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27
décembre 2017 : Et le
vainqueur est...
Comme
chaque
année, le Journal du Dimanche du 24
décembre a publié son palmarès des
personnalités préférées des Français. Leur
méthode est simple: On propose à un peu plus
de mille français choisis selon un méthode de
quotas (ce qui est classique) une liste de 64
personnalités (ce qui est plus contestable,
puisqu’il y a une pré-sélection) dans laquelle
ils choisissent. Résultats ?
Dans cet ordre, Jean-Jacques Goldman,
Omar Sy, Teddy Riner, Dany Boon, Sophie
Marceau, Jean Reno, etc... Mais je vais en
rester au trio de tête, Goldman, Sy et Riner,
un chanteur, un acteur, un judoka, car le
journal nous propose pour les trois premiers
des tris croisés.
Ainsi,
pour
les hommes, Teddy Riner passe devant Omar Sy,
tandis que pour les femmes c’est Florent Pagny
qui prend la troisième place. Chez les plus de
65 ans, l’imitateur Laurent Gerra passe de la
26ème à la 3ème, sans
que je puisse expliquer pourquoi les vieux
aiment tant les imitateurs. Vous avez une
idée ? Chez les « sympathisants de
gauche » (PS + France insoumise,
catégorie elle-même discutable) le trio est
inchangé, ce qui semblerait prouver que la
France dans son ensemble penserait comme la
gauche, ou du moins aurait le même choix de
personnalités. Chez ceux de droite (Centre,
Républicains et Front national, bel
amalgame !) le trio de tête est
bouleversé : en 1 toujours Goldman mais
Jean-Paul Belmondo en 2 et Michel Sardou en 3.
Enfin, chez les sympathisant de «la France en
Marche » nous trouvons en première
position Emmanuel Macron, en deuxième
Goldman et en troisième Michel Cymes.Ce
type
de sondage est bien sûr à prendre avec des
pincettes, mais il pose cependant des
questions intéressantes. Tout d’abord la
première place presque incontestée de
Jean-Jacques Goldman, un
auteur-compositeur-interprète retiré du métier
depuis plus de dix ans (on ne le voyait que
dans le concert annuel de
« Enfoirés » au bénéfice des
Restaurants du
cœur), installé loin de la vie parisienne, à
Marseille d’abord puis aujourd’hui à Londres.
Cet absent de la scène semble être devenu un
mythe, comme si moins on était visible et plus
l’on été aimé, ce qui est d’ailleurs le cas de
quelques invisibles notoires, comme Allah ou
Jésus...
Mais, surtout, c’est la première
place de Macron chez ses sympathisants qui
fait sens, car nous semblons ici en plein
culte de la personnalité. Et j’ai déjà eu
cette impression ces dernières semaines en
entendant des députées d’En Marche ânonner
des éléments de langage mais surtout
manifester une grande admiration pour le
Président. En revanche je ne comprends pas,
dans cette liste, la place de Michel Cymes.
Médecin, star de la télévision, il me frappe
surtout par son affection pour les allusions
grivoises. Or, même si Macron dit faire ce
qu’il a annoncé, la grivoiserie n’était pas
dans son programme. Ou alors j’ai mal lu ou
mal écouté. En tout cas, la place de Sardou
dans les préférences de la droite et de
l’extrême droite ne surprendra personne :
ce qu’il chante parle pour lui. Il fait
actuellement une tournée d’adieu, et il faudra
voir dans les prochaines années s’il se
maintient dans le cœur des fachos malgré son absence, comme
Goldman se maintient dans celui de tous les
Français. Pour finir, mais cela ne surprendra
personne, soulignons tout de même que le Journal du dimanche n’avait pas mis dans sa pré-sélection un
migrant type, ou un Français condamné pour
avoir aidé des migrants à franchir les
Alpes...

24
décembre 2017 : Au fou !

Depuis
un
an qu’il est au gouvernail d’un navire qui va
tranquillement vers sa perte, Donald Trump
nous a habitués aux plus grandes bêtises, mais
une récente décision de son administration
dépasse de loin les précédentes. Il s’agit
d’un résumé parfait de ce mal qui ronge les
Etats Unis depuis une quarantaine d’années et
que d’autres, en particulier en France, se
sont empressés d’imiter : le
politiquement correct.
Dorénavant,
en
effet, les organismes de recherche, les
services sociaux et toutes les agences placées
sous la tutelle du ministère de la santé se
sont vus adresser une liste de mots et
d’expressions qu’ils ne doivent plus utiliser.
En voici un florilège : transgenre,
vulnérabilité, diversité, prérogative,
fœtus et, surtout, fondé
sur
la science. Il s’agit, selon une source
officielle, de termes controversés,
donc à exclure. Il est donc
« controversé » de faire allusion à
des sources scientifiques (la science étant
elle-même controversée), de parler de
transgenres, de diversité, de fœtus
(je ne sais pas si son existence est
controversée)...
Nous
ne nous
étonnons plus des fantaisies Trump et de ses
illustrations permanentes de la new speak
d’Orwell, mais elles passent désormais
dans les faits, elles deviennent des
fantaisies performatives. Ainsi nous apprenons
que depuis un an toutes les pages consacrées
au réchauffement climatique ont été supprimées
sur les site de la Maison Blanche. Que, dans
les questionnaires d’enquêtes sanitaires on a
supprimé les questions portant sur
l’orientation sexuelle. Et, mais je n’ai pas
pu vérifier, que les centres de recherches
travaillant sur ces sujets controversés
perdraient leurs crédits. C’est-à-dire que
l’on va finalement plus loin dans que la
fiction orwellienne. Il ne s’agit plus de
croire qu’en interdisant un mot ou une
expression on ferait disparaître ce à quoi ils
renvoient (par exemple qu’en interdisant la
phrase Trump est fou on ferait
disparaître l’idée qu’il soit fou), il s’agit
désormais de pénaliser financièrement
ceux qui parlent de réchauffement
climatique, de fœtus ou de diversité, ou ceux qui osent
penser que quelque chose puisse être fondé sur
la science. Vous l’aurez compris, nous ne
sommes pas loin de ceux qui croient mettre fin
à la discrimination des femmes en imposant la
première grande découverte du 21ème
siècle, l’écriture inclusive. Nous vivons
décidément une époque moderne !
13
décembre 2017 :
Traducteurs: vers une inflation des langues ?

Il
y
a bientôt vingt ans que j’ai noté un
changement dans la « signature » des
traducteurs. Là où on lisait « traduit de
l’anglais » ou « traduit de
l’espagnol » apparaissaient de nouvelles
formules : « traduit de l’anglais
(USA) », « traduit de l’anglais
(Australie)», ou encore « traduit de
l’espagnol (Cuba) », « traduit
de l’espagnol (Argentine) », etc. Les
linguistes savent que les langues connaissent
des variations géographiques ou sociales,
qu’on ne parle pas le même français à Paris ou
à Marseille, dans « la haute » ou
chez les prolos. De ce point de vue, la langue
peut être considérée comme une immense variable
qui se manifeste sous la forme de
différentes variantes, géographiques
ou sociales Mais l’ensemble de ces
variantes constitue une même langue.
Cependant,
la
question « qu’est-ce qu’une même
langue ? », est parfois
problématique. Par exemple, y a-t-il un seul
arabe (celui qui est officiel dans les pays
arabo-musulman) ou plusieurs, une seule langue
d’oc (l’occitan) ou plusieurs (languedocien,
gascon, provençal...) ? Le plus simple,
pour bien séparer les problèmes linguistiques
des problèmes religieux ou identitaires, est
pour l’instant, et en attendant mieux, de se
fonder sur le code ISO 639 (oui, il y a un
code ISO des langues) qui distingue entre
trente arabes ou cinq langues d’oc.
Bien
sûr,
les traducteurs qui disaient traduire de
l’anglais (USA) ou de l’espagnol (Cuba) ne
pouvaient pas décréter à eux seuls l’existence
d’un anglais ou d’un espagnol différents des
autres. Tout au plus voulaient-il un peu
frimer, ou se valoriser, en
affirmant connaître particulièrement une
variante locale d’une langue, de telle ou
telle partie du monde. Mais ils en suggéraient
du même coup l’existence de différentes
formes. Un nouveau pas vient d’être franchi.
Je lis cette semaine dans un hebdomadaire
l’annonce de la parution d’un livre de Douglas
Kennedy, La symphonie du hasard,
« traduit de l’américain par Chloé
Royer » . Traduit de l’américain, et non
pas de l’anglais (USA). Il y aurait donc une
langue, l’américain, différente d’une autre,
l’anglais. Nous n’en sommes pas là, même si
l’anglais parlé en Inde se distingue de celui
parlé à Atlanta, ou si l’espagnol de Buenos
Aires se distingue de celui parlé à Madrid.
Mais il sera intéressant de suivre cet
indicateur. Allons-nous voir apparaître des
traducteurs de l’australien, du canadien, de
l’irlandais... et de l’anglais, du cubain, du
mexicain...et de l’espagnol. Ce serait un cas
original (et improbable) d’émergence de
nouvelles langues. Des conflits religieux,
ethniques ou nationalistes ont poussé à la
distinction entre hindi et ourdou, ou entre
serbe, croate et bosniaque. Mais nous n’avons
jamais vu, du moins à ma connaissance,
d’invention de nouvelles langues par des
traducteurs. D’autant que les cas de
variations étant très nombreux, nous risquons
d’assister à une inflation du nombre de
langues.

11
décembre 2017 : La nation
et le peuple

Nous
avons la semaine dernière échappé, de très
peu, au ridicule. Pendant quelques heures,
jeudi, le bruit courait que Johnny Hallyday
aurait des obsèques nationales. Des obsèques
nationales ! Le dernier artiste a avoir
bénéficié de cet honneur, si c’est un honneur,
fut Victor Hugo, poète, homme politique,
romancier. Qu’on apprécie ou pas Hallyday, il
est difficile de penser qu’il fut à la chanson
ce que Hugo fut à la littérature. Nous avons
donc échappé au ridicule, grâce à une astuce
sémantique établissant en outre une sorte de
hiérarchie : Jean d’Ormesson a eu droit
vendredi à un hommage national et Johnny
Hallyday samedi à un hommage populaire.
Hommage national, hommage populaire, les
élèves de terminale pourraient peut-être
disserter sur cette distinction, et je ne suis
pas convaincu qu’entre la nation et le peuple
ils parviendraient à distinguer autre chose
que du mépris pour le peuple...
Reste
à essayer de comprendre ce qu’Hallyday
représentait pour le « peuple ». Je
ne sais plus qui a dit de Victor
Hugo qu’il était un «Niagara
verbal ». Hallyday fut une sorte de
Niagara sonore, mais la comparaison s’arrête
sans doute là. Johnny en effet a commencé par importer. Mais
il habillait ses produits d’importation d’un
corps et d’une voix. Une
voix dans les aigus, souvent à la limite de
la rupture, comme une façon de se mettre
sans cesse en danger, mais une voix parfois
miraculeuse par son ampleur, et un corps,
une présence scénique étonnante, des mises
en scène époustouflantes. De ce point de vue
il ne relève pas vraiment de la critique
musicale, mais de la sociologie et de la
sémiologie. A chacun de ses spectacles on
découvrait une nouvelle cascade, une
nouvelle folie vestimentaire, un nouveau
rêve.
Tout
public a droit à son idole, ou à ses idoles,
et toute idole vit sur un public.
Mais le
statut de l’idole interpelle le
sociologue : qu’y a-t-il derrière cette
adoration, ces rites, cette secte de bikers
tatoués, à la syntaxe approximative,
derrière ces grands-parents, ces parents
éperdus d’admiration et d’amour et tentant
de convaincre les plus jeunes, leurs enfants
et petits-enfants ? Car l’idole des
jeunes était devenu un chanteur pour vieux,
disons pour les plus de cinquante ans, les
grognards de l’armée des baby boomers, la
vieille garde du rock, du twist... . Un
chanteur pour vieux et pour blancs : ni
beurs ni blacks dans la foule de
samedi , eux ils écoutent du rap,
auquel Hallyday n’a jamais touché. Quelle
fonction sociologique, donc ? On entend
à ce propos tout et son contraire. Un
philosophe va jusqu’à dire que « Johnny
avait quelque chose de Schopenhauer en
lui ». Bof ! D’autres, pas
philosophes eux, expliquent que ses chansons
ont accompagné tous les moments de leur vie.
J’ai entendu quelqu’un dire « mes
premiers accords de guitare, je les ai
appris avec Le Pénitencier et on a
envie de répondre non, avec The house of
the rising sun. Idem pour nombre de
ses premiers titres, adaptés de succès
américains, de La fille de l’été
dernier (Summertime blues, Eddie
Kochran)
à Memphis USA (Memphis Tennessee,
Chuck Berry) en passant par Hey Joe (Hey
Joe ,Jimmy Hendrix). Le
rock, le twist, le madison, le blues, la
country... Hallyday a d’abord copié.
Certains le voient comme une marionnette
entre les mains de ses paroliers qui lui
faisaient chanter de pâles traductions de
standards américains, d’autres comme un
caméléon. Je le verrais plutôt comme un
porte-manteau ou un mannequin, sur lequel on
mettait une mode, puis une autre, une mode
d’abord importée, je l’ai dit, puis plus
tard produite localement, parfois par des
auteurs de talent, Michel Berger, Miossec et
quelques autres. Le nombre
d’adaptations qu’il a interprétées (plus de
deux cents sur toute sa carrière) diminue
d’ailleurs régulièrement, de 1960 à 2010,
laissant de plus en plus la place à des
produits locaux. Mais
s’il a importé il n’a jamais, quoi qu’on
tente de nous faire croire, exporté. Les
Brésiliens de la bossa nova ou les Rolling
Stones et les Beatles ont eu un succès
mondial, pas Hallyday. Lorsque ses auteurs
étaient bons, Hallyday tenait un tube, que
les radios bastonnaient. On aimait, parfois,
on coupait le son dans d’autres cas.
Mais
il y a une chose d’indiscutable. J’ai toujours
aimé les reprises, lorsque de jeunes
chanteurs voulant rendre hommage à des
anciens, Brel, Brassens, Ferré, Gainsbourg,
interprètent leurs chansons, imprimant sur
elles leur marque. Or chaque fois que j’ai
entendu quelqu’un interpréter un des tubes de
Hallyday, la comparaison était
douloureuse : sa voix, son coffre,
faisaient la différence, personne ne pouvait
vraiment reprendre ses succès, faire
concurrence à sa voix. La voix du
peuple ? Peut-être. Mais une voix qui
défendait Giscard, Chirac, Sarkozy, et dont
les fans votaient sans doute en partie Le Pen.
Nous
avons aussi échappé au ridicule en ne faisant
pas des obsèques nationales à un évadé fiscal
aux Etats Unis, puis en Suisse, qui essaiera
entre les deux de devenir belge et, disent les
mauvaises langues, qui reviendra en France
lorsque ses problèmes de santé nécessiteront
l’aide de la sécurité sociale. Mais, encore
une fois, tout public a droit à une idole,
qu’il fabrique à son image, comme les croyants
ont droit à leur Dieu, qu’il inventent comme
ils peuvent. Quelle image du peuple se profile
donc derrière lui, en jeans et en perfecto
d’abord, tatoué et perché sur une Harley
Davidson, puis vêtu sur scène de façon chaque
fois différente et chaque fois plus
étonnante ? Un peuple rêveur ? Qui
cherche à s’échapper à sa condition à travers
ce que les magazines people lui donnent à voir
de son idole ? Un peuple mimétique, qui
s’habille comme elle, l’idole, se fait tatouer
comme elle, et ne peut guère aller plus loin,
faute de moyens ?Ou une forme de
religion ? Car il y a de la religion dans tout cela et la
foule parisienne de samedi scandant son
prénom, Johnny, Johnny, faisait penser à la
foule romaine qui en avril 2005, à la mort du
pape Jean-Paul II, hurlait Santo subito
(« sanctification immédiate »).
Revenons
à ce couple de disparus que, dans mon
précédent billet je mettais en parallèle. Une
trentaine d’académiciens en grande tenue aux
Invalides pour l’un, sept cents bikers en
blouson noir et des centaines de milliers de
gens sur les Champs Elysées pour
l’autre : deux France, deux mythologies,
toutes deux surannées et que seul relie un
président de la République présent dans les
deux cas. Deux images. Dun côté un écrivain
que beaucoup achetaient mais que peu lisaient,
un écrivain populaire mais mineur, à qui les
historiens de la littérature ne réserveront
sans doute pas une grande place, un homme de
droite sympathique, avenant, souriant :
les Français ont guillotiné leur dernier roi
mais aime bien la noblesse, et cet écrivain à
particule qui passait si bien à la télévision
voisinait dans leur imaginaire avec les
princes britanniques et leurs histoires
sentimentales. D’un autre côté un chanteur
cent fois plus populaire mais qui n’a été
qu’un interprète. Une réplique de Maurice
Chevalier en quelque sorte, mutantis
mutandis. Chevalier ne changea jamais de
tenue, costume et canotier, mais retourna
souvent sa veste, en particulier avant,
pendant et après l’occupation allemande.
Hallyday changea souvent de tenue mais tint
toujours le même type de discours. Ou
plutôt : on lui fit tenir le même
discours, un discours grâce auquel le
« peuple » pouvait oublier un
instant ses misères quotidiennes, rêver
d’amour, d’Amérique, d’ailleurs. D’Ormesson et
Hallyday sont deux images d’une France
divisée, insécure, un peu repliée sur
elle-même, comme un village gaulois encerclé
par la mondialisation. Un village socialement
structuré, avec ceux qui ont droit à un
hommage national, comme le scribe
d'Ormessonnix, et ceux qui
ont droit à un hommage populaire, comme le
barde Johnnix. La nation et le peuple...

6
décembre 2017 : Une
mort chasse l'autre

Jeudi
dernier, j’ai passé l’après-midi à l’Académie
française, où je recevais un prix. A gauche de
la tribune, je voyais les académiciens en
grande tenue, certains que je reconnaissais,
d’autres non, mais il en manquait deux ou
trois, parmi lesquels Jean d’Ormesson. Le même
jeudi, mais je ne l’ai appris que le lendemain
par une amie du show-biz, la presse était
mobilisée toute la journée devant le domicile
de Johnny Hallyday, à Marne-la-Coquette,
piétinant dans le froid : on avait lancé
le bruit que le chanteur était sur le point de
mourir. Fausse alerte. Cinq jours plus tard
mourait d’Ormesson, précédant Hallyday de
vingt-quatre heures. Hier les radios et les
télévisions ne parlaient que de l’écrivain,
aujourd’hui ce sera le chanteur. On parle, on
parlera de leur carrière, on ne dira que du
bien d’eux. Comme le chantait Brassens,
« Il est toujours joli le temps passé,
une fois qu’ils ont cassé leur pipe... les
morts sont tous des braves types ». Hier
les media bousculaient leurs programmes pour
parler de la mort d’un « grand
écrivain », aujourd’hui, depuis quatre
heures trente du matin (avant je dormais) on
ne parle que de la mort du « grand
rockeur ». Une mort chasse l’autre.
Et
cette succession est caractéristique du
spectacle continu que constitue l’information.
Ce matin, en tendant l’oreille , on percevait
vaguement quelques rumeurs, le comité
olympique exclue la Russie des prochains jeux,
Trump s’apprêterait à reconnaître Jérusalem
comme capitale d’Israël, mais tout cela ne
pesait guère : un « monument »
de la littérature est parti, suivi par un
« monument » de la chanson. Chacun y
va de sa formule, plus ou moins fine, plus ou
moins bête. Selon le communiqué de l’Elysées,
« on a tous en nous quelque chose
d’Hallyday » : Ah bon ? Pour
l’écrivain Alain Mabanckou, « La grande
symphonie musicale francophone a perdu son âme
la plus généreuse ». Ah oui ? Selon
Jack Lang, « c’était une boule de
feu ». Pour Line Renaud « Il
restera. Le lien créé entre Johnny et la
nation est trop fort ». Au passage, nous
apprenons qu’il a mangé chez elle il y a
quelques temps « avec
Brigitte et Emmanuel Macron ». La nation,
décidément, traîne partout... François
Hollande pour sa part joue sur un titre (Retiens
la nuit) du chanteur :
« Johnny est parti dans la nuit. Nous
aurions tellement aimé le retenir ».
Bof ! Et Thomas Legrand, sur France
Inter, nous rappelle opportunément que Johnny
était un homme d’ordre, un homme de
droite, qu’il avait soutenu De Gaulle, Chirac,
Sarkozy, qu’il avait chanté « on a tous
en nous quelque chose de Jacques
Chirac », même s’il s’est produit une
fois à la fête de l’Humanité. Sur
France Inter toujours, on lit le message d’un
auditeur qui dit en substance:
« Vous ne passez jamais de chansons de
Johnny, même sur la bande sonore des jours de
grève. Aujourd’hui vous ne parlez que de lui.
Bande de faux culs ». Belle analyse.
Vingt-quatre
heures séparent donc les deux morts, et la
presse écrite quotidienne pourra enchaîner. A
chaque jour suffit sa peine, a chaque jour
suffisent ses colonnes à la une. Ce matin La
Provence titre « l’immortel au
paradis » et Libération « Jean
d’Ormesson à droite du paradis ». Demain
ils passeront à Hallyday. En revanche que fera
d’ici quelques jours la presse
hebdomadaire ? Une couverture coupée en
deux ? Dans mon bistro habituel je vois,
sur l’écran de LCI, un bandeau :
« La France pleure Johnny ».
Et un client lance au patron :
« Ils devraient faire l’enterrement ici,
ton bar débordera de clients pendant trois
jours ». En octobre 1963, Edith Piaf
mourrait quelques heures avant Jean Cocteau.
Les funérailles de la chanteuse furent
grandioses, faisant presque oublier celles du
poète. Il est à parier que la mort de Johnny
Hallyday fera passer au second plan celle de
Jean d’Ormesson. Sic transit gloria mundi. Et
puis l’on passera à autre chose, on reviendra
à autre chose. A la Palestine, à la Syrie, au
Yémen, aux Rohingyas. En attendant qu’une
autre mort médiatique mobilise à nouveau les
media avides.
Allez,
finissons en chanson, avec Jacques Brel :
« Au
suivant ». Mais lequel ?

5
décembre 2017 :
Nationalisme

Le
résultat du premier tour des élections
territoriales en Corse est étonnant. Non pas
par les 45% des nationalistes et
indépendantistes réunis, ni par les 28% de la
droite régionaliste (il faudrait, mais ce
n’est pas mon propos, faire une analyse
sémantique de ces trois adjectifs, nationaliste,
régionaliste et indépendantiste)
et de la droite sarkozyste (je ne vois pas
comment qualifier autrement ce que deviennent
Les Républicains) mais par le score du Front
National. Effectuons un petit retour en
arrière. Au second tour de l’élection
présidentielle de cette année, Marine Le Pen
avait obtenu en Corse 48,52% des voix. Or le
Front National vient d’obtenir 3,28% des voix,
perdant 45%. Je sais, il ne s’agissait ni de
la même élection ni du même problème, mais
tout de même : cette presque moitié du
corps électoral qui choisissait en mai un
parti d’extrême droite existe toujours et
devrait donc se retrouver dans les voix des
nationalistes, indépendantistes et
régionalistes. Il est peu probable en effet
qu’ils soient dans le 11% obtenus par la
République en marche ou le 5% du PC et de la
France insoumise.
C’est-à-dire,
vous me voyez venir, que la gauche n’a pas
grand chose à faire dans cette histoire. Dans
les années 1970, alors que je suivais de près
les mouvements régionalistes, dans les
domaines culturel, en particulier la chanson,
et politique, tous, qu’ils soient pacifiques
ou armés, se réclamaient de la gauche et
étaient soutenus par une partie de la gauche.
La chanson bien sûr, bretonne, occitane,
catalane ou alsacienne, mais aussi les
mouvements armés comme l’ETA au pays basque ou
le FLB en Bretagne, étaient suivis et soutenus
par la presse d’extrême gauche. Je ne sais pas
si ces qualificatifs, gauche, ou extrême
gauche, ont conservé aujourd’hui un
sens. Mais
je ne crois pas que ce qu’il reste de la
gauche, de ses principes, voire de ses
illusions, puisse se retrouver dans un corps
électoral qui balance entre le Front National
et le nationalisme régional. Ou il faudra
qu’on m’explique...

18
novembre 2017 :
#balancetatruie

Il
y a sur la chaîne de télé M6 une émission, Nouvelle
Star, dans laquelle des inconnus dont
certains sont prometteurs viennent se produire
devant un jury de professionnels, une
chanteuse, Cœur de pirate, un chanteur,
Benjamin Biolay, un compositeur, Dany Synthé
(sans doute un pseudo) et une conseillère en
image, Nathalie Noennec. Cette semaine, donc,
un candidat porte un kilt. La conseillère en
image décide de faire son métier :
porte-t-il un slip sous son kilt ou est-il nu?
Ni une ni deux elle va vers le jeune homme et
procède à une vérification en lui passant la
main sur les fesses. Je précise que je n’étais
pas présent et que je raconte la scène à
partir d’articles de presse. Cela, bien sûr,
fait du bruit dans Landernau. Protestations
diverses sur twitter, lettres au CSA, etc.
De
deux choses l’une. Ou bien la conseillère en
image a décidé de donner à voir une image
forte, pour venger les femmes victimes
d’agression sexuelles (c’est sans doute ce
qu’elle dira, ou ce que diront ses avocats),
ou bien non. Et dans le cas, il faudra créer
une version masculine de la fameuse formule
féministe #balancetonporc : #balance
ta truie. Et pourquoi s'en tenir là,
d'ailleurs. Face à la pédophilie dans l'église
catholique les victimes pourraient lancer #balancetasoutane.
Il y a sans doute d'autres situations qui
justifieraient d'autres mots d'ordre du même
gente. Je laisse à votre imagination ou à
votre expérience le soin de les créer...

13
novembre 2017 : Si
les mots ont un sens...

Vous
vous souvenez sans doute de Raquel Garrido, la
porte-parole de Jean-Luc Mélenchon pendant la
campagne électorale, passionaria des Insoumis
qui, depuis la rentrée émarge chez Bolloré en
participant à l’émission Les terriens du
dimanche sur C8. Elle vient d’annoncer
qu’elle quittait la politique active et s’en
est expliquée hier dans le Journal du
dimanche. Selon ses dires, c’est le CSA
(Conseil Supérieur de l’Audiovisuel) qui l’a
obligée à prendre cette décision :
« Le CSA m’a placée devant un dilemme.
Soit renoncer à mon engagement politique
soit être décomptée France
insoumise (...) Le CSA a exigé un
retrait total de mes activités
politiques ». Le problème est que
le CSA dément formellement cette version.
Selon lui il s’agit d’un décision personnelle
de Garrido, explicable par le fait que la
société de production de l’émission avait
demandé si les chroniques de Garrido seraient
comptabilisées comme du temps de
parole politique. Et la réponse fut positive.
De
deux choses l’une, donc. Soit Raquel Garrido
est une grosse menteuse, soit, comme Jeanne
d’Arc, elle entend des voix. Ce qui est sûr,
si les mots ont un sens, c’est que le CSA n’a
rien exigé, mais que Garrido a décidé,
ou choisi, peut-être parce que ses
chroniques chez Bolloré lui rapportent plus
d’argent que ses activités politiques.
A
propos du sens des mots, Abdelkader Merah
interrogé par les juges à propos d’un jour où
il aurait menacé son frère d’un couteau, a
répondu : « Je
n’ai pas voulu le planter, je voulais juste
le tailler ». Et je reste admiratif
et ému devant cette sollicitude fraternelle.

9
novembre 2017 :
Lecture et écriture inclusive (suite)

Lecture
tout d'abord. La neuvième édition de mon Que
sais-je? sur La sociolinguistique, mise
à jour, vient de sortir, qu'on se le dise.
Quant
à l'écriture inclusive, la municipalité de
Fontenay-sous-Bois (front de gauche) vient de
décider, pour "s'engager pour l'égalité",
de l'utiliser dans son guide "à destination des
Fontenaysiens" écrit Libération. On
aurait pu attendre "à destination des
Fontenaysien.e.s", mais personne, même Libération,
n'est parfait. Sur le site de la mairie on
trouve d'ailleurs la liste des heures de
permanence des "élu-es de la majorité
municipale" et des "élu-es de
l'opposition", mais sous le titre général de "les
élus et leurs permanences". Ici encore,
personne n'est parfait.

6
novembre 2017 : A
voix haute

Les éditions Hatier ont récemment sorti un
manuel d’histoire
pour le CE2 utilisant ce qu’il est
convenu d’appeler l’ « écriture
inclusive », ce qui a lancé depuis deux
ou trois semaines un débat comme souvent en
France, enflammé, déchaîné et qui parfois
déraille. Il s’agit de savoir comment donner
(ou s’il faut donner) la même place aux genres
masculin et féminin dans l’écriture. Il y a
longtemps qu’on a travaillé sur la
féminisation des noms de métiers. En 1984
était mise en place
une commission présidée par Benoîte
Groult, qui avait mené à la publication d’une
directive en 1986. Puis, en 1999, un Guide
d’aide à la féminisation des noms de
métiers, titres, grades et fonctions,
préfacé par Lionel Jospin, avait vu le jour.
Et depuis lors les publications militantes ou
officielles se succèdent. Mais le débat qui
s’enflamme aujourd’hui est un peu
différent : comment inclure
les deux sexes dans la langue ? Il
y a par exemple en français des traducteur et
des traductrice c’est clair, audible. Mais
comment nommer une association ou un syndicat
regroupant des traducteurs et des
traductrices ? Association
des traducteurs et traductrices ? Association
de traducteurs/trices, ou des traducteur-rice-s ?
Et la même question se pose dans
l’accord du participe passé.
Cette
inclusion
fleurit dans les articles et surtout dans les
« opinions » publiées dans la
presse : les citoyen.ne.s, les
électeur-rice.s, etc.
et cela déclenche des oppositions
tranchées avec, comme d’habitude, une sorte de
jeu de rôles convenu. Pour simplifier, il y
aurait d’un côté l’Académie française,
immédiatement qualifiée de réactionnaire, et
de l’autre les défenseurs d’une justice ou
d’une place à rendre aux femmes, autoproclamés
progressistes. Et, comme les choses sont
parties, nous allons finir par en venir aux
poings (à propos de points !), ou bien
les passions se calmeront, le débat sera
enterré et nous parlerons d’autre choses,
alors que le problème posé n’est pas
négligeable.
Il est évident que dans cette question des
noms de métiers il y a plusieurs cas de
figure, et l’on me pardonnera de rappeler ces
évidences, voire ces trivialités. D’une part
soit la forme féminine existe
(chanteur/chanteuse, traducteur/traductrice,
etc.), et s’emploie régulièrement, soit
elle n’existe pas (médecin, secrétaire...).
D’autre part soit la forme féminine s’entend
(président/présidente) soit elle ne s’entend
pas (professeur/professeure, député/députée) .
Et, bien sûr, le problème est en partie réglé
par les articles (un/une secrétaire, le/la
secrétaire). Enfin la création d’une forme
féminine pose parfois problème : faut-il
appeler sans faire rire une femme conduisant
un bus par exemple une chauffeuse ?
La même question se pose bien sûr pour
l’accord du participe passé : on nous a
appris à l’école que le masculin l’emporte sur
le féminin. Il est vrai que cette supériorité
présumée ou abusive du masculin est récente,
elle remonte au 17ème siècle, et
qu’auparavant l’adjectif s’accordait avec le
nom le plus proche (les hommes et le femmes
concernées, les femmes et les hommes
concernés) ou avec la majorité (plus de femmes
que d’hommes ou l’inverse) et qu’on pourrait
revenir à l’un de ces usages. Mais qui
décidera ? Et faudrait-il imposer une
police de l’orthographe alors que la
plupart des enseignants ne pénalisent même
plus vraiment les élèves pour les fautes
d’accord du participe ?
En 1990, le Journal officiel publiait un texte intitulé Les rectifications de l’orthographe, précédé d’une
longue présentation de Maurice Druon,
alors secrétaire perpétuel de l’Académie
française et d’une réponse de Michel Rocard,
le premier ministre de l’époque. Ce dernier
était prudent, ou ambigu :
Il n’a jamais été question pour le
Gouvernement de légiférer en cette
matière : la langue appartient à ses
usagers, qui ne se font pas faute de prendre
chaque jour des libertés avec les normes
établies. Mais il appartient au
Gouvernement de faire ce qui relève de son
pouvoir pour favoriser l’usage qui paraît le
plus satisfaisant — en l’occurrence celui
que vous proposez.
Le
rapport portait sur différents points, l’accent
circonflexe, ou des formes comme éléphant ou
éléfant, nénufar ou nénuphar, trente et un ou
trente-et-un, chariot ou charriot, etc. Et il
n’était pas question d’en imposer l’une ou
l’autre : « la langue appartient à
ses usagers » disait Rocard, conseillé en
fait par un linguiste qui se trouve être l’un
de mes amis.
Pour tenter de dépassionner le débat,
jetons sur cette question un regard de
linguiste. La première question que je me pose
est celle de savoir si c’est par le lexique ou
par l’orthographe que l’on parviendra à
l’égalité homme-femme. Appeler présidente celle qui préside un groupe industriel est une chose,
une autre est de savoir si elle touche le même
salaire que les hommes. Et écrire salariés
ou salarié.e.s
est une chose, une autre est de savoir
si ils ou elles touchent le même salaire.
Cette question n’est pas vraiment
nouvelle. Déjà en 1978, dans la préface de son
livre Les
mots
et les femmes, Marina Yaguello se
demandait : « Suffit-il de supprimer
les mots racistes
ou sexistes pour supprimer les
mentalités sexistes ou racistes ? ».
Et, en bas de page, elle s’adressait aux «lecteurs
(trices)», alors que trois pages plus
haut, toujours en bas de page,
elle écrivait « le lecteur devra se reporter à la bibliographie.. ».
Contradiction ? Hésitation ?
Une autre question porte sur les liens
entre la graphie et la phonie. Aujourd’hui
les profs conseillent aux élèves, lorsqu’ils
ne savent pas choisir entre l’infinitif et le
participe passé pour un verbe du premier
groupe, de le remplacer par une verbe d’un
autre groupe. S’ils ne parviennent pas à
choisir entre cela me fait penser... et
cela me fait pensé... par exemple,
remplacer penser par rire les
tirera d’affaire. Mais cette petite anecdote
met en lumière une chose fondamentale :
l’écrit est une transcription de l’oral. Ce
que proposent les partisans (ou les
partisanes, ou les partisan.e.s) de l’écriture
inclusive inverse les rapports entre l’oral et
l’écrit. Comment l’oral traitera-t-il les
formes produites par l’écriture inclusive?
Dans le métier que j’ai exercé à
l’université, les hommes et les femmes de rang
égal et de même indice touchent le même
salaire. Or, si l’on peut écrire professeures
pour les unes et professeurs
pour les autres, cela ne s’entend pas.
Les étudiants, ou les étudiantes, ou les
étudiant.e.s parleront du prof, et de la prof,
mais il faudrait des acrobaties phonétiques
pour distinguer entre professeur
et professeure,
comme cet instituteur de Pagnol (Topaze),
dans ce passage par exemple où il faut
soupeser avec soin les didascalies :
« Des moutons...Des moutons...étaient en sûreté
dans un parc ; dans un parc (Il se
penche sur l'épaule de l'Elève et reprend). Des
moutons...moutonss (L'Elève le regarde
ahuri). Voyons, mon enfant, faites un
effort. Je dis moutonsse. Etaient (il
reprend avec finesse) étai-eunnt.
C'est-à-dire qu'il n'y avait pas qu'un
moutonne. Il y avait plusieurs
moutonsse ».
Caricature ?
Peut-être. Mais que serait une éventuelle
réforme dont une bonne partie ne concernerait
que l’écrit, n’existerait pas à l’oral ?
Faudrait-il, pour lire à voix haute un texte
comme les étudiant.e.s sont prié.e.s de
se présenter au.à la secrétaire inventer
des signes de la mains aussi stupides que
celui venus des USA qui indique quel'on met un
mot entre guillemets?
Je
sais qu’on dira, en catégorisant de façon
brutale comme souvent,
que cette écriture inclusive est
défendue par les femmes et critiquées par les
hommes, ce qui reste d'ailleurs à prouver. Les
choses ne sont pas aussi bêtes, ni aussi
superficielles. Et il semble peu productif de
déclarer une guerre du genre dans l’écriture.
Les langues ne sont pas congelées, elles
changent sans cessent, dans les pratiquent de
ceux qui les parlent. L’écriture suit, ou ne
suit pas. Mais la langue est d’abord parlée
et, dans la majorité des cas (je veux dire
dans la majorité des langues du monde) elle
n’est pas écrite. Pour celle qui s’écrivent,
est-il raisonnable de créer une forme
linguistique pour lecture silencieuse et une
autre pour la voix haute ?
De
tout cela il faudrait discuter calmement, sans
invectives et sans outrances. En parlant du
fond et non pas de la forme. En soupesant
toutes les conséquences possibles d’une
éventuelle réforme. Et, encore une fois,
sans instituer une police de
l’écriture qui serait le prodrome d’une police
de la pensée. Mais est-ce possible ?

3 novembre 2017 : Les mots et
les choses

J’ai eu cette semaine un long entretien
avec l’ancien patron des éditions Assimil (qui
est le fils du créateur et le père de l’actuel
directeur : Assimil est une entreprise
familiale) et il m’a, entre autres choses plus
intéressantes les unes que les autres, raconté
qu’ils ont été parfois menés à modifier un
dessin ou un passage dans l’une ou l’autre de
leur méthode. En gros, des histoires qui leur
paraissaient drôles sont devenues au fil du
temps plus du tout drôles, ou des dessins
qui se voulaient comiques ont paru
racistes. Le politiquement correct était passé
par là. Et j’ai pensé à Michel Foucault qui,
dans Les
mots et les choses, montrait
que les « conditions de
discours » sont historiques, qu’elles
évoluent. Ce que l’on peut dire, ce qu’on a le
droit de dire, change avec le temps et
caractérise une époque. Je me suis par exemple
souvent dit que Georges Brassens ne pourrait
pas débuter aujourd’hui, qu’il serait
immédiatement condamné pour homophobie,
misogynie ou attaqué par les militants de la
manif pour tous pour discrimination
d’une religion... Les « conditions de
discours » donc changent, pour le
meilleur ou pour le pire.
Deux évènements récents et très différents
en attestent. D’une
part, au Pérou, l’élection de la miss
nationale a dû en perturber plus d’un ou plus
d’une. Traditionnellement, les candidates vont
l’une après l’autre au micro et se présentent
au public et au jury, déclinant leur nom et
leurs mensurations. Cette habitude, qui peut
faire penser à une foire aux bestiaux, a été
cette année bouleversée. Toutes les candidates
ont effet déclaré, après leur nom :
« et
mes mensurations sont »... Sont
quoi ? Sont « 81% des auteurs
d’agressions sexuelles sur des jeunes filles
de moins de 5 ans sont proches de la famille »,sont
« une fillette meurt toutes les dix
minutes, victime de l’exploitation sexuelle »,
sont « 2202 féminicides en neuf ans
dans mon pays », etc. Il
s’agissait donc de mettre des mots sur les
choses, de dévoiler si je puis dire et, en
même temps, de renvoyer les déclarations
convenues et humiliantes au folklore. Je ne
sais pas si les miss du Pérou feront école,
mais le spectacle était réjouissant, même si
le verbe réjouir
n’est pas vraiment approprié. Disons
qu’elles ont secoué le cocotier, et que
c’était bien.
L’autre évènement s’est passé en France.
Le gouvernement Macron, autoproclamé
moderniste, a présenté en grande cérémonie son
plan pour l’université. A cette occasion on a
vu disparaître la notion de
« prérequis », c’est-à-dire, pour le
dictionnaire, « les conditions à remplir
pour entreprendre une action ou remplir une
fonction ». Plus de prérequis
donc, parce que le mot faisait
irrésistiblement penser à la sélection et que
les syndicats étudiants n’en voulaient pas. Et
on l’a remplacé par attendus.
Ce terme existe surtout dans le langage
juridique et désigne les éléments qui fondent
un jugement, justifient une décision. C’est
dire qu’il ne change pas grand chose à la
situation des bacheliers qui souhaitent entrer
à l’université. Jusqu’ici on voulait leur
imposer des prérequis
pour les y accepter, c’est-à-dire les
connaissances qu’on attendait d’eux,
dorénavant ils devront répondre à des attendus.
Cela change tout selon la ministre de
l’enseignement supérieur, cela ne change en
fait rien. On a juste ajouté une couche de
peinture (on proposera ou imposera à ceux qui
ne remplissent pas les prérequis
ou les attendus
des
cours de recyclage), mais on a surtout changé
un mot sans changer la chose. Les
« conditions de discours » chères à
Foucault sont ici déclinées à la mode de la
langue de bois.
Pour revenir à ce par quoi j’ai commencé,
la méthode Assimil, des auteurs facétieux en
avaient donné une parodie savoureuse, la Méthode
à Mimile, consacrée à l’argot.
Mais qui rédigera La
langue
de bois ans peine ?

30
octobre 2017 :Le
"bien" et le "vrai"

Dans un ouvrage récent (Le
danger sociologique, Paris, PUF, 2017)
Gérald Bronner et Etienne Géhin adressent à
certains disciples de Bourdieu une
critique un peu rude : selon eux ils
subordonneraient leur démarche scientifique à
leurs choix militants. Je n’entrerai pas dans
ce débat (mes compétences sont en la matière
limitées) mais voudrais poser le même type de
question à propos d’un thème
dont l’actualité est chaude.
Il existe sur
Internet une liste grâce à laquelle
les sociolinguistiques du monde
francophone échangent des
informations professionnelles: annonce de
colloques ou de publications, appel à
communications, etc. Mais, de temps en temps,
le réseau s’enflamme. Ainsi, à la fin de ce
mois d’octobre, un thème l’a subitement animé:
la façon dont une partie de la presse traite
ce qui se passe en Espagne et plus
particulièrement en Catalogne. Les choses sont
allé très vite. Le 24 octobre, un message
signalait, sans commentaire, un article du
quotidien Le
Monde, « Catalogne, les langues se
défient ». Le jour même, un autre message
s’étonnait « qu’un journal si prestigieux
adopte une direction si peu informée. C’est le
quota que Le
Monde doit payer au 15% du groupe
espagnol PRISA ? ». Le lendemain, un
autre message dénonçait le « parti-pris
de dénigrement non seulement des
indépendantistes (...) mais aussi des
catalanistes voire des Catalans en général, ce
qui frise parfois le ridicule. Le summum est
atteint dans l’article que vous citez où
l’auteure (par ignorance ?) ne dit rien
du catalan comme langue officielle (...)
Seulement voilà,
notre « journal de
référence » n’est plus ce qu’il était,
comme du reste El Pais, son confrère espagnol
du même groupe de presse qui ne cesse de
glisser sur la même pente d’oubli de la plus
élémentaire déontologie journalistique au nom
de l’intérêt supérieur de la Nation ».
J’arrête là les
citations mais tout cela donnait un peu
l’impression de taurillons s’excitant
subitement à la vue
d’un bout de chiffon rouge. Car on
trouve dans ces quelques extraits des traces
de théorie du complot (Le
Monde comme El
Pais seraient vendus, car membres du
même groupe de presse), des arguments
d’autorité (Le Monde est « peu informé », sous-entendu :
« nous, nous sommes bien
informés »), voire des accusations plus
graves (absence de déontologie, soumission à
« l’intérêt supérieur de la
Nation »), mais pas le moindre argument
politique ou scientifique. Et, du coup, le
message global semblait être : Le
Monde et El
Pais ont tort parce qu’ils ne pensent
pas comme nous. Il y a là, hélas, une tendance
assez répandue qui, de façon plus large, peut
se résumer ainsi : ce qui est bien
(aux yeux de notre idéologie, ou de nos choix
politiques ou militants), c’est-à-dire ce qui
nous conforte, est vrai.
Tendance qui est tout sauf scientifique et
risque de mener parfois un trucage des
données, ou à un aveuglement volontaire face à
ces données lorsqu’elles ne vont pas dans le
sens que nous souhaitons.
Mais là n’est
pas le problème. Je l’ai déjà écrit ici, la
Catalogne aura sans doute un jour un statut
d’autonomie plus large, peut-être son
indépendance. J’ai aussi écrit que je détestai
les hymnes, les drapeaux, les frontières, les
nations. Mon
avis n’engage que moi, mais nous pouvons
espérer que la démocratie réglera tout cela,
alors que je relate autre chose, un
emballement peu scientifique (je rappelle que
tout cela s’est exprimé sur une liste de
diffusion scientifique), déraisonnable,
et un déchaînement de dénonciations assez peu
sympathiques et s’apparentant à de la
délation.
Le hasard a
fait que dans le numéro du Monde
du 29 octobre le médiateur du journal,
qui ne semble pas avoir lu la liste dont je
viens de parler, répondait au courrier de
lecteurs reçu à propos de cette question.
« Depuis plusieurs semaines, vous êtes
très nombreux à nous écrire à propos de ce qui
se passe en Catalogne (...) soit pour exprimer
votre point de vue ou pour apporter un
éclairage historique original, soit pour nous
reprocher de ne pas partager votre
opinion ». Et il poursuivait :
« Pour certains d’entre vous, nous
serions des suppôts du pouvoir central
madrilène ; pour d’autres, au moins aussi
nombreux, nous aurions succombé à une forme de
sympathie coupable envers la cause
indépendantiste catalane ».
Ainsi le quotidien aurait reçu (je
n’ai pas les moyens de le vérifier) autant de
lettre l’accusant de favoriser Madrid que de
lettres l’accusant du contraire. Et les
« scientifiques » de la liste de
diffusion se classaient
donc dans l’un de ces groupes.
A chacun son
« bien » et à chacun son
« vrai ». Mais si la politique
devrait consister à rendre possible ce qui est
souhaitable, ce n’est pas vraiment le rôle de
la recherche scientifique.

23
octobre 2017 :
C'est écrit dans le journal

Pauline
Julien,
une chanteuse québécoise qui était chère à mon
cœur, avait écrit une chanson ironique,
C’est
marqué
su’l’journal, pour se moquer de cette
presse qui peut nous faire avaler n’importe
quoi, et de la crédulité de certains de ses
lecteurs.
Et l’expression courante en français,
«c’est vrai, puisque c’est écrit dans le
journal » , joue un peu la même
fonction. On croit ce que l’on lit, lorsqu’on
sait lire bien sûr.
A
propos, vous connaissez l’histoire du lion qui
s’était fait sodomiser par un singe ?
C’est un lion qui se promène dans la forêt et
voit un singe dans un arbre.
-Bonjour,
petit
singe, veux-tu venir jouer avec moi ?
-Non,
répond
le singe, je te connais, tu es un méchant
lion, tu as bouffé plusieurs de mes frères
singes.
Le
lion
nie, insiste, proteste de son innocence, au
point que le singe semble hésiter :
-« D’accord,
je
vais venir jouer avec toi, mais d’abord je
vais t’attacher la gueule et les
pattes. »
Le
lion
accepte, le singe prend des lianes, fait un
lasso et attrape la gueule du lion, qu’il
attache fermement, puis un autre lasso pour
attacher ses pattes, descend de son arbre et,
pour se venger des méchancetés passées du
lion, il le sodomise. Puis, conscient d’avoir
fait une grosse bêtise, il se sauve en
courant. Le lion, furieux, se débat, se libère
de ses liens, et part à sa poursuite. Le singe
court, court, ne sachant où se cacher, il
aperçoit un journal qui traînait par là, le
prend, le déplie et se cache derrière. Le lion
arrive, voit ce lecteur et lui demande :
-Vous
n’avez
pas vu un singe ?
-Quoi ?
Celui
qui a enculé un lion ?
Et
le
lion :
-C’est
déjà
dans le journal !
Mais
laissons
ce singe et ce lion et revenons à nos moutons.
je viens de trouver, ce n’est pas d’ailleurs
la première fois, une autre forme de crédulité
tout aussi intéressante. J’ai parfois entendu
des musulmans me dire que ce que racontaient
les linguistes était déjà dans le Coran ou
chez les premiers grammairiens arabes, que
Saussure n’avait rien inventé. Or, si j’en
crois la presse de ce matin, l ‘autorité
palestinienne manquerait de médicaments, en
particulier de contraceptifs. J’ai ainsi
appris que, dans la bande de Gaza, 53% des
femmes mariées prennent un contraceptifs et en
même tems, comme dirait Macron, qu’elles ont
en moyenne entre quatre et cinq enfants.
Ma première réaction a été que les Israéliens
sont bien bêtes. Eux qui craignent comme
Azraël (l’ange de la mort, chez moi, en
Tunisie, on l’appelle Azraïne) la croissance
démographique des Palestiniens, devraient les
inonder de contraceptifs, non ? Et puis
je me suis dit que de toute façon l’Islam
devait les interdire.
Et
bien
non, je me trompais. Le cheikh Omar Nofal,
« autorité religieuse et juridique
respecté de la bande de Gaza », aurait
déclaré : « C’est
autorisé si c’est choisi par le couple, le
Coran le dit ». Alors, si le Coran
le dit ! Mais, même si
j’avoue ne pas être très compétent en
la matière, je ne suis pas persuadé que la
contraception était à l’époque ce qu’elle est
aujourd’hui. Donc le Coran a non seulement
autorisé la contraception (à condition que le
mari soit d’accord, il ne faut pas exagérer le
libéralisme en laissant les femmes libres de
choisir seules), mais il avait prévu la
contraception moderne. Ceci dit, j’aime bien
apprendre, découvrir,
je suis ouvert. Alors, si quelqu’un
peut me signaler la sourate dans laquelle
apparaît cette prévision et cette
autorisation, je me précipiterai sur elle. Et,
bien sûr, je la publierai dans un journal.

20
octobre 2017 : La
sardine et la baleine

Non,
ce n'est pas une fable de La Fontaine, du
genre "la sardine ayant nagé tout
l'été..." C'est une histoire vraie, ou plutôt
deux histoires vraies.
Chaque
fois
que l’on veut illustrer les galéjades
marseillaises, on lance la même formule :
« la
sardine qui a bouché le port de Marseille »,
ce qui apparaît bien sûr comme une bonne
blague. En fait tout cela est simplement une
affaire de sourde et de sonore diraient les
phonéticiens, un D ayant remplacé un T. En
1779 une frégate portant le nom d’Antoine de
Sartine, ministre de la marine de Louis XVI,
s’écrasa contre des rochers
puis coula dans le goulet d’entrée du
vieux port. Il fallut utiliser des treuils et
batailler quelques jours pour le dégager. Les
Marseillais, certes, galèjent volontiers, mais
c’est la Sartine et non pas une sardine qui
avait bouché le port. Et d’ailleurs, si
quelque chose devait le boucher aujourd’hui,
ce serait plutôt, suite aux grèves à rallonge
des employés de la voirie, les tonnes
d’ordures qui parsèment les trottoirs de la
ville.
Et
pourtant !
Avant-hier, une baleine est entré dans le
vieux port. Enfin pas vraiment une baleine
mais un rorqual, un jeune rorqual qui mesurait
quand même de 10 à 15 mètres de long. Entré le
nez vers l’avant, enfin le rostre vers
l’avant, il était incapable de se retourner
pour se diriger vers le large, coincé contre
le quai au pied du Pharo. Il a fallu
l’intervention de plongeurs des marins
pompiers et un canon à eau pour rediriger
l’animal dans le bon sens.
Du
rorqual
à la baleine il n’y a qu’un pas, ou un brasse.
Peut-être dans quelques dizaines d’années
racontera-t-on l’histoire du bas de laine qui
a bouché le port de Marseille.
15
octobre 2017 : La
faute aux antibiotiques

Oui,
je
sais, je vous avais dit que je serais au
Brésil. Mais une bronchite carabinée m’a
empêché de prendre l’avion. Du coup, bourré
d’antibiotiques, j’ai pu assister hier soir à
la causerie d’Emanuel Macron. Causerie, c’est bien le mot car le président a parlé, parlé, même
s’il a précisé d’entrée de jeu qu’il ne
voulait pas de «de présidence bavarde »,
ce pourquoi il ne rencontrait pas souvent la
presse, qu’il voulait garder la
solennité » de sa fonction. Il a pourtant
donné l’impression de bavarder, à un tel
rythme que les trois journalistes venus
l’interroger avaient parfois du mal à placer
un mot. Interrogé sur son vocabulaire bien
éloigné de la solennité qu’il
invoquait (fainéants, cyniques, gens de peu,
mettre le bordel) il a répondu, sans
doute conseillé par je ne sais quel linguiste
un peu démodé, en
termes de « registres » et de
« contexte »: fainéants, cyniques,
sont pour lui d’un registre élevé, « le
mot bordel c’est du registre populaire, comme
dit l’Académie française », « les
gens de peu : on sort le texte du
contexte », et d’ailleurs
« nos élites politiques se sont
habitués à ne plus dire les choses ».
Lui
il
dit des choses, beaucoup, trop, les répète
plusieurs fois de suite, longuement. Des
choses ou plutôt des mots qu’il enchaîne comme
une tricoteuse championne du monde de vitesse
(cela doit exister, le championnat du monde de
vitesse des tricoteuse, non ?). Pujadas
lui demande à plusieurs reprises des réponse
rapides, des réponses plus courtes, des
réponses en quelques mot, en vain. J’étais un
peu abruti par les médicaments et cela m’a
peut-être empêché de percevoir les subtilités
de son discours. Je n’ai donc perçu qu’un type
lisse, un peu fade et surtout bavard, au
milieu d’un décor dont la caméra léchait
certains détails, des livres en pile (avec un
Malraux bien visible), une tapisserie
d'Alechinsky, un galet tricolore. Mais le
président était sans doute très bien, et si je
ne l’ai pas compris c’est la faute aux
antibiotiques.
11
octobre 2017 : Docimologie

Le
numéro
du 11 octobre
de Charlie
Hebdo à, en couverture, un dessin
représentant trois homme cagoulés, armés de
kalachnikovs, assis derrière une table dont la
nappe est ornée de l’emblème corse, une tête
de maure. Et l’un d’eux
dit : « nous
exigeons un débat ». Au dessus, en
titre : Les Catalans plus cons que les Corses. Cela pose une question à
laquelle je n’ai pas le temps de tenter de
répondre : je pars travailler au Brésil
et ne reprendrai la plume (enfin, le clavier)
que d’ici dix jours. Alors je vous laisse un
devoir de vacances. Répondez à la questions Les
Catalans sont-ils plus cons que les Corses.
Et, en question subsidiaire : Les Espagnols sont-ils plus cons que les deux précédents ?
Cela
pose,
bien sûr, quelques problèmes théoriques :
comment mesurer la connerie ? Vous
exposerez donc votre méthodologie.
Et
pour
les ignorants qui ne savent pas ce qu’est la
docimologie (du grec dokimé,
« épreuve » et logos,
« discours ») : c’est la science de
l’évaluation en pédagogie, ou si vous préférez
la science de la façon dont on note les
examens. Vous avez le droit de consulter les
travaux d’Henri Piéron, mais je ne suis pas
sûr que cela vous aidera beaucoup dans votre
tâche.
9
octobre 2017 : Islamo-gauchisme,
racisé, fachosphère...

Sonia Nour
(pourquoi ne pas la nommer, son nom est
désormais partout), qui travaille à la mairie
de La Courneuve, a mis lundi dernier sur
Facebook, après l’assassinat de deux
jeunes-filles à la gare de Marseille, le texte
suivant :
« Quand
un martyr égorge une femme et poignarde une
autre là ça fait du bruit. Terrorisme, du
sang, civilisation Bla Bla Bl... Par contre
que le terrorisme patriarcal nous tue tous
les deux jours on l’entend moins votre
grande gueule ».
Immédiatement, le
maire (PCF) l’a suspendue. Et des membres de
l’UNEF (S. Nour était membre du bureau de ce
syndicat étudiant en 2010) ont protesté,
expliquant que l’intéressée faisait « un
lien utile et nécessaire entre classe, race
et genre » tandis que d’autres
reprochaient au maire d’avoir agi « sous
la
pression de la fachosphère » ou
expliquaient que « la
violence de la charge contre Sonia Nour
tient principalement au fait qu’elle est
racisée ».
Martyr, fachosphère,
racisée, nous entrons dans une
constellation sémantique qui mérite qu’on
prenne quelques minutes pour y réfléchir.
Jean-Luc Mélenchon vient de démissionner d’une
commission parlementaire sur la
Nouvelle-Calédonie, parce qu’il ne supportait
pas que le président en soit Manuel Valls,
selon lui « personnage extrêmement clivant » (Mélenchon, lui, n’est pas
clivant) ayant « une
proximité avec les thèses ethnicistes de
l’extrême droite ». Valls répond
vertement, dénonçant un discours « ignoble
et outrancier », ce à quoi
Mélenchon réplique que « la
bande à Valls est totalement intégrée à la
fachosphère et à sa propagande ». Ajoutons pour compléter le tableau que Valls avait, il n’y a
guère, qualifié le discours des députés de la
France insoumise d’ « islamo-gauchiste ».
Et notre constellation sémantique
s’enrichit : après martyr, fachosphère, racisée
donc, voici arriver ethniciste
et
islamo-gauchiste...
Ce
n’est
peut-être pas par hasard que dans ces
créations lexicales apparaissent à la fois
l’UNEF et la France insoumise. J’ai un
attachement très personnel à l’UNEF, j’en
étais vice-président à l’information en
1964-1965 et depuis lors j’ai toujours suivi
son évolution avec intérêt. En 1965 le
syndicat avait 100.000 adhérents, chiffre qui
est tombé à 2.000 à la fin des années 1960.
L’organisation, exsangue, est alors une proie
facile pour l’Union des Etudiants Communistes
et le PSU qui tentent de prendre le contrôle
de ses dépouilles. Le syndicat explose en
1970, puis se réunifie en 2001. Il avait
29.000 adhérents en 2005, 20.000 aujourd’hui,
et se trouve dans la même situation qu’en
1970 : on tente de récupérer cette
structure moribonde. Après l’UEC, le PSU puis
le PS (Benoît Hamon était alors à la manœuvre), il semble
que ce soit aujourd’hui le tour de la France
insoumise. Cet été, huit membres de la
direction de l’UNEF en ont été exclus: ils
étaient tous membres de LFI, et soupçonnés de
vouloir noyauter le syndicat. Or
l’organisation étudiante est traversée par des
débats intenses, en particulier à propos de la
laïcité. On y organise par exemple des
réunions « non
mixtes
racisées » (tiens ! Revoilà le
racisé), c’est-à-dire des
réunions
d’hommes ou de femmes, mais pas les deux,
Africains et Maghrébins : les blancs ou
les blanches en sont exclus. On croit rêver,
mais cette longue parenthèse sur l’UNEF nous
ramène à ce qui se passe aujourd’hui.
Que
LFI
tente de prendre le pouvoir à l’UNEF ne serait
pas étonnant : il s’agit d’un technique
trotskiste classique. Mais le thème de la race
et de la religion pose en ce moment problème
au sein de l’extrême gauche. Et ce n’est pas
par hasard si des membres de l’UNEF se sont
portés au secours de S. Nour. Elle utilise
dans son texte un mot, martyr,
qui est tout sauf innocent, correspondant à
l’arabe chahid désignant aujourd’hui pour les islamistes celui qui meurt
pour la religion. Pour certains en effet,
l’islam doit être analysé comme une victime.
Le Parti des Indigènes de la République par
exemple, qui veut « décoloniser
la république » et défendre « les
Noirs, les Arabes et les musulmans ».
Or une députée de LFI, Danièle Obono, s’est
récemment illustrée en répondant à un
journaliste qui lui parlait d’un chauffeur de
bus musulman refusant de prendre le volant
après une femme que cela n’avait rien à voir
avec la religion ou la radicalisation mais
n’était qu’un signe de machisme. Des Indigènes
de la République à la France insoumise en
passant par une partie de l’UNEF apparaît
ainsi comme un fil rouge, au bout du compte
opposé à la laïcité: la volonté de dédouaner
l'islam. Je pourrais multiplier les exemples
de cette gêne, à l’extrême gauche, mais elle
peut se ramener à un grand principe : ce
qui se passe dans les attentats, les
massacres, n’a rien à voir avec l’islam.
Et la constellation sémantique qui en découle, martyr,
islamophobie,
racisé, fachosphère d’un
côté, islamo-gauchiste,
ethniciste
de l’autre, en témoigne bien. Le Parti des
Indigènes de la République continuera très
certainement sur la même voie, mais Mélenchon
pour sa part se tait (comme il continue à se
taire sur le Venezuela) : il laisse
parler l’inénarrable Corbières. Entre
aveuglement ou opportunisme et réalisme, il
lui faudra pourtant bien trancher un jour.
3
octobre 2017 : Jeu
à somme négative

Un jour ou l’autre, la
Catalogne aura une forme d’indépendance, à ses
risques et périls. Après tout, le droit des
peuples à l’autodétermination est un principe
acquis et, sur le fond, il n’y a pas de débat.
Sur la forme, en revanche...
Au Québec comme en Ecosse des
référendums ont été organisés sans que cela
suscite le moindre problème. Dans les deux
cas, le résultat fut négatif. Et dans les deux
cas aussi la consultation avait été organisée
dans le cadre de la loi du Canada ou de la
Grande Bretagne, un peu comme la France a
procédé en Nouvelle Calédonie. La Catalogne,
ou plutôt certains de ses dirigeants, ont
procédé à l’inverse. Dès le début Madrid a
annoncé que si la Catalogne organisait de son
propre chef un référendum, elle se mettait
dans l’illégalité, ce qui est sans doute
juridiquement vrai. Dès lors, Barcelone a
répliqué qu’il serait de toute façon organisé.
Comme des petites frappes de cour de
récréation, le premier ministre Rajoy et le
président de la Generalitat Puigdemont ont
haussé le ton, montrant leurs muscles et
faisant dans l’hystérie. A des lieues de la
politique, ils ont joué aux petites machos, ou
aux roitelets.
Pour ma part je déteste les
frontières, les drapeaux, les hymnes. C’est
vous dire que les arguments des uns et des
autres me laissent froid.
Dans la théorie des jeux et
de la décision, on distingue entre les jeux à
somme nulle et les jeux à sommes positive.
Dans le premier cas, la somme que les uns
perdent est la même que celle perdue par les
autres, comme la somme d’argent sur un tapis
de poker : l’un des joueur ramasse ce que
les autres ont perdu. Dans le second cas, tout
le monde gagne, mais pas la même chose, bien
sûr. Si Madrid et Barcelone jouaient aux dés,
ils y aurait un vainqueur et un vaincu. S’ils
discutaient ils pourraient tous deux sauver la
face (on dit en Chine qu’il faut toujours
« laisser une face » à l’ennemi) et
parvenir à une solution raisonnable. Ils sont
en fait en train d’inventer un autre cas de
figure : un jeu à somme négative, dans
lequel tout le monde perdrait. Enfin, pas tout
à fait, car un troisième larron pourrait tirer
les marrons du feu : le nationalisme. On
a vu ce que cela a donné dans
l’ex-Yougoslavie.
1er
octobre 2017 : régime
alimentaire

Il y a quelques mois je
dînais, à Paris, chez des amis journalistes
et, en arrivant, nous trouvâmes trois autres
invités. Des Américains. C’était peu de temps
après l’élection de Trump et, tout au long de
l’apéritif et durant les hors d’œuvres,
la conversation porta sur la politique. Arriva
le plat principal, un rôti ou un gigot, je ne
sais plus, et en cœur
ou presque ils lancèrent : « sorry,
we are vegetarian ». Vous imaginez la
tête de la maîtresse de maison, obligée
d’improviser en hâte pour eux un plat de
remplacement... Avec ma compagne, sur le
chemin du retour, nous nous dîmes qu’ils
étaient soit inconscient soit impolis :
comment accepter une invitation sans préciser
une telle chose ?
Ce matin, j’écoutais sur
France Inter une émission que j’aime bien, On
va
déguster, qui porte sur la cuisine et
dans laquelle je trouve parfois des recettes
intéressantes. Cette fois-ci l’émission
portait sur la cuisine végétarienne. Enfin,
pas tout à fait car ils distinguaient entre
végétariens, végétaliens et véganes. Vous
connaissez les différences entre ces trois
catégories ? Si non, vous n’êtes pas
venus pour rien. Les végétariens ne consomment
aucune chair animale, ni viande ni poisson.
Les végétaliens, pour leur part, refusent en
outre les fruits de mer, la gélatine, la
pressure, le miel, les œufs... Comme quoi la simple
alternance entre un l et un r change bien des
chose. Cela me fait penser à une blague que
l’on racontait lorsque Clinton était président
des Etas Unis. Lors d’un voyage officiel dans
un pays peu démocratique et dont la langue
confondait le l et l e r, sa femme, Hillary,
d’humeur provocatrice, demanda au chef
d’état : « When did you have your
last election ? » Et il répondit
« This morning ». Mais restons
sérieux. Quant aux véganes, ils ne consomment ni viandes
ni poissons ni produits laitiers ni œufs ni miel mais excluent aussi
les produits issus des animaux (cuir,
fourrure, laine, soie, cire d’abeille, etc.).
Je croyais être au bout de
mon apprentissage, mais non. Le journaliste
qui présente l’émission ajouta qu’il y avait
un débat chez les véganes à propos des
truffes. Les truffes ? Oui, les truffes.
En effet, les véganes sont antispécistes, ils
sont contre la domination d’une espèce par une
autre, en particulier contre la domination ou
l’utilisation de l’espèce animale par l’espèce
humaine. Qu’est-ce que cela a à voir avec les
truffes ? Et bien, si, pour chercher des
truffes on utilise un cochon ou un chien
truffier, les véganes sont contre la
consommation de ces truffes. Je sais, cela
s’apparente à la sodomisation de diptères
brachycères... Mais, en même temps, cela m’a
posé un grave problème. Imaginons que j’adhère
à la légitime idéologie végane, et que je
décide dorénavant de ne consommer que des
légumes et des fruits. Je serai alors
confronté à un dilemme. Les arbres fruitiers
ne sont pas, en effet, auto-fertiles, et la
production de fruits nécessite une
pollinisation croisée (le pollen d’une fleur
doit être déposée sur les stigmates d’une
autre fleur), ce transport étant assuré soit
par le vent soit par des abeilles. Donc, si je
suis dans l’impossibilité de savoir si les
fruits qui se trouvent dans mon assiette
doivent leur existence au vent ou à une
abeille, je m’abstiendrai d’un consommer. Me
restent donc les légumes. Mais alors il me
faut savoir si le labour des champs dans
lesquels ils sont produits est effectué à
l’aide d’une charrue ou d’un tracteur. Dans le
premier cas, si la charrue est tirée par une
vache, mon antispécisme m’interdira leur
consommation. Et dans le second cas, le
tracteur fonctionnant à l’essence ou au
mazout, produits polluants comme on sait, mon
véganisme entrera en conflit en conflit avec
mon écologisme. Allez, je vais me faire
griller une côte de bœuf.
Mais nous vivons vraiment une
époque moderne.
21 septembre 2017 : Rétro

Le cinéma vit à l’heure du biopic,
comme on dit en globish pour biographie
ou film
biographique. Un Gauguin vient de
sortir, après un Van Gogh naguère, et des
dizaines d’autres, consacrés à Piaf ou La
Fontaine en 2007, Sagan, Coluche, Chanel et Mesrine en 2008, Gainsbourg ou Camus en 2009, Louise Michel
ou Carlos
en 2010, Claude François en 2012, un
cheval (Jappeloup) et Camille Claudel en 2013,
Yves Saint Laurent deux fois en 2014, Pierre
Brossolette en 20015, Chocolat, Dalila, Django
Reinhardt et
Cézanne en 20016, pour nous en tenir aux
années récentes à quelques sujets français.
Deux films qui viennent de
sortir, Le
Redoutable et Barbara
changent cependant un peu la donne. Il
ne s’agit pas d’une continuité, de la
naissance à la mort d’un individu, mais d’un
effet de zoom sur un moment limité d’une vie,
dans le cas de Godard, ou d’une mise en abyme
d’un film en train de se faire dans le film,
pour Barbara. Du coup, nous sommes presque
dans l’anti-biopic. Le
Redoutable peut en laisser certains sur
leur faim mais, pour quelqu’un de ma
génération, il évoque des manifs auxquelles il
a participé ou des amphis de la Sorbonne
bondés qu’il a connus. Il y a Godard, bien
sûr, le Godard mao (enfin, « le plus con
des Suisse pro chinois» comme on disait
alors), un Godard extrémiste et influençable à
la fois, un peu autiste, fermé sur lui-même,
bref un homme dans une tempête historique et
personnelle. Quant à Barbara,
il en va un peu de même : on ne la
raconte pas, on la donne à voir, « en
vrai » par le biais d’images d’archives
et « en faux » lorsqu’une actrice
qui doit la jouer s’y prépare et, là aussi,
les gens de ma génération retrouvent des échos
d’une Barbara qu’ils ont découverte au début
des années 1960, à l’Ecluse
(un des rares cabarets disposant d’un
piano : ailleurs on s’accompagnait à la
guitare), puis suivie, de disque en disque, de
spectacle en spectacle. Encore une fois, donc,
non pas un biopic mais un zoom légèrement
pointilliste.
Reste cependant une
question : biopic ou pas, anti ou faux
biopic, ce cinéma s’attache tout de même à des
moments du passé, à des personnages ou à des
œuvres qui ont marqué notre histoire récente,
les chansons de Piaf, Cloclo ou Barbara, les
vêtements de Saint-Laurent, la guitare de
Django, les romans de Sagan, etc.
De quoi un cinéma qui regarde ainsi
dans le rétroviseur, est-il le signe ?
Nostalgie ? Volonté de rattraper des
bribes de mémoires ? De réveiller ou de
titiller le dortoir de notre mémoire ?
Un qui n’arrête pas de
regarder derrière, c’est Mélenchon, qui ne se
console pas de son échec à l’élection
présidentielle. Son porte-parole, Alexis
Corbières, a trouvé une façon originale de
présenter les choses : Macron, dit-il,
n’a aucune légitimité, il n’a recueilli que
18% des voix des électeurs inscrits.
C’est bien sûr une façon de compter
comme une autre, à deux petits détails près.
D’une part, il s’agit du résultat du premier
tour (en comptant de la même façon Macron a
obtenu au second tour un peu plus de 43% des
inscrits). D’autre part, Corbières devrait
rappeler que Mélenchon, lui, n’a alors
recueilli que 14% des voix. Mais les
rétroviseurs sont parfois déformants.
Une autre façon, elle-aussi
récente, de regarder dans le rétroviseur,
touche au politiquement correct. Après les
évènements
aux USA, à Charlottesville, qui ont
en particulier vu l’émergence d’une volonté de
supprimer partout les statues du général Lee,
certains réclament que l’on fasse disparaître
de l’espace public français
les traces de l’esclavage. Ainsi une
pétition récente réclame que l’on débaptise
les lycées
Colbert, parce que ce ministre de Louis
XIV est
le fondateur de la Compagnie des Indes
occidentales et l’initiateur du Code noir.
Mais pourquoi s’arrêter à Colbert ?
Bonaparte a rétabli l’esclavage en mai 1802 et
il y a partout en France des lycées, des rues,
des places qui portent son nom. Et faut-il
d’ailleurs ne lui reprocher que ce
rétablissement? Il a fait tuer des milliers de
Français dans ses campagnes et fait massacrer
d’autres milliers d’Européens. Supprimons donc
Bonaparte de l’espace public, qui déborde en
effet de noms propres qui sont souvent bien
sales. Une grande entreprise de nettoyage
s’impose, qui impliquerait que des commissions
examinent, cas par cas, tous ces noms et
décident ou pas de les oblitérer !
Voltaire, qui dans son Traité
de métaphysique défendait la
supériorité de l’homme blanc, y survivrait-il?
Je n’en sais rien, mais ces commissions en
décideraient. Et Céline, faudrait-il
l’interdire dans toutes les bibliothèques et
l’oublier dans les cours de littérature ?
Et Jules Ferry, qui théorisa la
colonisation ? Et Thiers, le massacreur
de la Commune de Paris ? Et, pourquoi
pas, Saint Michel, ce massacreur de
dragons ? Je rigole ? Oui, je
m’amuse en partie. Mais le communautarisme est
en train de faire en France des ravages.
L’esclavage, faut-il le rappeler, a été une
chose horrible. Et regarder dans le
rétroviseur est une démarche fondamentale.
Mais analyser ce qu’on y voit relève du
travail des historiens, non pas dans un esprit
revanchard mais dans une volonté de mise en
perspective, d’analyse. Plutôt que de
supprimer les lycées Colbert, Ferry, Bonaparte
ou Thiers (laissons de côté Saint-Michel
pour cette fois), ne faut-il pas mieux
expliquer aux élèves qui ils furent et ce
qu’ils firent?
Vouloir faire disparaître certains
noms des édifices publics, n’est-ce pas
oblitérer une partie de l’histoire ?
N’est-ce pas se masquer les yeux plutôt que de
faire la lumière sur le passé ? Et
n’est-il pas plus efficace de rendre aux
Noirs, puisque c’est le CRIN (conseil
représentatif des associations noires) qui
appelle à débaptiser les lycées et collèges
Colbert, de leur rendre donc leur place dans
l’histoire de France ?
Je sais, ce débat est
complexe, mais je crois préférable de
l’aborder de front et de regarder notre passé
en face plutôt que de se donner bonne
conscience en barbouillant ses traces sur des
plaques de rues ou des frontons de lycées.
Allez, pour terminer avec le
sourire et quitter le rétro pour l’immédiate
actualité, Macron a déclaré hier à New York,
devant un public de Français : « j’ai
décidé qu’en novembre prochain nous sortirons
de l’état de droit...euh, de l’état
d’urgence ».
6 septembre 2017 : L'entrisme
et la Nadine Morano de la France insoumise

Raquel Garrido, porte parole de la France insoumise et avocate de
Jean-Luc Mélenchon, vient de prendre un
curieux virage à 180 degrés : elle
travaille désormais comme chroniqueuse (à
partir du samedi 9) dans l’émission
« Salut les terriens », c’est-à-dire
qu’elle travaille pour Bolloré, l’une des
têtes de turc de la France insoumise. A ce
titre elle a été accréditée à la conférence de
presse du Premier ministre le 31 août, alors
qu’elle n’est pas journaliste. Dans la
profession on s’étonne ou on fulmine :
que faisait-elle là ? Certains avancent
l’hypothèse qu’il s’agit d’un coup monté par
Matignon pour décrédibiliser la
profession : si n’importe qui peut poser
une question dans une conférence de presse,
alors les compétences des journalistes sont
rabaissées...
Ce qui est sûr, c’est que Raquel Garrido n’a jamais vraiment fait
dans l’information. Pendant la campagne
présidentielle, elle s’est surtout illustrée
par son usage continu de la langue de bois et,
le soir du premier tour elle a nié jusqu’au
bout (enfin, disons le plus tard possible)
l’élimination de Mélenchon. Hier soir, invitée
sur la 5, elle s’est lancée dans un discours
fumeux pour défendre, encore une fois, le
Venezuela, agressant Patrick Cohen, donnant
des leçons "d'impartialité". Depuis des mois
elle me fait furieusement penser à Nadine
Morano: l’une est blonde l’autre brune, l’une
est bien à droite l’autre d’extrême gauche,
mais toutes deux ont été porte-parole (l’une
du RPR l’autre de la France insoumise) et
toutes deux sont prêtes à utiliser n’importe
quel argument pour défendre leur chef ou leur
ex-chef (Sarkozy pour l’une, Mélenchon pour
l’autre) et leur ligne politique. La France
insoumise a donc trouvé sa Nadine Morano.
Mais que fait-elle chez Bolloré ?
Nous entrons là dans un autre débat. Le trotskisme français,
longtemps divisé en deux grandes tendances, le
pablisme et le lambertisme (la tendance de
Mélenchon mais aussi, naguère, de Lionel
Jospin, de Jean-Christophe Cambadélis
ou des frères Assouline), a toujours
pratiqué l’entrisme,
cherchant à noyauter des partis (le PCF, Le
PS, en particulier par le biais de leurs
organisations de jeunesse) ou des syndicats
pour y faire progresser ses idées. Certains
l’ont faire de façon clandestine, d’autres
ouvertement. Or, même si aucun commentateur
politique ne semble l’avoir souligné, du moins
à ma connaissance, j’ai l’impression que la
France insoumise est en train de réussir ce
que les petits mouvements trotskistes ont
toujours raté. Lutte Ouvrière et la Ligue
Communiste (reconvertie en Nouveau Parti
Anticapitaliste), malgré le talent d’Arlette
Laguiller ou d’Olivier Besancenot, n’ont
jamais réussi à fait un score à deux chiffres
dans les élections. Mélenchon oui. Et je crois
que l’entrisme est l’un des éléments
explicatifs de sa statégie.
Mais de là à noyauter la télévision de Bolloré ! La Nadine
Morano d’extrême gauche se fait peut-être
beaucoup d’illusions.
3 septembre 2017 : Empapaouter

En général propre sur lui, lisse et l’air un peu niais, le
premier ministre s’est pourtant lâché
aujourd’hui dans le Journal du dimanche. Interrogé sur le fait de savoir s’il était mal
préparé lors de son interview par Jean-Jacques
Bourdin (souvenez-vous, « j’suis un gars
sérieux », voir mon billet du 28 août) il
a répondu : « Je connais tellement
de gens, en politique, qui font semblant de
savoir et qui vous empapaoutent... Moi pas. Je
ne connais pas tous les chiffres par cœur, je ne suis
pas Wikipedia ». Donc, contrairement à
« tellement de gens, en politique »
et à Wikipedia, le premier ministre ne nous
empapaoute pas. Du moins à ce qu’il dit. Mais
sait-il ce qu’il dit ?
Dans l’ouvrage récent le plus sérieux consacré à la « langue
verte », Dictionnaire
de
l’argot (1990),
Jean-Paul Colin glose le verbe empapaouter
par « sodomiser » et pour empapaouté
il écrit :
« n.m. Syn. Enculé ». Pour
l’étymologie, cependant, il ne se mouille pas,
reprenant une vieille explication (1924) de L.
Tailhade citée par Jacques Cellard et Alain
Rey dans leur Dictionnaire
du français non conventionnel (1980).
Après avoir traduit le verbe par
« sodomiser, dans une relation
homosexuelle », ils donnaient comme
étymologie « formation
plaisante, à partir sans doute de empaffer,
avec une
pseudo filiation évoquant une peuplade
imaginaire (cf. aller se faire voir chez
les...) » Mais Alain Rey, dans son
Dictionnaire historique de la langue française (1992), ignorait ou
évitait le terme.
Remontons un peu dans le temps. En 1967, dans son Dictionnaire
des injures, Robert Edouard écrivait
« va te faire empapaouter ! Va te
faire voir chez les Grecs, de préférence au
mois d’août (sans doute parce que, selon
certains vacanciers, ils ont à ce moment de
l’année les yeux plus gros que le
ventre) » . Pour Lazare Sainéean (Le
langage parisien au XIX° siècle, 1920)
empapaouter signifiait « ennuyer »
mais il citait pourtant le Père Peinard qui le
3 janvier 1892 écrivait « en parlant des
pédérastes » : « A Chalons
ousqu’on pratique l’empapaoutage
grande largeur ». Emile Chautard, La
vie étrange de l’argot (1931) écrivait
pour sa part « empapaouter (se faire),
subir le coït anal ». Géo sandry et
Marcel Carrère (commissaire de police à la
sureté nationale) écrivaient
quant à eux dans leur Dictionnaire
de l’argot moderne (1953)« Empapaouter,
acte
de pédérastie ». Bref, selon les époques,
on tourne autour du pot (si j’ose dire, tiens,
une autre fois je vous conterai l’histoire de
l’expression avoir du pot, du bol, du fion, du
cul...) pour un des termes argotiques qui a le
plus de synonymes : daufer, empaffer,
encaldosser, enculer, endauffer, englander,
pointer, troncher...
Donc, qu’on se le dise, le premier ministre ne veut pas nous
enculer. Mais pourquoi ne le dit-il pas de
façon plus simple ? Serait-ce parce ce
qu’il connaît aussi mal le vocabulaire
argotique que les chiffres ?
29 août 2017 : Réforme
ou transformation?

La semaine dernière, en Roumanie, le président Macron lançait que
« les Français détestent les
réformes », et il enfonçait le
clou : « dès qu’on peut éviter les
réformes, on le fait ». Problème :
depuis le début de sa campagne puis de son
quinquennat il ne parle que de réformes :
réforme des retraites, réforme du code du
travail, etc. Dès lors il se mettait lui même
dans un piège sémantique : comment lancer
des réformes alors que les Français les
détestent ? En allant contre leurs
désirs, leurs goûts, leurs dilections, leurs
envies ?
La solution est venue de je ne sais quel communiquant et le
premier ministre a déclaré hier que «le pays a
besoin de transformation et les français le
savent ». Les autres membres du
gouvernement ont enchaîné très vite et l’on
n’entend plus désormais parler que de transformations.
On perçoit tout de suite l’aspect orwellien de
ce changement de pied : il ne s’agit pas
de changer ce que l’on va faire mais de
changer la façon de nommer ce que l’on va
faire.
Or il y a peut-être une autre solution. En observant les formes
verbales dont elles découlent, réformer
et transformer,
on se rend compte que réforme
et transformation sont étymologiquement bien proches. Du latin forma,
dont le sens premier était « moule »
(d’où en français la fourme,
moule à fromage puis fromage moulé),
transformer
(du
latin tranformare)
signifie « changer une chose en une
autre », ou « aller au-delà de la
forme » tandis que réformer
(du latin reformare)
signifie « revenir en arrière,
redonner la forme initiale », puis au
sens figuré « améliorer ». On voit
que la différence est légère, mais que
cependant réforme a une petite
connotation passéiste (la Réforme des
Protestants était après tout la volonté de
revenir aux sources du christianisme) tandis
que transformation
a d’étranges relents, allant du transformisme,
l’art de changer rapidement de costume, à l’illusionnisme.
Dans les deux cas, les termes sont mal
choisis. Le réformisme a pourtant un sens politique, entre révolution et
conservatisme, mais les Français, nous dit
Macron, n’aime pas les réformes, et le transformisme est polysémique. Mais l’union des deux pourrait être
une solution : revenir en arrière
(réformer) pour changer les choses
(transformer). La seule question est alors de
décider dans quel ordre il conviendrait de
mettre ces termes. Et, pour rester dans la
stylistique de Macron, de choisir entre
« réformer et en même temps
transformer » ou « transformer et en
même temps réformer ».

28 août 2017 : Pédagogie

Des membres de la majorité, face à l’aspect un peu secoué de la
rentrée, déclarent qu’il leur faut faire
« plus de pédagogie ». Effectivement, à l’écoute du
discours des politiques, les pédagogues
s’arrachent les cheveux. Ainsi le Premier
ministre vient-il de déclarer à la radio que
« 30%
des
Français bénéficieront en 2O18 de la
suppression de la taxe d’habitation » en
2018 alors qu’en fait 80% des foyers
bénéficieront d’une baisse de 30% de cette
taxe. Que voulez-vous que fasse un prof de
maths si ses élèves lui rapportent ces
propos ? Le même Premier ministre,
décidément en verve, a continué en disant
qu’il irait vérifier ses chiffres à la pause
(la coupure publicitaire) et a tenu à préciser
pour justifier son incapacité à
répondre : « j’suis
un
gars sérieux ». Imaginez que
tous les examinateurs de tous les oraux de
tous les examens se trouvent devant des
candidats qui tous leur disent : « j’suis
un gars sérieux, laissez-moi sortir cinq
minutes pour pouvoir vous répondre plus
précisément ». Une génération de
jeunes branleurs invoquant l’exemple du
premier ministre pour justifier leur besoin
d’aller consulter leurs pompes, bref pour
tricher, cela marque mal ...
Et s’il n’y avait que le premier ministre (je n’ai toujours pas
retenu son nom, désolé, Edouard quelque chose
je crois, et n’étant pas un gars sérieux je
n’irai pas chercher sur Internet). Prenez le
Président, oui, Macron. Il n’a cessé de
pratiquer une curieuse formule, « X,
et en même temps Y », « à
droite et, en même temps, à gauche ».
Vous imaginez le désespoir des moniteurs
d’auto-école dont les élèves mettront le
clignotant « à gauche, et en même temps, à droite », ou tourneront « à
gauche, et en même temps, à droite »?
Le
même Président a déclaré qu’il serait
jupitérien. Comment les profs d’histoire
vont-ils pouvoir expliquer que le dieu des
dieux, bien à l’aise là-haut, au dessus des
nuages, puisse connaître une telle chute dans
les sondages ?
Continuons. Samedi, à Marseille, la France insoumise organisait un débat sur le thème « Faut-il
dégager les média ? » Selon la
presse, la foule aurait répondu en hurlant
« ouiiiiii ! » Vous imaginez la gueule de Mélenchon sir la
foule avait hurlé « Ouiii
et en même temps noooon ! »
Et que vont faire les profs de lettres face à la valse des
sigles, ISF (impôt sur la fortune) venant
d’être remplacé par IFI (impôt sur la fortune
immobilière) ? Comment expliquer que
l’Etat fait un cadeau de 3 milliards aux
riches en ne taxant plus leur fortune
financière sans faire de la politique, alors
que leur rôle est d’enseigner la
grammaire ?
Bref, ils ont bien raison, les membres de la majorité, de vouloir
faire de la pédagogie. Faute de quoi La
France en marche risquerait de devenir
La
France en marche et en même temps à l’arrêt.
Encore faudrait-il qu’ils sachent
l’étymologie de ce terme : « mener
les l’enfants », le pédagogue étant
l’esclave qui menait les enfants à l’école. Et
si les enfants ne voulaient pas se laisser
mener ?

26 août 2017 : Changer
de pays

Selon un diction bambara, quand on met un crapaud dans une
calebasse, il dit « nous avons changé de
pays ». Traduisons : un crapaud ne
voit pas plus loin que le bout de son nez, il
est certes dans une calebasse, mais toujours
dans le même pays. Pourtant, on change parfois
de pays sans le quitter. Je viens de passer
quatre jours à Angers, et moi qui suis
familier d’au moins trois villes en France,
Paris, Aix et Marseille (les autres, aux
quatre coins du monde, n’ont rien à faire
ici), j’avais l’impression d’être dans un
autre pays.
Première impression, le silence : on ne klaxonne pas. Les
voitures se déplacent tranquillement, sans
agressivité. On m’avait dit un jour que la
meilleure définition de la nanoseconde était,
lorsque vous êtes arrêtés à un feu rouge à
Marseille, le temps qui s’écoule entre le
moment où le feu passe au vert et le moment où
la voiture qui est derrière vous se met à
klaxonner furieusement. A Angers, rien de
cela. En outre, lorsqu’un piéton met le pied
sur la chaussée, les voitures s’arrêtent pour
le laisser traverser. Tel le crapaud, je me
croyais dans un autre pays.
On continue ? Cette ville tranquille, qui vous fait
comprendre ce qu’est « la douceur
angevine » chère à du Bellay (il est vrai
qu’il l’opposait à « l’air marin »)
est, en outre, étonnamment
propre. Et là encore, Marseille est
loin du podium, tout comme Paris d’ailleurs
Mais, bien sûr, on ne peut pas gagner tout le temps. Ainsi, dans
un bistro, je m’assieds et demande ce qu’ils
ont comme pastis. La réponse aurait surpris un
Aixois ou un Marseillais : « du
pastis normal et du Ricard ». Du pastis
normal, qu’es aquo ? D’un
certain point de vue, le crapaud avait raison.

18 août 2017 : "Développement
durable de lapin"

Dans les années 1970 et 1980 j’ai été à la fois enseignant à la
Sorbonne et journaliste. C’est à cette époque
que j’ai découvert le boulet que pouvez être
le courrier des lecteurs. Que fait-on d’une
lettre que vous envoie quelqu’un qui vous a lu
et vous fait savoir qu’il est en total
désaccord avec ce que vous avez écrit, ou
qu’au contraire il approuve, ou encore qu’il
en sait plus que vous sur le sujet et veut
vous éclairer de ses lumières ? On la
jette ? On y répond ? On la
publie ? Peu à peu, je me suis interrogé
sur le profil psychologique des auteurs de ces
lettres de lecteurs, me demandant s’ils
voulaient que leur nom apparaisse dans les
colonnes de leur journal, pensant ainsi être
reconnus, avoir un petit moment de
célébrité... Et puis le courrier des lecteurs
a pratiquement disparu des organes de presse.
Mais il a été remplacé de deux façons
différence, l’une invisible et l’autre
audible.
La première, que personne ne voit (sauf, bien sûr, les
destinataires) passe par Internet. Les
journalistes de presse écrite et
audio-visuelle reçoivent des dizaines de mails
auxquels ils répondent ou pas et qu’ils
utilisent parfois dans leur travail. Là aussi,
les egos s’expriment : il ne s’agit plus
de voir sa prose publiée mais de se croire
entendu, écouté. Je connais ainsi une personne
qui envoie régulièrement à la station de radio
France
Inter des mails de protestation contre
telle ou telle émission, tel ou tel
journaliste ou chroniqueur. Cette personne,
politiquement engagée, syndicaliste, m’a un
jour fièrement annoncée qu’elle avait exprimé
dans un mail à cette radio sa détestation du
chroniqueur culinaire
Jean-Pierre Coffe et avait réclamé
qu’on le vire. Etrangement, elle n’a guère
apprécié que je compare cette activité
épistolaire à de la délation, et que le rôle
d’un syndicaliste n’était peut-être pas de
faire virer les gens mais plutôt de défendre
l’emploi...
Les tweets sont aujourd’hui une autre
façon de chercher à se faire connaître,
entendre et peut-être citer, bouleversant les
frontières entre différents modes
d’expression. Ils sont écrits mais certains
sont cités à la radio ou la télévision, ils ne
passent pas seulement d’un émetteur à un
récepteur mais ont un aspect réticulaire, et
nous n’en finirions pas d’étudier ces réseaux
qui sont aujourd’hui la variante moderne du
« se faire connaître ».
L’autre façon, audible celle-là, de chercher à se
se faire connaître a été créée par
les radios elles-mêmes. Il s’agit de toute ces
émissions dans lesquelles les auditeurs
peuvent téléphoner, poser une question ou
donner leur avis. Elles pullulent et toutes
utilisent le même système de filtrage :
un standard téléphonique où l’on demande aux
gens de quoi ils veulent parler, ce qu’ils
veulent dire, et où l’on décide de les passer
ou non à l’antenne. Le système a immédiatement
produit son piratage : il suffit de
mentir au standard et, une fois à l’antenne,
de dire toute autre chose que ce qu’on a
annoncé. J’ai il y a quelques jours entendu
une variante intéressante de ces intrusions,
qui est à l’origine de ce billet. Sur France
Inter, quelques minutes avant la fin de
l’émission, une voix se présente : un
homme déclarant travailler à la montagne, dans
l’agriculture, et voir ainsi les choses de
haut, ou quelque chose du même genre.
Immédiatement cette voix me frappe.
Le ton de ce type, sa diction, montrent qu’il
est fier de lui, qu’il s’écoute parler, et je
me dis qu’il ne veut pas poser de question, il
veut parler. A un moment, il semble jouer le
jeu, déclare qu’il veut parler du
« développement durable de lapin »,
rit tout seul, répète « développement
durable de lapin », précise que c’est un
jeu de mots, et poursuit une sorte de diarrhée
verbale que le journaliste n’arrive pas à
endiguer. D’ailleurs l’heure a tourné et l’on
passe au journal. Première conclusion,
l’auditeur n’a posé aucune question. Seconde
conclusion : il ne voulait pas poser de
question, il voulait se faire entendre. Et je
l’imagine ayant enregistré ce bref passage à
l’antenne pour le faire ensuite écouter à ses
amis, ses enfants, plus tard ses petits
enfants, fier de son « développement
durable de lapin ». Mieux encore,
j’imagine qu’à tout hasard il a prévenu ses
amis : « Ecoutez la radio, entre
huit et neuf, vous allez peut-être m’entendre.
On passerait ainsi du
vouloir « se faire connaître » au
vouloir « se faire reconnaître »,
faire entendre et reconnaître sa voix par des
gens qui, bien sûr, la connaissent déjà,
condition nécessaire pour qu’il la
reconnaissent. Combien de millions de gens
rêvent-ils ainsi de sortir de leur anonymat,
juste une minute au deux, serait-ce au prix
d’une stupidité du genre « développement
durable de lapin » ?
Nous vivons une
époque moderne.

12 août 2017 : Idéologies
centrifuges

Selon l’OPEP, le Venezuela est le pays qui a le plus de
« réserves conventionnelles » de
pétrole, devant l’Arabie saoudite et l’Iran,
selon la CIA, il serait le deuxième, après
l’Arabie saoudite, du point de vue des
« réserves prouvées ». Dans les deux
cas, il aurait entre 20 et 30% des réserves
mondiales, ce qui le place sur un sacré
matelas de dollars. Pourtant, il suffit de
lire la presse pour voir que la situation y
est catastrophique. Laissons de côté (la
presse en fait ses choux blancs) la crise
politique et la violence qui déchire le pays.
Depuis la mort de Chavez (2013), l’inflation
est passé d’un peu plus de 30% à 720% par an.
Une économie exclusivement fondée sur le
pétrole (95% des exportations) a subi le choc
de la baisse des cours, la croissance est
négative, le manque de médicaments cruel, et
la pénurie alimentaire endémique. En revanche
les effectifs de l’armée ont été doublés...
Bref le pouvoir en place a mis le Venezuela
dans une situation dramatique et réagit aux
protestations diverses avec la plus grande
violence.
Libération consacre aujourd’hui six pages à ce pays, dont deux aux problèmes
d’une partie de l’extrême gauche, en
particulier la « France insoumise »,
face à ce qui s’y passe. Mélenchon, qui il y a
encore quelques mois proposait que la France
adhère à l’« Alliance bolivarienne »
(créée par Cuba et le Venezuela) se tait (il
est parti en vacances), laissant la parole aux
autres. Et on ne peut pas dire que leurs avis
soient très clairs. Ils sont d’accord sur un
point, qui relève de la langue de bois la plus
dure : « nous sommes soumis à une
désinformations et ce sont les USA qui tirent
les ficelles ». Argument facile et
attendu, pas nécessairement faux, mais qui
n’enlève rien à la réalité des faits. L’ennui,
c’est qu’ensuite leurs arguments sont d’une
attristante pauvreté. Eric Coquerel ne veut
pas « renier un régime de gauche en
disant qu’il a sombré dans la
dictature », Clémentine Autain explique
qu’on « attend de nous une dégitimation
totale de Maduro, de Chavez, et derrière cela,
de toutes les expériences sociale en Amérique
du Sud »,
bref ils ont le plus grand mal à
prendre leurs distances, à analyser la
situation, se cachent les yeux et récitent
leurs éléments de langage.
Mais j’ai le sentiment que ces casseroles vénézuéliennes
accrochées aux basque de Mélenchon ne sont que
des détails. Plus important me paraît le fait
que l’extrême gauche française patauge depuis
des dizaines d’années dans une idéologie
centrifuge qui, plutôt que d’analyser la
situation du pays et de proposer une politique
en réponse, cherche ses modèles ailleurs. On
se souvient du « bilan globalement
positif » de l’URSS selon Georges
Marchais, des étudiants marxistes-léninistes
faisant l’apologie de la Chine, et du
socialisme tropical de Cuba qui faisait rêver
certains d’entre nous. C’est dans le droit fil
de cette idéologie centrifuge que s’est situé
Mélenchon, se réclamant successivement de la
Grèce de
Syrisa, de l’Espagne de Podemos puis du
Venezuela de Chavez. De ce point de vue, il
faisait à la fois preuve de suivisme et d’une
absence totale de créativité. Il ne parlait
pas vraiment à ses partisans enfiévrés de la
France, mais de modèles qu’il voulait importer
d’ailleurs : pas de théorie ou de
solutions endogènes mais le regard tourné vers
d’autres horizons qui, pour ceux que je viens
de nommer, se sont révélés décevants pour les
deux premiers et meurtrier pour le troisième.
Dès lors, prendre ses distance avec le
Venezuela, le critiquer ou le condamner, ce
serait renier des années de discours,
reconnaître qu’on a eu tort. Mais voilà,
Mélenchon ne peut pas avoir eu tort.
Dès lors, face à Maduro qui, au Venezuela, a choisi la fuite en
avant policière, Mélenchon choisit
l’aveuglement volontaire. Et la "France
insoumise" se soumet.

4 août 2017 : Corbettes
et fatiha

Le 31
août débutera l’Aïd el kebir (grande fête),
fête du mouton ou fête du sacrifice.
Et on annonce qu’un million 200.000 moutons
seront sacrifiés. « Pauvres bêtes »
fait dire Lotfi, le dessinateur du quotidien
tunisien La
Presse, à son personnage. Le lendemain
le même personnage réagira à l’annonce du
transfert de Neymar au PSG (300 millions
d’euros disait-on) ainsi : « De quoi
payer tous nos fonctionnaires pendant deux
mois ». La Tunisie, rit, se moque. Mais
on vient d’y voter une loi punissant les
violences faites aux femmes, on y enquête sur
les réseaux ayant servi à envoyer des jeunes
Tunisiens en Syrie et, là encore, on rit. Un
exemple, que me raconte un étudiant. Deux
tunisiens arrivent dans un camp de DAECH.
« Comment t’appelles-tu » demande un
responsable au premier. « Je m’appelle
Youssouf ». « Tu peux me réciter la
sourate de Youssouf ? ». L’homme
déclare ne pas la connaître, et on le décapite
aussitôt. « Et toi, comment
t’appelles-tu ? » demande le
responsable au second . « Je
m’appelle Fatiha ». Explication : la
sourate de Youssouf est longue de 12 verset,
tandis que la fatiha
(« l’ouverture »), première sourate
du Qoran, que tous les musulmans connaissent
(c’est d’ailleurs souvent la seule qu’ils
connaissent) n’en a qu’un. Le même étudiant me
dit qu’on a inventé un mot, corbettes,
pour désigner les femmes en niqab. Ces
niqabées que l'on voit de plus en plus se
baigner dans leur armure. Corbette, un beau
néologisme puisque corbeau n'a pas, à ma
connaissance, de féminin en français. Sait-il
qu’en France, il y a un siècle, on imitait le
coassement des corbeaux au passage
d’ecclésiastiques ou de nonnes ? Rien de
nouveau sous le soleil...
Bref, je
viens de passer huit ou neuf jours dans mon
pays natal, dont une grande partie chez des
amis, dans une villa au bord de la mer, isolée
au bout d’une piste de deux kilomètres (je ne
vous dirai pas l’endroit, il faut le
préserver). Soleil, mer, et divers plats qui
me sont autant de madeleines de Proust. Des
vacances, donc, comme souvent lorsque je
reviens au pays, mais aussi des petites scènes
sur lesquelles je m’amuse à faire de la
sociologie de l’ordinaire. Ainsi, au marché de
Bizerte, je choisis des fruits, hésite, le
vieux marchand me laisse faire et soudain son
fils s’adresse à moi en anglais pour me vanter
ses produits. Je lui réponds en arabe :
pourquoi me parles-tu anglais ? Il
s’excuse, je lui explique, toujours en arabe,
que je suis né ici. Il me demande si je suis
italien. Je lui réponds non, je suis français.
Tu es né en 1956 ? Je lui réponds non, en
42, et le temps qu’il calcule mentalement mon
âge je me demande : pourquoi 56 ? Et
je comprends, ou crois comprendre : 1956
est la date de l’indépendance de la Tunisie et
pour lui, ou dans le roman national dont il
est l’héritier, les Français ne pouvaient pas
parler arabe, ils s’en foutaient comme de l’an
quarante. Pour qu’un Français parle arabe, il
fallait donc qu’il soit né après
l’indépendance...
Tout
cela, je sais, n’a guère d’importance, et ce
que je raconte est bien léger. Mais l’émotion
n’a pas nécessairement besoin de grands mots
pour s’exprimer. Tenez, un dernier exemple.
Au départ de Tunis, l’avion dans lequel
je suis prend un cap inhabituel et je me rends
soudain compte qu’il survole Bizerte, cette
ville dans laquelle je suis né, où j’ai vécu
dix-huit ans et où je retourne très
régulièrement. Le temps est très clair, je
vois nettement le brise-lames, les deux
jetées, la rue dans laquelle j’habitais, la
corniche, le coin où je viens de passer
quelques jours, le canal et, à son extrémité,
le lac de Bizerte dont je connais l’existence
depuis plus de 70 ans, dont j’ai parfois longé
les rives, mais dont je n’avais jamais
vraiment compris la superficie, la géographie.
C’est la première fois que je le vois du ciel,
que je perçois son immensité... La conscience
géographique n’est pas la même lorsqu’on est
en avion ou lorsqu’on a les pieds sur terre.
Allez, la
prochaine fois, j’essaierai de vous parler de
choses plus sérieuses

17 juillet 2017 : Tout
fout le camp

Il y a à
à Marseille, en pleine ville, une sorte de
petit port très méditerranéen (on pourrait
tout aussi bien se croire en Crète ou en
Sicile), situé sous la corniche Kennedy, avec
un quartier de petites rues étroites, des
cabanons de pêcheurs et, bien sûr, des bateaux
de pêche, des « pointus ». Cela
s’appelle le vallon
des
Auffes, ce mot venant de la forme
provençale de l’alfa, plante à partir de laquelle on fabrique des filets de pêche et
des cordages. On y trouve aussi quelques
restaurants. L’un d’eux, L’Epuisette,
est hors concourt, s’apparentant à un
gastronomique. Le deuxième, Fonfon, est également réputé, en particulier pour la bouillabaisse.
Et le troisième, Chez
Jeannot, fait surtout des pizzas et des
fruits de mer. Mais tout ce paragraphe aurait
pu, devrait plutôt être écrit à
l’imparfait : il y avait... on y trouvait...
Je n’y
étais pas allé depuis trois ou quatre ans et
j’ai découvert cette semaine un sacré
changement. J’avais réservé une table Chez
Jeannot, pensant y manger des fruits de
mer variés. Première surprise, les locaux sont
rénovés, nappes blanches, genre plus stylé.
Deuxième surprise, il n’y a pratiquement plus
de fruits de mer : pizzas et viandes. Et,
après enquête, troisième surprise :
Jeannot n’est plus chez Jeannot. En fait, le
restaurant qui était le plus populaire (au
sens économique et social) du vallon a été
racheté, après la mort de Fonfon, par l’un de
ses héritiers, qui a aussi ouvert une sorte de
bar à tapas, Viaghji
di
Fonfon, et en même temps offre quelques
chambres ou studios à louer. Ajoutons à cela
que les pointus des pêcheurs sont en train de
devenir minoritaires, le petit port étant
envahi par les hors-bords des bobos.
Bref, L’Epuisette
mise à part, la plus grande partie du
vallon des Auffes, deux restaus, un bar, un
peu d’hôtellerie, est devenue une seule
entreprise. Cela s’appelle de la
concentration, de l’invasion capitaliste, ou
la qatarisation d’un
quartier populaire. Jean-Claude Izzo n’y
retrouverait pas son Marseille. Tout fout le
camp.

12 juillet 2017 : Exotisme

A
force de parcourir le monde, de la Chine au
Maghreb, du Brésil au Congo, du Sénégal au
Qatar, les différences s’émoussent un peu,
l’étonnement s’estompe. Disons de façon un peu
bête que l’idée d’exotisme perd de son
sens : on se sent partout chez soi, sans
surprise... Et puis, parfois, on se dit que
l’exotisme se trouve tout près, de l’autre
côté de la porte ou du boulevard, en face. Et
je viens d’avoir cette impression en passant
quatre jours en Allemagne. Dans une Allemagne
un peu spéciale, à vrai dire, à Frankfort sur
Oder, à la frontière avec la Pologne. Un
simple pont sépare l’Allemagne de la ville
polonaise de Slubice, un pont que les
Allemands traversent souvent, pour aller faire
le plein d’essence, acheter de l’alcool ou des
cigarettes. Ici, dans les magasins, les
restaurants, tout le monde parle allemand,
anglais aussi, commerce oblige. En revanche,
côté allemand, on ne parle guère
polonais : rapport de force.
Pendant
ces
quatre jours j’ai fait une petite escapade à
Potsdam, pour visiter le parc et le château du
Sans-Souci. En déambulant, je tombe sur une
rue Friedrich Engels. Tiens ! C’est vrai
qu’ici comme à Frankfurt/Oder, nous sommes
dans l’ex DDR. Et à Frankfurt il y a une
avenue Karl Marx, coupée par une rue Rosa
Luxemburg. Rien n’a été débaptisé. Il est vrai
que la municipalité est tenue par Die Linke.
Et on a l’impression que Frankfurt ou Potsdam
sont à Berlin ou Bonn ce qu’en France
les municipalités communistes, avec
leurs avenues Maurice Thorez, sont à Paris.
A
l’intersection entre l’avenue Marx et la rue
Luxembourg donc, en regardant vers le pont
qui, à 400 mètres, mène en Pologne, on voit un
M rouge, géant, le symbole d’une célèbre
marque américaine de néfaste food. Et le tout
constitue comme une forêt de signes. Bref,
même si l’impérialisme alimentaire US domine,
la DDR n’est s’est pas entièrement diluée dans
le libéralisme. Une différence,
peut-être : les gens peuvent enfin penser
librement. Une autre encore : à
Frankfurt, il y a beaucoup d’immeubles en
ruine qu’on n’a pas reconstruit, ce qui n’est
pas le cas à Berlin. Et une dernière
différence : l’allemand qu’on y parle
n’est pas vraiment le même que dans l’ex
Allemagne de l’Ouest. Mais je connais trop mal
cette langue pour en parler.
Le dernier jour, je prends le train pour rejoindre l’aéroport de
Berlin. A
la gare de
Frankfurt sur Oder on trouve tous les
journaux allemands, un quotidien turc (Hurriyet),
Le Monde
diplomatique et l’édition allemande de
Charlie
Hebdo. Mais, même en cherchant bien, je
n’ai vu aucun journal polonais. J’achète donc
le Monde diplo que je
lirai dans l’avion, et je tombe sur un article
très documenté, « la langue sans nom des
Balkans ». Je connais cette situation
depuis longtemps, une langue qui avait deux
noms, serbo-croate ou croato-serbe, deux
alphabets, le latin ou le cyrillique, et des
variantes que quelques mots différenciant.
Disons que l’ex-Yougoslavie disposait d’une
langue commune, que l’éclatement du pays a
fait éclater. Aujourd’hui chacun veut avoir sa
langue, le serbe, le croate, le bosniaque...
Tout le monde se comprend mais chacun veut
insister sur les différences. Bon, je ne vais
pas vous faire un cours sur les langues
polycentriques ou sur les rapports entre
langue et nationalisme, mais ce qui est
intéressant dans l’article en question, c’est
la référence à une déclaration récente
d’intellectuels réclamant que l’on revienne à
la langue commune qui, disent-ils, n’a plus de
nom. Ainsi le linguiste serbe Ranko Bugarski
dit-il « chez
nous ce sont les variantes qui portent un
nom tandis que l’entité globale, qui n’a
plus de statut, a perdu son nom officiel ».
Et, bien sûr, des Croates protestent dans ce
qu’ils voient comme une « agression contre la langue croate qui prépare une autre agression »
(ça,
c’est l’archevêque de Zagreb, Josip Bozanic).
Et,
d’un coup, nous revenons vers une situation
dont on voit partout l’équivalent. Qu’il
s’agisse de l’ourdou et de l’hindi, du
provençal, du gascon ou du languedocien face à
la volonté de tout appeler occitan, etc.
Décidément,
l’exotisme
se fait rare.

1er juillet 2017 : A
l'école, Le Maire !

En
octobre 2016, Macron déclarait à
l’hebdomadaire Challenges qu’il serait un président « jupitérien »,
voulant bien sûr s’opposer au « président
normal » qu’avait voulu être Hollande. En
gros, Hollande aurait désacralisé la fonction,
Macron voulait la re-sacraliser. Depuis lors,
la formule a fait florès, tout le monde
l’utilise. Mais certains pourrait s’en
abstenir.
Ainsi,
jeudi dernier, à New York, le ministre de
l’économie, Bruno Le Maire, a fait une étrange
déclaration, en anglais. La voici, que je
transcris à partir d’une vidéo :
« Emmanuel
Macro is Jupier. I’m Hermes, the Messenger.
The messenger who conveys the message, A
very clear, a very simple message :
France is back »
Donc,
selon Le Maire, le président n’est pas
seulement, « jupitérien », il est
Jupiter, le dieu qui, dans la mythologie
latine romaine, gouvernait la terre et le
ciel. Ciel ! (c’est le cas de le
dire). Nous avons un dieu pour
président ! Et Le Maire est Hermès, son
messager. On hésite à qualifier notre
ministre. Lèche-cul ou prétentieux ?
Lèche-cul parce qu’il déifie Macron ou
prétentieux parce qu’il se déifie
lui-même ?
L’ennui
c’est que Le Maire fait dans l’approximation.
En effet, si Jupiter est un dieu romain, alors
son messager n’est pas Hermès mais Mercure. Et
il n’est pas indifférent
de noter que ce nom vient d’une racine latine
qui signifie « commerce »,
« salaire » . Ainsi Le Maire ne
serait pas seulement lèche-cul et prétentieux,
il serait en outre mercanti. Et il semble
aussi avoir oublié l’étymologie de ministre :
minister, dérivé de minus,
s’oppose à magister
comme serviteur
à maître. A l’école, Le
Maire !

28 juin 2017 : Prix

Le mot prix
a la particularité de s’écrire de la même
façon au singulier et au pluriel, ce qui donne
à mon titre un aspect ambivalent qui m’arrange
bien : je voudrais en effet vous parler
d’un prix et de plusieurs. Le prix (au
singulier), c’est celui que l’Académie
française vient de m’attribuer, le prix
Georges Dumézil (il s’agit d’une médaille
d’argent), pour mon livre La
Méditerranée,
mer de nos langues. Je suis, bien sûr,
plutôt content, d’autant plus que c’est le
second prix que cet ouvrage me rapporte.
En fait,
l’Académie française a annoncé le même jour
soixante-trois prix (au pluriel, donc), ce qui
relativise l’importance du mien : un
parmi soixante-deux autres. Et,
parmi ces soixante-deux autres prix, il en est
certains dont je suis content d’être le
voisin. Le grand prix de la francophonie donné
à l’écrivain guinéen Tierno Monénembo, la
médaille de la francophonie au Libanais
François Boustani et surtout celle de la
chanson française à Gérard Manset. Vous
connaissez Manset ? Je l’ai entendu pour
la première fois en 1968.Grâce à une grève de
la radio, sa première chanson, Animal
on est mal, avait pris possession des
ondes: un choc!. Puis ce fut Il voyage en solitaire, Solitude des latitudes, Marin bar et
beaucoup d’autres. Manset a la particularité
de ne s’être jamais produit sur scène, ce qui
lui serait d’ailleurs difficile puisqu’en
studio c’est lui qui joue de tous les
instruments. Autre particularité : on ne
connaît pratiquement aucune photo de lui.
J’avais un jour suggéré à mon ami Daniel
Colling, le fondateur des Zéniths, d’intriguer
pour le faire monter sur ses scènes. Mais il
s’agissait sans doute d’une mission
impossible. Alors, si jamais il venait à
l’Académie retirer son prix, je serais content
de le voir enfin, de pouvoir lui parler. Il a
le temps de se préparer, cela aura lieu le 30
novembre. Mais, là encore, il s’agit peut-être
d’un souhait impossible.

26 juin 201 : Environnement
sonore

Je
travaille depuis longtemps sur ce que
j’appelle l’ environnement graphique, ce qui s’affiche dans nos sociétés, sur les
murs, les enseignes, les véhicules, etc. On y
lit le bilinguisme ou le plurilinguisme, on y
trouve des jeux de mots, des références
culturelles, bref la société y parle
d’elle-même, et elle est bavarde...
Mais je
n’avais pas songé à l’ environnement
sonore. Et pourtant ! Dès le matin,
quand j’ouvre mon ordinateur, un jingle
retentit, qu’on n’entend que sur les Mac
Intosh. Puis j’ouvre la radio et, avant les
infos, j’entends un autre jingle qui connote
sans conteste France Inter. En même temps ou
presque le clocher de l’église sonne l’heure
ou la demi-heure et, le soir, le journal à la
télévision
s’ouvre sur le jingle d’Antenne 2. Je ne cite
que quelques exemples, mais nous sommes
environnés de sons, du matin au soir, des sons
qui connote la société dans laquelle nous
vivons, des sons qui ne sont pas toujours les
mêmes en France, en Tunisie, à Hong Kong ou à
New York. Ainsi, il y a quelques années,
j’avais été frappé en attendant un train dans
une gare de New York, Grand
central, par le fait que les annonces
des départs et des arrivées étaient rappées.
Vendredi
j’étais à Avignon, invité par le « cercle
des dircoms » à présenter une conférence
avec trois autres personnes. Parmi elles,
Laurent Cochini, directeur général de l’agence
«sixième son ». Et j’avoue que j’ai été
scotché. Cette agence, dont le slogan est
« donner du son à votre image »,
crée des jingles justement. Elle a pour
clients des marques aussi célèbres que
Renault, Castorama, Roland-Garros, Michelin,
Peugeot, EDF, Coca Cola, Paris Aéroport, la
RATP, et bien d’autres encore, parmi
lesquelles la SNCF. Si vous vivez en France,
ou y êtes passés, vous ne pouvez pas ne pas
avoir entendu ces quatre notes qui précèdent
toutes les annonces, dans les gares, dans les
publicités ou au téléphone. A l’oreille, cela
donne do
sol la bémol mi bémol, mais j’hésite sur
la quatrième note, le
mi bémol,
que je ne parviens à réaliser ni sur mon piano
ni sur ma guitare et qui me paraît relever du
quart de ton. L’ensemble dure trois secondes,
chanté quelque chose comme tou ta la la. Ce jingle a d’ailleurs frappé l’oreille de David
Guilmour, le guitariste de Pink Floyd qui,
l’ayant entendu en gare d’Aix-en-Provence, a
décidé d’en faire une chanson qui devrait
sortir à la rentrée. Mais il faudrait analyser
de plus près ces trois secondes, car elles ont
visiblement (je sais, le terme est mal choisi,
mais audiblement n’est pas très français) été
travaillées en studio, avec de
l’écho, ou de la réverbération, peut-être des
techniques plus sophistiquées. Il y a là comme
une sculpture du son, qui mériterait d’être
étudiée de plus près. Et, plus largement, l’ environnement sonore pourrait être le sujet de plusieurs thèses de
musicologie, ou de sociologie de la musique,
ou encore de la sociologie des sons, que
sais-je. Avis aux amateurs, je les lirai avec
plaisir.
22 juin 2017 : "Tais-toi
Marseille"

Hier, une
fois n’est pas coutume, je suis allé à
Marseille pour la fête de la musique. Depuis
quelques années j’avais pris l’habitude de la
passer à Paris, dans le Marais, entre la
Bastille, la Place des Vosges, la rue Saint
Antoine, où divers groupes ou solistes se
produisaient. On n’avait que l’embarras du
choix, rock, chanson française, rap, airs
d’opéra, etc. Hier, donc, Marseille. Nous
choisissons le quartier du vieux port. Rien ni
personne. La place Etienne d’Orves idem.
Derrière la mairie non plus. Bref, à part une
jeune chanteuse sur le Quai du Port et une
vague sono dans un bistrot, Marseille semblait
ignorer qu’hier c’était la fête de la musique,
et qu’il faut aussi l’entendre « faites
de la musique ». Personne ou presque n’en
faisait. Peut-être aurions-nous dû aller du
côté de la Plaine, ou de la Friche mais là, au
centre de la ville, silence.
Bien sûr,
il faut voir dans cette absence de musique un
effet du terrorisme, ou de l’état d’urgence.
Chaque fois que je vois dans les rues les
poubelles réduites à un sac en plastique
transparent, qui sont rarement ragoutantes, je
me dis que c’est une victoire du
terrorisme : pour pouvoir vérifier qu’on
ne met pas de bombes dans les poubelles, on
expose leur contenu à tous les regards. Mais
je me suis souvenu d’une chanson
qu’interprétait Colette Renard (que les moins
de vingt temps ne peuvent pas connaître) dont
le refrain disait : « Marseille,
tais-toi Marseille, tu cries trop fort. Je
n’entends pas claquer les voiles dans le
port ». Marseille se taisait hier. Et en
plus, il n’y a plus de voiles dans le port,
mais des bateaux à moteur. Dylan ne pourrait
pas y chanter
« Blowin’ in the Wind »,
aucune voile ne claque dans le vent. Il nous
reste « The Times they are a changing ».
20 juin 2017 : Sauce
trempette, grammaire et statistiques

Un
ami québécois, Jacques Maurais,
m’écrit, à propos de mon récent
billet sur la « trempette », que
ce mot est depuis longtemps utilisé chez lui
et me donne deux exemples. Tout d’abord un
livre de cuisine de 1979 dans lequel Jehane
Benoit écrivait : « Sur la table
française, les crudités sont très
appréciées, toujours présentées avec goût,
nature ou avec une sauce trempette ».
Et dans un article de1984 : « Les
entrées sont simples : salade César
(€3,25), crudités avec trempette (€2,50),
etc. ». Merci Jacques. Mais il est
troptard pour demander à la vendeuse de
« sauce trempette » du marché
d’Antibes si elle était québécoise.
Restons
dans les mots, non plus ceux du Québec mais
ceux de Mélenchon. Après son élection à
Marseille il a utilisé, dans son allocution,
quelques formules qui méritent d’être
soulignées. Faisant allusion au taux
d’abstention élevé, il a d’abord déclaré que
« notre peuple est entré dans une forme
de grève générale civique ». L’abstention
une grève générale, il fallait
l’inventer ! Mais il a ajouté que du coup
la majorité n’avait pas « la
légitimité pour perpétrer le coup d’Etat
social qui était en prévision ». Petit
problème, dans la circonscription qui l’a élu,
l’abstention a été de 64,2%,
soit 7 points de plus que le chiffre
national. Mais Mélenchon n’en a tiré aucune
conclusion concernant sa propre légitimité.
Ces pourcentages ne semblent pas l'intéresser
outre mesure. Enfin il a lancé : « Et
j’informe le nouveau pouvoir que pas un mètre
du terrain du droit social ne lui sera cédé
sans lutte ».
Analysez cette phrase avec soin et
dîtes-moi ce que vous y comprenez. Pour moi,
«pas un mètre du terrain du droit
social nelui sera cédé sans lutte »
ne peut avoir qu’un seul sens : nous
lutterons et nous céderons.
Il y a
quelques mois, dans une émission télévisée,
Mélenchon avait, dans sa cuisine, montré
comment il confectionnait une salade de
quinoa, expliquant qu’il lui fallait maigrir
pour aborder la campagne électorale en pleine
forme. Il n’a pas dit s’il utilisait une sauce
trempette. Ni s’il révisait sa grammaire et
les statistiques.

19 juin 2017 : Basculement

J’ai
toujours
aimé les titres de Libération
qui, vous le savez sans doute, ne sont jamais
donnés par les journalistes (ils n’ont même
pas le droit d’y mettre le nez) mais par un
service spécial du journal. Aujourd’hui, ils
battent tous les records. En une, Législatives,
L’EMPRISE DU MILIEU, puis en page 2 Macron
fait chambre à part, en page 5 Pour
le Modem, une oasis après la traversée du
désert, en page 6 Une
élection
qui attire l’abstention, en page 9 Pour Cédric Villani (un mathématicien de renom élu député hier) le
compte est bon, en page 10 Nouvelle
veste pour Philippot qui risque sa peau,
bref un véritable festival.
Macron
a donc fait main basse sur l’Assemblée
nationale, et je laisse aux spécialistes le
soin de commenter cette vague de
« marcheurs », puisque tel est le
mot qui désigne désormais les candidats de
« la République en marche ».
Ce
qui m'a frappé dans les résultats d'hier est
ailleurs. Depuis que j’habite dans le Sud-Est
de la France, à Aix-en-Provence pour être
précis, la région PACA est la terre d’élection
du Front National ? Il y obtenait au fil
des élections 25% des voix, puis 30%, puis
près de 50%. Et
il y gagnait des mairies dans la région PACA,
celles de Marignane puis de Vitrolles dans les
Bouches-du-Rhône, de Saint-Gilles dans le
Gard, d’ Orange , de Toulon... Aux
législatives de 2012, deux députés FN ou
apparentés étaient élus, l’un dans le Gard et
l’autre dans le Vaucluse. Mais hier le FN a
fait élire huit député, dont trois seulement
sont dans le Sud (dans le Gard, les
Pyrénées-Orientales et l’Hérault), et cinq
dans le Nord-Pas-de-Calais. C’est-à-dire que
nous assistons à un basculement du Sud vers le
Nord, déplacement qui n’est pas seulement
géographique mais plutôt social. Pendant
longtemps, dans le sud, l’électorat du FN
était essentiellement constitué de pieds noirs
animés de rancœurs
rassies, de nostalgies de l’Algérie française
et de l’OAS. Mais, comme tout le monde, les
pieds noirs vieillissent et disparaissent, et
même si certains de leurs enfants héritent de
l’idéologie de leurs parents, cette population
électorale tend à se réduire. Le déplacement
vers le Nord est d’un autre ordre : c’est
dans une terre ouvrière et socialo-communiste
que le FN s’implante. D’ailleurs, un de ses
cinq élus dans le Nord-Pas-de-Calais est un
ancien membre du parti communiste. Et il y a
là de quoi réfléchir. Certains disent que la
classe ouvrière a disparue, mais il en reste
tout de même, et elle vote FN.
Aveuglement ? Incapacité des partis de la
gauche traditionnelle de leur ouvrir des
horizons politiques ? Analphabétisme
politique ? Tout cela à la fois ?
C’est à voir, mais il faudrait voir vite. Dans
quelques années il sera trop tard.

12 juin 2017 : Trempette
et tsunami

Vous
cnnaissez
sans doute cette habitude qui consiste à
servir, pour accompagner l’apéritif, des
morceaux de légumes crus, carotte, fenouil,
chou-fleur, que l’on trempe dans des sauces
variées. J’ai toujours appelé et entendu
appeler cela un dip,
d’un mot terme anglais qui signifie
« plonger ». On plonge donc, ou on
trempe, son légume dans la sauce. Or, il y a
quelques jours, sur le marché d’Antibes, j’ai
vu devant des pots de sauce une étiquette
proclamant pour
trempettes. Trempette, le mot n’est pas
mal trouvé, et cette néologie populaire (je
veux dire qu’elle n’est pas sortie des bureaux
des planificateurs ou des fonctionnaires de la
langue) me ravit. Donc, si je vous invite un
jour chez moi pour une trempette, il sera inutile de prendre votre maillot de bain.
De la trempette à la douche, il n’y a qu’un pas, et hier soir c’est une
véritable douche qu’ont subie des candidats de
droite, de gauche, d’extrême droite, dégagés
dès le premier tour ou en situation difficile.
La presse parle, pour les candidats
macronistes, de tsunami, de raz-de-marée, de
lame de fond, bref nous sommes en pleine
métaphore aquatique. Pour les
« dégagés » il faudrait donc parler
de grande marée qui emporte tout vers le
large, ou d’anguilles qui nageaient en eaux
troubles et se retrouvent sur la rive,
asphyxiées. Cela ne me fait ni chaud ni froid
pour la droite, mais, vieux réflexe, j’aimerais
bien que les socialistes trouvent, d’une façon
ou d’une autre, le moyen de se ressourcer. Ce
que nous pourrions appeler, pour rester dans
cette ambiance aquatique, une hydrothérapie,
ou une renaissance dans un liquide amniotique.
Si jamais cela advenait, nous pourrions alors
célébrer ce miracle par quelques trempettes.

6 juin 2017 : Le
Qatar encerclé ?

Il
y a un peu plus d’un an, début mai 2016, de
retour du Qatar j’écrivais ceci :
« Au Qatar il faut tout importer. De la moindre carotte,
la moindre pomme-de-terre à la machine à laver
ou au climatiseur, des vêtements à l’huile, de
la viande aux voitures. Ce qui constitue un
étonnant paradoxe : le Qatar est à la
fois une énorme puissance financière et un
territoire qui (je fais de la politique
fiction) s’écroulerait en peu de temps s’il
était victime d’un embargo ou d’un blocus.
Comment dit-on, sur le mode hypothétique, sic
transit gloria mundi ? »
La politique fiction à laquelle je m’amusais alors pourrait aujourd’hui
devenir réalité. En effet l’Arabie saoudite,
les Emirats Arabes Unis, Bahrein et l’Egypte
viennent de rompre leurs relations
diplomatiques avec Doha. Je n’analyserai pas
cette scission entre pays sunnites sur fond de
« lutte » contre le terrorisme
islamique du point de vue géopolitique,
d’autres sont plus compétents que moi en la
matière. Mais, parmi les mesures annoncées
figure l’interdiction de survol du territoire
de ces pays par les avions qataris. Regardez
une carte. Un vol Paris-Doha qui jusqu’ici
survolait bien sûr l’Arabie saoudite devrait
désormais passer au Sud par la Libye, le
Soudan, l’Ethiopie et contourner la péninsule
arabique, ou au Nord survoler la Syrie et
l’Iraq. Ce qui ne fera pas baisser le prix des
billets...
Tout cela se résoudra sans doute sur le mode de la transaction, pour ne
pas dire du marchandage diplomatique, et le
Qatar a déjà fait appel au Koweït pour qu’il
serve de médiateur. Mais, déjà, on se bouscule
dans les supermarchés de Doha pour faire des
provisions de riz et de sucre. Bref le Qatar
est (momentanément ?) encerclé, et c’est
à la fois inattendu et drôle.
1er juin 2017 : Covfefe...

Je
sais, j’arrive un peu après la bataille, mais
cette phrase inachevée du président américain,
despite
the constant negative press covfefe...,
pose problème. Non pas celui que l’on croit,
concernant le sens de ce mot, covfefe,
qui est clair, mais l’interruption de la
phrase. Quelle est en effet la conséquence de
ce covfefe
négatif de la presse ? Qu’est-ce
qui a empêché Trump de l’écrire en
terminant sa phrase? That
is the question, évidemment. On a dit
qu’il été saoul, ou shooté, qu’il était tombé
dans un profonde sommeil. Bullshits ! Il
a été tout simplement désactivé, mis hors
d’état de nuire.
En
effet, covfefe a fait tilt en haut lieu, très haut lieu. Le côté obscurs
de la force immédiatement alerté par les
milliers de réseaux dont il dispose a fait ce
qu’il fallait faire, et nul ne saura ce que
Trump allait révéler : il a été remplacé
par un chevalier Jedi à son image qui a
d’ailleurs tout de suite pris une décision que
jamais le véritable président n’aurait prise
(tout le monde sait que plus écolo que lui tu
meurs). L’empire galactique est ainsi
sauvegardé. Ouf !
Déjà,
sentant
qu’il allait déraper avec ses tweets
intempestifs, le côté obscurs de la force
avait tenté de lui briser la main, en envoyant
dans celle de Macron un fluide mortel.
Peine perdue ! Vous l’avez vu,
Trump, dents serrées, suant, résistant à
Macron qui faisait semblant de sourire mais
lui transmettait en fait toutes les forces
galactiques négatives. Trump a donc résisté ce
jour-là. Mais lorsqu’il a dévoilé le mot
magique, covfefe,
que seuls connaissent de rares initiés, le
côté obscurs de la force a prit la décision
qui s’imposait, et le jedi qui a pris sa place
fera, dorénavant, son devoir. Tu n’aurais pas
dû, Trump, dévoiler ce covfefe,
ce dérapage t’a été fatal.
Voilà,
vous
savez tout.
Quoi ?
Qu’est-ce
que ça veut dire, covfefe ?
Vous ne croyez tout de même pas que je vais
vous révéler notre code secret...
31 mai 2017 : Préférences...

Hier,
j’étais invité à une émission de la radio
suisse à propos de mon dernier bouquin. Le
journaliste qui m’interrogeait et moi-même
parlions la même langue, à quelques nonantes
près : nous sommes en Suisse francophone.
Avant de passer à l’antenne, j’écoute le
journal de la RTS. On y parle, entre autres
choses, de l’entrée de Wawrinka dans le
tournoi de tennis de Roland Garros. Le matin,
sur France Inter, on annonçait celles de
Monfils et de Tsonga. Nous sommes bien en
Suisse francophone : la même langue que
la notre, mais côté sport une sorte de
préférence nationale.
A
propos de préférence, Jean-Guy Talamoni,
président de l’Assemblée de Corse, a expliqué
hier qu’une charte locale de recrutement
prévoyait que, dans les recrutements sur un
emploi, les résidents corses seront favorisés.
Après la préférence nationale, la préférence
régionale. Racisme ? Infraction de
discrimination à l’embauche ? L’avenir
nous dira ce que deviendra cette charte...
Mais,
jusqu’ici, c’est le Front National qui parlait
de « préférence nationale ». Le FN
aime bien mêler les sigles, UMPS par exemple,
pour suggérer l’entente entre deux partis. La
droite (Sarkozy, Copé, Kosciusko-Morizet...)
l’a imité en suggérant une alliance objective
entre FN et PS :
FNPS. Faudrait-il ici jouer sur
l’enlacement des sigles FLNC (Front de
Libération Nationale de la Corse) et FN ?
Tiens,
à propos de FN. Une députée européenne FN,
Sophie Montel, vient de dénoncer dans une
lettre 19 eurodéputés français qui auraient
employé des assistants travaillant en fait
pour leur parti. On a beaucoup parlé de
Marielle de Sarnez, parce qu’elle est
ministre, mais il y a dans la liste d’autres
nom connus (Michèle Alliot-Marie, Brice
Hortefeux, Yannick Jadot, etc.) appartenant à
tous les partis de l’éventail politique
français. Le but de l’opération est
clair : faire croire que le FN, qui a de
graves problèmes avec la justice, n’est pas le
seul « pourri ». Ah
bon ? Mais cette manœuvre jette une lumière
intéressante sur la psychologie du FN. Que ces
accusations soient fondées ou pas, nous le
saurons un jour ou l’autre, il s’agit à la
fois d’un comportement enfantin (les autres
aussi, m’sieur, ils le font) et d’une
véritable délation. Ainsi la préférence
peut être nationale, régionale ou de parti...
26 mai 2017 : Ca
aurait pu être vrai

Florian
Philippot a cette semaine largement diffusé un
SMS attribué à l’équipe de Macron conseillant
à ses supportés d’aller perturber les
manifestations du Front National.
Problème : le SMS était un faux.
Interrogé par la presse, Philippot a
reconnu : « oui, c’était un faux,
mais ça aurait pu être vrai ». Ca aurait
pu être vrai : nous entrons là dans une
nouvelle ère , ou dans une nouvelle sémantique
du vrai et du faux. Ce qui est vrai n’est plus
ce qui est attesté, vérifié, authentifié,
c’est ce qui est crédible. Autrement dit ce
que les « gens » peuvent croire.
Mieux encore : toute fausse donnée que
l’on a intérêt à faire passer pour vraie et
que le public pourra croire vraie sera
considérée comme vraie. C’est ce que certains
petits malins appellent la post-vérité, habile
euphémisme pour désigner le mensonge.
Il
est vrai, si je puis dire, que nous vivons
depuis une vingtaine d’années sous la
dictature de l’idéologie du post-quelque
chose, en particulier de l’idéologie
postmoderne. Désormais, post
n’indique
plus la postérité, ce qui vient après, mais le
contre-pied. Le postmodernisme n’est pas ce
qui vient après le modernisme mais une façon
ironique et désinvolte de se débarrasser de
l’histoire. Ce
terme polysémique (celui de postmodernité) a
servi d’étendard à divers mouvements
artistiques, et il serait intéressant de
demander à leurs adeptes ce qu’ils pensent de
la post-vérité, qui d’un certain point de vue
appartient à leur famille, la famille du
post-quelque chose.
Mais
peu importe. Plus important en effet est
que, dans les campagnes électorales des
partisans du Brexit en Grande-Bretagne, de
Trump, aux USA et en France de Le Pen, de
Fillon, de Mélenchon et aujourd’hui de Baroin,
les discours sont truffés de ces « fake
news », de ces fausses nouvelles très
vite amplifiées par les réseaux sociaux,
assénées comme des vérités, c’est-à-dire,
répétons-le, de nouvelles que certains veulent
croire vraies.
Viendra
bientôt un temps où l’on ne pourra plus dire à
quelqu’un, dans une discussion, « ce que
vous avancez est faux » sans qu’on vous
rétorque « c’est une post-vérité ».
Vous ne me croyez pas ? Pourtant ce
pourrait être vrai.
20 mai 2017 : Chomsky
ne comprend pas

Je
viens de passer une semaine au Maroc, à un
colloque, et je n’ai lu que dans l’avion le
numéro de Libération
du 11 mai, dans lequel se trouvait une
longue interview de Noam Chomsky dont certains
passages sont stupéfiants. On attribue au nazi
Hermann Göring la phrase suivante : Quand
l’entend le mot « culture » je
sors mon révolver. La phrase n’est sans
doute pas de lui, mais qu’importe, elle est
caractéristique d’un certain état d’esprit. Or
Chomsky déclare à Libé :
Quand j’entends des mots comme « dialectique » ou
« herméneutique » et toutes sortes
de choses prétendument profondes, alors,
comme Goering, « je sors mon
révolver ».
On
se frotte les yeux, on relit, mais c’est bien
ça : Quand
j’entends des mots comme
« dialectique » ou
« herméneutique » et toutes sortes
de choses prétendument profondes, alors,
comme Goering, « je sors mon
révolver ».
Et
puis, il poursuit :
Si, par exemple, je lis Russell ou la philosophie analytique, ou encore
Wittgenstein, il me semble que je peux
comprendre ce qu’ils disent et pourquoi cela
me paraît faux, comme c’est souvent le cas.
Par contre quand je lis Derrida, Lacan,
Althusser ou l’un ce deux-là, je ne
comprends pas. C’est comme si les mots
défilaient sous mes yeux : je ne suis
pas leurs argumentations, je ne vois pas
d’arguments, tout ce qui ressemble à une
description des faits me semble faux. Alors
peut-être qu’il me manque un gène ou je ne
sais quoi, c’est possible. Mais ce que je
crois vraiment, c’est qu’il s’agit de
charlatanisme.
Résumons :
Chomsky comprend Russell et Wittgenstein, et
peut donc dire qu’ils ont tort. Il ne comprend
rien à Derrida, Lacan ou Althusser, et affirme
qu’ils sont des charlatans.
Cette
ruse de la raison est vieille comme le monde.
Dire qu’on ne comprend rien à quelque chose
alors qu’on est supposé être intelligent,
c’est laisser entendre qu’il n’y a rien à
comprendre. Roland Barthes, dans une de ses Mythologies
(« critique muette et aveugle »),
épinglait dans les années 1950 les critiques
qui feignaient de ne pas comprendre une œuvre pour laisser entendre qu'elle était nulle.
Laissons-lui la parole :
Tout cela signifie en fait que l’on se croit d’une intelligence assez
sûre pour que l’aveu d’une incompréhension
mette en cause la clarté de l’auteur, et non
celle de son propre cerveau : on mime
la niaiserie, c’est pour mieux faire le
public se récrier, et l’entraîner ainsi
avantageusement d’une complicité
d’impuissance à une complicité
d’intelligence.
Chomsky
va plus loin, il ne laisse pas penser qu’il
n’y a rien à comprendre, il le dit : ce
sont des charlatans.
Revenons
à Barthes, qui écrivait un peu plus
loin :
En fait toute réserve sur la culture est une position terroriste. Faire
métier de critique et proclamer que l’on ne
comprend rien à l’existentialisme ou au
marxisme (...) c’est ériger sa cécité ou son
mutisme en règle universelle de perception,
c’est rejeter du monde le marxisme et
l’existentialisme : « je ne
comprends pas, donc vous êtes idiots ».
Chomsky
procède de la même façon : « je suis
intelligent, je ne comprend pas, donc c’est du
charlatanisme ». Mais, en outre, il
sort son révolver, se revendiquant ouvertement
de Göring. Il y a longtemps que je critique la
façon de travailler des générativistes, qui
choisissent soigneusement les exemples
syntaxiques qui collent avec leurs théories et
ignorent les autres, mais là leur maître à
penser est plus expéditif: il tire. On croit
rêver, mais on ne rêve pas, hélas.

10 mai 2017 : Les
gens du système, et le parachutage qui ne
dégage pas

J’ai
reçu ce matin un mail, à propos d’un colloque
auquel je suis invité. Le colloque se passe en
Allemagne, mais la personne qui m’écrit est
brésilienne, et le message se termine
ainsi : Estamos
muiot
felices que vc. Va estar com a gente! Traduisons:
« Nous sommes très heureux que vous soyez
avec nous ». Il y a longtemps que cette
spécificité du brésilien a été notée : a
gente utilisé avec le sens de
« on » ou, comme ci-dessus,
« nous ». Mais ce petit détail m’a
fait penser à la campagne qui vient de se
terminer.
En
effet,
les élections présidentielles vont en général
de pair avec une certaine
créativité lexicale. Ainsi, en 2007, Sarkozy
n’avait que la rupture
à la bouche et Ségolène Royal son désir
d’avenir. Et je me suis demandé ce qui
avait lexicalement marqué la campagne de 2017.
C’est à Mélenchon, bien sûr, que m’a fait
penser le mail ci-dessus. De la même façon
qu’il a remplacé l’Internationale par la Marseillaise,
il a délaissé les camarades
auxquels il s’adressait en 2012 par les
gens. Négligeant les connotations du
terme (songez à gendarmes
ou à entregent),
il en a fait un usage invasif, inaugurant
d’ailleurs notablement sur un point de
syntaxe :
« les gens » ne sont plus
ceux dont on parle mais ceux à qui l’on
parle : « Les gens,
révoltez-vous », « réagissez les
gens », « unissez-vous les
gens ». Bref, il en a fait un vocatif.
Cette invasion de gens
dans ses discours est trop marquante
pour qu’elle soit due au hasard, et il est
clair qu’il voulait se débarrasser des camarades,
trop communistes, pour « faire plus
peuple ». Quant à son
« dégagisme », emprunté aux
révolutions arabes, en particulier à la
« révolution de jasmin » tunisienne,
il va bien sûr dans le même sens populiste.
Côté
Le Pen, père et fille, il s’est également
passé des mutations intéressantes. Il y a
longtemps que Le Pen père s’est constitué un
vocabulaire spécifique. Je n’en citerai que
deux exemples, diaboliser
et établissement.
Diaboliser
signifiait dans sa bouche « critiquer le
FN » et établissement
était bien sûr un (mot) immigré
clandestin (establishment)
qui se masquait sous de faux papiers français.
Le Pen fille a repris l’idée en changeant sa
forme : l’établissement
est devenu le système,
cause selon elle de tous les maux :
« les candidats du système »,
« victime du système ». Et la diabolisation
chère au père a repris du service chez
la fille, sous une forme inversée : elle
s’est attachée pendant des années (jusqu’au
débat dont je traitais dans mon précédent
billet et qui a détruit sa stratégie) à la dédiabolisation
du FN...
Reste
un point sur lequel Le Pen fille et Mélenchon
se retrouvent. Il est un mot, ancien dans le
vocabulaire politique : parachutage.
Le terme désigne une pratique courante
consistant à aller se présenter à une élection
dans une circonscription sans avoir aucun lien
avec elle mais dans laquelle on pense avoir de
bonnes chances d’être élu. Notre histoire
récente est remplie de ces parachutages,
et c’est ainsi que Le Pen fille et Mélenchon
se sont, en 2012, trouvés face-à-face à
Hénin-Beaumont, où la première a d’ailleurs
battu sèchement le second. Or, en écoutant
d’une oreille distraire la radio tout en
écrivant ce billet, j’apprends que Mélenchon
sera dans quelques semaines candidat aux
élections législatives à Marseille.
Marseille ? Oui Marseille. Il est de
Marseille, Mélenchon ? Non, pas du tout,
mais il y a fait un succès au premier tour de
la présidentielle, alors il y retourne, à tout
hasard. Conclusion ? Le dégagisme est une notion à géométrie variable, qui
ne concerne pas le parachutage.
4 mai 2017 : A
la schlague

Depuis
des jours on nous a abreuvés, à la radio comme
à la télévision, de séquences de duels de
second tours précédents, Giscard, Mitterrand,
Chirac, Hollande, « vous n’avez pas le
monopole du cœur »,
« vous êtes l’homme du passif »,
« vous avez raison, monsieur le premier
ministre », « moi, président »,
etc., pour nous préparer à la soirée d’hier et
nous mettre en position de
carnassiers affamés. Nous allions nous
mettre devant notre télé et attendre le
massacre de l’un des candidats, la formule qui
tue, compter les coups, saliver. Sur le
premier point, les prévisions étaient fausses
ou, du moins, le débat fut si brouillon
qu’aucune formule particulière ne surnagea.
Débat
atypique, ne ressemblant à aucun autre de la
cinquième république : même Sarkozy n’a
jamais atteint ce degré d’agressivité, c’est
dire. En fait, c’est Le Pen qui démarra sur
les chapeaux de roue, lâchant en rafale, en
deux
ou trois minutes, tout ce qu’elle avait
préparé comme qualificatifs désobligeants pour
Macron : « candidat de la
mondialisation sauvage »,
« saccage »,
« ubérisation », « froideur du
banquier d’affaires », etc., ajoutant en
contre-point « je suis la candidate du
peuple ». Il ne lui restait qu’à marteler
son thème majeur, l’appelant « monsieur
le ministre», le traitant de « Hollande
junior », martelant « vous étiez au
gouvernement », se trompant au passage
sur les dates : « quatre ans
conseiller », « deux ans
ministre », ce qui est un peu long pour
un quinquennat, puis se rabattant sur un
« des années et des
années » plus vague.
Macron,
bien sûr, ne fut pas en reste :
« logorrhée », « poudre de
Perlimpinpin », « sauts de
cabri », « ne dîtes pas de
bêtises », « impréparation
crasse », « ne mentez pas »
(plusieurs fois),
« galimatias », arrêtez vos
caricatures », « grand n’importe
quoi », « faux et archifaux »,
« mensonges et falsifications »,
« bidouillage », « vous n’avez
pas assez travaillé », « vous n’avez
pas de projet pour notre pays », et j’en
passe.
De
projet, effectivement, on parla peu. Le Pen,
agressive, volubile, parfois perdue dans ses
dossiers, se trompant dans ses références, a
montré ses limites. De façon étonnante, elle a
donné l’impression de ne pas savoir ce
qu’étaient l’ECU ou le Serpent Monétaire
Européen, de confondre Alstrom et SFR, ce qui
permit à Macron de lui dire sur un ton
professoral : « Vous
êtes
en train de lire une fiche qui ne correspond
pas au dossier dont vous parlez, c’est
triste pour vous... » Et il est
vrai que sur l’économie, l’euro, les retraites
elle a été pour le moins imprécise, donnant
l’image d’une étudiante qui tente de lire en
douce ses notes mais se prend les pieds dans
le tapis.
Quelques
détails qui m’ont frappé. Les plans de coupe
tout d’abord (« plans d’écoute » ont
dit certains), sélectionnés bien sûr par les
"réalisateurs conseils" des candidats. Le Pen
affichait un sourire étudié, qui s’éteignit
peu à peu, Macron, les poings sous le menton,
semblait écouter. Dans les deux cas, donc,
pose étudiée. Deuxième chose : Le Pen
avait pour stratégie de faire sortir Macron de
ses gonds et, n’y parvenant pas, elle tenta à
plusieurs reprises la magie du verbe,
« calmez-vous », vous êtes
énervé », comme si dire c’était faire ou
plutôt faire faire, comme si à force de dire
qu’il était énervé elle finirait par
l’énerver. Mais
ce qui m’a frappé le plus, c’est l’absence de
réaction de Le Pen lorsque Macron utilisa
plusieurs fois la formule «extrême
droite » qu’elle réfute d’habitude (je me
souviens l’avoir entendu dire qu’elle
attaquerait en justice quiconque la traiterait
d’extrême droite), ou lorsqu’il asséna
« vous êtes sous le coup d’une procédure
judiciaire », « n’ajoutez pas à
votre indignité personnelle une critique des
juges »... Au bout du compte, Macron a
martelé que Le Pen était incompétente (il faut
dire qu’elle l’a bien aidé sur ce point en se
trompant plusieurs fois) et elle l’a renvoyé
plusieurs fois à « son passé » (de
banquier, de ministre).
Pour
finir par où j’ai commencé, il ne restera pas
de ce débat une formule choc, un trait
assassin définitif. Le Pen a bien essayé, mais
en vain, avec "je suis la candidate du
pouvoir d’achat et vous le candidat du pouvoir
d’acheter », trop visiblement calquée sur
le passé et le passif de Mitterrand. Mais
on n’oubliera pas ce combat d’un style sans
précédent. La presse de ce matin parle de
« pugilat ». S’il fallait parler de
boxe, cette rencontre pourrait rappeler celle
de George Foreman contre Mohamed Ali à
Kinshasa en 1974. Le premier, gros cogneur, se
laissa prendre au piège, se fatigua et,
finalement, fut mis KO pour la seule fois de
sa carrière je crois. Ce fut sans doute la
victoire de l’intelligence sur la brutalité
bête. Le Pen tournait sans cesse autour de son
adversaire qui tenait sa garde et décrochait
des directs dès qu’elle se découvrait. Mais je
penserais plutôt à un match qui aurait pu
opposer Marcel Cerdan à Bruce Lee, ou aux
judokas qui utilisent la violence de
l’adversaire pour le faire tomber. Le Pen
avait choisi le pugilat, le style bouledogue,
mais elle a sans cesse donné l’impression que,
battue pour battue, elle s’entraînait pour
l’avenir, se préparait à être dans
l’opposition à la présidence de Macron.
Spectacle plus que débat, ce fut le spectacle
d’un suicide politique.
Pour
finir, une notation sémantique. Sans doute
pour critique les ordonnances annoncées par
Macron, Le Pen lança par deux fois qu’il irait
« à la schlague ». Choix étrange, ou
choix significatif. La schlague
est en effet un mot dont on sait qu’il est
d’origine allemande (schlagen
« battre », Schlag
« coup ») et qu’il connote
irrésistiblement le nazisme. Peut-être
voulait-elle renforcer son aspect dogue
allemand...

2 mai 2017 : Pudeur
de gazelle ou le syndrome Mélenchon

Certains
m’ont
reproché d’être injuste ou agressif
envers Mélenchon. Mais ce qui est en train de
se passer a un goût amer. Selon les récents
sondages, 20% de ceux qui ont voté pour lui
reporteraient leurs suffrages sur Le Pen, ce
qui lui ferait environ 5% de plus, auxquels il
faut ajouter une bonne partie des électeurs de
Fillon, 3 ou 4% venus de Dupont-Aignan
(Celui-là, je vous avais dit qu’il la
rejoindrait, et il a fait mieux : il
serait son premier ministre...) Bref, les gens
votent comme ils veulent, mais les hommes
politiques devraient assumer leurs
responsabilités. Or Mélenchon, concernant son
propre vote, est pour le moins
pusillanime : il ne votera pas pour Le
Pen, dit-il. C’est la moindre des choses. Mais
il refuse de dire ce qu’il votera faisant la
preuve soit de lâcheté, soit
d’irresponsabilité, soit d’une étrange
modestie. « Pas une voix ne doit aller au
front national » a-t-il lancé dimanche.
Mais où doivent-elles aller ? Silence. Il
aura fallu attendre ce mardi, soit neuf jours
après le premier tour, pour que tombe le
résultat de la « consultation »
lancée auprès des adhérents de la
« France insoumise » : ils
optent aux 2/3 pour le vote blanc ou
l’abstention. Ce n’est plus la France
insoumise, c’est la France qui s’en lave les
mains.
Et
cette ambiguïté se retrouve chez ceux qui le
soutiennent. Je n’ai entendu personne jouant
un rôle important dans son entourage prendre
une position opposée à la sienne. Le culte du
chef ? Sans doute. Mais, sans entrer dans
les invectives qui se pressent pourtant au
bout de mes doigts, je dirai en termes que
j’atténue avec peine que cela est déroutant.
Disons, pour reprendre son expression à propos
des affaires de Le Pen et Fillon, que
Mélenchon fait montre d’une pudeur de gazelle,
et que cela n’est pas à la hauteur de
l’évènement. Revenir à la rhétorique du
« bonnet blanc et noir bonnet », ou
de « la peste ou le choléra »
lorsque le lepénisme est aux portes,
considérer que Macron et Le Pen c’est du
pareil au même, tout cela n’a pas de sens.
C'est du gauchisme déraillant, délirant.
Atrabilaire,
Mélenchon ?
Mauvais perdant ? Orgueilleux ?
Enragé de ne pas avoir atteint le second
tour ? Tout cela sans doute, et d’autres
choses encore. Mais jouer à l’enfant gâté qui
boude parce qu’il n’a pas eu le joujou qu’il
attendait, afficher qu’il se fout de l’avenir
du pays, c’est proprement insupportable. Si Le
Pen l’emportait, ou faisait un score très
important, se sentirait-il en partie
responsable ? Je n’en sais bien sûr rien,
et d’une certaine façon je m’en fous :
Mélenchon est désormais pour moi sorti des
radars.
Et
que dire de la CGT, de FO, qui clament qu’il
faut faire barrage à Le Pen sans jamais citer
le nom de Macron, alors qu’il est jusqu’à plus
ample informé le seul candidat en face d’elle.
Ce mot, Macron, serait-il tabou ? Encore
une fois, pudeur de gazelle ? Ou rage
d’avoir été dépassés par la CFDT qui est
désormais en tête des syndicats
représentatifs ? On a l’impression que
les uns et les autres présentent tous les
signes de ce que nous pourrions appeler le syndrome
Mélenchon : identifier un ennemi
mais refuser de soutenir celui qui peut le
battre. Bref, tout cela est inquiétant. J’ai
souligné dans un précédent billet que dans les
meetings de Mélenchon on chantait désormais la
Marseillaise. En 1881, Léo Taxil avait écrit sur la même musique une
Marseillaise
anticléricale dont je vous livre le
premier couplet et le refrain :
Allons ! Fils de la
République,
Le jour du vote est arrivé !
Contre nous de la noire clique
L'oriflamme ignoble est levé.
(bis)
Entendez-vous tous ces infâmes
Croasser leurs stupides
chants ?
Ils voudraient encore, les
brigands,
Salir nos enfants et nos
femmes !
Refrain
Aux urnes, citoyens, contre les
cléricaux !
Votons, votons et que nos voix
Dispersent les corbeaux !
Plutôt
que de rester sans voix devant les
atermoiements des victimes du syndrome
Mélenchon et les méfaits de ce "vote
gaucho", je vous suggère d’entonner, à pleine
voix justement, ce refrain :
Aux
urnes citoyens, contre le vote gaucho
Votons,
votons, et que nos voix
Dispersent
les fachos
24 avril 2017 : Résultats

Depuis
plusieurs
mois on croyait connaître le peloton de tête
puis le carré gagnant et les demi-finalistes.
Mais tout changea en cours de route. L’un
d’entre eux se désista, deux autres puis trois
furent éliminés durant les premiers tours et
il n’en resta qu’un, qu’on n’avait d’abord pas
vu monter, qui était loin dans les sondages et
qui finalement l’emporta. Oui, je vous entend
protester : nous n’en sommes qu’au
premier tour, reste le second ! Mais de
quoi parlez-vous ? Moi je parlais du
tournoi de tennis de Monte-Carlo, dont Fédérer
était absent, où les trois premiers, Murray,
Djokovic et Wawrinka, furent éliminés les uns
après les autres et que, finalement, Nadal,
remontant de la septième place de l’ATP,
remporta.
Ah
oui, vous pensiez aux élections ! Pour
Fillon, après les costumes ce fut une veste.
Mélenchon, mauvais perdant (feignant jusqu’à
tard dans la nuit de ne pas croire au
résultat, attendant disait-il les chiffres du
ministère de l’intérieur) frappa surtout, lui
l’e candidat auto-proclamé, chef incontesté,
décidant tout seul de tout,
il frappa donc en n’ayant pas le
courage de dire pour qui il voterait au second
tour. Macron, pour qui j’ai voté, commence à
me casser les pieds avec sa Brigitte dont nous
n’avons que faire. Et puis pauvre Hamon,
massacré par son parti. Bon, le tournoi de
Monte-Carlo est terminé, le spectacle se
déplace vers les règlements de compte qui vont
avoir lieu au PR et au PR. Ca va saigner. Une
seule question, mais je n’ai pas la
réponse : que va faire Sarkozy, lui qui a
tiré les ficelles, pour maintenir Fillon afin
de ne pas avoir Juppé ? Il va tenter de
revenir? De placer Barroin? A suivre...
Bon,
rendez-vous
pour la suite. Le second tour ? Non, tout
semble réglé. Le 11 juin. En effet, cela
ne vous a pas échappé, ce sera le premier tour
des législatives et... la finale de
Roland-Garros.
21 avril 2017 : Studium
et punctum sont dans un bateau

Ouf !
Cette campagne touche à sa fin : Hier
soir, sur la 2, se tenait le dernier débat
avant le premier tour. Enfin, par vraiment un
débat mais un défilé de têtes : onze
séquences de quinze minutes dans lesquelles,
seul, chacun des onze candidats s’exprimait,
puis, tous réunis sur le plateau, onze
nouvelles séquences de deux minutes trente,
sans le moindre échange entre eux, le
contraire d’un débat donc.
Nous
sommes alors obligés de parler d’eux un à un,
puisqu’ils n’ont pas communiqué entre eux.
Ci-dessous, quelques notes, sans doute
injustes et parfois politiquement incorrectes,
sur les candidats, dans leur ordre
d’apparition, avant d’en venir à des questions
plus générales.
Le
premier, Mélenchon, roublard et ego maniaque,
dont tout le monde apprécie le jeu de scène,
et peut-être les hologrammes, sans rien savoir
de son programme. Ce qui l’arrange
peut-être : on risquerait de se rendre
compte que sur le plan économique et
géopolitique il n’est guère différent de Le
Pen.
Arthaud,
bouche tordue comme par la haine,
presqu’autiste, coincée par les consignes de
sa secte, ce clone de Laguiller semble
s’agiter dans une cage dont elle ne veut
absolument pas sortir. Elle refuse de répondre
à une question sur l’éventuelle existence d’un
pays qui lui servirait de modèle.
Normal : son modèle, c’est sa cage.
Le
Pen toujours aussi approximative sur le plan
économique (jusqu’au lapsus :
« l’euro valait un euro quatre-vingt il y
a cinq ans »), on l’imagine en uniforme
de douanier (expulsion, frontières,
suppression du droit du sol, etc.).
Asselineau.
Il veut nationaliser, déchirer tous les
traités, il fera baisser en deux ans le
chômage de 1,5 à 2 millions (mais il ne donne
pas sa recette). Un doux dingue adepte de la
théorie du complot (les Américains sont, à
l’entendre, responsables de tous nos
maux).
Hamon.
Il se sait battu et pourtant il se bat, il est
convaincant, sincère. Son parti, le PS, l’a
lâché en rase campagne. On a envie de lui
chanter une chanson de Souchon, Allo
maman, bobo...
Dupont-Aignant.
Je me souviens, il y a quelques années, au
moment de l’affaire Bettencourt, de Woerth
disant à un journaliste quelque chose comme
« est-ce que j’ai l’air d’un
voleur ?». Et je m’étais dit qu’il était
impossible de répondre à cette question de
façon objective, car « avoir l’air »
n’est pas une catégorie scientifique. Ou alors
j’aurais répondu : « puisque vous me
posez une question subjective, alors, oui, je
trouve, subjectivement, que
vous avez l’air d’un voleur ». Pour moi,
Dupont-Aignant a surtout l’air niais. Je sais,
ce n’est pas objectif.
Avec
son ait benêt, il dit des chose semblables à
celles qu’éructe Le Pen, et je ne crois pas
beaucoup m’avancer en disant que si elle est
au second tour il la ralliera à elle d’une
façon ou d’une autre, subtilement ou pas.
Poutou.
Lunaire, collectif (c’est le seul qui ne parle
pas en je
mais en nous),
il est surtout marrant. Rappelle sans les
nommer que Le Pen et Fillon sont des voleurs
et des menteurs, ce que personne d’autre n’a
osé dire. Hélas pour lui, il rappelle que
« nous voulons » désarmer la police
au moment même où un policier se fait flinguer
sur les Champs Elysées. Pas de chance.
Macron.
Flou et précis à la fois, ce gendre idéal
était le premier à entrer sur le plateau en
sachant ce qui venait de se passer à Paris. Du
coup il avait laissé sa grammaire dans sa loge
(chacun devait apporter un objet symbolique,
lui c’était un livre de grammaire). Il tient
des propos plutôt sympas sur l’école, flotte
un peu sur la Syrie, mais l’absence
d’aspérités fait qu’on ne peut que tourner
autour de son discours, sans trouver de prise.
Cheminade.
Bien sûr il a lui-aussi un côté
« théorie du complot » : il ne
croit pas au 11 septembre. Mais il est
touchant, ce grand-père qui, sur le tard,
décide l’espace de quelques semaines se faire
un peu de publicité avec l’aide des media
publics. Pas antipathique, mais il a le défaut
de tous les grands-pères, il croit tout
savoir, n’avoir que de bonnes idées. Et puis
il a sa part de rêve, Mars, la Lune... Bref il
y est déjà un peu, dans la lune
Lassalle.
On ne sait pas s’il est foldingue ou
inconscient. Ce qui me frappe le plus ce n’est
pas son accent mais sa diction, comme si ce
grand corps de rugbyman avait peur de pousser
sa voix vers l’extérieur. Du coup il semble
incapable d’articuler quelque chose de suivi,
de cohérent, il semble bredouiller. S’il
chantait en béarnais ses propositions, il
serait peut-être plus audible.
Et
puis, pour finir, Fillon, en digestif un peu
indigeste, malgré son costume de bonne coupe.
Et ces deux derniers candidats, Lassalle et
Fillon, m’amènent à des questions plus
générales.
D’une
part ils sont six sur onze à savoir, quoi
qu’ils en disent, qu’ils feront entre zéro et
quatre pour cent des suffrages. Dès lors on
peut se demander pourquoi, certes après avoir
obtenu les 500 parrainages légaux, ils doivent
disposer du même temps de parole que les trois
ou quatre qui ont une chance de parvenir au
second tour. Je connais tous les arguments, la
démocratie, la diversité, etc., mais, tout de
même, il y a quelque chose de pourri au
royaume de nos élections. D’ailleurs, tout le
monde parle des petits candidats, avec ou sans
guillemets.
D’autre
part, et pire encore, ils sont deux à avoir
devant eux un avenir judiciaire : après
les plateaux, les tribunaux, du moins s’ils ne
sont pas élus. Tout le monde le sait, Le Pen
et Fillon sont malhonnêtes, ils ont piqué dans
les caisses. Comment notre système permet-il à
des voleurs (et ne me faites pas le coup de la
présomption d’innocence, votre argument serait
invalidé d’ici quelques mois, quand la justice
sera passée) de prétendre à la fonction de
président ? Comment les électeurs
peuvent-ils passer l’éponge sur ce qu’ils
savent être vrai ?
Ce
matin, avec mon copain Michel (encore lui),
nous parlions de Roland Barthes, de la Chambre claire et de la distinction qu’il proposait entre le studium
et le punctum. Par studium il
entendait un intérêt distancié, il parlait
« d’affect moyen », pour une photo,
« le goût pour quelqu’un, une sorte
d’investissement général, empressé, certes,
mais sans acuité particulière ». Et le punctum
était pour lui un « second élément
qui vient déranger le studium », une
sorte de flèche « qui part de la scène...
et vient me percer ». Ce qui se
passe avec les électeurs de gens comme Le
Pen, Fillon ou Mélenchon est différent. Ils
perçoivent une mise en scène, un cadrage sur
un personnage, ils aiment ça, c’est le studium.
Mais ils refusent de se laisser
atteindre, piquer, par le punctum.
Barthes n’avait pas songé à ce genre de déni,
à cette façon de ne pas vouloir être frappé
par ce qui point de l’image, ou se cache
derrière l’image et que refusent de sentir
ceux qui, du même coup, se font complices.
Pour faire un peu dans la parodie, une
devinette: studium et punctum
sont dans un bateau. Punctum tombe
à l'eau, qui est-ce qui reste? La complicité
coupable.
Je
fais de la morale ? Peut-être. Mais les
fautes morales me sont aussi insupportables
que les fautes de goût ou les fautes de
syntaxe (oui, je suis linguiste et ne devrait
pas condamner les « fautes de
syntaxe », mais j’ai droit à quelques
périodes de repos). Et, pour revenir à cette
élection, j’ai voté pour mes convictions en
votant Hamon à la primaire de la gauche, mais
je n’ai pas envie d’avoir un second tour
Fillon/Le Pen, qui n’est pas exclu à l’heure
où j’écris. Alors je voterai Macron, sans
enthousiasme. Appelez-ça, si vous voulez, un
vote utile. Mais utile pour qui ? Pas
pour moi, en tout cas, ou du moins pas pour
moi seul. Car je ne crois pas être le seul à
refuser l’idée d’avoir pendant cinq ans un
président qui échappe aux tribunaux.
20 avril 2017 : Lectures

Le livre que j’ai publié en 2002 aux éditions Plon Le marché aux langues, sous-titré Les effets linguistiques de la mondialisation, était depuis longtemps épuisé. Je viens de le ressortir en format de poche, sous le titre Les langues : quel avenir ? Les effets linguistiques de la mondialisation, chez CNRS éditions. En fait je l’ai largement remanié. Cela n’implique pas que j’aurais changé d’avis sur les positions que j’y défendais. Mais d’une part la situation linguistique du monde a poursuivi son évolution et il nous faut en tenir compte. C’est par exemple le cas d’un chapitre sur la situation Corse, que j’ai largement actualisé, ou de données également actualisées dans l’ensemble du livre.
D’autre part j’ai depuis quinze ans élaboré des instruments d’analyse qui rendent caduque une partie de l’ouvrage, en particulier un chapitre dans lequel je postulais un « système expert » sur lequel j’ai beaucoup avancé et un autre dans lequel j’apporte des analyses plus précises de la situation linguistique du monde. Enfin certains chercheurs ont également publié des recherches sur les mêmes thèmes, dont je tiens bien entendu compte dans cette réédition. L’articulation du livre est donc la même, mais son contenu tient compte, comme il se doit, de l’évolution des choses. Si ça vous amuse, donc, il sera en librairie début mai. Autre informations, je viens de recevoir la traduction turque de ma biographie de Roland Barthes que j’avais publié il y a... plus de vingt-cinq ans. Oui, je sais, ils ne sont pas très en avance. Ca s’appelle, ô surprise, Roland Barthes, 1915-1980, et c’est aux éditions YKP (Yampi Kredi Yayinlari). Vous ne lisez pas le turc ? Pas grave, je vais en conseiller la lecture à Erdogan. Cela lui permettra peut-être de s’essayer à la sémiologie en écrivant une Mythologie de l’islamisme rampant en Turquie, en s’inspirant de la façon dont Barthes traitait de Billy Graham ou de Pierre Poujade. A ton calame, Erdogan !
17 avril 2017 :
écoute flottante

On entend beaucoup de choses sans vraiment le chercher...Ce matin
j’étais avec un copain à la terrasse d’un
bistro, le fumais une pipe en buvant mon café,
et comme Michel (c’est mon copain) était au
téléphone je prêtais une écoute flottante à ce
qui se disait derrière moi, dans la salle.
Soudain j’entends une voix féminine:
« Ils sont tous
pareils, ils avaient tous des maîtresses,
Giscard, Mitterrand, Chirac... » Je
suppose, vu le contexte électoral, qu’elle
avait commencé par un candidat, et je tends
l’oreille, me disant que j’allais peut-être
apprendre des choses : Fillon, Le Pen,
Mélenchon ou Macron auraient-ils une
maîtresse ? La voix, appelons-la vox
populi, poursuit :
« Je le sais, j’ai été
la femme d’un député, et je n’ai jamais été
aussi cocue »
Nous passons alors de la vox
populi
à une voix plus individuelle, qui
poursuit :
« Je n’ai pas divorcé,
j’aurais perdu tous les avantages ».
Je transcris cela de mémoire, je n’avais pas de quoi écrire, mais
l’analyse de ce monologue peut être
intéressante. « j’ai
été la femme d’un député », donc
elle ne l’est plus. « j’aurais
perdu
tous les avantages », donc il y a
des avantages à être femme de député. Dès lors
il y a deux solutions : soit elle est
désormais veuve de député, soit elle a divorcé
plus tard, non pas parce qu’elle était cocue
mais parce qu’il n’était plus député et qu’il
n’y avait plus d’avantages à attendre.
En ces temps où l’éthique passe bien après l’idéologie, où les
électeurs de Le Pen ou Fillon se foutent comme
de leur premier bulletin de vote de savoir si
l’une et l’autre peuvent aller en prison, cela
est instructif. « Le Pen pique dans la
caisse de l’Europe ? Et alors ? Elle
va nous débarrasser des métèques ».
« Fillon s’en met plein les poches de ses
costumes de luxe ? Qu’importe ? Il
va supprimer l’impôt sur la fortune ». Et
plus finir : « Mon mari député me
trompe ? Je le garde pour garder les
avantages de sa fonction ».
Où veux-je en venir ? Je n’en sais rien. C’était juste la
pêche d’une écoute flottante.
14 avril 2017 :
L'utopie zamenhofienne

Il y a cent ans mourait Ludwik Zamenhof, l’inventeur de
l’espéranto. Né en Pologne et mort à 58 ans à
Varsovie, élevé en russe et en yiddish,
parlant également le polonais et l’allemand,
connaissant le français, l’anglais, le grec et
le latin, il baigna dans les langues et
imagina très tôt une langue universelle qui
prendra le nom d’espéranto, d’après la formule
par laquelle il signait ses articles,
« doctor espéranto », docteur
espérance (il avait fait des études de
médecine à Moscou).
Cela fait donc plus d’un siècle que cette langue
artificielle est, si je puis dire, dans les
rayons du supermarché linguistique. Elle
n’était d’ailleurs, à l’époque, pas la seule
(le volapück, l’ido, interlingua et d’autres
encore étaient également sur les rangs) et
Zamenhof n’était pas le premier des rêveurs ou
des philosophes à proposer une langue
« universelle ». Du
côté des rêveurs on trouve des romanciers, des
utopistes, dont l'archétype français pourrait
être Cyrano de Bergerac dans son ouvrage Les
Etats et Empires du soleil
et du côté des philosophes
Descartes ou Leibniz, qui se proposaient
d'élaborer ou espéraient une langue
scientifique palliant les défauts inhérents
aux langues naturelles. D'un
certain point de vue, Descartes, dans sa
lettre au père Mersenne (20 novembre 1629) ,
soulignait cependant l'inanité de ces projets:
"Je tiens que cette langue est possible (.....) Mais
n'espérez pas de la voir jamais en usage, cela
présuppose de grands changements en l'ordre
des choses, et il faudrait que le monde ne fût
qu'un paradis terrestre". Staline n'avait sans
doute pas lu Descartes, car la langue
universelle sera également appelée de leurs vœux,
dans
un autre registre, par Nicolas Marr et le
"petit père des peuples". Le premier,
théoricien des "langues japhétiques", pensait
que l'avenir de l'humanité
était d'être monolingue. Il a
consacré à ce thème plusieurs textes, dans
lesquels on trouve une foi solidement ancrée
en l'émergence d'une langue unique
parallèlement à l'unification mondiale de
l'économie: c'était pour lui le socialisme
universel qui devait produire une langue
universelle.
Marr
a été le linguiste officiel de l'URSS pendant
un bon tiers de siècle, et si l'on sait en
général comment Staline, en 1950, a mis fin à
sa domination sur la linguistique soviétique,
on connaît moins le Staline "marriste". Or, en
1930, lors du XVI° congrès du Parti Communiste
de l'Union Soviétique, il déclarait: "La
question du dépérissement des langues
nationales et de leur fusion en une langue
unique n'est pas unproblème intérieur à notre
pays, ce n'est pas un problème de victoire du
socialisme dans un seul pays, c'est une
question internationale, celle de lavictoire
du socialisme à l'échelle internationale".
Nicolas Marr a commenté ce passage, en
soulignant "la clarté et la
profondeurstupéfiantes" du camarade Staline
dont "la pensée politiquement directrice"
retrouvait "très exactement la position à
laquelle lathéorie japhétique est parvenue en
élaborant à l'échelle mondiale une théorie
absolue novatrice sur le langage". Je suis
bien sûr incapable de dire sile passage du
discours de Staline a été directement écrit
par Marr, mais il est clair qu'il n'y a pas de
hasard objectif et que si le "grand
Staline"parvient aux mêmes conclusions que
Marr, c'est bien entendu parce qu'il s'en est
inspiré. Dans son indéniable folie, Marr avait
cependant parfois deséclairs de lucidité, par
exemple lorsqu'il écrivait: "Aucune
langue individuelle, quelle que soit sa
diffusion impérialiste, ne saurait être cette
langue uniquede l'avenir. Toutes les langues
qui furent autrefois internationales sont
mortes; toutes les langues, quelle que soit
leur expansion, petites ou grandespar le
nombre de leurs locuteurs, émanant comme
langues de classes des couches supérieures de
la société ou au contraire productions plus
vigoureuses desmasses, toutes périront de
même; et ce ne sont pas, naturellement, ces
ersatz du langage humain, les espéranto et
autres ido, qui poussent aujourd'hui commedes
champignons, ni aucune des langues que la
création individuelle nous offrira dans
l'avenir, qui sauront les remplacer",
soulignant ainsi uneévidence qu'il est bon de
rappeler de temps en temps.
On
peut voir dans tout cela une nostalgie de la
langue pré-babélique, une recherche d'une
langue philosophique ou scientifique idéale,
ou de l'avènement annoncé d'une langue
universelle socialiste, donc une vision
optimiste de l’avenir à travers une langue
universelle. Mais ce thème a pris de nos jours
d'autres connotations: il ne s'agit plus de
construire ou d'appeler de ses vœux
une
langue qui nous ramène aux heureux temps
pré-babéliques mais de montrer du doigt le
danger d'une américanisation par la langue
anglaise. Le projet espérantiste était de ce
point de vue généreux : chacun parlerait
sa langue et une langue universelle qui,
empruntant à toutes les langues, ne serait en
rien dominatrice. Bien sûr, cette définition
est fausse : l’espéranto s’inspire
essentiellement des langues indoeuropéenne et
n’est guère familière à un locuteur de l’arabe
ou du chinois, du bambara ou de l’aymara.
Quoi
qu’il en soit, quelle est aujourd’hui la
situation de ce projet? Après un siècle de
militantisme, les espérantistes ne se sont pas
imposés et la « guerre » entre les
grandes langues impériales se poursuit. Il est
d’ailleurs difficile d’évaluer le nombre de
pratiquants de l’espéranto. On parle de 100.000
locuteurs, de dix millions de personnes qui
l’auraient étudié, de mille qui l’auraient
comme langue maternelle, mais tout ceci est
impossible à vérifier.
Alors, l’héritage de Zamenhof ? Une belle utopie, sans
doute, mais qui, comme toutes les utopies, ne
se trouve nulle part...
13 avril 2017 :
Pénélope

Au début de la semaine je suis allé assister à un
concert : Le
retour d’Ulysse, de
Monteverdi, dirigé John Gardiner. Au
centre de l’histoire, Pénélope, dont on dit
qu’elle était si belle que son père dût
organiser pour lui donner un mari des jeux
auxquels participèrent tous ses prétendants et
dont Ulysse sortit vainqueur. Puis, après la
guerre de Troie, Ulysse disparut pendant vingt
ans et Pénélope lui resta obstinément fidèle,
expliquant à ses nouveaux prétendants qu’elle
n’épouserait personne avant de terminer une
toile, qu’elle tissait le jour et défaisait la
nuit. Et, au retour de son mari, elle ne le reconnut pas et, là encore, elle
eut recours à une épreuve : tendre l’arc
d’Ulysse. Tous échouèrent, sauf Ulysse, bien
sûr. Mais tout cela vous le savez.
Georges Brassens a rendu, à sa manière, hommage à cette
fidélité, mettant en scène une Pénélope de
banlieue :
« Toi l'épouse modèle
Le grillon du foyer
Toi qui n'a point d'accrocs
Dans ta robe de mariée
Toi l'intraitable Pénélope
En suivant ton petit
Bonhomme de bonheur
Ne berces-tu jamais
En tout bien tout honneur
De jolies pensées interlopes
Derrière tes rideaux
Dans ton juste milieu
En attendant l'retour
D'un Ulysse de banlieue
Penchée sur tes travaux de toile
Les soirs de vague à l'âme
Et de mélancolie
N'as tu jamais en rêve
Au ciel d'un autre lit
Compté de nouvelles étoiles »
Pour ma part, bien sûr, bercé par la
musique de Monteverdi, je n’ai pas pu ne pas
penser à une autre Pénélope, celle dont tout
le monde parle aujourd’hui, Pénélope Fillon,
et à ses avanies supposées. Laissons encore la
parole à Brassens :
« N'aie crainte que le ciel
Ne t'en tienne rigueur
Il n'y a vraiment pas là
De quoi fouetter un cœur
Qui bat la campagne et galope
C'est la faute commune
Et le péché véniel
C'est la face cachée
De la lune de miel
Et la rançon de Pénélope ».
Péché véniel ou pas, la justice tranchera. Je ne sais
pas si elle s’inspirera de l’étymologie de ce
prénom pour décider de son verdict. Mais les
spécialistes ne sont pas tout à fait d’accord.
Certains y voient un mot composé de pếnê (« tissu, toile ») et lépô
(« déchirer»), « celle qui
déchire la toile » . Mais d’autres
soutiennent que ce nom vient du grec pênélops,
« oie sauvage ». Et tout le débat
est là : une travailleuse qui se cache la
nuit pour défaire son travail et n’en laisser
aucune trace ou une oie blanche.
11 avril 2017 :
Epoque moderne

Nous vivons un époque moderne, enfin, vous allez voir.
A la fin des meetings de Jean-Luc Mélenchon, on chante
désormais La
Marseillaise : il y a cinq ans,
c’était L’Internationale.
Dans les meetings de Jean-Luc Mélenchon, on brandit des
drapeaux tricolores : il y a cinq ans,
c’était des drapeaux rouges.
Marseillaise et drapeau tricolore, deux
symboles de la « nation », du
nationalisme, qui ont accompagné toutes les
aventures coloniales, toutes les bassesses, et
que l’on a plutôt l’habitude de trouver chez
Le Pen et Fillon. Tu vas où, Mélenchon ?
Dimanche, à Marseille, Mélenchon arborait un rameau
d’olivier dans la pochette de sa veste, après
avoir expliqué que c’était un symbole de paix.
Hasard du calendrier, le dimanche 9 avril,
c’était le dimanche des rameaux qui, dans le
calendrier chrétien, marque l’ouverture de la
semaine sainte et commémore la passion du
Christ et sa mort sur la croix. Après un signe
aux amateurs de drapeau tricolore et de Marseillaise, une signe aux grenouilles de bénitier qui font
bénir ce dimanche des rameaux d’olivier! On le
croyait bouffeur de curés, mais il caresse les
cathos. Tu vas où, Mélenchon ? Ou
plutôt : quo vadis ?
Nous vivons aussi une époque moderne de l’autre côté de
l’Atlantique. Non, je ne veux pas parler de
Trump, mais de l’Arkansas. Dans cet état, on a
programmé
sept exécutions capitales avant le 1er
mai. Recrudescence de l’insécurité, du
crime ? Non, pas du tout. Mais en
Arkansas on exécute les condamnés par
injection létale. Or le stock du produit
utilisé, un mélange chimique, sera périmé le 1er
mai. Oui, il est écrit dessus :
« messieurs les bourreaux, ne pas
utiliser après le 1/5/2017 ». Alors, par
souci d’économie, on va accélérer le massacre.
C’est pas beau, le sens de l’économie ?
Il faudrait leur envoyer Fillon : les
économies, il connaît.
5 avril 2017 :
Vivement les vacances

Près de quatre heures de débat, hier soir, entre les onze
candidats à l’élection présidentielle. Bien
sûr, il est jouissif d’entendre Poutou dire
leurs quatre vérités à Fillon et Le Pen. "Plus
on
fouille plus on sent la corruption ",
lance-t-il d’abord, poursuivant qu’il y a "des
bonshommes qui nous expliquent qu'il faut la
rigueur, l'austérité, et qui eux-mêmes piquent
dans les caisses". Puis il passe à Le
Pen, qui
avance pour ne pas répondre à la convocation
des juges l’argument de son immunité
parlementaire: « quand nous on est
convoqués par la police, nous ouvriers, on n’a
pas d’immunité ouvrière, désolé. On y
va », formule qui restera dans les
mémoires. Mais au delà ?
Au delà, une sorte de cirque dans lequel Cheminade, Lassalle ou Asselineau jouent le
rôle des clowns de service, parfois illuminés,
parfois obsédés. Ajoutons-y Arthaud, qui fait
de la colère une ligne politique, Dupont
Aignan, qui donne l’impression de toujours se
regarder dans une glace... On se demande ce
que peut apporter au débat politique cette
galerie de portraits hétéroclites. Les autres
candidats, les « grands » comme on
dit, on semblé se contenter de gérer
prudemment leur capital. Les uns avec
arrogance, comme Fillon ou Le Pen, les autres
avec légèreté (Macron) ou opiniâtreté (Hamon,
Mélenchon). Fillon est quand même sorti de sa
hauteur lorsque Poutou est revenu à la charge
("Quand
on
voit même Fillon qui se dit préoccupé par la
dette... Mais il y pense moins quand il se
sert dans les caisses publiques quand il
paye sa famille !") : "Je vais vous foutre un procès à vous."
Mais, au bout du compte, on se dit qu’on ne gagne rien
à vouloir copier les autres (et ici les
Américains). Les primaires de droite puis de
gauche, les rebondissements, les feuilletons
judiciaires, maintenant les débat télévisés
embouteillés tout cela laisse un goût de trop
plein, ou d’indigestion. A quoi servent des
candidats qui n’ont aucune chance et le
savent , même si certains font semblant
d’y croire? C’est le prix de la
démocratie ? Peut-être. Mais entendre un
Asselineau citer sans cesse des articles d’on
ne sait quel code ou quel traité, un Lassalle
bredouillant des choses incohérentes, une
Arthaud répéter toujours les mêmes mantras,
est-ce bien nécessaire ? Bien sûr Hamon a
pu agresser Fillon sur les postes de
fonctionnaires qu’il veut supprimer, mais Le
Pen peut répéter ses inepties sans qu’on
l’interroge sérieusement sur son programme et
son financement.
Bref, même si j’ai ri deux ou trois fois, moi qui suis
presque drogué à la politique, je me sens
fatigué par tout cela, une sorte de
ras-le-bol. Vivement les vacances
(parlementaires).
1er
avril 2017 :
Météorologues

Hier matin j’ai acheté Le
Monde et La
Republica à
l’aéroport de Milan, puis Libération
et El Pais à celui de
Barcelone. Retour en France après quelques
jours en Italie, retour aux nouvelles dont une
seule servira de résumé : Valls annonce
qu’il votera Macron. Et une phrase m’est venue
en tête : Les rats quittent le navire. Cette vieille expression française
remonte à une époque où il était difficile de
prévoir le temps. Or les marins avaient
remarqué que parfois, avant qu’un navire
quitte le port, les rats fuyaient, sentant
qu’une tempête était imminente. Mais on ne
connaît aucune expression ni aucun récit
laissant entendre qu’en d’autres occasions ces
braves muridés se jetteraient, à l’inverse,
sur un bateau, histoire de faire une croisière
si leur sens météorologique leur annonçait du
beau temps. C’est pourtant ce à quoi nous
assistons depuis quelques semaines : les
rats se précipitent sur le navire Macron. Et
rien ne laisse penser qu’ils ont l’intention
de rester dans les caves.
On connaît la fable de La Fontaine le
rat des villes et le rat des champs,
mais il y en a beaucoup d’autres mettant en
scène des rats . Etrangement, ou pas, deux
d’entre elles se terminent par des phrases
devenues formules figées. « Tel est pris
qui croyait prendre » pour Le
rat et l’huître et « patience et
longueur de temps font mieux que force et que
rage » pour
Le
lion et le rat. Remplaçons le rat par
Valls, ou par tout autre transfuge : se
retrouvera-t-il pris alors qu’il croyait
prendre ? Regrettera-t-il
de n’avoir pas su être patient et
laisser faire le temps ? Car tous, bien
sûr, attendent quelque chose, un soutien pour
les prochaines élections législatives,
plusieurs sièges pour son courant, son parti
(n’est-ce pas, Bayrou), un prochain poste
ministériel... Pour en rester aux rats qui
quittent le navire parce qu’ils sentent venir
une tempête, leur sens météorologique leur a
fait sentir le vent et changer de cap. Mais
les marins savent qu'on est parfois obligé de
changer de cap, de tirer des bordées, bref de
naviguer à vue.
Il est une autre fable de La Fontaine qui met en scène
un rat et nous a légué une formule. Dans Le
chat et un vieux rat
l’auteur conte l’histoire d’un chat
qui fait mille ruses pour attraper des rats et
y parvient, à l’exception d’un vieux rat
expérimenté qui se méfie « et savait que
la méfiance est mère de la sûreté ». Et
je vous laisse le soin de mettre des noms sur
ce chat, ce vieux rat, cette huître, ce
lion...
24
mars 2017 : Aux abois

François Fillon est-il aux abois ?
Hier soir, sur la 2, il a commencé par lancer une
ignominie que ses conseillers en communication
lui ont sans doute soufflée, déclarant qu’avec
les affaires dont tout le monde parle à son
propos il avait « souvent pensé à Pierre
Bérégovoy ». Sachant que Pierre Bérégovoy
s’est suicidé, cette sortie ne pouvait pas ne
pas être interprétée comme une sorte de
chantage au suicide, ou une façon de laisser
planer le doute... Minable !
Puis, évoquant un livre dont il dit au début de
l’émission
avoir lu les bonnes feuilles dans Valeurs
actuelles puis
à la fin de la même émission qu’il l’a lu en
pdf, il accuse François Hollande d’être à
l’origine de la « cabale » contre
lui : « on cherchait un cabinet
noir, on l’a trouvé ». Problème, un des
auteurs du livre fait immédiatement savoir
qu’il n’y a rien se semblable dans l’ouvrage.
Ce qui est sûr, c’est que cela fera vendre
l’ouvrage.
Interrogé par Pujadas sur son ultime affaire, ou sur la
plus récente, les costumes que lui a offerts
un avocat au passé sulfureux, il déclare les
avoir rendus, dit qu’il a commis une erreur
(il avait dit la même chose il y a trois
semaines). Une erreur, donc. On cite souvent
la formule latine, errare
humanum est, « l’erreur est
humaine », en oubliant la suite : sed
persevare diabolicum. Et si persévérer
est diabolique, il y a un antidote. Fillon, à
deux reprises, a utilisé le même verbe, confesser :
« je le confesse, j’ai confessé ».
J’ai toujours été frappé par cette vieille
hypocrisie catholique : il suffit d’aller
dans le secret d’un confessionnal dire à voix
basse toutes ses bassesses pour ressortir
blanchi, comme de l’argent sale. Fillon,
finalement, ne fait que ça depuis des
semaines : chercher à se blanchir. Et
j’ai pensé à une des premières chansons de
Jacques Brel, Grand
Jacques, qui date je crois de
1953 :
« C’est trop facile d’entrer aux églises,
De déverser toute sa saleté,
Face au curé qui dans la lumière
grise, Ferme
les yeux pour mieux nous pardonner »
On ne saurait
mieux dire.
Depuis des semaines, donc, nous assistons à ce
spectacle désolant d’un Snoopy
« confessant » ses erreurs révélées,
puis les reconfessant après de nouvelles
révélations. Et nous ne savons même pas
comment exprimer notre dégoût. Christine
Angot, invitée surprise de l’émission d’hier,
l’a su, elle. Dans une saine colère,
expliquant qu’elle parlait au nom de millions
de Français qui le considèrent comme
malhonnête, elle a cassé le moule de ce genre
d’émissions. Au début, pourtant, on avait
l’impression que Pujadas était pugnace, mais
il a paru fade après l’explosion d’Angot qui,
avant de partir, a lancé : on ma invitée
parce que je dis les choses qu’ils n’osent pas
dire.
Alors, Fillon, aux abois ? Nous le saurons dans un
mois, jour pour jour. Nous saurons s’il
parviendra au second tour de l’élection pour
l’immunité présidentielle, ou s’il troquera le
confessionnal pour le tribunal. A suivre.
23
mars 2017 : Autisme ou
aveuglement?

Après Cahuzac Thévenoud, après lui Le Pen, puis Fillon
et enfin Le Roux : ils sont fous ces
Gaulois ! Ou grippe-sous, ou malades.
L’un d’entre eux, Thévenoud, s’est d’ailleurs
livré à un auto-diagnostic : il souffrait
de phobie
administrative. Je ne suis pas sûr que
ce mal ait une place dans la formation des
médecins mais passons. Il est phobique
administratif, le pauvre. Mais les
autres ? Tous les autres ? Ils sont
tous atteints de phobie ? Une phobie arithmétique qui consiste à ne pas
pouvoir compter les heures de travail de ses
assistants (Fillon), à confondre 20 et 40
millions (Sarkozy) ou zéro et deux villas à
l’étranger (Balkany), à se tromper
systématiquement dans l’évaluation de ses
biens immobiliers (Le Pen) ? Ou encore
une phobie vestimentaire qui consiste à ne pas
pouvoir payer les factures de son tailleur
(Fillon) ?
Une phobie sémantique les poussant
tous à confondre argent public et argent
privé ? Une phobie géographique qui
consiste à confondre Bruxelles et Saint Cloud
ou un manoir dans la Sarthe et l’Assemblée
nationale (Le Pen, Filon). Etc. Etc. Toutes
ces phobies que la médecine s’avère incapable
de soigner et qui nous oblige à remplacer les
médecins par des juges d’instruction : il
y a urgence, donner aux juges une formation
médicale...
Je n’ai cité que quelques noms, ceux que la presse évoque le plus
souvent, mais ne nous
y trompons pas : cette poignée de
petits fraudeurs ou de gros escrocs ne
constitue qu’un tout petit sommet d’un gros
iceberg. De nos jours, avec le réchauffement
climatique, les icebergs se détachent et
voguent à la dérive, et c’est bien d’une
dérive qu’il s’agit, la dérive d’une partie
du personnel politique. Ceux que nous
pouvons observer, il y en aura sans doute
d’autres, semblent plutôt souffrir
d’autisme.
Selon Wikipédia (je n’ai pas de dictionnaire médical
sous la main) on entend par autisme « des
troubles du développement humain caractérisés
par une interaction sociale ou une
communication atypiques ». Et l’auteur de
l’article ajoute que « les symptômes sont
souvent détectés par les parents dans les
premières années de la vie de l’enfant ».
Alors, Monsieur et Madame Fillon ont-ils
détecté des symptômes chez le petit
François ? Monsieur et Madame Le Pen les
ont-ils perçus chez la petite Marine ? Un
enfant sur cent serait atteint d’autisme.
Projetons ce chiffre : un politique sur
cent serait-il autiste ? Ou les
politiques seraient-ils de grands
enfants ?
Ce qui est sûr c’est que, si l’étymologie d’autisme est
transparente (autos, « soi-même »)
nos politiques, autistes ou pas, sont tout
sauf transparents. Les analystes disent que
nous assistons à la fin de la cinquième
république, ce qui est probable, et n’osent
pas dire que Le Pen n’a jamais eu autant de
chances d’arriver au pouvoir, ce qui hélas est
plausible. Des bouleversements se préparent
sous nos yeux et une partie du personnel
politique, bien au chaud dans sa bulle et dans
ses privilèges, semble ne rien en voir.
Autisme ou aveuglement ? En 1992 Georgina
Dufoix , face au scandale du sang contaminé,
disait se sentir responsable mais pas
coupable. Nos Fillon, Le Pen ou Le Roux sont
pour l’instant responsables, la justice dira
s’ils sont coupables. Mais ils font surtout la
preuve d’un aveuglement pathologique. Et
pendant ce temps, je l’ai déjà dit dans de
précédents billets, le monde se gausse et nous
regarde comme une république bananière...
21
mars 2017 : Caran d'Ache

Je vais vous faire une confidence. Il y a quelques
mois, en octobre, l’hebdomadaire Télérama
m’avait proposé de tenir sur son site un
blog pendant toute la campagne électorale.
J’avais évalué le temps que cela me prendrait,
m'était rendu compte qu'il s'agissait de
beaucoup de temps, et j’avais décliné
l’offre. Je m’en félicité aujourd’hui, face
aux péripéties que nous avons vécues et qui ne
sont peut-être pas terminées : je
n’aurais pas eu un moment de libre...
Venons-en au débat d’hier soir entre cinq candidats. La
première question qui leur fut adressée
(« quel président serez-vous si vous êtes
élu ? ») impliquait presque
automatiquement des réponses sous forme
d’anaphore : je serai, je serai, je
serai..., et la plupart des candidats s’y sont
prêtés. L’ennui,
avec la langue française, est que ce que je
viens décrire serai pourrait l’être serais,
et qu’il était donc impossible de savoir s’ils
parlaient au futur ou au conditionnel, s’ils
affirmaient devoir être élus ou s’ils en
envisageaient la possibilité. Deux d’entre
eux, cependant, ont marqué leur
différence : Le Pen enchaînant une série
de je
veux, je veux être, je ne souhaite pas (elle
ne dira je serai qu’une seule fois) et Hamon se lançant par une
question : Quel
peuple voulons-nous être ?, le seul
à parler en nous.
Trois hommes en costume et cravate sombre, un quatrième
(Mélenchon) en cravate rouge et une femme en
tailleur sombre et chemisier blanc, les
candidats avaient, derrière eux, leurs
partisans. Ceux de Mélenchon avaient l’air
inspiré en buvant les paroles de leur chef,
ceux de Le Pen s’esclaffaient sans cesse, sans
doute pour laisser croire que leur candidate
avait de l’humour, seul Florian Philipot
semblait tout contrit de ne pas avoir, pour
une fois, la parole à la télévision. Et, pour
continuer avec la sémiologie, Macron était le
seul à montrer ostensiblement qu’il écoutait
les autres, approuvant parfois d’un hochement
de tête, histoire de bien faire comprendre
qu’il prendrait des idées à droite et à
gauche, comme dans une cafétéria on choisit
les plats que l’on met sur son plateau. Quant
à Fillon, immobile, ne regardant personne,
pensif, il tentait de refaire le coup de la
primaire de droite, avec l’air de dire
« causez toujours, je serai le
vainqueur ». Mais sa face de Droopy
sera-t-elle efficace ?
Sur le fond ? Jusqu’ici, on a pu regretter que les
affaires (celles de Fillon et de Le Pen)
envahissaient trop la campagne et qu’on ne
parlait guère des programmes. Ce fut le
contraire hier soir. Le 14 février 1898 le
dessinateur Caran d’Ache publiait dans Le Figaro sous le titre « un dîner de famille » un
diptyque. Premier dessin, une famille attablée
et, au dessus : « Surtout ne parlons
pas de l’affaire Dreyfus ». Second
dessin, tout le monde se bat dans un grand
désordre, et cette phrase : « ils en
ont parlé ». Hier, nos candidats n’en ont
que peu parlé. Mélenchon s’est moqué des
«pudeurs de gazelle », Hamon a parlé de
l’interdiction d’embaucher des parents, mais
Fillon et Le Pen sont restés dans un prudent
silence et, pendant la partie du débat sur la
moralisation de la vie publique Fillon se
terra tandis que Le Pen adoptait, si je puis
dire, une stratégie sous-marine, se cachant
quelques temps au fond de la piscine, mais
sans pull marine. On parla donc des
programmes, un peu ou beaucoup, parfois
passionnément, mais j’avoue qu’après deux
heures d’échanges, alors qu’ils allaient
aborder les problèmes d’environnement, je me
suis trouvé à espérer, pour la première fois
de ma vie, une coupe publicitaire.
Je m’esquive donc pour un petit pipi et c’est à mon retour
qu’arrive la pub attendue : protège-slip,
peau
éclatante de beauté, voitures d’occasion,
pâtes Lustucru, soutien-gorge, nouvelle
voiture à partir de 136 euros par mois,
nouveau dentifrice, économies d’électricité,
brillance des cheveux, nouvelle Ford à 249
euros par mois, Panzani aux tomates fraiches,
j’en oublie peut-être, plein de nouvelles
choses, donc, notre belle société de
consommation et d’abrutissement (comme je ne
regarde jamais cette chaîne, j’avais un peu
oublié) et l’on revient au débat, aux
propositions économiques et sociales.
Mélenchon promet des milliards dont on ne voit
pas où il les trouvera, Le Pen invoque le
« patriotisme économique », le
« protectionnisme économique »,
glorifie les paysans et lance un chiffre à
vérifier : les mutuelles françaises
dépenseraient huit milliards d’euros de
publicité. Age de la retraite, santé, place de
la France dans le monde, terrorisme, les
thèmes se
succèdent, Fillon-Droopy, voyant qu’on
ne l’a pas attaqué sur ses malhonnêteté,
reprend un peu du poil de la bête, Hamon
souhaite couper les ponts avec le Qatar et
l’Arabie Saoudite, Macron déclare avec
honnêteté que « personne ne peut garantir
qu’il n’y aura pas d’attentats » et l’on
en vient aux conclusions. Fillon-Droopy lance
qu’il est le seul à pouvoir obtenir une
majorité à l’Assemblée, Hamon appelle à voter
pour nos enfants, nos petits-enfants, Macron
veut mettre fin au « tic tac droite
gauche », Mélenchon n’a insulté personne
et a paru presque calme. Bref, ils ont tous
suivi à la lettre les éléments de langage que
leur ont fournis leurs conseillers en
communication. Hamon a parlé à ses
concitoyens, Le Pen à ses compatriotes, Hamon
et Mélenchon ont appelé de leur vœux la fin de
la « monarchie présidentielle »,
Mélenchon et Le Pen se sont parfois trouvés
sur les mêmes positions, Macron s’est souvent
trouvé d’accord avec les uns ou les autres,
sauf avec Le Pen. On ne s’est pas ennuyé, et
c’est déjà beaucoup, des programmes
antagonistes ont été enfin présentés. Le
prochain débat, avec onze candidats, sera
peut-être plus foutraque mais, tout de même,
on avait parfois envie de dire, en souvenir de
Caran d’Ache : « Mais qu’ils en
parlent donc !"
15
mars 2017 : Pauvre Molière

On parle beaucoup depuis quelques temps de la
« Clause Molière ». Lancée en mai
1916 par un obscurs adjoint au maire
d’Angoulême, Dominique You, elle consiste à
imposer aux entreprises voulant accéder aux
marchés publics soit que ses employés parlent
français soit dans le cas contraire que les
patrons utilisent des interprètes. Proposée en
amendement à la loi travail
à l’Assemblée Nationale puis au
Sénat, elle est chaque fois rejetée. Mais,
passée inaperçue à l’époque, elle a fait
depuis lors son petit bout de chemin. Laurent
Wauquiez la fait adopter par le région
Auvergne-Rhône-Alpes, Valérie Pécresse fait de
même pour l’île de France, et elle est
aujourd’hui adoptée par cinq régions, toutes
présidées par la droite. Et, outre le PR, elle a le
soutien du Front National.
Bien sûr, les arguments avancés font tous allusion à la sécurité sur
les lieux de travail. Ainsi Valérie Pécresse,
très proche comme on sait des intérêts du
peuple, déclarait-elle : « C’est une
condition sine
qua non pour la sécurité des
travailleurs sur les chantiers ». Mais
nul n’est besoin d’être grand clerc pour voir
qu’elle vise en réalité les travailleurs
européens détachés et les travailleurs
étrangers et que, derrière les arguments
sécuritaires se profile la thèse du FN sur la
préférence nationale. « On est chez
nous », bien sûr.
Passons sur le fait que les Régions n’ont juridiquement pas le droit
d’effectuer des contrôles sur les chantiers
car le problème est ailleurs. Le gouvernement
actuel n’a en effet guère
montré
d’intérêt pour la Francophonie et nous serions
bien en peine pour expliquer quelle est sa
politique en la matière. La droite
traditionnelle, du moins ce qu’il en reste,
n’a pas non plus brillé en la matière et voilà
que les thèses du front National pointent le
bout de leur nez. Yannick
Moreau, qui l’avait présentée à l’Assemblée,
a de ce point de vue eu un parcours
politique intéressant : d’abord membre
du MPF (mouvement pour la France) de
Philippe de Villiers il rejoint ensuite l’UMP
puis le PR, et c’est bien la droite extrême
qui s’exprime, sous couvert de sécurité, et
développe une vision de la Francophonie ou de
la défense du français effrayante. Ne
serait-il pas plus intelligent et plus
généreux de mettre en place une formation
linguistique sérieuse pour les travailleurs
migrants afin d’aider à leur
intégration ? Pauvre Francophonie, et
pauvre Molière.

13
mars 2017 : Se prendre une
veste ou la retourner

Je ne suis sans doute pas le
premier à y avoir pensé, mais la chanson que
chantait naguère Jacques Dutronc, L’Opportuniste,
me paraît tout à fait adaptée à cette
situation d’avant élection présidentielle.
Vous vous en souvenez ?
« Je suis
pour le communisme
Je suis pour
le socialisme
Et pour le
capitalisme
Parce que je
suis opportuniste
Il y en a qui
conteste
Qui revendique
et qui proteste
Moi je ne fais
qu'un seul geste
Je retourne ma
veste
Je retourne ma
veste
Toujours du
bon côté »
La droite nous
a donné une belle illustration de ces
transhumances politiques, qui pourrait nous
donner ce léger détournement :
« J’étais pour le
sarkozisme
J’étais pour le juppéisme
Je suis passé au fillonnisme
Parce que je suis
opportuniste »
La gauche n’est pas en
reste côté retournement de veste et
pourrait entonner :
« J’étais pour le
socialisme
J’étais pour le hollandisme
Je suis passé au macronnisme
Parce que je suis
opportuniste »
Il y avait aux jeux de
cartes une expression, être
capot, qui par attraction du nom d’un
vêtement, la capote,
a
donné une autre expression, se
prendre une veste. Dans les deux cas,
droite ou gauche, ces vagabondages politiques,
ces errances ou ces migrations, semblent se
ramener à un principe qui, s’il n’est pas très
moral, pourrait bien être efficace :
retourner sa veste plutôt que de s’en prendre
une.
4
mars 2017 : Deus ex machina

Deus
ex machina.
Cette expression latine (mais traduite du
grec) désignait au théâtre le fait de faire
descendre un dieu sur scène pour dénouer au
dernier moment une situation compliquée :
quelque chose d’inattendu, d’imprévu, qui
venait tout régler.
J’ai
depuis quelques mois, depuis la primaire de la
droite, comparé cette élection présidentielle
à une pièce de théâtre, et je dois dire que
j’ai été exaucé au delà de ce que je pouvais
espérer. Quel scénariste aurait imaginé une
telle suite de retournements, de
bouleversements ? A l’heure où j’écris,
Fillon s’obstine, s’accroche au mât d’un
navire en détresse, et l’on présente Juppé
comme ce deux
ex machina justement qui pourrait sauver
la droite, à condition que le commandant de
bord lui cède la barre avant le naufrage.
Je
pars quelques jours à Paris, où j’aurais
beaucoup de choses à faire, mais vous
pourriez, vous tous qui me faîtes l’amitiés de
me lire, imaginer quelques scenarii pour la
suite des évènements. Surtout ne bridez pas
votre imagination : tout ce qui s’est
passé jusqu’ici dépasse l’imagination. Alors
allez-y. Mais comme je suis bon prince, je
vous suggère quelques idées, quelques débuts
de piste. Faîtes votre choix et développez.
Vous avez six jours.
Première
idée,
mais elle est un peu plate : rien ne
change, Fillon s’obstine, impose à tous sa
candidature et... A vous de jouer.
Deuxième
idée,
un peu macabre : Fillon se suicide, ou sa
femme le tue, ou il tue Juppé, Baroin
et quelques autres. Ici il faudrait
développer dans un style policier : s’il
y a crime, l’auteur n’en est pas connu au
départ, un policier avisé entre en scène, etc.
On peut imaginer l’utilisation du mystérieux
poison utilisé pour l’élimination de
Kom-Jong-nam, le frère du leader démocrate
nord-coréen Kim-Jong-un, ce qui vous mènerez
sur une piste biscornue mais pas dénuée
d’intérêt, la piste nord-coréenne. Il y aurait
aussi la piste Poutine, qui avait fait
empoisonner à Londres l'une de ses oppposants.
Troisième
idée,
Fillon se retire mais exige qu’un duel soit
organisé (c’est plus rapide qu’une nouvelle
primaire) entre les prétendants à la
candidature. Vous avez le choix entre
plusieurs armes, l’épée, le révolver. Je
pencherai pour ma part pour quelque chose de
plus original. Dans ma jeunesse, en Tunisie,
nous organisions des duels d’injures. Deux
personnes face à face s’injuriaient à tout de
rôle en arabe, ayant le droit d’inventer des
injures mais pas de se répéter. Et celui qui
restait coi, sans nouvelle injure, avait
perdu. Ici, pour mettre un peu de sauce, on
pourrait imposer une contrainte
supplémentaire : s’injurier en verlan.
Vous pouvez enrichir tout cela en partant de
la créativité du langage, des structures
profondes. Je verrai assez bien chaque
candidat disposant d’un conseiller
linguistique, ce qui pourrait donner du
travail à quelques doctorants, surtout s’ils
sont payés au même tarif que Penelope...
Quatrième
idée :
Le plan B comme Balkany. Fillon prend la fuite
avec sa famille. On apprend que c’est Balkany
qui
lui a prêté une villa à l’étranger. Du coup la
police découvre de nombreuses autres
résidences que le couple Balkany avait réussi
à cacher. Et, en tirant sur ce fil, démontre
qu’un partie des sommes détournées par
Bygmalion ont été récupérées par Sarkozy qui a
chargé Balkany de placer cet argent dans
l’immobilier qatari, ou hongrois...
Cinquième
idée,
un autre plan B, B comme Barjot Frigide, avec
en toile de fond la « manif pour
tous » qui prend en charge la campagne...
On annonce que si elle était élue, la
présidente Barjot choisirait ses ministres sur
des critères stricts : pères ou mères de
familles nombreuses, catholiques intégristes,
homophobes, etc.
Sixième
idée :
allez relire Soumission
de Houellebecq.
Moi,
je vais faire ma valise.
2mars
2017 : Arrêt de l'arbitre ?

Hier
matin,
j’écoutais France Inter où était invité Jérôme
Chartier, conseiller spécial de François
Fillon. Vers huit heures vingt, apprenant sans
doute la nouvelle dans ses écouteurs, Patrick
Cohen annonce à son invité que Fillon a annulé
sa présence au salon de l’agriculture et qu’il
fera une déclaration à la presse à midi.
Chartier n’était pas au courant, il ne sait
pas quoi dire... A midi, au QG de Fillon, la
presse attend, attend... Fillon arrive avec
plus de trente minutes de retard. Il déroule
d’abord une incroyable attaque contre la
justice, puis annonce « j’irai jusqu’au
bout... Je ne me retirerai pas... je ne
céderai pas... je ne me rendrai pas ».
Passons sur la rhétorique anti-justice, dont
Marine Le Pen est spécialiste et avant elle
tous les populistes, et soupesons ce dernier
verbe de Fillon : je ne me rendrai pas. C’est dans les films policiers que l’on entend
ce genre de phrases : Rendez-vous !
Je
ne me rendrai pas, plutôt mourir ! Et
commencent les coups de feu. On imagine un
fugitif aux abois, une sorte de fort Chabrol,
un criminel cerné, acculé, et qui refuse de se
rendre. En général, cela finit mal.
En
fait, Fillon m’a donné l’impression d’un
boxeur groggy, KO debout, refusant
d’abandonner le combat malgré les injonctions
de l’arbitre. Sauf qu’ici il n’y a pas
d’arbitre et que Fillon s’en invente un :
le peuple. Le peuple contre la justice. Encore
une fois le populisme, pire encore. La presse
parle d’un noyé paniqué qui se débat avant de
sombrer, ou compare Fillon au chef d’orchestre
du Titanic
qui dirige ses musiciens avant la
naufrage. Sauf qu’ici le chef a de moins en
moins de musiciens, que les rats quittent le
navire avec leurs instruments, se demandant
comment ils vont pouvoir assurer leur
élection. Pas celle de Fillon, la leur, aux
législatives qui suivront la présidentielle.
Cette
présidentielle
n’arrête donc pas de nous surprendre. Et elle
peut encore nous surprendre. Fillon peut ne
pas arriver au second tour, et la droite
règlera ses comptes. Il peut, même si c’est
improbable, nous surprendre encore et gagner,
avec un œil
au beurre noir, le nez écrasé, quelques dents
cassées et du sang sur son joli costume. Dans
tous les cas, on en parlera longtemps, dans
les cours de politologie à Sciences Po, dans
les livres sur les sondages politiques, sur la
communication, sur la stratégie. Mais j’ai
l’impression qu’il n’a pas de stratégie,
Fillon, qu’il ne comprend rien à ce qui lui
arrive, qu’il pense n’avoir rien fait de mal,
qu’il est victime d’un complot. On parlera
peut-être aussi de lui dans les cours de
psychiatrie. Ou dans les dictionnaires, comme
exemple dans les articles sur l’ego
et sur la résilience. Mais, je le répète, je vois un boxeur sonné, hébété,
qui n’entend pas son entraîneur lui disant de
jeter les gants, la foule qui le siffle,
l’arbitre qui compte...
Petit
détail
qui ne s’invente pas. Après son intervention
devant la presse, il est allé manger avec un
petit groupe de fidèles (enfin, fidèles pour
l’instant) dans un restaurant décoré...
d’affiches de Mohamed Ali. Faut-il le
rappeler, Mohamed Ali a tenté, le 2 octobre
1980, de remporter pour la quatrième fois le
titre des poids lourds. Et il perdit ce
dernier combat, au 11° round, par arrêt de
l’arbitre.
26
Févrer 2017 : Graines de
bagnards

J’aurais
voulu
vous parler du Maroc, dont je suis rentré
hier. Ce sera pour une autre fois. A peine
sorti de l’avion, l’actualité française m’a en
effet rattrapé. La droite
« gaulliste » et l’extrême droite
sont en effet pourvoyeurs de Président et de
candidats à la présidence très particuliers.
Souvenez-vous
Chirac.
Depuis
1990 il nage dans les affaires. Il a réussi,
pour l’une d’entre elles, à faire condamner
Alain Juppé à sa place, puis a profité de son
immunité présidentielle pour repoussé les
échéances. Mais, en 2011, il sera condamné à
deux ans de prison avec sursis. Pas mal pour
un ancien président de la république!
Passons sur une histoire de compte bancaire au
Japon, de vente d’armes à l’Angola, sur le
budget de la présidence de la république qui a
été multiplié par neuf en 1995 et 2007. Le
dossier Chirac est lourd...
Le
président
« gaulliste » suivant, Nicolas
Sarkozy, a lui aussi fait fort. En 2012 il
obtient un non-lieu pour l’affaire
Bettencourt, mais il est mis en examen pour
une affaire de « corruption active »
et « trafic d’influence »
(souvenez-vous du faux nom, Paul Bismuth, sous
lequel il correspondait avec son avocat). Il
est également mis en examen pour
« financement illégal de campagne
électorale » (la fameuse affaire
Bygmalion). Malgré tout cela, il tentera de
revenir dans le jeu politique en se présentant
à la primaire de la droite.
Et
voici maintenant le cas Fillon, qu’il est
inutile de rappeler : tous les media en
parlent.
Résumons-nous.
La
droite « gaulliste »
a voté pour un candidat, Chirac, qui
été déjà mouillé dans les affaires et sera
finalement condamné. Elle a soutenu le retour
d’un autre candidat, Sarkozy, qui sera sans
doute condamné un jour ou l’autre. Elle
soutient maintenant un troisième candidat,
Fillon, dont l’avenir judiciaire est délicat
et qui compte sur son élection pour bénéficier
de l’immunité présidentielle. Cela fait
beaucoup, non ? Et pourtant les foules
sont toujours là, hurlant « on va
gagner ». C’est à se demander s’il ne
faudrait pas instituer un permis de voter,
comme il y a un permis de conduire...
Passons
à l’extrême droite. Les Le Pen père et fille
ont également pas mal de casseroles :
côté impôts, sous-déclaration de patrimoine et
emplois fictifs, ils n’ont rien à envier aux
précédents. C’est-à-dire que depuis près de
trente ans tous
les candidats de droite et d’extrême droite
sont mêlés à des affaires. Ce qui donne une
image peu reluisante de la démocratie. Et,
bien sûr, tout cela est la faute de la presse
et de la justice. Le choses seraient plus
simples si nous prenions
exemple
sur d’autres pays, comme la Russie ou la
Turquie, dans lesquels les journalistes trop
curieux sont en prison ou au cimetière, les
juges trop méticuleux sont virés.
Depuis
près
de trente ans, donc, la droite et l’extrême
droite françaises ne peuvent présenter comme
candidats à la présidentielle que des abonnés
aux tribunaux. En d’autres temps, on aurait
appelé ça des graines de bagnards.
22
Févrer 2017 : Hou! Les
vilains Brésiliens !

Au
Brésil, un ministre de la justice, Alexandre
de Moraes, traine un certain nombre de
casseroles : soupçonné de corruption, de
plagiat, son parti, le PSDB est accusé d’avoir
participé à des détournements de fonds avec le
groupe Petrobras, bref le ministre est dans le
viseur de la justice. Mais le président de la
république, Michel Temer, a trouvé la
réplique. Il vient de le nommer à la Cour
suprême, lui garantissant ainsi une immunité
qui empêchera la justice de lui chercher des
poux dans la tête. Moraes n’a aucune formation
juridique, il est soupçonné de corruption,
mais il va devenir juge anticorruption.
Scandaleux ? Non, normal. Nous sommes au
Brésil, une république bananière qui a de la
justice une image très approximative. Comme la
Turquie, ou la Russie. Hou ! les vilains
Brésiliens ! Ils n’ont pas honte ?
En
France, la droite envisage de faire élire à la
présidence de la république un menteur ou un
amnésique (il a en quelques jours déclaré
qu’il n’avait qu’un compte bancaire, puis
s’est souvenu qu’il en avait dix-sept), d’une
morale à dimensions variables (après avoir
déclaré que, mis en examen, il se retirerait
de l’élection, il dit désormais le contraire),
soupçonné de détournement d’argent public et
d’emploi fictif et qui sera peut-être bientôt
mis en examen. Mais elle a raison, la droite
française, il n’y a là que broutilles,
acharnement de la presse, mauvaise foi de la
justice. Nous ne sommes pas dans une
république bananière, nous. Simplement, nous
nous préoccupons de l’essentiel (en
l’occurrence faire élire un menteur ou un
amnésique, à la morale douteuse et qui a des
rapports troubles à l’argent) et non pas du
secondaire (une campagne de presse haineuse et
injuste). S’il est élu, ce monsieur trouvera
peut-être pour Balkany, Sarkozy, Guéant et
quelques autres des postes leur garantissant
l’immunité. Ca n’existe pas ? Il pourrait
en créer. Mais quand même : Hou !
Les vilains Brésiliens !
Nous
vivons
une époque moderne.
20
Févrer 2017 : Has been chez
les poulets...

Roger
Knobelspeiss est mort hier. Il avait 69 ans.
Son nom ne dit sans doute pas grand chose
aujourd’hui, car je vais vous parler d’un
temps que les moins de quarante ans ne peuvent
pas connaître, et vous parler (un peu) d’une
petite partie de ma vie...
C’était à
la fin des années 1970 et Lili Le Forestier,
la mère de Maxime et de Catherine, avait lancé
avec l’aide de Maurice Frot et de Daniel
Colling, les fondateurs du Printemps de
Bourges, l’association Spectacles
en
prison. Le principe en était simple:
être condamné à la prison, c’est être privé de
liberté, rien de plus. Donc on ne doit pas y
être humilié, on y a droit à la lecture, à la
formation, au spectacle. L’idée était tout
aussi simple : aller en prison le
dimanche après-midi avec le matériel
nécessaire de sonorisation, un artiste, et y
donner un spectacle pour les prisonniers. Mais
si l’idée était simple, il était beaucoup
moins simple d’obtenir les autorisations
nécessaires pour y entrer. Lili et Maurice
s’étaient donc dit que si l’on mettait cette
activité culturelle sous l’égide d’un
intellectuel, ou d’un prof de fac, qui
animerait un débat après le spectacle,
cela donnerait une image
« culturelle » au projet et
l’administration le regarderait d’un meilleur
œil. Je fus ainsi promu au statut d’animateur de débats
après spectacles pénitentiaires.
Certains
dimanches, donc, nous chargions dans une
camionnette un matériel minimum, micro, sono,
éclairage, et partions, Maurice, Daniel et
moi, vers la prison de Melun, munis de toutes
les autorisations nécessaires. Pour pénétrer
dans les lieux, la procédure s’apparentait au
passage d’une écluse : une porte ne
s’ouvrait jamais avant que la précédente ne
soit fermée. On vérifiait nos papiers,
fouillait la camionnette, nous laissait
passer, puis seconde vérification, etc. Une
fois ce rite terminé, nous pouvions enfin nous
installer, faire une « balance »
avec la vedette du jour, puis attendre que
l’administration pénitentiaire fasse entrer le
public. J’y suis allé à trois reprises, avec
Leny Escudero, Renaud et Guy Bedos, tous trois
étaient d’ailleurs tout à fait capables de
débattre sans animateur et j’étais un peu
inutile. Alors j’observais.
Il y avait,
dans un coin de la salle, un tableau lumineux
sur lequel s’affichait parfois, en cours de
spectacle, un
numéro
matricule. Un homme se levait alors, sortait,
et allait au parloir où l’attendait une
visite, la scène se reproduisant plusieurs
fois pendant le temps de notre présence. Le
spectacle terminé, nous passions à la
discussion, et nous étions soudain entourés de
prisonniers que les gardiens ne parvenaient
pas à contenir, certains posant effectivement
des questions, d’autres nous racontant leur
vie. Melun était une centrale de détention,
c’est-à-dire qu’on n’y trouvait que des
condamnés à de longues peines, et je n’ai
jamais vu autant d’assassins ou de violeurs au
mètre carré. Mais le plus difficile était de
mettre fin à la séance. Il arrivait toujours
un moment où, en fin d’après-midi, l’un
d’entre nous regardait sa montre. Il nous
fallait démonter et recharger le matériel,
reprendre la route de Paris, dans la
circulation des dimanches soirs, bref sortir,
alors que tous ces gens allaient regagner
leurs cellules, clic-clac, enfermés, et jamais
la phrase « nous devons partir » ne
m’a parue aussi difficile à prononcer. Nous
partions, ils restaient.
Je l’ai dit, Melun était une centrale de détention, mais
tous n’étaient pas nécessairement coupables,
et c’est là que je rencontrais pour la
première fois Roger Knobelspiess, très actif
dans les débats. Il avait eu une jeunesse de
petite délinquance, dans la région d’Elbeuf,
proche de l’endroit où je vivais alors, en
Normandie. Son frère avait été abattu par un
commerçant auquel il avait volé un autoradio,
et la famille était pour le moins mal vue,
dans le collimateur de la police et des
ragots. En 1972 il avait été accusé d’un petit
cambriolage, qu’il niera toujours avoir
commis, mais pour lequel il avait été condamné
en 1972 à quinze ans de prison. Coupable
ou
pas, la peine était très lourde, mais le
tribunal local n’était peut-être pas très
impartial... C’était
dans
la centrale une sorte de vedette, qui,
visiblement, en agaçait certains et en
fascinaient d’autres. Il avait connu, derrière
les barreaux, Jacques Mesrine et en tirait
gloire, il venait de publier un livre, QHS, dans lequel il dénonçait les quartiers de haute sécurité dans
lesquels on mettait au secret les
récalcitrants, et qu’il avait fréquentés plus
que de raison. Bref, c’était une grande
gueule. Et
son livre l’avait fait connaître par le
public intellectuel.
Je le vis donc trois fois, discutant avec lui en fin de
spectacle, et lorsqu’en 1981 il sera gracié
par François Mitterrand, je le reçus un peu,
chez moi, je l’amenai un jour avec Leny
Escudero qui était mon voisin, faire des
parties de ping pong dans mon club de tennis,
ce qui fit doublement jaser, parce que
j’amenais une « vedette » et parce
que j’amenais un « truand », connu
dans la région grâce à la presse locale. Et il
se mit à écrire, pour raconter sa vie, dans
son quartier dégradé d’Elbeuf : ce sera
en 1984 Le
roman des Ecameaux. Mais, entre temps,
il avait été arrêté à nouveau en 1983, pour un
braquage auquel il nia avoir participé.
C’est à cette époque, de 1984 à 1986, que j’ai pris la
présidence de son comité de soutien. Avec
Cavanna, Serge Quadruppani, Gébé, Paco Ibañez,
Max Genève, etc., nous tentions de faire
connaître son dossier dans la presse, de faire
le plus de publicité possible à sa défense. Je
n’ai jamais su s’il était réellement coupable
de ce qu’on lui reprochait, mais j’avais
soigneusement étudié son dossier, avec l’aide
de son avocat Henri Leclerc, et je m’étais
rendu compte qu’il n’y avait aucune preuve
contre lui, que l’accusation ne reposait sur
rien. Or le doute doit profiter à l’accusé, et
cela me suffisait. J’ai sous
les yeux un article de Libération
du 5 juillet 1984, avec une photo d’une
conférence de presse dans les locaux d’Hara
Kiri sur laquelle, entre Gébé et Max
Genève, je présente les arguments de la
défense. « Roger
Knobelspiess :
le coupable idéal » titrait Libé.
Je lui
écrivis régulièrement, avant d’obtenir le
droit de visite. Dans sa première réponse il
me demandait de rappeler à Leny (Escudero)
qu’ils avaient une partie de ping pong à
terminer, me parlait du Nutela, une sorte de
crème au cacao, que lui avait fait découvrir
chez moi une de mes filles qui en était
friande, des affaires judiciaires en cours,
qu’il commentait sans doute avec d’autres
détenus...
Mais il
me
racontait surtout son désir d’écriture et ses
difficultés à écrire, m’expliquant que,
paradoxalement, il avait une forte pulsion
d’écriture mais ne pouvait écrire qu’en
prison, cette prison dont il voulait sortir.
Dehors, m’écrivait-il, il était trop pris par
le désir de vivre, de rattraper le temps que
lui avait volé la prison... J’avais essayé de
l’occuper en lui demandant de me noter des
mots ou des expressions qu’il entendait, de
l’argot. Sa réponse, « pour l’argot, tu
sais, je ne vois pas grand chose », me
surprit. Je pensais, naïvement, que l’argot
était encore la « langue » du milieu
et que la prison était un lieu privilégié
d’observation, mais il n’en était apparemment
rien. Les prisonniers amenaient avec eux,
derrière les barreaux, la façon de parler
qu’ils avaient à l’extérieur, c’est-à-dire de
la diversité, et rares étaient les formes
« argotiques » qui auraient pu leur
servir de forme identitaire.
Puis
j’obtins le droit de visite que j’avais
demandé. Le trajet pour Fleury-Mérogis était
long et, une fois arrivé, la scène déprimante.
Essentiellement des femmes, qui ne pouvaient
venir que le dimanche, parfois avec leurs
enfants, faisaient la queue, en attendant
l’heure d’ouverture des grilles. Ensuite,
l’itinéraire était compliqué : papiers,
fouille, attente le temps que le prisonnier
visité arrive, puis on vous introduisait dans
une sorte de cagibi, coupé en deux par une
paroi en plexi glace... Nous
parlions
de son dossier, bien sûr, de mes rencontres
avec son avocat, de ses témoins. Mais la
communication est difficile lorsque le terrain
n’est pas choisi librement et d’un commun
accord par les deux participants. Je ne sais
pas comment les femmes parlaient avec leur
homme, comment les enfants communiquaient avec
leur père, mais je sais qu’avec Roger cet
espace confiné n’était pas, ne pouvait pas
être, un lieu de réelle communication, tant il
était stressé par le temps limité qui nous
était accordé. Il avait trop de choses à dire,
venait toujours avec un
« pense-bête », un bout de papier
sur lequel il avait inscrit des idées, des
demandes...
C’est donc
en janvier 1986 qu’il fut jugé. Je me souviens
que nous étions trois à attendre dans la salle
des
témoins, Cavanna, Bedos et moi, que Cavanna
passa le premier, que je le suivis et, assis
dans la salle d’audience, j’assistai donc
ensuite au témoignage de Guy Bedos. Il avait
choisi de la jouer spectaculaire, entrant
dans salle en courant, comme s’il entrait en
scène, en criant « c’est pas moi, j’y
étais pas !». Le président du
tribunal coupa son élan, énonçant froidement
la formule rituelle, « nom, prénom, âge
et profession ». Mais l’ambiance
s’était un peu réchauffée, les gens
s’étaient déridés. Le procès dura plusieurs
jours, et le dernier soir nous assistâmes
aux plaidoiries de Thierry Levy et d’Henri
Leclerc, puis attendîmes la délibération du
jury. Ce fut long, tendu, la cour revint,
liste des questions au jury, réponses, puis
verdict : acquitté. Roger fut relâché
sur le champ. Et je le vis moins, presque
jamais en fait. J’appris par la presse en
avril 1987 qu’il avait été arrêté, en
flagrant délit de braquage, très vite
condamné à neuf ans, incarcéré à l’autre bout
de la France. Il sera libéré en 1990, à
quarante-trois ans, ayant au total passé plus
de 25 ans en prison. Il continuera à écrire,
en particulier Voleur
de poules, publié en 1991, fera l’acteur
dans de nombreux films de Jean-Pierre Mocky,
mais aussi dans Capitaine
Conan de
Bertrand Tavernier, mais j’apprenais tout cela
de loin. Et je le revis par hasard, dix ans
plus tard, au salon du livre de Brive la
Gaillarde. J’étais coincé entre deux auteurs,
devant ma pile de livres, avec à ma droite un
écrivain catholique, Jacques Duquesne, qui
venait de sortir un ouvrage sur Marie. Nous
étions en train de rire parce qu’une dame
venait de lui dire qu’elle n’achèterait pas
son livre, « vous avez dit dans votre
livre sur Jésus qu’il était juif ! »
quand surgit Roger, se jetant sur moi pour
m’embrasser en criant « Mon faux
témoin ! ». Je quittais le stand
pour aller discuter un peu avec lui et, à mon
retour, Duquesne me demanda, mi-figue
mi-raisin: « Vous avez été le faux témoin
de Knobelspiess ? ».
Le soir,
autour d’un repas, il me raconta la partie de
sa vie que j’ignorais, depuis sa libération.
Une anecdote me revient. Un jour, me dit-il,
au volant de sa voiture, il est arrêté par un
barrage de police. On lui demande ses papiers,
il les donne, on les lui rend et il
demande : « Vous me reconnaissez, je
suis Roger Knobelspiess ? ». On lui
répond que non, qu’on ne le connaît pas. Et il
me commenta la scène : « Tu te rends
compte Louis-Jean, j’suis has been chez les
poulets! » Sic transit gloria mundi....
Mais il
n’était sans doute pas has been que chez les
poulets. Je ne sais pas ce que la presse
racontera ou même si elle en parlera, je
verrai demain. Roger Knobelspiess avait un
temps été la coqueluche de la gauche française
qui avait pris sa défense. S’en
souvient-elle ? Il faudrait savoir si la
gauche existe encore, et si elle a de la
mémoire...
19
Févrer 2017 : Les électeurs
et le "syndrome Balkany"

Depuis
l’élection
de Donald Trump aux USA, l’éviction de Sarkozy
puis de Juppé de la primaire de la droite,
celle de Valls de la primaire de la gauche,
les sondeurs qui n’avaient rien vu venir
étaient devenus un peu discrets. Voilà qu’ils
reviennent, et ce qu’ils nous disent pose un
certain nombre de questions.
Jeudi
dernier,
Le Monde
leur consacrait deux pages entières. En
gros, pour le premier tour de la primaire à
venir, les cinq premiers étaient dans cet
ordre: Le Pen (26% d’intentions de vote),
Macron (23%), Fillon (18,5%), Hamon (14,5%) et
Mélenchon (12%). Un deuxième sondage demandait
entre autres choses si les candidats
étaient perçus comme honnêtes. Notés de 0 à
10, les mêmes cinq premiers obtenaient les
notes suivantes : Hamon 4,3 sur 10,
Mélenchon 4,1, Macron 3,8, Le Pen 2,8 et
Fillon 1,9. Il est vrai que Le Pen et Fillon
sont englués dans des affaires financières qui
pourraient les mener l’une et l’autre devant
un tribunal. Mais leurs électeurs de droite et
d’extrême droite ne semblent guère s’en
soucier.
Ainsi,
dans un nouveau sondage publié aujourd’hui
dans le Journal du dimanche, on lit que 70% des sympathisants de son parti
souhaitent que Fillon maintienne sa
candidature, et 61% d’entre eux pensent que la
justice est partiale. Mais on ne voit pas
apparaître l'idée qu'il serait innocent de ce
dont on l'accuse. Et si beaucoup de ses
« soutiens » déclarent, mais sous
couvert d’anonymat, qu’il
est mal parti, qu’il devrait se retirer, ils
affirment officiellement le défendre.
Conclusion :
ils
sont malhonnêtes, corrompus, mais nous
voteront pour eux. Et, du coup, ce ne sont
plus les politiques qui posent problème, mais
les électeurs. Il y a là ce que j’appellerais
volontiers le « syndrome Balkany ».
Souvenons-nous. En 1997, Patrick Balkany, un
ami proche de Sarkozy, était condamné par le
tribunal correctionnel de Nanterre à quinze
mois de prison avec sursis, 200.000 francs
d’amende et deux ans d’inéligibilité. Revenu
en politique, il était élu député en 2007, et
en 2008 il était réélu maire de
Levallois-Perret, la ville dont il avait
détourné de l’argent, au premier tour. Depuis
lors d’autres affaires se sont abattus sur lui
et sa femme, ils sont poursuivis pour
déclarations mensongères, blanchiment de
fraudes fiscales et corruption et on leur a
retiré leurs passeports : ils ne peuvent
plus quitter le territoire français. Mais ils
sont toujours aussi populaires dans leur
ville. Allez comprendre... Encore une fois,
ils sont malhonnêtes, corrompus, ils ont déjà
été condamnés, mais nous votons pour
eux ! Imagine-t-on que Jérôme Cahuzac,
ancien ministre socialiste, renvoyé devant les
tribunaux pour un fraude fiscale bien moindre,
puisse se représenter à une quelconque
élection et être élu ?
Les
choses sont encore plus étonnantes pour Le
Pen. Elle ne bouge pas dans les sondages,
toujours en tête pour le premier tour, alors
que le Parlement Européen l’accuse d’emplois
fictifs pour son garde du corps et sa
directrice de cabinet qu’elle a fait payer par
le Parlement alors qu’ils travaillaient pour
le FN à Paris. Le Parlement retire désormais
chaque mois de son salaire (ainsi qu’à
d’autres députés européens FN) des sommes
destinées à rembourser l’argent détourné, mais
son électorat ne baisse pas. Comme si le fait
de vouloir critiquer le « système »
l’autorisait, aux yeux de ses électeurs, de
tricher avec lui, ou comme si la malhonnêteté
n'était pas importante lorsqu'on s'appelle Le
Pen.
Il
nous faut donc laisser de côté la question de
l’éventuelle corruption de certains
politiques, en particulier Fillon et Le Pen,
pour nous interroger sur ce qui se passe dans
la tête des électeurs. Doit-on en déduire que
les sympathisants de droite et d’extrême
droite se foutent de la moralité et de
l’honnêteté de leurs candidats ? Que
leurs choix partisans les aveuglent ? Ou
qu’ils les défendent à haute voix mais ne
voteront pas pour eux dans le secret des
isoloirs ? Je n’en sais bien entendu
rien, même si le cas Balkany nous pousserait à
exclure la troisième possibilité. Mais la
démocratie en sort malmenée.
Reste
donc à analyser de plus près le
« syndrome Balkany ». Bon travail...
13
Févrer 2017 : Digagisme

Comme
les cieux de Provence lorsque souffle le
mistral, le paysage politique français a été
singulièrement balayé depuis quelques mois.
Duflot, Sarkozy, Juppé, Hollande, Valls et
peut-être bientôt Fillon ont été
successivement renvoyés à leurs chères études,
au point qu’il est impossible de prévoir ce
qui va se passer dans les semaines qui
viennent. Avec Fillon, nous en serions à sept
« dégagés », et il en manquerait
alors trois pour atteindre les « dix
petits nègres » d’Agatha Christie.
Mélenchon,
qui
n’en est pas à une récupération près, vient
d’évoquer le digagisme
à propos de Valls, qui a donc valsé, digagisme
que beaucoup de commentateur ont
présenté comme un néologisme. Néologisme,
certes, mais pas mélanchonisme, comme on va
voir.
C’est
en janvier 2011 qu’apparaissent, dans les
manifestations de la « révolution de
jasmin » tunisienne, des pancartes
proclamant en français « dégage » à
l’endroit de de Zine el-Abidine Ben Ali puis
« RCD dégage », à l’endroit de son
parti, le « rassemblement constitutionnel
démocratique ». Peu de temps après on
voit la même pancarte, « dégage »,
dans les manifestations de la place Tahrir
(« place de la libération »), au
Caire.
Quelques
mois
après, toujours en 2011, ma collègue et amie
Dalila Morsly décrivait dans un article le
trajet de cet impératif passant en arabe
tunisien sous la forme digaage
et bientôt conjugué dans cette langue:
ydigagi,
« il dégage ». Et elle notait
des dérivations comme digagisme
et
s’auto-dégager
qui étaient apparus dans le discours politique
tunisien. Très vite, toujours en 2011, un
mouvement belge va revendiquer le terme et
publier un Manifeste
du digagisme, avec le but explicite non
pas de prendre le pouvoir mais de déloger ceux
qui l’occupent, de faire le vide en quelque
sorte. Et, en 2013, l’auteur de ce manifeste
explique que ce digagisme
était l’expression du pouvoir de l’anonyme et
qu’il « ne peut pas y avoir de leader
dégagiste ».
Ce
qui me ramène à Mélenchon. Je ne sais pas s’il
a utilisé dégagisme pour décrire un phénomène ou pour s’en revendiquer, mais
dans cette deuxième hypothèse il se mettrait
dans une situation singulière. D’une part
parce qu’il ne symbolise pas vraiment une
absence de leader et, qu’au contraire, il est
un parfait exemple du chef de file
auto-proclamé. Et d’autre part, parce qu’il
risque d’illustrer une vieille tendance
poujadiste et de se situer dans un courant
dont le seul argument politique serait
« sortez les sortants ». Cette
vieille revendication populiste semble
d’ailleurs sous-jacente à la campagne de
Macron. Sortirait-il lui-même de la scène
politique qu’il serait le huitième dégagé. Il
n’en manquerait alors que deux.
12
Févrer 2017 : Calculs
dominicaux

Marine
Le Pen, entre autres bêtises, a déclaré jeudi
soir à la télévision qu’elle signait 100.000
mains par mois. Il ne s’agissait pas pour elle
de se vanter mais de prévenir un sale
coup : le journaliste lui annonçait un
document et elle craignait sans doute
une photo la montrant serrant une main
infréquentable.
Cent
mille mains par mois, donc. Ce dimanche matin,
histoire de me dérouiller les neurones, je me
suis livrer à un petit calcul. Considérons la
durée moyenne d’un mois, 30 jours :
100.000 divisé par 30 cela fait quelque chose
comme 3333
mains serrées par jour. Un jour, cela ne vous
a pas échappé, se compose de 24 heures.
Divisons donc 3333 par 24, nous arrivons à 138
mains par heure. Et une heure comportant 60
minutes, Marine Le Pen serrerait 2 mains par
minutes, plus précisément 2,314 et quelques.
En se livrant à ces serrages de mains 24
heures sur 24, sans dormir, samedis et
dimanches compris. C’est, bien sûr, du
n’importe quoi.
Au
fait, que craignait-elle, Marine Le Pen, en
lançant ce gros mensonge ? Quel document
craignait-elle voir apparaître ? Vous
avez une idée ? Pas moi.
11
Févrer 2017 : Psychiatriser
le psychiatre ?

Nous
sommes
entrés dans une campagne présidentielle
nauséabonde. Il s’est passé cette semaine
quelque chose de singulier. Un certain Nicolas
Dhuicq, député PR de l’Aube, a donné une
interview à l’agence Sputnik, financée dit-on
par le Kremlin, interview dans laquelle il
déclare qu’un « très riche lobby gay » serait derrière la campagne d’Emmanuel
Macron. Je me fous comme de ma première
chemise de la vie sexuelle de Macron, je
m’intéresse plus à son programme, du moins je
m’intéresserai à son programme lorsqu’il en
aura un. Mais le sieur Dhuicq poursuit :
« Macron
est quelqu’un qu’on appelle « le
chouchou » ou « le chéri »
des média français, qui sont détenus par un
petit nombre de personnes ». Puis
il balance un nom, « l’un
de ses soutiens est le célèbre hommes
d’affaires Pierre Bergé, associé et amant de
longue date d’Yves Saint Laurent, qui est
ouvertement homosexuel et défend le mariage
pour tous ». Enfin il menace :
Les
détails sur la vie d’Emmanuel Macron vont
être rendus publics ».
Belle
littérature !
Cela sent, d’abord, l’homophobie à plein nez.
Cela sent aussi, comme le disait François
Fillon à un autre propos, les officines. Mais
cela montre surtout que le parti de Fillon a
peur de Macron et qu’il est prêt à tout pour
le déstabiliser. Ou que, peut-être, les Russes
voudraient intervenir en douce dans l'élection
présidentielle française comme ils seraient
intervenus dans l'élection américaine. C’est
beau, la politique française ! Ca pue.
Pour
finir,
je lis sur Internet que Nicolas Dhuicq serait
médecin psychiatre. Bonne chance à ses
patients, s’ils sont homosexuels...
Faidrait-il psychiatriser le psychiatre ?
8
Févrer 2017 : Encore les
faits alternatifs

Je
parlais le 29 janvier de ces « faits
alternatifs » que la communication de
Donald Trump a mis au goût du jour et voici
que Fillon se lance à son tour dans ce genre
de pratique.
Voulant
jouer
la transparence, il a donné lundi une
conférence de presse au cours de laquelle il
n’a pas dit grand chose sur la seule question
qui se posait : Madame Fillon a-t-elle
oui ou non été payée à ne rien faire ?
Publier son patrimoine, donner la liste de ses
comptes en banque, tout cela ne répond en rien
au doute qui s’est instauré. C’est comme si on
me demandait : « étiez-vous à votre
bureau mercredi ? » et que je
répondais « je suis né en Tunisie ».
Puis
il a attaqué la presse, parlant d’acharnement
contre lui, voulant jeter le doute, bref il
appliquait le vieux principe selon lequel
lorsqu’une affaire nous cause du souci il faut
créer une affaire dans l’affaire, puis une
affaire dans l’affaire dans l’affaire, jusqu’à
ce que plus personne ne se souvienne de
l’affaire de départ.
En
voici un exemple. Jeudi dernier on pouvait
suivre dans l’émission Envoyé
Spécial l’interview de Penelope Fillon
que la journaliste britannique Kim Willsher
avait réalisée en 2007 pour le Telegraph.
La femme du candidat y déclarait de
façon audible et sans ambiguïté qu’elle
n’avait jamais était l’assistante de son mari.
La cause semblait entendue : la
principale intéressée était muette depuis que
le scandale avait éclaté, mais elle avait
répondu par avance, en 2007, et l’on
comprenait pourquoi elle gardait silence.
Fillon, lors de sa conférence de presse lundi,
a déclaré que des phrases avaient été
« sorties de leur contexte » et que
d’ailleurs la journaliste anglaise s’était
offusquée de cette utilisation malveillante.
En d’autres termes c’est un truquage de la
méchante presse, truquage contre lequel la
gentille journaliste proteste. Problème :
la dite journaliste, interrogée par Libération,
dément, et elle déclare en outre dans le Guardian
que cette phrase, « je n’ai jamais
été l’assistante de mon mari », était a
smoking gun, une preuve indiscutable de
culpabilité. Donc, face à une déclaration
gênante de sa femme, Fillon déclare qu’elle
n’a pas vraiment dit cela et accuse les
journalistes : fait alternatif, vous avez
mal entendu, je vais vous
dire ce qu’il fallait entendre, etc...
Mais
on ne peut échapper à une alternative
simple : ou Madame Fillon a bien prononcé
cette phrase, et Fillon ment depuis le début
en affirmant qu’elle a travaillé pour lui, ou
elle ne l’a jamais prononcée et la journaliste
anglaise a trafiqué un enregistrement, à moins
que ce ne soit les responsables français de
l’émission Envoyé
Spécial.
Ah !
Faits
alternatifs, quand vous nous tenez !

3
Févrer 2017 : A la recherche
du Brexit

En
débarquant lundi à Londres, j’avais bien sûr
en tête ce Brexit dont je voulais voir les
effets, mais aussi ce qui se passait en
France, la victoire de Benoît Hamon à la
primaire de la gauche et les casseroles de
François Fillon, qui de jour en
jour allaient devenir des marmites, puis
des chaudrons... Le Brexit, donc, se sent pour
quelqu’un qui arrive avec des euros en
poche : la livre a plongé et la vie
est moins chère. Et l’on imagine que,
réciproquement, des Britanniques arrivant en
Europe doivent sentir passer le taux de
change. Mais on cherche en vain le Brexit dans
la presse. A la une du Times
une immense photo de Roger Federer
qui vient de remporter l’open de
tennis d’Australie (cinq pages lui sont en
outre consacrées à la fin du journal), et un
petit renvoi à la page 28 dont l’accroche doit
donner froid dans le dos à la City : Benoît
Hamon, a left-wing rebel. A la dite
page, un titre mêlant révolution et royauté, Rebel
leftist seizes the socialist crown (il
y aurait donc une couronne socialiste),
quelques commentaires sur la primaire, et un
autre article listant ce qu’on reproche au
couple Fillon. Mais, pour revenir au sport, la
victoire de la France au championnat du monde
de hand-ball n’est même pas évoquée...
Brexit
ou pas, leftist ou pas, l’Angleterre bruit
surtout du nom de Trump et du non à Trump. On
reproche à Theresa May de l’avoir invité pour
une visite d’Etat, mettant ainsi la reine dans
une situation délicate, on reproche à Trump de
vouloir interdire l’accès des citoyens de
certains pays au territoire américain et un
lsogan détonne dans le flegme
britannique : No Trump, no KKK, no fascit USA.
Leftist, fascist, on ne recule pas
devant les mots. D’ailleurs, mardi, le Guardian
consacre quatre pages à cette opposition
à Trump, et, un peu plus loin, une grande
photo de Florian Philippot. Non, lui n’est pas
traité de fasciste. Le titre s’interroge
simplement : Can
this man make Marine Le Pen president ?
Dans les deux pages qui suivent on apprend
des détails touchant. Les deux moments
importants de la vie de Philippot auraient été
ses pleurs à la mort de sa mère, et ses pleurs
de joie à l’annonce du résultat du référendum
britannique. Donc le Brexit est bien là, mais
à propos de la France... Pourtant, à la
chambre des communes, on discute en continu du
« bill » qui devrait donner à May le
droit de déclencher l’article 50. Et la presse
du mercredi, en écho à ces débats, commence à
exprimer quelques inquiétudes : on parle
d’inflation, de baisse des salaires... Le
tennis a disparu, le hand-ball n’est toujours
pas là, mais la France est toujours présente:
le Guardian
expose le cas Fillon et parle même de
« Penelope-gate » (avec un trait
d’union, à la différence de la presse
française qui parle de Penelopegate ») et
n’oublie pas les problèmes financiers de
Marine Le Pen et d’autres élus du FN à
Bruxelles. Ah ! La France !
Toute
la journée du mercredi, le débat se poursuit
au parlement, et May obtient son feu-vert.
Reste bien sûr la chambre des Lords, mais leur
absence de légitimité démocratique (les Lords
ne sont pas élus) les empêchera sans doute de
s’opposer à cette loi.
Retour
en France, où une nouvelle salve dans le
nouveau numéro du Canard enchaîné laisse entendre que les casseroles prennent bien la
dimension de chaudrons (mais, semble-t-il,
sans potion magique salvatrice), et j’ai
l’impression d’arriver une république
bananière... C’est beau, la France vue de
Londres.
Ah
oui, il y a aussi dans la capitale britannique
une très belle exposition Picasso (ses
portraits) à la National
Portrait Gallery, et une autre sur la
cartographie (à la National
Library). Dans deux ans, les cartes de
l’Europe n’incluront sans doute pas la
Grande-Bretagne.

29
janvier 2017 : Alternative
facts

Il
y a près de trente ans, la gauche américaine
nous a vendu une notion un peu floue qui s’est
peu à peu imposée jusqu’à ressembler à une
forme d’autocensure permanente: le politiquement
correct, qui a d’ailleurs fait des
petits (« ce n’est pas hallal »,
« ce n’est pas kasher »...). Voici
que la droite, toujours américaine, tente
d’imposer un nouveau gimmick, les alternative
facts ou, si vous préférez, les vérités
alternatives. C’est assez facile à
comprendre : si la presse ou la télé
raconte les résultats d’une enquête vous
concernant de près ou de loin, ou qui vous
dérange ou ne vous plaît pas, si vos voisins
rapportent ce qu’ils savent ou croient savoir
de vous, ne perdez pas votre temps à tentrer
de démontrer le contraire, exposez des faits
alternatifs, une autre vérité, si
invraisemblable soit-elle. Ne perdons pas
notre temps à discuter du concept
philosophique de vérité,
souvenez-vous simplement de la façon dont
Trump a mené sa campagne électorale, ou bien
suivez de près celle dont Le Pen mènera la
sienne. Ou encore observez la façon dont
Fillon tente et tentera dans les jours qui
viennent de déminer la situation dans laquelle
il se trouve. Nous sommes menacés par l'alternative
factisattion.
Passons
à tout autre chose. Connaissez-vous Cyril
Mokaiesh ? Ceux qui ont la mémoire longue
se souviennent peut-être d’un champion de
France junior de tennis, en 2003. C’est bien
lui, mais il a rangé ses raquettes et s’est
dirigé vers les studios
d’enregistrement : le tennisman quasi
professionnel est devenu chanteur, pour être
plus précis auteur-compositeur-interprète.
Deux ou trois disques remarqués par les
spécialistes mais ignorés du grand public et
puis, en 2016, un nouvel album, Clôture,
dont un titre, enregistré en duo avec Bernard
Lavilliers, La
loi du marché, passe enfin sur les
ondes. Une belle mélodie, une voix mise en
valeur, portée, par celle de Lavilliers, un
texte fort, dérangeant, bref de la belle
ouvrage. Certains diront sans doute que c’est
un retour à la « vieille chanson
engagée », d’autres que c’est un fatras
de vieilles lunes gauchistes. Je vous laisse
juger à travers ces quelques extraits :
« On vous laisse Arcelormittaliser à
Florange l’or et l’acier », « Cap
sur l’Angleterre depuis la Guinée t’as le
temps d’apprendre à marcher »,
« Chez Lidl le pack de bière a des
pulsions suicidaires », etc. Si cela ne
vous convient pas et si vous avez le temps,
vous pouvez élaborer des alternative
facts, pour vous entraîner à la nouvelle
mode. Pour ma part, après avoir voté Hamon ce
matin, je pars à Londres, prendre des
nouvelles du Brexit.

26
janvier 2017 : Concitoyens ou
compatriotes ?

Hier, les media bruissaient de « l’affaire
Fillon » : sa femme aurait touché des
sommes indues à la fois comme assistante
parlementaire (qu’elle n’aurait jamais été) et
comme « conseillère littéraire »
(qu’apparemment elle n’a jamais été). Tout cela
relève de la justice et tous deux, mari et
femme, ont droit à la présomption d’innocence.
En fin de journée, Valérie Boyer, députée de
Marseille et porte-parole de François Fillon
pour la campagne présidentielle, était invitée à
l’émission C’à vous, et elle déclara en gros qu’elle ne savait rien, qu’elle
n’avait rien à dire, au point qu’on pouvait se
demander pourquoi elle était là. Autre invitée,
Anne-Dauphine Julliand, pour son film Et les mistrals gagnants, qui nous parle d’enfants malades, très
malades, qui prennent la vie au jour le jour,
pensant plutôt à ajouter de la vie à leurs jours
que des jours à leur vie. Pendant la projection
d’extraits du film on voyait, dans un coin de
l’écran, la tête des gens présents sur le
plateau. Tous avaient l’air très émus, sauf
Valérie Boyer, qui faisait une tête
d’enterrement. Et j’avais l’impression, tout en
connaissant les limites de l’analyse des
expressions faciales, de lire sur son
visage : « c’est foutu, Fillon a
perdu ». Mais je suppose qu’ils vont se
reprendre et inventer des contre-offensives.
A
ce propos, le débat du soir entre Valls et
Hamon a déjoué toutes les attentes : on
attendait une empoignade plus que virile, nous
eûmes un débat à la fois intéressant et
responsable : ils avaient à l’évidence
décidé de ne pas insulter l’avenir. Mais le
linguiste que je suis a noté autre chose.
Valls s’adresse aux Français en disant
toujours « chers compatriotes » là
ou Hamon dit « chers concitoyens ».
Les deux hommes avaient bien sûr pas mal de
différents politiques, mais cette opposition
entre concitoyens et compatriotes est
peut-être plus politique encore. D’un côté la
patrie (et le père, le patrimoine), de l’autre
la cité. Les deux mots ont à peu près le même
sens, mais des connotations différentes.
Reste
à savoir comment le citoyen Fillon (notre
compatriote ou notre concitoyen ?) va se
sortir de ce mauvais pas.
23
janvier 2017 : Et merde !

Et
oui, merde : c’est je crois la première
fois de ma vie que je ne suis pas sur des
positions minoritaires. Hamon en tête, même
pas en rêve comme disent les jeunes. Bon, le
PS n’a pas vraiment à pavoiser, la
participation n’était pas brillante et il est
confronté à deux lignes politiques claires,
certes, mais difficilement conciliables. Et je
ne vois pas comment celui des deux qui
l’emportera dimanche prochain pourrait accéder
au second tout de la présidentielle. Bref les
socialistes sont mal partis.
Hier,
en allant voter, je me suis fait alpaguer par
le responsable d’un des bureaux : vous ne
voulez pas venir ce soir pour le dépouillement
du scrutin? Je me suis donc retrouvé assis
devant une table, à ouvrir les enveloppes et à
passer chaque bulletin à une deuxième personne
qui annonçait à voix haute le nom tandis que
deux autres personnes notaient. Et j’ai
retrouvé un phénomènes statistique que j’avais
« découvert » lors de mes nombreuses
enquêtes linguistiques. Lorsqu’on dépouille
des questionnaires, ou des fiches
d’observation, les choses sont d’abord un peu
confuses, puis on arrive à un seuil de
saturation de l’information où tout nouveau
questionnaire, toute nouvelle réponse,
confirme le résultat statistique. Il s’est
passé la même chose hier soir. Les premiers
bulletins allaient un peu dans tous les sens
et puis, au bout que quelques dizaines, le
résultat semblait acquis, Hamon, Valls, Hamon,
Valls, Hamon, Valls avec parfois un
Montebourg. En outre, en allant voir ensuite
les résultats des autres tables de
dépouillement, je me suis rendu compte que
toutes les urnes donnaient à peu près le même
résultat : un tiers Hamon, un tiers
Valls, un sixième Montebourg, un peu de
Peillon, quelques voix pour les autres. En
outre, il y avait environ 700 votants et le
résultat était sensiblement le même que dans
l’ensemble de la France. Ce qui semblerait
militer pour l’idée qu’un corpus aléatoire
peut être tout à fait représentatif.
Tiens,
pour finir, une petite devinette. Qui, dans
une interview au journal Le
Monde, a déclaré le 8 octobre
dernier : « Je vais gagner en
janvier 2017, ce sera un coup de tonnerre
politique en France et en Europe ».
C’était Arnaud Montebourg...
Je
sais, je ne suis pas très fair play.
21
janvier 2017: Pour rire un
peu

Allez,
avec le froid, l’attente des résultats de
demain mais aussi, à plus long terme, ceux de
l’élection présidentielle début mai, il n’est
pas mauvais d’essayer de rire un peu. J’ai
appris ce matin en lisant Libération
qu’en 2015, à l’initiative du
politologue Thomas Guénolé, était créé
le prix du meilleur menteur de
l’année. En 2015 avaient été distingués
Nicolas Sarkozy (grand prix) et Marine Le Pen.
Cette année c’est Robert Ménard, maire de
Béziers, qui a obtenu ce grand prix, avec
Manuel Valls, premier dauphin, et deux
« jeunes espoirs », Nicolas Bay et
Florian Philippot (les meilleurs menteurs de
moins de 45 ans). Quant à Sarkozy il obtient
le prix spécial du jury pour l’ensemble de sa
carrière. Je ne sais pas si l’ancien président
viendra recevoir son prix.
20
janvier 2017 : Alors,
dimanche ?

Bon,
ceux que ça intéresse auront écouté hier soir
le dernier débat de la primaire de la gauche,
ou le troisième set de la partie pour rester
dans ma métaphore tennistique. Les débats
étaient passionnés, les échanges vifs et
libres, quelques idées novatrices furent
présentées, mais ce n’est pas de ça que je
voudrais parler. Plutôt de sémiologie. Je
m’explique : sur les sept candidats il
n’y en a que deux, du moins à mes yeux, qui
« font président », qui en ont en
gros l’apparence, le verbe, le
comportement : Vincent Peillon et
François de
Rugy. Je sais, cela n’a rien de
politique, on ne juge pas les candidats
présidents à leur apparence, cela ne veut rien
dire, mais ça veut dire quelque chose pour
moi. L’ennui, bien sûr, je veux dire l’ennui
pour eux, est qu’ils n’ont aucune chance.
Evacuons Jean-Luc
Bennahmias
et Sylvia Pinel, qui ne sont que figurants, il
en reste donc trois qui représentent
politiquement quelque chose mais qui, je le
répète, ne « font pas président »,
Montebourg, Valls et Hamon. Le premier, grande
gueule un peu creuse, a la suffisance d’un
Edouard Balladur et ses insuffisances ont été
étalées lorsqu’il était ministre : il a
beaucoup parlé mais peu fait. Valls, avec ses
airs de torero crispé a, comme Sarkozy en son
temps, atteint son niveau
d’incompétence : ils étaient faits l’un
et l’autre pour rester ministre de
l’intérieur. Quant à Hamon, il sait très bien
qu’il n’a aucune chance d’être un jour
président et il témoigne avec détermination de
ses choix politique.
Dès
lors, que faire ? Je veux dire que faire
pour ceux que cela intéresse et iront dimanche
voter ? A partir du moment où il est
hautement improbable que le vainqueur de cette
primaire parvienne au second tour de la
présidentielle, le vote de dimanche aura deux
finalités, l’une concernant l’avenir du parti
socialiste et l’autre la configuration de
l’élection présidentielle.
Concernant
le
PS, qui va peut-être éclater, je n’en sais
rien, chacun de ces trois candidats, Hamon,
Valls, Montebourg, imagine qu’il pourra en
prendre la direction. Et si la reconstruction
nécessaire de la gauche passera peut-être, du
moins en partie, par
le PS, alors je préfère que le
plus utopique des trois, celui qui avance
des idées que tout le monde trouve farfelues
mais qui, dans dix ou vingt ans reviendront en
force : Benoît Hamon.
Concernant
la
présidentielle, les choses sont plus complexes
et je vais changer de métaphore, abandonner le
tennis pour les échecs, ou le billard. On nous
annonce un second tour entre Fillon et Le Pen,
vous imaginez que cela ne me plairait guère
mais, encore une fois, que faire ? Par
ailleurs Mélenchon regarde avec gourmandise la
montée en puissance de Macron et imagine qu’il
va enlever des voix au PS (si, bien sûr, il y
a un candidat du PS...) et lui permettra
d’être en tête des candidats de gauche. Or
Mélenchon me fait de plus en plus penser à
Mussolini, et je préférerais qu’il obtienne un
score modeste. Et, pour la troisième fois, que
faire ?
Pour
faire
baisser le score de Le Pen, nous n’avons
aucune possibilité. Les seules personnes qui
puissent lui enlever des voix sont
essentiellement Fillon et, dans une moindre
mesure, Mélanchon. En revanche si le candidat
du PS était Hamon, son programme pourrait lui
permettre d’enlever à Mélenchon des électeurs
et de rééquilibrer ainsi les rapports de
force. Dimanche, donc, je voterai Benoît Hamon
pour ces deux raisons principales. Vous me
direz que cela s’apparente un peu à un coup de
billard en trois ou quatre bandes, peut
paraître utopique et pourrait avantager
Macron. Et alors ? Si dans un duel entre
Le Pen et Fillon je voterai sans doute blanc
(ce que j’ai fait aux dernières élections
régionales, refusant de choisir en Marion
Maréchal-Le Pen et Christian Estrosi), je
choisirais sans doute Macron s’il était opposé
à Le Pen. Bon, je sais, le vote est secret.
Alors dimanche, si vous votez, faites ce que
vous voulez...
16
janvier 2017: Dégel

Le deuxième set des débats précédant la primaire de la gauche a, enfin,
été à la fois plus musclé et plus clair :
des positions différentes, des axes de
discussions se sont dégagés. Petite remarque
en passant : vendredi, le Figaro,
au lendemain du précédant set, titrait qu’il
n’y avait aucune idée nouvelle dans ce débat,
et il a bien entendu le droit de le penser,
mais ce titre était diffusé dans le soirée du
jeudi, deux heures avant la fin du débat.
C’est ce qu’on appelle de l’information
objective... Mais revenons au débat. Les
arguments échangés faisaient réfléchir, et
c’est ce qu’on attend d’un débat. Même
Jean-Luc Bennahmias semblait avoir retrouvé
ses esprits, c’est dire. Bien sûr, lui comme
François de Rugy et Sylvia Pinel savent
parfaitement qu’ils n’ont aucune chance et les
deux derniers donnent parfois l’impression de
penser surtout à leur réélection lors des
prochaines législatives : Rugy a réussi à
citer trois fois sa circonscription de Nantes,
Pinel n’a pas cessé de passer la brosse à
reluire au gouvernement sortant, auquel elle a
appartenu, songeant peut-être à sa
circonscription du Tarn-et-Garonne dans
laquelle elle aimerait être à nouveau
candidate.
La seule chose amusante, dans cette soirée (je sais, nous n’étions pas
là pour nous amuser...) a été la série de
lapsus de Montebourg. Parlant de fraude
alors qu’on l’interrogeait sur les
frondeurs et donc sur la fronde,
confondant question
et réponse
dans une phrase bizarre, du genre (je
n’ai pas bien noté) « vous aurez ma
question » alors qu’il voulait dire
« ma réponse » et enfin se prenant
les pieds dans le tapis en parlant des parents
qui ne pouvaient pas mettre leurs enfants dans
l’enseignement primé
(il voulait dire, bien sûr, privé).
Mais bref, le jeu a commencé à se dégeler et
Manuel Valls a eu droit à quelques critiques
bien ciblées. Un dégel qui annonce quoi ?
A suivre.
13
janvier 2017 : Tennis de gauche

Si la primaire de la droite s’apparentait à une longue pièces de
théâtre en plusieurs actes, précédés pour
certains d’un long marathon, celle de la
gauche, trois débats télévisés en une semaine,
ressemblera plus à un match de tennis. Qui
jouera du fond de court, qui montera au filet,
va-t-on assister à des services-volée ou à un
jeu de crocodile, avec de longs lifts ?
Et le match aura-t-il lieu sur une surface
rapide, où les balles giclent, ou sur de la
terre battue, qui ralentit un peu le
jeu ?
Je n’ai assisté hier soir qu’à la deuxième partie de
l’affrontement : un ami jouait, au
théâtre, Les Chaises de Ionesco, et j’étais allé l’applaudir.
Je suis donc arrivé devant mon écran vers 22 h 30, et le match semblait
ne pas avoir réellement commencé. Au tennis il
y a souvent deux ou trois jeux d’observation,
là c’était un set entier. Sept joueurs, ou
plutôt quatre ou cinq et deux ou trois
ramasseurs de balles dont l’un, Jean-Luc
Bennahmia, jouait en plus le clown de service,
un clown qui aurait trop vu les films de
Bourvil. Il aurait d’ailleurs pu chanter l’un
de ses tubes, « qu’est-ce qu’elle a, mais
qu’est-ce qu’elle a donc, ma p’tit
chanson...qui n’te plaît pas ». Vincent
Peillon semblait ailleurs, Benoît Hamon
n’avait peut-être pas eu le temps de
s’échauffer à l’entrainement, Valls et
Montebourg avaient oublié les conseils de
leurs entraîneurs.. En bref, personne ne
semblait vraiment décidé à attaquer, comme si,
au tennis, on passait une demie heure à
quarante partout, avantage, égalité, avantage,
égalité... Un peu ennuyeux, donc. Il faudra,
la prochaine fois, qu’ils tapent plus
franchement dans la balle.
Revenons aux Chaises. La
pièce est courte, un seul acte, il n’y a que
deux personnages, les autres sont des
fantômes, on leur parle mais ils ne répondent
pas, on les invoque en vain, on les imagine...
Dans ce premier set on a effectivement invoqué
parfois des fantômes, Jaurès, Blum,
Mendès-France, Mitterrand, qui bien sûr n’ont
pas leur mot à dire, ou du moins ne sont pas
en état de proférer le moindre mot, d’autres
qui ne sont pas décidés à entrer dans cette
partie, Mélenchon, Macron...
Le tennis de gauche devrait se muscler un peu...ou se mettre à la boxe.
6
janvier 2017 : Culs-bénits et crapauds de
bénitier

Au Brésil, c’es un « évêque évangélique de l’église universelle du
royaume de dieu », cela ne s’invente pas,
qui vient de devenir maire de Rio de
Janeiro . Pendant quelques années,
lorsque j’allais enseigner à Rio, j’étais logé
dans un hôtel de Copacabana, à quelques
dizaines de mètres d’une église évangélique et
il m’arrivait, le soir, d’y jeter un œil
et une oreille pendant leur culte. Du grand
art ! Tout y était, les chants, la
transe, le fric. J’ai vu le même genre de
commerce se développer en Afrique, au Bénin,
au Congo, au Gabon, avec le même folklore et
la même frénésie de fric. Je ne sais pas
vraiment si, en Afrique, les évangélistes se
mêlent de politique, mais au Brésil ils sont à
la tête d’une des plus grandes villes du pays.
Avec un programme réjouissant : contre
l’avortement, contre l’homosexualité (mais ils
sont charitables, ils considèrent qu’on peut
« guérir » cette
« maladie »), pour la droite et
jadis pour la dictature. Et ils représentent
aujourd’hui plus de 20% du pays. Bienvenue aux
culs-bénits ! De ce côté-ci de
l’Atlantique et autour de la Méditerranée,
nous avions d’autres culs-bénits, ceux qui
crient Allah
akbar
et
dont certains considèrent que le sang des
autres est un passeport pour le paradis. Et
voilà qu’un nouveau venu rejoint cette
sinistre cohorte : François Fillon. Le
candidat de droite à l’élection présidentielle
vient de déclarer : « je suis
gaulliste et de surcroît chrétien », pour
garantir qu’il ne toucherait pas à la sécurité
sociale. Il avait dit le contraire lors de la
primaire de la droite, donc le culs-bénits
peuvent mentir. Même François Bayrou, autre
grand cul-bénit devant l’éternel, s’est ému de
ce mélange des genres entre politique et
religion ! Bref nous sommes cernés par
ces... Ces quoi ? J’ai déjà répété
plusieurs fois culs-bénits
et j’en devine qui me trouvent bien
grossier. Ces quoi ? Ces grenouilles de
bénitier ? Oui, mais grenouille fait un
peu trop féminin et je n’ai parlé que
d’hommes. Tiens, ces crapauds de bénitier,
c’est pas mal !
4
janvier 2017: Salut l'artiste

Jean Vasca est mort il y a une dizaine de jour dans
une indifférence générale. Considéré comme
« trop intello », « trop
difficile », il avait paradoxalement
obtenu tous les prix de la chanson
française (Prix Henri Crolla, Académie de la
chanson, Grand prix de l’ académie du disque,
Prix des critiques de Variétés, Grand prix de
l’académie Charles Cros...), enregistré une
vingtaine de disques et demeurait inconnu du
grand public. Je l’avais vu souvent sur scène,
dans tous les cabarets parisiens et parfois,
trop rarement, pour une semaine au Théâtre de
la Ville ou pour une soirée à l’Olympia.
Surtout, nous allions l’un chez l’autre, pour
des agapes entremêlées de musique. Je peux le
raconter aujourd’hui, il y a prescription,
parmi ses camarades anars, certains pratiquaient
la récupération anarchiste, dévalisant des
caves et distribuant généreusement le produit
de leurs rapines. J’ai grâce à lui, ou à eux,
dégusté un jour une bouteille de Romanée Conti
qui provenait de la cave du ministre de
l’intérieur de l’époque, et quelques autres
crus mémorables. Nous avions mis au point un
jeu un peu particulier : après avoir vidé
quelques bouteilles l’un d’entre nous (lui,
moi ou Michel Devy, son guitariste et
orchestrateur) jouait les accords d’une
chanson de Léo Ferré que les autres devaient
reconnaître. Fou
de Ferré, Vasca était surtout fou de mots, et
il lançait les siens vers l’espace, les voyait
s’envoler en espérant qu’ils rencontreraient
des oreilles attentives. Fou de musique aussi.
Lorsqu’il me faisait écouter un nouveau
disque, il vibrait avec ses mots, ses notes,
ses harmonies, vivait ses créations. Certaines
de ses chansons avaient été interprétées par
Francesca Solleville, Isabelle Aubret,
Christine Sèvres
ou Marc Ogeret, mais cela n’avait pas
suffi à le faire reconnaitre comme ce qu’il
était : un grand auteur-compositeur de la
chanson française. Et les recueils de poésie
qu’il avait publiés n’avait pas plus rencontré
le grand public.
La dernière fois que je l’ai vu, alors que je quittais
Paris pour Aix-en-Provence, il m’avait lancé,
parlant de l’état de la chanson d’alors, il y
a près
de vingt ans : « Il faut entrer en
résistance ». Et je lui avais
répondu :« Oui, mais pour quelle
libération » ?
Quelques mois avant sa mort, il avait sorti un ultime
disque au titre prémonitoire : Salut !
On ne saurait mieux dire : Salut
l’artiste !
3
janvier 2017: Te l'ha misse 'n culo?

Commençons cette année 2017 de façon studieuse...et
savoureuse.
J’ai ramené il y a quelques semaines d’Italie un livre
d’entretiens, La
lingua batte dove il dente duole
(« la langue va où la dent fait
mal »), dans lequel le linguiste Tullio
de Mauro, et l’écrivain
Andrea Camilleri évoquent de nombreux
exemples de la situation linguistique
italienne. Tullio de Mauro a beaucoup
travaillé sur l’histoire linguistique de son
pays et sur les rapports entre les
« dialectes » et l’italien standard.
De son côté Andrea Camilleri, le créateur du
commissaire Montalbano, a toujours mélangé
dans ses œuvres l’italien et le sicilien (et
plus particulièrement le sicilien
d’Agrigente), et ils sont donc tous deux bien
placés pour traiter de ces thèmes.
Dans ce livre, donc, Tullio de Mauro évoque un procès
qui s’est tenu à Naples, dans lequel un
plaignant (Nicolino) accuse quelqu’un
(Gaetano) de l’avoir violé. Le juge interroge
d’abord le plaignant dans le langage
judiciaire auquel il est habitué, voire tenu,
c’est-à-dire qu’il parle la langue de sa
charge, de son milieu professionnel lorsqu’il
se trouve en situation professionnelle. Voici
la version originale de cet échange, suivie
d’une traduction française
approximative (je ne domine pas vraiment
le langage judicaire français):
Durante il
processo il magistrato, par accertare
i fatti, chiede alla vittima (che,
come accade, è anche l’unico testimone) :
« Dite, Nicolino, con il qui presente
Gaetono, fuvvi congresso ? » Nicolino lo guarda interdetto. Il
magistrato, patiente, cerca di essere a modo
suo più claro :
Nicolino, fuvvi concubito ? »
Nicolino continua a non capire e il magistrato
si spinga al massimo della precizione
consentitagli dall’eloquio giudiziario :
Nocolino, ditemi, fuvvi copula ? »
Nicolino lo
guarda smarrito. E allora il
magistrato abbandona l’italiano giudizario et
gli dice finalmente : « Niculi,
isso, Gaetano, te l’ha misse ‘n
culo ? » E Nicolino finalmente
annuisce et responde : « Si,
si ».
Durant le
procès, le magistrat, pour établir les faits,
demande à la victime (qui se trouve être
également l’unique témoin) :
« Dîtes-moi, Nicolino, y a-t-il eu des rapports
avec le ci-présent Gaetano ? »
Nicolino le regarde, interdit. Le magistrat,
patient, cherche à être le plus clair
possible : « Nicolino, y a-t-il eu accouplement? »
Nicolino continue à ne pas comprendre et le
magistrat s’avance jusqu’au maximum de
précision consenti par le langage
judiciaire : « Nicolino, dîtes-moi,
y a-t-il eu copulation ? »
Nicolino
le regarde, égaré. Et le magistrat abandonne
alors l’italien judiciaire et lui dit
finalement : « Nico, ce
Gaetano, il te l’a mise dans le
cul ? » Et Nicolino acquiesce
finalement et répond : « Oui,
oui ».
Les termes utilisés par le magistrat relèvent d’un
niveau de langue spécialisé. Congresso
(et plus souvent congresso
carnale, « échange ou rapport
charnel ») appartient essentiellement au
langage judiciaire et policier, même s’il peut
être utilisé dans les milieux universitaires
de façon ironique (le mot signifiant également
« congrès ») à propos des collègues
qui courent les « congrès » en quête
de congresso
carnale. Concubito
(« union, viol ») et copula
(« copulation ») sont
pratiquement synonymes du premier, et relèvent
également d’un niveau de langue spécialisé. En
bref, ces trois mots sont à la fois d’usage
rare et de sens peut-être opaque pour une
partie de la population. Et lorsque le
magistrat change de registre, passe à un
italien plus dialectal et interroge Nicolino,
devenu Niculi, de façon plus crue (te l’ha
misse ‘n culo ?, Il te l’a mise dans le
cul ?), le message passe immédiatement.
Nous avons donc dans cet échange différents
enseignements. Le fait tout d’abord que le
lexique du juge, en italien, n’est pas compris
par le plaignant, lui-aussi italien,
c’est-à-dire que dans cette situation
particulière de procès ils ne parlent pas la
même langue, pas le même italien. Et la
progression des termes, qui se succèdent avec
le même sens (congresso, concubito, copula),
constitue de la part du juge une recherche de
communication mais illustre également la
variation sociale de la langue. Il y a ici,
face à la langue, un déterminisme social qui
rend Nicolino désarmé, dominé, comme beaucoup
de citoyens, quelle que soit leur langue, face
au langage administratif.
Voilà, c’était pour nous reposer avant une période qui
va être plus lourde, celle de la primaire de
la gauche. Plus lourde et sans doute moins
plaisante.
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