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Décembre 2017


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fleche27 décembre  2017 : Et le vainqueur est...

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Comme chaque année, le Journal du Dimanche du 24 décembre a publié son palmarès des personnalités préférées des Français. Leur méthode est simple: On propose à un peu plus de mille français choisis selon un méthode de quotas (ce qui est classique) une liste de 64 personnalités (ce qui est plus contestable, puisqu’il y a une pré-sélection) dans laquelle ils choisissent. Résultats ?  Dans cet ordre, Jean-Jacques Goldman, Omar Sy, Teddy Riner, Dany Boon, Sophie Marceau, Jean Reno, etc... Mais je vais en rester au trio de tête, Goldman, Sy et Riner, un chanteur, un acteur, un judoka, car le journal nous propose pour les trois premiers des tris croisés.

Ainsi, pour les hommes, Teddy Riner passe devant Omar Sy, tandis que pour les femmes c’est Florent Pagny qui prend la troisième place. Chez les plus de 65 ans, l’imitateur Laurent Gerra passe de la 26ème à la 3ème, sans que je puisse expliquer pourquoi les vieux aiment tant les imitateurs. Vous avez une idée ? Chez les « sympathisants de gauche » (PS + France insoumise, catégorie elle-même discutable) le trio est inchangé, ce qui semblerait prouver que la France dans son ensemble penserait comme la gauche, ou du moins aurait le même choix de personnalités. Chez ceux de droite (Centre, Républicains et Front national, bel amalgame !) le trio de tête est bouleversé : en 1 toujours Goldman mais Jean-Paul Belmondo en 2 et Michel Sardou en 3. Enfin, chez les sympathisant de «la France en Marche » nous trouvons en première position  Emmanuel Macron, en deuxième Goldman et en troisième Michel Cymes.Ce type de sondage est bien sûr à prendre avec des pincettes, mais il pose cependant des questions intéressantes. Tout d’abord la première place presque incontestée de Jean-Jacques Goldman, un auteur-compositeur-interprète retiré du métier depuis plus de dix ans (on ne le voyait que dans le concert annuel de « Enfoirés » au bénéfice des Restaurants du cœur), installé loin de la vie parisienne, à Marseille d’abord puis aujourd’hui à Londres. Cet absent de la scène semble être devenu un mythe, comme si moins on était visible et plus l’on été aimé, ce qui est d’ailleurs le cas de quelques invisibles notoires, comme Allah ou Jésus...

Mais, surtout, c’est la première place de Macron chez ses sympathisants qui fait sens, car nous semblons ici en plein culte de la personnalité. Et j’ai déjà eu cette impression ces dernières semaines en entendant des députées d’En Marche ânonner  des éléments de langage mais surtout manifester une grande admiration pour le Président. En revanche je ne comprends pas, dans cette liste, la place de Michel Cymes. Médecin, star de la télévision, il me frappe surtout par son affection pour les allusions grivoises. Or, même si Macron dit faire ce qu’il a annoncé, la grivoiserie n’était pas dans son programme. Ou alors j’ai mal lu ou mal écouté. En tout cas, la place de Sardou dans les préférences de la droite et de l’extrême droite ne surprendra personne : ce qu’il chante parle pour lui. Il fait actuellement une tournée d’adieu, et il faudra voir dans les prochaines années s’il se maintient dans le cœur des fachos malgré son absence, comme Goldman se maintient dans celui de tous les Français. Pour finir, mais cela ne surprendra personne, soulignons tout de même que le Journal du dimanche n’avait pas mis dans sa pré-sélection un migrant type, ou un Français condamné pour avoir aidé des migrants à franchir les Alpes...

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fleche24 décembre  2017 : Au fou !

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Depuis un an qu’il est au gouvernail d’un navire qui va tranquillement vers sa perte, Donald Trump nous a habitués aux plus grandes bêtises, mais une récente décision de son administration dépasse de loin les précédentes. Il s’agit d’un résumé parfait de ce mal qui ronge les Etats Unis depuis une quarantaine d’années et que d’autres, en particulier en France, se sont empressés d’imiter : le politiquement correct.

Dorénavant, en effet, les organismes de recherche, les services sociaux et toutes les agences placées sous la tutelle du ministère de la santé se sont vus adresser une liste de mots et d’expressions qu’ils ne doivent plus utiliser. En voici un florilège : transgenre, vulnérabilité, diversité, prérogative, fœtus et, surtout, fondé sur la science. Il s’agit, selon une source officielle, de termes controversés, donc à exclure. Il est donc « controversé » de faire allusion à des sources scientifiques (la science étant elle-même controversée), de parler de transgenres, de diversité, de fœtus (je ne sais pas si son existence est controversée)...

Nous ne  nous étonnons plus des fantaisies Trump et de ses illustrations permanentes de la new speak d’Orwell, mais elles passent désormais dans les faits, elles deviennent des fantaisies performatives. Ainsi nous apprenons que depuis un an toutes les pages consacrées au réchauffement climatique ont été supprimées sur les site de la Maison Blanche. Que, dans les questionnaires d’enquêtes sanitaires on a supprimé les questions portant sur l’orientation sexuelle. Et, mais je n’ai pas pu vérifier, que les centres de recherches travaillant sur ces sujets controversés perdraient leurs crédits. C’est-à-dire que l’on va finalement plus loin dans que la fiction orwellienne. Il ne s’agit plus de croire qu’en interdisant un mot ou une expression on ferait disparaître ce à quoi ils renvoient (par exemple qu’en interdisant la phrase Trump est fou on ferait disparaître l’idée qu’il soit fou), il s’agit désormais de pénaliser financièrement  ceux qui parlent de réchauffement climatique, de fœtus ou de diversité, ou ceux qui osent penser que quelque chose puisse être fondé sur la science. Vous l’aurez compris, nous ne sommes pas loin de ceux qui croient mettre fin à la discrimination des femmes en imposant la première grande découverte du 21ème siècle, l’écriture inclusive. Nous vivons décidément une époque moderne !


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fleche13 décembre  2017 : Traducteurs: vers une inflation des langues ?


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Il y a bientôt vingt ans que j’ai noté un changement dans la « signature » des traducteurs. Là où on lisait « traduit de l’anglais » ou « traduit de l’espagnol » apparaissaient de nouvelles formules : « traduit de l’anglais (USA) », « traduit de l’anglais (Australie)», ou encore « traduit de l’espagnol  (Cuba) », « traduit de l’espagnol (Argentine) », etc. Les linguistes savent que les langues connaissent des variations géographiques ou sociales, qu’on ne parle pas le même français à Paris ou à Marseille, dans « la haute » ou chez les prolos. De ce point de vue, la langue peut être considérée comme une immense variable qui se manifeste sous la forme de différentes variantes, géographiques ou sociales Mais l’ensemble de ces variantes constitue une même langue.

Cependant, la question « qu’est-ce qu’une même langue ? », est parfois problématique. Par exemple, y a-t-il un seul arabe (celui qui est officiel dans les pays arabo-musulman) ou plusieurs, une seule langue d’oc (l’occitan) ou plusieurs (languedocien, gascon, provençal...) ? Le plus simple, pour bien séparer les problèmes linguistiques des problèmes religieux ou identitaires, est pour l’instant, et en attendant mieux, de se fonder sur le code ISO 639 (oui, il y a un code ISO des langues) qui distingue entre trente arabes ou cinq langues d’oc.

Bien sûr, les traducteurs qui disaient traduire de l’anglais (USA) ou de l’espagnol (Cuba) ne pouvaient pas décréter à eux seuls l’existence d’un anglais ou d’un espagnol différents des autres. Tout au plus voulaient-il un peu frimer, ou se valoriser,  en affirmant connaître particulièrement une variante locale d’une langue, de telle ou telle partie du monde. Mais ils en suggéraient du même coup l’existence de différentes formes. Un nouveau pas vient d’être franchi. Je lis cette semaine dans un hebdomadaire l’annonce de la parution d’un livre de Douglas Kennedy, La symphonie du hasard, « traduit de l’américain par Chloé Royer » . Traduit de l’américain, et non pas de l’anglais (USA). Il y aurait donc une langue, l’américain, différente d’une autre, l’anglais. Nous n’en sommes pas là, même si l’anglais parlé en Inde se distingue de celui parlé à Atlanta, ou si l’espagnol de Buenos Aires se distingue de celui parlé à Madrid. Mais il sera intéressant de suivre cet indicateur. Allons-nous voir apparaître des traducteurs de l’australien, du canadien, de l’irlandais... et de l’anglais, du cubain, du mexicain...et de l’espagnol. Ce serait un cas original (et improbable) d’émergence de nouvelles langues. Des conflits religieux, ethniques ou nationalistes ont poussé à la distinction entre hindi et ourdou, ou entre serbe, croate et bosniaque. Mais nous n’avons jamais vu, du moins à ma connaissance, d’invention de nouvelles langues par des traducteurs. D’autant que les cas de variations étant très nombreux, nous risquons d’assister à une inflation du nombre de langues.

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fleche11 décembre  2017 : La nation et le peuple

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Nous avons la semaine dernière échappé, de très peu, au ridicule. Pendant quelques heures, jeudi, le bruit courait que Johnny Hallyday aurait des obsèques nationales. Des obsèques nationales ! Le dernier artiste a avoir bénéficié de cet honneur, si c’est un honneur, fut Victor Hugo, poète, homme politique, romancier. Qu’on apprécie ou pas Hallyday, il est difficile de penser qu’il fut à la chanson ce que Hugo fut à la littérature. Nous avons donc échappé au ridicule, grâce à une astuce sémantique établissant en outre une sorte de hiérarchie : Jean d’Ormesson a eu droit vendredi à un hommage national et Johnny Hallyday samedi à un hommage  populaire. Hommage national, hommage populaire, les élèves de terminale pourraient peut-être disserter sur cette distinction, et je ne suis pas convaincu qu’entre la nation et le peuple ils parviendraient à distinguer autre chose que du mépris pour le peuple...

Reste à essayer de comprendre ce qu’Hallyday représentait pour le « peuple ». Je ne sais plus qui a dit de Victor Hugo qu’il était un «Niagara verbal ». Hallyday fut une sorte de Niagara sonore, mais la comparaison s’arrête sans doute là. Johnny en effet a commencé par importer. Mais il habillait ses produits d’importation d’un corps et d’une voix. Une voix dans les aigus, souvent à la limite de la rupture, comme une façon de se mettre sans cesse en danger, mais une voix parfois miraculeuse par son ampleur, et un corps, une présence scénique étonnante, des mises en scène époustouflantes. De ce point de vue il ne relève pas vraiment de la critique musicale, mais de la sociologie et de la sémiologie. A chacun de ses spectacles on découvrait une nouvelle cascade, une nouvelle folie vestimentaire, un nouveau rêve.

Tout public a droit à son idole, ou à ses idoles, et toute idole vit sur un public. Mais le statut de l’idole interpelle le sociologue : qu’y a-t-il derrière cette adoration, ces rites, cette secte de bikers tatoués, à la syntaxe approximative, derrière ces grands-parents, ces parents éperdus d’admiration et d’amour et tentant de convaincre les plus jeunes, leurs enfants et petits-enfants ? Car l’idole des jeunes était devenu un chanteur pour vieux, disons pour les plus de cinquante ans, les grognards de l’armée des baby boomers, la vieille garde du rock, du twist... . Un chanteur pour vieux et pour blancs : ni beurs ni blacks dans la foule de samedi , eux ils écoutent du rap, auquel Hallyday n’a jamais touché. Quelle fonction sociologique, donc ? On entend à ce propos tout et son contraire. Un philosophe va jusqu’à dire que « Johnny avait quelque chose de Schopenhauer en lui ». Bof ! D’autres, pas philosophes eux, expliquent que ses chansons ont accompagné tous les moments de leur vie. J’ai entendu quelqu’un dire « mes premiers accords de guitare, je les ai appris avec Le Pénitencier et on a envie de répondre non, avec The house of the rising sun. Idem pour nombre de ses premiers titres, adaptés de succès américains, de La fille de l’été dernier (Summertime blues,  Eddie Kochran) à Memphis USA (Memphis Tennessee, Chuck Berry) en passant par Hey Joe (Hey Joe ,Jimmy Hendrix). Le rock, le twist, le madison, le blues, la country... Hallyday a d’abord copié. Certains le voient comme une marionnette entre les mains de ses paroliers qui lui faisaient chanter de pâles traductions de standards américains, d’autres comme un caméléon. Je le verrais plutôt comme un porte-manteau ou un mannequin, sur lequel on mettait une mode, puis une autre, une mode d’abord importée, je l’ai dit, puis plus tard produite localement, parfois par des auteurs de talent, Michel Berger, Miossec et quelques autres. Le nombre d’adaptations qu’il a interprétées (plus de deux cents sur toute sa carrière) diminue d’ailleurs régulièrement, de 1960 à 2010, laissant de plus en plus la place à des produits locaux.  Mais s’il a importé il n’a jamais, quoi qu’on tente de nous faire croire, exporté. Les Brésiliens de la bossa nova ou les Rolling Stones et les Beatles ont eu un succès mondial, pas Hallyday. Lorsque ses auteurs étaient bons, Hallyday tenait un tube, que les radios bastonnaient. On aimait, parfois, on coupait le son dans d’autres cas.

Mais il y a une chose d’indiscutable. J’ai toujours aimé  les reprises, lorsque de jeunes chanteurs voulant rendre hommage à des anciens, Brel, Brassens, Ferré, Gainsbourg, interprètent leurs chansons, imprimant sur elles leur marque. Or chaque fois que j’ai entendu quelqu’un interpréter un des tubes de Hallyday, la comparaison était douloureuse : sa voix, son coffre, faisaient la différence, personne ne pouvait vraiment reprendre ses succès, faire concurrence à sa voix. La voix du peuple ? Peut-être. Mais une voix qui défendait Giscard, Chirac, Sarkozy, et dont les fans votaient sans doute en partie Le Pen.

Nous avons aussi échappé au ridicule en ne faisant pas des obsèques nationales à un évadé fiscal aux Etats Unis, puis en Suisse, qui essaiera entre les deux de devenir belge et, disent les mauvaises langues, qui reviendra en France lorsque ses problèmes de santé nécessiteront l’aide de la sécurité sociale. Mais, encore une fois, tout public a droit à une idole, qu’il fabrique à son image, comme les croyants ont droit à leur Dieu, qu’il inventent comme ils peuvent. Quelle image du peuple se profile donc derrière lui, en jeans et en perfecto d’abord, tatoué et perché sur une Harley Davidson, puis vêtu sur scène de façon chaque fois différente et chaque fois plus étonnante ? Un peuple rêveur ? Qui cherche à s’échapper à sa condition à travers ce que les magazines people lui donnent à voir de son idole ? Un peuple mimétique, qui s’habille comme elle, l’idole, se fait tatouer comme elle, et ne peut guère aller plus loin, faute de moyens ?Ou une forme de religion ?  Car il y a de la religion dans tout cela et la foule parisienne de samedi scandant son prénom, Johnny, Johnny, faisait penser à la foule romaine qui en avril 2005, à la mort du pape Jean-Paul II, hurlait Santo subito (« sanctification immédiate »).

Revenons à ce couple de disparus que, dans mon précédent billet je mettais en parallèle. Une trentaine d’académiciens en grande tenue aux Invalides pour l’un, sept cents bikers en blouson noir et des centaines de milliers de gens sur les Champs Elysées pour l’autre : deux France, deux mythologies, toutes deux surannées et que seul relie un président de la République présent dans les deux cas. Deux images. Dun côté un écrivain que beaucoup achetaient mais que peu lisaient, un écrivain populaire mais mineur, à qui les historiens de la littérature ne réserveront sans doute pas une grande place, un homme de droite sympathique, avenant, souriant : les Français ont guillotiné leur dernier roi mais aime bien la noblesse, et cet écrivain à particule qui passait si bien à la télévision voisinait dans leur imaginaire avec les princes britanniques et leurs histoires sentimentales. D’un autre côté un chanteur cent fois plus populaire mais qui n’a été qu’un interprète. Une réplique de Maurice Chevalier en quelque sorte, mutantis mutandis. Chevalier ne changea jamais de tenue, costume et canotier, mais retourna souvent sa veste, en particulier avant, pendant et après l’occupation allemande. Hallyday changea souvent de tenue mais tint toujours le même type de discours. Ou plutôt : on lui fit tenir le même discours, un discours grâce auquel le « peuple » pouvait oublier un instant ses misères quotidiennes, rêver d’amour, d’Amérique, d’ailleurs. D’Ormesson et Hallyday sont deux images d’une France divisée, insécure, un peu repliée sur elle-même, comme un village gaulois encerclé par la mondialisation. Un village socialement structuré, avec ceux qui ont droit à un hommage national, comme le scribe d'Ormessonnix, et ceux qui ont droit à un hommage populaire, comme le barde Johnnix. La nation et le peuple...

 

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fleche6 décembre  2017 : Une mort chasse l'autre

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Jeudi dernier, j’ai passé l’après-midi à l’Académie française, où je recevais un prix. A gauche de la tribune, je voyais les académiciens en grande tenue, certains que je reconnaissais, d’autres non, mais il en manquait deux ou trois, parmi lesquels Jean d’Ormesson. Le même jeudi, mais je ne l’ai appris que le lendemain par une amie du show-biz, la presse était mobilisée toute la journée devant le domicile de Johnny Hallyday, à Marne-la-Coquette, piétinant dans le froid : on avait lancé le bruit que le chanteur était sur le point de mourir. Fausse alerte. Cinq jours plus tard mourait d’Ormesson, précédant Hallyday de vingt-quatre heures. Hier les radios et les télévisions ne parlaient que de l’écrivain, aujourd’hui ce sera le chanteur. On parle, on parlera de leur carrière, on ne dira que du bien d’eux. Comme le chantait Brassens, « Il est toujours joli le temps passé, une fois qu’ils ont cassé leur pipe... les morts sont tous des braves types ». Hier les media bousculaient leurs programmes pour parler de la mort d’un «  grand écrivain », aujourd’hui, depuis quatre heures trente du matin (avant je dormais) on ne parle que de la mort du « grand rockeur ». Une mort chasse l’autre.

Et cette succession est caractéristique du spectacle continu que constitue l’information. Ce matin, en tendant l’oreille , on percevait vaguement quelques rumeurs, le comité olympique exclue la Russie des prochains jeux, Trump s’apprêterait à reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël, mais tout cela ne pesait guère : un « monument » de la littérature est parti, suivi par un « monument » de la chanson. Chacun y va de sa formule, plus ou moins fine, plus ou moins bête. Selon le communiqué de l’Elysées, « on a tous en nous quelque chose d’Hallyday » : Ah bon ? Pour l’écrivain Alain Mabanckou, « La grande symphonie musicale francophone a perdu son âme la plus généreuse ». Ah oui ? Selon Jack Lang, « c’était une boule de feu ». Pour Line Renaud « Il restera. Le lien créé entre Johnny et la nation est trop fort ». Au passage, nous apprenons qu’il a mangé chez elle il y a quelques temps  « avec Brigitte et Emmanuel Macron ». La nation, décidément, traîne partout... François Hollande pour sa part joue sur un titre (Retiens la nuit) du chanteur : « Johnny est parti dans la nuit. Nous aurions tellement aimé le retenir ». Bof ! Et Thomas Legrand, sur France Inter, nous rappelle opportunément que Johnny  était un homme d’ordre, un homme de droite, qu’il avait soutenu De Gaulle, Chirac, Sarkozy, qu’il avait chanté « on a tous en nous quelque chose de Jacques Chirac », même s’il s’est produit une fois à la fête de l’Humanité. Sur France Inter toujours, on lit le message d’un auditeur qui dit en substance: « Vous ne passez jamais de chansons de Johnny, même sur la bande sonore des jours de grève. Aujourd’hui vous ne parlez que de lui. Bande de faux culs ». Belle analyse.

Vingt-quatre heures séparent donc les deux morts, et la presse écrite quotidienne pourra enchaîner. A chaque jour suffit sa peine, a chaque jour suffisent ses colonnes à la une. Ce matin La Provence titre « l’immortel au paradis » et Libération « Jean d’Ormesson à droite du paradis ». Demain ils passeront à Hallyday. En revanche que fera d’ici quelques jours la presse hebdomadaire ? Une couverture coupée en deux ? Dans mon bistro habituel je vois, sur l’écran de LCI, un bandeau : « La France pleure Johnny ».  Et un client lance au patron : « Ils devraient faire l’enterrement ici, ton bar débordera de clients pendant trois jours ». En octobre 1963, Edith Piaf mourrait quelques heures avant Jean Cocteau. Les funérailles de la chanteuse furent grandioses, faisant presque oublier celles du poète. Il est à parier que la mort de Johnny Hallyday fera passer au second plan celle de Jean d’Ormesson. Sic transit gloria mundi. Et puis l’on passera à autre chose, on reviendra à autre chose. A la Palestine, à la Syrie, au Yémen, aux Rohingyas. En attendant qu’une autre mort médiatique mobilise à nouveau les media avides.

Allez, finissons en chanson, avec Jacques Brel :  « Au suivant ». Mais lequel ?

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fleche5 décembre  2017 : Nationalisme

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Le résultat du premier tour des élections territoriales en Corse est étonnant. Non pas par les 45% des nationalistes et indépendantistes réunis, ni par les 28% de la droite régionaliste (il faudrait, mais ce n’est pas mon propos, faire une analyse sémantique de ces trois adjectifs, nationaliste, régionaliste et indépendantiste) et de la droite sarkozyste (je ne vois pas comment qualifier autrement ce que deviennent Les Républicains) mais par le score du Front National. Effectuons un petit retour en arrière. Au second tour de l’élection présidentielle de cette année, Marine Le Pen avait obtenu en Corse 48,52% des voix. Or le Front National vient d’obtenir 3,28% des voix, perdant 45%. Je sais, il ne s’agissait ni de la même élection ni du même problème, mais tout de même : cette presque moitié du corps électoral qui choisissait en mai un parti d’extrême droite existe toujours et devrait donc se retrouver dans les voix des nationalistes, indépendantistes et régionalistes. Il est peu probable en effet qu’ils soient dans le 11% obtenus par la République en marche ou le 5% du PC et de la France insoumise.

C’est-à-dire, vous me voyez venir, que la gauche n’a pas grand chose à faire dans cette histoire. Dans les années 1970, alors que je suivais de près les mouvements régionalistes, dans les domaines culturel, en particulier la chanson, et politique, tous, qu’ils soient pacifiques ou armés, se réclamaient de la gauche et étaient soutenus par une partie de la gauche. La chanson bien sûr, bretonne, occitane, catalane ou alsacienne, mais aussi les mouvements armés comme l’ETA au pays basque ou le FLB en Bretagne, étaient suivis et soutenus par la presse d’extrême gauche. Je ne sais pas si ces qualificatifs, gauche, ou extrême gauche, ont conservé aujourd’hui un sens. Mais je ne crois pas que ce qu’il reste de la gauche, de ses principes, voire de ses illusions, puisse se retrouver dans un corps électoral qui balance entre le Front National et le nationalisme régional. Ou il faudra qu’on m’explique...

 

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Novembre 2017

 

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fleche18 novembre 2017 : #balancetatruie

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Il y a sur la chaîne de télé M6 une émission, Nouvelle Star, dans laquelle des inconnus dont certains sont prometteurs viennent se produire devant un jury de professionnels, une chanteuse, Cœur de pirate, un chanteur, Benjamin Biolay, un compositeur, Dany Synthé (sans doute un pseudo) et une conseillère en image, Nathalie Noennec. Cette semaine, donc, un candidat porte un kilt. La conseillère en image décide de faire son métier : porte-t-il un slip sous son kilt ou est-il nu? Ni une ni deux elle va vers le jeune homme et procède à une vérification en lui passant la main sur les fesses. Je précise que je n’étais pas présent et que je raconte la scène à partir d’articles de presse. Cela, bien sûr, fait du bruit dans Landernau. Protestations diverses sur twitter, lettres au CSA, etc.

De deux choses l’une. Ou bien la conseillère en image a décidé de donner à voir une image forte, pour venger les femmes victimes d’agression sexuelles (c’est sans doute ce qu’elle dira, ou ce que diront ses avocats), ou bien non. Et dans le cas, il faudra créer une version masculine de la fameuse formule féministe #balancetonporc : #balance ta truie. Et pourquoi s'en tenir là, d'ailleurs. Face à la pédophilie dans l'église catholique les victimes pourraient lancer #balancetasoutane. Il y a sans doute d'autres situations qui justifieraient d'autres mots d'ordre du même gente. Je laisse à votre imagination ou à votre expérience le soin de les créer...

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fleche13 novembre 2017 : Si les mots ont un sens...

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Vous vous souvenez sans doute de Raquel Garrido, la porte-parole de Jean-Luc Mélenchon pendant la campagne électorale, passionaria des Insoumis qui, depuis la rentrée émarge chez Bolloré en participant à l’émission Les terriens du dimanche sur C8. Elle vient d’annoncer qu’elle quittait la politique active et s’en est expliquée hier dans le Journal du dimanche. Selon ses dires, c’est le CSA (Conseil Supérieur de l’Audiovisuel) qui l’a obligée à prendre cette décision : « Le CSA m’a placée devant un dilemme. Soit renoncer à mon engagement politique soit être décomptée France  insoumise (...) Le CSA a exigé un retrait total de mes activités politiques ». Le problème est que le CSA dément formellement cette version. Selon lui il s’agit d’un décision personnelle de Garrido, explicable par le fait que la société de production de l’émission avait demandé si les chroniques de Garrido seraient  comptabilisées comme du temps de parole politique. Et la réponse fut positive.

De deux choses l’une, donc. Soit Raquel Garrido est une grosse menteuse, soit, comme Jeanne d’Arc, elle entend des voix. Ce qui est sûr, si les mots ont un sens, c’est que le CSA n’a rien exigé, mais que Garrido a décidé, ou choisi, peut-être parce que ses chroniques chez Bolloré lui rapportent plus d’argent que ses activités politiques.

A propos du sens des mots, Abdelkader Merah interrogé par les juges à propos d’un jour où il aurait menacé son frère d’un couteau, a répondu : « Je n’ai pas voulu le planter, je voulais juste le tailler ». Et je reste admiratif et ému devant cette sollicitude fraternelle.

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fleche9 novembre 2017 : Lecture et écriture inclusive (suite)

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Lecture tout d'abord. La neuvième édition de mon Que sais-je? sur La sociolinguistique, mise à jour, vient de sortir, qu'on se le dise.

Quant à l'écriture inclusive, la municipalité de Fontenay-sous-Bois (front de gauche) vient de décider, pour "s'engager pour l'égalité", de l'utiliser dans son guide "à destination des Fontenaysiens" écrit Libération. On aurait pu attendre "à destination des Fontenaysien.e.s", mais personne, même Libération,  n'est parfait. Sur le site de la mairie on trouve d'ailleurs la liste des heures de permanence des "élu-es de la majorité municipale" et des "élu-es de l'opposition", mais sous le titre général de "les élus et leurs permanences". Ici encore, personne n'est parfait.

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fleche6 novembre 2017 : A voix haute

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Les éditions Hatier ont récemment sorti un manuel d’histoire  pour le CE2 utilisant ce qu’il est convenu d’appeler l’ « écriture inclusive », ce qui a lancé depuis deux ou trois semaines un débat comme souvent en France, enflammé, déchaîné et qui parfois déraille. Il s’agit de savoir comment donner (ou s’il faut donner) la même place aux genres masculin et féminin dans l’écriture. Il y a longtemps qu’on a travaillé sur la féminisation des noms de métiers. En 1984 était mise en place  une commission présidée par Benoîte Groult, qui avait mené à la publication d’une directive en 1986. Puis, en 1999, un Guide d’aide à la féminisation des noms de métiers, titres, grades et fonctions, préfacé par Lionel Jospin, avait vu le jour. Et depuis lors les publications militantes ou officielles se succèdent. Mais le débat qui s’enflamme aujourd’hui est un peu différent : comment inclure les deux sexes dans la langue ? Il y a par exemple en français des traducteur et des traductrice c’est clair, audible. Mais comment nommer une association ou un syndicat regroupant des traducteurs et des traductrices ? Association des traducteurs et traductrices ? Association de traducteurs/trices, ou des traducteur-rice-s ? Et la même question se pose dans l’accord du participe passé.  Cette inclusion fleurit dans les articles et surtout dans les « opinions » publiées dans la presse : les citoyen.ne.s, les électeur-rice.s, etc.  et cela déclenche des oppositions tranchées avec, comme d’habitude, une sorte de jeu de rôles convenu. Pour simplifier, il y aurait d’un côté l’Académie française, immédiatement qualifiée de réactionnaire, et de l’autre les défenseurs d’une justice ou d’une place à rendre aux femmes, autoproclamés progressistes. Et, comme les choses sont parties, nous allons finir par en venir aux poings (à propos de points !), ou bien les passions se calmeront, le débat sera enterré et nous parlerons d’autre choses, alors que le problème posé n’est pas négligeable.

Il est évident que dans cette question des noms de métiers il y a plusieurs cas de figure, et l’on me pardonnera de rappeler ces évidences, voire ces trivialités. D’une part soit la forme féminine existe (chanteur/chanteuse, traducteur/traductrice, etc.), et s’emploie régulièrement,  soit elle n’existe pas (médecin, secrétaire...). D’autre part soit la forme féminine s’entend (président/présidente) soit elle ne s’entend pas (professeur/professeure, député/députée) . Et, bien sûr, le problème est en partie réglé par les articles (un/une secrétaire, le/la secrétaire). Enfin la création d’une forme féminine pose parfois problème : faut-il appeler sans faire rire une femme conduisant un bus par exemple une chauffeuse ?

La même question se pose bien sûr pour l’accord du participe passé : on nous a appris à l’école que le masculin l’emporte sur le féminin. Il est vrai que cette supériorité présumée ou abusive du masculin est récente, elle remonte au 17ème siècle, et qu’auparavant l’adjectif s’accordait avec le nom le plus proche (les hommes et le femmes concernées, les femmes et les hommes concernés) ou avec la majorité (plus de femmes que d’hommes ou l’inverse) et qu’on pourrait revenir à l’un de ces usages. Mais qui décidera ? Et faudrait-il imposer une police de l’orthographe alors que la plupart des enseignants ne pénalisent même plus vraiment les élèves pour les fautes d’accord du participe ?

En 1990, le Journal officiel publiait un texte intitulé Les rectifications de l’orthographe, précédé d’une longue présentation de Maurice Druon, alors secrétaire perpétuel de l’Académie française et d’une réponse de Michel Rocard, le premier ministre de l’époque. Ce dernier était prudent, ou ambigu :

Il n’a jamais été question pour le Gouvernement de légiférer en cette matière : la langue appartient à ses usagers, qui ne se font pas faute de prendre chaque jour des libertés avec les normes établies. Mais il appartient au Gouvernement de faire ce qui relève de son pouvoir pour favoriser l’usage qui paraît le plus satisfaisant — en l’occurrence celui que vous proposez.

 Le rapport portait sur différents points,  l’accent circonflexe, ou des formes comme éléphant ou éléfant, nénufar ou nénuphar, trente et un ou trente-et-un, chariot ou charriot, etc. Et il n’était pas question d’en imposer l’une ou l’autre : « la langue appartient à ses usagers » disait Rocard, conseillé en fait par un linguiste qui se trouve être l’un de mes amis.

Pour tenter de dépassionner le débat, jetons sur cette question un regard de linguiste. La première question que je me pose est celle de savoir si c’est par le lexique ou par l’orthographe que l’on parviendra à l’égalité homme-femme. Appeler présidente celle qui préside un groupe industriel est une chose, une autre est de savoir si elle touche le même salaire que les hommes. Et écrire salariés ou salarié.e.s est une chose, une autre est de savoir si ils ou elles touchent le même salaire.  Cette question n’est pas vraiment nouvelle. Déjà en 1978, dans la préface de son livre Les mots et les femmes, Marina Yaguello se demandait : « Suffit-il de supprimer les mots racistes  ou sexistes pour supprimer les mentalités sexistes ou racistes ? ». Et, en bas de page, elle s’adressait aux «lecteurs (trices)», alors que trois pages plus haut, toujours en bas de page,  elle écrivait « le lecteur devra se reporter à la bibliographie.. ». Contradiction ? Hésitation ?

Une autre question porte sur les liens entre la graphie et la phonie. Aujourd’hui les profs conseillent aux élèves, lorsqu’ils ne savent pas choisir entre l’infinitif et le participe passé pour un verbe du premier groupe, de le remplacer par une verbe d’un autre groupe. S’ils ne parviennent pas à choisir entre cela me fait penser... et cela me fait pensé... par exemple, remplacer penser par rire les tirera d’affaire. Mais cette petite anecdote met en lumière une chose fondamentale : l’écrit est une transcription de l’oral. Ce que proposent les partisans (ou les partisanes, ou les partisan.e.s) de l’écriture inclusive inverse les rapports entre l’oral et l’écrit. Comment l’oral traitera-t-il les formes produites par l’écriture inclusive?

Dans le métier que j’ai exercé à l’université, les hommes et les femmes de rang égal et de même indice touchent le même salaire. Or, si l’on peut écrire professeures pour les unes et professeurs pour les autres, cela ne s’entend pas. Les étudiants, ou les étudiantes, ou les étudiant.e.s parleront du prof, et de la prof, mais il faudrait des acrobaties phonétiques pour distinguer entre professeur et professeure, comme cet instituteur de Pagnol (Topaze), dans ce passage par exemple où il faut soupeser avec soin les didascalies :

«  Des moutons...Des moutons...étaient en sûreté dans un parc ; dans un parc (Il se penche sur l'épaule de l'Elève et reprend). Des moutons...moutonss (L'Elève le regarde ahuri). Voyons, mon enfant, faites un effort. Je dis moutonsse. Etaient (il reprend avec finesse) étai-eunnt. C'est-à-dire qu'il n'y avait pas qu'un moutonne. Il y avait plusieurs moutonsse ».

Caricature ? Peut-être. Mais que serait une éventuelle réforme dont une bonne partie ne concernerait que l’écrit, n’existerait pas à l’oral ? Faudrait-il, pour lire à voix haute un texte comme les étudiant.e.s sont prié.e.s de se présenter au.à la secrétaire inventer des signes de la mains aussi stupides que celui venus des USA qui indique quel'on met un mot entre guillemets?

Je sais qu’on dira, en catégorisant de façon brutale comme souvent,  que cette écriture inclusive est défendue par les femmes et critiquées par les hommes, ce qui reste d'ailleurs à prouver. Les choses ne sont pas aussi bêtes, ni aussi superficielles. Et il semble peu productif de déclarer une guerre du genre dans l’écriture. Les langues ne sont pas congelées, elles changent sans cessent, dans les pratiquent de ceux qui les parlent. L’écriture suit, ou ne suit pas. Mais la langue est d’abord parlée et, dans la majorité des cas (je veux dire dans la majorité des langues du monde) elle n’est pas écrite. Pour celle qui s’écrivent, est-il raisonnable de créer une forme linguistique pour lecture silencieuse et une autre pour la voix haute ?

De tout cela il faudrait discuter calmement, sans invectives et sans outrances. En parlant du fond et non pas de la forme. En soupesant toutes les conséquences possibles d’une éventuelle réforme. Et, encore une fois,  sans instituer une police de l’écriture qui serait le prodrome d’une police de la pensée. Mais est-ce possible ?

 

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flechenovembre 2017 : Les mots et les choses

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J’ai eu cette semaine un long entretien avec l’ancien patron des éditions Assimil (qui est le fils du créateur et le père de l’actuel directeur : Assimil est une entreprise familiale) et il m’a, entre autres choses plus intéressantes les unes que les autres, raconté qu’ils ont été parfois menés à modifier un dessin ou un passage dans l’une ou l’autre de leur méthode. En gros, des histoires qui leur paraissaient drôles sont devenues au fil du temps plus du tout drôles, ou des dessins  qui se voulaient comiques ont paru racistes. Le politiquement correct était passé par là. Et j’ai pensé à Michel Foucault qui, dans Les mots et les choses, montrait  que les « conditions de discours » sont historiques, qu’elles évoluent. Ce que l’on peut dire, ce qu’on a le droit de dire, change avec le temps et caractérise une époque. Je me suis par exemple souvent dit que Georges Brassens ne pourrait pas débuter aujourd’hui, qu’il serait immédiatement condamné pour homophobie, misogynie ou attaqué par les militants de la manif pour tous pour discrimination d’une religion... Les « conditions de discours » donc changent, pour le meilleur ou pour le pire.

Deux évènements récents et très différents en attestent.  D’une part, au Pérou, l’élection de la miss nationale a dû en perturber plus d’un ou plus d’une. Traditionnellement, les candidates vont l’une après l’autre au micro et se présentent au public et au jury, déclinant leur nom et leurs mensurations. Cette habitude, qui peut faire penser à une foire aux bestiaux, a été cette année bouleversée. Toutes les candidates ont effet déclaré, après leur nom : « et mes mensurations sont »... Sont quoi ? Sont « 81% des auteurs d’agressions sexuelles sur des jeunes filles de moins de 5 ans sont proches de la famille »,sont  « une fillette meurt toutes les dix minutes, victime de l’exploitation sexuelle », sont « 2202 féminicides en neuf ans dans mon pays », etc. Il s’agissait donc de mettre des mots sur les choses, de dévoiler si je puis dire et, en même temps, de renvoyer les déclarations convenues et humiliantes au folklore. Je ne sais pas si les miss du Pérou feront école, mais le spectacle était réjouissant, même si le verbe réjouir n’est pas vraiment approprié. Disons qu’elles ont secoué le cocotier, et que c’était bien.

L’autre évènement s’est passé en France. Le gouvernement Macron, autoproclamé moderniste, a présenté en grande cérémonie son plan pour l’université. A cette occasion on a vu disparaître la notion de « prérequis », c’est-à-dire, pour le dictionnaire, « les conditions à remplir pour entreprendre une action ou remplir une fonction ». Plus de prérequis donc, parce que le mot faisait irrésistiblement penser à la sélection et que les syndicats étudiants n’en voulaient pas. Et on l’a remplacé par attendus. Ce terme existe surtout dans le langage juridique et désigne les éléments qui fondent un jugement, justifient une décision. C’est dire qu’il ne change pas grand chose à la situation des bacheliers qui souhaitent entrer à l’université. Jusqu’ici on voulait leur imposer des prérequis pour les y accepter, c’est-à-dire les connaissances qu’on attendait d’eux, dorénavant ils devront répondre à des attendus. Cela change tout selon la ministre de l’enseignement supérieur, cela ne change en fait rien. On a juste ajouté une couche de peinture (on proposera ou imposera à ceux qui ne remplissent pas les prérequis ou les attendus  des cours de recyclage), mais on a surtout changé un mot sans changer la chose. Les « conditions de discours » chères à Foucault sont ici déclinées à la mode de la langue de bois.

Pour revenir à ce par quoi j’ai commencé, la méthode Assimil, des auteurs facétieux en avaient donné une parodie savoureuse, la Méthode à Mimile, consacrée à l’argot. Mais qui rédigera La langue de bois ans peine ?

 

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Octobre 2017

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fleche30  octobre  2017 :Le "bien" et le "vrai"

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Dans un ouvrage récent (Le danger sociologique, Paris, PUF, 2017) Gérald Bronner et Etienne Géhin adressent à certains disciples de Bourdieu une critique un peu rude : selon eux ils subordonneraient leur démarche scientifique à leurs choix militants. Je n’entrerai pas dans ce débat (mes compétences sont en la matière limitées) mais voudrais poser le même type de question à propos d’un thème  dont l’actualité est chaude.

Il existe sur Internet une liste grâce à laquelle  les sociolinguistiques du monde francophone échangent des informations professionnelles: annonce de colloques ou de publications, appel à communications, etc. Mais, de temps en temps, le réseau s’enflamme. Ainsi, à la fin de ce mois d’octobre, un thème l’a subitement animé: la façon dont une partie de la presse traite ce qui se passe en Espagne et plus particulièrement en Catalogne. Les choses sont allé très vite. Le 24 octobre, un message signalait, sans commentaire, un article du quotidien Le Monde, « Catalogne, les langues se défient ». Le jour même, un autre message s’étonnait « qu’un journal si prestigieux adopte une direction si peu informée. C’est le quota que Le Monde doit payer au 15% du groupe espagnol PRISA ? ». Le lendemain, un autre message dénonçait le « parti-pris de dénigrement non seulement des indépendantistes (...) mais aussi des catalanistes voire des Catalans en général, ce qui frise parfois le ridicule. Le summum est atteint dans l’article que vous citez où l’auteure (par ignorance ?) ne dit rien du catalan comme langue officielle (...) Seulement voilà,  notre « journal de référence » n’est plus ce qu’il était, comme du reste El Pais, son confrère espagnol du même groupe de presse qui ne cesse de glisser sur la même pente d’oubli de la plus élémentaire déontologie journalistique au nom de l’intérêt supérieur de la Nation ».

J’arrête là les citations mais tout cela donnait un peu l’impression de taurillons s’excitant subitement à la vue  d’un bout de chiffon rouge. Car on trouve dans ces quelques extraits des traces de théorie du complot (Le Monde comme El Pais seraient vendus, car membres du même groupe de presse), des arguments d’autorité (Le Monde est « peu informé », sous-entendu : « nous, nous sommes bien informés »), voire des accusations plus graves (absence de déontologie, soumission à « l’intérêt supérieur de la Nation »), mais pas le moindre argument politique ou scientifique. Et, du coup, le message global semblait être : Le Monde et El Pais ont tort parce qu’ils ne pensent pas comme nous. Il y a là, hélas, une tendance assez répandue qui, de façon plus large,  peut se résumer ainsi : ce qui est bien (aux yeux de notre idéologie, ou de nos choix politiques ou militants), c’est-à-dire ce qui nous conforte, est vrai. Tendance qui est tout sauf scientifique et risque de mener parfois un trucage des données, ou à un aveuglement volontaire face à ces données lorsqu’elles ne vont pas dans le sens que nous souhaitons.

Mais là n’est pas le problème. Je l’ai déjà écrit ici, la Catalogne aura sans doute un jour un statut d’autonomie plus large, peut-être son indépendance. J’ai aussi écrit que je détestai les hymnes, les drapeaux, les frontières, les nations. Mon avis n’engage que moi, mais nous pouvons espérer que la démocratie réglera tout cela, alors que je relate autre chose, un emballement peu scientifique (je rappelle que tout cela s’est exprimé sur une liste de diffusion scientifique),  déraisonnable, et un déchaînement de dénonciations assez peu sympathiques et s’apparentant à de la délation.

Le hasard a fait que dans le numéro du Monde du 29 octobre le médiateur du journal, qui ne semble pas avoir lu la liste dont je viens de parler, répondait au courrier de lecteurs reçu à propos de cette question. « Depuis plusieurs semaines, vous êtes très nombreux à nous écrire à propos de ce qui se passe en Catalogne (...) soit pour exprimer votre point de vue ou pour apporter un éclairage historique original, soit pour nous reprocher de ne pas partager votre opinion ». Et il poursuivait : « Pour certains d’entre vous, nous serions des suppôts du pouvoir central madrilène ; pour d’autres, au moins aussi nombreux, nous aurions succombé à une forme de sympathie coupable envers la cause indépendantiste catalane ».  Ainsi le quotidien aurait reçu (je n’ai pas les moyens de le vérifier) autant de lettre l’accusant de favoriser Madrid que de lettres l’accusant du contraire. Et les « scientifiques » de la liste de diffusion se classaient  donc dans l’un de ces groupes.

A chacun son « bien » et à chacun son « vrai ». Mais si la politique devrait consister à rendre possible ce qui est souhaitable, ce n’est pas vraiment le rôle de la recherche scientifique.

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fleche23  octobre  2017 : C'est écrit dans le journal

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Pauline Julien, une chanteuse québécoise qui était chère à mon cœur, avait écrit une chanson ironique,  C’est marqué su’l’journal, pour se moquer de cette presse qui peut nous faire avaler n’importe quoi, et de la crédulité de certains de ses lecteurs.  Et l’expression courante en français, «c’est vrai, puisque c’est écrit dans le journal » , joue un peu la même fonction. On croit ce que l’on lit, lorsqu’on sait lire bien sûr.

A propos, vous connaissez l’histoire du lion qui s’était fait sodomiser par un singe ? C’est un lion qui se promène dans la forêt et voit un singe dans un arbre.

-Bonjour, petit singe, veux-tu venir jouer avec moi ?

-Non, répond le singe, je te connais, tu es un méchant lion, tu as bouffé plusieurs de mes frères singes.

Le lion nie, insiste, proteste de son innocence, au point que le singe semble hésiter :

-« D’accord, je vais venir jouer avec toi, mais d’abord je vais t’attacher la gueule et les pattes. »

Le lion accepte, le singe prend des lianes, fait un lasso et attrape la gueule du lion, qu’il attache fermement, puis un autre lasso pour attacher ses pattes, descend de son arbre et, pour se venger des méchancetés passées du lion, il le sodomise. Puis, conscient d’avoir fait une grosse bêtise, il se sauve en courant. Le lion, furieux, se débat, se libère de ses liens, et part à sa poursuite. Le singe court, court, ne sachant où se cacher, il aperçoit un journal qui traînait par là, le prend, le déplie et se cache derrière. Le lion arrive, voit ce lecteur et lui demande :

-Vous n’avez pas vu un singe ?

-Quoi ? Celui qui a enculé un lion ?

Et le lion :

-C’est déjà dans le journal !

Mais laissons ce singe et ce lion et revenons à nos moutons. je viens de trouver, ce n’est pas d’ailleurs la première fois, une autre forme de crédulité tout aussi intéressante. J’ai parfois entendu des musulmans me dire que ce que racontaient les linguistes était déjà dans le Coran ou chez les premiers grammairiens arabes, que Saussure n’avait rien inventé. Or, si j’en crois la presse de ce matin, l ‘autorité palestinienne manquerait de médicaments, en particulier de contraceptifs. J’ai ainsi appris que, dans la bande de Gaza, 53% des femmes mariées prennent un contraceptifs et en même tems, comme dirait Macron, qu’elles ont en moyenne entre quatre et cinq enfants. Ma première réaction a été que les Israéliens sont bien bêtes. Eux qui craignent comme Azraël (l’ange de la mort, chez moi, en Tunisie, on l’appelle Azraïne) la croissance démographique des Palestiniens, devraient les inonder de contraceptifs, non ? Et puis je me suis dit que de toute façon l’Islam devait les interdire.

Et bien non, je me trompais. Le cheikh Omar Nofal, « autorité religieuse et juridique respecté de la bande de Gaza », aurait déclaré : « C’est autorisé si c’est choisi par le couple, le Coran le dit ». Alors, si le Coran le dit ! Mais, même si  j’avoue ne pas être très compétent en la matière, je ne suis pas persuadé que la contraception était à l’époque ce qu’elle est aujourd’hui. Donc le Coran a non seulement autorisé la contraception (à condition que le mari soit d’accord, il ne faut pas exagérer le libéralisme en laissant les femmes libres de choisir seules), mais il avait prévu la contraception moderne. Ceci dit, j’aime bien apprendre, découvrir,  je suis ouvert. Alors, si quelqu’un peut me signaler la sourate dans laquelle apparaît cette prévision et cette autorisation, je me précipiterai sur elle. Et, bien sûr, je la publierai dans un journal.

 

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fleche20  octobre  2017 : La sardine et la baleine

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Non, ce n'est pas une fable de La Fontaine, du genre  "la sardine ayant nagé tout l'été..." C'est une histoire vraie, ou plutôt deux histoires vraies.

Chaque fois que l’on veut illustrer les galéjades marseillaises, on lance la même formule : « la sardine qui a bouché le port de Marseille », ce qui apparaît bien sûr comme une bonne blague. En fait tout cela est simplement une affaire de sourde et de sonore diraient les phonéticiens, un D ayant remplacé un T. En 1779 une frégate portant le nom d’Antoine de Sartine, ministre de la marine de Louis XVI, s’écrasa contre des rochers  puis coula dans le goulet d’entrée du vieux port. Il fallut utiliser des treuils et batailler quelques jours pour le dégager. Les Marseillais, certes, galèjent volontiers, mais c’est la Sartine et non pas une sardine qui avait bouché le port. Et d’ailleurs, si quelque chose devait le boucher aujourd’hui, ce serait plutôt, suite aux grèves à rallonge des employés de la voirie, les tonnes d’ordures qui parsèment les trottoirs de la ville.

Et pourtant ! Avant-hier, une baleine est entré dans le vieux port. Enfin pas vraiment une baleine mais un rorqual, un jeune rorqual qui mesurait quand même de 10 à 15 mètres de long. Entré le nez vers l’avant, enfin le rostre vers l’avant, il était incapable de se retourner pour se diriger vers le large, coincé contre le quai au pied du Pharo. Il a fallu l’intervention de plongeurs des marins pompiers et un canon à eau pour rediriger l’animal dans le bon sens.

Du rorqual à la baleine il n’y a qu’un pas, ou un brasse. Peut-être dans quelques dizaines d’années racontera-t-on l’histoire du bas de laine qui a bouché le port de Marseille.

 

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fleche15  octobre  2017 : La faute aux antibiotiques

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Oui, je sais, je vous avais dit que je serais au Brésil. Mais une bronchite carabinée m’a empêché de prendre l’avion. Du coup, bourré d’antibiotiques, j’ai pu assister hier soir à la causerie d’Emanuel Macron. Causerie, c’est bien le mot car le président a parlé, parlé, même s’il a précisé d’entrée de jeu qu’il ne voulait pas de «de présidence bavarde », ce pourquoi il ne rencontrait pas souvent la presse, qu’il voulait garder la solennité » de sa fonction. Il a pourtant donné l’impression de bavarder, à un tel rythme que les trois journalistes venus l’interroger avaient parfois du mal à placer un mot. Interrogé sur son vocabulaire bien éloigné de la solennité   qu’il invoquait (fainéants, cyniques, gens de peu, mettre le bordel)  il a répondu, sans doute conseillé par je ne sais quel linguiste un peu démodé,  en termes de « registres » et de « contexte »: fainéants, cyniques, sont pour lui d’un registre élevé, « le mot bordel c’est du registre populaire, comme dit l’Académie française », « les gens de peu : on sort le texte du contexte », et d’ailleurs  « nos élites politiques se sont habitués à ne plus dire les choses ».

Lui il dit des choses, beaucoup, trop, les répète plusieurs fois de suite, longuement. Des choses ou plutôt des mots qu’il enchaîne comme une tricoteuse championne du monde de vitesse (cela doit exister, le championnat du monde de vitesse des tricoteuse, non ?). Pujadas lui demande à plusieurs reprises des réponse rapides, des réponses plus courtes, des réponses en quelques mot, en vain. J’étais un peu abruti par les médicaments et cela m’a peut-être empêché de percevoir les subtilités de son discours. Je n’ai donc perçu qu’un type lisse, un peu fade et surtout bavard, au milieu d’un décor dont la caméra léchait certains détails, des livres en pile (avec un Malraux bien visible), une tapisserie d'Alechinsky, un galet tricolore. Mais le président était sans doute très bien, et si je ne l’ai pas compris c’est la faute aux antibiotiques.

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fleche11  octobre  2017 : Docimologie

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 Le numéro du 11  octobre de Charlie Hebdo à, en couverture, un dessin représentant trois homme cagoulés, armés de kalachnikovs, assis derrière une table dont la nappe est ornée de l’emblème corse, une tête de maure. Et l’un d’eux dit : « nous exigeons un débat ». Au dessus, en titre : Les Catalans plus cons que les Corses. Cela pose une question à laquelle je n’ai pas le temps de tenter de répondre : je pars travailler au Brésil et ne reprendrai la plume (enfin, le clavier) que d’ici dix jours. Alors je vous laisse un devoir de vacances. Répondez à la questions Les Catalans sont-ils plus cons que les Corses. Et, en question subsidiaire : Les Espagnols sont-ils plus cons que les deux précédents ?

Cela pose, bien sûr, quelques problèmes théoriques : comment mesurer la connerie ? Vous exposerez donc votre méthodologie.

Et pour les ignorants qui ne savent pas ce qu’est la docimologie (du grec dokimé, « épreuve » et logos, « discours ») : c’est la science de l’évaluation en pédagogie, ou si vous préférez la science de la façon dont on note les examens. Vous avez le droit de consulter les travaux d’Henri Piéron, mais je ne suis pas sûr que cela vous aidera beaucoup dans votre tâche.

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fleche9  octobre  2017 : Islamo-gauchisme, racisé, fachosphère...

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Sonia Nour (pourquoi ne pas la nommer, son nom est désormais partout), qui travaille à la mairie de La Courneuve, a mis lundi dernier sur Facebook, après l’assassinat de deux jeunes-filles à la gare de Marseille, le texte suivant :

« Quand un martyr égorge une femme et poignarde une autre là ça fait du bruit. Terrorisme, du sang, civilisation Bla Bla Bl... Par contre que le terrorisme patriarcal nous tue tous les deux jours on l’entend moins votre grande gueule ».

Immédiatement, le maire (PCF) l’a suspendue. Et des membres de l’UNEF (S. Nour était membre du bureau de ce syndicat étudiant en 2010) ont protesté, expliquant que l’intéressée faisait « un lien utile et nécessaire entre classe, race et genre » tandis que d’autres reprochaient au maire d’avoir agi « sous la pression de la fachosphère » ou expliquaient que « la violence de la charge contre Sonia Nour tient principalement au fait qu’elle est racisée ».

Martyr, fachosphère, racisée, nous entrons dans une constellation sémantique qui mérite qu’on prenne quelques minutes pour y réfléchir. Jean-Luc Mélenchon vient de démissionner d’une commission parlementaire sur la Nouvelle-Calédonie, parce qu’il ne supportait pas que le président en soit Manuel Valls, selon lui « personnage extrêmement clivant » (Mélenchon, lui, n’est pas clivant) ayant « une proximité avec les thèses ethnicistes de l’extrême droite ». Valls répond vertement, dénonçant un discours « ignoble et outrancier », ce à quoi Mélenchon réplique que « la bande à Valls est totalement intégrée à la fachosphère et à sa propagande ». Ajoutons pour compléter le tableau que Valls avait, il n’y a guère, qualifié le discours des députés de la France insoumise d’ « islamo-gauchiste ». Et notre constellation sémantique s’enrichit : après martyr, fachosphère, racisée donc, voici arriver ethniciste et islamo-gauchiste...

Ce n’est peut-être pas par hasard que dans ces créations lexicales apparaissent à la fois l’UNEF et la France insoumise. J’ai un attachement très personnel à l’UNEF, j’en étais vice-président à l’information en 1964-1965 et depuis lors j’ai toujours suivi son évolution avec intérêt. En 1965 le syndicat avait 100.000 adhérents, chiffre qui est tombé à 2.000 à la fin des années 1960. L’organisation, exsangue, est alors une proie facile pour l’Union des Etudiants Communistes et le PSU qui tentent de prendre le contrôle de ses dépouilles. Le syndicat explose en 1970, puis se réunifie en 2001. Il avait 29.000 adhérents en 2005, 20.000 aujourd’hui, et se trouve dans la même situation qu’en 1970 : on tente de récupérer cette structure moribonde. Après l’UEC, le PSU puis le PS (Benoît Hamon était alors à la manœuvre), il semble que ce soit aujourd’hui le tour de la France insoumise. Cet été, huit membres de la direction de l’UNEF en ont été exclus: ils étaient tous membres de LFI, et soupçonnés de vouloir noyauter le syndicat. Or l’organisation étudiante est traversée par des débats intenses, en particulier à propos de la laïcité. On y organise par exemple des réunions « non mixtes racisées » (tiens ! Revoilà le racisé), c’est-à-dire  des réunions d’hommes ou de femmes, mais pas les deux, Africains et Maghrébins : les blancs ou les blanches en sont exclus. On croit rêver, mais cette longue parenthèse sur l’UNEF nous ramène à ce qui se passe aujourd’hui.

Que LFI tente de prendre le pouvoir à l’UNEF ne serait pas étonnant : il s’agit d’un technique trotskiste classique. Mais le thème de la race et de la religion pose en ce moment problème au sein de l’extrême gauche. Et ce n’est pas par hasard si des membres de l’UNEF se sont portés au secours de S. Nour. Elle utilise dans son texte un mot, martyr, qui est tout sauf innocent, correspondant à l’arabe chahid désignant aujourd’hui pour les islamistes celui qui meurt pour la religion. Pour certains en effet, l’islam doit être analysé comme une victime. Le Parti des Indigènes de la République par exemple, qui veut « décoloniser la république » et défendre « les Noirs, les Arabes et les musulmans ». Or une députée de LFI, Danièle Obono, s’est récemment illustrée en répondant à un journaliste qui lui parlait d’un chauffeur de bus musulman refusant de prendre le volant après une femme que cela n’avait rien à voir avec la religion ou la radicalisation mais n’était qu’un signe de machisme. Des Indigènes de la République à la France insoumise en passant par une partie de l’UNEF apparaît ainsi comme un fil rouge, au bout du compte opposé à la laïcité: la volonté de dédouaner l'islam. Je pourrais multiplier les exemples de cette gêne, à l’extrême gauche, mais elle peut se ramener à un grand principe : ce qui se passe dans les attentats, les massacres, n’a rien à voir avec l’islam. Et la constellation sémantique qui en découle, martyr, islamophobie, racisé, fachosphère d’un côté, islamo-gauchiste, ethniciste de l’autre, en témoigne bien. Le Parti des Indigènes de la République continuera très certainement sur la même voie, mais Mélenchon pour sa part se tait (comme il continue à se taire sur le Venezuela) : il laisse parler l’inénarrable Corbières. Entre aveuglement ou opportunisme et réalisme, il lui faudra pourtant bien trancher un jour.


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fleche3  octobre  2017 : Jeu à somme négative

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Un jour ou l’autre, la Catalogne aura une forme d’indépendance, à ses risques et périls. Après tout, le droit des peuples à l’autodétermination est un principe acquis et, sur le fond, il n’y a pas de débat. Sur la forme, en revanche...

Au Québec comme en Ecosse des référendums ont été organisés sans que cela suscite le moindre problème. Dans les deux cas, le résultat fut négatif. Et dans les deux cas aussi la consultation avait été organisée dans le cadre de la loi du Canada ou de la Grande Bretagne, un peu comme la France a procédé en Nouvelle Calédonie. La Catalogne, ou plutôt certains de ses dirigeants, ont procédé à l’inverse. Dès le début Madrid a annoncé que si la Catalogne organisait de son propre chef un référendum, elle se mettait dans l’illégalité, ce qui est sans doute juridiquement vrai. Dès lors, Barcelone a répliqué qu’il serait de toute façon organisé.  Comme des petites frappes de cour de récréation, le premier ministre Rajoy et le président de la Generalitat Puigdemont ont haussé le ton, montrant leurs muscles et faisant dans l’hystérie. A des lieues de la politique, ils ont joué aux petites machos, ou aux roitelets.

Pour ma part je déteste les frontières, les drapeaux, les hymnes. C’est vous dire que les arguments des uns et des autres me laissent froid.

Dans la théorie des jeux et de la décision, on distingue entre les jeux à somme nulle et les jeux à sommes positive. Dans le premier cas, la somme que les uns perdent est la même que celle perdue par les autres, comme la somme d’argent sur un tapis de poker : l’un des joueur ramasse ce que les autres ont perdu. Dans le second cas, tout le monde gagne, mais pas la même chose, bien sûr. Si Madrid et Barcelone jouaient aux dés, ils y aurait un vainqueur et un vaincu. S’ils discutaient ils pourraient tous deux sauver la face (on dit en Chine qu’il faut toujours « laisser une face » à l’ennemi) et parvenir à une solution raisonnable. Ils sont en fait en train d’inventer un autre cas de figure : un jeu à somme négative, dans lequel tout le monde perdrait. Enfin, pas tout à fait, car un troisième larron pourrait tirer les marrons du feu : le nationalisme. On a vu ce que cela a donné dans l’ex-Yougoslavie.

 

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fleche1er  octobre  2017 : régime alimentaire

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Il y a quelques mois je dînais, à Paris, chez des amis journalistes et, en arrivant, nous trouvâmes trois autres invités. Des Américains. C’était peu de temps après l’élection de Trump et, tout au long de l’apéritif et  durant les hors d’œuvres, la conversation porta sur la politique. Arriva le plat principal, un rôti ou un gigot, je ne sais plus, et en cœur ou presque ils lancèrent : « sorry, we are vegetarian ». Vous imaginez la tête de la maîtresse de maison, obligée d’improviser en hâte pour eux un plat de remplacement... Avec ma compagne, sur le chemin du retour, nous nous dîmes qu’ils étaient soit inconscient soit impolis : comment accepter une invitation sans préciser une telle chose ?

Ce matin, j’écoutais sur France Inter une émission que j’aime bien, On va déguster, qui porte sur la cuisine et dans laquelle je trouve parfois des recettes intéressantes. Cette fois-ci l’émission portait sur la cuisine végétarienne. Enfin, pas tout à fait car ils distinguaient entre végétariens, végétaliens et véganes. Vous connaissez les différences entre ces trois catégories ? Si non, vous n’êtes pas venus pour rien. Les végétariens ne consomment aucune chair animale, ni viande ni poisson. Les végétaliens, pour leur part, refusent en outre les fruits de mer, la gélatine, la pressure, le miel, les œufs... Comme quoi la simple alternance entre un l et un r change bien des chose. Cela me fait penser à une blague que l’on racontait lorsque Clinton était président des Etas Unis. Lors d’un voyage officiel dans un pays peu démocratique et dont la langue confondait le l et l e r, sa femme, Hillary, d’humeur provocatrice, demanda au chef d’état : « When did you have your last election ? » Et il répondit « This morning ». Mais restons sérieux. Quant aux véganes, ils ne consomment ni viandes ni poissons ni produits laitiers ni œufs ni miel mais excluent aussi les produits issus des animaux (cuir, fourrure, laine, soie, cire d’abeille, etc.).

Je croyais être au bout de mon apprentissage, mais non. Le journaliste qui présente l’émission ajouta qu’il y avait un débat chez les véganes à propos des truffes. Les truffes ? Oui, les truffes. En effet, les véganes sont antispécistes, ils sont contre la domination d’une espèce par une autre, en particulier contre la domination ou l’utilisation de l’espèce animale par l’espèce humaine. Qu’est-ce que cela a à voir avec les truffes ? Et bien, si, pour chercher des truffes on utilise un cochon ou un chien truffier, les véganes sont contre la consommation de ces truffes. Je sais, cela s’apparente à la sodomisation de diptères brachycères... Mais, en même temps, cela m’a posé un grave problème. Imaginons que j’adhère à la légitime idéologie végane, et que je décide dorénavant de ne consommer que des légumes et des fruits. Je serai alors confronté à un dilemme. Les arbres fruitiers ne sont pas, en effet, auto-fertiles, et la production de fruits nécessite une pollinisation croisée (le pollen d’une fleur doit être déposée sur les stigmates d’une autre fleur), ce transport étant assuré soit par le vent soit par des abeilles. Donc, si je suis dans l’impossibilité de savoir si les fruits qui se trouvent dans mon assiette doivent leur existence au vent ou à une abeille, je m’abstiendrai d’un consommer. Me restent donc les légumes. Mais alors il me faut savoir si le labour des champs dans lesquels ils sont produits est effectué à l’aide d’une charrue ou d’un tracteur. Dans le premier cas, si la charrue est tirée par une vache, mon antispécisme m’interdira leur consommation. Et dans le second cas, le tracteur fonctionnant à l’essence ou au mazout, produits polluants comme on sait, mon véganisme entrera en conflit en conflit avec mon écologisme. Allez, je vais me faire griller une côte de bœuf.

Mais nous vivons vraiment une époque moderne.

 

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Septembre 2017


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fleche 21 septembre  2017 : Rétro

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Le cinéma vit à l’heure du biopic,  comme on dit en globish pour biographie ou film biographique. Un Gauguin vient de sortir, après un Van Gogh naguère, et des dizaines d’autres, consacrés à Piaf ou La Fontaine en 2007, Sagan, Coluche, Chanel et Mesrine en 2008, Gainsbourg ou Camus en 2009, Louise Michel ou Carlos en 2010, Claude François en 2012, un cheval (Jappeloup) et Camille Claudel en 2013, Yves Saint Laurent deux fois en 2014, Pierre Brossolette en 20015, Chocolat, Dalila, Django Reinhardt  et Cézanne en 20016, pour nous en tenir aux années récentes à quelques sujets français.

Deux films qui viennent de sortir, Le Redoutable et Barbara changent cependant un peu la donne. Il ne s’agit pas d’une continuité, de la naissance à la mort d’un individu, mais d’un effet de zoom sur un moment limité d’une vie, dans le cas de Godard, ou d’une mise en abyme d’un film en train de se faire dans le film, pour Barbara. Du coup, nous sommes presque dans l’anti-biopic. Le Redoutable peut en laisser certains sur leur faim mais, pour quelqu’un de ma génération, il évoque des manifs auxquelles il a participé ou des amphis de la Sorbonne bondés qu’il a connus. Il y a Godard, bien sûr, le Godard mao (enfin, « le plus con des Suisse pro chinois» comme on disait alors), un Godard extrémiste et influençable à la fois, un peu autiste, fermé sur lui-même, bref un homme dans une tempête historique et personnelle. Quant à Barbara, il en va un peu de même : on ne la raconte pas, on la donne à voir, « en vrai » par le biais d’images d’archives et « en faux » lorsqu’une actrice qui doit la jouer s’y prépare et, là aussi, les gens de ma génération retrouvent des échos d’une Barbara qu’ils ont découverte au début des années 1960, à l’Ecluse (un des rares cabarets disposant d’un piano : ailleurs on s’accompagnait à la guitare), puis suivie, de disque en disque, de spectacle en spectacle. Encore une fois, donc, non pas un biopic mais un zoom légèrement pointilliste.

Reste cependant une question : biopic ou pas, anti ou faux biopic, ce cinéma s’attache tout de même à des moments du passé, à des personnages ou à des œuvres qui ont marqué notre histoire récente, les chansons de Piaf, Cloclo ou Barbara, les vêtements de Saint-Laurent, la guitare de Django, les romans de Sagan, etc.  De quoi un cinéma qui regarde ainsi dans le rétroviseur, est-il le signe ? Nostalgie ? Volonté de rattraper des bribes de mémoires ? De réveiller ou de titiller le dortoir de notre mémoire ?

Un qui n’arrête pas de regarder derrière, c’est Mélenchon, qui ne se console pas de son échec à l’élection présidentielle. Son porte-parole, Alexis Corbières, a trouvé une façon originale de présenter les choses : Macron, dit-il, n’a aucune légitimité, il n’a recueilli que 18% des voix des électeurs inscrits. C’est bien sûr une façon de compter comme une autre, à deux petits détails près. D’une part, il s’agit du résultat du premier tour (en comptant de la même façon Macron a obtenu au second tour un peu plus de 43% des inscrits). D’autre part, Corbières devrait rappeler que Mélenchon, lui, n’a alors recueilli que 14% des voix. Mais les rétroviseurs sont parfois déformants.

Une autre façon, elle-aussi récente, de regarder dans le rétroviseur, touche au politiquement correct. Après les évènements  aux USA, à Charlottesville, qui ont en particulier vu l’émergence d’une volonté de supprimer partout les statues du général Lee, certains réclament que l’on fasse disparaître de l’espace public français  les traces de l’esclavage. Ainsi une pétition récente réclame que l’on débaptise les lycées Colbert, parce que ce ministre de Louis XIV  est le fondateur de la Compagnie des Indes occidentales et l’initiateur du Code noir. Mais pourquoi s’arrêter à Colbert ? Bonaparte a rétabli l’esclavage en mai 1802 et il y a partout en France des lycées, des rues, des places qui portent son nom. Et faut-il d’ailleurs ne lui reprocher que ce rétablissement? Il a fait tuer des milliers de Français dans ses campagnes et fait massacrer d’autres milliers d’Européens. Supprimons donc Bonaparte de l’espace public, qui déborde en effet de noms propres qui sont souvent bien sales. Une grande entreprise de nettoyage s’impose, qui impliquerait que des commissions examinent, cas par cas, tous ces noms et décident ou pas de les oblitérer ! Voltaire, qui dans son Traité de métaphysique défendait la supériorité de l’homme blanc, y survivrait-il? Je n’en sais rien, mais ces commissions en décideraient. Et Céline, faudrait-il l’interdire dans toutes les bibliothèques et l’oublier dans les cours de littérature ? Et Jules Ferry, qui théorisa la colonisation ? Et Thiers, le massacreur de la Commune de Paris ? Et, pourquoi pas, Saint Michel, ce massacreur de dragons ? Je rigole ? Oui, je m’amuse en partie. Mais le communautarisme est en train de faire en France des ravages. L’esclavage, faut-il le rappeler, a été une chose horrible. Et regarder dans le rétroviseur est une démarche fondamentale. Mais analyser ce qu’on y voit relève du travail des historiens, non pas dans un esprit revanchard mais dans une volonté de mise en perspective, d’analyse. Plutôt que de supprimer les lycées Colbert, Ferry, Bonaparte ou Thiers (laissons de côté Saint-Michel pour cette fois), ne faut-il pas mieux expliquer aux élèves qui ils furent et ce qu’ils firent?  Vouloir faire disparaître certains noms des édifices publics, n’est-ce pas oblitérer une partie de l’histoire ? N’est-ce pas se masquer les yeux plutôt que de faire la lumière sur le passé ? Et n’est-il pas plus efficace de rendre aux Noirs, puisque c’est le CRIN (conseil représentatif des associations noires) qui appelle à débaptiser les lycées et collèges Colbert, de leur rendre donc leur place dans l’histoire de France ?

Je sais, ce débat est complexe, mais je crois préférable de l’aborder de front et de regarder notre passé en face plutôt que de se donner bonne conscience en barbouillant ses traces sur des plaques de rues ou des frontons de lycées.

Allez, pour terminer avec le sourire et quitter le rétro pour l’immédiate actualité, Macron a déclaré hier à New York, devant un public de Français :  « j’ai décidé qu’en novembre prochain nous sortirons de l’état de droit...euh, de l’état d’urgence ».


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fleche 6 septembre  2017 : L'entrisme et la Nadine Morano de la France insoumise

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Raquel Garrido, porte parole de la France insoumise et avocate de Jean-Luc Mélenchon, vient de prendre un curieux virage à 180 degrés : elle travaille désormais comme chroniqueuse (à partir du samedi 9) dans l’émission « Salut les terriens », c’est-à-dire qu’elle travaille pour Bolloré, l’une des têtes de turc de la France insoumise. A ce titre elle a été accréditée à la conférence de presse du Premier ministre le 31 août, alors qu’elle n’est pas journaliste. Dans la profession on s’étonne ou on fulmine : que faisait-elle là ? Certains avancent l’hypothèse qu’il s’agit d’un coup monté par Matignon pour décrédibiliser la profession : si n’importe qui peut poser une question dans une conférence de presse, alors les compétences des journalistes sont rabaissées...

Ce qui est sûr, c’est que Raquel Garrido n’a jamais vraiment fait dans l’information. Pendant la campagne présidentielle, elle s’est surtout illustrée par son usage continu de la langue de bois et, le soir du premier tour elle a nié jusqu’au bout (enfin, disons le plus tard possible) l’élimination de Mélenchon. Hier soir, invitée sur la 5, elle s’est lancée dans un discours fumeux pour défendre, encore une fois, le Venezuela, agressant Patrick Cohen, donnant des leçons "d'impartialité". Depuis des mois elle me fait furieusement penser à Nadine Morano: l’une est blonde l’autre brune, l’une est bien à droite l’autre d’extrême gauche, mais toutes deux ont été porte-parole (l’une du RPR l’autre de la France insoumise) et toutes deux sont prêtes à utiliser n’importe quel argument pour défendre leur chef ou leur ex-chef (Sarkozy pour l’une, Mélenchon pour l’autre) et leur ligne politique. La France insoumise a donc trouvé sa Nadine Morano.

Mais que fait-elle chez Bolloré ?

Nous entrons là dans un autre débat. Le trotskisme français, longtemps divisé en deux grandes tendances, le pablisme et le lambertisme (la tendance de Mélenchon mais aussi, naguère, de Lionel Jospin, de Jean-Christophe Cambadélis  ou des frères Assouline), a toujours pratiqué l’entrisme, cherchant à noyauter des partis (le PCF, Le PS, en particulier par le biais de leurs organisations de jeunesse) ou des syndicats pour y faire progresser ses idées. Certains l’ont faire de façon clandestine, d’autres ouvertement. Or, même si aucun commentateur politique ne semble l’avoir souligné, du moins à ma connaissance, j’ai l’impression que la France insoumise est en train de réussir ce que les petits mouvements trotskistes ont toujours raté. Lutte Ouvrière et la Ligue Communiste (reconvertie en Nouveau Parti Anticapitaliste), malgré le talent d’Arlette Laguiller ou d’Olivier Besancenot, n’ont jamais réussi à fait un score à deux chiffres dans les élections. Mélenchon oui. Et je crois que l’entrisme est l’un des éléments explicatifs de sa statégie.

Mais de là à noyauter la télévision de Bolloré ! La Nadine Morano d’extrême gauche se fait peut-être beaucoup d’illusions.

 

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fleche 3 septembre  2017 : Empapaouter

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En général propre sur lui, lisse et l’air un peu niais, le premier ministre s’est pourtant lâché aujourd’hui dans le Journal du dimanche. Interrogé sur le fait de savoir s’il était mal préparé lors de son interview par Jean-Jacques Bourdin (souvenez-vous, « j’suis un gars sérieux », voir mon billet du 28 août) il a répondu : « Je connais tellement de gens, en politique, qui font semblant de savoir et qui vous empapaoutent... Moi pas. Je ne connais pas tous les chiffres par cœur, je ne suis pas Wikipedia ». Donc, contrairement à « tellement de gens, en politique » et à Wikipedia, le premier ministre ne nous empapaoute pas. Du moins à ce qu’il dit. Mais sait-il ce qu’il dit ?

Dans l’ouvrage récent le plus sérieux consacré à la « langue verte », Dictionnaire de l’argot (1990),  Jean-Paul Colin glose le verbe empapaouter par « sodomiser » et pour empapaouté il écrit :  « n.m. Syn. Enculé ». Pour l’étymologie, cependant, il ne se mouille pas, reprenant une vieille explication (1924) de L. Tailhade citée par Jacques Cellard et Alain Rey dans leur Dictionnaire du français non conventionnel (1980). Après avoir traduit le verbe par « sodomiser, dans une relation homosexuelle », ils donnaient comme étymologie « formation plaisante, à partir sans doute de empaffer, avec une pseudo filiation évoquant une peuplade imaginaire (cf. aller se faire voir chez les...) » Mais Alain Rey, dans son Dictionnaire historique de la langue française (1992), ignorait ou évitait le terme.

Remontons un peu dans le temps. En 1967, dans son Dictionnaire des injures, Robert Edouard écrivait « va te faire empapaouter ! Va te faire voir chez les Grecs, de préférence au mois d’août (sans doute parce que, selon certains vacanciers, ils ont à ce moment de l’année les yeux plus gros que le ventre) » . Pour Lazare Sainéean (Le langage parisien au XIX° siècle, 1920) empapaouter signifiait « ennuyer » mais il citait pourtant le Père Peinard qui le 3 janvier 1892 écrivait « en parlant des pédérastes » : « A Chalons ousqu’on pratique l’empapaoutage grande largeur ». Emile Chautard, La vie étrange de l’argot (1931) écrivait pour sa part « empapaouter (se faire), subir le coït anal ». Géo sandry et Marcel Carrère (commissaire de police à la sureté nationale) écrivaient  quant à eux dans leur Dictionnaire de l’argot moderne (1953)« Empapaouter, acte de pédérastie ». Bref, selon les époques, on tourne autour du pot (si j’ose dire, tiens, une autre fois je vous conterai l’histoire de l’expression avoir du pot, du bol, du fion, du cul...) pour un des termes argotiques qui a le plus de synonymes : daufer, empaffer, encaldosser, enculer, endauffer, englander, pointer, troncher...

Donc, qu’on se le dise, le premier ministre ne veut pas nous enculer. Mais pourquoi ne le dit-il pas de façon plus simple ? Serait-ce parce ce qu’il connaît aussi mal le vocabulaire argotique que les chiffres ?

 

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Août 2017


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fleche 29 août  2017 : Réforme ou transformation?

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La semaine dernière, en Roumanie, le président Macron lançait que « les Français détestent les réformes », et il enfonçait le clou : « dès qu’on peut éviter les réformes, on le fait ». Problème : depuis le début de sa campagne puis de son quinquennat il ne parle que de réformes : réforme des retraites, réforme du code du travail, etc. Dès lors il se mettait lui même dans un piège sémantique : comment lancer des réformes alors que les Français les détestent ? En allant contre leurs désirs, leurs goûts, leurs dilections, leurs envies ?

La solution est venue de je ne sais quel communiquant et le premier ministre a déclaré hier que «le pays a besoin de transformation et les français le savent ». Les autres membres du gouvernement ont enchaîné très vite et l’on n’entend plus désormais parler que de transformations. On perçoit tout de suite l’aspect orwellien de ce changement de pied : il ne s’agit pas de changer ce que l’on va faire mais  de changer la façon de nommer ce que l’on va faire.

Or il y a peut-être une autre solution. En observant les formes verbales dont elles découlent, réformer et transformer, on se rend compte que réforme et transformation sont étymologiquement bien proches. Du latin forma, dont le sens premier était « moule » (d’où en français la fourme, moule à fromage puis fromage moulé),  transformer  (du latin tranformare) signifie « changer une chose en une autre », ou « aller au-delà de la forme » tandis que réformer  (du latin reformare)  signifie « revenir en arrière, redonner la forme initiale », puis au sens figuré « améliorer ». On voit que la différence est légère, mais que cependant réforme  a une petite connotation passéiste (la Réforme des Protestants était après tout la volonté de revenir aux sources du christianisme) tandis que transformation a d’étranges relents, allant du transformisme, l’art de changer rapidement de costume, à l’illusionnisme. Dans les deux cas, les termes sont mal choisis. Le réformisme a pourtant un sens politique, entre révolution et conservatisme, mais les Français, nous dit Macron, n’aime pas les réformes, et le transformisme est polysémique. Mais l’union des deux pourrait être une solution : revenir en arrière (réformer) pour changer les choses (transformer). La seule question est alors de décider dans quel ordre il conviendrait de mettre ces termes. Et, pour rester dans la stylistique de Macron, de choisir entre « réformer et en même temps transformer » ou « transformer et en même temps réformer ».

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fleche 28 août  2017 : Pédagogie

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Des membres de la majorité, face à l’aspect un peu secoué de la rentrée, déclarent qu’il leur faut faire « plus de pédagogie ». Effectivement, à l’écoute du discours des politiques, les pédagogues s’arrachent les cheveux. Ainsi le Premier ministre vient-il de déclarer à la radio que « 30% des Français bénéficieront en 2O18 de la suppression de la taxe d’habitation » en 2018 alors qu’en fait 80% des foyers bénéficieront d’une baisse de 30% de cette taxe. Que voulez-vous que fasse un prof de maths si ses élèves lui rapportent ces propos ? Le même Premier ministre, décidément en verve, a continué en disant qu’il irait vérifier ses chiffres à la pause (la coupure publicitaire) et a tenu à préciser pour justifier son incapacité à répondre : « j’suis un gars sérieux ». Imaginez que tous les examinateurs de tous les oraux de tous les examens se trouvent devant des candidats qui tous leur disent : « j’suis un gars sérieux, laissez-moi sortir cinq minutes pour pouvoir vous répondre plus précisément ». Une génération de jeunes branleurs invoquant l’exemple du premier ministre pour justifier leur besoin d’aller consulter leurs pompes, bref pour tricher, cela marque mal ...

Et s’il n’y avait que le premier ministre (je n’ai toujours pas retenu son nom, désolé, Edouard quelque chose je crois, et n’étant pas un gars sérieux je n’irai pas chercher sur Internet). Prenez le Président, oui, Macron. Il n’a cessé de pratiquer une curieuse formule, « X, et en même temps Y », « à droite et, en même temps, à gauche ». Vous imaginez le désespoir des moniteurs d’auto-école dont les élèves mettront le clignotant « à gauche, et en même temps, à droite », ou tourneront « à gauche, et en même temps, à droite »? Le même Président a déclaré qu’il serait jupitérien. Comment les profs d’histoire vont-ils pouvoir expliquer que le dieu des dieux, bien à l’aise là-haut, au dessus des nuages, puisse connaître une telle chute dans les sondages ?

Continuons. Samedi, à Marseille, la France insoumise organisait un débat sur le thème « Faut-il dégager les média ? » Selon la presse, la foule aurait répondu en hurlant « ouiiiiii ! » Vous imaginez la gueule de Mélenchon sir la foule avait hurlé « Ouiii et en même temps noooon ! »

Et que vont faire les profs de lettres face à la valse des sigles, ISF (impôt sur la fortune) venant d’être remplacé par IFI (impôt sur la fortune immobilière) ? Comment expliquer que l’Etat fait un cadeau de 3 milliards aux riches en ne taxant plus leur fortune financière sans faire de la politique, alors que leur rôle est d’enseigner la grammaire ?

Bref, ils ont bien raison, les membres de la majorité, de vouloir faire de la pédagogie. Faute de quoi  La France en marche risquerait de devenir La France en marche et en même temps à l’arrêt. Encore faudrait-il qu’ils sachent l’étymologie de ce terme : « mener les l’enfants », le pédagogue étant l’esclave qui menait les enfants à l’école. Et si les enfants ne voulaient pas se laisser mener ?

 

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fleche 26 août  2017 : Changer de pays

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Selon un diction bambara, quand on met un crapaud dans une calebasse, il dit « nous avons changé de pays ». Traduisons : un crapaud ne voit pas plus loin que le bout de son nez, il est certes dans une calebasse, mais toujours dans le même pays. Pourtant, on change parfois de pays sans le quitter. Je viens de passer quatre jours à Angers, et moi qui suis familier d’au moins trois villes en France, Paris, Aix et Marseille (les autres, aux quatre coins du monde, n’ont rien à faire ici), j’avais l’impression d’être dans un autre pays.

Première impression, le silence : on ne klaxonne pas. Les voitures se déplacent tranquillement, sans agressivité. On m’avait dit un jour que la meilleure définition de la nanoseconde était, lorsque vous êtes arrêtés à un feu rouge à Marseille, le temps qui s’écoule entre le moment où le feu passe au vert et le moment où la voiture qui est derrière vous se met à klaxonner furieusement. A Angers, rien de cela. En outre, lorsqu’un piéton met le pied sur la chaussée, les voitures s’arrêtent pour le laisser traverser. Tel le crapaud, je me croyais dans un autre pays.

On continue ? Cette ville tranquille, qui vous fait comprendre ce qu’est « la douceur angevine » chère à du Bellay (il est vrai qu’il l’opposait à « l’air marin ») est, en outre, étonnamment  propre. Et là encore, Marseille est loin du podium, tout comme Paris d’ailleurs

Mais, bien sûr, on ne peut pas gagner tout le temps. Ainsi, dans un bistro, je m’assieds et demande ce qu’ils ont comme pastis. La réponse aurait surpris un Aixois ou un Marseillais : « du pastis normal et du Ricard ». Du pastis normal, qu’es aquo ?  D’un certain point de vue, le crapaud avait raison.

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fleche 18 août  2017 : "Développement durable de lapin"

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Dans les années 1970 et 1980 j’ai été à la fois enseignant à la Sorbonne et journaliste. C’est à cette époque que j’ai découvert le boulet que pouvez être le courrier des lecteurs. Que fait-on d’une lettre que vous envoie quelqu’un qui vous a lu et vous fait savoir qu’il est en total désaccord avec ce que vous avez écrit, ou qu’au contraire il approuve, ou encore qu’il en sait plus que vous sur le sujet et veut vous éclairer de ses lumières ? On la jette ? On y répond ? On la publie ? Peu à peu, je me suis interrogé sur le profil psychologique des auteurs de ces lettres de lecteurs, me demandant s’ils voulaient que leur nom apparaisse dans les colonnes de leur journal, pensant ainsi être reconnus, avoir un petit moment de célébrité... Et puis le courrier des lecteurs a pratiquement disparu des organes de presse. Mais il a été remplacé de deux façons différence, l’une invisible et l’autre audible.

La première, que personne ne voit (sauf, bien sûr, les destinataires) passe par Internet. Les journalistes de presse écrite et audio-visuelle reçoivent des dizaines de mails auxquels ils répondent ou pas et qu’ils utilisent parfois dans leur travail. Là aussi, les egos s’expriment : il ne s’agit plus de voir sa prose publiée mais de se croire entendu, écouté. Je connais ainsi une personne qui envoie régulièrement à la station de radio France Inter des mails de protestation contre telle ou telle émission, tel ou tel journaliste ou chroniqueur. Cette personne, politiquement engagée, syndicaliste, m’a un jour fièrement annoncée qu’elle avait exprimé dans un mail à cette radio sa détestation du chroniqueur culinaire  Jean-Pierre Coffe et avait réclamé qu’on le vire. Etrangement, elle n’a guère apprécié que je compare cette activité épistolaire à de la délation, et que le rôle d’un syndicaliste n’était peut-être pas de faire virer les gens mais plutôt de défendre l’emploi...  Les tweets sont aujourd’hui une autre façon de chercher à se faire connaître, entendre et peut-être citer, bouleversant les frontières entre différents modes d’expression. Ils sont écrits mais certains sont cités à la radio ou la télévision, ils ne passent pas seulement d’un émetteur à un récepteur mais ont un aspect réticulaire, et nous n’en finirions pas d’étudier ces réseaux qui sont aujourd’hui la variante moderne du « se faire connaître ».

L’autre façon, audible celle-là, de chercher à se  se faire connaître a été créée par les radios elles-mêmes. Il s’agit de toute ces émissions dans lesquelles les auditeurs peuvent téléphoner, poser une question ou donner leur avis. Elles pullulent et toutes utilisent le même système de filtrage : un standard téléphonique où l’on demande aux gens de quoi ils veulent parler, ce qu’ils veulent dire, et où l’on décide de les passer ou non à l’antenne. Le système a immédiatement produit son piratage : il suffit de mentir au standard et, une fois à l’antenne, de dire toute autre chose que ce qu’on a annoncé. J’ai il y a quelques jours entendu une variante intéressante de ces intrusions, qui est à l’origine de ce billet. Sur France Inter, quelques minutes avant la fin de l’émission, une voix se présente : un homme déclarant travailler à la montagne, dans l’agriculture, et voir ainsi les choses de haut, ou quelque chose du même genre.  Immédiatement cette voix me frappe. Le ton de ce type, sa diction, montrent qu’il est fier de lui, qu’il s’écoute parler, et je me dis qu’il ne veut pas poser de question, il veut parler. A un moment, il semble jouer le jeu, déclare qu’il veut parler du « développement durable de lapin », rit tout seul, répète « développement durable de lapin », précise que c’est un jeu de mots, et poursuit une sorte de diarrhée verbale que le journaliste n’arrive pas à endiguer. D’ailleurs l’heure a tourné et l’on passe au journal. Première conclusion, l’auditeur n’a posé aucune question. Seconde conclusion : il ne voulait pas poser de question, il voulait se faire entendre. Et je l’imagine ayant enregistré ce bref passage à l’antenne pour le faire ensuite écouter à ses amis, ses enfants, plus tard ses petits enfants, fier de son « développement durable de lapin ». Mieux encore, j’imagine qu’à tout hasard il a prévenu ses amis : « Ecoutez la radio, entre huit et neuf, vous allez peut-être m’entendre. On passerait ainsi  du vouloir « se faire connaître » au vouloir « se faire reconnaître », faire entendre et reconnaître sa voix par des gens qui, bien sûr, la connaissent déjà, condition nécessaire pour qu’il la reconnaissent. Combien de millions de gens rêvent-ils ainsi de sortir de leur anonymat, juste une minute au deux, serait-ce au prix d’une stupidité du genre « développement durable de lapin » ?

 Nous vivons une époque moderne.

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fleche 12 août  2017 : Idéologies centrifuges

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Selon l’OPEP, le Venezuela est le pays qui a le plus de « réserves conventionnelles » de pétrole, devant l’Arabie saoudite et l’Iran, selon la CIA, il serait le deuxième, après l’Arabie saoudite, du point de vue des « réserves prouvées ». Dans les deux cas, il aurait entre 20 et 30% des réserves mondiales, ce qui le place sur un sacré matelas de dollars. Pourtant, il suffit de lire la presse pour voir que la situation y est catastrophique. Laissons de côté (la presse en fait ses choux blancs) la crise politique et la violence qui déchire le pays. Depuis la mort de Chavez (2013), l’inflation est passé d’un peu plus de 30% à 720% par an. Une économie exclusivement fondée sur le pétrole (95% des exportations) a subi le choc de la baisse des cours, la croissance est négative, le manque de médicaments cruel, et la pénurie alimentaire endémique. En revanche les effectifs de l’armée ont été doublés... Bref le pouvoir en place a mis le Venezuela dans une situation dramatique et réagit aux protestations diverses avec la plus grande violence.

Libération consacre aujourd’hui six pages à ce pays, dont deux aux problèmes d’une partie de l’extrême gauche, en particulier la « France insoumise », face à ce qui s’y passe. Mélenchon, qui il y a encore quelques mois proposait que la France adhère à l’« Alliance bolivarienne » (créée par Cuba et le Venezuela) se tait (il est parti en vacances), laissant la parole aux autres. Et on ne peut pas dire que leurs avis soient très clairs. Ils sont d’accord sur un point, qui relève de la langue de bois la plus dure : « nous sommes soumis à une désinformations et ce sont les USA qui tirent les ficelles ». Argument facile et attendu, pas nécessairement faux, mais qui n’enlève rien à la réalité des faits. L’ennui, c’est qu’ensuite leurs arguments sont d’une attristante pauvreté. Eric Coquerel ne veut pas « renier un régime de gauche en disant qu’il a sombré dans la dictature », Clémentine Autain explique qu’on « attend de nous une dégitimation totale de Maduro, de Chavez, et derrière cela, de toutes les expériences sociale en Amérique du Sud »,  bref ils ont le plus grand mal à prendre leurs distances, à analyser la situation, se cachent les yeux et récitent leurs éléments de langage.

Mais j’ai le sentiment que ces casseroles vénézuéliennes accrochées aux basque de Mélenchon ne sont que des détails. Plus important me paraît le fait que l’extrême gauche française patauge depuis des dizaines d’années dans une idéologie centrifuge qui, plutôt que d’analyser la situation du pays et de proposer une politique en réponse, cherche ses modèles ailleurs. On se souvient du « bilan globalement positif » de l’URSS selon Georges Marchais, des étudiants marxistes-léninistes faisant l’apologie de la Chine, et du socialisme tropical de Cuba qui faisait rêver certains d’entre nous. C’est dans le droit fil de cette idéologie centrifuge que s’est situé Mélenchon, se réclamant successivement de la Grèce de  Syrisa, de l’Espagne de Podemos puis du Venezuela de Chavez. De ce point de vue, il faisait à la fois preuve de suivisme et d’une absence totale de créativité. Il ne parlait pas vraiment à ses partisans enfiévrés de la France, mais de modèles qu’il voulait importer d’ailleurs : pas de théorie ou de solutions endogènes mais le regard tourné vers d’autres horizons qui, pour ceux que je viens de nommer, se sont révélés décevants pour les deux premiers et meurtrier pour le troisième. Dès lors, prendre ses distance avec le Venezuela, le critiquer ou le condamner, ce serait renier des années de discours, reconnaître qu’on a eu tort. Mais voilà, Mélenchon ne peut pas avoir eu tort.

Dès lors, face à Maduro qui, au Venezuela, a choisi la fuite en avant policière, Mélenchon choisit l’aveuglement volontaire. Et la "France insoumise" se soumet.

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fleche 4 août  2017 : Corbettes et fatiha

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Le 31 août débutera l’Aïd el kebir (grande fête),  fête du mouton ou fête du sacrifice. Et on annonce qu’un million 200.000 moutons seront sacrifiés. « Pauvres bêtes » fait dire Lotfi, le dessinateur du quotidien tunisien La Presse, à son personnage. Le lendemain le même personnage réagira à l’annonce du transfert de Neymar au PSG (300 millions d’euros disait-on) ainsi : « De quoi payer tous nos fonctionnaires pendant deux mois ». La Tunisie, rit, se moque. Mais on vient d’y voter une loi punissant les violences faites aux femmes, on y enquête sur les réseaux ayant servi à envoyer des jeunes Tunisiens en Syrie et, là encore, on rit. Un exemple, que me raconte un étudiant. Deux tunisiens arrivent dans un camp de DAECH. « Comment t’appelles-tu » demande un responsable au premier. « Je m’appelle Youssouf ». « Tu peux me réciter la sourate de Youssouf ? ». L’homme déclare ne pas la connaître, et on le décapite aussitôt. « Et toi, comment t’appelles-tu ? » demande le responsable au second . « Je m’appelle Fatiha ». Explication : la sourate de Youssouf est longue de 12 verset, tandis que la fatiha (« l’ouverture »), première sourate du Qoran, que tous les musulmans connaissent (c’est d’ailleurs souvent la seule qu’ils connaissent) n’en a qu’un. Le même étudiant me dit qu’on a inventé un mot, corbettes, pour désigner les femmes en niqab. Ces niqabées que l'on voit de plus en plus se baigner dans leur armure. Corbette, un beau néologisme puisque corbeau n'a pas, à ma connaissance, de féminin en français. Sait-il qu’en France, il y a un siècle, on imitait le coassement des corbeaux au passage d’ecclésiastiques ou de nonnes ? Rien de nouveau sous le soleil...

Bref, je viens de passer huit ou neuf jours dans mon pays natal, dont une grande partie chez des amis, dans une villa au bord de la mer, isolée au bout d’une piste de deux kilomètres (je ne vous dirai pas l’endroit, il faut le préserver). Soleil, mer, et divers plats qui me sont autant de madeleines de Proust. Des vacances, donc, comme souvent lorsque je reviens au pays, mais aussi des petites scènes sur lesquelles je m’amuse à faire de la sociologie de l’ordinaire. Ainsi, au marché de Bizerte, je choisis des fruits, hésite, le vieux marchand me laisse faire et soudain son fils s’adresse à moi en anglais pour me vanter ses produits. Je lui réponds en arabe : pourquoi me parles-tu anglais ? Il s’excuse, je lui explique, toujours en arabe, que je suis né ici. Il me demande si je suis italien. Je lui réponds non, je suis français. Tu es né en 1956 ? Je lui réponds non, en 42, et le temps qu’il calcule mentalement mon âge je me demande : pourquoi 56 ? Et je comprends, ou crois comprendre : 1956 est la date de l’indépendance de la Tunisie et pour lui, ou dans le roman national dont il est l’héritier, les Français ne pouvaient pas parler arabe, ils s’en foutaient comme de l’an quarante. Pour qu’un Français parle arabe, il fallait donc qu’il soit né après l’indépendance...

Tout cela, je sais, n’a guère d’importance, et ce que je raconte est bien léger. Mais l’émotion n’a pas nécessairement besoin de grands mots pour s’exprimer. Tenez, un dernier exemple. Au départ de Tunis, l’avion dans lequel je suis prend un cap inhabituel et je me rends soudain compte qu’il survole Bizerte, cette ville dans laquelle je suis né, où j’ai vécu dix-huit ans et où je retourne très régulièrement. Le temps est très clair, je vois nettement le brise-lames, les deux jetées, la rue dans laquelle j’habitais, la corniche, le coin où je viens de passer quelques jours, le canal et, à son extrémité, le lac de Bizerte dont je connais l’existence depuis plus de 70 ans, dont j’ai parfois longé les rives, mais dont je n’avais jamais vraiment compris la superficie, la géographie. C’est la première fois que je le vois du ciel, que je perçois son immensité... La conscience géographique n’est pas la même lorsqu’on est en avion ou lorsqu’on a les pieds sur terre.

Allez, la prochaine fois, j’essaierai de vous parler de choses plus sérieuses

 

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Juillet 2017


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fleche 17 juillet  2017 : Tout fout le camp

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Il y a à à Marseille, en pleine ville, une sorte de petit port très méditerranéen (on pourrait tout aussi bien se croire en Crète ou en Sicile), situé sous la corniche Kennedy, avec un quartier de petites rues étroites, des cabanons de pêcheurs et, bien sûr, des bateaux de pêche, des « pointus ». Cela s’appelle le vallon des Auffes, ce mot venant de la forme provençale de l’alfa, plante à partir de laquelle on fabrique des filets de pêche et des cordages. On y trouve aussi quelques restaurants. L’un d’eux, L’Epuisette, est hors concourt, s’apparentant à un gastronomique. Le deuxième, Fonfon, est également réputé, en particulier pour la bouillabaisse. Et le troisième, Chez Jeannot, fait surtout des pizzas et des fruits de mer. Mais tout ce paragraphe aurait pu, devrait plutôt être écrit à l’imparfait : il y avait... on y trouvait...

Je n’y étais pas allé depuis trois ou quatre ans et j’ai découvert cette semaine un sacré changement. J’avais réservé une table Chez Jeannot, pensant y manger des fruits de mer variés. Première surprise, les locaux sont rénovés, nappes blanches, genre plus stylé. Deuxième surprise, il n’y a pratiquement plus de fruits de mer : pizzas et viandes. Et, après enquête, troisième surprise : Jeannot n’est plus chez Jeannot. En fait, le restaurant qui était le plus populaire (au sens économique et social) du vallon a été racheté, après la mort de Fonfon, par l’un de ses héritiers, qui a aussi ouvert une sorte de bar à tapas, Viaghji di Fonfon, et en même temps offre quelques chambres ou studios à louer. Ajoutons à cela que les pointus des pêcheurs sont en train de devenir minoritaires, le petit port étant envahi par les hors-bords des bobos.

Bref, L’Epuisette mise à part, la plus grande partie du vallon des Auffes, deux restaus, un bar, un peu d’hôtellerie, est devenue une seule entreprise. Cela s’appelle de la concentration, de l’invasion capitaliste, ou la qatarisation  d’un quartier populaire. Jean-Claude Izzo n’y retrouverait pas son Marseille. Tout fout le camp.

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fleche12  juillet  2017 : Exotisme

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A force de parcourir le monde, de la Chine au Maghreb, du Brésil au Congo, du Sénégal au Qatar, les différences s’émoussent un peu, l’étonnement s’estompe. Disons de façon un peu bête que l’idée d’exotisme perd de son sens : on se sent partout chez soi, sans surprise... Et puis, parfois, on se dit que l’exotisme se trouve tout près, de l’autre côté de la porte ou du boulevard, en face. Et je viens d’avoir cette impression en passant quatre jours en Allemagne. Dans une Allemagne un peu spéciale, à vrai dire, à Frankfort sur Oder, à la frontière avec la Pologne. Un simple pont sépare l’Allemagne de la ville polonaise de Slubice, un pont que les Allemands traversent souvent, pour aller faire le plein d’essence, acheter de l’alcool ou des cigarettes. Ici, dans les magasins, les restaurants, tout le monde parle allemand, anglais aussi, commerce oblige. En revanche, côté allemand, on ne parle guère polonais : rapport de force.

Pendant ces quatre jours j’ai fait une petite escapade à Potsdam, pour visiter le parc et le château du Sans-Souci. En déambulant, je tombe sur une rue Friedrich Engels. Tiens ! C’est vrai qu’ici comme à Frankfurt/Oder, nous sommes dans l’ex DDR. Et à Frankfurt il y a une avenue Karl Marx, coupée par une rue Rosa Luxemburg. Rien n’a été débaptisé. Il est vrai que la municipalité est tenue par Die Linke. Et on a l’impression que Frankfurt ou Potsdam sont à Berlin ou Bonn ce qu’en France  les municipalités communistes, avec leurs avenues Maurice Thorez, sont à Paris.

A l’intersection entre l’avenue Marx et la rue Luxembourg donc, en regardant vers le pont qui, à 400 mètres, mène en Pologne, on voit un M rouge, géant, le symbole d’une célèbre marque américaine de néfaste food. Et le tout constitue comme une forêt de signes. Bref, même si l’impérialisme alimentaire US domine, la DDR n’est s’est pas entièrement diluée dans le libéralisme. Une différence, peut-être : les gens peuvent enfin penser librement. Une autre encore : à Frankfurt, il y a beaucoup d’immeubles en ruine qu’on n’a pas reconstruit, ce qui n’est pas le cas à Berlin. Et une dernière différence : l’allemand qu’on y parle n’est pas vraiment le même que dans l’ex Allemagne de l’Ouest. Mais je connais trop mal cette langue pour en parler.

Le dernier jour, je prends le train pour rejoindre l’aéroport de Berlin. A la gare de  Frankfurt sur Oder on trouve tous les journaux allemands, un quotidien turc (Hurriyet), Le Monde diplomatique et l’édition allemande de  Charlie Hebdo. Mais, même en cherchant bien, je n’ai vu aucun journal polonais. J’achète donc le Monde diplo  que je lirai dans l’avion, et je tombe sur un article très documenté, « la langue sans nom des Balkans ». Je connais cette situation depuis longtemps, une langue qui avait deux noms, serbo-croate ou croato-serbe, deux alphabets, le latin ou le cyrillique, et des variantes que quelques mots différenciant. Disons que l’ex-Yougoslavie disposait d’une langue commune, que l’éclatement du pays a fait éclater. Aujourd’hui chacun veut avoir sa langue, le serbe, le croate, le bosniaque... Tout le monde se comprend mais chacun veut insister sur les différences. Bon, je ne vais pas vous faire un cours sur les langues polycentriques ou sur les rapports entre langue et nationalisme, mais ce qui est intéressant dans l’article en question, c’est la référence à une déclaration récente d’intellectuels réclamant que l’on revienne à la langue commune qui, disent-ils, n’a plus de nom. Ainsi le linguiste serbe Ranko Bugarski dit-il « chez nous ce sont les variantes qui portent un nom tandis que l’entité globale, qui n’a plus de statut, a perdu son nom officiel ». Et, bien sûr, des Croates protestent dans ce qu’ils voient comme une « agression contre la langue croate qui prépare une autre agression » (ça, c’est l’archevêque de Zagreb, Josip Bozanic).

Et, d’un coup, nous revenons vers une situation dont on voit partout l’équivalent. Qu’il s’agisse de l’ourdou et de l’hindi, du provençal, du gascon ou du languedocien face à la volonté de tout appeler occitan, etc.

Décidément, l’exotisme se fait rare.


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fleche 1er  juillet  2017 : A l'école, Le Maire !

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En octobre 2016, Macron déclarait à l’hebdomadaire Challenges qu’il serait un président « jupitérien », voulant bien sûr s’opposer au « président normal » qu’avait voulu être Hollande. En gros, Hollande aurait désacralisé la fonction, Macron voulait la re-sacraliser. Depuis lors, la formule a fait florès, tout le monde l’utilise. Mais certains pourrait s’en abstenir.

Ainsi, jeudi dernier, à New York, le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, a fait une étrange déclaration, en anglais. La voici, que je transcris à partir d’une vidéo :

«  Emmanuel Macro is Jupier. I’m Hermes, the Messenger. The messenger who conveys the message, A very clear, a very simple message : France is back »

Donc, selon Le Maire, le président n’est pas seulement, « jupitérien », il est Jupiter, le dieu qui, dans la mythologie latine romaine, gouvernait la terre et le ciel. Ciel ! (c’est le cas de le dire). Nous avons un dieu pour président ! Et Le Maire est Hermès, son messager. On hésite à qualifier notre ministre. Lèche-cul ou prétentieux ? Lèche-cul parce qu’il déifie Macron ou prétentieux parce qu’il se déifie lui-même ?

L’ennui c’est que Le Maire fait dans l’approximation. En effet, si Jupiter est un dieu romain, alors son messager n’est pas Hermès mais Mercure. Et il n’est pas  indifférent de noter que ce nom vient d’une racine latine qui signifie « commerce », « salaire » . Ainsi Le Maire ne serait pas seulement lèche-cul et prétentieux, il serait en outre mercanti. Et il semble aussi avoir oublié l’étymologie de ministre : minister, dérivé de minus, s’oppose à magister comme serviteur à maître.  A l’école, Le Maire !

 

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Juin 2017


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fleche 28  juin  2017 : Prix

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Le mot prix a la particularité de s’écrire de la même façon au singulier et au pluriel, ce qui donne à mon titre un aspect ambivalent qui m’arrange bien : je voudrais en effet vous parler d’un prix et de plusieurs. Le prix (au singulier), c’est celui que l’Académie française vient de m’attribuer, le prix Georges Dumézil (il s’agit d’une médaille d’argent), pour mon livre La Méditerranée, mer de nos langues. Je suis, bien sûr, plutôt content, d’autant plus que c’est le second prix que cet ouvrage me rapporte.

En fait, l’Académie française a annoncé le même jour soixante-trois prix (au pluriel, donc), ce qui relativise l’importance du mien : un parmi soixante-deux autres.  Et, parmi ces soixante-deux autres prix, il en est certains dont je suis content d’être le voisin. Le grand prix de la francophonie donné à l’écrivain guinéen Tierno Monénembo, la médaille de la francophonie au Libanais François Boustani et surtout celle de la chanson française à Gérard Manset. Vous connaissez Manset ? Je l’ai entendu pour la première fois en 1968.Grâce à une grève de la radio, sa première chanson, Animal on est mal, avait pris possession des ondes: un choc!. Puis ce fut Il voyage en solitaire, Solitude des latitudes, Marin bar et beaucoup d’autres. Manset a la particularité de ne s’être jamais produit sur scène, ce qui lui serait d’ailleurs difficile puisqu’en studio c’est lui qui joue de tous les instruments. Autre particularité : on ne connaît pratiquement aucune photo de lui. J’avais un jour suggéré à mon ami Daniel Colling, le fondateur des Zéniths, d’intriguer pour le faire monter sur ses scènes. Mais il s’agissait sans doute d’une mission impossible. Alors, si jamais il venait à l’Académie retirer son prix, je serais content de le voir enfin, de pouvoir lui parler. Il a le temps de se préparer, cela aura lieu le 30 novembre. Mais, là encore, il s’agit peut-être d’un souhait impossible.

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fleche 26  juin  201 : Environnement sonore

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Je travaille depuis longtemps sur ce que j’appelle l’ environnement graphique, ce qui s’affiche dans nos sociétés, sur les murs, les enseignes, les véhicules, etc. On y lit le bilinguisme ou le plurilinguisme, on y trouve des jeux de mots, des références culturelles, bref la société y parle d’elle-même, et elle est bavarde...

Mais je n’avais pas songé à l’ environnement sonore. Et pourtant ! Dès le matin, quand j’ouvre mon ordinateur, un jingle retentit, qu’on n’entend que sur les Mac Intosh. Puis j’ouvre la radio et, avant les infos, j’entends un autre jingle qui connote sans conteste France Inter. En même temps ou presque le clocher de l’église sonne l’heure ou la demi-heure et, le soir, le journal à la  télévision s’ouvre sur le jingle d’Antenne 2. Je ne cite que quelques exemples, mais nous sommes environnés de sons, du matin au soir, des sons qui connote la société dans laquelle nous vivons, des sons qui ne sont pas toujours les mêmes en France, en Tunisie, à Hong Kong ou à New York. Ainsi, il y a quelques années, j’avais été frappé en attendant un train dans une gare de New York, Grand central, par le fait que les annonces des départs et des arrivées étaient rappées.

Vendredi j’étais à Avignon, invité par le « cercle des dircoms » à présenter une conférence avec trois autres personnes. Parmi elles, Laurent Cochini, directeur général de l’agence «sixième son ». Et j’avoue que j’ai été scotché. Cette agence, dont le slogan est « donner du son à votre image », crée des jingles justement. Elle a pour clients des marques aussi célèbres que Renault, Castorama, Roland-Garros, Michelin, Peugeot, EDF, Coca Cola, Paris Aéroport, la RATP, et bien d’autres encore, parmi lesquelles la SNCF. Si vous vivez en France, ou y êtes passés, vous ne pouvez pas ne pas avoir entendu ces quatre notes qui précèdent toutes les annonces, dans les gares, dans les publicités ou au téléphone. A l’oreille, cela donne do sol la bémol mi bémol, mais j’hésite sur la quatrième note,  le mi bémol, que je ne parviens à réaliser ni sur mon piano ni sur ma guitare et qui me paraît relever du quart de ton. L’ensemble dure trois secondes, chanté quelque chose comme tou ta la la. Ce jingle a d’ailleurs frappé l’oreille de David Guilmour, le guitariste de Pink Floyd qui, l’ayant entendu en gare d’Aix-en-Provence, a décidé d’en faire une chanson qui devrait sortir à la rentrée. Mais il faudrait analyser de plus près ces trois secondes, car elles ont visiblement (je sais, le terme est mal choisi, mais audiblement n’est pas très français) été  travaillées en studio, avec de l’écho, ou de la réverbération, peut-être des techniques plus sophistiquées. Il y a là comme une sculpture du son, qui mériterait d’être étudiée de plus près. Et, plus largement, l’ environnement sonore pourrait être le sujet de plusieurs thèses de musicologie, ou de sociologie de la musique, ou encore de la sociologie des sons, que sais-je. Avis aux amateurs, je les lirai avec plaisir.


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fleche 22  juin  2017 : "Tais-toi Marseille"

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Hier, une fois n’est pas coutume, je suis allé à Marseille pour la fête de la musique. Depuis quelques années j’avais pris l’habitude de la passer à Paris, dans le Marais, entre la Bastille, la Place des Vosges, la rue Saint Antoine, où divers groupes ou solistes se produisaient. On n’avait que l’embarras du choix, rock, chanson française, rap, airs d’opéra, etc. Hier, donc, Marseille. Nous choisissons le quartier du vieux port. Rien ni personne. La place Etienne d’Orves idem. Derrière la mairie non plus. Bref, à part une jeune chanteuse sur le Quai du Port et une vague sono dans un bistrot, Marseille semblait ignorer qu’hier c’était la fête de la musique, et qu’il faut aussi l’entendre « faites de la musique ». Personne ou presque n’en faisait. Peut-être aurions-nous dû aller du côté de la Plaine, ou de la Friche mais là, au centre de la ville, silence.

Bien sûr, il faut voir dans cette absence de musique un effet du terrorisme, ou de l’état d’urgence. Chaque fois que je vois dans les rues les poubelles réduites à un sac en plastique transparent, qui sont rarement ragoutantes, je me dis que c’est une victoire du terrorisme : pour pouvoir vérifier qu’on ne met pas de bombes dans les poubelles, on expose leur contenu à tous les regards. Mais je me suis souvenu d’une chanson qu’interprétait Colette Renard (que les moins de vingt temps ne peuvent pas connaître) dont le refrain disait : « Marseille, tais-toi Marseille, tu cries trop fort. Je n’entends pas claquer les voiles dans le port ». Marseille se taisait hier. Et en plus, il n’y a plus de voiles dans le port, mais des bateaux à moteur. Dylan ne pourrait pas y chanter  « Blowin’ in the Wind », aucune voile ne claque dans le vent. Il nous reste  « The Times they are a changing ».

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fleche 20  juin  2017 : Sauce trempette, grammaire et statistiques

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Un ami québécois, Jacques Maurais,  m’écrit, à propos de mon récent billet sur la « trempette », que ce mot est depuis longtemps utilisé chez lui et me donne deux exemples. Tout d’abord un livre de cuisine de 1979 dans lequel Jehane Benoit écrivait : « Sur la table française, les crudités sont très appréciées, toujours présentées avec goût, nature ou avec une sauce trempette ». Et dans un article de1984 : « Les entrées sont simples : salade César (€3,25), crudités avec trempette (€2,50), etc. ». Merci Jacques. Mais il est troptard pour demander à la vendeuse de « sauce trempette » du marché d’Antibes si elle était québécoise.

Restons dans les mots, non plus ceux du Québec mais ceux de Mélenchon. Après son élection à Marseille il a utilisé, dans son allocution, quelques formules qui méritent d’être soulignées. Faisant allusion au taux d’abstention élevé, il a d’abord déclaré que « notre peuple est entré dans une forme de grève générale civique ». L’abstention une grève générale, il fallait l’inventer ! Mais il a ajouté que du coup la majorité n’avait pas « la légitimité pour perpétrer le coup d’Etat social qui était en prévision ». Petit problème, dans la circonscription qui l’a élu, l’abstention a été de 64,2%,  soit 7 points de plus que le chiffre national. Mais Mélenchon n’en a tiré aucune conclusion concernant sa propre légitimité. Ces pourcentages ne semblent pas l'intéresser outre mesure. Enfin il a lancé : « Et j’informe le nouveau pouvoir que pas un mètre du terrain du droit social ne lui sera cédé sans lutte ».  Analysez cette phrase avec soin et dîtes-moi ce que vous y comprenez. Pour moi,   «pas un mètre du terrain du droit social nelui sera cédé sans lutte »  ne peut avoir qu’un seul sens : nous lutterons et nous céderons.

Il y a quelques mois, dans une émission télévisée, Mélenchon avait, dans sa cuisine, montré comment il confectionnait une salade de quinoa, expliquant qu’il lui fallait maigrir pour aborder la campagne électorale en pleine forme. Il n’a pas dit s’il utilisait une sauce trempette. Ni s’il révisait sa grammaire et les statistiques.

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fleche 19  juin  2017 : Basculement

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J’ai toujours aimé les titres de Libération qui, vous le savez sans doute, ne sont jamais donnés par les journalistes (ils n’ont même pas le droit d’y mettre le nez) mais par un service spécial du journal. Aujourd’hui, ils battent tous les records. En une, Législatives, L’EMPRISE DU MILIEU, puis en page 2 Macron fait chambre à part, en page 5 Pour le Modem, une oasis après la traversée du désert, en page 6 Une élection qui attire l’abstention, en page 9 Pour Cédric Villani (un mathématicien de renom élu député hier) le compte est bon, en page 10 Nouvelle veste pour Philippot qui risque sa peau, bref un véritable festival.

Macron a donc fait main basse sur l’Assemblée nationale, et je laisse aux spécialistes le soin de commenter cette vague de « marcheurs », puisque tel est le mot qui désigne désormais les candidats de « la République en marche ».

Ce qui m'a frappé dans les résultats d'hier est ailleurs. Depuis que j’habite dans le Sud-Est de la France, à Aix-en-Provence pour être précis, la région PACA est la terre d’élection du Front National ? Il y obtenait au fil des élections 25% des voix, puis 30%, puis près de 50%.  Et il y gagnait des mairies dans la région PACA, celles de Marignane puis de Vitrolles dans les Bouches-du-Rhône, de Saint-Gilles dans le Gard, d’ Orange , de Toulon...  Aux législatives de 2012, deux députés FN ou apparentés étaient élus, l’un dans le Gard et l’autre dans le Vaucluse. Mais hier le FN a fait élire huit député, dont trois seulement sont dans le Sud (dans le Gard, les Pyrénées-Orientales et l’Hérault), et cinq dans le Nord-Pas-de-Calais. C’est-à-dire que nous assistons à un basculement du Sud vers le Nord, déplacement qui n’est pas seulement géographique mais plutôt social. Pendant longtemps, dans le sud, l’électorat du FN était essentiellement constitué de pieds noirs animés de rancœurs rassies, de nostalgies de l’Algérie française et de l’OAS. Mais, comme tout le monde, les pieds noirs vieillissent et disparaissent, et même si certains de leurs enfants héritent de l’idéologie de leurs parents, cette population électorale tend à se réduire. Le déplacement vers le Nord est d’un autre ordre : c’est dans une terre ouvrière et socialo-communiste que le FN s’implante. D’ailleurs, un de ses cinq élus dans le Nord-Pas-de-Calais est un ancien membre du parti communiste. Et il y a là de quoi réfléchir. Certains disent que la classe ouvrière a disparue, mais il en reste tout de même, et elle vote FN. Aveuglement ? Incapacité des partis de la gauche traditionnelle de leur ouvrir des horizons politiques ? Analphabétisme politique ? Tout cela à la fois ? C’est à voir, mais il faudrait voir vite. Dans quelques années il sera trop tard.

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fleche 12  juin  2017 : Trempette et tsunami

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Vous cnnaissez sans doute cette habitude qui consiste à servir, pour accompagner l’apéritif, des morceaux de légumes crus, carotte, fenouil, chou-fleur, que l’on trempe dans des sauces variées. J’ai toujours appelé et entendu appeler cela un dip, d’un mot terme anglais qui signifie « plonger ». On plonge donc, ou on trempe, son légume dans la sauce. Or, il y a quelques jours, sur le marché d’Antibes, j’ai vu devant des pots de sauce une étiquette proclamant pour trempettes. Trempette, le mot n’est pas mal trouvé, et cette néologie populaire (je veux dire qu’elle n’est pas sortie des bureaux des planificateurs ou des fonctionnaires de la langue) me ravit. Donc, si je vous invite un jour chez moi pour une trempette, il sera inutile de prendre votre maillot de bain.

De la trempette à la douche, il n’y a qu’un pas, et hier soir c’est une véritable douche qu’ont subie des candidats de droite, de gauche, d’extrême droite, dégagés dès le premier tour ou en situation difficile. La presse parle, pour les candidats macronistes, de tsunami, de raz-de-marée, de lame de fond, bref nous sommes en pleine métaphore aquatique. Pour les « dégagés » il faudrait donc parler de grande marée qui emporte tout vers le large, ou d’anguilles qui nageaient en eaux troubles et se retrouvent sur la rive, asphyxiées. Cela ne me fait ni chaud ni froid pour la droite, mais, vieux réflexe,  j’aimerais bien que les socialistes trouvent, d’une façon ou d’une autre, le moyen de se ressourcer. Ce que nous pourrions appeler, pour rester dans cette ambiance aquatique, une hydrothérapie, ou une renaissance dans un liquide amniotique. Si jamais cela advenait, nous pourrions alors célébrer ce miracle par quelques trempettes.

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fleche 6  juin  2017 : Le Qatar encerclé ?

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Il y a un peu plus d’un an, début mai 2016, de retour du Qatar j’écrivais ceci :

« Au Qatar il faut tout importer. De la moindre carotte, la moindre pomme-de-terre à la machine à laver ou au climatiseur, des vêtements à l’huile, de la viande aux voitures. Ce qui constitue un étonnant paradoxe : le Qatar est à la fois une énorme puissance financière et un territoire qui (je fais de la politique fiction) s’écroulerait en peu de temps s’il était victime d’un embargo ou d’un blocus. Comment dit-on, sur le mode hypothétique, sic transit gloria mundi ? »

La politique fiction à laquelle je m’amusais alors pourrait aujourd’hui devenir réalité. En effet l’Arabie saoudite, les Emirats Arabes Unis, Bahrein et l’Egypte viennent de rompre leurs relations diplomatiques avec Doha. Je n’analyserai pas cette scission entre pays sunnites sur fond de « lutte » contre le terrorisme islamique du point de vue géopolitique, d’autres sont plus compétents que moi en la matière. Mais, parmi les mesures annoncées figure l’interdiction de survol du territoire de ces pays par les avions qataris. Regardez une carte. Un vol Paris-Doha qui jusqu’ici survolait bien sûr l’Arabie saoudite devrait désormais passer au Sud par la Libye, le Soudan, l’Ethiopie et contourner la péninsule arabique, ou au Nord survoler la Syrie et l’Iraq. Ce qui ne fera pas baisser le prix des billets...

Tout cela se résoudra sans doute sur le mode de la transaction, pour ne pas dire du marchandage diplomatique, et le Qatar a déjà fait appel au Koweït pour qu’il serve de médiateur. Mais, déjà, on se bouscule dans les supermarchés de Doha pour faire des provisions de riz et de sucre. Bref le Qatar est (momentanément ?) encerclé, et c’est à la fois inattendu et drôle.

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fleche 1er  juin  2017 : Covfefe...

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Je sais, j’arrive un peu après la bataille, mais cette phrase inachevée du président américain, despite the constant negative press covfefe..., pose problème. Non pas celui que l’on croit, concernant le sens de ce mot, covfefe, qui est clair, mais l’interruption de la phrase. Quelle est en effet la conséquence de ce covfefe négatif de la presse ? Qu’est-ce qui a empêché Trump de l’écrire en terminant sa phrase? That is the question, évidemment. On a dit qu’il été saoul, ou shooté, qu’il était tombé dans un profonde sommeil. Bullshits ! Il a été tout simplement désactivé, mis hors d’état de nuire.

En effet, covfefe a fait tilt en haut lieu, très haut lieu. Le côté obscurs de la force immédiatement alerté par les milliers de réseaux dont il dispose a fait ce qu’il fallait faire, et nul ne saura ce que Trump allait révéler : il a été remplacé par un chevalier Jedi à son image qui a d’ailleurs tout de suite pris une décision que jamais le véritable président n’aurait prise (tout le monde sait que plus écolo que lui tu meurs). L’empire galactique est ainsi sauvegardé. Ouf !

Déjà, sentant qu’il allait déraper avec ses tweets intempestifs, le côté obscurs de la force avait tenté de lui briser la main, en envoyant dans celle de Macron un fluide mortel.  Peine perdue ! Vous l’avez vu, Trump, dents serrées, suant, résistant à Macron qui faisait semblant de sourire mais lui transmettait en fait toutes les forces galactiques négatives. Trump a donc résisté ce jour-là. Mais lorsqu’il a dévoilé le mot magique, covfefe, que seuls connaissent de rares initiés, le côté obscurs de la force a prit la décision qui s’imposait, et le jedi qui a pris sa place fera, dorénavant, son devoir. Tu n’aurais pas dû, Trump, dévoiler ce covfefe, ce dérapage t’a été fatal.

Voilà, vous savez tout.

Quoi ? Qu’est-ce que ça veut dire, covfefe ? Vous ne croyez tout de même pas que je vais vous révéler notre code secret...

 

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Mai 2017

 

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fleche 31 mai  2017 : Préférences...

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Hier, j’étais invité à une émission de la radio suisse à propos de mon dernier bouquin. Le journaliste qui m’interrogeait et moi-même parlions la même langue, à quelques nonantes près : nous sommes en Suisse francophone. Avant de passer à l’antenne, j’écoute le journal de la RTS. On y parle, entre autres choses, de l’entrée de Wawrinka dans le tournoi de tennis de Roland Garros. Le matin, sur France Inter, on annonçait celles de Monfils et de Tsonga. Nous sommes bien en Suisse francophone : la même langue que la notre, mais côté sport une sorte de préférence nationale.

A propos de préférence, Jean-Guy Talamoni, président de l’Assemblée de Corse, a expliqué hier qu’une charte locale de recrutement prévoyait que, dans les recrutements sur un emploi, les résidents corses seront favorisés. Après la préférence nationale, la préférence régionale. Racisme ? Infraction de discrimination à l’embauche ? L’avenir nous dira ce que deviendra cette charte...

Mais, jusqu’ici, c’est le Front National qui parlait de « préférence nationale ». Le FN aime bien mêler les sigles, UMPS par exemple, pour suggérer l’entente entre deux partis. La droite (Sarkozy, Copé, Kosciusko-Morizet...) l’a imité en suggérant une alliance objective entre FN et PS :  FNPS. Faudrait-il ici jouer sur l’enlacement des sigles FLNC (Front de Libération Nationale de la Corse) et FN ?

Tiens, à propos de FN. Une députée européenne FN, Sophie Montel, vient de dénoncer dans une lettre 19 eurodéputés français qui auraient employé des assistants travaillant en fait pour leur parti. On a beaucoup parlé de Marielle de Sarnez, parce qu’elle est ministre, mais il y a dans la liste d’autres nom connus (Michèle Alliot-Marie, Brice Hortefeux, Yannick Jadot, etc.) appartenant à tous les partis de l’éventail politique français. Le but de l’opération est clair : faire croire que le FN, qui a de graves problèmes avec la justice, n’est pas le seul « pourri ».  Ah bon ? Mais cette manœuvre jette une lumière intéressante sur la psychologie du FN. Que ces accusations soient fondées ou pas, nous le saurons un jour ou l’autre, il s’agit à la fois d’un comportement enfantin (les autres aussi, m’sieur, ils le font) et d’une véritable délation. Ainsi la préférence peut être nationale, régionale ou de parti...

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fleche 26 mai  2017 : Ca aurait pu être vrai

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Florian Philippot a cette semaine largement diffusé un SMS attribué à l’équipe de Macron conseillant à ses supportés d’aller perturber les manifestations du Front National. Problème : le SMS était un faux. Interrogé  par la presse, Philippot a reconnu : « oui, c’était un faux, mais ça aurait pu être vrai ». Ca aurait pu être vrai : nous entrons là dans une nouvelle ère , ou dans une nouvelle sémantique du vrai et du faux. Ce qui est vrai n’est plus ce qui est attesté, vérifié, authentifié, c’est ce qui est crédible. Autrement dit ce que les « gens » peuvent croire. Mieux encore : toute fausse donnée que l’on a intérêt à faire passer pour vraie et que le public pourra croire vraie sera considérée comme vraie. C’est ce que certains petits malins appellent la post-vérité, habile euphémisme pour désigner le mensonge.

Il est vrai, si je puis dire, que nous vivons depuis une vingtaine d’années sous la dictature de l’idéologie du post-quelque chose, en particulier de l’idéologie postmoderne. Désormais, post  n’indique plus la postérité, ce qui vient après, mais le contre-pied. Le postmodernisme n’est pas ce qui vient après le modernisme mais une façon ironique et désinvolte de se débarrasser de l’histoire.   Ce terme polysémique (celui de postmodernité) a servi d’étendard à divers mouvements artistiques, et il serait intéressant de demander à leurs adeptes ce qu’ils pensent de la post-vérité, qui d’un certain point de vue appartient à leur famille, la famille du post-quelque chose.

 Mais peu importe. Plus important en effet est que, dans les campagnes électorales des partisans du Brexit en Grande-Bretagne, de Trump, aux USA et en France de Le Pen, de Fillon, de Mélenchon et aujourd’hui de Baroin, les discours sont truffés de ces « fake news », de ces fausses nouvelles très vite amplifiées par les réseaux sociaux, assénées comme des vérités, c’est-à-dire, répétons-le, de nouvelles que certains veulent croire vraies.

Viendra bientôt un temps où l’on ne pourra plus dire à quelqu’un, dans une discussion, « ce que vous avancez est faux » sans qu’on vous rétorque « c’est une post-vérité ». Vous ne me croyez pas ? Pourtant ce pourrait être vrai.

 

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fleche 20 mai  2017 : Chomsky ne comprend pas

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Je viens de passer une semaine au Maroc, à un colloque, et je n’ai lu que dans l’avion le numéro de Libération du 11 mai, dans lequel se trouvait une longue interview de Noam Chomsky dont certains passages sont stupéfiants. On attribue au nazi Hermann Göring la phrase suivante : Quand l’entend le mot « culture » je sors mon révolver. La phrase n’est sans doute pas de lui, mais qu’importe, elle est caractéristique d’un certain état d’esprit. Or Chomsky déclare à Libé :

Quand j’entends des mots comme « dialectique » ou « herméneutique » et toutes sortes de choses prétendument profondes, alors, comme Goering, « je sors mon révolver ».

On se frotte les yeux, on relit, mais c’est bien ça : Quand j’entends des mots comme « dialectique » ou « herméneutique » et toutes sortes de choses prétendument profondes, alors, comme Goering, « je sors mon révolver ».

Et puis, il poursuit :

Si, par exemple, je lis Russell ou la philosophie analytique, ou encore Wittgenstein, il me semble que je peux comprendre ce qu’ils disent et pourquoi cela me paraît faux, comme c’est souvent le cas. Par contre quand je lis Derrida, Lacan, Althusser ou l’un ce deux-là, je ne comprends pas. C’est comme si les mots défilaient sous mes yeux : je ne suis pas leurs argumentations, je ne vois pas d’arguments, tout ce qui ressemble à une description des faits me semble faux. Alors peut-être qu’il me manque un gène ou je ne sais quoi, c’est possible. Mais ce que je crois vraiment, c’est qu’il s’agit de charlatanisme.

Résumons : Chomsky comprend Russell et Wittgenstein, et peut donc dire qu’ils ont tort. Il ne comprend rien à Derrida, Lacan ou Althusser, et affirme qu’ils sont des charlatans.

Cette ruse de la raison est vieille comme le monde. Dire qu’on ne comprend rien à quelque chose alors qu’on est supposé être intelligent, c’est laisser entendre qu’il n’y a rien à comprendre. Roland Barthes, dans une de ses Mythologies (« critique muette et aveugle »), épinglait dans les années 1950 les critiques qui feignaient de ne pas comprendre une œuvre pour laisser entendre qu'elle était nulle. Laissons-lui la parole :

Tout cela signifie en fait que l’on se croit d’une intelligence assez sûre pour que l’aveu d’une incompréhension mette en cause la clarté de l’auteur, et non celle de son propre cerveau : on mime la niaiserie, c’est pour mieux faire le public se récrier, et l’entraîner ainsi avantageusement d’une complicité d’impuissance à une complicité d’intelligence.

Chomsky va plus loin, il ne laisse pas penser qu’il n’y a rien à comprendre, il le dit : ce sont des charlatans.

Revenons à Barthes, qui écrivait un peu plus loin :

En fait toute réserve sur la culture est une position terroriste. Faire métier de critique et proclamer que l’on ne comprend rien à l’existentialisme ou au marxisme (...) c’est ériger sa cécité ou son mutisme en règle universelle de perception, c’est rejeter du monde le marxisme et l’existentialisme : « je ne comprends pas, donc vous êtes idiots ».

Chomsky procède de la même façon : « je suis intelligent, je ne comprend pas, donc c’est du charlatanisme ». Mais, en outre, il  sort son révolver, se revendiquant ouvertement de Göring. Il y a longtemps que je critique la façon de travailler des générativistes, qui choisissent soigneusement les exemples syntaxiques qui collent avec leurs théories et ignorent les autres, mais là leur maître à penser est plus expéditif: il tire. On croit rêver, mais on ne rêve pas, hélas.

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fleche 10 mai  2017 : Les gens du système, et le parachutage qui ne dégage pas

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J’ai reçu ce matin un mail, à propos d’un colloque auquel je suis invité. Le colloque se passe en Allemagne, mais la personne qui m’écrit est brésilienne, et le message se termine ainsi : Estamos muiot felices que vc. Va estar com a gente! Traduisons: « Nous sommes très heureux que vous soyez avec nous ». Il y a longtemps que cette spécificité du brésilien a été notée : a gente utilisé avec le sens de « on » ou, comme ci-dessus, « nous ». Mais ce petit détail m’a fait penser à la campagne qui vient de se terminer.

En effet, les élections présidentielles vont en général de pair avec une certaine créativité lexicale. Ainsi, en 2007, Sarkozy n’avait que la rupture à la bouche et Ségolène Royal son désir d’avenir. Et je me suis demandé ce qui avait lexicalement marqué la campagne de 2017. C’est à Mélenchon, bien sûr, que m’a fait penser le mail ci-dessus. De la même façon qu’il a remplacé l’Internationale par la Marseillaise, il a délaissé les camarades auxquels il s’adressait en 2012 par les gens. Négligeant les connotations du terme (songez à gendarmes ou à entregent), il en a fait un usage invasif, inaugurant d’ailleurs notablement sur un point de syntaxe :  « les gens » ne sont plus ceux dont on parle mais ceux à qui l’on parle : « Les gens, révoltez-vous », « réagissez les gens », « unissez-vous les gens ». Bref, il en a fait un vocatif. Cette invasion de gens dans ses discours est trop marquante pour qu’elle soit due au hasard, et il est clair qu’il voulait se débarrasser des camarades, trop communistes, pour « faire plus peuple ». Quant à son « dégagisme », emprunté aux révolutions arabes, en particulier à la « révolution de jasmin » tunisienne, il va bien sûr dans le même sens populiste.

Côté Le Pen, père et fille, il s’est également passé des mutations intéressantes. Il y a longtemps que Le Pen père s’est constitué un vocabulaire spécifique. Je n’en citerai que deux exemples, diaboliser et établissement.  Diaboliser signifiait dans sa bouche « critiquer le FN » et établissement était bien sûr un (mot) immigré  clandestin (establishment) qui se masquait sous de faux papiers français. Le Pen fille a repris l’idée en changeant sa forme : l’établissement est devenu le système, cause selon elle de tous les maux : « les candidats du système », « victime du système ». Et la diabolisation chère au père a repris du service chez la fille, sous une forme inversée : elle s’est attachée pendant des années (jusqu’au débat dont je traitais dans mon précédent billet et qui a détruit sa stratégie) à la dédiabolisation du FN...

Reste un point sur lequel Le Pen fille et Mélenchon se retrouvent. Il est un mot, ancien dans le vocabulaire politique : parachutage. Le terme désigne une pratique courante consistant à aller se présenter à une élection dans une circonscription sans avoir aucun lien avec elle mais dans laquelle on pense avoir de bonnes chances d’être élu. Notre histoire récente est remplie de ces parachutages, et c’est ainsi que Le Pen fille et Mélenchon se sont, en 2012, trouvés face-à-face à Hénin-Beaumont, où la première a d’ailleurs battu sèchement le second. Or, en écoutant d’une oreille distraire la radio tout en écrivant ce billet, j’apprends que Mélenchon sera dans quelques semaines candidat aux élections législatives à Marseille. Marseille ? Oui Marseille. Il est de Marseille, Mélenchon ? Non, pas du tout, mais il y a fait un succès au premier tour de la présidentielle, alors il y retourne, à tout hasard. Conclusion ? Le dégagisme est une notion à géométrie variable, qui ne concerne pas le parachutage.

 

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fleche 4 mai  2017 : A la schlague

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Depuis des jours on nous a abreuvés, à la radio comme à la télévision, de séquences de duels de second tours précédents, Giscard, Mitterrand, Chirac, Hollande, « vous n’avez pas le monopole du cœur », « vous êtes l’homme du passif », « vous avez raison, monsieur le premier ministre », « moi, président », etc., pour nous préparer à la soirée d’hier et nous mettre en position de carnassiers affamés. Nous allions nous mettre devant notre télé et attendre le massacre de l’un des candidats, la formule qui tue, compter les coups, saliver. Sur le premier point, les prévisions étaient fausses ou, du moins, le débat fut si brouillon qu’aucune formule particulière ne surnagea.

Débat atypique, ne ressemblant à aucun autre de la cinquième république : même Sarkozy n’a jamais atteint ce degré d’agressivité, c’est dire. En fait, c’est Le Pen qui démarra sur les chapeaux de roue, lâchant en rafale,  en deux ou trois minutes, tout ce qu’elle avait préparé comme qualificatifs désobligeants pour Macron : « candidat de la mondialisation sauvage », « saccage », « ubérisation », « froideur du banquier d’affaires », etc., ajoutant en contre-point « je suis la candidate du peuple ». Il ne lui restait qu’à marteler son thème majeur, l’appelant « monsieur le ministre», le traitant de « Hollande junior », martelant « vous étiez au gouvernement », se trompant au passage sur les dates : « quatre ans conseiller », « deux ans ministre », ce qui est un peu long pour un quinquennat, puis se rabattant sur un « des années et des années » plus vague.

Macron, bien sûr, ne fut pas en reste : « logorrhée », « poudre de Perlimpinpin », « sauts de cabri », « ne dîtes pas de bêtises », « impréparation crasse », « ne mentez pas »  (plusieurs fois), « galimatias », arrêtez vos caricatures », « grand n’importe quoi », « faux et archifaux », « mensonges et falsifications », « bidouillage », « vous n’avez pas assez travaillé », « vous n’avez pas de projet pour notre pays », et j’en passe.

De projet, effectivement, on parla peu. Le Pen, agressive, volubile, parfois perdue dans ses dossiers, se trompant dans ses références, a montré ses limites. De façon étonnante, elle a donné l’impression de ne pas savoir ce qu’étaient l’ECU ou le Serpent Monétaire Européen, de confondre Alstrom et SFR, ce qui permit à Macron de lui dire sur un ton professoral : « Vous êtes en train de lire une fiche qui ne correspond pas au dossier dont vous parlez, c’est triste pour vous... » Et il est vrai que sur l’économie, l’euro, les retraites elle a été pour le moins imprécise, donnant l’image d’une étudiante qui tente de lire en douce ses notes mais se prend les pieds dans le tapis.

Quelques détails qui m’ont frappé. Les plans de coupe tout d’abord (« plans d’écoute » ont dit certains), sélectionnés bien sûr par les "réalisateurs conseils" des candidats. Le Pen affichait un sourire étudié, qui s’éteignit peu à peu, Macron, les poings sous le menton, semblait écouter. Dans les deux cas, donc, pose étudiée. Deuxième chose : Le Pen avait pour stratégie de faire sortir Macron de ses gonds et, n’y parvenant pas, elle tenta à plusieurs reprises la magie du verbe, « calmez-vous », vous êtes énervé », comme si dire c’était faire ou plutôt faire faire, comme si à force de dire qu’il était énervé elle finirait par l’énerver.  Mais ce qui m’a frappé le plus, c’est l’absence de réaction de Le Pen lorsque Macron utilisa plusieurs fois la formule «extrême droite » qu’elle réfute d’habitude (je me souviens l’avoir entendu dire qu’elle attaquerait en justice quiconque la traiterait d’extrême droite), ou lorsqu’il asséna « vous êtes sous le coup d’une procédure judiciaire », « n’ajoutez pas à votre indignité personnelle une critique des juges »... Au bout du compte, Macron a martelé que Le Pen était incompétente (il faut dire qu’elle l’a bien aidé sur ce point en se trompant plusieurs fois) et elle l’a renvoyé plusieurs fois à « son passé » (de banquier, de ministre).

Pour finir par où j’ai commencé, il ne restera pas de ce débat une formule choc, un trait assassin définitif. Le Pen a bien essayé, mais en vain, avec "je suis la candidate du pouvoir d’achat et vous le candidat du pouvoir d’acheter », trop visiblement calquée sur le passé et le passif de Mitterrand. Mais on n’oubliera pas ce combat d’un style sans précédent. La presse de ce matin parle de « pugilat ». S’il fallait parler de boxe, cette rencontre pourrait rappeler celle de George Foreman contre Mohamed Ali à Kinshasa en 1974. Le premier, gros cogneur, se laissa prendre au piège, se fatigua et, finalement, fut mis KO pour la seule fois de sa carrière je crois. Ce fut sans doute la victoire de l’intelligence sur la brutalité bête. Le Pen tournait sans cesse autour de son adversaire qui tenait sa garde et décrochait des directs dès qu’elle se découvrait. Mais je penserais plutôt à un match qui aurait pu opposer Marcel Cerdan à Bruce Lee, ou aux judokas qui utilisent la violence de l’adversaire pour le faire tomber. Le Pen avait choisi le pugilat, le style bouledogue, mais elle a sans cesse donné l’impression que, battue pour battue, elle s’entraînait pour l’avenir, se préparait à être dans l’opposition à la présidence de Macron. Spectacle plus que débat, ce fut le spectacle d’un suicide politique.

Pour finir, une notation sémantique. Sans doute pour critique les ordonnances annoncées par Macron, Le Pen lança par deux fois qu’il irait « à la schlague ». Choix étrange, ou choix significatif. La schlague est en effet un mot dont on sait qu’il est d’origine allemande (schlagen « battre », Schlag « coup ») et qu’il connote irrésistiblement le nazisme. Peut-être voulait-elle renforcer son aspect dogue allemand...

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fleche 2 mai  2017 : Pudeur de gazelle ou le syndrome Mélenchon

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Certains m’ont reproché d’être injuste ou agressif  envers Mélenchon. Mais ce qui est en train de se passer a un goût amer. Selon les récents sondages, 20% de ceux qui ont voté pour lui reporteraient leurs suffrages sur Le Pen, ce qui lui ferait environ 5% de plus, auxquels il faut ajouter une bonne partie des électeurs de Fillon, 3 ou 4% venus de Dupont-Aignan (Celui-là, je vous avais dit qu’il la rejoindrait, et il a fait mieux : il serait son premier ministre...) Bref, les gens votent comme ils veulent, mais les hommes politiques devraient assumer leurs responsabilités. Or Mélenchon, concernant son propre vote, est pour le moins pusillanime : il ne votera pas pour Le Pen, dit-il. C’est la moindre des choses. Mais il refuse de dire ce qu’il votera faisant la preuve soit de lâcheté, soit d’irresponsabilité, soit d’une étrange modestie. « Pas une voix ne doit aller au front national » a-t-il lancé dimanche. Mais où doivent-elles aller ? Silence. Il aura fallu attendre ce mardi, soit neuf jours après le premier tour, pour que tombe le résultat de la « consultation » lancée auprès des adhérents de la « France insoumise » : ils optent aux 2/3 pour le vote blanc ou l’abstention. Ce n’est plus la France insoumise, c’est la France qui s’en lave les mains.

Et cette ambiguïté se retrouve chez ceux qui le soutiennent. Je n’ai entendu personne jouant un rôle important dans son entourage prendre une position opposée à la sienne. Le culte du chef ? Sans doute. Mais, sans entrer dans les invectives qui se pressent pourtant au bout de mes doigts, je dirai en termes que j’atténue avec peine que cela est déroutant. Disons, pour reprendre son expression à propos des affaires de Le Pen et Fillon, que Mélenchon fait montre d’une pudeur de gazelle, et que cela n’est pas à la hauteur de l’évènement. Revenir à la rhétorique du « bonnet blanc et noir bonnet », ou de « la peste ou le choléra » lorsque le lepénisme est aux portes, considérer que Macron et Le Pen c’est du pareil au même, tout cela n’a pas de sens. C'est du gauchisme déraillant, délirant.

Atrabilaire, Mélenchon ? Mauvais perdant ? Orgueilleux ? Enragé de ne pas avoir atteint le second tour ? Tout cela sans doute, et d’autres choses encore. Mais jouer à l’enfant gâté qui boude parce qu’il n’a pas eu le joujou qu’il attendait, afficher qu’il se fout de l’avenir du pays, c’est proprement insupportable. Si Le Pen l’emportait, ou faisait un score très important, se sentirait-il en partie responsable ? Je n’en sais bien sûr rien, et d’une certaine façon je m’en fous : Mélenchon est désormais pour moi sorti des radars.

Et que dire de la CGT, de FO, qui clament qu’il faut faire barrage à Le Pen sans jamais citer le nom de Macron, alors qu’il est jusqu’à plus ample informé le seul candidat en face d’elle. Ce mot, Macron, serait-il tabou ? Encore une fois, pudeur de gazelle ? Ou rage d’avoir été dépassés par la CFDT qui est désormais en tête des syndicats représentatifs ? On a l’impression que les uns et les autres présentent tous les signes de ce que nous pourrions appeler le syndrome Mélenchon : identifier un ennemi mais refuser de soutenir celui qui peut le battre. Bref, tout cela est inquiétant. J’ai souligné dans un précédent billet que dans les meetings de Mélenchon on chantait désormais la Marseillaise. En 1881, Léo Taxil avait écrit sur la même musique une Marseillaise anticléricale dont je vous livre le premier couplet et le refrain :

Allons ! Fils de la République,

Le jour du vote est arrivé !

Contre nous de la noire clique

L'oriflamme ignoble est levé. (bis)

Entendez-vous tous ces infâmes

Croasser leurs stupides chants ?

Ils voudraient encore, les brigands,

Salir nos enfants et nos femmes !

Refrain

Aux urnes, citoyens, contre les cléricaux !

Votons, votons et que nos voix

Dispersent les corbeaux !

Plutôt que de rester sans voix devant les atermoiements des victimes du syndrome Mélenchon et les méfaits de ce "vote gaucho", je vous suggère d’entonner, à pleine voix justement, ce refrain :

Aux urnes citoyens, contre le vote gaucho

Votons, votons, et que nos voix

Dispersent les fachos

 

 

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Avril 2017

 

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fleche 24 avril  2017 : Résultats

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Depuis plusieurs mois on croyait connaître le peloton de tête puis le carré gagnant et les demi-finalistes. Mais tout changea en cours de route. L’un d’entre eux se désista, deux autres puis trois furent éliminés durant les premiers tours et il n’en resta qu’un, qu’on n’avait d’abord pas vu monter, qui était loin dans les sondages et qui finalement l’emporta. Oui, je vous entend protester : nous n’en sommes qu’au premier tour, reste le second ! Mais de quoi parlez-vous ? Moi je parlais du tournoi de tennis de Monte-Carlo, dont Fédérer était absent, où les trois premiers, Murray, Djokovic et Wawrinka, furent éliminés les uns après les autres et que, finalement, Nadal, remontant de la septième place de l’ATP, remporta.

Ah oui, vous pensiez aux élections ! Pour Fillon, après les costumes ce fut une veste. Mélenchon, mauvais perdant (feignant jusqu’à tard dans la nuit de ne pas croire au résultat, attendant disait-il les chiffres du ministère de l’intérieur) frappa surtout, lui l’e candidat auto-proclamé, chef incontesté, décidant tout seul de tout,  il frappa donc en n’ayant pas le courage de dire pour qui il voterait au second tour. Macron, pour qui j’ai voté, commence à me casser les pieds avec sa Brigitte dont nous n’avons que faire. Et puis pauvre Hamon, massacré par son parti. Bon, le tournoi de Monte-Carlo est terminé, le spectacle se déplace vers les règlements de compte qui vont avoir lieu au PR et au PR. Ca va saigner. Une seule question, mais je n’ai pas la réponse : que va faire Sarkozy, lui qui a tiré les ficelles, pour maintenir Fillon afin de ne pas avoir Juppé ? Il va tenter de revenir? De placer Barroin? A suivre...

Bon, rendez-vous pour la suite. Le second tour ? Non, tout semble réglé. Le 11 juin. En effet,  cela ne vous a pas échappé, ce sera le premier tour des législatives et... la finale de Roland-Garros.

 

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fleche 21 avril  2017 : Studium et punctum sont dans un bateau

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Ouf ! Cette campagne touche à sa fin : Hier soir, sur la 2, se tenait le dernier débat avant le premier tour. Enfin, par vraiment un débat mais un défilé de têtes : onze séquences de quinze minutes dans lesquelles, seul, chacun des onze candidats s’exprimait, puis, tous réunis sur le plateau, onze nouvelles séquences de deux minutes trente, sans le moindre échange entre eux, le contraire d’un débat donc.

Nous sommes alors obligés de parler d’eux un à un, puisqu’ils n’ont pas communiqué entre eux. Ci-dessous, quelques notes, sans doute injustes et parfois politiquement incorrectes, sur les candidats, dans leur ordre d’apparition, avant d’en venir à des questions plus générales.

Le premier, Mélenchon, roublard et ego maniaque, dont tout le monde apprécie le jeu de scène, et peut-être les hologrammes, sans rien savoir de son programme. Ce qui l’arrange peut-être : on risquerait de se rendre compte que sur le plan économique et géopolitique il n’est guère différent de Le Pen.

Arthaud, bouche tordue comme par la haine, presqu’autiste, coincée par les consignes de sa secte, ce clone de Laguiller semble s’agiter dans une cage dont elle ne veut absolument pas sortir. Elle refuse de répondre à une question sur l’éventuelle existence d’un pays qui lui servirait de modèle. Normal : son modèle, c’est sa cage.

Le Pen toujours aussi approximative sur le plan économique (jusqu’au lapsus : « l’euro valait un euro quatre-vingt il y a cinq ans »), on l’imagine en uniforme de douanier (expulsion, frontières, suppression du droit du sol, etc.).

Asselineau. Il veut nationaliser, déchirer tous les traités, il fera baisser en deux ans le chômage de 1,5 à 2 millions (mais il ne donne pas sa recette). Un doux dingue adepte de la théorie du complot (les Américains sont, à l’entendre, responsables de tous nos maux). 

Hamon. Il se sait battu et pourtant il se bat, il est convaincant, sincère. Son parti, le PS, l’a lâché en rase campagne. On a envie de lui chanter une chanson de Souchon, Allo maman, bobo...

Dupont-Aignant. Je me souviens, il y a quelques années, au moment de l’affaire Bettencourt, de Woerth disant à un journaliste quelque chose comme « est-ce que j’ai l’air d’un voleur ?». Et je m’étais dit qu’il était impossible de répondre à cette question de façon objective, car « avoir l’air » n’est pas une catégorie scientifique. Ou alors j’aurais répondu : « puisque vous me posez une question subjective, alors, oui, je trouve, subjectivement,  que vous avez l’air d’un voleur ». Pour moi, Dupont-Aignant a surtout l’air niais. Je sais, ce n’est pas objectif.

Avec son ait benêt, il dit des chose semblables à celles qu’éructe Le Pen, et je ne crois pas beaucoup m’avancer en disant que si elle est au second tour il la ralliera à elle d’une façon ou d’une autre, subtilement ou pas.

Poutou. Lunaire, collectif (c’est le seul qui ne parle pas en je mais en nous), il est surtout marrant. Rappelle sans les nommer que Le Pen et Fillon sont des voleurs et des menteurs, ce que personne d’autre n’a osé dire. Hélas pour lui, il rappelle que « nous voulons » désarmer la police au moment même où un policier se fait flinguer sur les Champs Elysées. Pas de chance.

Macron. Flou et précis à la fois, ce gendre idéal était le premier à entrer sur le plateau en sachant ce qui venait de se passer à Paris. Du coup il avait laissé sa grammaire dans sa loge (chacun devait apporter un objet symbolique, lui c’était un livre de grammaire). Il tient des propos plutôt sympas sur l’école, flotte un peu sur la Syrie, mais l’absence d’aspérités fait qu’on ne peut que tourner autour de son discours, sans trouver de prise.

Cheminade.  Bien sûr il a lui-aussi un côté « théorie du complot » : il ne croit pas au 11 septembre. Mais il est touchant, ce grand-père qui, sur le tard, décide l’espace de quelques semaines se faire un peu de publicité avec l’aide des media publics. Pas antipathique, mais il a le défaut de tous les grands-pères, il croit tout savoir, n’avoir que de bonnes idées. Et puis il a sa part de rêve, Mars, la Lune... Bref il y est déjà un peu, dans la lune

Lassalle. On ne sait pas s’il est foldingue ou inconscient. Ce qui me frappe le plus ce n’est pas son accent mais sa diction, comme si ce grand corps de rugbyman avait peur de pousser sa voix vers l’extérieur. Du coup il semble incapable d’articuler quelque chose de suivi, de cohérent, il semble bredouiller. S’il chantait en béarnais ses propositions, il serait peut-être plus audible.

Et puis, pour finir, Fillon, en digestif un peu indigeste, malgré son costume de bonne coupe. Et ces deux derniers candidats, Lassalle et Fillon, m’amènent à des questions plus générales.

D’une part ils sont six sur onze à savoir, quoi qu’ils en disent, qu’ils feront entre zéro et quatre pour cent des suffrages. Dès lors on peut se demander pourquoi, certes après avoir obtenu les 500 parrainages légaux, ils doivent disposer du même temps de parole que les trois ou quatre qui ont une chance de parvenir au second tour. Je connais tous les arguments, la démocratie, la diversité, etc., mais, tout de même, il y a quelque chose de pourri au royaume de nos élections. D’ailleurs, tout le monde parle des petits candidats, avec ou sans guillemets.

D’autre part, et pire encore, ils sont deux à avoir devant eux un avenir judiciaire : après les plateaux, les tribunaux, du moins s’ils ne sont pas élus. Tout le monde le sait, Le Pen et Fillon sont malhonnêtes, ils ont piqué dans les caisses. Comment notre système permet-il à des voleurs (et ne me faites pas le coup de la présomption d’innocence, votre argument serait invalidé d’ici quelques mois, quand la justice sera passée) de prétendre à la fonction de président ? Comment les électeurs peuvent-ils passer l’éponge sur ce qu’ils savent être vrai ?

Ce matin, avec mon copain Michel (encore lui), nous parlions de Roland Barthes, de la Chambre claire et de la distinction qu’il proposait entre le studium et le punctum. Par studium il entendait un intérêt distancié, il parlait « d’affect moyen », pour une photo, « le goût pour quelqu’un, une sorte d’investissement général, empressé, certes, mais sans acuité particulière ». Et le punctum était pour lui un « second élément qui vient déranger le studium », une sorte de flèche « qui part de la scène... et vient me percer ». Ce qui se passe avec les électeurs de gens comme Le Pen, Fillon ou Mélenchon est différent. Ils perçoivent une mise en scène, un cadrage sur un personnage, ils aiment ça, c’est le studium. Mais ils refusent de se laisser atteindre, piquer, par le punctum. Barthes n’avait pas songé à ce genre de déni, à cette façon de ne pas vouloir être frappé par ce qui point de l’image, ou se cache derrière l’image et que refusent de sentir ceux qui, du même coup, se font complices. Pour faire un peu dans la parodie, une devinette: studium et punctum sont dans un bateau. Punctum tombe à l'eau, qui est-ce qui reste? La complicité coupable.

Je fais de la morale ? Peut-être. Mais les fautes morales me sont aussi insupportables que les fautes de goût ou les fautes de syntaxe (oui, je suis linguiste et ne devrait pas condamner les « fautes de syntaxe », mais j’ai droit à quelques périodes de repos). Et, pour revenir à cette élection, j’ai voté pour mes convictions en votant Hamon à la primaire de la gauche, mais je n’ai pas envie d’avoir un second tour Fillon/Le Pen, qui n’est pas exclu à l’heure où j’écris. Alors je voterai Macron, sans enthousiasme. Appelez-ça, si vous voulez, un vote utile. Mais utile pour qui ? Pas pour moi, en tout cas, ou du moins pas pour moi seul. Car je ne crois pas être le seul à refuser l’idée d’avoir pendant cinq ans un président qui échappe aux tribunaux.

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fleche 20 avril  2017 : Lectures

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 Le livre que j’ai publié en 2002 aux éditions Plon Le marché aux langues, sous-titré Les effets linguistiques de la mondialisation, était depuis longtemps épuisé. Je viens de le ressortir en format de poche, sous le titre Les langues : quel avenir ? Les effets linguistiques de la mondialisation, chez CNRS éditions. En fait je l’ai largement remanié. Cela n’implique pas que j’aurais changé d’avis sur les positions que j’y défendais. Mais d’une part la situation linguistique du monde a poursuivi son évolution et il nous faut en tenir compte. C’est par exemple le cas d’un chapitre sur la situation Corse, que j’ai largement actualisé, ou de données également actualisées dans l’ensemble du livre.

D’autre part j’ai depuis quinze ans élaboré des instruments d’analyse qui rendent caduque une partie de l’ouvrage, en particulier un chapitre dans lequel je postulais un « système expert » sur lequel j’ai beaucoup avancé et un autre dans lequel j’apporte des analyses plus précises de la situation linguistique du monde. Enfin certains chercheurs ont également publié des recherches sur les mêmes thèmes, dont je tiens bien entendu compte dans cette réédition. L’articulation du livre est donc la même, mais son contenu tient compte, comme il se doit, de l’évolution des choses. Si ça vous amuse, donc, il sera en librairie début mai. Autre informations, je viens de recevoir la traduction turque de ma biographie de Roland Barthes que j’avais publié il y a... plus de vingt-cinq ans. Oui, je sais, ils ne sont pas très en avance. Ca s’appelle, ô surprise, Roland Barthes, 1915-1980, et c’est aux éditions YKP (Yampi Kredi Yayinlari). Vous ne lisez pas le turc ? Pas grave, je vais en conseiller la lecture à Erdogan. Cela lui permettra peut-être de s’essayer à la sémiologie en écrivant une Mythologie de l’islamisme rampant en Turquie, en s’inspirant de la façon dont Barthes traitait de Billy Graham ou de Pierre Poujade. A ton calame, Erdogan !

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fleche 17 avril   2017 : écoute flottante

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On entend beaucoup de choses sans vraiment le chercher...Ce matin j’étais avec un copain à la terrasse d’un bistro, le fumais une pipe en buvant mon café, et comme Michel (c’est mon copain) était au téléphone je prêtais une écoute flottante à ce qui se disait derrière moi, dans la salle. Soudain j’entends une voix féminine:

« Ils sont tous pareils, ils avaient tous des maîtresses, Giscard, Mitterrand, Chirac... » Je suppose, vu le contexte électoral, qu’elle avait commencé par un candidat, et je tends l’oreille, me disant que j’allais peut-être apprendre des choses : Fillon, Le Pen, Mélenchon ou Macron auraient-ils une maîtresse ? La voix, appelons-la vox populi, poursuit :

« Je le sais, j’ai été la femme d’un député, et je n’ai jamais été aussi cocue »

Nous passons alors de la vox populi à une voix plus individuelle, qui poursuit :

« Je n’ai pas divorcé, j’aurais perdu tous les avantages ».

Je transcris cela de mémoire, je n’avais pas de quoi écrire, mais l’analyse de ce monologue peut être intéressante. « j’ai été la femme d’un député », donc elle ne l’est plus. « j’aurais perdu tous les avantages », donc il y a des avantages à être femme de député. Dès lors il y a deux solutions : soit elle est désormais veuve de député, soit elle a divorcé plus tard, non pas parce qu’elle était cocue mais parce qu’il n’était plus député et qu’il n’y avait plus d’avantages à attendre.

En ces temps où l’éthique passe bien après l’idéologie, où les électeurs de Le Pen ou Fillon se foutent comme de leur premier bulletin de vote de savoir si l’une et l’autre peuvent aller en prison, cela est instructif. « Le Pen pique dans la caisse de l’Europe ? Et alors ? Elle va nous débarrasser des métèques ». « Fillon s’en met plein les poches de ses costumes de luxe ? Qu’importe ? Il va supprimer l’impôt sur la fortune ». Et plus finir : « Mon mari député me trompe ? Je le garde pour garder les avantages de sa fonction ».

Où veux-je en venir ? Je n’en sais rien. C’était juste la pêche d’une écoute flottante.

 

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fleche 14 avril   2017 :  L'utopie zamenhofienne

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Il y a cent ans mourait Ludwik Zamenhof, l’inventeur de l’espéranto. Né en Pologne et mort à 58 ans à Varsovie, élevé en russe et en yiddish, parlant également le polonais et l’allemand, connaissant le français, l’anglais, le grec et le latin, il baigna dans les langues et imagina très tôt une langue universelle qui prendra le nom d’espéranto, d’après la formule par laquelle il signait ses articles, « doctor espéranto », docteur espérance (il avait fait des études de médecine à Moscou).

Cela fait donc plus d’un siècle que cette langue artificielle est, si je puis dire, dans les rayons du supermarché linguistique. Elle n’était d’ailleurs, à l’époque, pas la seule (le volapück, l’ido, interlingua et d’autres encore étaient également sur les rangs) et Zamenhof n’était pas le premier des rêveurs ou des philosophes à proposer une langue « universelle ».  Du côté des rêveurs on trouve des romanciers, des utopistes, dont l'archétype français pourrait être Cyrano de Bergerac dans son ouvrage Les Etats et Empires du soleil  et du côté des philosophes Descartes ou Leibniz, qui se proposaient d'élaborer ou espéraient une langue scientifique palliant les défauts inhérents aux langues naturelles.  D'un certain point de vue, Descartes, dans sa lettre au père Mersenne (20 novembre 1629) , soulignait cependant l'inanité de ces projets:  "Je tiens que cette langue est possible (.....) Mais n'espérez pas de la voir jamais en usage, cela présuppose de grands changements en l'ordre des choses, et il faudrait que le monde ne fût qu'un paradis terrestre". Staline n'avait sans doute pas lu Descartes, car la langue universelle sera également appelée de leurs vœux, dans un autre registre, par Nicolas Marr et le "petit père des peuples". Le premier, théoricien des "langues japhétiques", pensait que l'avenir de l'humanité  était d'être monolingue. Il a consacré à ce thème plusieurs textes, dans lesquels on trouve une foi solidement ancrée en l'émergence d'une langue unique parallèlement à l'unification mondiale de l'économie: c'était pour lui le socialisme universel qui devait produire une langue universelle.

Marr a été le linguiste officiel de l'URSS pendant un bon tiers de siècle, et si l'on sait en général comment Staline, en 1950, a mis fin à sa domination sur la linguistique soviétique, on connaît moins le Staline "marriste". Or, en 1930, lors du XVI° congrès du Parti Communiste de l'Union Soviétique, il déclarait: "La question du dépérissement des langues nationales et de leur fusion en une langue unique n'est pas unproblème intérieur à notre pays, ce n'est pas un problème de victoire du socialisme dans un seul pays, c'est une question internationale, celle de lavictoire du socialisme à l'échelle internationale". Nicolas Marr a commenté ce passage, en soulignant "la clarté et la profondeurstupéfiantes" du camarade Staline dont "la pensée politiquement directrice" retrouvait "très exactement la position à laquelle lathéorie japhétique est parvenue en élaborant à l'échelle mondiale une théorie absolue novatrice sur le langage". Je suis bien sûr incapable de dire sile passage du discours de Staline a été directement écrit par Marr, mais il est clair qu'il n'y a pas de hasard objectif et que si le "grand Staline"parvient aux mêmes conclusions que Marr, c'est bien entendu parce qu'il s'en est inspiré. Dans son indéniable folie, Marr avait cependant parfois deséclairs de lucidité, par exemple lorsqu'il écrivait: "Aucune langue individuelle, quelle que soit sa diffusion impérialiste, ne saurait être cette langue uniquede l'avenir. Toutes les langues qui furent autrefois internationales sont mortes; toutes les langues, quelle que soit leur expansion, petites ou grandespar le nombre de leurs locuteurs, émanant comme langues de classes des couches supérieures de la société ou au contraire productions plus vigoureuses desmasses, toutes périront de même; et ce ne sont pas, naturellement, ces ersatz du langage humain, les espéranto et autres ido, qui poussent aujourd'hui commedes champignons, ni aucune des langues que la création individuelle nous offrira dans l'avenir, qui sauront les remplacer", soulignant ainsi uneévidence qu'il est bon de rappeler de temps en temps.

On peut voir dans tout cela une nostalgie de la langue pré-babélique, une recherche d'une langue philosophique ou scientifique idéale, ou de l'avènement annoncé d'une langue universelle socialiste, donc une vision optimiste de l’avenir à travers une langue universelle. Mais ce thème a pris de nos jours d'autres connotations: il ne s'agit plus de construire ou d'appeler de ses vœux une langue qui nous ramène aux heureux temps pré-babéliques mais de montrer du doigt le danger d'une américanisation par la langue anglaise. Le projet espérantiste était de ce point de vue généreux : chacun parlerait sa langue et une langue universelle qui, empruntant à toutes les langues, ne serait en rien dominatrice. Bien sûr, cette définition est fausse : l’espéranto s’inspire essentiellement des langues indoeuropéenne et n’est guère familière à un locuteur de l’arabe ou du chinois, du bambara ou de l’aymara.

Quoi qu’il en soit, quelle est aujourd’hui la situation de ce projet? Après un siècle de militantisme, les espérantistes ne se sont pas imposés et la « guerre » entre les grandes langues impériales se poursuit. Il est d’ailleurs difficile d’évaluer le nombre de pratiquants de l’espéranto. On parle de 100.000 locuteurs, de dix millions de personnes qui l’auraient étudié, de mille qui l’auraient comme langue maternelle, mais tout ceci est impossible à vérifier.

Alors, l’héritage de Zamenhof ? Une belle utopie, sans doute, mais qui, comme toutes les utopies, ne se trouve nulle part...

 

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fleche 13 avril    2017 : Pénélope

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Au début de la semaine je suis allé assister à un concert : Le retour d’Ulysse, de Monteverdi, dirigé John Gardiner. Au centre de l’histoire, Pénélope, dont on dit qu’elle était si belle que son père dût organiser pour lui donner un mari des jeux auxquels participèrent tous ses prétendants et dont Ulysse sortit vainqueur. Puis, après la guerre de Troie, Ulysse disparut pendant vingt ans et Pénélope lui resta obstinément fidèle, expliquant à ses nouveaux prétendants qu’elle n’épouserait personne avant de terminer une toile, qu’elle tissait le jour et défaisait la nuit. Et, au retour de son mari, elle ne le reconnut pas et, là encore, elle eut recours à une épreuve : tendre l’arc d’Ulysse. Tous échouèrent, sauf Ulysse, bien sûr. Mais tout cela vous le savez.

Georges Brassens a rendu, à sa manière, hommage à cette fidélité, mettant en scène une Pénélope de banlieue :

« Toi l'épouse modèle

Le grillon du foyer

Toi qui n'a point d'accrocs

Dans ta robe de mariée

Toi l'intraitable Pénélope

En suivant ton petit

Bonhomme de bonheur

Ne berces-tu jamais

En tout bien tout honneur

De jolies pensées interlopes

Derrière tes rideaux

Dans ton juste milieu

En attendant l'retour

D'un Ulysse de banlieue

Penchée sur tes travaux de toile

Les soirs de vague à  l'âme

Et de mélancolie

N'as tu jamais en rêve

Au ciel d'un autre lit

Compté de nouvelles étoiles »

Pour ma part, bien sûr, bercé par la musique de Monteverdi, je n’ai pas pu ne pas penser à une autre Pénélope, celle dont tout le monde parle aujourd’hui, Pénélope Fillon, et à ses avanies supposées. Laissons encore la parole à Brassens :

 « N'aie crainte que le ciel

Ne t'en tienne rigueur

Il n'y a vraiment pas là 

De quoi fouetter un cœur

Qui bat la campagne et galope

C'est la faute commune

Et le péché véniel

C'est la face cachée

De la lune de miel

Et la rançon de Pénélope ».

Péché véniel ou pas, la justice tranchera. Je ne sais pas si elle s’inspirera de l’étymologie de ce prénom pour décider de son verdict. Mais les spécialistes ne sont pas tout à fait d’accord. Certains y voient un mot composé de pếnê (« tissu, toile ») et lépô  (« déchirer»), « celle qui déchire la toile » . Mais d’autres soutiennent que ce nom vient du grec pênélops, « oie sauvage ». Et tout le débat est là : une travailleuse qui se cache la nuit pour défaire son travail et n’en laisser aucune trace ou une oie blanche.

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fleche 11 avril    2017 : Epoque moderne

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Nous vivons un époque moderne, enfin, vous allez voir.

A la fin des meetings de Jean-Luc Mélenchon, on chante désormais La Marseillaise : il y a cinq ans, c’était L’Internationale.

Dans les meetings de Jean-Luc Mélenchon, on brandit des drapeaux tricolores : il y a cinq ans, c’était des drapeaux rouges.

Marseillaise et drapeau tricolore, deux symboles de la « nation », du nationalisme, qui ont accompagné toutes les aventures coloniales, toutes les bassesses, et que l’on a plutôt l’habitude de trouver chez Le Pen et Fillon. Tu vas où, Mélenchon ?

Dimanche, à Marseille, Mélenchon arborait un rameau d’olivier dans la pochette de sa veste, après avoir expliqué que c’était un symbole de paix. Hasard du calendrier, le dimanche 9 avril, c’était le dimanche des rameaux qui, dans le calendrier chrétien, marque l’ouverture de la semaine sainte et commémore la passion du Christ et sa mort sur la croix. Après un signe aux amateurs de drapeau tricolore et de Marseillaise, une signe aux grenouilles de bénitier qui font bénir ce dimanche des rameaux d’olivier! On le croyait bouffeur de curés, mais il caresse les cathos. Tu vas où, Mélenchon ? Ou plutôt : quo vadis ?

Nous vivons aussi une époque moderne de l’autre côté de l’Atlantique. Non, je ne veux pas parler de Trump, mais de l’Arkansas. Dans cet état, on a programmé  sept exécutions capitales avant le 1er mai. Recrudescence de l’insécurité, du crime ? Non, pas du tout. Mais en Arkansas on exécute les condamnés par injection létale. Or le stock du produit utilisé, un mélange chimique, sera périmé le 1er mai. Oui, il est écrit dessus : « messieurs les bourreaux, ne pas utiliser après le 1/5/2017 ». Alors, par souci d’économie, on va accélérer le massacre. C’est pas beau, le sens de l’économie ? Il faudrait leur envoyer Fillon : les économies, il connaît.

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fleche 5 avril    2017 : Vivement les vacances

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Près de quatre heures de débat, hier soir, entre les onze candidats à l’élection présidentielle. Bien sûr, il est jouissif d’entendre Poutou dire leurs quatre vérités à Fillon et Le Pen. "Plus on fouille plus on sent la corruption ", lance-t-il d’abord, poursuivant qu’il y a "des bonshommes qui nous expliquent qu'il faut la rigueur, l'austérité, et qui eux-mêmes piquent dans les caisses". Puis il passe à Le Pen, qui avance pour ne pas répondre à la convocation des juges l’argument de son immunité parlementaire: « quand nous on est convoqués par la police, nous ouvriers, on n’a pas d’immunité ouvrière, désolé. On y va », formule qui restera dans les mémoires. Mais au delà ?

Au delà, une sorte de cirque dans lequel Cheminade, Lassalle ou Asselineau jouent le rôle des clowns de service, parfois illuminés, parfois obsédés. Ajoutons-y Arthaud, qui fait de la colère une ligne politique, Dupont Aignan, qui donne l’impression de toujours se regarder dans une glace... On se demande ce que peut apporter au débat politique cette galerie de portraits hétéroclites. Les autres candidats, les « grands » comme on dit, on semblé se contenter de gérer prudemment leur capital. Les uns avec arrogance, comme Fillon ou Le Pen, les autres avec légèreté (Macron) ou opiniâtreté (Hamon, Mélenchon). Fillon est quand même sorti de sa hauteur lorsque Poutou est revenu à la charge ("Quand on voit même Fillon qui se dit préoccupé par la dette... Mais il y pense moins quand il se sert dans les caisses publiques quand il paye sa famille !") : "Je vais vous foutre un procès à vous."

Mais, au bout du compte, on se dit qu’on ne gagne rien à vouloir copier les autres (et ici les Américains). Les primaires de droite puis de gauche, les rebondissements, les feuilletons judiciaires, maintenant les débat télévisés embouteillés tout cela laisse un goût de trop plein, ou d’indigestion. A quoi servent des candidats qui n’ont aucune chance et le savent , même si certains font semblant d’y croire? C’est le prix de la démocratie ? Peut-être. Mais entendre un Asselineau citer sans cesse des articles d’on ne sait quel code ou quel traité, un Lassalle bredouillant des choses incohérentes, une Arthaud répéter toujours les mêmes mantras, est-ce bien nécessaire ? Bien sûr Hamon a pu agresser Fillon sur les postes de fonctionnaires qu’il veut supprimer, mais Le Pen peut répéter ses inepties sans qu’on l’interroge sérieusement sur son programme et son financement.

Bref, même si j’ai ri deux ou trois fois, moi qui suis presque drogué à la politique, je me sens fatigué par tout cela, une sorte de ras-le-bol. Vivement les vacances (parlementaires).

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fleche1er avril    2017 : Météorologues

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Hier matin j’ai acheté Le Monde et La Republica  à l’aéroport de Milan, puis Libération et El Pais  à celui de Barcelone. Retour en France après quelques jours en Italie, retour aux nouvelles dont une seule servira de résumé : Valls annonce qu’il votera Macron. Et une phrase m’est venue en tête : Les rats quittent le navire. Cette vieille expression française remonte à une époque où il était difficile de prévoir le temps. Or les marins avaient remarqué que parfois, avant qu’un navire quitte le port, les rats fuyaient, sentant qu’une tempête était imminente. Mais on ne connaît aucune expression ni aucun récit laissant entendre qu’en d’autres occasions ces braves muridés se jetteraient, à l’inverse, sur un bateau, histoire de faire une croisière si leur sens météorologique leur annonçait du beau temps. C’est pourtant ce à quoi nous assistons depuis quelques semaines : les rats se précipitent sur le navire Macron. Et rien ne laisse penser qu’ils ont l’intention de rester dans les caves.

On connaît la fable de La Fontaine le rat des villes et le rat des champs, mais il y en a beaucoup d’autres mettant en scène des rats . Etrangement, ou pas, deux d’entre elles se terminent par des phrases devenues formules figées. « Tel est pris qui croyait prendre » pour   Le rat et l’huître et « patience et longueur de temps font mieux que force et que rage » pour  Le lion et le rat. Remplaçons le rat par Valls, ou par tout autre transfuge : se retrouvera-t-il pris alors qu’il croyait prendre ? Regrettera-t-il  de n’avoir pas su être patient et laisser faire le temps ? Car tous, bien sûr, attendent quelque chose, un soutien pour les prochaines élections législatives, plusieurs sièges pour son courant, son parti (n’est-ce pas, Bayrou), un prochain poste ministériel... Pour en rester aux rats qui quittent le navire parce qu’ils sentent venir une tempête, leur sens météorologique leur a fait sentir le vent et changer de cap. Mais les marins savent qu'on est parfois obligé de changer de cap, de tirer des bordées, bref de naviguer à vue.

Il est une autre fable de La Fontaine qui met en scène un rat et nous a légué une formule. Dans  Le chat et un vieux rat  l’auteur conte l’histoire d’un chat qui fait mille ruses pour attraper des rats et y parvient, à l’exception d’un vieux rat expérimenté qui se méfie « et savait que la méfiance est mère de la sûreté ». Et je vous laisse le soin de mettre des noms sur ce chat, ce vieux rat, cette huître, ce lion...

 

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Mars 2017

 

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fleche24 mars   2017 : Aux abois

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François Fillon est-il aux abois ?

Hier soir, sur la 2, il a commencé par lancer une ignominie que ses conseillers en communication lui ont sans doute soufflée, déclarant qu’avec les affaires dont tout le monde parle à son propos il avait « souvent pensé à Pierre Bérégovoy ». Sachant que Pierre Bérégovoy s’est suicidé, cette sortie ne pouvait pas ne pas être interprétée comme une sorte de chantage au suicide, ou une façon de laisser planer le doute... Minable !

Puis, évoquant un livre dont il dit au début de l’émission  avoir lu les bonnes feuilles dans Valeurs actuelles  puis à la fin de la même émission qu’il l’a lu en pdf, il accuse François Hollande d’être à l’origine de la « cabale » contre lui : « on cherchait un cabinet noir, on l’a trouvé ». Problème, un des auteurs du livre fait immédiatement savoir qu’il n’y a rien se semblable dans l’ouvrage. Ce qui est sûr, c’est que cela fera vendre l’ouvrage.

Interrogé par Pujadas sur son ultime affaire, ou sur la plus récente, les costumes que lui a offerts un avocat au passé sulfureux, il déclare les avoir rendus, dit qu’il a commis une erreur (il avait dit la même chose il y a trois semaines). Une erreur, donc. On cite souvent la formule latine, errare humanum est, « l’erreur est humaine », en oubliant la suite : sed persevare diabolicum. Et si persévérer est diabolique, il y a un antidote. Fillon,  à deux reprises, a utilisé le même verbe, confesser : « je le confesse, j’ai confessé ». J’ai toujours été frappé par cette vieille hypocrisie catholique : il suffit d’aller dans le secret d’un confessionnal dire à voix basse toutes ses bassesses pour ressortir blanchi, comme de l’argent sale. Fillon, finalement, ne fait que ça depuis des semaines : chercher à se blanchir. Et j’ai pensé à une des premières chansons de Jacques Brel, Grand Jacques, qui date je crois de 1953 :

« C’est trop facile d’entrer aux églises, De déverser toute sa saleté,  Face au curé qui dans la lumière grise, Ferme les yeux pour mieux nous pardonner »                                                                                    

On ne saurait mieux dire.

Depuis des semaines, donc, nous assistons à ce spectacle désolant d’un Snoopy « confessant » ses erreurs révélées, puis les reconfessant après de nouvelles révélations. Et nous ne savons même pas comment exprimer notre dégoût. Christine Angot, invitée surprise de l’émission d’hier, l’a su, elle. Dans une saine colère, expliquant qu’elle parlait au nom de millions de Français qui le considèrent comme malhonnête, elle a cassé le moule de ce genre d’émissions. Au début, pourtant, on avait l’impression que Pujadas était pugnace, mais il a paru fade après l’explosion d’Angot qui, avant de partir, a lancé : on ma invitée parce que je dis les choses qu’ils n’osent pas dire.

Alors, Fillon, aux abois ? Nous le saurons dans un mois, jour pour jour. Nous saurons s’il parviendra au second tour de l’élection pour l’immunité présidentielle, ou s’il troquera le confessionnal pour le tribunal. A suivre.

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fleche23 mars   2017 : Autisme ou aveuglement?

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Après Cahuzac Thévenoud, après lui Le Pen, puis Fillon et enfin Le Roux : ils sont fous ces Gaulois ! Ou grippe-sous, ou malades. L’un d’entre eux, Thévenoud, s’est d’ailleurs livré à un auto-diagnostic : il souffrait de phobie administrative. Je ne suis pas sûr que ce mal ait une place dans la formation des médecins mais passons. Il est phobique administratif, le pauvre. Mais les autres ? Tous les autres ? Ils sont tous atteints de phobie ? Une phobie arithmétique qui consiste à ne pas pouvoir compter les heures de travail de ses assistants (Fillon), à confondre 20 et 40 millions (Sarkozy) ou zéro et deux villas à l’étranger (Balkany), à se tromper systématiquement dans l’évaluation de ses biens immobiliers (Le Pen) ? Ou encore une phobie vestimentaire qui consiste à ne pas pouvoir payer les factures de son tailleur (Fillon) ?  Une phobie sémantique les poussant tous à confondre argent public et argent privé ? Une phobie géographique qui consiste à confondre Bruxelles et Saint Cloud ou un manoir dans la Sarthe et l’Assemblée nationale (Le Pen, Filon). Etc. Etc. Toutes ces phobies que la médecine s’avère incapable de soigner et qui nous oblige à remplacer les médecins par des juges d’instruction : il y a urgence, donner aux juges une formation médicale...

Je n’ai cité que quelques noms, ceux que la presse évoque le plus souvent, mais ne nous y trompons pas : cette poignée de petits fraudeurs ou de gros escrocs ne constitue qu’un tout petit sommet d’un gros iceberg. De nos jours, avec le réchauffement climatique, les icebergs se détachent et voguent à la dérive, et c’est bien d’une dérive qu’il s’agit, la dérive d’une partie du personnel politique. Ceux que nous pouvons observer, il y en aura sans doute d’autres, semblent plutôt souffrir d’autisme.

Selon Wikipédia (je n’ai pas de dictionnaire médical sous la main) on entend par autisme « des troubles du développement humain caractérisés par une interaction sociale ou une communication atypiques ». Et l’auteur de l’article ajoute que « les symptômes sont souvent détectés par les parents dans les premières années de la vie de l’enfant ». Alors, Monsieur et Madame Fillon ont-ils détecté des symptômes chez le petit François ? Monsieur et Madame Le Pen les ont-ils perçus chez la petite Marine ? Un enfant sur cent serait atteint d’autisme. Projetons ce chiffre : un politique sur cent serait-il autiste ? Ou les politiques seraient-ils de grands enfants ?

Ce qui est sûr c’est que, si l’étymologie d’autisme est transparente (autos, « soi-même ») nos politiques, autistes ou pas, sont tout sauf transparents. Les analystes disent que nous assistons à la fin de la cinquième république, ce qui est probable, et n’osent pas dire que Le Pen n’a jamais eu autant de chances d’arriver au pouvoir, ce qui hélas est plausible. Des bouleversements se préparent sous nos yeux et une partie du personnel politique, bien au chaud dans sa bulle et dans ses privilèges, semble ne rien en voir. Autisme ou aveuglement ? En 1992 Georgina Dufoix , face au scandale du sang contaminé, disait se sentir responsable mais pas coupable. Nos Fillon, Le Pen ou Le Roux sont pour l’instant responsables, la justice dira s’ils sont coupables. Mais ils font surtout la preuve d’un aveuglement pathologique. Et pendant ce temps, je l’ai déjà dit dans de précédents billets, le monde se gausse et nous regarde comme une république bananière...

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fleche21 mars   2017 : Caran d'Ache

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Je vais vous faire une confidence. Il y a quelques mois, en octobre, l’hebdomadaire Télérama m’avait proposé de tenir sur son site un blog pendant toute la campagne électorale. J’avais évalué le temps que cela me prendrait, m'était rendu compte qu'il s'agissait de beaucoup de temps, et  j’avais décliné l’offre. Je m’en félicité aujourd’hui, face aux péripéties que nous avons vécues et qui ne sont peut-être pas terminées : je n’aurais pas eu un moment de libre...

Venons-en au débat d’hier soir entre cinq candidats. La première question qui leur fut adressée (« quel président serez-vous si vous êtes élu ? ») impliquait presque automatiquement des réponses sous forme d’anaphore : je serai, je serai, je serai..., et la plupart des candidats s’y sont prêtés.  L’ennui, avec la langue française, est que ce que je viens décrire serai pourrait l’être serais, et qu’il était donc impossible de savoir s’ils parlaient au futur ou au conditionnel, s’ils affirmaient devoir être élus ou s’ils en envisageaient la possibilité. Deux d’entre eux, cependant, ont marqué leur différence : Le Pen enchaînant une série de je veux, je veux être, je ne souhaite pas (elle ne dira je serai qu’une seule fois) et Hamon se lançant par une question : Quel peuple voulons-nous être ?, le seul à parler en nous.

Trois hommes en costume et cravate sombre, un quatrième (Mélenchon) en cravate rouge et une femme en tailleur sombre et chemisier blanc, les candidats avaient, derrière eux, leurs partisans. Ceux de Mélenchon avaient l’air inspiré en buvant les paroles de leur chef, ceux de Le Pen s’esclaffaient sans cesse, sans doute pour laisser croire que leur candidate avait de l’humour, seul Florian Philipot semblait tout contrit de ne pas avoir, pour une fois, la parole à la télévision. Et, pour continuer avec la sémiologie, Macron était le seul à montrer ostensiblement qu’il écoutait les autres, approuvant parfois d’un hochement de tête, histoire de bien faire comprendre qu’il prendrait des idées à droite et à gauche, comme dans une cafétéria on choisit les plats que l’on met sur son plateau. Quant à Fillon, immobile, ne regardant personne, pensif, il tentait de refaire le coup de la primaire de droite, avec l’air de dire « causez toujours, je serai le vainqueur ». Mais sa face de Droopy sera-t-elle efficace ?

Sur le fond ? Jusqu’ici, on a pu regretter que les affaires (celles de Fillon et de Le Pen) envahissaient trop la campagne et qu’on ne parlait guère des programmes. Ce fut le contraire hier soir. Le 14 février 1898 le dessinateur Caran d’Ache publiait dans Le Figaro sous le titre « un dîner de famille » un diptyque. Premier dessin, une famille attablée et, au dessus : « Surtout ne parlons pas de l’affaire Dreyfus ». Second dessin, tout le monde se bat dans un grand désordre, et cette phrase : « ils en ont parlé ». Hier, nos candidats n’en ont que peu parlé. Mélenchon s’est moqué des «pudeurs de gazelle », Hamon a parlé de l’interdiction d’embaucher des parents, mais Fillon et Le Pen sont restés dans un prudent silence et, pendant la partie du débat sur la moralisation de la vie publique Fillon se terra tandis que Le Pen adoptait, si je puis dire, une stratégie sous-marine, se cachant quelques temps au fond de la piscine, mais sans pull marine. On parla donc des programmes, un peu ou beaucoup, parfois passionnément, mais j’avoue qu’après deux heures d’échanges, alors qu’ils allaient aborder les problèmes d’environnement, je me suis trouvé à espérer, pour la première fois de ma vie, une coupe publicitaire.

Je m’esquive donc pour un petit pipi et c’est à mon retour qu’arrive la pub attendue : protège-slip, peau éclatante de beauté, voitures d’occasion, pâtes Lustucru, soutien-gorge, nouvelle voiture à partir de 136 euros par mois, nouveau dentifrice, économies d’électricité, brillance des cheveux, nouvelle Ford à 249 euros par mois, Panzani aux tomates fraiches, j’en oublie peut-être, plein de nouvelles choses, donc, notre belle société de consommation et d’abrutissement (comme je ne regarde jamais cette chaîne, j’avais un peu oublié) et l’on revient au débat, aux propositions économiques et sociales. Mélenchon promet des milliards dont on ne voit pas où il les trouvera, Le Pen invoque le « patriotisme économique », le « protectionnisme économique », glorifie les paysans et lance un chiffre à vérifier : les mutuelles françaises dépenseraient huit milliards d’euros de publicité. Age de la retraite, santé, place de la France dans le monde, terrorisme, les thèmes se  succèdent, Fillon-Droopy, voyant qu’on ne l’a pas attaqué sur ses malhonnêteté, reprend un peu du poil de la bête, Hamon souhaite couper les ponts avec le Qatar et l’Arabie Saoudite, Macron déclare avec honnêteté que « personne ne peut garantir qu’il n’y aura pas d’attentats » et l’on en vient aux conclusions. Fillon-Droopy lance qu’il est le seul à pouvoir obtenir une majorité à l’Assemblée, Hamon appelle à voter pour nos enfants, nos petits-enfants, Macron veut mettre fin au « tic tac droite gauche », Mélenchon n’a insulté personne et a paru presque calme. Bref, ils ont tous suivi à la lettre les éléments de langage que leur ont fournis leurs conseillers en communication. Hamon a parlé à ses concitoyens, Le Pen à ses compatriotes, Hamon et Mélenchon ont appelé de leur vœux la fin de la « monarchie présidentielle », Mélenchon et Le Pen se sont parfois trouvés sur les mêmes positions, Macron s’est souvent trouvé d’accord avec les uns ou les autres, sauf avec Le Pen. On ne s’est pas ennuyé, et c’est déjà beaucoup, des programmes antagonistes ont été enfin présentés. Le prochain débat, avec onze candidats, sera peut-être plus foutraque mais, tout de même, on avait parfois envie de dire, en souvenir de Caran d’Ache : « Mais qu’ils en parlent donc !"

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fleche15 mars   2017 : Pauvre Molière

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On parle beaucoup depuis quelques temps de la « Clause Molière ». Lancée en mai 1916 par un obscurs adjoint au maire d’Angoulême, Dominique You, elle consiste à imposer aux entreprises voulant accéder aux marchés publics soit que ses employés parlent français soit dans le cas contraire que les patrons utilisent des interprètes. Proposée en amendement à la loi travail  à l’Assemblée Nationale puis au Sénat, elle est chaque fois rejetée. Mais, passée inaperçue à l’époque, elle a fait depuis lors son petit bout de chemin. Laurent Wauquiez la fait adopter par le région Auvergne-Rhône-Alpes, Valérie Pécresse fait de même pour l’île de France, et elle est aujourd’hui adoptée par cinq régions, toutes présidées par la droite. Et, outre le PR, elle a le soutien du Front National.

Bien sûr, les arguments avancés font tous allusion à la sécurité sur les lieux de travail. Ainsi Valérie Pécresse, très proche comme on sait des intérêts du peuple, déclarait-elle : « C’est une condition sine qua non pour la sécurité des travailleurs sur les chantiers ». Mais nul n’est besoin d’être grand clerc pour voir qu’elle vise en réalité les travailleurs européens détachés et les travailleurs étrangers et que, derrière les arguments sécuritaires se profile la thèse du FN sur la préférence nationale. « On est chez nous », bien sûr.

Passons sur le fait que les Régions n’ont juridiquement pas le droit d’effectuer des contrôles sur les chantiers car le problème est ailleurs. Le gouvernement actuel n’a en effet  guère montré d’intérêt pour la Francophonie et nous serions bien en peine pour expliquer quelle est sa politique en la matière. La droite traditionnelle, du moins ce qu’il en reste, n’a pas non plus brillé en la matière et voilà que les thèses du front National pointent le bout de leur nez. Yannick Moreau, qui l’avait présentée à l’Assemblée, a de ce point de vue eu un parcours politique intéressant : d’abord membre du MPF (mouvement pour la France) de Philippe de Villiers il rejoint ensuite l’UMP puis le PR, et c’est bien la droite extrême qui s’exprime, sous couvert de sécurité, et développe une vision de la Francophonie ou de la défense du français effrayante. Ne serait-il pas plus intelligent et plus généreux de mettre en place une formation linguistique sérieuse pour les travailleurs migrants afin d’aider à leur intégration ? Pauvre Francophonie, et pauvre Molière.

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fleche13 mars   2017 : Se prendre une veste ou la retourner

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Je ne suis sans doute pas le premier à y avoir pensé, mais la chanson que chantait naguère Jacques Dutronc, L’Opportuniste, me paraît tout à fait adaptée à cette situation d’avant élection présidentielle. Vous vous en souvenez ? 

« Je suis pour le communisme

Je suis pour le socialisme

Et pour le capitalisme

Parce que je suis opportuniste

Il y en a qui conteste

Qui revendique et qui proteste

Moi je ne fais qu'un seul geste

Je retourne ma veste

Je retourne ma veste

Toujours du bon côté »

La droite nous a donné une belle illustration de ces transhumances politiques, qui pourrait nous donner ce léger détournement :

« J’étais pour le sarkozisme

J’étais pour le juppéisme

Je suis passé au fillonnisme

Parce que je suis opportuniste »

La gauche n’est pas en reste  côté retournement de veste et pourrait entonner :

« J’étais pour le socialisme

J’étais pour le hollandisme

Je suis passé au macronnisme

Parce que je suis opportuniste »

Il y avait aux jeux de cartes une expression, être capot, qui par attraction du nom d’un vêtement, la capote,  a donné une autre expression, se prendre une veste. Dans les deux cas, droite ou gauche, ces vagabondages politiques, ces errances ou ces migrations, semblent se ramener à un principe qui, s’il n’est pas très moral, pourrait bien être efficace : retourner sa veste plutôt que de s’en prendre une.

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fleche4 mars   2017 : Deus ex machina

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Deus ex machina. Cette expression latine (mais traduite du grec) désignait au théâtre le fait de faire descendre un dieu sur scène pour dénouer au dernier moment une situation compliquée : quelque chose d’inattendu, d’imprévu, qui venait tout régler.

J’ai depuis quelques mois, depuis la primaire de la droite, comparé cette élection présidentielle à une pièce de théâtre, et je dois dire que j’ai été exaucé au delà de ce que je pouvais espérer. Quel scénariste aurait imaginé une telle suite de retournements, de bouleversements ? A l’heure où j’écris, Fillon s’obstine, s’accroche au mât d’un navire en détresse, et l’on présente Juppé comme ce deux ex machina justement qui pourrait sauver la droite, à condition que le commandant de bord lui cède la barre avant le naufrage.

Je pars quelques jours à Paris, où j’aurais beaucoup de choses à faire, mais vous pourriez, vous tous qui me faîtes l’amitiés de me lire, imaginer quelques scenarii pour la suite des évènements. Surtout ne bridez pas votre imagination : tout ce qui s’est passé jusqu’ici dépasse l’imagination. Alors allez-y. Mais comme je suis bon prince, je vous suggère quelques idées, quelques débuts de piste. Faîtes votre choix et développez. Vous avez six jours.

Première idée, mais elle est un peu plate : rien ne change, Fillon s’obstine, impose à tous sa candidature et... A vous de jouer.

Deuxième idée, un peu macabre : Fillon se suicide, ou sa femme le tue, ou il tue Juppé, Baroin  et quelques autres. Ici il faudrait développer dans un style policier : s’il y a crime, l’auteur n’en est pas connu au départ, un policier avisé entre en scène, etc. On peut imaginer l’utilisation du mystérieux poison utilisé pour l’élimination de Kom-Jong-nam, le frère du leader démocrate nord-coréen Kim-Jong-un, ce qui vous mènerez sur une piste biscornue mais pas dénuée d’intérêt, la piste nord-coréenne. Il y aurait aussi la piste Poutine, qui avait fait empoisonner à Londres l'une de ses oppposants.

Troisième idée, Fillon se retire mais exige qu’un duel soit organisé (c’est plus rapide qu’une nouvelle primaire) entre les prétendants à la candidature. Vous avez le choix entre plusieurs armes, l’épée, le révolver. Je pencherai pour ma part pour quelque chose de plus original. Dans ma jeunesse, en Tunisie, nous organisions des duels d’injures. Deux personnes face à face s’injuriaient à tout de rôle en arabe, ayant le droit d’inventer des injures mais pas de se répéter. Et celui qui restait coi, sans nouvelle injure, avait perdu. Ici, pour mettre un peu de sauce, on pourrait imposer une contrainte supplémentaire : s’injurier en verlan. Vous pouvez enrichir tout cela en partant de la créativité du langage, des structures profondes. Je verrai assez bien chaque candidat disposant d’un conseiller linguistique, ce qui pourrait donner du travail à quelques doctorants, surtout s’ils sont payés au même tarif que Penelope...

Quatrième idée : Le plan B comme Balkany. Fillon prend la fuite avec sa famille. On apprend que c’est Balkany  qui lui a prêté une villa à l’étranger. Du coup la police découvre de nombreuses autres résidences que le couple Balkany avait réussi à cacher. Et, en tirant sur ce fil, démontre qu’un partie des sommes détournées par Bygmalion ont été récupérées par Sarkozy qui a chargé Balkany de placer cet argent dans l’immobilier qatari, ou hongrois...

Cinquième idée, un autre plan B, B comme Barjot Frigide, avec en toile de fond la « manif pour tous » qui prend en charge la campagne... On annonce que si elle était élue, la présidente Barjot choisirait ses ministres sur des critères stricts : pères ou mères de familles nombreuses, catholiques intégristes, homophobes, etc.

Sixième idée : allez relire Soumission de Houellebecq.

Moi, je vais faire ma valise.

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fleche2mars   2017 : Arrêt de l'arbitre ?

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Hier matin, j’écoutais France Inter où était invité Jérôme Chartier, conseiller spécial de François Fillon. Vers huit heures vingt, apprenant sans doute la nouvelle dans ses écouteurs, Patrick Cohen annonce à son invité que Fillon a annulé sa présence au salon de l’agriculture et qu’il fera une déclaration à la presse à midi. Chartier n’était pas au courant, il ne sait pas quoi dire... A midi, au QG de Fillon, la presse attend, attend... Fillon arrive avec plus de trente minutes de retard. Il déroule d’abord une incroyable attaque contre la justice, puis annonce « j’irai jusqu’au bout... Je ne me retirerai pas...  je ne céderai pas... je ne me rendrai pas ». Passons sur la rhétorique anti-justice, dont Marine Le Pen est spécialiste et avant elle tous les populistes, et soupesons ce dernier verbe de Fillon : je ne me rendrai pas. C’est dans les films policiers que l’on entend ce genre de phrases : Rendez-vous ! Je ne me rendrai pas, plutôt mourir ! Et commencent les coups de feu. On imagine un fugitif aux abois, une sorte de fort Chabrol, un criminel cerné, acculé, et qui refuse de se rendre. En général, cela finit mal.

En fait, Fillon m’a donné l’impression d’un boxeur groggy, KO debout, refusant d’abandonner le combat malgré les injonctions de l’arbitre. Sauf qu’ici il n’y a pas d’arbitre et que Fillon s’en invente un : le peuple. Le peuple contre la justice. Encore une fois le populisme, pire encore. La presse parle d’un noyé paniqué qui se débat avant de sombrer, ou compare Fillon au chef d’orchestre du Titanic qui dirige ses musiciens avant la naufrage. Sauf qu’ici le chef a de moins en moins de musiciens, que les rats quittent le navire avec leurs instruments, se demandant comment ils vont pouvoir assurer leur élection. Pas celle de Fillon, la leur, aux législatives qui suivront la présidentielle.

Cette présidentielle n’arrête donc pas de nous surprendre. Et elle peut encore nous surprendre. Fillon peut ne pas arriver au second tour, et la droite règlera ses comptes. Il peut, même si c’est improbable, nous surprendre encore et gagner, avec un œil au beurre noir, le nez écrasé, quelques dents cassées et du sang sur son joli costume. Dans tous les cas, on en parlera longtemps, dans les cours de politologie à Sciences Po, dans les livres sur les sondages politiques, sur la communication, sur la stratégie. Mais j’ai l’impression qu’il n’a pas de stratégie, Fillon, qu’il ne comprend rien à ce qui lui arrive, qu’il pense n’avoir rien fait de mal, qu’il est victime d’un complot. On parlera peut-être aussi de lui dans les cours de psychiatrie. Ou dans les dictionnaires, comme exemple dans les articles sur l’ego et sur la résilience. Mais, je le répète, je vois un boxeur sonné, hébété, qui n’entend pas son entraîneur lui disant de jeter les gants, la foule qui le siffle, l’arbitre qui compte...

Petit détail qui ne s’invente pas. Après son intervention devant la presse, il est allé manger avec un petit groupe de fidèles (enfin, fidèles pour l’instant) dans un restaurant décoré... d’affiches de Mohamed Ali. Faut-il le rappeler, Mohamed Ali a tenté, le 2 octobre 1980, de remporter pour la quatrième fois le titre des poids lourds. Et il perdit ce dernier combat, au 11° round, par arrêt de l’arbitre.

 

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Février 2017


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fleche26  Févrer 2017 : Graines de bagnards

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J’aurais voulu vous parler du Maroc, dont je suis rentré hier. Ce sera pour une autre fois. A peine sorti de l’avion, l’actualité française m’a en effet rattrapé. La droite « gaulliste » et l’extrême droite sont en effet pourvoyeurs de Président et de candidats à la présidence très particuliers.

Souvenez-vous

Chirac. Depuis 1990 il nage dans les affaires. Il a réussi, pour l’une d’entre elles, à faire condamner Alain Juppé à sa place, puis a profité de son immunité présidentielle pour repoussé les échéances. Mais, en 2011, il sera condamné à deux ans de prison avec sursis. Pas mal pour un ancien président de la république! Passons sur une histoire de compte bancaire au Japon, de vente d’armes à l’Angola, sur le budget de la présidence de la république qui a été multiplié par neuf en 1995 et 2007. Le dossier Chirac est lourd...

Le président « gaulliste » suivant, Nicolas Sarkozy, a lui aussi fait fort. En 2012 il obtient un non-lieu pour l’affaire Bettencourt, mais il est mis en examen pour une affaire de « corruption active » et « trafic d’influence » (souvenez-vous du faux nom, Paul Bismuth, sous lequel il correspondait avec son avocat). Il est également mis en examen pour « financement illégal de campagne électorale » (la fameuse affaire Bygmalion). Malgré tout cela, il tentera de revenir dans le jeu politique en se présentant à la primaire de la droite.

Et voici maintenant le cas Fillon, qu’il est inutile de rappeler : tous les media en parlent.

Résumons-nous. La droite « gaulliste »  a voté pour un candidat, Chirac, qui été déjà mouillé dans les affaires et sera finalement condamné. Elle a soutenu le retour d’un autre candidat, Sarkozy, qui sera sans doute condamné un jour ou l’autre. Elle soutient maintenant un troisième candidat, Fillon, dont l’avenir judiciaire est délicat et qui compte sur son élection pour bénéficier de l’immunité présidentielle. Cela fait beaucoup, non ? Et pourtant les foules sont toujours là, hurlant « on va gagner ». C’est à se demander s’il ne faudrait pas instituer un permis de voter, comme il y a un permis de conduire...

Passons à l’extrême droite. Les Le Pen père et fille ont également pas mal de casseroles : côté impôts, sous-déclaration de patrimoine et emplois fictifs, ils n’ont rien à envier aux précédents. C’est-à-dire que depuis près de trente ans tous les candidats de droite et d’extrême droite sont mêlés à des affaires. Ce qui donne une image peu reluisante de la démocratie. Et, bien sûr, tout cela est la faute de la presse et de la justice. Le choses seraient plus simples si nous  prenions exemple sur d’autres pays, comme la Russie ou la Turquie, dans lesquels les journalistes trop curieux sont en prison ou au cimetière, les juges trop méticuleux sont virés.

Depuis près de trente ans, donc, la droite et l’extrême droite françaises ne peuvent présenter comme candidats à la présidentielle que des abonnés aux tribunaux. En d’autres temps, on aurait appelé ça des graines de bagnards.

 

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fleche22  Févrer 2017 : Hou! Les vilains Brésiliens !

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Au Brésil, un ministre de la justice, Alexandre de Moraes, traine un certain nombre de casseroles : soupçonné de corruption, de plagiat, son parti, le PSDB est accusé d’avoir participé à des détournements de fonds avec le groupe Petrobras, bref le ministre est dans le viseur de la justice. Mais le président de la république, Michel Temer, a trouvé la réplique. Il vient de le nommer à la Cour suprême, lui garantissant ainsi une immunité qui empêchera la justice de lui chercher des poux dans la tête. Moraes n’a aucune formation juridique, il est soupçonné de corruption, mais il va devenir juge anticorruption. Scandaleux ? Non, normal. Nous sommes au Brésil, une république bananière qui a de la justice une image très approximative. Comme la Turquie, ou la Russie. Hou ! les vilains Brésiliens ! Ils n’ont pas honte ?

En France, la droite envisage de faire élire à la présidence de la république un menteur ou un amnésique (il a en quelques jours déclaré qu’il n’avait qu’un compte bancaire, puis s’est souvenu qu’il en avait dix-sept), d’une morale à dimensions variables (après avoir déclaré que, mis en examen, il se retirerait de l’élection, il dit désormais le contraire), soupçonné de détournement d’argent public et d’emploi fictif et qui sera peut-être bientôt mis en examen. Mais elle a raison, la droite française, il n’y a là que broutilles, acharnement de la presse, mauvaise foi de la justice. Nous ne sommes pas dans une république bananière, nous. Simplement, nous nous préoccupons de l’essentiel (en l’occurrence faire élire un menteur ou un amnésique, à la morale douteuse et qui a des rapports troubles à l’argent) et non pas du secondaire (une campagne de presse haineuse et injuste). S’il est élu, ce monsieur trouvera peut-être pour Balkany, Sarkozy, Guéant et quelques autres des postes leur garantissant l’immunité. Ca n’existe pas ? Il pourrait en créer. Mais quand même : Hou ! Les vilains Brésiliens !

Nous vivons une époque moderne.


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fleche20  Févrer 2017 : Has been chez les poulets...

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Roger Knobelspeiss est mort hier. Il avait 69 ans. Son nom ne dit sans doute pas grand chose aujourd’hui, car je vais vous parler d’un temps que les moins de quarante ans ne peuvent pas connaître, et vous parler (un peu) d’une petite partie de ma vie...

C’était à la fin des années 1970 et Lili Le Forestier, la mère de Maxime et de Catherine, avait lancé avec l’aide de Maurice Frot et de Daniel Colling, les fondateurs du Printemps de Bourges, l’association Spectacles en prison. Le principe en était simple: être condamné à la prison, c’est être privé de liberté, rien de plus. Donc on ne doit pas y être humilié, on y a droit à la lecture, à la formation, au spectacle. L’idée était tout aussi simple : aller en prison le dimanche après-midi avec le matériel nécessaire de sonorisation, un artiste, et y donner un spectacle pour les prisonniers. Mais si l’idée était simple, il était beaucoup moins simple d’obtenir les autorisations nécessaires pour y entrer. Lili et Maurice s’étaient donc dit que si l’on mettait cette activité culturelle sous l’égide d’un intellectuel, ou d’un prof de fac, qui animerait un débat après le spectacle,  cela donnerait une image « culturelle » au projet et l’administration le regarderait d’un meilleur œil. Je fus ainsi promu au statut d’animateur de débats après spectacles pénitentiaires.

Certains dimanches, donc, nous chargions dans une camionnette un matériel minimum, micro, sono, éclairage, et partions, Maurice, Daniel et moi, vers la prison de Melun, munis de toutes les autorisations nécessaires. Pour pénétrer dans les lieux, la procédure s’apparentait au passage d’une écluse : une porte ne s’ouvrait jamais avant que la précédente ne soit fermée. On vérifiait nos papiers, fouillait la camionnette, nous laissait passer, puis seconde vérification, etc. Une fois ce rite terminé, nous pouvions enfin nous installer, faire une « balance » avec la vedette du jour, puis attendre que l’administration pénitentiaire fasse entrer le public. J’y suis allé à trois reprises, avec Leny Escudero, Renaud et Guy Bedos, tous trois étaient d’ailleurs tout à fait capables de débattre sans animateur et j’étais un peu inutile. Alors j’observais.

Il y avait, dans un coin de la salle, un tableau lumineux sur lequel s’affichait parfois, en cours de spectacle,  un numéro matricule. Un homme se levait alors, sortait, et allait au parloir où l’attendait une visite, la scène se reproduisant plusieurs fois pendant le temps de notre présence.  Le spectacle terminé, nous passions à la discussion, et nous étions soudain entourés de prisonniers que les gardiens ne parvenaient pas à contenir, certains posant effectivement des questions, d’autres nous racontant leur vie. Melun était une centrale de détention, c’est-à-dire qu’on n’y trouvait que des condamnés à de longues peines, et je n’ai jamais vu autant d’assassins ou de violeurs au mètre carré. Mais le plus difficile était de mettre fin à la séance. Il arrivait toujours un moment où, en fin d’après-midi, l’un d’entre nous regardait sa montre. Il nous fallait démonter et recharger le matériel, reprendre la route de Paris, dans la circulation des dimanches soirs, bref sortir, alors que tous ces gens allaient regagner leurs cellules, clic-clac, enfermés, et jamais la phrase « nous devons partir » ne m’a parue aussi difficile à prononcer. Nous partions, ils restaient.

Je l’ai dit, Melun était une centrale de détention, mais tous n’étaient pas nécessairement coupables, et c’est là que je rencontrais pour la première fois Roger Knobelspiess, très actif dans les débats. Il avait eu une jeunesse de petite délinquance, dans la région d’Elbeuf, proche de l’endroit où je vivais alors, en Normandie. Son frère avait été abattu par un commerçant auquel il avait volé un autoradio, et la famille était pour le moins mal vue, dans le collimateur de la police et des ragots. En 1972 il avait été accusé d’un petit cambriolage, qu’il niera toujours avoir commis, mais pour lequel il avait été condamné en 1972 à quinze ans de prison.  Coupable ou pas, la peine était très lourde, mais le tribunal local n’était peut-être pas très impartial... C’était dans la centrale une sorte de vedette, qui, visiblement, en agaçait certains et en fascinaient d’autres. Il avait connu, derrière les barreaux, Jacques Mesrine et en tirait gloire, il venait de publier un livre, QHS, dans lequel il dénonçait les quartiers de haute sécurité dans lesquels on mettait au secret les récalcitrants, et qu’il avait fréquentés plus que de raison. Bref, c’était une grande gueule. Et son livre l’avait fait connaître par le public intellectuel.

Je le vis donc trois fois, discutant avec lui en fin de spectacle, et lorsqu’en 1981 il sera gracié par François Mitterrand, je le reçus un peu, chez moi, je l’amenai un jour avec Leny Escudero qui était mon voisin, faire des parties de ping pong dans mon club de tennis, ce qui fit doublement jaser, parce que j’amenais une « vedette » et parce que j’amenais un « truand », connu dans la région grâce à la presse locale. Et il se mit à écrire, pour raconter sa vie, dans son quartier dégradé d’Elbeuf : ce sera en 1984 Le roman des Ecameaux. Mais, entre temps, il avait été arrêté à nouveau en 1983, pour un braquage auquel il nia avoir participé.

C’est à cette époque, de 1984 à 1986, que j’ai pris la présidence de son comité de soutien. Avec Cavanna, Serge Quadruppani, Gébé, Paco Ibañez, Max Genève, etc., nous tentions de faire connaître son dossier dans la presse, de faire le plus de publicité possible à sa défense. Je n’ai jamais su s’il était réellement coupable de ce qu’on lui reprochait, mais j’avais soigneusement étudié son dossier, avec l’aide de son avocat Henri Leclerc, et je m’étais rendu compte qu’il n’y avait aucune preuve contre lui, que l’accusation ne reposait sur rien. Or le doute doit profiter à l’accusé, et cela me suffisait. J’ai sous les yeux un article de Libération du 5 juillet 1984, avec une photo d’une conférence de presse dans les locaux d’Hara Kiri sur laquelle, entre Gébé et Max Genève, je présente les arguments de la défense. « Roger Knobelspiess : le coupable idéal » titrait Libé.

Je lui écrivis régulièrement, avant d’obtenir le droit de visite. Dans sa première réponse il me demandait de rappeler à Leny (Escudero) qu’ils avaient une partie de ping pong à terminer, me parlait du Nutela, une sorte de crème au cacao, que lui avait fait découvrir chez moi une de mes filles qui en était friande, des affaires judiciaires en cours, qu’il commentait sans doute avec d’autres détenus...  Mais il me racontait surtout son désir d’écriture et ses difficultés à écrire, m’expliquant que, paradoxalement, il avait une forte pulsion d’écriture mais ne pouvait écrire qu’en prison, cette prison dont il voulait sortir. Dehors, m’écrivait-il, il était trop pris par le désir de vivre, de rattraper le temps que lui avait volé la prison... J’avais essayé de l’occuper en lui demandant de me noter des mots ou des expressions qu’il entendait, de l’argot. Sa réponse, « pour l’argot, tu sais, je ne vois pas grand chose », me surprit. Je pensais, naïvement, que l’argot était encore la « langue » du milieu et que la prison était un lieu privilégié d’observation, mais il n’en était apparemment rien. Les prisonniers amenaient avec eux, derrière les barreaux, la façon de parler qu’ils avaient à l’extérieur, c’est-à-dire de la diversité, et rares étaient les formes « argotiques » qui auraient pu leur servir de forme identitaire.

Puis j’obtins le droit de visite que j’avais demandé. Le trajet pour Fleury-Mérogis était long et, une fois arrivé, la scène déprimante. Essentiellement des femmes, qui ne pouvaient venir que le dimanche, parfois avec leurs enfants, faisaient la queue, en attendant l’heure d’ouverture des grilles. Ensuite, l’itinéraire était compliqué : papiers, fouille, attente le temps que le prisonnier visité arrive, puis on vous introduisait dans une sorte de cagibi, coupé en deux par une paroi en plexi glace...  Nous parlions de son dossier, bien sûr, de mes rencontres avec son avocat, de ses témoins. Mais la communication est difficile lorsque le terrain n’est pas choisi librement et d’un commun accord par les deux participants. Je ne sais pas comment les femmes parlaient avec leur homme, comment les enfants communiquaient avec leur père, mais je sais qu’avec Roger cet espace confiné n’était pas, ne pouvait pas être, un lieu de réelle communication, tant il était stressé par le temps limité qui nous était accordé. Il avait trop de choses à dire, venait toujours avec un « pense-bête », un bout de papier sur lequel il avait inscrit des idées, des demandes...

C’est donc en janvier 1986 qu’il fut jugé. Je me souviens que nous étions trois à attendre dans la salle des témoins, Cavanna, Bedos et moi, que Cavanna passa le premier, que je le suivis et, assis dans la salle d’audience, j’assistai donc ensuite au témoignage de Guy Bedos. Il avait choisi de la jouer spectaculaire, entrant dans salle en courant, comme s’il entrait en scène, en criant « c’est pas moi, j’y étais pas !». Le président du tribunal coupa son élan, énonçant froidement la formule rituelle, « nom, prénom, âge et profession ». Mais l’ambiance s’était un peu réchauffée, les gens s’étaient déridés. Le procès dura plusieurs jours, et le dernier soir nous assistâmes aux plaidoiries de Thierry Levy et d’Henri Leclerc, puis attendîmes la délibération du jury. Ce fut long, tendu, la cour revint, liste des questions au jury, réponses, puis verdict : acquitté. Roger fut relâché sur le champ. Et je le vis moins, presque jamais en fait. J’appris par la presse en avril 1987 qu’il avait été arrêté, en flagrant délit de braquage, très vite condamné à neuf ans, incarcéré à l’autre bout de la France. Il sera libéré en 1990, à quarante-trois ans, ayant au total passé plus de 25 ans en prison. Il continuera à écrire, en particulier Voleur de poules, publié en 1991, fera l’acteur dans de nombreux films de Jean-Pierre Mocky, mais aussi dans Capitaine Conan  de Bertrand Tavernier, mais j’apprenais tout cela de loin. Et je le revis par hasard, dix ans plus tard, au salon du livre de Brive la Gaillarde. J’étais coincé entre deux auteurs, devant ma pile de livres, avec à ma droite un écrivain catholique, Jacques Duquesne, qui venait de sortir un ouvrage sur Marie. Nous étions en train de rire parce qu’une dame venait de lui dire qu’elle n’achèterait pas son livre, « vous avez dit dans votre livre sur Jésus qu’il était juif ! » quand surgit Roger, se jetant sur moi pour m’embrasser en criant « Mon faux témoin ! ». Je quittais le stand pour aller discuter un peu avec lui et, à mon retour, Duquesne me demanda, mi-figue mi-raisin: « Vous avez été le faux témoin de Knobelspiess ? ».

Le soir, autour d’un repas, il me raconta la partie de sa vie que j’ignorais, depuis sa libération. Une anecdote me revient. Un jour, me dit-il, au volant de sa voiture, il est arrêté par un barrage de police. On lui demande ses papiers, il les donne, on les lui rend et il demande : « Vous me reconnaissez, je suis Roger Knobelspiess ? ». On lui répond que non, qu’on ne le connaît pas. Et il me commenta la scène : « Tu te rends compte Louis-Jean, j’suis has been chez les poulets! » Sic transit gloria mundi....

Mais il n’était sans doute pas has been que chez les poulets. Je ne sais pas ce que la presse racontera ou même si elle en parlera, je verrai demain. Roger Knobelspiess avait un temps été la coqueluche de la gauche française qui avait pris sa défense. S’en souvient-elle ? Il faudrait savoir si la gauche existe encore, et si elle a de la mémoire...

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fleche19  Févrer 2017 : Les électeurs et le "syndrome Balkany"

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Depuis l’élection de Donald Trump aux USA, l’éviction de Sarkozy puis de Juppé de la primaire de la droite, celle de Valls de la primaire de la gauche, les sondeurs qui n’avaient rien vu venir étaient devenus un peu discrets. Voilà qu’ils reviennent, et ce qu’ils nous disent pose un certain nombre de questions.

Jeudi dernier, Le Monde leur consacrait deux pages entières. En gros, pour le premier tour de la primaire à venir, les cinq premiers étaient dans cet ordre: Le Pen (26% d’intentions de vote), Macron (23%), Fillon (18,5%), Hamon (14,5%) et Mélenchon (12%). Un deuxième sondage demandait  entre autres choses si les candidats étaient perçus comme honnêtes. Notés de 0 à 10, les mêmes cinq premiers obtenaient les notes suivantes : Hamon 4,3 sur 10, Mélenchon 4,1, Macron 3,8, Le Pen 2,8 et Fillon 1,9. Il est vrai que Le Pen et Fillon sont englués dans des affaires financières qui pourraient les mener l’une et l’autre devant un tribunal. Mais leurs électeurs de droite et d’extrême droite ne semblent guère s’en soucier.

Ainsi, dans un nouveau sondage publié aujourd’hui dans le Journal du dimanche, on lit que 70% des sympathisants de son parti souhaitent que Fillon maintienne sa candidature, et 61% d’entre eux pensent que la justice est partiale. Mais on ne voit pas apparaître l'idée qu'il serait innocent de ce dont on l'accuse. Et si beaucoup de ses « soutiens » déclarent, mais sous couvert d’anonymat,  qu’il est mal parti, qu’il devrait se retirer, ils affirment officiellement le défendre.

Conclusion : ils sont malhonnêtes, corrompus, mais nous voteront pour eux. Et, du coup, ce ne sont plus les politiques qui posent problème, mais les électeurs. Il y a là ce que j’appellerais volontiers le « syndrome Balkany ». Souvenons-nous. En 1997, Patrick Balkany, un ami proche de Sarkozy, était condamné par le tribunal correctionnel de Nanterre à quinze mois de prison avec sursis, 200.000 francs d’amende et deux ans d’inéligibilité. Revenu en politique, il était élu député en 2007, et en 2008 il était réélu maire de Levallois-Perret, la ville dont il avait détourné de l’argent, au premier tour. Depuis lors d’autres affaires se sont abattus sur lui et sa femme, ils sont poursuivis pour déclarations mensongères, blanchiment de fraudes fiscales et corruption et on leur a retiré leurs passeports : ils ne peuvent plus quitter le territoire français. Mais ils sont toujours aussi populaires dans leur ville. Allez comprendre... Encore une fois, ils sont malhonnêtes, corrompus, ils ont déjà été condamnés, mais nous votons pour eux ! Imagine-t-on que Jérôme Cahuzac, ancien ministre socialiste, renvoyé devant les tribunaux pour un fraude fiscale bien moindre, puisse se représenter à une quelconque élection et être élu ?

Les choses sont encore plus étonnantes pour Le Pen. Elle ne bouge pas dans les sondages, toujours en tête pour le premier tour, alors que le Parlement Européen l’accuse d’emplois fictifs pour son garde du corps et sa directrice de cabinet qu’elle a fait payer par le Parlement alors qu’ils travaillaient pour le FN à Paris. Le Parlement retire désormais chaque mois de son salaire (ainsi qu’à d’autres députés européens FN) des sommes destinées à rembourser l’argent détourné, mais son électorat ne baisse pas. Comme si le fait de vouloir critiquer le « système » l’autorisait, aux yeux de ses électeurs, de tricher avec lui, ou comme si la malhonnêteté n'était pas importante lorsqu'on s'appelle Le Pen.

Il nous faut donc laisser de côté la question de l’éventuelle corruption de certains politiques, en particulier Fillon et Le Pen, pour nous interroger sur ce qui se passe dans la tête des électeurs. Doit-on en déduire que les sympathisants de droite et d’extrême droite se foutent de la moralité et de l’honnêteté de leurs candidats ? Que leurs choix partisans les aveuglent ? Ou qu’ils les défendent à haute voix mais ne voteront pas pour eux dans le secret des isoloirs ? Je n’en sais bien entendu rien, même si le cas Balkany nous pousserait à exclure la troisième possibilité. Mais la démocratie en sort malmenée.

Reste donc à analyser de plus près le « syndrome Balkany ». Bon travail...

 

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fleche13  Févrer 2017 : Digagisme

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Comme les cieux de Provence lorsque souffle le mistral, le paysage politique français a été singulièrement balayé depuis quelques mois. Duflot, Sarkozy, Juppé, Hollande, Valls et peut-être bientôt Fillon ont été successivement renvoyés à leurs chères études, au point qu’il est impossible de prévoir ce qui va se passer dans les semaines qui viennent. Avec Fillon, nous en serions à sept « dégagés », et il en manquerait alors trois pour atteindre les « dix petits nègres » d’Agatha Christie.

Mélenchon, qui n’en est pas à une récupération près, vient d’évoquer le digagisme à propos de Valls, qui a donc valsé, digagisme que beaucoup de commentateur ont présenté comme un néologisme. Néologisme, certes, mais pas mélanchonisme, comme on va voir.

C’est en janvier 2011 qu’apparaissent, dans les manifestations de la « révolution de jasmin » tunisienne, des pancartes proclamant en français « dégage » à l’endroit de de Zine el-Abidine Ben Ali puis « RCD dégage », à l’endroit de son parti, le « rassemblement constitutionnel démocratique ». Peu de temps après on voit la même pancarte, « dégage », dans les manifestations de la place Tahrir (« place de la libération »), au Caire.

Quelques mois après, toujours en 2011, ma collègue et amie Dalila Morsly décrivait dans un article le trajet de cet impératif passant en arabe tunisien sous la forme digaage et bientôt conjugué dans cette langue: ydigagi, « il dégage ». Et elle notait des dérivations comme digagisme  et s’auto-dégager qui étaient apparus dans le discours politique tunisien. Très vite, toujours en 2011, un mouvement belge va revendiquer le terme et publier un Manifeste du digagisme, avec le but explicite non pas de prendre le pouvoir mais de déloger ceux qui l’occupent, de faire le vide en quelque sorte. Et, en 2013, l’auteur de ce manifeste explique que ce digagisme était l’expression du pouvoir de l’anonyme et qu’il « ne peut pas y avoir de leader dégagiste ».

Ce qui me ramène à Mélenchon. Je ne sais pas s’il a utilisé dégagisme pour décrire un phénomène ou pour s’en revendiquer, mais dans cette deuxième hypothèse il se mettrait dans une situation singulière. D’une part parce qu’il ne symbolise pas vraiment une absence de leader et, qu’au contraire, il est un parfait exemple du chef de file auto-proclamé. Et d’autre part, parce qu’il risque d’illustrer une vieille tendance poujadiste et de se situer dans un courant dont le seul argument politique serait « sortez les sortants ». Cette vieille revendication populiste semble d’ailleurs sous-jacente à la campagne de Macron. Sortirait-il lui-même de la scène politique qu’il serait le huitième dégagé. Il n’en manquerait alors que deux.

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fleche12  Févrer 2017 : Calculs dominicaux

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Marine Le Pen, entre autres bêtises, a déclaré jeudi soir à la télévision qu’elle signait 100.000 mains par mois. Il ne s’agissait pas pour elle de se vanter mais de prévenir un sale coup : le journaliste lui annonçait un document et elle craignait sans  doute une photo la montrant serrant une main infréquentable.

Cent mille mains par mois, donc. Ce dimanche matin, histoire de me dérouiller les neurones, je me suis livrer à un petit calcul. Considérons la durée moyenne d’un mois, 30 jours : 100.000 divisé par 30 cela fait quelque chose comme  3333 mains serrées par jour. Un jour, cela ne vous a pas échappé, se compose de 24 heures. Divisons donc 3333 par 24, nous arrivons à 138 mains par heure. Et une heure comportant 60 minutes, Marine Le Pen serrerait 2 mains par minutes, plus précisément 2,314 et quelques. En se livrant à ces serrages de mains 24 heures sur 24, sans dormir, samedis et dimanches compris. C’est, bien sûr, du n’importe quoi.

Au fait, que craignait-elle, Marine Le Pen, en lançant ce gros mensonge ? Quel document craignait-elle voir apparaître ? Vous avez une idée ? Pas moi.

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fleche11  Févrer 2017 : Psychiatriser le psychiatre ?

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Nous sommes entrés dans une campagne présidentielle nauséabonde. Il s’est passé cette semaine quelque chose de singulier. Un certain Nicolas Dhuicq, député PR de l’Aube, a donné une interview à l’agence Sputnik, financée dit-on par le Kremlin, interview dans laquelle il déclare qu’un « très riche lobby gay » serait derrière la campagne d’Emmanuel Macron. Je me fous comme de ma première chemise de la vie sexuelle de Macron, je m’intéresse plus à son programme, du moins je m’intéresserai à son programme lorsqu’il en aura un. Mais le sieur Dhuicq poursuit : « Macron est quelqu’un qu’on appelle « le chouchou » ou « le chéri » des média français, qui sont détenus par un petit nombre de personnes ». Puis il balance un nom, « l’un de ses soutiens est le célèbre hommes d’affaires Pierre Bergé, associé et amant de longue date d’Yves Saint Laurent, qui est ouvertement homosexuel et défend le mariage pour tous ». Enfin il menace : Les détails sur la vie d’Emmanuel Macron vont être rendus publics ».

Belle littérature ! Cela sent, d’abord, l’homophobie à plein nez. Cela sent aussi, comme le disait François Fillon à un autre propos, les officines. Mais cela montre surtout que le parti de Fillon a peur de Macron et qu’il est prêt à tout pour le déstabiliser. Ou que, peut-être, les Russes voudraient intervenir en douce dans l'élection présidentielle française comme ils seraient intervenus dans l'élection américaine. C’est beau, la politique française ! Ca pue.

Pour finir, je lis sur Internet que Nicolas Dhuicq serait médecin psychiatre. Bonne chance à ses patients, s’ils sont homosexuels... Faidrait-il psychiatriser le psychiatre ?

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fleche8  Févrer 2017 : Encore les faits alternatifs

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Je parlais le 29 janvier de ces « faits alternatifs » que la communication de Donald Trump a mis au goût du jour et voici que Fillon se lance à son tour dans ce genre de pratique.

Voulant jouer la transparence, il a donné lundi une conférence de presse au cours de laquelle il n’a pas dit grand chose sur la seule question qui se posait : Madame Fillon a-t-elle oui ou non été payée à ne rien faire ? Publier son patrimoine, donner la liste de ses comptes en banque, tout cela ne répond en rien au doute qui s’est instauré. C’est comme si on me demandait : « étiez-vous à votre bureau mercredi ? » et que je répondais « je suis né en Tunisie ». 

Puis il a attaqué la presse, parlant d’acharnement contre lui, voulant jeter le doute, bref il appliquait le vieux principe selon lequel lorsqu’une affaire nous cause du souci il faut créer une affaire dans l’affaire, puis une affaire dans l’affaire dans l’affaire, jusqu’à ce que plus personne ne se souvienne de l’affaire de départ.

En voici un exemple. Jeudi dernier on pouvait suivre dans l’émission Envoyé Spécial l’interview de Penelope Fillon que la journaliste britannique Kim Willsher avait réalisée en 2007 pour le Telegraph. La femme du candidat y déclarait de façon audible et sans ambiguïté qu’elle n’avait jamais était l’assistante de son mari. La cause semblait entendue : la principale intéressée était muette depuis que le scandale avait éclaté, mais elle avait répondu par avance, en 2007, et l’on comprenait pourquoi elle gardait silence. Fillon, lors de sa conférence de presse lundi, a déclaré que des phrases avaient été « sorties de leur contexte » et que d’ailleurs la journaliste anglaise s’était offusquée de cette utilisation malveillante. En d’autres termes c’est un truquage de la méchante presse, truquage contre lequel la gentille journaliste proteste. Problème : la dite journaliste, interrogée par Libération, dément, et elle déclare en outre dans le Guardian que cette phrase, « je n’ai jamais été l’assistante de mon mari », était a smoking gun, une preuve indiscutable de culpabilité. Donc, face à une déclaration gênante de sa femme, Fillon déclare qu’elle n’a pas vraiment dit cela et accuse les journalistes : fait alternatif, vous avez mal entendu, je vais  vous dire ce qu’il fallait entendre, etc...

Mais on ne peut échapper à une alternative simple : ou Madame Fillon a bien prononcé cette phrase, et Fillon ment depuis le début en affirmant qu’elle a travaillé pour lui, ou elle ne l’a jamais prononcée et la journaliste anglaise a trafiqué un enregistrement, à moins que ce ne soit les responsables français de l’émission Envoyé Spécial.

Ah ! Faits alternatifs, quand vous nous tenez !

 
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fleche3  Févrer 2017 : A la recherche du Brexit

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En débarquant lundi à Londres, j’avais bien sûr en tête ce Brexit dont je voulais voir les effets, mais aussi ce qui se passait en France, la victoire de Benoît Hamon à la primaire de la gauche et les casseroles de François Fillon, qui de jour en jour allaient devenir des marmites, puis des chaudrons... Le Brexit, donc, se sent pour quelqu’un qui arrive avec des euros en poche : la livre a plongé et la vie est moins chère. Et l’on imagine que, réciproquement, des Britanniques arrivant en Europe doivent sentir passer le taux de change. Mais on cherche en vain le Brexit dans la presse. A la une du Times une immense photo de Roger Federer  qui vient de remporter l’open de tennis d’Australie (cinq pages lui sont en outre consacrées à la fin du journal), et un petit renvoi à la page 28 dont l’accroche doit donner froid dans le dos à la City : Benoît Hamon, a left-wing rebel. A la dite page, un titre mêlant révolution et royauté, Rebel leftist seizes the socialist crown (il y aurait donc une couronne socialiste), quelques commentaires sur la primaire, et un autre article listant ce qu’on reproche au couple Fillon. Mais, pour revenir au sport, la victoire de la France au championnat du monde de hand-ball n’est même pas évoquée...

Brexit ou pas, leftist ou pas, l’Angleterre bruit surtout du nom de Trump et du non à Trump. On reproche à Theresa May de l’avoir invité pour une visite d’Etat, mettant ainsi la reine dans une situation délicate, on reproche à Trump de vouloir interdire l’accès des citoyens de certains pays au territoire américain et un lsogan détonne dans le flegme britannique : No Trump, no KKK, no fascit USA.  Leftist, fascist, on ne recule pas devant les mots. D’ailleurs, mardi, le Guardian consacre quatre pages à cette opposition à Trump, et, un peu plus loin, une grande photo de Florian Philippot. Non, lui n’est pas traité de fasciste. Le titre s’interroge simplement : Can this man make Marine Le Pen president ? Dans les deux pages qui suivent on apprend des détails touchant. Les deux moments importants de la vie de Philippot auraient été ses pleurs à la mort de sa mère, et ses pleurs de joie à l’annonce du résultat du référendum britannique. Donc le Brexit est bien là, mais à propos de la France... Pourtant, à la chambre des communes, on discute en continu du « bill » qui devrait donner à May le droit de déclencher l’article 50. Et la presse du mercredi, en écho à ces débats, commence à exprimer quelques inquiétudes : on parle d’inflation, de baisse des salaires... Le tennis a disparu, le hand-ball n’est toujours pas là, mais la France est toujours présente: le Guardian expose le cas Fillon et parle même de « Penelope-gate » (avec un trait d’union, à la différence de la presse française qui parle de Penelopegate ») et n’oublie pas les problèmes financiers de Marine Le Pen et d’autres élus du FN à Bruxelles. Ah ! La France !

Toute la journée du mercredi, le débat se poursuit au parlement, et May obtient son feu-vert. Reste bien sûr la chambre des Lords, mais leur absence de légitimité démocratique (les Lords ne sont pas élus) les empêchera sans doute de s’opposer à cette loi.

Retour en France, où une nouvelle salve dans le nouveau numéro du Canard enchaîné laisse entendre que les casseroles prennent bien la dimension de chaudrons (mais, semble-t-il, sans potion magique salvatrice), et j’ai l’impression d’arriver une république bananière... C’est beau, la France vue de Londres.

Ah oui, il y a aussi dans la capitale britannique une très belle exposition Picasso (ses portraits) à la National Portrait Gallery, et une autre sur la cartographie (à la National Library). Dans deux ans, les cartes de l’Europe n’incluront sans doute pas la Grande-Bretagne.

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Janvier 2017

 
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fleche29  janvier 2017 : Alternative facts

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Il y a près de trente ans, la gauche américaine nous a vendu une notion un peu floue qui s’est peu à peu imposée jusqu’à ressembler à une forme d’autocensure permanente: le politiquement correct, qui a d’ailleurs fait des petits (« ce n’est pas hallal », « ce n’est pas kasher »...). Voici que la droite, toujours américaine, tente d’imposer un nouveau gimmick, les alternative facts ou, si vous préférez, les vérités alternatives. C’est assez facile à comprendre : si la presse ou la télé raconte les résultats d’une enquête vous concernant de près ou de loin, ou qui vous dérange ou ne vous plaît pas, si vos voisins rapportent ce qu’ils savent ou croient savoir de vous, ne perdez pas votre temps à tentrer de démontrer le contraire, exposez des faits alternatifs, une autre vérité, si invraisemblable soit-elle. Ne perdons pas notre temps à discuter du concept philosophique de vérité, souvenez-vous simplement de la façon dont Trump a mené sa campagne électorale, ou bien suivez de près celle dont Le Pen mènera la sienne. Ou encore observez la façon dont Fillon tente et tentera dans les jours qui viennent de déminer la situation dans laquelle il se trouve. Nous sommes menacés par l'alternative factisattion.

Passons à tout autre chose. Connaissez-vous Cyril Mokaiesh ? Ceux qui ont la mémoire longue se souviennent peut-être d’un champion de France junior de tennis, en 2003. C’est bien lui, mais il a rangé ses raquettes et s’est dirigé vers les studios d’enregistrement : le tennisman quasi professionnel est devenu chanteur, pour être plus précis auteur-compositeur-interprète. Deux ou trois disques remarqués par les spécialistes mais ignorés du grand public et puis, en 2016, un nouvel album, Clôture, dont un titre, enregistré en duo avec Bernard Lavilliers, La loi du marché, passe enfin sur les ondes. Une belle mélodie, une voix mise en valeur, portée, par celle de Lavilliers, un texte fort, dérangeant, bref de la belle ouvrage. Certains diront sans doute que c’est un retour à la « vieille chanson engagée », d’autres que c’est un fatras de vieilles lunes gauchistes. Je vous laisse juger à travers ces quelques extraits : « On vous laisse Arcelormittaliser à Florange l’or et l’acier », « Cap sur l’Angleterre depuis la Guinée t’as le temps d’apprendre à marcher », « Chez Lidl le pack de bière a des pulsions suicidaires », etc. Si cela ne vous convient pas et si vous avez le temps, vous pouvez élaborer des alternative facts, pour vous entraîner à la nouvelle mode. Pour ma part, après avoir voté Hamon ce matin, je pars à Londres, prendre des nouvelles du Brexit.


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fleche26  janvier 2017 : Concitoyens ou compatriotes ?

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Hier, les media bruissaient de « l’affaire Fillon » : sa femme aurait touché des sommes indues à la fois comme assistante parlementaire (qu’elle n’aurait jamais été) et comme « conseillère littéraire » (qu’apparemment elle n’a jamais été). Tout cela relève de la justice et tous deux, mari et femme, ont droit à la présomption d’innocence. En fin de journée, Valérie Boyer, députée de Marseille et porte-parole de François Fillon pour la campagne présidentielle, était invitée à l’émission C’à vous, et elle déclara en gros qu’elle ne savait rien, qu’elle n’avait rien à dire, au point qu’on pouvait se demander pourquoi elle était là. Autre invitée, Anne-Dauphine Julliand, pour son film Et les mistrals gagnants, qui nous parle d’enfants malades, très malades, qui prennent la vie au jour le jour, pensant plutôt à ajouter de la vie à leurs jours que des jours à leur vie. Pendant la projection d’extraits du film on voyait, dans un coin de l’écran, la tête des gens présents sur le plateau. Tous avaient l’air très émus, sauf Valérie Boyer, qui faisait une tête d’enterrement. Et j’avais l’impression, tout en connaissant les limites de l’analyse des expressions faciales, de lire sur son visage : « c’est foutu, Fillon a perdu ». Mais je suppose qu’ils vont se reprendre et inventer des contre-offensives.

A ce propos, le débat du soir entre Valls et Hamon a déjoué toutes les attentes : on attendait une empoignade plus que virile, nous eûmes un débat à la fois intéressant et responsable : ils avaient à l’évidence décidé de ne pas insulter l’avenir. Mais le linguiste que je suis a noté autre chose. Valls s’adresse aux Français en disant toujours « chers compatriotes » là ou Hamon dit « chers concitoyens ». Les deux hommes avaient bien sûr pas mal de différents politiques, mais cette opposition entre concitoyens et compatriotes est peut-être plus politique encore. D’un côté la patrie (et le père, le patrimoine), de l’autre la cité. Les deux mots ont à peu près le même sens, mais des connotations différentes.

Reste à savoir comment le citoyen Fillon (notre compatriote ou notre concitoyen ?) va se sortir de ce mauvais pas.


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fleche23  janvier 2017 : Et merde !

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Et oui, merde : c’est je crois la première fois de ma vie que je ne suis pas sur des positions minoritaires. Hamon en tête, même pas en rêve comme disent les jeunes. Bon, le PS n’a pas vraiment à pavoiser, la participation n’était pas brillante et il est confronté à deux lignes politiques claires, certes, mais difficilement conciliables. Et je ne vois pas comment celui des deux qui l’emportera dimanche prochain pourrait accéder au second tout de la présidentielle. Bref les socialistes sont mal partis.

Hier, en allant voter, je me suis fait alpaguer par le responsable d’un des bureaux : vous ne voulez pas venir ce soir pour le dépouillement du scrutin? Je me suis donc retrouvé assis devant une table, à ouvrir les enveloppes et à passer chaque bulletin à une deuxième personne qui annonçait à voix haute le nom tandis que deux autres personnes notaient. Et j’ai retrouvé un phénomènes statistique que j’avais « découvert » lors de mes nombreuses enquêtes linguistiques. Lorsqu’on dépouille des questionnaires, ou des fiches d’observation, les choses sont d’abord un peu confuses, puis on arrive à un seuil de saturation de l’information où tout nouveau questionnaire, toute nouvelle réponse, confirme le résultat statistique. Il s’est passé la même chose hier soir. Les premiers bulletins allaient un peu dans tous les sens et puis, au bout que quelques dizaines, le résultat semblait acquis, Hamon, Valls, Hamon, Valls, Hamon, Valls avec parfois un Montebourg. En outre, en allant voir ensuite les résultats des autres tables de dépouillement, je me suis rendu compte que toutes les urnes donnaient à peu près le même résultat : un tiers Hamon, un tiers Valls, un sixième Montebourg, un peu de Peillon, quelques voix pour les autres. En outre, il y avait environ 700 votants et le résultat était sensiblement le même que dans l’ensemble de la France. Ce qui semblerait militer pour l’idée qu’un corpus aléatoire peut être tout à fait représentatif.

Tiens, pour finir, une petite devinette. Qui, dans une interview au journal Le Monde, a déclaré le 8 octobre dernier : « Je vais gagner en janvier 2017, ce sera un coup de tonnerre politique en France et en Europe ». C’était Arnaud Montebourg...

Je sais, je ne suis pas très fair play.


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fleche21  janvier 2017: Pour rire un peu

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Allez, avec le froid, l’attente des résultats de demain mais aussi, à plus long terme, ceux de l’élection présidentielle début mai, il n’est pas mauvais d’essayer de rire un peu. J’ai appris ce matin en lisant Libération qu’en 2015, à l’initiative du politologue Thomas Guénolé, était créé  le prix du meilleur menteur de l’année. En 2015 avaient été distingués Nicolas Sarkozy (grand prix) et Marine Le Pen. Cette année c’est Robert Ménard, maire de Béziers, qui a obtenu ce grand prix, avec Manuel Valls, premier dauphin, et deux « jeunes espoirs », Nicolas Bay et Florian Philippot (les meilleurs menteurs de moins de 45 ans). Quant à Sarkozy il obtient le prix spécial du jury pour l’ensemble de sa carrière. Je ne sais pas si l’ancien président viendra recevoir son prix.

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fleche20  janvier 2017 : Alors, dimanche ?

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Bon, ceux que ça intéresse auront écouté hier soir le dernier débat de la primaire de la gauche, ou le troisième set de la partie pour rester dans ma métaphore tennistique. Les débats étaient passionnés, les échanges vifs et libres, quelques idées novatrices furent présentées, mais ce n’est pas de ça que je voudrais parler. Plutôt de sémiologie. Je m’explique : sur les sept candidats il n’y en a que deux, du moins à mes yeux, qui « font président », qui en ont en gros l’apparence, le verbe, le comportement : Vincent Peillon et François de  Rugy. Je sais, cela n’a rien de politique, on ne juge pas les candidats présidents à leur apparence, cela ne veut rien dire, mais ça veut dire quelque chose pour moi. L’ennui, bien sûr, je veux dire l’ennui pour eux, est qu’ils n’ont aucune chance. Evacuons Jean-Luc Bennahmias et Sylvia Pinel, qui ne sont que figurants, il en reste donc trois qui représentent politiquement quelque chose mais qui, je le répète, ne « font pas président », Montebourg, Valls et Hamon. Le premier, grande gueule un peu creuse, a la suffisance d’un Edouard Balladur et ses insuffisances ont été étalées lorsqu’il était ministre : il a beaucoup parlé mais peu fait. Valls, avec ses airs de torero crispé a, comme Sarkozy en son temps, atteint son niveau d’incompétence : ils étaient faits l’un et l’autre pour rester ministre de l’intérieur. Quant à Hamon, il sait très bien qu’il n’a aucune chance d’être un jour président et il témoigne avec détermination de ses choix politique.

Dès lors, que faire ? Je veux dire que faire pour ceux que cela intéresse et iront dimanche voter ? A partir du moment où il est hautement improbable que le vainqueur de cette primaire parvienne au second tour de la présidentielle, le vote de dimanche aura deux finalités, l’une concernant l’avenir du parti socialiste et l’autre la configuration de l’élection présidentielle.

Concernant le PS, qui va peut-être éclater, je n’en sais rien, chacun de ces trois candidats, Hamon, Valls, Montebourg, imagine qu’il pourra en prendre la direction. Et si la reconstruction nécessaire de la gauche passera peut-être, du moins en partie,  par le PS, alors je préfère que le plus utopique des trois, celui qui avance des idées que tout le monde trouve farfelues mais qui, dans dix ou vingt ans reviendront en force : Benoît Hamon.

Concernant la présidentielle, les choses sont plus complexes et je vais changer de métaphore, abandonner le tennis pour les échecs, ou le billard. On nous annonce un second tour entre Fillon et Le Pen, vous imaginez que cela ne me plairait guère mais, encore une fois, que faire ? Par ailleurs Mélenchon regarde avec gourmandise la montée en puissance de Macron et imagine qu’il va enlever des voix au PS (si, bien sûr, il y a un candidat du PS...) et lui permettra d’être en tête des candidats de gauche. Or Mélenchon me fait de plus en plus penser à Mussolini, et je préférerais qu’il obtienne un score modeste. Et, pour la troisième fois, que faire ?

Pour faire baisser le score de Le Pen, nous n’avons aucune possibilité. Les seules personnes qui puissent lui enlever des voix sont essentiellement Fillon et, dans une moindre mesure, Mélanchon. En revanche si le candidat du PS était Hamon, son programme pourrait lui permettre d’enlever à Mélenchon des électeurs et de rééquilibrer ainsi les rapports de force. Dimanche, donc, je voterai Benoît Hamon pour ces deux raisons principales. Vous me direz que cela s’apparente un peu à un coup de billard en trois ou quatre bandes, peut paraître utopique et pourrait avantager Macron. Et alors ? Si dans un duel entre Le Pen et Fillon je voterai sans doute blanc (ce que j’ai fait aux dernières élections régionales, refusant de choisir en Marion Maréchal-Le Pen et Christian Estrosi), je choisirais sans doute Macron s’il était opposé à Le Pen. Bon, je sais, le vote est secret. Alors dimanche, si vous votez, faites ce que vous voulez...

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fleche16  janvier 2017: Dégel

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Le deuxième set des débats précédant la primaire de la gauche a, enfin, été à la fois plus musclé et plus clair : des positions différentes, des axes de discussions se sont dégagés. Petite remarque en passant : vendredi, le Figaro, au lendemain du précédant set, titrait qu’il n’y avait aucune idée nouvelle dans ce débat, et il a bien entendu le droit de le penser, mais ce titre était diffusé dans le soirée du jeudi, deux heures avant la fin du débat. C’est ce qu’on appelle de l’information objective... Mais revenons au débat. Les arguments échangés faisaient réfléchir, et c’est ce qu’on attend d’un débat. Même Jean-Luc Bennahmias semblait avoir retrouvé ses esprits, c’est dire. Bien sûr, lui comme François de Rugy et Sylvia Pinel savent parfaitement qu’ils n’ont aucune chance et les deux derniers donnent parfois l’impression de penser surtout à leur réélection lors des prochaines législatives : Rugy a réussi à citer trois fois sa circonscription de Nantes, Pinel n’a pas cessé de passer la brosse à reluire au gouvernement sortant, auquel elle a appartenu, songeant peut-être à sa circonscription du Tarn-et-Garonne dans laquelle elle aimerait être à nouveau candidate.

La seule chose amusante, dans cette soirée (je sais, nous n’étions pas là pour nous amuser...) a été la série de lapsus de Montebourg. Parlant de fraude alors qu’on l’interrogeait sur les frondeurs et donc sur la fronde, confondant question et réponse dans une phrase bizarre, du genre (je n’ai pas bien noté) « vous aurez ma question » alors qu’il voulait dire « ma réponse » et enfin se prenant les pieds dans le tapis en parlant des parents qui ne pouvaient pas mettre leurs enfants dans l’enseignement primé (il voulait dire, bien sûr, privé). Mais bref, le jeu a commencé à se dégeler et Manuel Valls a eu droit à quelques critiques bien ciblées. Un dégel qui annonce quoi ? A suivre.

 

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fleche13  janvier 2017 : Tennis de gauche

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Si la primaire de la droite s’apparentait à une longue pièces de théâtre en plusieurs actes, précédés pour certains d’un long marathon, celle de la gauche, trois débats télévisés en une semaine, ressemblera plus à un match de tennis. Qui jouera du fond de court, qui montera au filet, va-t-on assister à des services-volée ou à un jeu de crocodile, avec de longs lifts ? Et le match aura-t-il lieu sur une surface rapide, où les balles giclent, ou sur de la terre battue, qui ralentit un peu le jeu ?

Je n’ai assisté hier soir qu’à la deuxième partie de l’affrontement : un ami jouait, au théâtre, Les Chaises de Ionesco, et j’étais allé l’applaudir.

Je suis donc arrivé devant mon écran vers 22 h 30, et le match semblait ne pas avoir réellement commencé. Au tennis il y a souvent deux ou trois jeux d’observation, là c’était un set entier. Sept joueurs, ou plutôt quatre ou cinq et deux ou trois ramasseurs de balles dont l’un, Jean-Luc Bennahmia, jouait en plus le clown de service, un clown qui aurait trop vu les films de Bourvil. Il aurait d’ailleurs pu chanter l’un de ses tubes, « qu’est-ce qu’elle a, mais qu’est-ce qu’elle a donc, ma p’tit chanson...qui n’te plaît pas ». Vincent Peillon semblait ailleurs, Benoît Hamon n’avait peut-être pas eu le temps de s’échauffer à l’entrainement, Valls et Montebourg avaient oublié les conseils de leurs entraîneurs.. En bref, personne ne semblait vraiment décidé à attaquer, comme si, au tennis, on passait une demie heure à quarante partout, avantage, égalité, avantage, égalité... Un peu ennuyeux, donc. Il faudra, la prochaine fois, qu’ils tapent plus franchement dans la balle.

Revenons aux Chaises. La pièce est courte, un seul acte, il n’y a que deux personnages, les autres sont des fantômes, on leur parle mais ils ne répondent pas, on les invoque en vain, on les imagine... Dans ce premier set on a effectivement invoqué parfois des fantômes, Jaurès, Blum, Mendès-France, Mitterrand, qui bien sûr n’ont pas leur mot à dire, ou du moins ne sont pas en état de proférer le moindre mot, d’autres qui ne sont pas décidés à entrer dans cette partie, Mélenchon, Macron...

Le tennis de gauche devrait se muscler un peu...ou se mettre à la boxe.

 

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fleche6  janvier 2017 : Culs-bénits et crapauds de bénitier

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Au Brésil, c’es un « évêque évangélique de l’église universelle du royaume de dieu », cela ne s’invente pas, qui vient de devenir maire de Rio de Janeiro . Pendant quelques années, lorsque j’allais enseigner à Rio, j’étais logé dans un hôtel de Copacabana, à quelques dizaines de mètres d’une église évangélique et il m’arrivait, le soir, d’y jeter un œil et une oreille pendant leur culte. Du grand art ! Tout y était, les chants, la transe, le fric. J’ai vu le même genre de commerce se développer en Afrique, au Bénin, au Congo, au Gabon, avec le même folklore et la même frénésie de fric. Je ne sais pas vraiment si, en Afrique, les évangélistes se mêlent de politique, mais au Brésil ils sont à la tête d’une des plus grandes villes du pays. Avec un programme réjouissant : contre l’avortement, contre l’homosexualité (mais ils sont charitables, ils considèrent qu’on peut « guérir » cette « maladie »), pour la droite et jadis pour la dictature. Et ils représentent aujourd’hui plus de 20% du pays. Bienvenue aux culs-bénits ! De ce côté-ci de l’Atlantique et autour de la Méditerranée, nous avions d’autres culs-bénits, ceux qui crient Allah akbar  et dont certains considèrent que le sang des autres est un passeport pour le paradis. Et voilà qu’un nouveau venu rejoint cette sinistre cohorte : François Fillon. Le candidat de droite à l’élection présidentielle vient de déclarer : « je suis gaulliste et de surcroît chrétien », pour garantir qu’il ne toucherait pas à la sécurité sociale. Il avait dit le contraire lors de la primaire de la droite, donc le culs-bénits peuvent mentir. Même François Bayrou, autre grand cul-bénit devant l’éternel, s’est ému de ce mélange des genres entre politique et religion ! Bref nous sommes cernés par ces... Ces quoi ? J’ai déjà répété plusieurs fois culs-bénits et j’en devine qui me trouvent bien grossier. Ces quoi ? Ces grenouilles de bénitier ? Oui, mais grenouille fait un peu trop féminin et je n’ai parlé que d’hommes. Tiens, ces crapauds de bénitier, c’est pas mal !


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fleche4  janvier 2017: Salut l'artiste

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Jean Vasca est mort il y a une dizaine de jour dans une indifférence générale. Considéré comme « trop intello », « trop difficile », il avait paradoxalement  obtenu tous les prix de la chanson française (Prix Henri Crolla, Académie de la chanson, Grand prix de l’ académie du disque, Prix des critiques de Variétés, Grand prix de l’académie Charles Cros...), enregistré une vingtaine de disques et demeurait inconnu du grand public. Je l’avais vu souvent sur scène, dans tous les cabarets parisiens et parfois, trop rarement, pour une semaine au Théâtre de la Ville ou pour une soirée à l’Olympia. Surtout, nous allions l’un chez l’autre, pour des agapes entremêlées de musique. Je peux le raconter aujourd’hui, il y a prescription, parmi ses camarades anars, certains  pratiquaient la récupération anarchiste, dévalisant des caves et distribuant généreusement le produit de leurs rapines. J’ai grâce à lui, ou à eux, dégusté un jour une bouteille de Romanée Conti qui provenait de la cave du ministre de l’intérieur de l’époque, et quelques autres crus mémorables. Nous avions mis au point un jeu un peu particulier : après avoir vidé quelques bouteilles l’un d’entre nous (lui, moi ou Michel Devy, son guitariste et orchestrateur) jouait les accords d’une chanson de Léo Ferré que les autres devaient reconnaître.  Fou de Ferré, Vasca était surtout fou de mots, et il lançait les siens vers l’espace, les voyait s’envoler en espérant qu’ils rencontreraient des oreilles attentives. Fou de musique aussi. Lorsqu’il me faisait écouter un nouveau disque, il vibrait avec ses mots, ses notes, ses harmonies, vivait ses créations. Certaines de ses chansons avaient été interprétées par Francesca Solleville, Isabelle Aubret, Christine Sèvres  ou Marc Ogeret, mais cela n’avait pas suffi à le faire reconnaitre comme ce qu’il était : un grand auteur-compositeur de la chanson française. Et les recueils de poésie qu’il avait publiés n’avait pas plus rencontré le grand public.

La dernière fois que je l’ai vu, alors que je quittais Paris pour Aix-en-Provence, il m’avait lancé, parlant de l’état de la chanson d’alors, il y a  près de vingt ans : « Il faut entrer en résistance ». Et je lui avais répondu :« Oui, mais pour quelle libération » ?

Quelques mois avant sa mort, il avait sorti un ultime disque au titre prémonitoire : Salut ! On ne saurait mieux dire : Salut l’artiste !


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fleche3  janvier 2017: Te l'ha misse 'n culo?

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Commençons cette année 2017 de façon studieuse...et savoureuse.

J’ai ramené il y a quelques semaines d’Italie un livre d’entretiens, La lingua batte dove il dente duole (« la langue va où la dent fait mal »), dans lequel le linguiste Tullio de Mauro, et l’écrivain  Andrea Camilleri évoquent de nombreux exemples de la situation linguistique italienne. Tullio de Mauro a beaucoup travaillé sur l’histoire linguistique de son pays et sur les rapports entre les « dialectes » et l’italien standard. De son côté Andrea Camilleri, le créateur du commissaire Montalbano, a toujours mélangé dans ses œuvres l’italien et le sicilien (et plus particulièrement le sicilien d’Agrigente), et ils sont donc tous deux bien placés pour traiter de ces thèmes.

Dans ce livre, donc, Tullio de Mauro évoque un procès qui s’est tenu à Naples, dans lequel un plaignant (Nicolino) accuse quelqu’un (Gaetano) de l’avoir violé. Le juge interroge d’abord le plaignant dans le langage judiciaire auquel il est habitué, voire tenu, c’est-à-dire qu’il parle la langue de sa charge, de son milieu professionnel lorsqu’il se trouve en situation professionnelle. Voici la version originale de cet échange, suivie d’une traduction française approximative (je ne domine pas vraiment le langage judicaire français):

Durante il processo il magistrato, par accertare  i fatti, chiede alla vittima (che, come accade, è anche l’unico testimone) : « Dite, Nicolino, con il qui presente Gaetono, fuvvi congresso ? » Nicolino lo guarda interdetto. Il magistrato, patiente, cerca di essere a modo suo più  claro : Nicolino, fuvvi concubito ? » Nicolino continua a non capire e il magistrato si spinga al massimo della precizione consentitagli dall’eloquio giudiziario : Nocolino, ditemi, fuvvi copula ? » Nicolino lo  guarda smarrito. E allora il magistrato abbandona l’italiano giudizario et gli dice finalmente : « Niculi, isso, Gaetano, te l’ha misse ‘n culo ? » E Nicolino finalmente annuisce et responde : « Si, si ».

Durant le procès, le magistrat, pour établir les faits, demande à la victime (qui se trouve être également l’unique témoin) : « Dîtes-moi, Nicolino, y a-t-il eu des rapports avec le ci-présent Gaetano ? » Nicolino le regarde, interdit. Le magistrat, patient, cherche à être le plus clair possible : « Nicolino, y a-t-il eu accouplement? » Nicolino continue à ne pas comprendre et le magistrat s’avance jusqu’au maximum de précision consenti par le langage judiciaire : « Nicolino, dîtes-moi, y a-t-il eu copulation ? » Nicolino le regarde, égaré. Et le magistrat abandonne alors l’italien judiciaire et lui dit finalement : « Nico, ce Gaetano, il te l’a mise dans le cul ? » Et Nicolino acquiesce finalement et répond : « Oui, oui ».

Les termes utilisés par le magistrat relèvent d’un niveau de langue spécialisé. Congresso (et plus souvent congresso carnale, « échange ou rapport charnel ») appartient essentiellement au langage judiciaire et policier, même s’il peut être utilisé dans les milieux universitaires de façon ironique (le mot signifiant également « congrès ») à propos des collègues qui courent les « congrès » en quête de congresso carnale. Concubito (« union, viol ») et copula (« copulation ») sont pratiquement synonymes du premier, et relèvent également d’un niveau de langue spécialisé. En bref, ces trois mots sont à la fois d’usage rare et de sens peut-être opaque pour une partie de la population. Et lorsque le magistrat change de registre, passe à un italien plus dialectal et interroge Nicolino, devenu Niculi, de façon plus crue (te l’ha misse ‘n culo ?, Il te l’a mise dans le cul ?), le message passe immédiatement.

Nous avons donc dans cet échange différents enseignements. Le fait tout d’abord que le lexique du juge, en italien, n’est pas compris par le plaignant, lui-aussi italien, c’est-à-dire que dans cette situation particulière de procès ils ne parlent pas la même langue, pas le même italien. Et la progression des termes, qui se succèdent avec le même sens (congresso, concubito, copula), constitue de la part du juge une recherche de communication mais illustre également la variation sociale de la langue. Il y a ici, face à la langue, un déterminisme social qui rend Nicolino désarmé, dominé, comme beaucoup de citoyens, quelle que soit leur langue, face au langage administratif.

Voilà, c’était pour nous reposer avant une période qui va être plus lourde, celle de la primaire de la gauche. Plus lourde et sans doute moins plaisante.

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