coup de fil à l'épouse de Nino. Et puis, il y a quelques mois, il me téléphonait, pensant que j’étais à Paris alors que j’étais à Aix, pour me dire en gros : « je suis dans un bistrot de la porte de Saint-Cloud, tu viens me rejoindre ». Comme sa carrière française, nos relations étaient en dents de scie.

flecheSon prénom était Daniel, qu’il avait changé en Nilda, comme pour le féminiser en écho à sa voix, un peu androgyne. J’ai écrit je ne sais où qu’il était le Janus de la chanson franco-espagnole. Janus, ce dieu à deux têtes, dieu du passage, des portes, tourné vers le passé et vers l’avenir, qui marquait dans le calendrier romain le commencement de la fin de l’année. Nilda Fernandez a passé sa dernière porte.

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fleche15 mai 2019 : Où est l'Europe?

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Sur les réseaux sociaux, plusieurs de mes collègues notent que la question des langues n’apparaît nulle part dans les programmes des candidats français à l’élection européenne. Une seule liste en effet (Europe démocratie espéranto) aborde ce problème: il s’agit d’un mouvement politique assez discret qui milite pour l’adoption de l’espéranto comme langue commune des citoyens européens. Mais il faut souligner que dans leur programme apparaît une référence à toutes les langues européennes, y compris celles des migrants :

« Pour lutter contre les déséquilibres actuels et permettre l’enseignement des langues des pays voisins, des langues minoritaires ou encore des langues de l’immigration, l’Union Européenne favorisera le développement de la compréhension passive et l’utilisation de l’espéranto comme introduction aux langues étrangères »

En effet, la Charte européenne des langues (issue du Conseil de l’Europe et non pas de l’UE) exclut formellement de son champ d’intervention les langues issues de l’immigration, qui sont pourtant plus parlées que les langues régionales (que pèsent le breton ou le picard face à l’arabe en France ou au Turc en Allemagne, même si cette remarque n’enlève rien au droit des Bretons ou des Picards à parler leur langue ?).

Mais le problème me paraît ailleurs. Nous devons voter le 26 mai pour élire des députés européens. Or la plupart des partis français a commis l’erreur de vouloir transformer cette élection en élection franco-française. Macron appelle à faire barrage au parti de Le Pen, lequel parti, ainsi que la France insoumise et les listes issues du mouvement des gilets jaunes, veulent le transformer en référendum anti-Macron. Et tous ou presque semblent se soucier comme de leur premier bulletin de vote de l’élection européenne : ils veulent pour certains rejouer l’élection présidentielle, pour d’autres confirmer leur victoire, pour d’autres encore conforter ou sauver leur parti. Imaginons que la liste du Rassemblement National obtienne plus de voix que celle de la République en marche : Macron perdrait tout à la fois la face et son pari de faire barrage au populisme fascisant.

Et, devant ce dévoiement, l’électeur se demande où est l’avenir de l’Europe dans cette version française de l’élection ?

 

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fleche4 mai 2019: Fake news

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Peu après vingt heures, le 1er mai, le ministre de l’intérieur annonce qu’un hôpital a été attaqué par desmanifestants. BFMTV annonce alors que « la Pitié-Salpêtrière a été attaquée », la directrice de l’hôpital confirme qu’il y a eu une tentatived’intrusion dans le service de réanimation, l’AFP enchaîne avec une dépêche expliquant que des « dizaines de militants anticapitalistes d’ultragaucheblack bloc » ont attaqué l’hôpital. Il s’agit d’une agence sérieuse, mondialement reconnue, et tous les media reprennent donc l’information. L’AFPcorrigera très vite en indiquant qu’il s’agissait simplement de manifestants. Mais l’information a poursuivi son chemin, relayée le jeudi matin par lepremier ministre et par la ministre de la santé, et ce n’est qu’ en fin d’après-midi qu’on diffusera une vidéo tournée par un des membres de l’équipehospitalière montrant que des gens voulant fuir les gaz lacrymogènes et la police ont tenté de trouver un abri, mais qu’ils sont resté dehors.

C’est donc Christophe Castaner qui est à l’origine de ce qu’il faut bien appeler une infox. Le « premier flic de France » devrait être  l’homme le plus renseigné du pays, et c’est lui qui a lancé une fausse info, un mensonge, une imbécillité, comme on voudra,mais qui apparaît comme le premier irresponsable du gouvernement, comme quelqu’un d’incapable de parler sans vérifier ses sources. On peut en rire ouen pleurer, il faut bien constater, une fois de plus, que le gouvernement est en grande partie composé d’amateurs. On pense à l’histoire de l’enfant quicriait sans cesse au loup, que personne ne croyait plus, et qui le jour où il y avait vraiment un loup fut dévoré…

Mais surtout, à l’heure où tout le monde ou presque dénonce les fake news, nous avons assisté à une belle démonstration de leur mécanisme. Les fake news sont réputées être lancées par des complotistes ou par des malveillants, puis avoir une diffusionvirale, être reprises par ceux qui veulent y croire ou ont intérêt à y croire, illustrant le fait qu’une vérité est souvent un mensonge qui nous satisfait ouqui nous profite. C’est exactement ce à quoi nous avons assisté dans cette histoire de fausse attaque d’un hôpital. La  seule différence, mais elle est de taille, est que le complotiste dedépart est une voix supposée autorisée. Castaner, l’homme qui semble parler sans savoir ce qu’il dit…

 

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Avril 2019

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fleche29 avril 2019: Odonymie

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Un odonyme (du grec odos, « route ») est un nom de rue, de place, d’avenue, comme un anthroponyme est un nom d’être humain. Et ces noms ne sont jamais innocents. Pour prendre un exemple simple, il y a eu en France entre 1940 et 1944 de nombreux bébés de sexe masculin baptisés Philippe ou Charles, et ces prénoms en disaient beaucoup sur les parents de ces nouveaux nés, renvoyant à Pétain ou à De Gaulle. Et, dans le domaine des odonymes, il y a, toujours en France, de nombreuses voies portant le nom d’Adolphe Thiers. Faut-il le rappeler, ce dernier fut un grand massacreur devant l’éternel. En février 1871, il est nommé « chef du pouvoir exécutif », c’est-à-dire qu’il a tous les pouvoirs. En mars, le peuple de Paris se soulève, c’est la Commune, le gouvernement se réfugie à Versailles d’où il organise le siège de la capitale puis la répression : massacres (environ 20.000 morts), condamnations à mort, exécutions (un millier au cimetière du Père Lachaise, d’où le célèbre mur des Fédérés) bagne, déportation (en particulier en Nouvelle Calédonie). Georges Clémenceau, alors maire de Montmartre, écrira : « Thiers, le type même du bourgeois cruel et borné, qui s’enfonce sans broncher dans le sang ». Et il y a aujourd’hui, en France, de nombreuses rues ou Avenue Thiers : on célèbre partout le  massacreur de la Commune.

Il y a donc une rue Thiers à Aix-en-Provence, ville dans laquelle je vis et dans laquelle il est né. Ou, du moins, il y avait, puisque samedi dernier, le 27 avril, elle a été rebaptisée rue « Josette et Maurice Audin ». L’information peut surprendre, lorsqu’on sait que la municipalité aixoise est aux mains d’une droite bien épaisse et bien bête. Qu’est-ce qui leur est passé par la tête ? Maurice Audin était une jeune assistant de Mathématiques à l’université d’Alger, membre du parti communiste algérien, militant de l’indépendance du pays, qui disparut en 1957, à 25 ans, enlevé et clandestinement exécuté par l’armée française. Et nul ne sait où il repose. Après un long combat de sa femme Josette, le président Macron a d'ailleurs reconnu le 13 septembre 2018 la responsabilité de l’État français dans sa disparition. On se demande donc comment une municipalité plus proche des Pieds Noirs et de l’OAS que de l’indépendance de l’Algérie a pu prendre une telle décision.

Ne laissons pas planer plus longtemps ce mystère. En fait si les plaques ont été remplacées, c’est à l’initiative d’un certain nombre des partis et d’associations (PCF, PS, CGT, Ligue des droits de l’homme, Syndicat de la magistrature, EELV, etc.) C’est ce qu’on appelle le devoir de mémoire.

Reste une question : combien de temps ces plaques resteront-elles en place ? J’irai voir demain matin et vous tiendrai au courant.

 

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fleche17 avril 2019: Au feu !

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Avec Notre-Dame de Paris, le « plan com » d’Emmanuel Macron est parti en flammes. Depuis des jours tout le monde supputait : Qu’allait-il annoncer ? Saurait-il contenter tout le monde et les gilets jaunes ? Comment allait-il prendre en compte les données du « grand débat » ? Et, lundi soir, alors que son allocution était déjà enregistrée, les évènements de l’île de la Cité ont renvoyé tout cela à la poubelle, ou aux archives.

Pourtant toute la macronie était sur la sellette. L’hebdomadaire Le point du 21mars mettait en couverture une photo du ministre de l’intérieur, Castaner, avec ce titre : Les stagiaires : ce qui cloque en macronie  Et début avril, Pauline Théveniaud et Jérémy Marot publiaient un livre, Les apprentis de l’Elysée. Stagiaires, apprentis : dans les deux cas, une même constatation, ou une même hypothèse : les ministres et ceux qui les entourent n’étaient pas prêts, pas formés. Et il est vrai qu’à de rares expressions près, le gouvernement est formé de gens qui ne sont pas des élus, ne connaissent guère le terrain politique. En bref, ce sont des amateurs, et ils l’ont montré avec brio, commettant bévues sur bévues. L’affaire Benalla en a été un exemple parmi d’autres : à écouter les ministres faire des déclarations divergentes ou contradictoires, on avait l’impression que l’idée de solidarité gouvernementale leur était étrangère.

Même chose pour le projet de cession des aéroports de Paris. La chose était bien cachée dans un coin obscurs de la loi PACTE, un article sur 222, qui en outre ne précisait pas grand-chose, en particulier ne disait rien sur le pourcentage que pensait garder l’Etat. C’est Benjamin Griveaux qui, une fois de plus, a gaffé le premier, déclarant sur France Inter : « Ce n’est pas une privatisation puisque, vous le savez, l’Etat conservera à peu près 20 % du capital ». Or personne n’en savait rien, puisque le taux de capital que voulait conserver l’état était soigneusement tu. Encore une fois, des amateurs…

Et il en allait un peu de même des députés de la République En Marche : naïfs et tendres comme des poulets de l’année. Vous me répondrez que c’est pour cela qu’ils ont été élus, par souci de changement, de renouveau. Oui, mais faute de bagage politique ils n’ont qu’une boussole : le président. Après la bévue de Griveaux, une coalition de l’opposition de droite et de gauche décide alors de se lancer dans une opération de RIP (référendum d’initiative partagée), procédure qui existe dans la constitution, même si elle est difficile à mettre en œuvre (il faut la signature de plus de quatre millions de citoyens). Scandale du côté du pouvoir! Pour les uns, proposer un RIP c’est affaiblir la démocratie représentative. Pour une députée LREM de Paris c’est « un RIP d’obstruction ». Pour la ministre Gourault cette coalition est un « drôle d’attelage ». En fait, ils se savaient pas quoi dire, étaient incapables d’avancer un argument politique et, comme des chiots se pressant vers les mamelles pour téter le lait de leur mère, ils attendent la parole présidentielle. Une meute qui hurlait, mais sans unisson, attendant que Jupiter leur donne une direction.

Notre-Dame de Paris, donc. Finies les annonces, Jupiter s’est lancé dans un discours unificateur et reconstructif. Notre-Dame c’est la France, le cœur du pays, nous allons la reconstruire. Mieux encore, nous allons la reconstruire en cinq ans. Il pense bien sûr aux Jeux Olympiques de Paris, mais, en même temps, peut-être pensait-il reconstruire la France divisée. Nous verrons samedi ce qui se passera dans les rues…

Pendant ce temps, cependant, fuitaient les éléments de son discours enregistré : dissolution de l’ENA, indexation de quelques retraites sur le coût de la vie, baisse des impôts, RIC local, etc., nous savons désormais tout ce qu’il allait dire, et certains ont commencé à y réagir : c’est trop, ou ce n’est pas assez, oui, non… Mais cette séquence nous a donné comme une leçon de choses : peu importe qu’il parle puisque le contenu de son discours est désormais public. Et cela constitue une sorte de dévaluation du corps et de la voix du Président, devenus dérisoires. Au feu! ZT pas seulement à Notre-Dame. Comment va-t-il s’en tirer ? Nous le verrons bien, mais la machine à communiquer doit chauffer, dans les bureaux de l’Elysée.

 

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fleche11 avril 2019: Syndromes...

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Un syndrome est, dans le vocabulaire médical, un ensemble de symptômes témoignant de certaines maladies ou de certains écarts par rapports à une norme. Et, en général, chacun de ces syndromes porte le nom de celui ou celle qui l’a décrit ou découvert. On parle ainsi en neurologie du syndrome d’Asperger, en génétique du syndrome de Down, en génétique du syndrome de Bloom. Parfois leur nom vient d’un lieu où un comportement a été relevé dans une situation traumatisante, comme pour le syndrome de Lima, le syndrome du Vietnam  ou celui de Stockholm. Emprunté à un mot grec signifiant « ensemble », on pourrait aussi le traduire par « même chemin », ou « chemin commun ».

Le terme est parfois employé en politique, comme dans syndrome d’hubris, une maladie de la démesure qui atteint certains hommes politiques… Je voudrais en proposer un autre, concernant à la fois les hommes politiques et leurs électeurs, qui se caractérise par différents symptômes convergents: un homme politique corrompu au vu et au su de tout le monde, des électeurs parfaitement au courant de ces écarts amoraux, mais en même temps des électeurs qui continuent malgré tout à voter pour cet homme politique corrompu (ou, bien sûr, pour cette femme politique corrompue).

Le plus simple pour définir ce syndrome est cependant d’en développer un exemple. J’aurais pu prendre celui du syndrome Juppé, ou syndrome du fusible, pour désigner une personne condamnée à la place d’une autre (et ici à la place de Jacques Chirac). Mais l’exemple de Patrick Balkany est plus clair encore. Elu en 1983 maire de Levallois-Perret, il effectue deux mandats mais en 1996 il est condamné, ainsi que son épouse, pour prise illégale d’intérêts à quinze mois de prison avec sursis, 200.000 francs d’amende et deux ans d’inéligibilité. En gros ils avaient piqué dans la caisse de la mairie pour se payer (sous l’étiquette trompeuse d’employés municipaux) du personnel s’occupant de leur appartement et de leur résidence secondaire. Or, en 2002, il est réélu député, puis maire au premier tour. Depuis lors il a été réélu à ces deux postes jusqu’en 2017, alors que les affaires s’accumulaient : déclarations mensongères de patrimoine, blanchiment de fraude fiscale, soupçons d’abus de faiblesses. Les symptômes de ce syndrome sont donc clairs : à la fois un politique indélicat et un corps électoral aveugle ou j’m’en foutiste.

Mais ce syndrome n’est pas seulement franco-français. Prenons l’exemple de Benjamin Netanyahou. Il est depuis 2016 soupconné de corruption par la justice israélienne, pour des cadeaux (cigares, bijoux, bouteilles de champagnes) reçus entre 2007 et 2016 par lui et sa famille, de tentative d’entente avec un journal (Yediot Aharonot) afin d’obtenir des articles favorables, de tentative de favoritisme pour le groupe de télécommunications  Beseq toujours pour obtenir une couverture favorable par le journal sur Internet Walla et enfin d’avoir reçu de l’homme d’affaires franco-israélien Arnaud Mimran un million d’euros pour financer ses campagnes électorales. Si tout cela est vrai, c’est beaucoup pour un honnête homme. Et pourtant, il y a deux jours, il vient de remporter les élections et pourrait être pour la cinquième fois premier ministre alors que tout le monde est au courant des accusations que je viens d’énumérer.

La France et Israël sont des démocraties, mais dans les deux cas le corps électoral se soucie comme de son premier bulletin de vote des avanies de leurs élus.

Je propose donc de créer un nouveau syndrome. Je suis trop modeste pour lui donner mon nom, mais quel autre ? Syndrome Balkany, syndrome Netanyahou, syndrome de Levallois-Perret, syndrome d’Israël ? Nous pourrions aussi songer à d’autres lieux et d’autres patronymes : Trump, Bongo, Erdogan, Bouteflika…

Allez, je vous laisse juges. Mais nous vivons une époque moderne, et des démocraties avancées (comme un camembert?)

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fleche10 avril 2019 : Murakami, Ghosn, fiction et réalité

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Je suis depuis longtemps un lecteur assidu des romans d’Haruki Murakami, dont les livres nous entraînent tous aux frontières du merveilleux ou du paranormal. Je viens de terminer les deux tomes de sa dernière œuvre, Le meurtre du commandeur, qui reste dans la lignée des précédents. Pourtant, la fiction puise souvent aux sources de la réalité. Et le narrateur, confronté à des évènements qu’il ne contrôle pas, qu’il ne comprend pas, face à un monde étrange qui s’ouvre devant lui, relate en même temps des détails étonnement d’actualité.

  Publié au Japon en 2017, bien avant donc  le début de « l’affaire Carlos Ghosn», le film relate cependant, comme en passant, les ennuis d’un personnage face à la justice japonaise. Je ne sais rien bien sûr du contenu du dossier Ghosn, comme tout le monde je ne connais que ce que relatent les media, qui n’en savent pas beaucoup plus que nous. Mais le passage ci-dessous sonne étrangement comme un écho des ennuis de l’ancien patron de Renault-Nissan.

« A ce que j’en sais, le parquet de Tokyo, c’est la crème des enquêteurs en ce qui concerne les délits financiers. Ils en sont aussi très fiers. Dès qu’ils ont dépisté quelqu’un, ils recueillent assez de preuves irréfutables avant de le coincer, afin d’être sûrs de pouvoir le poursuivre. Le taux de condamnation est extrêmement élevé. Et les interrogatoires pendant la détention sont impitoyables. Durant leur garde à vue, la plupart des gens sont tellement cassés psychologiquement qu’ils finissent par signer le procès-verbal qui convient aux enquêteurs. Garder le silence tout en résistant à une telle pression n’est pas à la portée du commun des mortels ».

Comme quoi la fiction peut parfois donner une image très réelle de la réalité.

PS. Si vous n’avez jamais lu Murakami, jetez-vous sur n’importe lequel de ses romans.

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fleche4 avril 2019: Vendredire

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Peut-être vous souvenez-vous de cette chanson de l’inimitable Boby Lapointe : « Madame Mado m'a dit, Ne venez pas mardi,  Car il y a mon mari, Qui revient mercredi,  Venez donc vendredi, Mais alors moi je dis,  Je viendrai si ça m'dit dimanche… ». Je dis, ça m’dit, cette revisite des noms des jours de la semaine est sans doute inconnue des Algériens qui, chaque vendredi, manifestent. Mon amie la linguiste Dalila Morsly a publié dans Le soir d’Algérie du 2 avril un article intitulé « un plurilinguisme souriant pour une révolution joyeuse » dans lequel elle donne des nombreux exemples en cinq langues (anglais, arabe algérien, arabe standard, français, tamazight) de la créativité lexicale des manifestants. En voici quelques-un, en français : Algerpleure, Algercrie, Algervie…

Mais elle ne cite pas un nouveau verbe français qui vient d’être créé dans les rues d’Alger: vendredire. Un verbe qui se conjugue, bien sûr, nous vendredirons, ils vendredirent, etc.  Ils disent, ils crient, ils vivent en plusieurs langues, plurilinguisme souriant comme l’écrit Dalila. Parce qu’ils ont des choses à dire, à crier, à vivre, et qu’ils vivent plusieurs langues.

Et je ne peux pas ne pas relever que les « gilets jaunes », qui manifestent chaque samedi depuis 20 semaines, n’ont pas inventé samedire.  Parce qu’ils n’ont rien à dire ?

 

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fleche1er avril 2019: Pierre Encrevé

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Il y a longtemps que j’aurais dû écrire ces lignes, depuis le 13 février pour être exact. Mais il est parfois  difficiles de parler de la disparition de ceux qu’on aime. J’avais connu Pierre Encrevé en 1966 ou 67. Il avait trois ans de plus que moi, venait de soutenir sa thèse sur le « bilinguisme dialectal » de son village natale,Foussais, en Vendée, et Frédéric François nous avait recrutés tous les deux pour rédiger dans un centre de recherche, le BELC, « un manuel de grammaire programmé » pour la formation des moniteurs africains destinés à devenir instituteurs. Avant « d’entrer en linguistique » il avait fait des études de théologie protestante, ce qui aurait dû nous séparer, moi qui suis athée. Nous suivions également le séminaire d’André Martinet, auquel participaient également Claude Hagège et Henriette Walter. Martinet était alors le linguiste français, du moins aimait-il à le penser, et l’institut de linguistique qu’il dirigeait à la Sorbonne était de toute façon le seul de France. Mai 68 allait changer tout cela. La multiplication des universités lancée en 1969 par Edgar Faure, alors ministre de l’éducation nationale, entraîna la création de nombreux instituts de linguistique, et du même coup l’éclatement de cette disciplines en différentes tendances. Pierre partit à l’université de Vincennes, je restai pour ma part à la Sorbonne. Il avait choisi résolument la grammaire générative de Noam Chomsky, je tentais pour ma part de développer une sociolinguistique dans ce lieu où la linguistique fonctionnelle régnait et où l’aspect social de la langue est ignoré.

Mais l’éloignement géographique et les choix théoriques différents ne changèrent rien à notre amitié. Lorsqu’en 1988 Michel Rocard devint premier ministre, il prit Pierre dans son cabinet, chargé des affaires culturelles, de la langue française et de la Francophonie. Et je me retrouvai représentant de la France dans cette organisation internationale. Plus tard, en 1997, il entra au cabinet de Catherine Trautman, ministre de la culture, et œuvra à la signature par la France de la Charte européenne des langues régionales. Il avait entre-temps participé à la publication en français des travaux de William Labov, collaboré avec le sociologue Pierre Bourdieu, et les étudiants que nous formions l’un et l’autre  tentaient d’appliquer notre enseignement dans leurs pays respectifs, en nous opposant parfois. Au Maroc par exemple il y eut des débats sur la question de savoir quelle sociolinguistique, celle d’Encrevé ou de celle Calvet, s’appliquait le mieux à leur situation. Cela nous faisait un peu rire et nous continuions à collaborer de loin chaque fois qu’il était question par exemple du statut des langues régionales en France. Mais il a lui-même raconté en partie tout cela dans Les boites noires de Louis-Jean Calvet.

En fait, Pierre avait choisi la politique institutionnelle, celle des appareils, des ministères, là où je me comportais plutôt en franc-tireur, mais nous avions en gros les mêmes visées et, d’une certaine façon, nous nous complétions. Surtout, nous avions toujours plaisir à nous retrouver autour d’un repas, à faire le point sur notre vie, nos intérêts. Il me parlait de Pierre Soulages, peintre dont il était devenu le grand spécialiste, je lui parlait des situations linguistiques africaines ou de la chanson française. Il y a un ou deux ans il me dit comme en passant que l’été, lorsqu’il retournait en Vendée, il lui arrivait de prêcher au temple. Je m’étonnais : « tu crois encore en Dieu ? ». Oui, me répondit-il avec un petit sourire. Et nous passâmes à autre chose, comme s’il s’agissait d’un détail.

Ce que je retiendrai de lui, outre son sourire presque permanent, c’est sa grande ouverture d’esprit. Ferme sur ses positions, il savait écouter les autres. Il a peu publié, mais sa thèse sur La liaison avec et sans enchaînement ainsi que divers articles sont une importante contribution à l’analyse des liens entre phonologie et société, et ses Conversations sur la langue française, avec Michel Braudeau, un ouvrage qui n’est pas sans lien avec les politiques linguistiques. Si l’on écrit un jour l’histoire de la sociolinguistique française, il devrait y trouver un place de choix. Et j’étais été très peiné, voire choqué, que le site du RFS (réseau francophone de sociolinguistique) n’ait donné aucun écho à sa disparition. Comme si certains  répugnaient à reconnaître la valeur de ceux dont ils se sont largement inspirés. Si ce petit billet pouvait contribuer à réparer cet oubli…  

 
 

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Mars 2019

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fleche24 mars  2019 : Retour au Mali

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Je viens de passer quelques jours à Bamako, où je vais régulièrement depuis 50 ans, mais je n’y étais pas allé depuis cinq ou six ans. C’est dire qu’à chacun de mes voyages je mesure des changements, des transformations, des reculs ou des avancées. J’ai beaucoup de tendresse pour ce pays, le premier d’Afrique noire dans lequel j’ai travaillé, dont je connais la plupart des régions. J’ai toujours plaisir à y retrouver des amis, à utiliser les bribes de la langue bambara qui me restent et que je réactive, à manger la cuisine locale, les sauces au gombo ou à l’arachide, le to. Et, en même temps, je suis chaque fois frappé par les évolutions que j’observe.

Dimanche dernier, à la veille de mon départ, une attaque « terroriste » attribuée au GSIM (groupe de soutien à l’Islam et aux Musulmans) avait fait 23 morts dans le camp militaire de Dioura, au centre du pays, alors   que c’est d’habitude dans le Nord qu’évoluent ces forces. Guère rassurant… Je remarque que la voiture qui m’attend, un véhicule de fonction, a des plaques d’immatriculation blanches, alors qu’elles devraient être bleues, comme tous les véhicules de l’administration. J’interroge mon chauffeur, il m’explique que les étudiants caillassent volontiers les véhicules de l’Etat, et que ces plaques, réservées aux particuliers, constituent une sorte de camouflage. La voiture, parlons-en. Il s’agit d’un 4/4 Toyota diésel à moteur V8 qui consomme plus de 30 litres aux cent kilomètres. Et tous les ministères en sont pourvus. Pas très économe pour un pays qui a du mal à payer ses fonctionnaires et surtout pas très  écolo… Et dans les champs que traverse la route allant de l’aéroport vers le  centre-ville traînent des milliers de sacs en plastique.

Mon hôtel (comme beaucoup d’autres je suppose) est protégé par une entreprise de sécurité privée. L’ accès est contrôlé, on passe par un sas, deux portes dont la seconde ne s’ouvre que quand la première est fermée, comme dans les prisons, on passe une miroir sous les voitures, comme naguère aux check points entre Berlin est et ouest. Même genre de précautions à l’Institut français, où je vais faire une conférence. Bref Bamako semble en état de siège.

Pourtant, dans les rues, la vie n’a guère changé, il y a simplement toujours plus de voitures et de mobylettes.  Le soir flotte une odeur de charbon de bois sur lequel on fait la cuisine, le marché central est toujours aussi fréquenté, la foule s’y bouscule, les gargotes dans lesquelles on va se restaurer sont toujours aussi fréquentées. Et, au moment où j’écris ces lignes j’apprends que samedi, le lendemain de mon retour, une centaine de civils a été massacrée dans un village peul par des chasseurs dogons : au terrorisme islamique s’ajoutent les conflits ethniques. Étrange contraste entre une vie qui semble se poursuivre normalement et un état de guerre larvée .

Je me souviens qu’en 1969, moins d’un an après le coup d’état qui avait renversé Modibo Keita, héros de l’indépendance et premier président de la république, son nom était tabou. On savait simplement qu’il était en prison dans le Nord, du côté de Kidal. En 1977, après sa mort suspecte, la radio officielle avait annoncé sans beaucoup de délicatesse : « Modibo Keita, ancien instituteur à la retraite, est décédé… ». J’étais allé à son enterrement, suivi par des milliers de personnes et réprimé par la police.  L’aéroport porte aujourd’hui son nom et il y a, à côté de mon hôtel,  un mémorial Modibo Keita. Comme chantait Dylan, Times they are changing.

Une des façons d’approcher la géopolitique pourrait consister à s’intéresser aux diverses formes de coopération. Ici, les Chinois sont présents depuis longtemps. Il ont construit un stade, l’assemblée nationale, un pont et, tout récemment, l’université. Mais ils ne sont guère appréciés car ils viennent avec leurs ouvriers et ne donnent aucun travail aux locaux. Parallèlement, et jusqu’à sa mort, Kadhafi construisait des mosquées et tous les bâtiments ministériels. On raconte qu’il exportait en outre vers la Libye des petits garçons et des jeunes filles. Quant aux Chinois, ils tiennent aujourd’hui toutes les maisons de passe, qui portent curieusement des noms de fleurs. Mais je n’ai pas poussé l’esprit scientifique jusqu’à aller enquêter sur ce terrain. Deux types de coopérations, donc.  Et la France ? Elle a laissé bien sûr les premières routes, les premières villes à l’occidentale, une langue officielle, un modèle étatique, un système judiciaire qui coexiste avec le droit traditionnel. Et elle participe aujourd’hui avec d’autres pays à la lutte contre le terrorisme islamique… L’étranger a ici plusieurs visages, et l’on a du mal à savoir si l’un d’entre eux s’imposera, ou si le Mali trouvera sa propre voie.

Pour finir de façon plus gaie, deux petites anecdotes.

D’une part une bière locale que j’ai toujours consommée là-bas vient d’ajouter sur ses étiquettes une formule qui sonne bizarrement dans un pays musulman :  « tout travail mérite sa bière ». J’ai toujours aimé l’humour africain, en particulier lorsqu’il joue sur la langue française et se l’approprie. J’ai par exemple noté depuis longtemps une façon de détourner les sigles ou de leur inventer une autre signification. Par exemple, pour rester dans la bière, à Brazzaville, au Congo, où l’on consomme beaucoup de Primus, on s’amuse à en faire l’acronyme de « Papa rente immédiatement à la maison, tu uses ta santé »…

D’autre part, et depuis longtemps, on m’appelle en Afrique de l’Ouest Koro, un terme de respect bambara signifiant « vieux, grand » mais qui peut aussi vouloir dire « grand frère ». J’ai hérité cette fois-ci d’un nouveau titre. La femme d’un de mes amis, considérant que j’étais le grand frère de son mari, s’est mise à m’appeler buranké, « beau frère ». C’est ainsi que s’agrandissent les familles. Je vous l’ai dit, j’ai beaucoup de tendresse pour ce pays.

 

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fleche15 mars  2019: Un peu d'humour

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Bouteflika, donc, ne se représentera pas mais il reste présent jusqu’à une date indéterminée. C’est dommage, j’aurais aimé voir une élection que j’aurais pu commenter ainsi : Bouteflika réélu comme dans un fauteuil.

  Je ne sais pas comment évoluera la situation algérienne, mais elle paraît bien simple comparée à la situation britannique. Les parlementaires qui avaient défendu le Brexit votent désormais aux Communes de façon imprévisible, ceux qui étaient contre sont tout aussi incompréhensibles, de scrutin en scrutin ils semblent se contredire, bref, on n’y comprend rien. On dit souvent que l’humour britannique, ou le sens de l’absurde, ne peut pas être défini. Mais les pédagogues savent qu’un bon exemple vaut toute les définitions. Et ces débats parlementaires pourraient donc être utilisés comme tel…

Pour autant, ils ne semblent pas avoir oublié leur humour, les Britanniques. On a vu dans une manif une dame d’âge mûr portant une pancarte sur laquelle on lisait Pulling out doesnot work et, à côté d’elle une jeune femme avec un pancarte indiquant d’une flèche la précédente et disant My mum (traduction : D’un côté « se retirer, ça ne marche pas » et de l’autre « c’est ma mère ». Si vous ne comprenez pas, pensez aux vieilles méthodes de contraception)


Restons dans l’humour et dans la politique. Hier soir, dans « L’Émission politique »sur France 2 Marine Le Pen a expliqué qu’il était impossible d’avoir un Smic européen puisqu’il était de 4,40 euros en Bulgarie et de 36 euros en France.Face à elle, Nathalie Loiseau, ministre des affaires européennes, semblait ahurie : «Vous êtes à 36 euros pour quelle durée du Smic? C'est une heure, c'est quoi? J'ai l'impression que la fichen'était pas là». Et Le Pen : « Mais ça ne change rien Madame Loiseau, 4,40 la Bulgarie. Donc je ne comprends pas ce que vous voulez faire». Ceux quine comprenaient pas, c’étaient les travailleurs au Smic. Si le taux horaire du Smic était de 36 euros, multiplié par 35 heures hebdomadaires cela donnerait 1260euros par semaine et, multiplié par quatre semaines, cela donnerait 5040 euros par mois. A ce tarif, beaucoup de Français aimeraient bien être au Smic. Enfait, le Smic français est à un peu plus de dix euros l’heure.

Mais où Le Pen a-t-elle trouvé cette somme, ou plutôt ce chiffre, 36 ? Les commentateurs se grattent la tête, ne parvenant pas à expliquer cette énorme bourde. Pourtant les choses seraient simples si l’on cherchait du côté du lapsus. On a beaucoup parlé des ennuis judiciaires du FN (devenu RN, ce que Loiseau a regretté, expliquant que FN renvoyait à fake news), on a donc parlé de ces ennuis judiciaires, y compris dans cette émission, avant la bévue que je viens de rappeler. Les Le Pen père et fille ainsi que des députés européens sont mis en examen pour détournement de fonds, soupçonnés d’avoir utilisé des assistants parlementaires rémunérés par l’UE pour  travailler dans leur parti. Ennuis judiciaire égale police judiciaire, police judiciaire égale 36, naguère 36 quai des Orfèvres. La PJ  a aujourd’hui déménagé vers la porte de Clichy mais, dans les nouveaux bâtiments qui regroupe aussi le nouveau tribunal, elle porte toujours le numéro 36. CQFD ?

 

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fleche6 mars  2019: L'automne du patriarche

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On racontait en Espagne en 1975, alors que Franco, âgé de 83 ans, malade depuis 1969, grabataire ou presque, se refusait à mourir (ou que son entourage refusait de le débrancher), l’histoire suivante. Au palais du Pardo où il résidait, le dictateur parvient un jour à se lever, s’approche de la fenêtre et voit une foule d’Espagnols. « Que font-ils là ? » demande-t-il à son aide de camp. “Caudillo, ils sont venus vous dire adieu » répond l’autre. « Pourquoi ? Où vont-ils ? » enchaîne Franco.

Ce qui est en train de se passer en Algérie autour de Bouteflika rappelle fortement cette fin à rallonge. Mais on peut aussi penser au roman de Gabriel Garcia Marquez, L’Automne du patriarche.  Dans les trois cas en effet on lisait l’isolement, le pouvoir auquel on s’accroche, la fin de vie. Mais Franco, comme le personnage inventé par Marquez, étaient des dictateurs. Bouteflika pour sa part est un président de la république, quatre fois élu, et qui comme on sait se présente pour la cinquième fois. Se présente ou plutôt est représenté. Ce verbe, représenter, est à comprendre de différentes façons. Au sens premier, bien sûr, il signifie se présenter une fois de plus, et ici faire déposer sa candidature par quelqu’un d’autre, puisqu’il est absent. Il se représente donc par le truchement d’un représentant. En outre, lorsque la télévision montre des meetings ou des manifestations pro-Bouteflika, on le voit, non pas en chair et en os, mais sur d’immenses portraits le représentant, des représentations. Des gens parlent d’un absent, au nom d’un absent dont, derrière eux, trône la photo.

On peut penser à des marionnettistes ou à des ventriloques. Mais le marionnettiste comme le ventriloque donnent un spectacle auquel est venu assister un public qui a payé pour ça. Le peuple algérien paie, bien sûr, d’une autre façon et les nombreuses manifestations à travers le pays montrent qu’il en a assez de payer. Reste que ce spectacle étrange dépasse la ténacité de Franco et l’imagination de Marquez. Il s’agit de la partie émergée d’un iceberg que personne n’arrive vraiment à lire. On comprend seulement que, derrière cette comédie, en coulisses, des généraux défendent leurs intérêts personnels, leurs prébendes, leurs détournements de fonds, et qu’ils ne parviennent pas à se mettre d’accord sur un nouveau candidat.

Nous sommes donc bien en plein spectacle, dans un jeu d’ombres et de lumières, avec une scène et des coulisses. Sous les projecteurs, un candidat grabataire qu’on ne voit qu’en photo, dans l’obscurité, ceux qui tirent les fils et qu’on ne voit pas.

Et tous illustrent parfaitement l’étymologie latine du mot personnage : masque.

 

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Février 2019

 

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fleche18 février 2019: imbécilités "politiquement correctes"

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  C’est il y a une trentaine d’années, alors que j’avais été invité à enseigner à l’université Tulane (Nouvelle Orléans), que j’ai découvert de près le politiquement correct. Pêle-mêle j‘ai vu des femmes divorcées se voir refuser la garde de leurs enfants parce qu’elle fumait, des mots changer de sens ou remplacer d’autres mots, etc. Et moi dont le premier article scientifique, publié en 1969, portait sur la new speak de George Orwell, je me voyais en pleins travaux pratiques, ou en stage d’apprentissage. A une des questions que je posais à mes collègues américains, parfois choqués, « est-ce que le fait d’appeler désormais African Americans les Noirs change quelque chose à leur situation sociale? », la réponse était et reste « non ». Mais la vogue du politiquement correct, en particulier l’illusion qu’en changeant les mots on changeait les choses,  s’est répandue comme un tsunami à travers le monde.

Son dernier avatar, en France, est effarant. Dans le projet de loi sur l’école on propose en effet » d’ancrer la diversité familiale dans la loi » en remplaçant dans les formulaires administratifs « père et mère » par « parent 1 et parent 2 ». L’imbécilité de cette idée est à plusieurs faces. J’ai entendu par exemple dans une émission de radio des humoristes chanter des chansons en y remplaçant père par parent 1 et mère par parent 2. La chanson de Souchon Allo maman bobo devenait ainsi Allo parent 2 bobo. Et, dans tous les exemples, le père était parent 1 et la mère parent 2. Pourquoi pas l’inverse ? Un changement qui se veut « progressiste » renforce ainsi une idéologie spontanée en introduisant une hiérarchie entre le numéro 1, le père, et le 2, la mère…

Une autre face de cette imbécilité  est une belle illustration du politiquement correct. La mesure proposée veut bien sûr prendre compte d’un changement social, l’adoption par des couples homosexuels des enfants qui ont ainsi deux « mères » ou deux « pères ». Il y a selon l’INSEE 32 millions de personnes en couple, dont 200.000 en couple avec une personne du même sexe. C’est-à-dire que les couples homosexuels représentent 0,6% de l’ensemble et que l’on voudrait imposer à 99,4% des couples d’être composés d’un parent 1 et d’un parent 2 ! Dans « sa grande sagesse », le législateur n’a-t-il pas pensé à une solution à double entrée, père et mère ou parent 1 et parent 2 ? Apparemment cette solution est trop simple, et on préfère aligner sur une toute petite minorité la majorité des couples. Je sais qu’en parlant de dictature d’une minorité je vais me faire traiter d’homophobe, car les imbécilités s’enchaînent souvent.

J’ai d’ailleurs un autre exemple plus récent encore. Après que des gilets jaunes aient abreuvé Alain Finkelkraut d’insultes racistes insupportables,  voici qu’un autre député propose de mettre dans la loi un trait d’égalité entre antisémitisme en antisionisme. Je sais qu’il faudrait préciser ce que signifie être antisioniste.  Pour moi, c’est être opposé au colonialisme et à la violence d’un pays, Israël, qui se trouve issu de l’idéologie sioniste, et je suis prêt à adopter un autre terme pour désigner l’opposition à cette politique.  Mais il y a longtemps que l’Etat d’Israël tente d’imposer cette ruse de la raison, voulant faire croire que la critique de sa politique était une opinion antisémite. Honteusement, Macron a adhéré à cette manipulation l’an dernier lors du dîner du CRIF. Il s’apprête à récidiver demain soir. Nous vivons une époque moderne, et « politiquement correcte ». Ici aussi, il faudrait peut-être réévaluer cet adjectif, correct.

 

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fleche13 février 2019: Le temps ne fait rien à l'affaire

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 Je suppose que, comme moi, vous devez en avoir par dessus la tête de l’affaire Benalla. Chaque jour ou presque apporte ses nouvelles révélations, son nouveau scandale, au point qu’on a envie de crier « n’en jetez plus ». Derrière cela, cependant, au-delà du cas Benalla qui relève de la délinquance et donc des tribunaux, apparaît un problème plus grave, celui de la gestion de l’état. Tout cela nous donne l’impression que le palais de L’Elysée est géré par une bande de rigolos incapables de sentir la politique, les mouvements sociaux, les réactions de l’opinion.

Pourtant cela avait bien commencé. Entouré d’une bande de copains, le jeune Macron décide de se lancer à l’assaut de la présidence de la République. Et ça marche. On peut penser à Jules César  lançant Veni vidi vici, « je suis venu, j’ai vu, j’ai vaincu » pour annoncer une victoire éclait en 47 av.JC. .Ou encore au «vol de l’aigle », lorsque Napoléon s’échappe de l’île d’Elbe, débarque le 1er mars 1815 à Vallauris, arrive à Paris en vingt jours et reprend le pouvoir. La bande à Macron arrive donc à l’Elysée et l’on fait savoir que c’en est fini du vieux monde politique, qu’un jour nouveau se lève. Mais ces jeunes ne connaissaient pas grand-chose à la vie du pays, à la politique au jour le jour. Ils faisaient penser à ceux que Georges Brassens épinglait : « les cons naissants, les cons innocents, les jeunes cons qui n’le niez pas prenez les papas pour des cons ». Face à eux, le « vieux » monde politique se gaussaient. Citons encore Brassens : « Les cons âgés, les cons usagés, les vieux cons, qui confessez-le prenez les p’tits vieux pour des cons ». Et puis nous nous sommes rendus compte que vieux ou jeunes, nouvelle ou ancienne politique, c’était un peu du pareil au même. Finissons avec Brassens : « Le temps ne fait rien à l’affaire, quand on est con, on est con ». Le vieux Georges n’avait pas tort, si nous nous en tenons à un seul critère : l’âge des gens qui ont quitté le navire. Nicolas Hulot, Gérard Collomb, Sylvain Faure, Ismaël Emelien… Ils sont de tous âges, et le temps ne fait rien à l’affaire, en effet.

Mais souvenons-nous que trois ans qu’après son fameux Veni vidi vici il y eut les ides de mars : César fut assassiné. Et  que, pour revenir à Napoléon et au « vol de l’aigle », cette conquête ultra rapide a ouvert ce qu’on a appelé les « cent jours » au terme desquels il fut définitivement battu à Waterloo.

Quoiqu’il en soit, si l’histoire se répète, c’est d’abord sur le mode de la tragédie, puis sur celui de la comédie, ou de la caricature. Ceci à seule fin, pour le fun, de mettre grâce à quelques citations Brassens entre César et Marx.

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fleche4 février 2019 : Crocodile hagard

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J’ai appris ce matin en écoutant la radio qu’il y avait en Australie de fortes pluies, des inondations, et qu’un « crocodile hagard » avait même été aperçu. J’ai pour ma part vu dans ma vie pas mal de crocodiles, d’alligators, mais certains disent que c’est caïman pareil, en Afrique et en Louisiane. Je me souviens dans les années 1970 à Bamako, au Mali, avoir été invité dans une boite de nuit qu’on appelait Les trois caïmans, avec, dans le jardin, un grand bassin dans lequel dormaient trois de ces sympathiques membres de la famille des crocodylinae. N’étant pas un adepte forcené de la danse, j’avais passé une grande partie de la nuit à les observer. Dans le bassin vivaient aussi bon nombre de grenouilles qui s’ébattaient, inconscientes, se perchaient même parfois sur l’un des trois animaux. Et puis, soudain,  une gueule s’ouvrait et se refermait, et une grenouille disparaissait. Cette opération se renouvelait souvent mais, malgré mon attention, je n’ai jamais réussi à prévoir quand un caïman allait déclencher ce très rapide acte de nutrition. En Louisiane, j’ai travaillé chez des chasseurs d’alligators (en fait j’étudiais leur créole et leur français cajun), j’en ai vu beaucoup, mais tous avait le même air endormi que les caïmans d’Afrique. Leurs yeux, à dire vrai, ne disait pas grand-chose, impénétrables. Aussi je demande à quoi peut ressembler un « crocodile hagard ». Cet adjectif désigne, selon le dictionnaire, un faucon trop farouche pour pouvoir être apprivoisé, et plus largement ce qui a « une expression égarée et farouche ».

J’ai songé à  un anglicisme : le journaliste avait peut-être lu une dépêche en anglais. Haggard  signifie dans cette langue, pour un visage,  « hâve, décharné », ou  de façon plus générale « égaré, décomposé, défait, altéré ». Mais, là aussi, je suis incapable de dire si un crocodile a un visage hâve ou décharné, ni s’il semble égaré ou décomposé. Cet anthropomorphisme qui attribue à un animal des traits humains est cependant intéressant. Nous pourrions voir des vipères amoureuses, des scorpions très croyants, des vaches gauloises réfractaires, des cochons pro Le Pen ou des moutons gilets jaunes. A l’inverse nous pourrions attribuer à des humains des traits animaux. Pour s’en tenir au domaine de la chasse, je penserais à un Wauquiez traqué par les chiens de chasse, à un syndicalisme dont on a perdu la piste, à une Le Pen à l’affût, à une gauche à l’arrêt ou encore au forçage d’un Mélenchon…

Mais tout de même, pauvre crocodile australien.

 

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Janvier 2019

 

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fleche29  janvier 2019: Fake news

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Donald Trump ne laissera sans doute pas de grandes traces dans l’histoire des Etats Unis. Je veux dire de traces positives. On parlera peut-être de lui comme du président qui a battu le record de longueur du shutdown, comme du président le plus inculte, le plus violent, ou comme de celui qui aura fini par mettre à mal l’économie américaine…

Mais il faut cependant lui reconnaître un apport au lexique français. D’une part il a exporté une expression, fake news, qu’il répète à longueur de tweets ou d’interventions orales et que les policiers de la langue ont proposé de remplacer par infox, mélange d’info et d’intox. D’autre part il a popularisé l’idée de vérité alternative, la plus grande découverte des militants de la mauvaise foi et du négationnisme. La chose existait avant le mot, bien sûr, nous connaissions les discours qui niaient l’existence de camps nazis, la véracité du 11 septembre et bien d’autres choses encore, mais leur donner cette appellation pseudo philosophique, vérité alternative, relevait du coup de génie, ou de prestidigitation.

Revenons aux fake news, ou aux infox si vous voulez. Tout le monde aujourd’hui cherche à lutter contre elles, qui se développe à vitesse grand V sur la toile, dans les discours politiques, dans la propagande. Nous avons par exemple entendu tout récemment ces voix prétendant que Macron allait donner à l’Allemagne  l’Alsace Lorraine et la place de la France au conseil de sécurité de l’ONU…

Mais la chose est ancienne : nous avons tous été élevés dans les infox. Qui n’a pas cru aux mensonges de ses parents voulant nous faire croire que le Père Noël allait quitter son grand Nord pour venir déposer des cadeaux devant nos chaussures ? Donald Trump pourrait se rendre utile en dénonçant cette infox. Il pourrait aussi dénoncer les mensonges de la science en expliquant qu’il est la preuve que l’homo sapiens n’est pas toujours sapiens. Il pourrait se rendre plus utile encore en dénonçant l’infox des infox, celle qui veut nous faire croire que dieu existe, ou en expliquant que l'athéisme est une  vérité alternative. Vous l’imaginez, pointant comme à son habitude un doigt menaçant, mais cette fois vers un curé, un rabbin, un prêtre ou un évangéliste, et lançant God ! Fake news ! Au moins, il marquerait l’histoire. Allez, Donald, encore un effort.

 

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fleche25  janvier 2019: Doctrine de Monroe

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Aux Venezuela, pays dont le régime politique ea les faveurs de Jean-Luc Mélenchon, la situation pourrait paraître ubuesque. Nicolas Maduro, le successeur de Hugo Chavez, a mis le pays dans un état lamentable : une inflation incommensurable, une misère générale, des centaines de milliers d’habitants fuyant le pays, alors que le Venezuela dispose d’énormes réserves de pétrole. Mais voilà, le chavisme a réduit ce pays riche à un bourbier économique, l’a ruiné et, en outre, l’opprime. Le populisme a tourné à la dictature, s’est transformé en régime corrompu et incapable de gérer le pays. Si vous voulez une présentation plus positive de la situation, allez demander à Mélenchon.

Le 27 janvier, le président de l’assemblée  nationale, Juan Guaido, s’est autoproclamé président de la république. Il y a déjà un président, Maduro, élu dans des conditions contestables et contestées. Je ne sais pas comment tourneront les choses, je n’en ai aucune idée, et je déteste autant les dictateurs que les putschistes. Ce qui m’intéresse est ailleurs. Donald Trump a en effet immédiatement reconnu le « nouveau président ». En revanche, Poutine et Erdogan soutiennent Maduro. Bref, si l’on en juge sur leurs amis, les deux hommes sont également détestables. Mais la reconnaissance de Guaido par Trump fait immédiatement penser à des évènements antérieurs, au Brésil en 1964, au Chili en 1973, en Argentine en 1976.. Et cela me rappelle un jour de 1973 où, lors d’un meeting à Paris, j’avais entendu Jean-Paul Sartre dénoncer le coup d’état de Pinochet.

Je sais, les meetings ne servent en général à rien, mais ils laissent des souvenirs.  Ce jour-là, Sartre, de son étrange voix mécanique, avait rappelé la « doctrine de Monroe », L’Amérique aux Américains, et avait poursuivi « doctrine qu’il faut évidemment traduire : l’Amérique du Sud aux Américains du Nord ». Tout était dit.

 

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fleche23  janvier 2019: Pour qui parlent-ils, et comment les traduire?

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J’ai entendu hier une journaliste allemande (représentante de Die Welt à Paris) commenter la signature du traité d’Aix-la-Chapelle, en disant que madame Merkel avait un discours un peu froid mais clair, qu’elle avait par exemple plusieurs fois prononcé le mot  arbeit (« travail ») et que pour sa part Macron utilisait des formules intraduisibles en allemand, citant madame de Staël (dont la journaliste n’arrivait d’ailleurs pas à prononcer le nom), parlant de « charme romantique »…. Voici un passage de la fin du discours de Macron, qui laisse en effet penser qu’il ne se soucie guère d’être compris par tous :

« Et en vous écoutant, Madame la Chancelière, Monsieur le Président, à l’instant, je me souvenais avec émotion de ce que Madame de Staël disait parfois : « Lorsque mon cœur  cherche un mot en français et qu’il ne le trouve pas, je vais parfois le chercher dans la langue allemande. » Il y a des mots qu’on ne comprend pas, il y a des mots qu’on ne traduit pas, mais chacun de nos pas réduit l’écart de ces intraduisibles, et il y a des mots dont nos cœurs  ont besoin, d’une langue l’autre. Parce que cette part d’incompréhensible nous rapproche. Parce que la part que je ne comprends pas en allemand a un charme romantique que le français, parfois, ne m’apporte plus. C’est indicible, c’est irrationnel, mais nous devons chérir cette part d’indicible et d’irrationnel qui ne sera dans aucun de nos traités, et qui est la part vibrante, magique, de ce qui nous rassemble aujourd’hui et de ce qui nous fait ».

Le style un peu ampoulé a en effet pu donner quelques soucis à l’interprète, mais c’est après tout son travail. En revanche, ceux qui  veulent faire croire que ce traité a pour but de donner l’Alsace-Lorraine à l’Allemagne auront du mal à en trouver la démonstration dans ce texte, comme il auront d’ailleurs autant de mal à y trouver un sens très clair pour eux.

Le hasard fait que vient de sortir un livre de Bérengère Viennot, La langue de Trump (éditions Les Arènes) dans lequel elle expose ses difficultés de traductrice face à un homme, le président américain, dont le vocabulaire et la syntaxe sont ceux d’un élève de cinquième. Il est vrai qu’il ne risque pas de faire de longues phrases, s’exprimant essentiellement par tweets. Mais cette brièveté ne le protège pas des fautes de syntaxe, du vocabulaire limité ou des fautes de frappe. Qu’on se souvienne d’un tweet du 31 mai 2017 dans lequel il écrivait «Despite the constant negative press covfefe» (malgré le constant covfefe de la presse) . Ne cherchez pas, il voulait dire coverage…Laissons de côté le fond de ses interventions (des chiffres truqués, des déclarations contradictoires, des contre-vérités…) pour nous en tenir à la forme. Ses interventions sont truffées d’exclamations (!!!!, Wow, etc.) de formules tant de fois répétées en boucle, comme Fake news CNN, Make America great again, qu’elles en perdent tout sens, de vulgarités, etc.. Ajoutons à cela un langage binaire, le bien et le mal, le vrai et les faux : Trump ne s’adresse  qu’à ceux qui sont convaincus par avance, puisque la seule vérité ne peut être que celle qu’il énonce, ou qu’ils énoncent. Tout cela fait du travail de traducteur un véritable défi : soit il cherche à deviner ce que Trump veut dire et le transcrit dans une langue plus élaborée, soit il donne un équivalent scolaire de ce discours scolaire…

Résumons-nous. Trump a une langue ( et une pensée ?) de collégien, Macron a une langue de lycéen formé par les jésuites, puis d’étudiant en philosophie et de diplômé de Sciences Po. Je ne peux pas résister ici au plaisir d’ouvrir une parenthèse et de vous raconter une courte histoire. Celle d’un jésuite qui cherche une adresse et demande son chemin à un passant. Celui-ci lui répond : « vous ne trouverez jamais, mon père, c’est tout droit »

Mais revenons à nos moutons, ou plutôt à nos deux présidents.  Il semble évident que le président américain ne parle qu’à ceux qui non seulement partagent ses vues nationalistes et populistes de base mais encore ont le même niveau culturel que le sien. Mais pour qui parle Macron ? Nous pouvons avoir le sentiment qu’il ne se préoccupe pas de ce problème. Il parle comme un candidat à l’oral d’un concours d’entrée dans une grande école. Et ils pourraient s’arranger entre eux pour échanger leurs rôles. Trump s’adressaiet aux « gilets jaunes » (je sais, il faudrait qu’il apprenne pour cela, outre l’anglais, le français) et Macron s’adresserait à… Non, ça ne marche pas. Macron n’a pas de public américain plausible, il n’a pas été formé par les évangélistes. Et d’ailleurs les seuls qu’il puisse convaincre sans peine, sans même qu’ils le comprennent, sont les député(e)s de la république en marche.

 

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fleche15 janvier 2019 : Ceci n'est pas une pipe

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Décidément le Brexit n’a pas fini de faire parler, mais il nous permet parfois d’apprendre des choses amusantes. Ainsi un ancien ministre de Tony Blair, jadis chargé des relations avec l’Europe, nous a appris que les Britanniques étaient les plus gros consommateurs au monde de papier toilette, 110 rouleaux par tête et par an, a-t-il précisé. Bigre ! Mais et alors ? Et alors, la Grande-Bretagne ne produit pas de papier toilette, elle les importe, et les provisions disponibles ne dépasseraient pas les besoins d’une journée. Vous imaginez la pagaille si les douanes étaient encombrées ? Le même ministre a par ailleurs donné une information linguistique de premier ordre : une expression viendrait de naître chez nos voisins grands bretons : BOB. Non, ce n’est pas l’abréviation du prénom Robert, mais le sigle de bored of brexit, traduction libre : ras-le-bol du Brexit. Fermez le ban.

 Un autre qui fait parler de lui, c’est Macron. Réunissant dans l’Eure 600 maires il a, dit-on, surtout écouté et peu parlé. Mais lorsqu’il parle… Voici un court extrait de son intervention : « Il ne faut pas raconter des craques, hein. C'est pas parce qu'on remettra l'ISF comme il était il y a un an et demi que la situation d'un seul gilet jaune s'améliorera. Ça, c'est de la pipe". Des craques, de la pipe, nous avons là un vocabulaire à la fois enfantin et désuet. Une craque c’est bien sûr une exagération, mais le mot désigne aussi, en particulier chez Céline, la fente du vagin…. Quant à la pipe, dans la forme macronienne, elle vient du pipeau (c’est du pipeau), lui-même référence à l’appeau que les chasseurs utilisent pour attirer les oiseaux. Donc, rien à voir avec ce à quoi vous avez pensé. Comme aurait dit Magritte, ceci n’est pas une pipe. Encore que…

Toujours dans son discours devant les maires, Macron a voulu dire que l’on pourrait dans le « grand débat», parler de tout, qu’il n’y aurait pas d’interdit, pas de tabou, en particulier que le  rétablissement de l’ISF n’était« pas du tout un tabou ni un totem ». Bon, un tabou est un interdit, une prohibition, on comprend donc ce que le président a voulu dire : nous pouvons en parler, de l’ISF. Mais que fait là le totem ? Ce mot, dans les cultures amérindiennes d’où il provient, signifie différentes choses, « animal vénéré », « être mythique » mais dans son sens le plus fréquent chez ceux qui, comme nous, l’ont emprunté,  il désigne un tronc d’arbre sculpté et planté dans le sol, érigé donc. Bien sûr, Macron voulait montrer sa culture, même si je ne sais pas si les maires devant lesquels s’exprimait le président ont saisi la référence à l’ ouvrage de Freud Totem et tabou. Le père de la psychanalyse y partait de l’interdit, du tabou qui entourait l’inceste dans nos sociétés  pour terminer sur le concept  de complexe d’Œdipe…

Et vous me voyez venir : dans cet enchaînement de craques, de pipe, d’érection (du totem), d’inceste, il y a du grain à moudre pour un psy. Mais n’ayez pas mauvais esprit et, encore une fois, souvenez-vous de Magritte : Ceci n’est pas une pipe.

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fleche10 janvier 2019: Le complot de l'Arlésienne

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Le 4 août 1997 mourait Jeanne Calment, à l’âge de 122 ans et 164 jours et, depuis lors, elle est officiellement la doyenne de l’humanité. Mais voici que deux Russes lancent une bombe : la vieille dame n’aurait pas eu 122 ans mais 99. Leur hypothèse est que la fille de Jeanne, Yvonne Calment, décédée selon l’état civil en 1934 à l’âge de 36 ans, aurait pris la place de sa mère, qui était la vraie morte. Et voilà un beau sujet d’enquête, ou de roman policier.

Sur quelles preuves les deux Russes se fondent-ils ? Ils relèvent que Jeanne, lorsqu’elle répondait à des question sur sa vie, confondait parfois son père et son mari, qu’elle avait un jour déclaré que le poète provençal Mistral était un ami de son père, puis se corrigeant, « de mon mari », qu’elle prétendait avait rencontré Van Gogh (il séjourna à Arles en 1888, alors qu’elle avait 13 ans) lorsqu’il venait acheter des toiles dans la boutique de son mari (elle n’était bien sûr pas encore marié, mais son futur époux était aussi son cousin et tenait boutique à Arles), etc.

Mais pourquoi une femme de 36 ans aurait-elle pris la place de sa mère décédée à 60 ans ? Et comment personne ne s’en serait rendu compte ? Sur le premier point, les Russes ont une réponse : pour éviter de payer des frais de succession. Sur le second, on voit mal comment elle aurait pu continuer à vivre au bras de son mari (ou de son père) alors que la famille était connue dans la ville et qu’elle avait une boutique dont les clients se seraient sans doute étonnés du rajeunissement de la patronne. En outre comment le corps de la femme décédée aurait-il pu échapper au regard, du médecin, du prêtre, comment l’état civil aurait-pu être berné ?

Tout cela est bien confus mais m’amuse. Nous pourrions en effet penser à un complot élaboré soigneusement. On sait que dans le conte d’Alphonse Daudet L’Arlésienne (1869) ainsi que dans la pièce qu’il en tira (1872), l’héroïne n’apparaît pas : on en parle sans cesse mais on ne la voit jamais. Imaginons, tout est possible, que le père Calment ait eu des relations incestueuses avec sa fille, que tous deux se soient débarrassé de Jeanne afin de vivre tranquillement leur amour interdit et que, connaissant l’œuvre de Daudet, ils aient appliqué sa recette : Yvonne prétendant être Jeanne ne se montrait plus, mais son mari-père en parlait sans cesse. Belle histoire, non, pour un beau roman ?

Mais les Russes  ont un autre argument : en agrandissant des photos ils prétendent démontrer que la pseudo centenaire n’avait pas les oreilles de Jeanne mais celle d’Yvonne. Et cela me fait penser à autre chose, au critique italien Giovanni Morelli (1816-1891) qui avait publié en 1880 un ouvrage dans lequel il proposait de caractériser le style des peintres à leur façon de peindre des petits détails, comme les ongles et les  oreilles, ce qui lui permettait d’attribuer des toiles non signées ou de reconnaître des faux. S’il connaissaient les textes de Daudet, les Calment n’avaient sûrement pas lu l’ouvrage de Morelli, publié en allemand.  Et ils ne pouvaient donc pas imaginer qu’on découvrirait un jour leur supercherie en agrandissant, sur des photos, les oreilles de Jeanne et d’Yvonne…

 Vous n’êtes pas convaincus ? Moi non plus, à vrai dire, mais nous avons le temps de nous amuser un peu.

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fleche9 janvier 2019: Indice ou lapsus ?

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Une lectrice attentive me signale que dans mon billet d'hier il y aurait une faute d'accord. Dans le membre de phrase  "puis, sans le voir vraiment, nous avons su qu’ils avaient des passeports diplomatiques", m'écrit-elle, le désigne Bennalla et il faudrait donc écrire ensuite qu'ils avaient. Non, madame, je suis désolé mais vous n'avez pas compris mon argumentation. De façon subtile, trop subtile peut-être, j'ai ici introduit un indice. Le fait d'accorder Benalla avec un verbe à la forme plurielle voulait attirer l'attention sur un fait tout simple: il n'était pas seul... Cela n'aurait pas échappé à Holmes, ou à Columbo. Il ne s'agissait donc pas d'une faute d'accord, mais d'une subtilité. Ou alors, si vous préférez, d'un lapsus.

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fleche8 janvier 2019: Columbo, Temer, Sarkozy, Benalla...

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Je suis en train de travailler sur la façon dont les détectives « littéraires » (Dupin, Holmes, Poirot, etc.) cherchent  et recueillent des traces, des indices, les analysent, les interprètent, en font donc des signes qui peuvent devenir des preuves. En lisant leurs aventures, nous les voyons expliquer ce qu’ils ont vu et que les autres n’ont pas vu, expliquer ce que nous, lecteurs, n’avons pas compris, bref nous suivons leur démarche herméneutique (ils font parler les indices, qui deviennent ainsi des signes puis des preuves). Il y a cependant un contre-exemple remarquable, celui du lieutenant Columbo. Les 69 épisodes qu’il a enregistrés sont en effet tous construits sur un modèle inversé. Le spectateur voit dès le début le crime, en connaît l’auteur et les circonstances, il voit ensuite le lieutenant enquêter et se pose donc toujours la même question : «  « comment va-t-il découvrir ce que je sais déjà? Quels indices vont le mener à la solution ? » C’est-à-dire que, connaissant la solution par avance, nous découvrons les indices que va déccouvrir Columbo, nous suivons son enquête dont nous savons la conclusion.

Or cette situation de spectateur averti qui regarde la police découvrir ce qu’ils sait déjà n’est pas si rare. Prenons un exemple. Il suffit de lire régulièrement la presse, de croiser les données, de comparer les informations, pour savoir qu’il y a eu au Brésil un coup d’état institutionnel, que Michel Temer, alors vice-président et fortement corrompu a manipulé pour faire destituer Dilma Roussef en l’accusant de corruption, puis s’est débrouillé  pour que le tribunal suprême institutionnel déclare Lula inéligible et le fasse emprisonner, facilitant ainsi l’élection d’un militaire fascisant. Nous savons donc tout cela et, comme dans un épisode de Columbo, nous attendons que les enquêteurs découvrent les différents indices de ce qui s’est passé, remontent à la source et… Et rien, ça ne marche pas, il semble ne pas y avoir d’enquêteurs.

Nous avons un peu la même chose en France. Prenons au hasard Sarkozy, ou Fillon. La presse nous a abreuvé d’informations et, là aussi, nous avons pu nous faire notre opinion. Puis nous apprenons que des enquêtes sont diligentées, qu’ils sont mis en examen. Là, ça a marché, comme dans Columbo. Sauf que, de manœuvres judiciaires en manœuvres judiciaires, les choses traînent en longueur, nous attendons les procès et les condamnations. Mais ça viendra, soyons-en sûrs, puisque nous vivons en démocratie, mais ce sera long. Un épisode de Columbo ne dure qu’un peu plus d’une heure, ici il faudra un peu plus de temps.

Un dernier exemple pour vous convaincre que nous ne sommes pas au Brésil, l’affaire Benalla. Nous vivons désormais une époque dans laquelle on trouve toutes les vidéos possibles sur les réseaux sociaux. Comme dans Columbo, nous avons donc vu la scène du crime, nous avons vu Benalla portant des attributs policiers auxquels il n’avait pas droit et tabasser un manifestant. Puis, sans le voir vraiment, nous avons su qu’ils avaient des passeports diplomatiques (ou des passeports de service, ce n’est pas très clair) auxquels il n’avait pas droit : rien n’est discutable puisque le ministère des affaires étrangères lui a plusieurs fois réclamé leur restitution et que l’Elysée fait savoir qu’il a fait de même. Reste donc à Columbo (enfin, son équivalent français) à faire son travail herméneutique, à remonter d’indice en indice jusqu’aux hauts fonctionnaires qui sont sans doute impliqués dans cette histoire. Et il y parviendra, notre Columbo français, soyons-en sûrs. Vous en doutez ? Vous avez sans doute mauvais esprit…

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fleche5 janvier 2019: Niagara verbal

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 Premier samedi de l’année 2O19 et, comme le dit la presse, acte VIII du « mouvement des gilets jaunes ». Il y a environ deux ans, au début de la suite incroyable menant de la primaire de la droite, avec la victoire de Fillon sur Juppé pourtant annoncé depuis longtemps comme futur président de la République, à la victoire de Macron en passant par les rebondissements « l’affaire » Fillon, je me suis dit (peut-être l’ai-je écrit ici mais j’ai la flemme de relire mes billets) qu’aucun scénariste auquel on aurait commandé une fiction présidentielle n’aurait osé imaginer une telle histoire. De la même façon, je suis bien évidemment incapable de dire ce qu’il va advenir dans les semaines qui viennent du feuilleton des « gilets jaunes ». Mais je suis frappé par un certain nombre de choses.

Tout d’abord par l’écho étonnant que donnent les media à ce mouvement inattendu et qui semble aujourd’hui battre de l’aile. Au moment où j’écris, on annonce quelques barrages ou regroupements aux sorties d’autoroutes ou à certains ronds-points, ce qui il y a un an ou deux n’auraient pas donné plus de trois lignes dans les pages faits divers. L’information manque-t-elle de sujets ? La concurrence entre les chaînes explique-t-elle cette inflation ? Toujours est-il qu’on ne parle presque plus des migrants, des noyades en Méditerranée, des centaines de morts ici ou là : un thème domine, les « gilets jaunes ».

Deuxième étonnement : ces « gilets jaunes » qui font la queue aux portes des studios, sont interviewés sur toutes les chaînes, dénoncent en même temps sans cesse ces media qui leur font pourtant la part belle. Leur impact tient en grande partie à la publicité qui leur est faite, et ils en critiquent les vecteurs. On a le sentiment que leur problème est d’abord de se faire entendre et voir, de montrer leur tronche devant les caméras, sans se préoccuper de la moindre cohérence.

Troisième remarque : alors qu’au tout début, disons lors de l’acte I, on comprenait les raisons de la colère, les taxes sur les carburants, et on pouvait y adhérer, l’incroyable cacophonie qui s’ensuivit laisse rêveur. Qui pourrait aujourd’hui présenter de façon claire ces dizaines de revendications, ou y mettre de l’ordre ? Nous sommes face à un Niagara verbal, signe bien sûr d’un problème social, mais qui s’apparente à du n’importe quoi. Je pensais au début à une comparaison avec les cahiers de doléances de 1789, mais une synthèse en fut remise aux députés des trois ordres, considérés comme intermédiaires entre le « peuple » et le « pouvoir », alors que rien de semblable ne semble convenir aux « gilets jaunes ». De la même façon qu’ils réfutent les media qu’ils utilisent sans cesse, ils injurient ou méprisent les corps intermédiaires ou les élus qui pourraient relayer leurs revendications.

Enfin, bien sûr, je suis frappé par le jeu pervers de Le Pen et Mélenchon. La première, assez habilement, se tient à l’écart en espérant tirer les marrons du feu, évite de trop prendre parti mais ne condamne jamais. Le second, lui, ne prend pas de gants. Sans doute est-il persuadé, mais il l’a été une bonne dizaine de fois depuis deux ans, que ce mouvement le conforte et qu’il pourra finalement en prendre la tête. Mais, du même coup, ils renforcent le mépris des « gilets jaunes » pour eux, pour le personnel politique. Ce Niagara verbal a produit une illusion : le « peuple » pourrait seul prendre en main sa destinée. Mais quel peuple ? Car le « peuple » ne se réduit pas à quelques dizaines de milliers de manifestants, qui tendent d’ailleurs à quelques milliers, il est composé de 67 millions de Français, ou de 45 millions d’électeurs. Et, de la même façon que Mélenchon n’est pas la République, qu’il n’est pas sacré, comme il l’a déclaré en octobre dernier lors des perquisitions que l’on sait, les « gilets jaunes » ne sont pas le peuple, ils en sont une partie. Et qu’on ne vienne pas nous dire qu’ils en sont l’avant-garde révolutionnaire, leurs discours font plutôt penser à un agrégat d’intérêts ou de revendications individualistes, chacun pour sa pomme, pour son problème, pour ses intérêts, bref à un agrégat de petits bourgeois.

Tiens, au fait, à propos de revendication individuelle, personne ne semble réclamer la suppression des taxes sur le tabac à pipe.

 

 

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