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Décembre 2018



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fleche25 décembre 2018 : A la marge ?

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Il est de bon ton de déclarer que les gilets jaunes sont sympas, calmes, résolus mais pacifiques, et qu’il faut les distinguer soigneusement des casseurs qui, à la marge de leurs manifestations, se livrent aux déprédations que vous savez. Cela me fait penser aux doctes déclarations de ceux qui distinguent entre le salafisme, mouvement « quiétiste », et le jihad,  en oblitérant ses rapports avec le wahhabisme et le jihad, et plus largement, de ceux qui nient les rapports entre islam et islamisme, comme ceux qui naguère niaient les liens entre le catholicisme et l’inquisition. Or, de la même façon que la notion de périphérie implique celle de centre,  la marge implique, par définition, un texte, un corps central : une page serait vide sans texte et la marge n’existe que par lui.

Or ce que l’on trouve à la « marge » du mouvement des gilets jaunes est inquiétant. J’ai écrit « à la marge du mouvement » et non pas « à la marge des manifestations », car il n’y a pas, juridiquement, de manifestations des gilets jaunes. En effet, si la loi garantit le droit de manifester, elle impose aussi le devoir de déclarer une manifestation et son parcours enfin d’obtenir son autorisation. Lorsque la CGT ou la CFDT manifestent, lorsque le PCF ou la Ligue Communiste manifestaient, il y a ou il y avait autour des manifestants un service d’ordre efficace qui assurait une étanchéité entre eux et d’éventuels casseurs. Rien de semblable avec les gilets jaunes, et il est donc impossible de distinguer entre le centre et la périphérie, entre le texte et la marge. Or, je l’ai dit, cette marge est inquiétante. Citons au hasard quelques exemples, mais il y en a beaucoup d’autres. On a plusieurs fois entendu crier « on est chez nous » depuis le début du mouvement, expression venue de l’extrême droite et dont les relents racistes et xénophobes sont clairs. Samedi dernier, c’est la « chanson de la quenelle » de Dieudonné qui était entonnée à Montmartre. Ailleurs un panneau mettait des signes d’égalité entre Macron, Attali, Drahi, les banques et « Zion » : encore une fois la vieille assimilation entre les Juifs et la finance, et même si je suis assez d’accord sur le fait que Macron fasse le jeu du capitalisme, je ne vois pas ce que les Juifs font là-dedans. Ailleurs, en province, on mimait la décapitation de Macron, et je ne supporte pas l’idée de mise à mort, qu’il s’agisse de celle d’un président, d’un voisin ou d’un amant de sa femme (qui peut d'ailleurs être en même temps voisin)…

Bref, la « marge » du mouvement des gilets jaunes n’est pas ragoûtante, et comme, pour les raison que j’ai dîtes plus haut, il y a une grande porosité entre cette « marge » et le « texte » qui l’accompagne, les gilets jaunes ne sont guère sympas, ils sont directement responsable de leur périphérie et ne font pas grand chose pour s’en séparer. Je ne dis pas que tous les musulmans sont terroristes ou approuvent secrètement les terroristes, ni que tous les gilets jaunes sont racistes ou fascisants, ou approuvent secrètement les racistes. Mais, même s'il y a derrière le mouvement des gilets jaunes une réelle misère qu'il faut résorber, il est difficile d’exonérer  totalement les uns et les autres de ce qu’ils produisent. Encore une fois, la périphérie n’existe que par le centre, et la marge n’existe que par le texte .

 


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fleche19 décembre 2018 : Trop intelligents

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Gilles Le Gendre, responsable depuis peu du groupe macroniste à l’Assemblée Nationale, commence bien. Voulant lundi faire son mea culpa, ou plutôt celui de son groupe, il a en effet déclaré : « nous avons été trop intelligents, trop subtils, trop techniques dans les mesures de pouvoir d’achat ». Bien sûr, cette phrase est sortie de son contexte et vous avez sans doute remarqué que, lorsqu’on interroge un politique sur une phrase qu’il a prononcée il répond toujours (et cela est à ajouter à la liste des éléments de langage) qu’il faut la replacer dans son contexte. Quoi qu’il en soit, contexte ou pas, Le Gendre a bien dit « nous avons été trop intelligents, trop subtils… Concluez : « vous n’avez rien compris, parce que nous sommes trop fins pour vous, que vous êtes trop bêtes ». Pourtant, monsieur Le Gendre n’a pas fait l’ENA, juste Science Po et le Centre de Formation des Journalistes, mais il fait de son mieux pour se mettre au niveau d'un énarque, pour avoir les chevilles qui gonflent. Remarquez, pour un marcheur, ce n’est pas surprenant, mais il devrait tout de même prendre le temps de lire un traité de savoir vivre.

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fleche13 décembre 2018 :  "Allo! Non mais allô quoi! T'es un gilet jaune et tu passes pas à la télé ?"

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Hier matin Libération, qui boucle trop tôt pour pouvoir rendre compte d’évènements tardifs, consacrait encore sa une aux gilets jaunes avec uniquement, en haut de la page, une accroche renvoyant en page 14 à un petit article peu informatif sur ce qui s’était passé mardi soir à Strasbourg. L’après-midi Le Monde en parlait sur quatre colonnes à la une, et ce matin Libération y revenait sur une première page entière avec un gros titre accrocheur : « Nuit de terreur ». Même chose depuis hier sur les télévisions, en particulier les émissions branchées sur l’actualité qui, après quinze jours de gilets jaunes, basculaient vers Strasbourg.   Une info chasse l’autre, finie la xanthophilie, les gilets jaunes passaient à la trappe et laissaient place à la xanthophobie. Ce qui a d’ailleurs immédiatement suscité des théories complotistes imbéciles selon lesquelles c’était la police qui avait tiré à Strasbourg, pour faire oublier le conflit…

Rien de nouveau, bien sûr, dans ce changement de focus, les media fonctionnent toujours ainsi, mais c’est peut-être l’occasion de réfléchir un peu sur les rapports que nous avons à eux. Vous avez tous vu, un jour ou l’autre, lorsqu’un reporter se trouve en direct dans un lieu public, des gens s’agglutiner derrière lui pour être dans le champ de la caméra, faire des signes imbéciles ou prendre un air niais. But de l’opération : « on m’a vu à la télé ». C’était d’ailleurs là un slogan récurrent, il y a une vingtaine d’années : on lisait sur un paquet de n’importe quoi, nouilles ou crème miracle, vu à la télé, référence à une pub que la marque s’était payée et dont elle voulait ainsi redoubler l’effet. Vu à la télé, c’était aussi le principe des émissions de téléréalité dans lesquelles des gens sans beaucoup d’intérêt acceptaient de se faire filmer en continu : la vacuité et l’ego allaient ainsi de pair. Cela a donné, en 2013, une Nabila s’étonnant qu’une candidate des Anges de la téléréalité n’ait pas de quoi se laver la tête et s’exclamant en mimant avec sa main un téléphone :  « Allô ! Non, mais allô quoi ! T'es une fille, t'as pas d'shampooing ? ». Buzz et succès immédiats, dix millions de vues, jusqu’à ce qu’elle soit, un an après, incarcérée pour avoir donné quelques coups de couteau à son compagnon. Sic transit gloria mundi.

Or cette volonté d’être vu à la télé explique en partie les difficultés qu’ont eu les pouvoirs publics à trouver des interlocuteurs représentatifs du mouvement. Dès qu’un « porte-parole » passait une ou deux fois à la télévision, il était dénoncé par d’autres, voire menacé : « il ne nous représente pas ». Et d’autres « représentants » se manifestaient, d’autres candidats pointaient le bout de leur nez, voulant être à leur tour sous les projecteurs. Le phénomène était encore plus visible sur les ronds-points ou les barrages tenus par les manifestants. Dès qu’un micro était tendu, qu’une caméra tournait, ils débitaient n’importe quoi, tout et le contraire de tout, peu importait, pourvu qu’ils soient « vus à la télé ». « Allô ! Non, mais allô quoi ! T'es un gilet jaune et tu passes pas à la télé? ».

Et ce phénomène est amplifié sur les réseaux sociaux, en particulier grâce au nouvel algorithme de facebook qui renforce les relations entre gens du même avis. Certains affichent leur gueule et débitent doctement des âneries, des « infox » comme on dit pour fake news, sans que personne ne puisse les contredire puisque le système fait qu’on n’est écouté que par des gens qui pensent comme nous. « Allô ! Non, mais allô quoi!». Nous vivons une époque moderne…

 

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fleche6 décembre 2018 : Lecon de choses ?

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Depuis bientôt trois semaines, sur les chaînes d’info en continu, on ne parle que de ça. C’dans l’air, émission qui, sur la cinquième chaîne, aborde chaque soir de façon très professionnelles un fait d’actualité, traite de ça tous les jours depuis dix jours. Ca, c’est quoi ? Les « gilets jaunes », bien sûr. Et cette présence médiatique envahissante est sans doute un signe, mais signe de quoi ? Comme vous sans doute, j’avoue que je n’y vois pas très clair dans cette foisonnante profusion de faits qui vont un peu dans tous les sens.

Lorsque j’étais à l’école primaire, nous avions ce qu’on appelait des leçons de choses, qui consistaient à aller du concret à l’abstrait, en  partant de l’analyse de faits pour en dégager des conclusions plus générales. Le mouvement des « gilets jaunes » est une sorte de leçon de choses, mais nous n’avons pas d’instituteur nous nous aider à la comprendre. Ce qui me paraît clair, mais les historiens se pencheront plus tard sur cela, c’est le rôle des media, d’Internet, des réseaux sociaux, dans le buzz qui nous assaille. Mais, comme on dit qu’il n’y a pas de fumée sans feu, il n’y a pas de buzz sans motif. Un mouvement protéiforme, à forts relents poujadistes auxquels se mêlent une grosse touche de « dégagisme », beaucoup de confusion et des revendications en grande partie fantaisistes (dissolution du sénat, démission du président, assemblée populaire…). Mais, à la base, un ras-le-bol généralisé qui prend racine dans une situation sociale indiscutablement inégalitaire. Je sais, pour avoir trainé mes guêtres depuis un demi-siècle de l’Amérique du Sud à l’Afrique en passant par la Chine, que la misère qu’on y côtoie est bien supérieure à celle qui existe en France. Mais cela n’excuse rien.

Alors, quelle leçon de choses ? Une première chose, évidente, m’apparaît : l’amateurisme affligeant des politiques au pouvoir. Nous avons d’un côté un président et un gouvernement gonflés d’orgueil, imbus de leur clairvoyance autoproclamée, des conseillers convaincus de leurs compétences parce qu’ils sortent de l’ENA. Et de l’autre des députés godillots (mais ce n’est pas très nouveau) qui en majorité n’ont jamais labouré le terrain politique, ne savent pas grand chose de la vie et des problèmes de leurs électeurs. Tous apparaissent comme des poulets de l’année, naïfs, analphabètes politiques et aujourd’hui à la dérive. Lorsque le premier ministre allait répétant qu’il ne changerait pas de cap, il illustrait clairement cet autisme qui caractérise le macronisme : nous voyons loin, nous savons où nous voulons aller et nous vous y mènerons, que vous le vouliez ou pas, pour votre bien. Mais, dès lors que ce cap est en passe d'être abandonné, le roi est nu. On voit que le pouvoir est désarçonné, qu’il se fissure, qu’il ne comprend pas grand chose à ce qui lui arrive. Le ministre de l’intérieur, le porte parole du gouvernement, le premier ministre, balbutient et se contredisent. Nous avons même entendu deux ministres, aussitôt rappelés à l’ordre par l’Elysée, dire qu’il serait possible de rétablir l’impôt sur la fortune…

Autre chose : la gourmandise de certains partis d’opposition, le Rassemblement Nationale, la France Insoumise et Les Républicains, qui tentent de tirer les marrons du feu alors qu’eux non plus n’en avaient pas vu la fumée annonciatrice. Mélenchon appelait depuis longtemps de ses vœux au soulèvement, il s’en produit un qu’il n’a pas suscité mais qu’il voudrait bien récupérer. La droite, craignant qu’on revienne à l’impôt sur la fortune, tire à boulets rouges sur le gouvernement. Et l’extrême droite va très vite expliquer que tout est la faute des migrants. Tous parlent de « colère légitime » mais ne savent quoi proposer pour y répondre concrètement.

Certains ont risqué une comparaison avec Mai 68. Pourtant les différences crèvent les yeux. D’une part le mouvement étudiant avait à l’époque des représentants que personne ne contestait (Geismar, secrétaire du SNESup, Sauvageot, président de l’UNEF, et Cohn Bendit)  alors que l’incapacité des « gilets jaunes » à se donner des représentants est flagrante. D’autre part, les étudiants avaient forcé les syndicats, en particulier la CGT, à manger leur chapeau en finissant par rejoindre le mouvement qu’ils avaient d’abord condamné. Les syndicats n’ont aujourd’hui que peu de poids, ils ont échoué dans leur opposition aux premières réformes de Macron et sont eux aussi désemparés. Enfin la situation économique du pays est très différente.

Je ne sais pas qui a trouvé cette formule, mais elle est parlante : l’opposition entre fin du monde et fin du mois, « cette fameuse fin du mois qui depuis qu’on est toi et moi nous revient sept fois par semaines » comme chantait Léo Ferré. Le grand échec du gouvernement est sans doute d’avoir laissé penser que les urgences écologiques passaient avant les urgences sociales, d’avoir été incapable de présenter clairement un projet de société tenant compte des deux. Il est aujourd’hui devant un mur et, pour Macron, ce n’est plus la fin du mois mais la fin du moi.

Alors, maintenant, quoi ? Je n’en sais rien, je ne sais pas ce qui se passera samedi prochain, je ne sais pas s’il y aura une « convergence des luttes » comme disent certains, et j’ai l’impression d’avoir écrit les lignes qui précèdent pour ne pas dire grand chose.

Mais il me faut bien conclure. Le général chinois Sun Tzu, écrivait il y a vingt-six siècles dans L’art de la guerre, qu’il fallait toujours laisser une face à l’ennemi. Mais ni les « gilets jaunes » ni le gouvernement n’ont dû lire Sun Tzu. Alors, tout peut arriver.

 

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fleche3 décembre 2018 :  Ch’sais que c’est que c’est quoi !

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Je suis entré il y a quelques jours dans une boulangerie pour acheter de la chapelure. Pour ne rien vous cacher, je voulais faire un mélange de persil de thym, de poivre, de fleur de sel, de chapelure  et d’huile d’olive pour en badigeonner un carré d’agneau que j’allais mettre en four avec quelques gousses d’ail en chemise…

Bref, j’entre donc dans la boulangerie et demande à la jeune fille derrière le comptoir la chapelure nécessaire à ma recette. « De la cha quoi ? ». « De la chapelure ». « C’est quoi, ça ? » Le patron, qui entend notre échange depuis la porte du four me dit qu’il n’y en a pas et explique de quoi il s’agit à son employée.

« Ah, lance-t-elle, maintenant ch’sais que c’est que c’est quoi ! »

Pour débuter studieusement votre semaine, je vous propose de vous pencher sur cette phrase. Vous pouvez employer la théorie qui vous sied le mieux, grammaire distributionnelle, fonctionnelle, générative, transformationnelle ou toute autre de votre goût. Et rassurez-vous, même sans chapelure, le carré d’agneau était bon.

 

 

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Novembre 2018

 

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fleche30 novembre 2018 :  Et en plus il est con !

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Vous avez vu ? Il est question, à l’Assemblée Nationale, d’interdire désormais la fessée aux enfants. Interdire la fessée ? Eh oui ! Pourtant, y’en a des... Tenez, prenez le petit Darmanin, que ses parents ont laissé à la crèche de Bercy. Il a vraiment la gueule du sale gamin qui, au fond de la classe, fait des bruits incongrus en laissant croire que l’auteur en est son voisin, la gueule de l’abruti qui jette des boules puantes, la gueule d’un délateur qui dénonce tout le monde, bref on regrette que Cabu ne soit plus là pour le croquer sous les traits qu’il mérite.

Et en plus il est con.

Le 22 novembre, à la Sorbonne, voulant montrer qu’il comprenait les gilets jaunes il aurait dit ceci, cité par l’AFP et repris par l’hebdomadaire Marianne :

«Si nous ne voulons pas être dans le Brexit intérieur […], nous devons tous intégrer et pas seulement expliquer, mais entendre et comprendre, ce que c’est de vivre avec 950 euros par mois quand les additions dans les restaurants parisiens tournent autour de 200 euros lorsque vous invitez quelqu’un et que vous ne prenez pas de vin. Qui peut croire que nous vivons dans la même société ?»

Bien sûr, il a immédiatement démenti, disant sur twitter qu’il avait « rarement vu de malhonnêteté intellectuelle » tandis que Dominique Seux, journalistes aux Echos et éditorialiste sur France Inter volait à son secours  en twittant  qu’il avait assisté à la séance, qu’on  avait tordu sa phrase et qu’il avait voulu « pointer la déconnexionentre les élites qui étaient devant lui et ceux qui vivent avec 950 euros ». Or voici ce qu’a réellement dit Darmanin (merci la rubriquechecknews de Libération), c’est-à-dire, si vous comparez soigneusement les deux versions,  pratiquement la même chose  que le texte publié par Marianne :

«Si nous ne voulons pas être dans un Brexit intérieur, ni nous ne voulons pas connaître les cartes électorales de nos amis américains, nous aurions tous intérêt, et les gouvernements en premiers, à pas seulement expliquer mais à entendre et à comprendre qu’est-ce que c’est de vivre avec 950 euros par mois lorsque les additions dans les tables des restaurants parisiens c’est autour de 200 euros quand vous invitez quelqu’un et que vous ne prenez pas de vin. Qui peut croire qu’on vit dans la même société et qui peut croire qu’ils sont simplement victimes ? » 

Non seulement Darmanin est con, mais en plus il est de mauvaise foi en accusant Marianne de « malhonnêteté intellectuelle ». Et il a récidivé quelques jours plus tard, le 25 novembre, en expliquant, toujours à propos des gilets jaunes, que c’était la peste brune qui avait défilé sur les Champs-Elysées.

Alors, chers députés, avant de voter l’interdiction de la fessée, réfléchissez un peu. Ou alors prévoyez des exceptions, quelque chose comme un « Amendement Darmanin ».

 

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fleche29 novembre 2018 : Ter repetita placent

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Bis repetita placent disait-on en latin. En fait nous pourrions modifier légèrement la formule : ter repetita... Nous avions avec mon frère Alain mis au point et publié en 2010 un « baromètre des langues du monde » qui, à partir du traitement de dix facteurs discriminants, prenait en compte et classait les 137 langues ayant plus de 5 millions de locuteurs (en langue première). Deux ans plus tard nous répertorions les 563 langues ayant plus d’un million de locuteurs. Nous avons cette fois élargi notre travail aux langues ayant plus de 500.000 locuteurs, qui sont au nombre de 634. En même temps, au fil des versions, nous avons augmenté nos facteurs, ajoutant en 2012 la véhicularité des langues et en 2017 leur place dans l’enseignement supérieur. Il est donc désormais possible de comparer ces trois versions, de voir les changement dans la place des langues et, comme auparavant, de jouer avec l’importance accordée aux différents facteurs pour faire son propre classements. Il suffit d’aller sur :  http://www.wikilf.culture.fr/barometre2017/ En outre, en cliquant sur « en savoir plus... » vous trouverez toutes les indications sur la façon dont nous avons travailler, traitement des données, etc.  Bonne lecture.

 

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fleche27 novembre 2018 :  La sourate "Les Femmes"

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Depuis les printemps arabes, je suis particulièrement fier de mon pays natal, la Tunisie. En effet, lentement mais sûrement on y fait avancer la démocratie et l’égalité entre les hommes et les femmes. Il faut dire que les femmes tunisiennes sont particulièrement combattives pour défendre leurs droits acquis et réclamer ceux dont elles ne disposent pas encore, et qu’elles jouissent d’ailleurs, depuis Habib Bourguiba, d’un statut inédit dans les autres pays arabes.

Voici qu’un projet de loi sur l’égalité entre hommes et femmes au moment d’hériter vient d’être adopté par le conseil des ministres et devrait être présenté au parlement d’ici quelques mois. Il prévoit qu’un Tunisien et une Tunisienne de même degré de parenté héritera de la même part, ce qui peut nous paraître tout à fait normal. Mais le problème, ou la difficulté, est que dans l’ensemble des contraintes que l’islam impose aux femmes (voile, répudiation, statut de mineure face à l’homme, etc.), l’inégalité devant l’héritage est la seule qui apparaissent dans le Coran. On lit en effet, au verset 11 de la sourate « Les femmes » :

« Au fils, une part équivalente à celle de deux filles. S’il n’y a que des filles, même plus de deux, à elles alors deux tiers de ce que le défunt laisse. Et s’il n’y en a qu’une, à elle alors la moitié... »

Les débat s’annoncent donc fiévreux et le parti islamiste El Nahda se trouvera devant une sorte d’épreuve de vérité : va-t-il accepter que la charia médiévale puisse ne pas s’appliquer ?

La constitution tunisienne (qui débute d’ailleurs par la formule « au nom de dieu le clément le miséricordieux ») stipule dans son article premier que « La Tunisie est un État libre, indépendant et souverain, l’Islam est sa religion, l’arabe sa langue et la République son régime ». Que pèse l’égalité entre l’homme et la femme face à la religion ?  Et y a-t-il une contradiction dans les termes entre un régime républicain et une religions d’état ? Toute la question est là. A suivre...

 

 

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fleche21 novembre  2018 : Age ressenti

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Il y a une quinzaine de jours j’ai lu une enquête sur des parents (américains, si je me souviens bien) qui demandaient à l’administration le droit de ne pas mentionner le sexe de leurs nouveaux nés sur les certificats de naissance et, ipso facto, sur leurs futurs papiers d’identité. Ce sera, disent-ils, à eux de choisir plus tard leur sexe. J’avoue que la chose m’a amusé et que je me suis demandé quelles conneries du même genre (c’est le cas de le dire) je pouvais inventer. Dans un récent film libanais, Capharnaüm, on voit un jeune adolescent attaquer ses parents en justice au motif qu’ils l’ont mis au monde. C’est vrai, après tout, il n’avait rien demandé. J’ai alors pensé à la possibilité ouverte à tous les enfants de choisir, par exemple à sept ans, entre le suicide ou l’euthanasie et la suite de l’expérience sur terre. Ou encore à la possibilité de changer de parents, de réfuter les biologiques pour choisir qui ils veulent, d’autres humains bien sûr, ou encore un âne ou un mouflon. Bref, je m’amusais.

Et puis j’apprends qu’un Néerlandais, un certain Emile Ratelband, demande à la justice le droit de changer sur ses papiers sa date de naissance. Venu au monde en 1949, il voudrait remplacer cette date par 1969, qui correspondant à l’âge qu’il ressent. Ses arguments sont imparables : il est à la retraite à cause de sa date de naissance et trouve cela discriminatoire, il se sent jeune et veut afficher sur ses papiers un âge correspondant à son ressenti.

Voilà une idée qu’elle est bonne ! Je ne sais pas si monsieur Ratelband se rend compte qu’en retrouvant subitement l’âge de 49 ans il devra se remettre au travail pour près de vingt ans, mais c’est son problème. En revanche, les gouvernements qui se battent avec le problème de l’âge de la retraite pourraient trouver dans son idée une solution idéale au problème du déficit des caisses. Finis les débats sur la prolongation de l’âge de la retraite à 63 ou 65 ans. Au contraire, mettons-le à 60 ans, voire à 55. Mais, en même temps, décrétons que tous les citoyens parvenus à 50 ans seraient rajeunis à 30. Ils prendront ainsi leur retraite à 60 ans. Que dîtes-vous, à 80 ? Mais non, vous n’avez rien compris à l’âge ressenti. Et ils seront centenaires à 120 ans, ce qui prouvera la qualité de vie du pays...

Je vais y penser sérieusement. Si je pouvais me « rajeunir » de 20 ans, tout le monde dirait le jour où... : « Le pauvre, il est mort jeune ». L’autre solution serait de dire que l’âge que l’on ressent est de 20 ans supérieur à celui que prétendent nos papiers. « J’ai cinquante ans, mais je ressens en avoir 70. Donc je dois prendre ma retraite ». Songez-y, les jeunes. Pour moi il est trop tard.

 

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fleche19 novembre 2018 :  Entendre et écouter

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La langue française a la particularité de distinguer, à propos de la perception visuelle, entre voir et regarder : On peut voir quelque chose, de plus ou moins loin et, lorsqu’on s’intéresse plus précisément à un détail,  regarder  de près. Mais on ne voit pas un tableau, on le regarde. De la même façon, on distingue pour la perception auditive, entre entendre et écouter. On entend les bruits de la rue mais on écoute son interlocuteur, ou une partition de Bach. On peut voir ou entendre sans le vouloir, mais on regarde ou on écoute volontairement.

Ces petites précisions ne sont pas inutiles si nous voulons nous pencher sur ce que disait, mercredi dernier, Emmanuel Macron sur TF1.  Interrogé sur la diarrhée de tweets de Donald Trump, il a répondu : « A chaque grand moment de notre histoire, nous avons été des alliés et entre alliés on se doit le respect (...) Je ne veux pas entendre le reste ». Puis à propos  des « gilets jaunes » il a enchaîné :« j’entends la colère ». Hier soir sur France 2 Edouard Philippe, fidèle au mimétisme lexical qui caractérise le gouvernement, a pour sa part déclaré : « j’entends ce que disent les Français mais je vois le cap, je n’en change pas ». Autrement dit, je n’ai rien à foutre de ce que j’entends.

L’inénarrable Benjamin Griveaux, si on l’interroge sur ce point, ne manquera pas de dire qu’entendre a aussi le sens de « comprendre », et rappellera que « j’entends bien » peut signifier « je comprends ». Mais, outre que cet usage est aujourd’hui un peu précieux, Griveaux ne pourra pas nier que « j’entends bien » signifie surtout pour les francophones « je ne suis pas sourd », « je n’ai pas de problèmes d’audition ». Entendre  a en effet d’abord le sens de « percevoir par le sens de l’ouïe » tandis qu’écouter a celui de « prêter son attention à ».

Dès lors, si Macron et Philippe entendent (du moins prétendent entendre) ce qui disent les Français ou leur colère, il serait peut-être temps pour eux de les écouter.

 

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fleche12 novembre 2018 :  Le nom des autres

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Lundi dernier, le premier ministre (au cas où cela vous aurait échappé, il s’appelle Edouard Philippe) s’est rendu en Nouvelle Calédonie. Et le présentateur a annoncé au journal de vingt heures de TF1 : « Le premier ministre Edouard Balladur est arrivé à Nouméa ». Effectivement, Balladur a été premier ministre... de 1993 à 1995. A l’heure où la propagande gouvernementale nous bassine sur le nouveau monde politique, on voit que les frontières avec l’ancien sont perméables...

Puisque nous parlons du nom des gens, je reviens sur un thème que j’ai déjà abordé, celui de l’incapacité des journalistes de l’audiovisuel à faire le moindre effort pour prononcer les consonnes prénasalisées. Le footballeur Mbappé est régulièrement baptiser ème bappé, la ville sénégalaise de Mbour ème bour, etc. Et il y a dans cette nonchalance quelque chose qui s’apparente au racisme. Allez, camarades, faites un petit effort. Respectez le nom des autres.

Pire encore. La chanteuse Angélique Kidjo, qui a interprété hier, lors de la commémoration du centenaire de l’armistice, une chanson en hommage aux combattants  des troupes colonial en 14-18, a été selon les media déclarée malienne, béninoise ou congolaise. Il suffirait de prendre la peine d’aller, en deux clics, sur Wikipedia pour savoir qu’elle est née au Bénin. Mais non, on s’en fout, elle est noire donc elle est de là-bas, quelque part entre Bamako, Kinshasa, Ouidah ou Brazzaville. Il ne s’agit, après tout, que d’un rayon de près de 5000 kilomètres. Et je ne peux pas m’empêcher de penser qu’il y a derrière tout cela un mépris des autres, un j’m’en foutisme qui nous fournit des fake news à la chaîne, à l’heure où nous n’en avons vraiment pas besoin.

Mais nous vivons une époque moderne.

 

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fleche8 novembre 2018 : Maréchaux nous voilà

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Pendant la guerre les Français, des écoles primaires aux maisons de retraite, chantaient cette ode à un maréchal sénile et collabo, Pétain : Maréchal, nous voilà, devant toi le sauveur de la France, nous jurons nous tes gars de servir et de suivre tes pas... Son nom n’était pas cité mais il n’y avait aucune ambiguïté, tout le monde savait de qui il s’agissait : LE maréchal. La communication du gouvernement pour sa part nous a plongé, pendant deux jours, en pleine ambiguïté.

Tentons de résumer. Le bruit court que tous les maréchaux de la première guerre mondiale (ils sont huit, parmi lesquels Pétain) seront honorés samedi. Interrogé par la presse, Macron le confirme et tente de la justifier : « il a été un grand soldat », « je reconnais la part que les maréchaux ont joué et que notre armée a joué dans la victoire française ». Immédiatement on se révolte. Hollande monte au créneau, puis le CRIF, Mélenchon, Hamon, etc. Benjamin Griveaux, porte-parole du gouvernement, déclare alors qu’il s’agit d’une mauvaise polémique et qu’il est « légitime de rendre hommage au Maréchal Pétain samedi aux Invalides », citant au passage une phrase du général de Gaulle déclarant en 1966 « sa gloire à Verdun ne saurait être contestée ni méconnue par la patrie ». Mercredi soir, le même Griveaux affirme qu’il n’y aura aucun hommage à Pétain, « il n’en a jamais été question ». Ah bon ? Il avait dit exactement le contraire quelques heures plus tôt ! Et le soir, l’Elysée dément : « Comme indiqué à plusieurs reprises ces derniers jours, le samedi 10 novembre ne seront honorés que les maréchaux présents aux Invalides : Foch, Lyautey, Franchet d’Esperey, Maunoury et Fayolle».

Huit maréchaux, puis sept en enlevant Pétain, puis cinq en ne prenant que ceux qui sont aux Invalides, tout cela fait un peu désordre. Ce que l’on croit comprendre, c’est que Macron ne connaissait pas le dossier et qu’il a dit n’importe quoi, montrant cependant qu’il n’était pas contre (« il a été un grand soldat »), que Griveaux a volé à son secours en disant lui aussi n’importe quoi, qu’il s’est ensuite rétracté en mentant (« il n’en a jamais été question ») et que la communication du gouvernement est un travail d’amateurs. Les politiques peuvent (rarement) dire la vérité ou (plus souvent) mentir, mais se contredire en quelques heures relève d’un rapport fantaisiste ou méprisant aux Français.

A propos, il y a dans cette histoire quelques centaines d’oubliés, les 639 fusillés pour l’exemple (c’est le chiffre donné par le Service Historique de la Défense ) lors de ce qu’on a appelé, à tort, les décimations. François Hollande avait demandé en novembre 2013 au ministère de la défense « qu’une place soit accordée aux fusillés aux Invalides ». On a failli donner une place à Pétain, mais on les a encore  oubliés.

 

 

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fleche5 novembre 2018 : Caramel mou

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Ce matin, entre 6 et 7 heures, j’entends sur France Inter parler du périple présidentiel dans le Nord de la France. Une heure après, sur la même chaîne, on annonce une itinérance commémorative du président, et une demi heure plus tard on parle à nouveau de périple présidentiel. Europe 1, sur son site, parle pour sa part de voyage mémoriel. Et la veille, dans le Journal du dimanche, on annonçait entre guillemets, sans doute pour indiquer que la formule venait d’un quelconque zozo chargé de la communication dans un quelconque bureau d’un quelconque ministère, voir de l’Elysée,  une « itinérance mémorielle ». En fait je m’amuse, ou me fait plaisir : vérification faite, c’est bien l’Elysée qui a lancé cette formule.

Périple, itinérance ou voyage, commémoratif ou mémoriel, tout cela semble bien compliqué pour dire que le président de la république a entamé hier, à partir de Strasbourg, un voyage dans l’Est et le Nord de la France, sur les lieux les plus connus des batailles de la guerre de 1914-1918 : onze départements et dix-sept villes. Il s’agit donc d’un déplacement ou d’un voyage présidentiel, à l’occasion du centième anniversaire de l’armistice de 1918.

Le moins qu’on puisse dire c’est que le mot choisi par l’Elysée, itinérance, est peu fréquent. Au Québec il désigne le fait d’être à la rue, sans domicile fixe, mais on peut espérer que le président aura, dans ses différentes escales, un toit. Il désigne aussi ce qu’on appelle en anglais roaming, le fait de pouvoir utiliser un téléphone portable hors de sa zone de service, mais là aussi le président ne devrait pas avoir de problème, d’autant plus qu’il ne quittera pas le territoire national. Enfin, pour la bonne bouche, je ne résiste pas au plaisir de citer ce passage du quotidien québécois Le Soleil (8 mars 2008) qui parlait d’une personne ayant connu « une enfance difficile qui l’a très tôt menée à la dépendance à la drogue et à l’itinérance ». Mais nous pouvons espérer qu’il ne s’agissait pas du jeune Emannuel Macron.

Bref, je me demande ce que comprennent nos concitoyens à cette innovation élyséenne, itinérance mémorielle. Certains d’entre eux doivent mâcher plusieurs fois la formule en se demandant ce qu’elle peut bien vouloir dire. Ce n’est plus de la langue de bois, c’est de la langue de caramel mou ou, puisque le président aime bien les anglicismes, de la langue de marshmallow.

 

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Octobre 2018

 

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fleche26 octobre 2018 : Panurge

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Le 17 octobre se tenait un séminaire gouvernemental (non, je n’y étais pas, je tire les informations qui suivent du Canard Enchaîné) au cours duquel Benjamin Griveaux a donné quelques conseils aux ministres.

A ceux qui n’avaient pas de compte twitter : « je crois que c’est utile pour relayer les discours du président, comme celui d’hier. J’ai vu que certains ne l’ont pas fait ». On se moquait beaucoup, dans les années 1960, des députés gaullistes, les « godillots », qui répétaient en chœur ce que leur dictait le gouvernement. Twitter n’existait pas à l’époque, mais le principe était le même : ne pas avoir d’idée, faire écho à celles qui viennent d’en haut. C’est donc maintenant au tour des ministres.

A ceux qui passent à la radio ou à la télé : « Il faudrait que, quand vous allez à une émission, vous parliez bien entendu de votre domaine de compétence, mais aussi que, systématiquement, vous parliez d’un autre ministre ». Deux jours après, le 19 , Didier Guillaume, nouveau ministre de l’agriculture, à montré que sa compétence était grande en déclarant sur RTL « C’est aux scientifiques de faire la preuve ou non qu’il y a des conséquences à l’usage des pesticides ou pas ». On ne sait pas s’il relayait un discours du président, ou si le président ne s’était pas encore exprimé sur ce point et que le nouveau ministre improvisait avec brio.

Tout cela donne une drôle d’image des ministres que leur berger, Griveaux, dirige avec soin et qui, suivant en cela le modèle de la majorité des députés, se comportent comme le mouton de Panurge. Faut-il rappeler que chez Rabelais, dans le Quart Livre, ce syndrome du suivisme se finit mal : « Panurge sans aultre chose dire jette en pleine mer son mouton criant et bellant. Tous les aultres moutons crians et bellant en pareille intonation commencerent soy jecter et saulter en mer aprés à la file. La foulle estoit à qui premier y saulteroit aprés leur compaignon. »

 

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fleche24 octobre 2018 :  Rhétorique ou dérive ?

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"La haine des média et de ceux qui les animent est juste et saine". Tout le monde connaît cette phrase de Jean-Luc Mélenchon, qui peut cependant laisser perplexe. On peut en effet lire la presse, écouter les media audio-visuels ou s’en désintéresser. On peut avaler ce qu’ils disent ou s’en méfier. On peut savoir les décrypter, les analyser, les critiquer et se faire grâce à eux sa propre idée. Mais pourquoi les haïr ?  En quoi est-ce « sain » ? En quoi cette haine peut-elle faire avancer la réflexion et, subsidiairement, les idées politiques de Mélenchon ?

Bien sûr, le dirigeant de la France insoumise n’en est pas resté là. Après les révélation de Médiapart concernant sa vie privée, il a récidivé : « Plenel, quel naufrage du trotskisme à ce niveau de caniveau après avoir dirigé Le Monde. Je laisse les gens vous dire ce qu’ils en pensent. A ce niveau d’agression et d’ignominie, il n’y a plus besoin d’argumentation ». Et enfin, après une enquête de Radio France concernant ses comptes de campagne, il a appelé à « pourrir » ses journalistes qu’il avait auparavant traités d’ « abrutis » et de « menteurs ».

Faisons crédit à Mélenchon sur un point, il connaît la langue française et manie parfaitement la rhétorique. Dès lors, que signifie pour lui l’appel à la haine ? Que signifie le verbe pourrir ? Et que veut dire la phrase  « Je laisse les gens vous dire ce qu’ils en pensent. A ce niveau d’agression et d’ignominie, il n’y a plus besoin d’argumentation ». Comment peut-on dire sans argumenter ? Et si on n’argumente pas, on fait quoi ? On cogne ? On brûle ? On lynche ?

Bref la rhétorique de Mélenchon sent mauvais, je dirai même qu’elle pue. A moins, bien sûr, qu’il ne se contrôle pas, qu’il lui arrive parfois de ne pas savoir ce qu’il dit. Il doit bien exister des thérapies pour cela...

 

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fleche19 octobre 2018 :  L'accent des autres

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 Jean-Luc Mélenchon n’en rate décidément pas une, mais là il est en train de virer vers l’ignoble. Déjà, il y a quelques mois, il avait laissé percer des accents racistes envers l’Allemagne et les Allemands. Hier la chose était plus drôle et plus grave.

Drôle parce qu’il était pris à son propre piège. Une journaliste de FR3, se souvenant sans doute qu’interrogé  naguère sur les ennuis de François Fillon il avait répondu «Chacun doit répondre de ses actes...Je n’ai pas d’autre choix que de faire confiance à la justice », l’interroge : « Il y a quelques mois, vois pointiez les déboires judiciaires de Fillon et de Le Pen sur la 3, et vous disiez que c’était une décadence de la République... » Voyant venir la suite et comprenant qu’il allait être mis face à ses contradictions, il a choisi...

Et c’est là où la chose devient grave. Il a choisi de se moquer de l’accent de la journaliste plutôt que de la laisser finir sa question: « Qu’esseu que ça veut direu....  Non Madame, vous ne savez pas de quoi vous parlez. Vous dîtes n'importe quoi. Quelqu'un a-t-il une question formulée en Français? Et à peu près compréhensible? Parce que moi votre niveau me dépasse, je ne vous comprends pas ». Petite précision, la journaliste a l’accent du Sud-Ouest, de Toulouse plus précisément. Seconde petite précision, Mélenchon est élu d’une ville dans laquelle on a un accent du Sud-Est, Marseille plus précisément. Le pauvre homme doit souffrir tous les jours en entendant parler ses électeurs.

Tirer en touche pour ne pas répondre à une question est une vieille ficelle de la langue de bois et Mélenchon, en vieux politicien, manie parfaitement la langue de bois. Il y a différentes façons de ne pas répondre à une question gênante, la plus courante étant de noyer l’autre sous un flots d’arguments qui n’ont rien à voir avec la question. Mais parfois cette procédure d’évitement révèle la face cachée de celui qui la pratique (souvenez-vous de Sarkozy et de son Casse-toi pauv con).  Le leader de la France insoumise a choisi de mépriser la journaliste, en insinuant qu’avoir l’accent de Toulouse c’est ne pas parler français, être incompréhensible, et il a du même coup révélé quelque chose de lui. Jacobin ? Sans doute. Raciste ? Je ne le crois pas vraiment. Il est plutôt irresponsable, incapable de se contrôler. Mélenchon, comme d’ailleurs Le Pen, a entraîné derrière lui depuis quelques années beaucoup de jeunes. Et  cela est une bonne chose : La jeunesse française est fortement dépolitisée et tout ce qui peut l’intéresser aux choses de la cité est positif... Mais insulter la justice, appeler à la haine des journalistes, tenir des propos racistes est une drôle de façon d’attirer les jeunes vers la politique. Et qu’elle soit commune à l’extrême gauche et l’extrême droite est inquiétant.

Evidemment l’incident a fait le buzz hier soir sur les  réseaux sociaux et continue ce matin. Le quotidien La dépêche publie sur son site des réactions de ses lecteurs internautes dont voici quelques exemples:

« Eh Meluche, n'oubliez pas que vos deux députés LFI ariégeois n'ont pas non plus l'accent de la capitale. Et vous les comprenez dans l'hémicycle (si bien sûr ils ouvrent la bouche) ? »

  "Quel choc pour les sympathisants insoumis occitans, qui découvrent que leur guide sacré, pétri de culture ne les comprend pas lorsqu'ils s'expriment avec des mots simples avec l'accent du peuple des régions"

 "Député de Marseille incapable de comprendre les accents du Sud, oh bonne mèèèèèère !"

 "Là je crois qu'il a perdu des voix dans le sud ouest bouducon !"

 "Et puis aussi, si notre accent écorche les oreilles de certains, qu'ils retournent respirer l'air parisien... et surtout qu'ils y restent avec leurs mines blêmes à respirer les senteurs des pots d'échappements et la puanteur du métro"

 "Amic Jean-Luc, Quina bergonha ! Per ua elejut deth sud dera França ! Eth accent qu'ei ua riquessa ». (Ami Jean-Luc, quelle honte ! Pour un élu du sud de la France ! L'accent est une richesse).

Etc.

« Ce qu’il y a d’encombrant dans la morale c’est que c’est toujours la morale des autres » disait Léo Ferré, et nous pourrions le parodier : ce qu'il y a d'encombrant dans l’accent, c’est que c'est toujours l’accent des autres. En France, effet de la centralisation sans doute, les Parisiens pensent qu’ils sont les seuls à ne pas avoir d’accent, et bien souvent, lorsqu’ils veulent réussir au niveau national certains tentent de perdre le leur, de le masquer, en s’alignant sur l’accent de la capitale. Pasqua, avec son accent grassois, ne pouvait pas aller plus loin dans la hiérarchie ministérielle, qu’au ministère de l’intérieur. Castaner, qui vient d’y parvenir, aura du mal à suivre la longueur de ses dents jusqu’à l’élection présidentielle. Et Mélenchon, qui dans son enfance avait sans doute un accent pied-noir, est aujourd’hui linguistiquement formaté pour participer à une telle élection. Mais à quel prix ! Au prix d’un racisme de ruisseau, ou du café du commerce. C’est à se demander pourquoi les Marseillais l’ont élu député. Seraient-ils masochistes ? Allez, je vais me livrer à une plaisanterie douteuse. Quand on compare les résultats de l’Olympique de Marseille à la ferveur de ses supporters, on pourrait croire à ce masochisme. Mais il sera intéressant d’examiner de près dans le sud de la France les résultats de la FI aux prochaines élections.

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fleche15 octobre 2018 : Autocéphalie

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Il m’arrive, dans mes cours ou mes conférences, lorsque je parle des frontières linguistiques et que je veux montrer qu’elles peuvent être aussi sociales ou politiques, d’évoquer le cas de l’Ukraine. En effet, si l’on examine le résultat de l’élection présidentielle de 2004,  opposant Viktor Ianoukovitch à Viktor Iouchenko, on constate une partition du pays en deux, que confirme l’élection de 2010, opposant Ioulia Timochenko, considérée comme pro-européenne, à Victor Ianoukovitch, pro-russe:  les cartes des résultats des deux élections sont pratiquement superposables avec à l’Est une majorité pour le candidat pro-russe et à l’Ouest une majorité pour le candidat pro-occidental.

Or cette partition correspond assez largement à la carte linguistique du pays : on parle plutôt russe à l’Est, plutôt ukrainien à l’Ouest. Et il en va un peu de même en ce qui concerne les religions : les catholiques sont majoritaires à l’Ouest du pays, , les orthodoxes à l’Est. C’est-à-dire que dans l’ensemble délimité par les « frontières de l’Ukraine », mises à mal par l’expansionnisme russe, nous voyons apparaître deux sous ensembles : les résultats des élections présidentielles, la répartition des langues dominantes et les religions concordent en grande partie.

Or l’église orthodoxe d’Ukraine est depuis longtemps mise sous la tutelle directe du patriarche de Moscou, ce qui est une façon de plus pour le régime de Poutine de contrôler ce voisin qui aiguise ses appétits. Mais il vient de se produire une petite révolution : le patriarcat de Constantinople (quelque chose comme le Vatican des orthodoxes) vient d’accorder à Kiev l’autocéphalie, c’est-à-dire l’indépendance spirituelle et juridique, et le droit d’avoir son propre patriarche. Il s’agit d’un coup dur pour Moscou, qui perd environ  un tiers de ses églises et ne peut plus prétendre au statut de premier patriarcat au monde, ou de rival du patriarcat de Constantinople. En gros, Poutine a certes mis la main sur la Crimée mais il vient de perdre une bataille politico-religieuse.

Comme quoi les frontières peuvent être polysémiques, avoir à la fois un sens  politique, linguistique, religieux, et la tendance à faire coïncider ces espaces parfois différents est sans doute l’une des marques du nationalisme.

 


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fleche9 octobre 2018 : Irresponsabilités

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Chaque semaine ou presque, et depuis longtemps, les media nous alarment : « Bientôt il sera trop tard », « Maintenant ou jamais », « la maison brûle et nous regardons ailleurs », « que lèguerons-nous à nos enfants », « éviter l’ingérable », « gérer l’inévitable », « où va la planète ? » Et le récent rapport du GIEC a multiplié ces appels à la prise de conscience. Tout le monde le sait, et tout le monde s’en fout. Mais cette inconscience ou cette irresponsabilité collectives ne concernent pas que le climat.

Dimanche, au Brésil, Jair Bolsonaro a recueilli au premier tour de l’élection résidentielle 46% des voix. Bolsonaro, vous connaissez ? Un militaire venu à la politique, misogyne, homophobe, raciste, anti-droits de l’homme, soutenu par les églises évangélistes, les fazendeiros de l’agrobusiness et par tout le monde économique, qui rêve de ramener son pays à l’ère des « gorilles », cette  dictature qui a muselé le pays de 1964 à 1985. C’est loin le Brésil, ça ne nous concerne pas ?

Regardons plus près de nous. Lundi, en Italie, Marine le Pen et Matteo Salvini ont paradé, affirmant leur volonté de construire un axe fort à Bruxelles, de  détruire l'Europe de l’intérieur grâce aux élections à venir, avec sans doute le FPÖ autrichien, le KNP polonais. FPÖ est le sigle de Freiheitliche Partei Österreischs, « parti de la liberté d’Autriche », les mots ne coûtent pas cher. Et KNP signifie Kongress Nowej Prawicy, « Congrès le la Nouvelle droite ». Nouvelle droite, ça ne vous fait pas frémir ? N’oublions pas Orban en Hongrie, chantre du nationalisme ou Netanyahou en Israël, qui lui aussi ne sait pas vraiment ce que signifie « droits de l’homme », surtout quand l’homme ou la femme sont palestiniens. Tout cela est moins loin que le Brésil, non ?

Et en France ? Wauquiez, Le Pen, Dupont-Aignan et la « manif pour tous » vont d’une façon ou d’une autre converger un jour pour nous donner une belle extrême droite  (ou une nouvelle droite) qui n’aura pas grand mal à cueillir le pouvoir. Face à cette menace, quoi ? La gauche est incapable de se confronter intellectuellement aux problèmes qui font le miel de cette extrême droite (les réfugiés, le racisme, le nationalisme pais aussi la retraite ou le déficit). Macron, propre sur lui et lisse comme un banquier qui sort de l’ œuf, bluffe mais dérape sans cesse, se casse les dents et montre à ceux qui ont cru en lui son incapacité à agir sur la situation. Mélenchon poursuit sa démarche solitaire de populiste de gauche, sachant très bien qu’il n’aura jamais seul la moindre majorité.

L’inconscience et l’irresponsabilité ne concernent pas seulement la situation écologique de la planète. Elles concernent aussi notre avenir politique. L’extrême droite est à nos portes, et nous regardons ailleurs.

 

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fleche2 octobre 2018 :  Obsèques... et hommage

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Le 19 avril 1980, plus de 50.000 personnes accompagnaient la dépouille de Jean-Paul Sartre vers le cimetière du Montparnasse. Deux semaines auparavant, seuls des amis assistaient à la levée du corps de Roland Barthes, qui sera enterré dans un petit cimetière à Urt, dans les Pyrénées-Atlantiques. Deux morts, deux traitements différents. En octobre 1978, Jacques Brel, mort à l’hôpital de Bobigny, était enterré discrètement dans un petit cimetière, aux îles Marquises. Le 31 octobre 1981, Georges Brassens était enterré dans l’intimité à Sète. En juillet 1993, c’était au tour de Léo Ferré, enterré à Monaco, en présence de quelques proches. Dans tous ces cas, des personnalités publiques, célèbres, dont les obsèques étaient plus ou moins discrètes. Mais, dans tous les cas aussi, ce n’étaient pas les pouvoirs publics qui en décidaient.

Plus récemment, le 5 décembre 2017, mourraient Jean d’Ormesson et Johnny Hallyday. Le premier eut droit à une cérémonie discrète, le second à des obsèques quasiment nationales.

Il y a eu en France, depuis 1885,  un peu plus d’une quarantaine d’obsèques nationales, celles de quelques écrivains (Victor Hugo, Pierre Loti, Maurice Barrès, Paul Valery, Colette, Aimé Césaire), d’une dizaine de militaires, d’une quinzaine de politiques et d’une artiste, Joséphine Baker. Sous la quatrième république, il fallait une loi pour octroyer cet honneur, sous la cinquième il suffit d’un décret du président. Mais cette tendance croissante à vouloir réserver à certains disparus un cérémonie officielle particulière est étrange. Les  dernières obsèques nationales, en 2008, étaient celles d’un certain Lazare Ponticelli, dont peu de gens connaissent le nom. Il s’agit du dernier vétéran français de la seconde guerre mondiale. Mais le général de Gaule n’a pas eu droit à cet honneur. Allez comprendre ! Voici donc que des voix s’élèvent pour réclamer qui un hommage national qui des obsèques nationales pour Charles Aznavour.

Il n’est pas question pour moi d’établir un baromètre de la notoriété ou du mérite, et d’ailleurs Aznavour a droit au moins aux mêmes égards qu’Hallyday. Des obsèques nationales ? Cela aurait peu de sens.

Mais c’est un immense chanteur qui vient de disparaître. Je ne l’ai que très peu connu mais je voudrais moi aussi lui rendre un petit hommage discret, à mon échelle. En 1991, je publiais une biographie de Georges Brassens, aux éditions Lieu Commun. Mon éditeur, Gérard Voitey, était également notaire, en particulier le notaire de Charles Aznavour. C’est un ami, Gérard Davoust, qui m’avait mis en rapport avec Voitey, Davoust qui était aussi l’associé d’Aznavour à la direction des éditions musicales Raoul Breton. Et Aznavour s’était bizarrement investi dans la promotion de mon livre. Nous avions mangé deux ou trois fois ensemble, et un soir qu’à Bobino, Alice Dona présentait un spectacle Brassens avec les élèves de son école de chanson, dans le hall je signais mon bouquin. Et Aznavour s’était subitement transformé en bonimenteur, interpellant les gens : « Achetez le livre de Calvet, il est excellent ». Il s’amusait comme un gamin dans ce rôle que personne ne lui avait demandé de jouer. Mais, même si beaucoup parlent de son ego, il m’était apparu ce jour-là sous un aspect tout différent: désintéressé, généreux et surtout marrant.

C’était juste un petit hommage. Et il aura les obsèques que voudra sa famille.

 

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Septembre 2018


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fleche23 septembre 2018 :  Baptême

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Dans le Journal du dimanche d’aujourd’hui, un article sur un tournoi de golf parle du joueur « Nord-irlandais » Rory Mcliroy. L’homme est effectivement né en Irlande du Nord, ce qui signifie qu’il doit avoir un passeport britannique. Le qualifier de « joueur britannique » ne serait donc pas faux, mais aurait sans doute des connotations différentes. Je suis incapable de dire si ce changement de nomination  aurait entraîné des troubles, en d’autres termes je ne sais pas quelle est la formulation « politiquement correcte », mais ce droit de nommer, ou de baptiser, est la première violence faite aux êtres humains. Les parents ont ainsi le droit de choisir le prénom que leur enfant portera toute sa vie, comme Christophe Colomb se donnait le droit de baptiser les îles qu’il « découvrait » dans la mer des Caraïbes.

Or il se passe actuellement au Liban un débat de nomination porteur d’opposition violente. Un certain Moustapha Badreddine, dont j’ignorais jusqu’ici le nom, est en effet au centre d’une violente polémique. Ce Badreddine est en effet accusé par le Tribunal Spécial pour le Liban d’avoir été l’un des organisateurs en 2005 de l’assassinat de l’ancien premier ministre du Liban, Rafiq Hariri. Mais Badreddine était en outre un chef militaire du Hezbollah, qui a été tué en 2006 à Bagdad, qui comme on sait n’est pas une ville libanaise mais syrienne.

Dès lors, comme le qualifier (ou baptiser) ? Terroriste ? Assassin ? Combattant ? Le Hezbollah a choisi : martyr. Et la municipalité de Ghobeiry, dans le sud de Beyrouth, vient de rebaptiser une artère  rue du martyr  Moustapha Badderine. On imagine la réaction du premier ministre, Saad Hariri, fils de Rafiq. Pour compliquer encore les choses, il tente depuis longtemps de constituer un gouvernement, dans lequel devrait figurer le Hezbollah, mais cette histoire de nom de vue complique singulièrement les choses.

Je n’ose proposer rue de l’olivier, ou rue de la colombe...


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fleche12 septembre 2018 :  L'un souille, l'autre pas

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Il est donc probable que le prochain président de l’Assemblée Nationale ne soit pas une présidente et que Richard Ferrand soit élu à ce poste. Il faut dire qu’il a toutes les compétences requises. Conseiller général PS du Finistère, puis conseiller général PS de Bretagne, élu en 2012 député PS (je sais, j’ai répété trois fois PS, et je vais récidiver) il est alors considéré comme proche de l’aile gauche du PS. Et puis, abracadabra, il devient subitement l’un des premiers soutiens de Macron, dès octobre 2016. Pendant la campagne présidentielle, alors que Fillon se débat dans les affaires, Ferrand déclare que cela « souille tous les élus de France » (hou ! le vilain Fillon). Il devient ministre, alors qu’il traîne lui aussi une casserole (une magouille présumée dans les mutuelles de Bretagne grâce à laquelle il aurait permis à sa compagne d’acquérir dans les conditions douteuses un bien immobilier). Et, à la mi-juin 2017 il quitte le gouvernement pour devenir président du groupe La République en Marche à l’assemblée. Un joli parcours, rapide et sinueux si l’on se souvient que deux ans avant il était... à la gauche du PS.

Le voici donc sur le point de devenir président de l’assemblée. Problème : l’affaire des mutuelles de Bretagne est relancée par une nouvelle plainte (de l’association Anticor) en cours d’instruction. Et un journaliste de Libération lui demandait hier s’il démissionnerait en cas de mise en examen. Sa réponse est exemplaire. Il rappelle tout d’abord de beaux principes : « séparation des pouvoirs », « différence radicale entre une mise en examen... et ce qui procède simplement d’une plainte », puis conclue : « Quoiqu’il en soit, une décision procédurale n’a pas vocation à décider de l’exercice d’un mandat parlementaire ».

Je ne sais pas comment vous analysez cette dernière phrase, mais je la traduirais volontiers de la façon suivante : « je vous emmerde et j’emmerde les décisions procédurales, je suis élu, je le reste ». Hasard du calendrier, le même jour, Alexandre Benalla  refusait de se rendre devant la commission d’enquête du Sénat (il changera d’avis le lendemain). Et, dans les deux cas, on croit entendre, comme en voix off : « nous sommes intouchables ». Il y a là une grande arrogance

C’est le 3 mars 2017 que Ferrand voyait dans l’affaire Fillon une souillure pour tous les élus de France. Or Fillon ne sera mis en examen que le 14 mars. Il était donc à peu près dans la même situation que Ferrand aujourd’hui. Mais il nous faut bien conclure que l’un souille, l’autre pas.

 

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fleche4 septembre 2018 : Bigorneau

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Il était, bien sûr, difficile de remplacer Nicolas Hulot, le plus populaire des ministres, le plus médiatique. Le pâlot François de Rugy a dont été choisi, et les commentateurs le qualifient de « macronien pur jus », élu député avec l’étiquette de la République en marche et soutien inconditionnel du président. En fait les positions politiques du nouveau ministre ont toujours été à dimension variable. D’abord élu député comme  écologiste, il rejoint le groupe socialiste en 2016, participe à la primaire du PS en 2017, y obtient 3,88% des voix (ce qui témoigne de l’importance de son envergure), s’engage à défendre le vainqueur, Benoît Hamon, mais s’empresse de retourner sa veste pour soutenir Macron et se fait réélire député sous son drapeau. Bref c’est un politicien moyen (je veux dire dans la moyenne : avec des convictions politiques fluctuantes), qui ne gênera jamais le gouvernement. Il ne dira jamais un mot plus haut que l’autre, ne menacera jamais de démissionner, bref il respectera les codes.

Un chroniqueur de Libération écrit ce matin que ce remplacement ne changera rien : « Qu’il s’agisse de Hulot, d’une plante verte, de François de Rugy, d’un bigorneau ou du pape, le résultat sera le même ». A une différence près, peut-être : Hulot était un bigorneau vivant, frais, alors que Rugy est un bigorneau surcuit.

 

 

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Août 2018

 

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fleche31 août 2018 : Causes et effets

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J’ai vu dans le New York Times International Weekly de cette semaine un article dont le titre, « In East Ukraine, War brings more wolves » m’a intrigué. Après lecture, il s’agissait d’abord d’un paysan qui a été mordu par un loup, de divers chiens tués par les loups, d’un pêcheur attaqué par un renard, mais, derrière tout cela, d’un entraînement de causes et d’effets qui mérite d’être conté.

A l’Est de l’Ukraine, là où se manifestent depuis quelques années les appétits territoriaux de la Russie, la chasse est désormais interdite sur une bande de soixante kilomètres le long de la ligne de front entre les forces ukrainiennes et les séparatistes pro-Russes (et, mais cela est nié par la Russie, également des forces russes). Fort bien, et fort sage : n’importe qui portant un fusil pourrait être pris pour un belligérant et descendu par un véritable belligérant le prenant pour quelqu’un du camp adverse.

Premier résultat, la population de faisans et de lièvres a subitement augmenté de façon notable. Normal, puisqu’on ne les chasse plus, ils se multiplient, bien à l’abri des balles des chasseurs.

Deuxième résultat, cette profusion de proies attire les prédateurs. Normal : là où il y a à bouffer, il y a des bouffeurs. C’est donc la population de loups et de renards qui a subitement augmenté dans cette zone sans chasseurs et pleine de gibier.

Problème : le pêcheur attaqué par un renard l’a tué et ramené, et un vétérinaire a constaté qu’il était porteur de la rage.

Conclusion sous forme de constatations et d’une question.

Les constatations : les Russes veulent prendre une partie de l’Ukraine, ils lancent une guerre civile, les chasseurs sont interdits le long de la ligne de front, le gibier y prospère, les prédateurs en profitent, certains d’entre eux sont porteurs de la rage et attaquent les êtres humains.

Question : les Russes sont-ils propagateurs de la rage ?


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fleche28 août 2018 : Un peu de fraîcheur

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Non, je ne vais pas vous parler de la canicule (encore que...) mais de la démission, hier et en direct sur France   Inter, de Nicolas Hulot.

D’habitude les choses se passent très différemment : un communiqué de Matignon disant que Monsieur ou Madame X a présenté sa démission pour des « raisons personnelles » et que le premier ministre l’a acceptée, même si c’est en fait le premier ministre qui l’a viré. De ce point de vue, Hulot a créé un précédent, ne prévenant personne, sans doute pour éviter qu’on dénature le sens de sa décision avant qu’il ait le temps de s’expliquer publiquement. Et il s’ensuivit une véritable panique. Il fallait voir la gueule de Benjamin Griveaux, transfuge du PS où il n’avait jamais occupé de poste très important et désormais porte-parole d’En Marche ! Interrogé par le journaliste Jean-Jacques Bourdin sur BFMTV, et privé d’éléments de langage, Il ne pouvait que parler « d’absence de courtoisie » (le fait de démissionner sans prévenir). Il fallait aussi voir aussi celle de Marlène Schiappa interrogée par Guillaume Durand sur Radio Classique. Il lui parle d’abord des propos du pape sur l’homosexualité, elle répond comme quelqu’un qui récite une leçon, il l’interroge sur sa loi, elle argumente, puis sur la loi sur les fake news, elle continue à répondre en déroulant un discours convenu et boum, il annonce que Nicolas Hulot vient de démissionner. Elle se fige, puis se met à rire et répond « c’est une plaisanterie ?! », ajoute qu’il faut vérifier, insinue que c’est peut-être encore un coup de fake news.

Et bien non, ce n’était pas une plaisanterie ni une fausse nouvelle! Et ces deux séquences sont une parfaite illustration des limites de la profession politique. Le pétrole, le nucléaire, le réchauffement climatique, le glyphosate et j’en passe, nous sommes confrontés à une crise inimaginable il y a cinquante ans, tout le monde le sait et tout le monde s’en fout. D’ailleurs, lorsque Hulot a essayé de faire avancer la date d’interdiction du glyphosate, les députés de la France en Marche ont voté contre. Je n’ai personne derrière moi, pas de parti qui me soutienne a-t-il dit. Il est vrai que les Verts ne pèsent pas lourd. On disait naguère que le plus grand parti de France était celui des anciens membres du Parti Communiste. Nous pourrions dire aujourd’hui que le parti le plus inefficace, le plus inutile, est celui des écologistes, ou plutôt la galaxie des petites sectes qui passent leur temps à se dénigrer les unes les autres.

Hulot, sans le savoir peut-être, a jeté la lumière sur cette profession politique remplie de gens faisant la queue pour obtenir un poste de ministre, n’importe lequel, même s’ils n’y connaissent rien. Il a apporté un peu de fraîcheur dans ce milieu, expliquant que les lobbyistes opèrent jusque dans les bureaux de l’Elysées. Car c’est bien là le problème. Il y a un millions de chasseurs en France, ce qui donnerait selon les spécialistes trois millions d’électeurs si on y ajoute les familles de chasseurs. Alors Macron les caresse dans le sens du poil. Et les paysans, qui défendent leur droit au glyphosate, c’est-à- dire à la pollution ? Ils représentent aujourd’hui 3,6% de la population française, et l’élection présidentielle se joue en général à 3% des voix (sauf lorsqu’il y a un Le Pen au second tout). Dès lors il faut, eux aussi, les caresser dans le sens du poil. Et peu importe les convictions, s’il y en a, quand la prochaine élection est en jeu. On peut dire tout ce que l’on veut pendant les campagnes, tout promettre, mais on oublie tout cela au moment de passer aux actes. Ce que « l’affaire Hulot » dévoile, c’est que Macron, celui qui a lancé avec fierté (et en anglais) make the planet great again, celui qui a déclaré vouloir changer la politique, est finalement un politicien comme les autres.

 

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fleche19 août 2018 : "Fake science"

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Depuis environ deux ans je reçois, comme je suppose beaucoup de mes collègues, des courriers émanant de revues inconnues, en tout cas inconnues de moi, disant qu’elles publieraient volontiers un article de moi, courriers que je mettais régulièrement à la poubelle, sans chercher vraiment à savoir d’où ils émanaient vraiment. Mais un long article publié il y a quelques semaines dans Le Monde m’a éclairé. Traitant de ce qu’il appelait la « fake science », la science bidon, le quotidien expliquait qu’il y avait là un effet pervers de la pression exercée sur les enseignants-chercheurs. Publish or perish dit-on en anglais, publier ou crever, formule qui a été détournée : « publier n’importe quoi... »  Selon Le Monde, à ceux qui répondent à ces courriers on demande très vite une participation financière (c’est-à-dire qu’il s’agit de publication à compte d’auteur), on organise même des congrès bidon et, surtout, toujours selon le quotidien, certains laboratoires paient les frais de ces publications ou de ces colloques pour leurs chercheurs. J’ai même appris en passant que l’université française qui utilisait le plus cette façon frelatée de faire croire qu’on faisait de la recherche de pointe était celle à laquelle j’ai appartenu à la fin de ma carrière, l’université d’Aix-Marseille.

Or voici que la façon de draguer de ces revues a évolué. Il y a une quinzaine de jours j’ai reçu un message d’un International Journal of Language and Linguistics beaucoup plus personnalisé  que les précédents. Le voici :

Dear Calvet L-J, Warm greetings from the editorial office !

It is learnt that you have published a paper titled Pratiques des langues en France, Oui mais de quoi parlons-nous in Langage et Société and the topic of the paper has impressed us a lot.

Researchers specializing in a wide range of disciples have expressed keen interests in your paper. Aiming at promoting the communications within scientific community, specialists and professionals in different fields can get the cutting-edge research results from International Journal of Language and Linguistics. In view of the advance, novelty, and potential wide applications of your innovation, we invite you to send other unpublished works of similar themes to the journal. We are also quite looking forward to receiving your further research on the published paper. If you have any interest, please refer to the following link for more information:

http://www.journaloflanguage.org/submission

La référence à mon article était exacte, ce qui signifie que le logiciel servant à rechercher des gogos avait été amélioré. Une revue « scientifique internationale » qui propose de publier des articles qu’elle n’a pas lus, cela n’est pas banal. Mais vous imaginez la réaction de jeunes chercheurs naïfs qui ont besoin d’étoffer leur CV ? Ils doivent se précipiter sur ce genre de propositions comme la vérole sur le bas-clergé. Reste bien sûr à savoir si les autorités universitaires qui auront à évaluer ce CV seront dupes. Mais tout est possible, surtout si les évaluateurs ont partie liée avec cette « fake science ».

En effet, ce matin, j’ai reçu un autre courrier du même émetteur, qui commençait de la même façon, « Dear Calvet L-J, Warm greetings from the editorial office !

It is learnt that you have published a paper titled Pratiques des langues en France, Oui mais de quoi parlons-nous in Langage et Société and the topic of the paper has impressed us a lot.

Researchers specializing in a wide range of disciples have expressed keen interests in your paper», et poursuivait :

« On behalf of the Editorial Board of the journal, it is privileged for us to invite you to join our team as the editorial board member/reviewer of International Journal of Language and Linguistics. Your academic background and professional and rich experience in this field are highly appreciated by us. It is believed that your position as the editorial board member/reviewer will promote international academic collaborations ».

Ici encore, des collègues peut-être moins naïfs que les jeunes chercheurs pourraient sauter à pieds joints sur cette proposition. Appartenir au comité de rédaction d’une revue internationale, quel honneur !

Bref, j’ai autre chose à faire qu’à poursuivre ces investigations, que Le Monde a d’ailleurs parfaitement menées, mais il y a là une pollution du système d’évaluation de la recherche qui mériterait une enquête. Il serait d’ailleurs savoureux si l’on découvrait que certains « mandarins » étaient tombés dans le panneau. Mais j’ai sans doute mauvais esprit...

 

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fleche17 août 2018 : Etats voyous

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« Rogue state », cette expression utilisée pour la première fois par Ronald Reagan (déjà un canard à la Maison blanche) à l’endroit de la Libye, puis remis à la mode par Bush junior et Colin Powell, est aujourd'hui au centre de la politique étrangère US et de sa rhétorique : les Etats qui ne respectent pas les lois internationales, qui ne se plient pas aux désirs américains, qui gênent leurs intérêts sont décrétés voyous. Fort bien.

Mais, à y réfléchir, il y a deux états voyous, complices de surcroît, qui dominent dans cet « axe du mal » cher à Bush : les USA et Israël. Le nombre des résolutions de l’ONU auxquelles ces deux pays se sont seuls opposés est important, plus encore celui des résolutions votées par l’ONU que ces deux pays, toujours eux, ne respectent pas. Voter contre ou s’abstenir est leur droit le plus strict, ne pas respecter une résolution en revanche relève d’une voyoucratie qui, en toutes occasions, ne se préoccupe que d’une seule chose, les intérêts d’Israël, et accessoirement les intérêts électoraux du pouvoir américain.

Dans notre culture politique correcte, il devient délicat de critiquer Israël sans être immédiatement traité d’antisémitisme. Et Israël a en outre développé une ruse sémantique sournoise lui permettant de traiter d’antisémite toute critique de sa politique. Ce pays se donne le droit de faire ce qu’il veut, d’installer des colonies dans les territoires palestiniens au mépris des lois internationales, bref de se comporter comme un état voyou avec le soutien indéfectible des USA et d’une grande partie le l’opinion juive mondiale.

La loi que Netanyahou a fait voter le 19 juillet dernier va encore plus loin. Revenant sur le principe d’égalité que David Ben Gourion avait mis, en mai 1948, au sein de la déclaration d’indépendance, elle institue « légalement » un état raciste, avec les citoyens de deuxième zone, les arabes palestiniens, dont même la langue, jusque là co-officielle, est raturée. L’un des résultats de cette vilénie, auquel l’extrême droite israélienne n’avait pas pensé, est que les Druzes, jusqu’ici fidèles au pouvoir, se retournent aujourd’hui contre lui. Un autre est que la société israélienne se fissure, que l’opposition depuis longtemps muette se regroupe. Mais le pire est ailleurs. Ce petit pays, dont la création répondait à la barbarie nazie, aurait dû être une démocratie exemplaire. Il bafoue depuis de longues années les principes démocratiques. Voilà qu’il évolue officiellement vers une sorte d’apartheid honteux, vers un pays fondé sur une « race » et une religion, un pays dans lequel les minorités seraient opprimées, les ultra-orthodoxes dominants, bref vers une dictature théologique, un modèle  régulièrement dénoncé, paradoxalement celui d’un certain nombre des pays arabo-musulmans.

Bien sûr la cour suprême peut encore invalider cette loi, nous verrons, mais la séparation des pouvoirs, l’un des piliers de toute démocratie, devient de plus en plus poreuse au pays de Netanyahou. Et qu’on ne me dise pas que noter cela, signaler que ce pays dérape de plus en plus, comme d’autres pays régulièrement dénoncés par les USA, est de l’antisémitisme.


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fleche5 août 2018 : La voix de son maître

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« L’affaire » Benalla, qui aurait pu être un simple fait-divers, a fonctionné comme un révélateur, sans doute à cause des longs flottements dans la communication politique. Nous avons vu un porte-parole de l’Elysée, figé devant la caméra, ne dire pratiquement rien, deux ou trois ministres se contredire, et pour le reste un silence assourdissant. Christophe Castaner, délégué général de LREM et Richard Ferrand, président du groupe parlementaire, d’habitude très bavards, fuyaient les caméras tandis que les députés LREM semblaient pétrifiés, désarmés, perdus. Cette « affaire » ne donnait pas seulement à voir des disfonctionnements de l’Elysée, elle mettait en pleine lumière le fonctionnement d’un groupe politique attendant l’épiphanie (du grec epiphâneia,  « apparition du verbe »), incapable de raisonner sans avoir reçu l’aide d’éléments de langage.

Cela fait une trentaine d’années que cette expression est apparue dans le vocabulaire politique et dans les media, façon faussement technique de désigner une chose toute bête : dès qu’il y a un sujet brûlant tous ceux qui peuvent être interrogés par la presse reçoivent un message leur disant ce qu’ils doivent dire. Nous avons tous entendu, d’une station de radio à l’autre, d’une chaîne de télé à l’autre, le personnel politique répondre strictement de la même façon aux questions, incapable souvent de commenter, de faire la moindre digression. Un peu comme des candidats à un examen qui apprennent par cœur les réponses aux questions qu’on leur posera et les recrachent ensuite mot pour mot.

Ce type d’argumentaire, avec des formules toute faites, des petites phrases qui frappent, a pour effet de laisser croire à une cohérence : ils disent tous la même chose, donc ce doit être vrai. L’ennui est qu’il atteint souvent le but inverse. Et, dans le cas de LREM,  cela tourne à un véritable psittacisme : des députés qui, comme des perroquets, répètent des mots ou des phrases dont on a l’impression qui les comprennent à peine. Ils ressemblent à ces enfants qui récitent le catéchisme, ou à ces « fous de Dieu » qui ânonnent des passages du Coran. En fait les députés que les électeurs ont envoyés à l’Assemblée nationale sont surtout, dans leur grande majorité, des novices en politique. Le groupe LREM attend la voix de son maître pour aller ensuite la répandre à l’envi. Et lorsque le maître n’a pas encore parlé, il se tait. Puis, l’épiphanie tombée du ciel élyséen, il se précipite et récite.

Cela peut s’appeler du l’analphabétisme politique ou religieux, ou du prêt-à-penser, comme on voudra. Et cela me fait penser à une formule de François Bayrou, que je ne cite pourtant pas souvent : « Si nous pensons tous la même chose, alors nous ne pensons rien ».

 

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fleche4 août 2018 : Petite chienne

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Le spectre de la canicule semble hanter les responsables politiques, puisque nous apprenons que la ministre de la santé a reculé ses vacances afin de pouvoir veiller au grain (je sais, cette expression est mal venue : de grain, justement il n’y en pas et on en voudrait bien), et les media en font leurs choux gras (même si la sécheresse rend les choux assez rares sur les marchés). Cela me rappelle un billet que j’avais mis sur ce blog il y a bien longtemps (en 2006) et que je recycle en partie aujourd’hui. Car derrière la chaleur, les vapeurs, les ventes de climatiseurs et l'augmentation de la consommation en électricité, canicule dit au linguiste une histoire plus drôle.

J’expliquais donc il y a douze ans que le mot vient du latin canicula, diminutif de canis, qui signifiait "petite chienne" (A propos, nous avons en français un mot pour désigner le "petit chien", chiot, mais rien pour la "petite chienne", chiotte étant utilisé en un autre sens... Que font les féministes ?). Mais revenons à la canicule. Le mot latin va être utilisé pour désigner une étoile, Sirius, que l'on appelait aussi "Chien d'0rion". Or cette étoile se lève et se couche en même temps que le soleil entre le 23 juillet et le 24 août, c'est-à-dire au moment des plus grandes chaleurs. Cette période a donc été nommée canicule (canicola en italien, canicula en espagnol) par référence aux mouvements de Sirius en un point donné de l’année. Et comme, malheureusement, la canicule ne se limite pas aux 23 et 24 juillet mais déborde largement sur août, le mot a pris le sens plus large que nous connaissons aujourd’hui, perdant son lien avec le calendrier.

Chienne de vie.


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fleche3 août 2018 : Ouaf Ouaf et cocorico

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Après les animaux privés de viande, voici les animaux condamnés à mort !  Rassurez-vous (ou désespérez-vous), je ne suis pas un défenseur acharné des droits des animaux, même si une amies algérienne, Dalila, m’a dit un jour que j’étais presque un arabe, « presque » parce que j’aimais les animaux...  Bref, en Colombie, le puissant cartel de narcotrafiquants dit « cartel du golfe » a mis à prix la tête d’un chien, ou plutôt d’une chienne, qui porte le nom de Sombra. Elle travaille à la brigade des stupéfiants et a pour métier de savoir détecter grâce à son flair la cocaïne. Elle aurait ainsi à son palmarès dix tonnes de cocaïne et 245 arrestations de trafiquants à l’aéroport El Dorado de Bogota. Le « cartel du golfe » a donc promis environ 6.000 euros à quiconque l’éliminerait. Vous me direz que 6.000 euros ce n’est pas cher pour un tel flair, mais ça fait plus sérieux en pesos colombiens : 20 millions. Il ne fait pas bon être chien renifleur en Colombie...

Il est préférable d’être poulet... Enfin poule ou coq ou poulet au Liban. En effet on a découvert au siège d’Electricité du Liban, à Beyrouth, un étage entier consacré à l’élevage de ces gallinacés. Qu’est-ce que les poules, les coqs et leurs rejetons ont à voir avec la production d’électricité ?  Rien ! Enfin, pas grand-chose. Ce n’est pas que les employés d’Electricité du Liban aiment particulièrement les œufs, les omelettes, le poulet rôti ou le blanc de poulet, non. Ou du moins je n’ai aucune information sur ce point. C’est que le siège d’Electricité du Liban serait le seul endroit de la capitale où il n’y a pas de coupures d’électricité. Ainsi ces gallinacés jouissent en permanence d’éclairage, de chaleur ou de climatisation. On peut aussi imaginer qu’après abattage on les conserve au congélateur sans risque de panne.

Le « cartel du golfe » n’a pas songé à mettre Sombra dans un congélateur, peut-être parce que là-bas aussi il y a beaucoup de pannes d’électricité. En revanche, les poulets libanais se moquent comme de leur premier plumage de la canicule.

Tiens ! A propos de canicule... Mais j’y reviendrai demain.

 

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Juillet 2018

 


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fleche28 juillet 2018 : Ouaf Ouaf!

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Nous vivons une époque complètement folle ! Un certain nombre de marques proposent des aliments végans pour chiens et chats. Oui, vous avez bien lu : des aliments végans pour chats et chiens. Comment chacun sait, le chat est carnivore, et vous en avez sans doute vus jouer avec un oiseau ou une souris avant de les dévorer.. Quant au chien, il est omnivore, donc carnivore, et là aussi vous en avez vus croquer un os ou dévorer un bout de barbaque. J’ai eu dans ma vie une chatte et un chien. La chatte s’appelait Louise Michel et le chien Mandrin. Elle aurait fait une drôle de tête si je lui avait servi de la salade, et il aurait boudé si j’avais mangé devant lui un gigot d’agneau sans lui en donner les reliefs.

Vous allez me dire que tout le monde peut changer de comportement. Oui. Nous pourrions (enfin, ils pourraient) organiser des stages pour des lions, ou des alligators,      afin de les convaincre que ce n’est pas bien de manger son prochain. J’aimerais beaucoup voir ça. Je peux même leur fournir une adresse, en Louisiane, où j’ai travaillé avec des éleveurs et chasseurs d’alligators (pour être plus précis je travaillais sur la langue qu’ils parlaient, leur créole). Et j’imagine la révolte de ces bêtes que l’on voudrait priver de leur nourriture habituelle et naturelle.

Allons plus loin. Imaginez un syndicat des chiens, un autre des lions, un troisième des requins, revendiquant le droit de bouffer ce qu’ils veulent. Ce serait plaisant, non ? Et s’ils réalisaient l’union syndicale? Si le SAA (le syndicat des animaux affamés) décidaient de mener des opérations nutritives en dévorant systématiquement ceux qui veulent le priver de  viande ?

Les végans se déclarent antispécistes, c’est-à-dire qu’ils refusent l’exploitation d’une espèce animale par l’espèce humaine. Fort bien, c’est leur problème, ils peuvent bouffer des légumes ou des graines à leur guise. Mais ce qui apparaît ici, c’est la volonté d’imposer son idéologie à une espèce qui n’a rien demandé. Et vouloir imposer à un chat ou à un chien de ne pas manger de la viande, n’est-ce pas du spécisme ? A moins que ce ne soit du racisme, ou du fascisme...

Mais s’ils veulent absolument imposer leur volonté à leurs animaux, les antispécistes peuvent adopter des cobayes ou des lapins. Pas des oiseaux, ils mangent des vers. Ni des députés de la République en marche : ils avalent tout.

 

 


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fleche13  juillet  2018 : sans commentaire...

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Sans commentaire, ou silmplement celui-ci: Ce mélange de langues que dénonce la Haute Autorité tunisienne est celui que mes collègues et mes amis tunisiens utoilisent souvent entre eux. Ce qui ne les empêchent pas d'être d'excellents chercheurs et de publier en arabe ou en français.

La Haute Autorité Indépendante de la Communication Audiovisuelle (HAICA) a mis en garde les radios Express Fm et Misk FM car leurs animateurs et chroniqueurs “utilisent une langue qui repose sur un mélange entre le dialecte tunisien et la langue française”. Selon la haute autorité, cela contrevient à l’article 28 du cahier des charges relatif à l’octroi d’une licence radiophonique mais également l’article 4 de la Convention relative à la création et à la diffusion signées par les deux radios avec la HAICA.

Cet article 4 affirme que: “Les programmes doivent être présentés en langue arabe et en dialecte tunisien et peuvent être présentés dans une langue étrangère (principalement en français ou en anglais) à condition que ces programmes ne dépassent pas les 2 heures par jour”.

“Plusieurs de vos journalistes n’appliquent pas les dispositions de l’article 4 de la convention de création et de diffusion d’une chaine radiophonique privée (...) et utilisent une langue basée sur un mélange entre le dialecte tunisien et la langue française” s’adresse l’Instance aux deux radios, ce qui représente selon elle “une contravention au cahier des charges”.

Mettant en garde Express FM et Misk, la HAICA recommande de “ne plus utiliser une langue basée sur le mélange entre le dialecte tunisien et la langue française” et appelle ”à présenter les émissions dans une seule langue claire et précise” que ce soit en arabe, en dialecte ou dans une langue étrangère.

Contactée par le HuffPost Tunisie, la chargée des relations avec les médias à la HAICA explique cette mise en garde. Selon elle, celle-ci repose sur deux niveaux: d’abord au niveau du cahier des charges qui oblige à la “bonne utilisation d’une langue” ainsi qu’au niveau de la convention qui dispose que la langue doit être claire et précise: “Quand une radio choisit la langue arabe et/ou le dialecte tunisien, ces émissions doivent être dans cette langue. Ensuite, elle peut avoir une ou plusieurs émissions dans une langue étrangère à partir du moment où ça ne dépasse pas les 2 heures par jour”. 

“Quand on parle en arabe et en français, la langue n’est pas claire. Une phrase en arabe suivie d’une phrase en français, ou deux mots en arabes et deux en français et un mot en anglais ne contribuent pas à la clarté et à la précision de la langue” explique-t-elle.

Pour elle, les principes de clarté et de précision de la langue ont été basés sur un ensemble de réflexions: “Bien sûr cela a été pensé au profit des auditeurs mais aussi pour les générations futures, en se posant la question de savoir quelle est notre langue?”.

Cette convention qui dispose ces règles à suivre a été le fruit de concertations avec les médias mais aussi de spécialistes: “Ce sont des experts et des spécialistes en sociologie, en langues, en musique et dans tant d’autres domaines qui ont convenu de ces spécificités” a-t-elle conclu.

 


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fleche11  juillet  2018: Ancrage...

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Les Belges et les Français ont regardé hier le match de demie finale de la coup du monde de football dans des conditions et des situations diverses. En famille, chez eux, parfois avec des amis, dans des bars, en abusant parfois de l’alcool, en plein air, sur des place publiques, face à des écrans géants... Et, après la victoire de la France, ce fut un concert de pétards, de cornes de brumes, de sifflets, de chansons...

Ma compagne et moi, qui ne nous intéressons nullement au foot et ne suivons jamais le moindre match, avons pour notre part innové. D’un côté l’écran de télévision, une chaîne que nous ne regardons jamais, la une, mais qui retransmettait le match, de l’autre la radio. Nous avions coupé le son de la télé et écoutions sur France Inter une émission hilarante : des humoristes belges et français, toute la bande de l’émission Par Jupiter, « commentaient » si l’on peut dire les ébats des deux équipes. Plaisanteries, jeux de mots, faux nationalismes, références à ce qui passait sur une autre chaîne (une émission consacrée au chanteur Michel Sardou), conseillant même parfois de changer de programme et, à la fin, la Belge Charline Vanhoenacker lançant quelque chose comme « maintenant je deviens française ».

Ca n’a pas d’intérêt ? Pas sûr. On sait déjà qu’une image sans son, une télé muette, est encore une émission de sens. Vous regardez les informations sans le son et vous avez une petite idée de ce qui se dit, ou encore vous faites des hypothèses, vous subodorez. Mais lorsque le son n’a que peu de rapports avec l’image, il se construit un autre sens, qui peut-être comique, ou critique. Imaginez l’image d’un discours d’un chef de l’état, celui que vous voudrez, avec le son d’un autre discours, celui d’un dictateur ou des Marx Brothers ou de Woody Allen... Roland Barthes, dans une analyse célèbre  d’une affiche publicitaire des pâtes Panzani  avait théorisé ce qu’il appelait « la fonction d’ancrage » du texte, qui donne à l’image un sens alors qu’elle peut en avoir plusieurs, être polysémique. Hier les commentaires parfois délirants de la bande à Charline donnaient un autre sens au match. Quel sens de l’image ce discours ancrait-il ? C’est bien le problème, mais ce qui est sûr c’est qu’il déconstruisait le « sérieux » de la situation, l’angoisse des supporters, le cinéma des joueurs faisant semblant de tomber puis se roulant dans le gazon. On ne voyait que de grands garçons en culottes courtes s’agiter, se bousculer, se disputer un ballon en lui donnant des coups de pieds, et on entendait un discours presque onirique qui déclenchait un rire libérateur.

 

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fleche10  juillet  2018 : Encore des clichés

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J’écrivais hier : «il n’est pas exclu que les « histoires belges » reviennent en force d’ici demain ». Ce matin, comme pour me démentir, La Provence  titrait Pas de blague ! Et l’article se terminait ainsi : « Les Bleus sont prêts pour atteindre leur zénith, à Saint-Pétersbourg, et écrire une nouvelle page de leur histoire. Surtout pas de blague, pas maintenant. Davaï les Bleus »   Joli tour de passe-passe qui consiste à intimer l’ordre de ne pas faire de bêtises, et donc de gagner, tout en évoquant de façon subliminale les blagues belges que l’on feint d’interdire. Quant au davaï les Bleus, vous aurez compris qu’il signifie, en russe, « allez les Bleus ». L’Equipe, le quotidien sportif français, nous offrait une couverture en bleu et rouge avec comme titre Une foi. Là encore tout est dans la nuance : foi en la victoire, bien sûr, mais aussi référence à une fois, expression désémantisée  qui ponctue parfois, dans le français parlé en Belgique, les phrases, et constitue surtout un cliché récurrent : lorsqu’on fait parler un Belge, dans les histoires du même nom, on lui fait dire une fois plus que de raison.. Enfin Libération titrait en une : France Belgique, frères à demi. Oui, il manque un e au dernier mot. Faute d’orthographe ? Que nenni ! Juste une façon de renvoyer « subtilement » au demi de bière. Allez, ce soir tout se terminé, ou presque. Ouf !

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fleche9 juillet  2018 : La guerre des clichés

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Depuis que l’affiche de la demi-finale du mondial de foot est connue, il est impossible d’ouvrir un journal, la radio ou la télé sans entendre parler du match à venir entre la France et la Belgique. Albert Einstein aurait dit un jour qu’il était plus facile de désintégrer un atome qu’un stéréotype, et les clichés pleuvent drus. Le dernier album d’Uderzo et Goscinny (Asterix chez les Belges, 1979) est bien sûr largement utilisé.  Le journal du dimanche  met en couverture  Abraracourcix et Gueuselambix s’affrontant : « Si vous êtes les plus braves, il faudra le prouver » dit l’un. « C’est ce que j’allais proposer ! Faisons un concours » dit l’autre. Le nom du chef belge, Gueuselambix, est déjà tout un programme, et l’album évoqué tourne d’ailleurs autour de l’organisation d’un concours, présidé par Jules César. L’Equipe pour sa part titre Objectif Lune avec un dessin inspiré de Tintin, et Le Parisien oppose, toujours en une, Asterix et Tintin, tenant son chien Milou dans les bras (un roquet ?).

La  presse belge de son côté insiste surtout sur la victoire contre le Brésil : C’était le Brésil clame Le Soir, Historisch lance la Gazet van Antwerpen. Seul De Morgen regarde plutôt vers l’avenir en titrant Volgende horde : Frankrijk (« Prochain obstacle: France »), soulignant par là que le but est la finale. Ainsi les clichés semblent plutôt se trouver du côté des journaux français...

Mais il n’y a pas que le Français Asterix et le Belge Tintin dans cette avalanche de stéréotypes. Les « Bleus » et les « Diables rouges » (il faudra d’ailleurs étudier un jour les clichés qui se trouvent derrière les noms des équipes de football) vont s’affronter dans un décor binaire : Stromae contre Abd el Mali,  le Manneken Pis contre la tour Eiffel, Tintin contre Astérix, la bière contre le vin, les moules et les frites contre le bœuf bourguignon, et j’en passe. C’est une véritable guerre des clichés qu’on nous donne à voir. Et il n’est pas exclu que les « histoires belges » reviennent en force d’ici demain. A suivre donc.


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fleche1er juillet  2018 : La saison des lapsus...

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Fin mars, devant l’Assemblée nationale, la ministre de la santé, Agnès Buzyn, a commis un lapsus hilarant, commençant son intervention ainsi : « Mesdames et messieurs les retraités ». Bon, inutile d’en chercher très loin la source, elle était sans doute en train de se saisir du dossier compliqué de la réforme des retraites, qui a débordé un peu trop tôt sur l’ordre du jour... Plus intéressant est le lapsus de Richard Ferrand, président du groupe de la république en marche dans la même Assemblée, qui a déclaré doctement il y a quelques jours: « Je crois que tous les points de vue qui ont été exprimés, augurent bien de la richesse des dégâts », puis, se reprenant, « des débats à venir ». Il s’agissait de l’examen d’un texte sur la réforme constitutionnelle, et cette langue qui fourche prend toutes les allures d’un aveu. Ou Ferrand n’est pas d’accord avec la future réforme, ou il pense qu’elle fera des dégâts et il est taraudé par le remord. Le même jour, et toujours à l’Assemblée, son président, François de Rugy, a déclaré lors de son discours de clôture: « aujourd’hui notre assemblée, composée de ses  députains... de ses députés ». Il a l’air de bien les aimer, les députés, Rugy...

En fait, la macronie semble suivre sur ce terrain le Premier ministre qui, le 11 mars, déclarait devant les instance du rugby « Et parce que la France est une nation qui veut continuer à sucer… la France est une nation qui veut continuer à susciter des grands champions ». Et, un mois plus tard, présentant la stratégie nationale pour l’autisme, il récidivait :  "C’est pour amorcer des changements majeurs pour les personnes autistes que le président de la République a ouvert en juillet une vaste contest… concertation ». Puis, voulant faire de l’humour mais confirmant du même coup son lapsus, il ajoutait : «qui peut-être après tout est une contestation"

Il faut prendre au sérieux ces « erreurs » qui sont le plus souvent la vérité de l’inconscient. Lorsque Rachida Dati disait naguère fellation alors qu’elle voulait parler d’inflation, et le Premier ministre récemment sucer au lieu de susciter, leur inconscient ne nous regardait pas : à chacun ses fantasmes. Mais dans les autres cas que je viens de relater, les choses nous concernent peut-être plus.

Freud a rapporté le lapsus d’une jeune homme qui, proposant à une jeune fille de la raccompagner chez elle (en allemand : begleiten), dit begleitdigen , mot qui n’existe pas mais ressemble à beleidigen, « manquer de respect ». Pour le père de la psychanalyse, il fallait entendre ici l’interférence entre ce que le jeune homme voulait dire (begleiten) et ce qu’il refoulait (beleidigen) : le lapsus était une sorte de compromis phonétique entre deux intentions, l’une consciente et l’autre inconsciente, refoulée. De ce point de vue les putains de députés, les dégâts, la contestation sont à examiner avec soin. Y aurait-il chez ces politiques un refoulé permanent et qui déborde sans cesse ?

Si la saison des lapsus semble donc ouverte, nous pourrions nous demander pourquoi ils sont si nombreux dans les bouches de la France en marche ?


 

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Juin 2018

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fleche23 juin 2018 : Sans le latin, la pêche nous emmerde

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Face à ceux qui passent leur temps à critiquer la bureaucratie européenne on répond souvent que non, les bureaucrates n’ont guère de pouvoir, que ce sont les chefs d’état qui décident de toit, ou du moins de ce qui est important.

Et pourtant... Pourtant. Lors d’une descente de contrôleurs de je ne sais quoi, les poissonnières du vieux port de Marseille viennent de se voir notifier un bon nombre d’irrégularités. Le fait, tout d’abord, de ne pas toujours indiquer l’origine géographique de leurs produits, ni la technique de pêche et... le nom latin des poissons. Oui, vous avez bien lu, leur nom latin. A côté de daurade il faudrait écrire sparus aurata, sous pageot pagellus eythrinus ou encore, pour les anchois, engraulis encrasicolus. Pourquoi ? Parce que. Parce que le règlement 1379/2013 le stipule, pour les poissons « non transformés ».

Bien sûr, on se frotte les yeux. A quoi peuvent bien servir les noms latins des poissons ? A ne pas payer d’amende, pardi ! Des amendes de 400 à 1500 euros tout de même. En même temps, nous pourrions dire que tout cela est bon pour la culture générale, les professeurs de lettres devraient se frotter les mains et aller illico proposer des cours particulier de latin aux poissonnières et, pour finir, tous pourraient entonner en chœur ce passage d’une vieille chanson de Georges Brassens, « sans le latin, sans le latin la messe nous emmerde », en le modifiant légèrement : « sans le latin la pêche nous emmerde »... Mais, tout de même, nous vivons une époque moderne.


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fleche19 juin 2018 : Secousses sismiques

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Un tremblement de terre de magnitude 6,1 a secoué lundi une partie du Japon. L’épicentre se trouvait dans la région d’Osaka et l’on compte trois morts et plus de 200 blessés. Un malheur n’arrivant jamais seul, la veille, au Mexique, l’IGEA (Institut mexicain de recherches géologiques et atmosphérique) notait à 11 h 32 heure locale une secousse sismique inhabituelle. Ah ! la malédiction des catastrophes naturelles ! Qui en plus frappe toujours les populations les plus pauvres (enfin, pas vraiment pour le Japon) !

 En fait, il s’agissait de toute autre chose. La « secousse sismique » a été mesurée pendant la match de foot Allemagne-Mexique (que le Mexique a remporté). Et, au moment où le joueur mexicain Hirving Lozano marquait le but de la victoire, des milliers de supporters rassemblés au centre de la ville de Mexico pour suivre le match sur des écrans géants ont sauté de joie... D’où la secousse. Le Christ disait dans l’évangile de Mathieu « si vous aviez de la foi comme un grain de sénevé, vous diriez à cette montagne transporte-toi d’ici là et elle s’y transporterait ». Ici ce n’est pas la foi des apôtres mais la joie des supporters qui a fait trembler la montagne....


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fleche17 juin 2018 : Les mots et les choses

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Les deux phrases qui suivent, diffusées sous forme de vidéo par les services de l’Elysée, ont fait le buzz que l’on sait, mais je vous les redonne pour rafraîchir éventuellement les mémoires :

 « On met un pognon de dingue dans les minima sociaux et les gens sont quand même pauvres, on n’en sort pas. Les gens qui naissent pauvres ils restent pauvres, ceux qui tombent pauvres ils restent pauvres ».

Certains se sont émus d’un mot utilisé, pognon. C’est vrai que Macron commence à s’exprimer comme Sarkozy, mais après tout il est sans doute plus efficace de parler de pognon, terme que tout le monde connaît, que d’espèces, de numéraires, de ressources, de finances, de lignes budgétaires ou de viatique. On n’a pas relevé, en revanche, un autre passage : « les gens...qui tombent pauvres », comme on tombe en disgrâce, ou comme on tombe malade. La pauvreté serait une maladie.

Mais, derrière les mots, il y a les choses. Macron, on le sait, aime bien bousculer les interdits, piétiner les tabous ou les symboles, snober les fétiches. Il y a sans doute là un péché de jeunesse, et on sait que la jeunesse est impitoyable. Mais son iconoclastie est sélective, et il ne piétine que certains symboles. Il n’a pas dit un mot de l’exode fiscal, des retraites chapeaux, des parachutes dorés, de la fuite des capitaux, de l’impôt sur la fortune, des facilités accordées aux entreprises, en bref des cadeaux faits aux riches, ou plutôt, comme l’a dit François Hollande, aux « très riches », qu’ils « naissent riches » ou qu’ils « tombent riches ». Son texte aurait pris une autre allure :

« On met un pognon de dingue dans les cadeaux aux entreprises, dans l’abaissement de l’impôt sur la fortune et les gens sont quand même très riches, on n’en sort pas. Les gens qui naissent riches ils restent riches, ceux qui tombent riches  ils restent riches». En outre il y a dans sa déclaration une formule qu’on n’a pas relevée, la deuxième partie de ce membre de phrase : «On met un pognon de dingue dans les minima sociaux ». Les minima sociaux, qu’est-ce que c’est ? Derrière les mots, il y a encore les choses. En voici la définition que donne l’INSEE: « Les minima sociaux visent à assurer un revenu minimal à une personne (ou à sa famille) en situation de précarité. Ce sont des prestations sociales non contributives, c'est-à-dire qu'elles sont versées sans contrepartie de cotisations. Le système français de minima sociaux comporte divers dispositifs dont un spécifique aux départements d'outre-mer (Dom).

Le RSA qui vise à lutter contre les exclusions est un des plus connus.

Les autres allocations visent des publics spécifiques confrontés à un risque de grande pauvreté, par exemple  :

-Les chômeurs de très longue durée, avec l'allocation de solidarité spécifique (ASS) pour ceux ayant épuisé leurs droits à l'assurance chômage.

-Les personnes handicapées (allocation aux adultes handicapés- AAH).

-Les personnes âgées (minimum vieillesse) ».

Lisez ce texte avec soin, vous verrez quelles sont les cibles préférées de Macron. Cette jeunesse est décidément impitoyable...

 

 

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fleche15 juin 2018 : Les voyelles de Rimbaud

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J’ai toujours admiré les hypothèses à la fois géniales et foldingues du grand linguiste Pierre Guiraud pour déchiffrer les ballades en jargon de François Villon. Il y voyait trois niveaux de lecture, ou trois étages sémantiques.  Le premier étage, qui utilisait le jargon des Coquillards, concernait le vol, la torture, le gibet: il baptisait les ballades lues à ce premier niveau les "ballades de la Coquille". Le deuxième étage traitait des tricheurs aux cartes et de leurs techniques: ils les baptisait "ballades du tireur de carte". Quant au troisième étage il concernait la vie amoureuse, surtout homosexuelle, des truands-tricheurs : il s'agissait des "ballades de l'amour noir". Ainsi le premier vers de l'envoi de la première ballade, prince froart dis arques petis, devait donc selon lui être lu des trois façons suivantes:

1)Prince casseur, ne vous attardez pas sur les lieux (le froart est le "casseur de coffre", sur froer, ancien français "briser", disarques, en un seul mot, signifie "forcer un arque, coffre" et petis est une forme adverbiale)

2) Prince pipeur, tirez au jabot avec parcimonie

(le froart est le tricheur, sur frouer, "attirer les oiseaux en imitant leur cri", dis arques= tirer au jabot)

3)Prince sodomite, éloignez le pilon de votre postérieur

(froart signifie "sodomite et fellateur", petit est une forme de pestil, "pilon").


Bref je ne vais pas vous résumer tout ce travail, vous pouvez le consulter, mais si je l’évoque ici c’est parce que je viens de lire un « roman » de Guillaume Meurice, Cosme, qui me laisse un peu dans le même état qu’après la lecture de Guiraud, qui fut un de mes maîtres en linguistique et un grand ami. Ce « roman » est admirablement ficelé. Dans une sorte d’avant propos on fait connaissance avec le sujet, ou le personnage central du livre, un autodidacte surdoué, Cosme Olvera, fils d’émigré espagnol, fasciné par les échecs (le jeu), la cryptologie et le sonnet de Rimbaud, Voyelles. Et l’avant propos se termine au moment où, ayant enfin réussi à se procurer une copie du manuscrit autographe, il découvre la clé... Mais, sans que nous la connaissions, on change de genre : pendant deux cents quatre vingt pages Meurice nous raconte, dans un roman classique et fort bien écrit, la vie de ce Cosme, depuis son enfant à Biarritz jusqu‘à sa vie de bohême à Paris en passant par diverses tribulations jubilatoires. Nous raconte ou invente ? Je ne sais pas. Ce Cosme semble exister, on en trouve quelques photos sur Internet, mais...

Quoi qu’il en soit, à la page 305 on change de genre : vingt-six pages d’une lettre de Cosme à Rimbaud, dans laquelle il lui expose sa découverte, si découverte il y a. Je ne peux pas vous résumer tout cela mais je vais juste vous donner des indices qui, je l’espère, vous pousserons à vous jeter sur ce livre.

Alors, en voici quelques-uns:

« A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles,»

Il s’agit du premiers vers du sonnet, et les nombreux commentateurs (Henri Héraut, Pierre Izambart, Robert Faurisson, Claude Levi-Strauss, Etiemble, etc.) en ont donné différentes interprétations. Certains imaginent un abécédaire colorié, dans lequel Rimbaud aurait appris à lire, d’autres y voient une synesthésie (les correspondances chères à Baudelaire), Faurisson un poème érotique (A, mais à l’envers, étant le sexe féminin, E les seins, I la bouche...), Levi-Strauss en donne une analyse structurale fondée sur les oppositions entre voyelles et entre couleurs, etc. Et certains, comme le Journaliste Henri Cazals, décrètent qu’il n’y a rien à dire : "C'est le jour où le sonnet des Voyelles ne sera plus pris au sérieux que l'on pourra parler sérieusement de Rimbaud."

Mais certains notent que l’ordre des voyelles citées (A,E,I, U , O) n’est pas le même que l’ordre courant (A,E, I, O, U), sans doute pour évoquer l’ordre de l’alphabet grec et l’alpha et l’oméga.

Sur le deuxième vers en revanche, « Je dirai quelques jours vos naissances latentes », personne ne dit rien, sauf notre Cosme qui rappelle cette phrase de Rimbaud, « Je est un autre », et suggère alors qu’un autre, un lecteur, pourrait un jour comprendre le poème (je dirais pour ma part que Rimbaud aurait dû alors écrire « Je dira quelque jour... », mais qu’importe.

Passons au dernier vers, qui est précédé à la fin du vers précédent par deux points (:) et apparaît dans toutes les éditions sous cette forme : « -O l’Oméga, rayon violet de Ses Yeux ! » Or, souligne Cosme, le manuscrit de Rimbaud se termine par un  tiret (j’ai vérifié, c’est vrai), « -O l’Oméga, rayon violet de Ses Yeux !- ».

Passons au neuvième vers, « U, cycles, vibrements divins des mers virides, », dans lequel on trouve deux termes un peu étranges, vibrement et viride, que mon correcteur orthographique souligne en rouge mais qui, quoique rares, existent cependant dans la langue française.

Et le sonnet, vous le savez déjà si vous l’avez lu avec soin, est composé d’une seule phrase, longue et incomplète puisqu’elle se termine sur un tiret  (-), comme si le texte était à poursuivre. Cosme note d’abord que les quatre premières couleurs (noir, blanc, rouge, vert) sont celles des chevaux des quatre cavaliers de l’apocalypse qui apparaissent dans le Nouveau Testament, du sixième chapitre de l’Apocalypse (là aussi j’ai vérifié). Et le bleu du O direz-vous ? Cosme a la réponse : il s’agit de Dieu. Dieu ? Oui, Dieu. Cosme ne cite pas, il aurait pu le faire, la chanson de Brassens, La ronde des jurons (« tous les morbleus, tous les ventrebleus, les sacrebleus...ainsi parbleu que les jarnibleus et les palsambleus »), qui nous rappelait que, pour éviter le blasphème, on remplaçait Dieu par bleu. Ainsi palsambleu signifiait « par le sang de Dieu », morbleu « mort de Dieu », jarnibleu « je renie Dieu », etc. Et le premier vers de Rimbaud mettrait donc en scène cinq protagonistes, les cavaliers de l’apocalypse et Dieu. Il fallait y penser. S’y ajoute le diable, la bête, dont le nombre, toujours selon l’Apocalypse, est 666. Cosme revient au neuvième vert, « U, cycles, vibrements divins des mers virides, , qu’il réécrit ainsi : « U, cycles, VIbrements diVIns des mers VIrides, VI VI VI, 666. Et, cerise sur le gâteau, le – qui apparaît à la fin du texte, « -O l’Oméga, rayon violet de Ses Yeux !- « , jouerait aussi son rôle. Sans lui, le poème comporterait 665 signes et espaces, avec lui il en comporte 666.


Je vous l’ai dit, comme chez Guiraud pour les ballades en jargon de Villon, cette analyse est à la fois géniale et foldingue. Je n’ai fait que la résumer. Lisez ce livre de toute urgence.

 

 

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Mai 2018


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fleche30 mai 2018 : Grimper grimper

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Dans Libération d’hier, Laurent Joffrin se moquait d’Esther Benbassa, sénatrice d’Europe-Ecologie-Les- Verts qui la veille, lorsqu’on apprenait que le Malien Mamoudou Gassama avait sauvé la vie d’un jeune garçon, écrivait  « homme courageux, plein d’audace, auquel un enfant de France doit la vie, Mamoudou Gassama doit voir sa situation régularisée sans délai », et le lendemain, alors que le président Macron avait réalisé ses vœux, reprenait la plume : « La com à l’état pur. Emmanuel Macron reçoit Mamoudou Gassama le migrant héroïque. Pendant ce temps la police continuera de pourchasser tous ses frères d’infortunes et de harceler les solidaires qui leur viennent en aide. Sinistre et immorale comédie d’un pouvoir sans principe ». Problème : Macron avait justement régularisé Gassama, ce qu’elle demandait. Le moins qu’on puisse dire est que madame Benbassa est de bien mauvaise foi, ou alors qu’elle considère que tout ce qu’elle fait ou suggère de faire est bien, tout ce que fait Macron est mauvais, et se trouve bien sûr coincée lorsque les deux coïncident. Plus largement, le traitement de faveur réservé par le président à M. Gassama a déclenché les réactions les plus contradictoires, qui toutes tiennent plus de la posture politique que de l’honnêteté intellectuelle. Alors, plutôt que d’entrer dans une polémique qui ne m’intéresse pas (la politique de Macron n’est pas tout à fait ma tasse de thé, mais je ne vois rien à redire à ce qu’il vient de faire), je préfère choisir l’humour.

Vous souvenez-vous d’une chanson de Mamani Keita, qui déferla sur les ondes en 2011 ? Elle disait ceci :

« Pas facile gagner l’argent français bosser bosser

Pas facile gagner l’argent français bosser bosser

Il fait froid, y’a de la neige et le vent, bosser, bosser !"

Nous pourrions la détourner et, pourquoi pas, s’il chante aussi bien qu’il grimpe, conseiller à Mamoudou Gassama de l’enregistrer :

« Pas facile gagner papiers français, grimper grimper

Pas facile gagner papiers français, grimper grimper

Mal aux mains, mal aux bras, faut grimper, grimper grimper ».

 

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fleche27 mai 2018 : Métaphore

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Il faut se méfier des métaphores, elles vous reviennent parfois en boomerang. Ainsi Mélenchon avait-il annoncé pour hier une marée populaire. Littré, dans son dictionnaire, signalait déjà cette image : « La marée monte, c’est-à-dire la colère, la mauvaise humeur éclate ». L’ennui, c’est qu’après avoir monté, la marée redescend toujours. Il y a avait hier, dans les rues de Paris, 80.000 personnes selon la CGT, 31.700 selon les calculs de la presse et 21.000 selon la police. Le 5 mai, avec sa « fête à Macron », Ruffin avait fait mieux, 38.900 selon la presse, ce qui n’arrangera sans doute pas les rapports entre les deux hommes. Du coup le premier ministre parle « d’un petit coefficient de marée », d’autres de « marée basse ». Voilà l’effet boomerang.

Pourtant il y avait pour la première fois hier, du moins pouvait-on le penser, cette « convergence » que la France insoumise appelle de ses vœux : la CGT, le PC, la FI et beaucoup d’autres, on parle d’un soixantaine d’organisations, étaient censées être présentes, ce qui aurait dû multiplier le nombre de manifestants. L’arithmétique nous dit que 1+1 = 2, la rue nous a hier montré que 1+1+1+1+1+1+1+1 etc. pouvaient faire moins que 1. Que s’est-il passé ? C’était samedi, il faisait beau, toutes les conditions étaient réunies, mais... Mais, justement, les additions ne marchent pas si l’on ajoute des organisation les unes aux autres sans avoir de projet commun. D’un côté la CGT, qui a mis longtemps à se séparer du parti communiste, a commis sous l’impulsion de Martinez une erreur en se rapprochant de Mélenchon. L’un cherche sa revanche de l’élection présidentielle, l’autre veut redorer l’image de son syndicat, mais si la CGT s’arcboute contre la réforme de la SNCF, il n’est pas sûr que les électeurs de Mélenchon soient tous sur cette position, et par ailleurs beaucoup d’ouvriers ont voté Le Pen.

Tout cela devrait être analysé avec soin. Une gauche déçue voit en Mélenchon un recours ou en espoir, mais le patron de la France insoumise semble incapable d’unir et de répondre au malaise social réel. Beaucoup le perçoivent comme un politicien à l’ancienne, successivement trotskyste puis mitterrandiste, sénateur, ministre de Jospin et maintenant se voulant la premier opposant à Macron. En cela, d’ailleurs, il sert de faire-valoir au Président et pourrait bientôt apparaître comme l’idiot utile. Par ailleurs, peut-être sommes-nous en train d’assister à la mort d’une certaine forme de revendication, à la mort des manifestations de rue, à la mort d’un certain syndicalisme.

Quoiqu’il en soit, la métaphore n’a pas remplie la fonction performative qu’espérait Mélenchon, il n’y a pas eu de « marée populaire », tout au plus une vaguelette. Pour mener plus loin la réflexion, peut-être faudrait-il méditer sur la chanson de Raoul de Godewarsvelde :

« Quand la mer monte

J'ai honte, j'ai honte

Quand ell' descend

Je l'attends

A marée basse

Elle est partie hélas

A marée haute

Avec un autre ».

 

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fleche15 mai  2018 : Tutti frutti

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Cela fait des années qu’on sert et ressert aux oreilles naïves le même oxymore : « Israël est un pays démocratique, Israël est un pays impérialiste », ce dernier adjectif étant la version la plus douce que j’ai trouvée. Oxymore, donc : 58 morts sur la frontière entre Israël et Gaza tandis qu’une poupée Barbie, au demeurant fille du président des EU, inaugurait « l’ambassade » de son pays àJérusalem et sabrait le champagne. « L’ambassade », entre guillemets, car il s’agissait d’un véritable tour de passe-passe en même temps qu’une provocation. L’ambassade américaine déplacée à Jérusalem n’est, du point de vue matériel, que le consulat rebaptisé et aménagé à toute vitesse, et la date choisie, le 14 mai, est celle de la création d’Israël, la nakbah (la « catastrophe »), comme disent les Palestiniens.

 

Ici une précision s’impose. L’ONU, dont Israël et les USA sont pays membres, a, dans ses résolutions 476 et 478, déclaré que la prétention d’Israël à faire de Jérusalem sa capitale était nulle et non avenue. Et tout récemment, le 21 décembre dernier, elle a par 128 voix pour, 9 voix contre et 35 abstentions, condamné la décision de Trump et demandé que les EU s’abstiennent d’établir des missions diplomatiques dans cette ville et, encore une fois, déclaré  nulle et non avenue toute décision contraire. Israël et les EU sont donc deux pays voyous, pour utiliser une terminologie chère aux Américains, qui ignorent superbement toutes les résolutions de l’ONU tandis que l’un attise les braises en espérant du côté arabe une réaction militaire permettant à l’autre de taper encore plus fort tout en émouvant l’occident sur les dangers qui le menacent. Plus faux-cul que ça, tu meurs. Alors, Israël, une démocratie ? Un pays impérialiste ? C’est surtout, comme d’ailleurs les pays arabes, un régime théocratique, la religion, l’opium des peuples comme disait le vieuxMarx, permettant tout, les exactions, la terreur, les massacres.

 

Changeons de sujet pour passer aux marronniers de saison : comme chaque année les dictionnaires petit format, le Larousse etle Robert, publient la liste des mots nouvellement introduits. L’exercice, consistant à « reconnaître » des termes que tout le monde utilisedepuis longtemps, est bien sûr salutaire, mais on a cette année l’impression d’un certain empressement. On trouve donc dans cette liste rageux, webinaire, glander, se palucher (« une certaine félicité solitaire »),  mais aussi frotteur et dégagisme, qui font écho, peut-être un peu trop vite, à l’actualité immédiate. Ajoutons-y flexitarisme (est flexitariste le végétarien qui, de temps en temps, mange du poisson ou de la viande). Mais les dictionnaires ne nous disent pas si l’on peutemployer ce dernier adjectif pour un pays « démocratique » qui de temps en temps (ou plus souvent) pratique l’oppression et le massacre. Ce quiserait une façon de sortir de l’oxymore par lequel j’ai commencé ce billet : Israël ne serait pas un pays démocratique et impérialiste mais un pays flexitariste. Ce serait beau comme de l’antique.

 

Une autre qui fait, peut-être, un peu trop vite écho à  l’actualité, c’est notre ministre de la culture, Madame Nyssen. Voilà qu’elle nous annonce des « assises del’égalité femmes-hommes dans le cinéma »,  dont le but serait d’élaborer une charte dont l’adhésion conditionnerait l’attribution de l’aide du Centre National duCinéma. Cela sent à la fois les quotas et la censure. Mais cela nous ramène aussi à l’empressement souligné à propos des dictionnaires. Le gouvernementMacron, qui ne s’empresse guère à prendre des décisions de gauche, colle de plus en plus à l’évènement, tombant dans ce que j’appellerais volontiers lesyndrome Sarkozy : un évènement, une loi...

 

Pour finir dans la gaieté, il y a eu ce week-end le Concours eurovision de la chanson. Quoique m’intéressant, comme on sait, beaucoup à la chanson, je ne regarde jamais cettemascarade nationaliste. Comme chaque fois, on nous a bassinés pendant des jours avec les chances de la France... qui a fini quatorzième. Mais une chose m’aintrigué : la victoire est allée à une chanteuse représentant Israël. Israël ? Je croyais que dans Eurovision il y avait Europe. J’ai cherché une explication. L’Eurovision est organisé parl’Union européenne de radio-télévision (UER) depuis 1956 et ses statuts précisent selon Wikipédia que : « L'Eurovision est ouvert aux seuls membres actifs de l'UER. Ces membres sont des diffuseurs soit de pays situés dans la Zone européenne de radiodiffusion soit des diffuseurs de pays situés en dehors de cette zone mais membres du Conseil de l'Europe. Tous doivent être membres de l'Union internationale des télécommunications ». Israël serait donc soit situé dans la zone européenne de radiodiffusion, ce  qui n’est pas géographiquement évident, soit membre du Conseil de l’Europe. Or, le Conseil de l’Europe compte 47 membres, tous européens, un état candidat, la Biélorussie, et 5 états observateurs, leCanada, les Etats-Unis, le Japon, le Mexique et le Saint-Siège. D’Israël point. Mais, en grattant un peu, j’ai  appris qu’on a accordé à la Knesset israélienne le statut  d’observateur non pas au Conseil de l’Europe mais à l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, sans droit de vote. J’aurais dû faire des études juridiques, mais il est un peu tard, pour comprendre ces subtilités. Si quelqu’un peut m’expliquer, je suis preneur.Tiens, en passant, ce quelqu’un pourrait aussi m’expliquer pourquoi le discours dominant nous parle sans cesse de charges patronales, alors qu’il s’agit de cotisations patronales. Cela n’a rien à voir, je sais.

Mais je me rend compte que j’avais dit finir dans la gaieté. Alors, puisque le Saint-Siège est, lui, membre observateur en bonne et due forme, nous pourrions imaginer qu’un groupe vocal de curés ou de bonnes sœurs emporte un jour l’Eurovision. Il pourrait reprendre le vieux succès de Sœur Sourire, « Dominique, nique, nique... » Cela ferait rire une bonne partie des francophones.

 

 

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fleche3 mai 2018 : 700, 274, 220, 212 ou 130 millions ?

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Le 20 mars dernier, à l’Institut de France, Emmanuel Macron faisait un discours sur la langue française et déclarait : « La Francophonie, ce seront, me dit-on, plus de 700 millions de femmes et d’hommes dans le monde dans quelques années ». Je ne sais pas quel « on » a dit cela au président, mais c’est sans conteste un grand incompétent. Il est certes difficile de compter le nombre de locuteurs d’une langue, mais il est scientifiquement prudent de préciser un certain nombre de choses pour savoir de quoi nous parlons. Il faut en effet distinguer au minimum entre les locuteurs L1 (ceux qui ont le français pour langue « maternelle ») qui sont aujourd’hui moins de cent millions et les locuteurs L2,  ceux pour qui le français est une  langue seconde (non maternelle mais qu’ils utilisent touts les jours, par exemple en Afrique francophone). Et, dans ce second cas, il faut prendre garde à ne pas considérer tous les habitants des pays francophones comme francophones (on évalue en général pour l¹Afrique à 10% des populations lesafricains qui parlent français). Il y a enfin ceux qui ont étudié ou étudient le français à l’école ou à l’université.

Il est en outre fréquent de dire que la natalité africaine fait de ce continent l’avenir du français. Peut-être, à condition que l’école fonctionne, et que les pays francophones conservent le français comme langue officielle. A titre indicatif, selon Ethnologue, le français est aujourd’hui la 14ème langue du monde du point de vue du nombre de ses locuteurs L1, ce qui incite à la modestie. Et la force de notre langue repose sur d’autres facteurs que je ne vais pas exposer ici.

La revue Le 1 vient de publier un hors série intitulé Le Français a-t-il perdu sa langue ?, regroupant de petits textes de différents auteurs, parmi lesquels Michaëlle Jean, la secrétaire générale de l’Organisation Internationale de la Francophonie, le géographe Michel Foucher et le linguiste Bernard Cerquiglini. La première annonce qu’il y a 274 millions de francophones, sans préciser de quels « francophones » il s’agit. Le deuxième détaille ces 274 millions : 212 millions peuvent parler français en usage quotidien, au foyer ou à l’école, ou encore dans la vie administrative, sociale ou culturelle ; les 62 millions de francophones restants ont simplement étudié cette langue. Le nombre de locuteurs francophones réels, en pratique quotidienne, s’élève lui à 130 millions ». Mais il ne précise pas ce que signifie un « locuteurs réel » ni la différence entre les  212 millions qui « peuvent parler français en usage quotidien » et ces 130 millions de « locuteurs réels ». Et le troisième annonce que « depuis qu’il s’est détaché du latin le français n’a jamais été autant parlé (220 millions de locuteurs), autant écrit (grâce au numérique), autant appris (112 millions). 700 millions bientôt pour le président de la république, 274 millions pour la secrétaire générale de l’OIF, 130 ou 212 millions pour le géographe, 220 millions pour l’ancien recteur de l’AUF (Agence Universitaire de la Francophonie) : les francophones apparaissent comme une entité à dimension variable.

Je suis bien placé pour savoir quelles sont les difficultés de ce genre de décomptes, mais il serait utile de se mettre d’accord pour des critères communs et de parler d’une seule voix. Faute de quoi la défense du français apparaîtra au mieux comme un concert d’approximations ou comme une cacophonie, au pire comme une collection de « fake news » qui ferait les délices du canard Trump.


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fleche1er mai 2018 : Tunis Air misère

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Dimanche dernier je quittais la Tunisie par un vol supposé décoller à 17 heures 15. Enregistrement, contrôle de police, salle d’attente. Soudain, vers 17 heures, l’affichage électronique annonce que le départ est reporté à 20 heures 30. Puis plus rien, aucune explication, aucune annonce. Plus de trois heures à attendre. La foule, très majoritairement composée de familles tunisiennes rentrant à Marseille, commence à gronder. Et un groupe d’hommes croyant se comporter comme « des hommes » part à la recherche de responsables. Ils tombent sur une femme en uniforme, l’entourent, la pressent de questions, et reviennent avec l’assurance que l’avion arrive bientôt.

Vers 19 heures 30, les gens se pressent devant la porte d’embarquement, mais personne, pas un membre du personnel de Tunis Air. Et l’affichage change : vol reporté à 21 heures.

Commence alors un phénomène intéressant : celui des bruits. L’un dit qu’il n’y a pas d’avion, que nous allons passer la nuit là. Un autre qu’un avion va venir de Paris pour nous chercher, un autre encore qu’il est impossible de se poser à Marseille, qu’on va nous emmener à Orly et nous abandonner là-bas. Le seul bruit un peu optimiste est que nous aurons un avion d’ici une heure, mais personne n'y croit. Et toujours aucune annonce de la compagnie.

Le groupe d’hommes se prenant pour « des hommes » repart, retrouve la même femme, le ton monte et, selon les témoignages (je n’y étais pas),  l’un d’entre eux la bouscule ou la frappe. Devant l’embarquement une file s’est créée, inutile puisqu’aucun appel n’a été lancé. Et le groupe d’hommes, plus nombreux, décide d’aller au bureau de Tunis Air. Ils ont l’air très énervés, et je décide de les suivre, me disant que je pourrais peut-être éviter le pire. Lorsque j’arrive, le bureau est pratiquement occupé par les voyageurs, le chef d’escale est acculé contre un mur, objet d’injures et de menaces. Et j’ai soudain l’impression que nous sommes à la limite du lynchage, que j’assiste à un phénomène de foule hystérique, prête à tout. Une employée arrive, je l’interroge, elle me répond que l’avion est déjà là, que l’équipage est prêt, et que nous partirons d’ici trente minutes. Je fais suivre l’info, la foule se calme un peu.

Pendant ce temps des enfants qui ont suivi leurs pères ont aperçu dans un coin du bureau un plateau rempli de sandwiches. Ils s’en emparent et partent en courant vers la salle d’attente. Et là j’assiste à un spectacle réconfortant. Ces gosses (ils ont 14 ou 15 ans), dont les pères ont failli lyncher un homme, font le tour de la salle, distribuent d’abord leur butin aux enfants, puis au vieux, avec une organisation remarquable. Deviendront-ils plus tard aussi cons que leurs pères ? Je n’en sais rien mais ils donnent là une grande leçon de civisme et d’humanité. A vingt et une heures trente arrive une employée et un policier. L’embarquement commence mais nous attendrons encore une bonne heure dans l’avion, avant de décoller, avec près de cinq heures de retard. Et à Marseille, au débarquement, un voyage lance à quelqu’un venu l’attendre : « Tunis Air misère ! »

Pourquoi ai-je ressenti le besoin de raconter cela ? Pour plusieurs raisons. D’abord parce que les mouvements de foule ont parfois de quoi faire peur. De gens rentrant de vacances avec leur famille prêts à cogner sur d’autres, qui ne sont sans doute responsables de rien, cela donne à réfléchir sur l’espèce humaine. Ensuite parce que j’ai déjà eu plusieurs fois le même type de problème avec cette compagnie tunisienne, dont on peut se demander si elle a de l’avenir. Mais, comme disait Woody Allen, « il est très difficile de prévoir, surtout quand il s’agit de l’avenir ». Enfin parce que j’ai été très impressionné par le comportement des enfants. Certaines femmes encourageaient leur mari de leurs cris, les excitaient . Eux, les gosses, leur donnaient sans le savoir une leçon, une leçon qu’ils n’ont sans doute pas reçue. Peut-être faudrait-il créer une branche de l'anthropologie qui s'appelerait entomologie humaine. Elle nous apprendrait bien des choses...

 

 

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Avril 2018


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fleche17 avril 2018 : Naïveté

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J’ai rencontré hier un collègue turc, de passage en France et nous avons, entre autres choses, parlé de politique. A table, avec d’autres collègues français, nous évoquons l’émission de la veille dans laquelle Macron s’était livré à un exercice de boxe à trois. Réactions variées.. Puis nous sortons fumer, le Turc et moi, et il me dit : « Vous savez comment Erdogan lui a cloué le bec, à Macron ? ». Je réponds que non, et il poursuit en substance : « Erdogan a dit que, dans une conversation téléphonique, Macron lui a parlé des Kurdes. Alors notre président a monté le ton de sa voix et Macron s’est écrasé ». Ah bon! "Oui, me dit-il, tout le monde le sait à Istanbul". Je lui réponds que l’intervention de la Turquie sur le territoire syrien est une intrusion inacceptable, comme il est inacceptable d’aller massacrer des gens qui ont lutté contre Daech. « Mais ce sont des terroristes ! » Je lui parle des journalistes, des artistes, des universitaires en prison. « Ils soutiennent les terroristes ». La discussion s’envenime un peu, je lui demande s’il ne croit pas que les Kurdes ont droit à un pays, il s’énerve et j’ai le malheur de lui parler d’un interdit, en Turquie, le massacre des Arméniens... Bref nous ne sommes, comme vous vous en doutez, pas parvenus au moindre accord, il m’a seulement répété que la Turquie ne pouvait pas parler avec des terroristes.

J’avoue que j’ai été pris de court, non pas par cette dernière phrase, mais par le fait qu’un intellectuel, prof de fac, soit à ce point pro-Erdogan. Je m’imaginais naïvement que ce qu’il faut bien appeler un régime à tendance dictatoriale ne pouvait pas être soutenu par des universitaires. Et bien je me suis planté.

 

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fleche6 avril 2018 : Arcelormittaliser

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Jeudi dernier, Bernard Lavilliers se produisait à Marseille, avec en première partie Cyril Mokaiesh, qui avait eu un succès d’estime en 2011 avec J’suis communiste et qui a surtout brisé le  plafond de verre des débutants en 2015 avec La loi du marché, en duo avec Lavilliers qui est en quelque sorte son parrain dans la chanson.

Il y a chez Mokaiesh un regard à la fois critique et tendre sur la société, mais je ne parlerai ici que de ses innovations lexicales, parce qu’elles sont frappantes, efficaces, mais aussi parce qu’elles illustrent parfaitement une tendance forte de la langue française actuelle à n’inventer que des verbes du premier groupe (pour mémoire kiffer pour « aimer » ou « apprécier », chouffer pour « surveiller », dans les deux cas à partir d’une racine arabe, ou encore solutionner pour éviter les difficultés de conjugaison du verbe résoudre, etc.) Mokaiesh donc, a le talent de résumer, en forgeant un nouveau verbe, toute une analyse sociale. Exemples :

« On vous laisse Arcelormittaliser à Florange l’or et l’acier »

« Ça les perdra de bouclieriser l'élite »

« J'suis dalai lamiste »

 « J'suis jeune branleuriste »

« J'suis méfie-toitiste » , « Absurditiste » , « Suicidairiste » , etc.

Bref, une belle inventivité qui, encore une fois, a le mérite de mettre par les mots le projecteur sur le monde qu’ils occultent parfois.

Un autre qui fait preuve d’inventivité, c’est bien sûr Bernard Lavilliers. A la fin de son concert, il revient sur scène, entouré de ses musiciens, remercie la salle en disant à peu près « c’est grâce à vous que nous sommes ici, grâce au public qui paie  sa place, en fait nous vivons de l’argent que vous nous donnez, nous sommes des ouvriers et vous êtes nos patrons ». Puis il ajoute « ça vous emmerde d’êtres des patrons, hein, mais ce n’est pas souvent que l’on voit des patrons applaudir leurs ouvriers ». Encore une fois, en changeant légèrement le champ du projecteur, ou en faisant un contrechamp, on révèle autre chose. Et l’humour n’y perd rien. C’est ce qu’on pourrait appeler contrechamp-iser.

 

 

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Mars 2018

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fleche31 mars  2018 : Que faire ?

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Mardi et mercredi pas de trains, puis trois jours avec, deux jours sans, trois jours avec, deux jours sans, trois jours avec, etc., jusqu’au 28 juin. Vous y comprenez quelque chose ? Il va dorénavant falloir un algorithme  (c’est un mot à la mode) pour programmer ses déplacements.

Un vieil ami (je veux dire un ami de très longue date) m’a fait suivre un appel à aider financièrement les grévistes de la SNCF. Et il ajoute quelque chose comme « si on pousse, on arrivera peut-être à la même chose qu’en 95 », faisant allusion aux grèves qui avaient poussé le gouvernement d’Alain Juppé à retirer sa réforme des retraites et des régimes spéciaux (SNCF, RATP, EDF). J’avoue que je suis un peu perplexe. Aider, financièrement ou de toute autre façon, des grévistes, implique que l’on adhère à leur mouvement. Et populariser ce mouvement implique qu’une bonne partie de la population y adhère. Or  le sentiment général me semble être  que les cheminots veulent défendre un statut dont, de toute façon, ils bénéficieront jusqu’à leur retraite, dont l’âge est d’ailleurs un privilège. Ils se battraient pour les autres, ceux qui viendront après ? Difficile à croire. Ils se battent pour les usagers ? Il faudrait qu’ils nous expliquent en quoi. Ne s’agit-il pas plutôt, pour les syndicats, de chercher à prouver qu’ils existent, qu’ils ont encore du pouvoir ?

Et la grève des pilotes d’Air France. Ils sont, dit-on, parmi les mieux payés au monde mais, cycliquement, se mettent en grève pour réclamer une augmentation. Pour le bien de tous ? Là aussi, il faudrait qu’ils nous expliquent en quoi.

On dit que les Français sont attachés au service public, mais ils critiquent sans cesse les fonctionnaires. Qu’ils sont attachés à la SNCF, mais ils se plaignent des retards, des tarifs incompréhensibles. Et je n’ai pas l’impression que ces grèves à répétition les feront l’apprécier plus. Ainsi, selon un sondage Harris, 69% des Français sont pour la fin du statut des cheminots. Je sais qu’il faut prendre ces sondages avec précaution, mais d’autres vont dans le même sens.

Depuis la dernière élection présidentielle, les cartes du jeu politique sont brouillées et j’avoue n’avoir pas trouvé le logiciel qui m’aiderait à comprendre ce qui s’est passé et comment s’en sortir. La droite et la gauche traditionnelles, le PS et LR, sont en pleine déliquescence. Mélenchon vire de plus en plus au populisme et j’ai du mal en me reconnaître dans les postures de la France insoumise. Quant aux trotskistes, ils continuent à présenter à chaque élection présidentielle deux candidats, comme d'autres vont chaque année à la messe à Noël et à Pâques, mais je ne vois pas bien quelles perspectives ouvrent ces deux partis, LO et le NPA. Alors quoi ? Que faire ? Faut-il, lorsqu’on se sent de gauche ou d’extrême gauche, défendre par principe ou par réflexe les cheminots parce qu’ils s’opposeraient au libéralisme macronien ? Les défendre même si l’on n’est pas d’accord avec leurs objectifs, ou qu’on ne les comprend pas parce qu’ils ne sont pas très clairs ? Est-il honteux de penser que la dette de la SNCF ou celle du régime des retraites atteignent des niveaux sur lesquels il serait irresponsable de ne pas se pencher ? Faut-il écouter certains économistes, atterrés ou pas, lorsqu’ils nous disent que la dette n’est pas un problème ?

J’avoue humblement ne pas m’y retrouver mais, de toute façon, je ne vois pas pourquoi, pour la première fois de ma vie, je céderais à un mouvement moutonnier et j’abandonnerais mon sens critique.


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fleche16 mars 2018 :  et en même temps 手 机

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Je me suis trouvé cette semaine devant un public d’étudiants étrangers qui, par hasard, étaient très majoritairement chinois. J’ai donc adapté ma conférence à leur culture et à leur langue et, parlant de néologismes, je leur ai demandé comment ils disaient « téléphone » en chinois. La réponse, immédiate et collective, fut shouji (手 机) littéralement « machine dans la main ». Un peu surpris, j’ai répliqué : « Et dianhua ? » ( ), littéralement « parole électrique ». Ah oui, ont-ils répondu avec cet air de commisération que l’on prend devant une personne âgée.

Vous avez compris, un téléphone était pour eux un portable et, comme il se doit, on l’a toujours en main. Entre dianhua et shouji  passe donc une frontière, ces deux termes caractérisant deux classes différentes, non pas deux classes sociales mais deux classes d’âge.

Je ne sais pas si dianhua disparaîtra un jour du lexique chinois, au fur et à mesure que le portable se généralisera et fera disparaître le téléphone fixe, mais il y a là un thème de réflexion intéressant. Les langues de demain seront, dans leur forme, plus proches de celle des jeunes d’aujourd’hui que de celle de leurs grands-parents. C’est là un trait général, qui n’a jamais empêché la continuité de la communication. Parfois les parents, un peu démagogues, tentent de parler « jeune ». Parfois certains jeunes voulant paraître bons élèves tentent de parler « vieux ». Cela donne au différents registres utilisés une certaine coloration, certaines connotations. Mais, au bout du compte, les langues continuent leur petit bonhomme de chemin, éliminant certaines nouveautés, en conservant d’autres.

Mais cela m’a fait penser à autre chose. J’ai souvent dit que les hommes politiques étaient plurilingues, qu’ils parlaient par exemple le français mais aussi la langue de bois ainsi que la langue de pute ou la langue de vipère. A chacun son plurilinguisme... Mais dans la recomposition du champ politique que le macronisme semble être en train d’instituer, on a parfois l’impression qu’une autre façon de parler politique apparaît. Certes, la langue de bois est toujours là, mais face au et en même temps qui se répand de plus en plus, le discours politique « traditionnel » perd un peu pied. En entendant parler les socialistes ou les républicains, voire même Mélenchon, je me demande parfois si je n’entends pas les prémisses d’une langue morte qui, faut-il le préciser, n’exclut ni la langue de pute ni celle de vipère. De la même qu’en chinois le téléphone se dit dianhua « et en même temps » shouji.


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fleche12 mars 2018 : FN, RN ou.... quoi ?

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En 1977 paraissait d’une part le premier volume d’une collection, Langages et Sociétés, que je dirigeais aux éditions Payot et d’autre part le premier volume d’une revue, Langage & Société. Nous nous en étions amusés, Pierre Achard (le directeur de la revue) et moi-même, considérant que cette similitude témoignait de notre convergence de vue.

Il n’en va pas de même pour le Front National qui devrait bientôt s’appeler Rassemblement National : RN et non plus FN. Devrait  car ce baptême, qui est pour ses promoteurs un renouveau, pose quelques problèmes.

D’abord, il n’a rien de nouveau, au sein même du parti d’extrême droite. En 1986 en effet, la liste lancée par J-M Le Pen pour les élections législatives s’appelait Rassemblement national. C’est sans doute ce qu’on appelle le changement dans la continuité... En outre, certains membres du FN n’en veulent pas, se souvenant peut-être de ce vers de Molière : « Quoi ! Vous avez le front de trouver cela beau ! (Le Misanthrope).

Mais, surtout un certain  Igor Kurek déclare avoir déposé  ce nom à l’INPI (institut national de la propriété industrielle) le 30 décembre 2012, par l’intermédiaire du président de ce rassemblement, Frédérick Bigrat. Le FN réplique en expliquant qu’il a acquis « les droits de cette marque, ce qui a été fait par acte sous seing privé le 22 février 2018 de telle sorte que les droits de la marque sont aujourd'hui détenus par un des conseils du FN». Et Igor Kurek répond : « «Monsieur Bigrat n'est personne, c'est un porte-document. Nous allons l'assigner pour escroquerie. Il n'avait aucun droit de vendre cette appellation, d'autre part aucune assemblée extraordinaire de dissolution de notre association n'a été convoquée. Il n'y a pas que l'Inpi, je suis également propriétaire du nom de domaine Rassemblement national. Marine Le Pen va se retrouver au pénal ». Se retrouver au pénal ? Cela ne devrait pas changer grand chose pour madame Le Pen, qui traîne déjà quelques casseroles juridiques derrière elle. Mais le FN a du front, Kurek monte au front et, comme on dit à la météo, un front froid s’installe.

Vous avez remarqué que Rassemblement national est pour le FN une marque, pour Kurek un nom ou un nom de domaine , disons que c’est un objet de litige. Mais, surtout, remarquons que, pour rénover, moderniser ou dédiaboliser sa baraque, madame Le Pen manque singulièrement d’imagination.

Si elle tenait à front elle aurait pu penser à bien des synonymes pour national : domestique, citoyen et public. Front domestique ça aurait du style, non ? Si elle tient à national, ce qui semble être le cas, elle pourrait remplacer rassemblement par secte, troupe, amas, bande, tas, etc., le choix est large.

Mais le plus subtil serait de garder le sigle en changeant les mots auxquels il renvoie. Pour le F on pourrait imaginer fonds, farce, fada, fumier, furoncle, etc. Et pour l’adjectif noir, naïf, négationniste , néfaste, normalisé... Vous pouvez combiner comme vous le désirez les termes de ces deux listes, furoncle négationniste par exemple, ou encore fumier néfaste.

Pour ma part, étant donné l’argent accumulé par la famille Le Pen, je pencherais plutôt pour fonds nanti. Mais ce n'est sans doute pas très mobilisateur pour les militants.


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fleche9 mars 2018 : Vigilances, suite

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Il y a quelques jours je vous parlais d'identitovigilance, de candidatovigilance, d'adhésionvigilance et de feuilletonnovigilance. Les deux dernières ont fusionné lorsqu'Olivier Faure,  dans une réunion électorale, a déclaré à propos de la fédération socialiste des Bouches-du-Rhône :

« Nous ne pouvons tolérer dans nos rangs aucune escroquerie démocratique », et un peu plus loin  « Je ne veux pas qu’on tourne la saison trois de Baron noir à Marseille ».

Pour qui a vu les deux premières saison de ce feuilleton, on comprend ce que pense Faure de ses camarades du Sud-Est. Il s'agit effectivement d'une double vigilance, à la fois feuilletonnovigilance et  adhésionvigilance...

 

 

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fleche5 mars 2018 : Vigilances

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Celui qui prête attention à la langue remarque sans cesse des néologismes, le plus souvent des emprunts mais parfois des créations originales.

J’ai rencontré par exemple le mot identitovigilance, que mon correcteur orthographique refuse en le soulignant de rouge, dans un article de La Provence de la semaine dernière. Il s’agissait en fait d’absence d’identitovigilance, comme on va voir. A l’hôpital de la Timone en effet deux nouveaux nés  étaient morts. Les parents du premier souhaitait l’incinérer, ceux du second voulait l’enterrer. Hélas quelqu’un a commis une erreur et c’est le second qui fut incinéré... On aurait semble-t-il  interverti les bandes portant le nom du l’enfant que l’on attache à leur poignet.

On parle beaucoup  de Marseille en ce moment. Comme à Paris, les élections municipales sont dans toutes les têtes.  Gaudin, le maire sortant (après 23 ans de mandant...) n’a pas vraiment envie d’investir un successeur et les candidats potentiels ne bougent pas un cil. Ira, ira pas, Castaner ? Ira, ira pas, Mélenchon ? Ira, ira pas, Ghali ? Nul n’en sait rien, ils ont, comme disait l’autre, des « pudeurs de gazelle » et nous en sommes donc réduits à la candidatovigilance.

Toujours à propos de Marseille, la presse parle des feuilletons  qui la mettent en scène. Plus belle la vie d’abord, diffusé sur la 3 depuis quatorze ans, dont on apprend qu’on y verra prochainement un transgenre, et qui est bourré de références discrètes à la vie municipale, ainsi que Marseille, un autre feuilleton diffusé depuis deux ans sur Netflix . On y voit Gérard Depardieu dans le rôle du maire, et Gaudin n’est pas content de l’image de lui qu’il donne, et en fait aucun personnage politique de la ville n’apprécie l’image de lui qu’il croit trouver dans la série. Disons qu’ils pratiquent le feuilletonnovigilance.

A Marseille enfin, on prépare comme ailleurs le prochain congrès du parti socialiste. Et la fédération des Bouches du Rhône est connue pour sa tendance à multiplier les adhésion, vraies ou les fausses . Ainsi Olivier Faure note-t-il qu’à Berres-L’étang on compte 235 adhérents, alors qu’aux dernières législatives le candidat socialiste avait obtenu55 voix. Et il s’étonne :  « Pourquoi des adhérents sont-ils tous nés le 1er janvier, ont tous la même adresse mail… Et n’ont laissé aucune trace du règlement de leur cotisation ? » Il s’agit donc de cartovigilance, ou d’adhésionvigilance.

Allez, j’arrête, mon corecteur orthographique commence à se fâcher tout rouge...

 

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Février 2018

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fleche27 Février 2018 : La pensée Macron

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Après avoir battu le record d’heures de présence au salon de l’agriculture, Emmanuel Macron semble vouloir battre celui du nombre de réformes dans le temps le plus court. Concernant la SNCF, on annonce donc un calendrier accéléré, à la hussarde, et l’on laisse entendre qu’en cas d’opposition des syndicats on pourrait passer par les ordonnances. Hurlements, bien sûr. Pourtant la méthode des ordonnances ne leur a pas toujours déplu. C’est après tout ainsi qu’en 1982 François Mitterrand a fait passer la 5ème semaine de congé payés ou la semaine de 39 heures de travail, et ils n’ont rien dit, puisqu’ils étaient d’accord avec ces changements. Ce n’est donc le principe des ordonnance qu’ils contestent mais leur contenu. Ce n’est pourtant pas de cela que je voudrais parler, mais de la méthode Macron qui pose un autre problème. Sa communication est calibrée de façon à le montrer allant vers les gens, dans la foule, et discutant avec les contestataires. Fort bien. Mais du coup on le montre toujours en train d’expliquer, de façon le plus souvent fort civile, à ses interlocuteurs qu’ils ne comprennent rien à rien et que lui possède la bonne analyse. En d’autres termes il y aurait une foule de protestataires incompétents, aveugles ou mal informés, et un  président clairvoyant. Cette impression est renforcée par les ministres, depuis le premier d’entre eux jusqu’au plus obscurs secrétaire d’état, et par les députés de « la France en marche » qui ânonnent sans cesse le même mantra, comme on appelle en sanscrit les incantations magiques ou mystiques que l’on récite en boucle. Ce mantra, vous l’avez entendu cent fois : « le président fait ce qu’il a dit qu’il ferait ». En fait, perspicaces comme vous êtes, vous avez déjà noté que cela n’est pas tout à fait le cas, et je n’en prendrai qu’un exemple, mais il y en a plusieurs. Macron avait annoncé qu’avant la fin de 2017 plus personne ne dormirait dans la rue, et il suffit de sortir le soir dans les rues de nos villes pour évaluer la réalisation de sa promesse.

Mais cela me mène à une autre considération. Dans mantra il y a le verbe sanscrit man, « penser ». Or, en Chine, on voudrait annuler la limitation à deux des mandats présidentiels, pour permettre à Xi Jinping, après dix ans de bons et loyaux services, de se représenter pour un troisième mandat en 2023. Lui aussi pourrait chercher à battre un record, qui l’oppose à Vladimir Poutine. Et l’on pense aussi à inscrire dans la constitution la pensée Xi Jinping comme on parlait naguère de la pensée Mao Tzedong. Allons-nous vers la glorification de la pensée Macron ?

 

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fleche25 Février 2018 : Accents et records

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Je viens de passer deux jours et demi à Beyrouth, séjour trop court pour en parler sérieusement : une conférence, interviewes à la presse écrite et télévisuelle, longues séances de signature de la traduction en arabe de mon dernier livre, Les langues, quel avenir ?, etc. Mais j’ai noté deux petites choses qui m’ont paru intéressantes.

Tout d’abord le cheikh druze Akl a demandé au ministre de l’intérieur, Mouhad Machnouk, des « mesures exceptionnelles » pour permettre aux femmes druzes de « paraître sur les cartes d’identité cachant non seulement leurs cheveux mais aussi leur bouche ». En effet, elles obéissent ainsi « à des traditions ancestrales » et « considèrent la bouche comme un attribut sexuel ». Les cheikhas druzes ne finissent pas de nous étonner.

De la bouche à la langue il n’y a qu’un pas, si je puis dire. Un certain Hussein Oneïssi est actuellement jugé, accusé de « complicité d’homicide intentionnel ». Son avocat, si j’ai bien compris car le dossier est compliqué, a évoqué le témoignage de journalistes ayant reçu des appels téléphoniques dénonçant l’accusé. Selon l’un d’entre eux, ayant reçu trois appels, il « serait probable que l’un des trois ne serait pas libanais » et qu’un autre viendrait d’un « chiite habitant la banlieue sud ». Or, dit l’avocat, son client « n’a pas l’accent de la banlieue sud », et il ajoute que ce témoignage se ramène à dire que « l’accent d’un habitant de la banlieue de Paris ne serait pas celui d’un Parisien ». Bonne remarque. Il faudrait d’ailleurs entrer plus précisément dans les détails. Un habitant catholique de la banlieue ouest de Paris aurait-il un accent différent de celui d’un bouddhiste de la banlieue est ou d’un musulman de la banlieue nord ? Et pourquoi ne pas être plus précis encore ? Les catholiques du 5ème arrondissement ont-ils le même accent que ceux du 6ème ? Et que dire des israélites, des musulmans ou des catholiques qui vivent autour de la place de la Bastille, dans le 3ème, le 4ème ou le 11ème arrondissements ? On songe au professeur Higgins : « You can spot an Irishman or a Yorkshireman by his brogue. I can place any man within six miles. I can place him within two miles in London. Sometimes within two streets ». Les tribunaux devraient s’adjoindre un Higgins...

Post scriptum qui n’a rien à voir. Hier, selon la presse, le président Macron a battu tous les records en restant douze heures au salon de l’agriculture. Douze heures ! L’information vient du service de communication de ‘Elysée. Mais cela fera-t-il oublier que les rugbymen français n’en battent guère, de records.


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fleche19 Février 2018 : Lof pour lof

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Depuis la publication, il y a 44 ans, de Linguistique et colonialisme, j’ai un rapport ambivalent avec les espérantistes, ou plutôt les espérantistes ont avec moi un rapport ambivalent. Ils ont d’abord considéré mon livre comme la démonstration de la justesse de leurs thèses : l’espéranto était la seule langue qui pouvait selon eux résoudre de façon pacifique les problèmes de communication du monde, mettre fin aux rapports de force ou de domination linguistiques. Ils m’ont invité il y a une trentaine d’années à l’un de leurs colloques, et mon intervention ne leur a pas plu. J’expliquais que ce projet généreux, vieux d’environ d’un siècle, n’avait pas réussi à s’imposer, ou à convaincre, pour des raisons sociolinguistiques. L’ expansion d’une langue repose en effet toujours sur des phénomènes politiques, économiques, sociaux, alors que l’espéranto ne reposait sur rien de semblable. En outre, cette langue artificielle, supposée être fondée sur toutes les langues du monde, était en fait fondamentalement européenne, et si elle est relativement facile à acquérir par un locuteurs du français, de l’anglais ou de l’allemand, elle demeure opaque pour un locuteur de l’arabe, du swahili ou du chinois.

La lune de miel était terminée. Depuis lors et jusqu’à très récemment, chaque fois que je donnais une conférence à Paris, je voyais dans la salle deux ou trois espérantistes qui intervenaient dans la discussion pour opposer leur projet à ce que je pouvais dire sur les langues véhiculaires, le modèle gravitationnel que j’avais élaboré, le versant linguistique de la mondialisation ou le baromètre des langues. Ils étaient actifs, parlaient beaucoup, faisant quasiment de l’obstruction, et m’énervaient un peu.

Jeudi dernier, j’ai donné au musée des langues (Mundolingua), à Paris, une conférence sur la mondialisation et les politiques linguistiques, et j’ai aperçu dans la salle un espérantiste, que je vois depuis près de trente ans. A ma grande surprise il est très peu intervenu, et sans avancer les mérites de l’espéranto. Mais, après le débat, il est venu me voir. Nous avons un peu discuté, et ses arguments étaient devenus très différents. De façon modeste, alors qu’il était dans le passé plutôt envahissant, il m’a dit que, peut-être, le Brexit et les « bêtises de Trump » allaient donner à l’anglais un coup de vieux, le dévaluer, et qu’il y avait là un petite chance pour l’espéranto.

Je suis toujours frappé par les gens qui, contre vents et marées, s’en tiennent à leur choix idéologique, politique ou scientifique et changent d’arguments lorsque les faits viennent s’inscrire en faux contre leur choix. Cette façon de louvoyer, ou de tirer des bords comme disent les navigateurs, avec toujours en vue le même but, ou le même cap, prouve bien sûr que l’on a de la suite dans les idées. Mais aussi, dans le cas que j’évoque, elle témoigne d’une sorte d’aveuglement. Je n’ai rien contre l’espéranto. Je constate simplement qu’il n’a pas (encore ?) marché et, sans insulter l’avenir, j’ai le sentiment qu’il ne marchera jamais. Et il y a quelque chose de touchant dans cette insistance, ou cette fidélité, comme chez ces boy-scouts qui, une fois leur « promesse » prononcée (« devant tous je m’engage, sur mon honneur... »), s’y tiennent. L’ennui, bien sûr, est que dans le domaine scientifique il faut savoir reconnaître que l’on s’est peut-être trompé, plutôt que de tirer des bords, lof pour lof, sans jamais atteindre son but.


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fleche12 Février 2018 : Hebdo sans H

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Le tout nouvel hebdomadaire l’Ebdo a donc publié dans son numéro 5 un dossier sur une plainte pour viol déposée contre Nicolas Hulot. S’abstenant de donner le nom de la plaignante (mais tout le monde le connaît), ne donnant aucun détail sur la nature des faits reprochés au ministre, il a concocté une « une » ravageuse, titrée L’affaire Nicolas Hulot, en lettres blanches sur la tête noire de Hulot, en ombre chinoise. Quelle affaire ? On n’en sait pas grand chose. Les faits remonteraient à 1997 et la prescription étant alors de dix ans, ils étaient prescrits au moment de la plainte, en 2008. Ce qui, moralement, ne change rien s’il y a vraiment eu viol. Mais c’est là que l’article pose un léger problème.  Depuis que le mot d’ordre balance ton porc a été lancé, on a parfois l’impression que ce n’est pas à l’accusation d’apporter la preuve des faits mais à l’accusé de prouver son innocence.  Jai eu cette impression lorsque Pierre Joxe a été accusé, j'ai la même aujourd'hui. Le défenseur des droits Jacques Toubon a d’ailleurs publié fin novembre un tweet étonnant : « en cas de harcèlement sexuel, c’est à l’auteur des faits de démontrer devant la justice qu’il n’y a pas eu harcèlement ». L’Ebdo lance donc une accusation sans donner de preuves (peut-être les a-t-il et les garde-t-il pour ses prochains numéraux). L’éditorial du numéro en question, est d’ailleurs clair : il est titré « parole contre parole ». Mais il rappelle que le journal « raconte le monde tel qu’il est ». Tel qu’il est ou tel que certains disent qu’il est ?

Pas de preuves donc, du moins pour l’instant, mais une couverture assassine.

Je ne sais rien, bien sur, de ce dossier, je ne connais pas Nicolas Hulot, je ne suis pas son avocat, mais j’ai de la mémoire. L’éditorial du numéro 5 de l’Ebdo est signé Laurent Beccaria. En 1997 Laurent Beccaria lançait les éditions Les Arènes, puis en 2008 l’excellente revue XXI et en 2017, donc, L’Ebdo. On peut lire sur le site des Arènes que « chaque livre est une aventure, chaque livre doit avoir un sens et sa raison d'être ».  Et je me suis demandé en leur temps quel était le sens et la raison d’être du Livre noir de la psychanalyse publié en 2005 et de Merci pour ce moment de Valérie Trierweiler publié en 2014. Je me demande donc aujourd’hui de quoi témoigne l’absence de la lettre H à l’initiale de L’Ebdo, hebdo  sans H. Absence d’heuristique (« qui sert à la découverte ») ou d’honnêteté ? Mais peut-être l'Ebdo nous apportera-t-il prochainement des informations plus sérieuse. A moins qu'il ait choisi de se comporter comme un journal people, ou à scandales, comme on voudra.

 
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fleche5 Février 2018 : Seu-he-ee-ting

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Entre le VIII° et le V° siècle avant J-C, les Jeux Olympiques généraient une trêve : cela ne mettait pas fin aux conflits mais les suspendait. Ils portaient ainsi un idéal de paix. Les jeux modernes, lancés par Pierre de Coubertin, reposaient d’une certaine façon sur le même principe, et l’on peut considérer que les jeux olympiques d’hiver qui viennent de débuter à Pyeongchang, en Corée du Sud, illustrent cet idéal. Non seulement la Corée du Nord y participe, ce qui implique que ses sportifs passent une frontière fermée, mais encore les deux Corées y présentent des équipes communes, en particulier une équipe féminine de hockey sur glace.

Mais les choses ne sont pas pour autant idylliques.  En effet, le coréen, langue théoriquement commune aux deux pays, s’est lentement diversifié depuis la division du pays en 1945 et la redéfinition de la frontière commune en 1953. Au Nord la langue, isolée par le régime politique, a gardé une syntaxe plus traditionnelle, sa prononciation a moins évolué qu’au Sud et, surtout , elle a emprunté des mots au russe et au chinois tandis qu’au Sud on empruntait plutôt à l’anglais.

Le résultat en est que les sportifs du Nord, à leur arrivée au Sud, on été surpris : ils ne comprenaient pas le vocabulaire technique de leur sport. Ainsi le patinage, qu’ils appellent apuro jee chee gee, se dit au Sud seu-he-ee-ting (sur l’anglais skating), et une technique de défense du gardien de but qui se dit au Sud tee-pu-sh (de l’anglais T-push) se dit au Nord moonjeegee eedong (« geste du gardien). Ajoutons à cela le fait que l’entraineuse de l’équipe de Hockey est une canadienne anglophone et l’on devine les difficultés...

On a donc distribué aux joueuses du Nord une liste de mots qu’elles ne connaissaient, et donné à l’entraineuse, Sarah Murry, une liste des termes nord-coréens prononcés « à l’anglaise ».

Nous verrons les résultats lorsque cette équipe « coréenne » entrera en lice, mais cette anecdote pose un problème plus général: une langue parlée dans deux pays contigus et antagonistes peut-elle se différencier en un peu plus d’un demi-siècle ? Il y a, bien sûr, des précédents. En Inde l’opposition entre musulmans et hindouistes a mené au moment de l’indépendance à la division du pays (Inde, Pakistan) et à celle de l’hindoustani en ourdou (écrit en caractères arabes) et hindi (écrit en caractères devanagari). Plus récemment, après l’éclatement de l’ex-Yougoslavie, le serbo-croate a éclaté en serbe, croate,  bosniaque... Et, quelles que soient les différences minimes ente ces formes, leurs locuteurs, à force de ne pas vouloir se comprendre, finiront par ne pas se comprendre. A l’heure où l’on parle beaucoup de la disparition programmée de milliers de langues, il y a là de quoi réfléchir. Paradoxalement, les hostilités, les guerres, seraient-elles pourvoyeuses de diversité linguistiques ?

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Janvier 2018

 

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fleche31 janvier 2018 : Le syndrome Balkany

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Entendu il y a quelques jours dans mon bistrot préféré : « Putain ! Ils foutent même pas les terroristes en prison et ils veulent la mettre, elle ! ». « La », c’était  Maryse Joissains, maire d’Aix-en-Provence, dont la presse locale disait qu’elle allait passer d’ici deux mois devant le tribunal de Montpellier, et qui se trouve dans un bourbier judiciaire à rallonge. Pour l’instant elle se sera jugée pour conflit d’intérêts, emplois de complaisance, contrat de travail illégal, mais elle a encore quelques affaires derrière la porte. Et tout le monde le sait dans la ville, et en parle.

Son mari, qui fut maire de la ville pendant cinq ans, était parti à cause d’une affaire immobilière dans laquelle étaient compromis ses beaux-parents. L’affaire est depuis longtemps terminée, l’ex-maire a été condamné à deux ans de prisons avec sursis et à une amende de 150 .OOO francs (c’était en 1988). En 2001, c’est donc son épouse qui est à son tour élue et elle fait à son mari un contrat de directeur de cabinet avec un salaire exorbitant.  L’ex-maire sera d’ailleurs condamné en 2015 à rembourser à la commune 476.000 euros... Mais les choses ne s’arrêtent pas là. Le chauffeur de la maire, dont elle est très proche, et qui était aussi son attaché parlementaire lorsqu’elle était députée,  lui également joui d’un traitement de faveur. Et l’on parle depuis quelques semaines d’un contrat concernant des bus électriques qui n’aurait pas été passé  dans des conditions très légales. Bref tout cela est encore dans les tuyaux de la justice et, après tout, il existe en France la présomption d’innocence. Mais...

Mais il est tout de même frappant que tout le monde parle de ces affaires à Aix, s’en régale, et qu’en même temps certains s’insurgent. Je reviens à la conversation entendue dans mon bistrot : « Putain ! Ils foutent même pas les terroristes en prison et ils veulent la mettre, elle ! ». Il y a là ce que j’appellerais volontiers le syndrome Balkany. A Levallois-Perret comme à Aix-en-Provence un couple tient la mairie et s’en gave au su et au vu de tout le monde, dans les deux cas aussi la justice est déjà passée et passera encore, dans les deux cas enfin les électeurs ne s’en offensent pas trop et défendent leurs élus. C’est beau, la démocratie !

Et nous n’en avons sans doute pas fini. On murmure en effet que la fille de l’ex-maire et de l’actuelle maire, Sophie Joissains, actuellement sénatrice des Bouches-du-Rhône, se prépare pour les prochaines élections municipales et tenterait de prendre la place de sa mère.

Je ne sais pas si elle a, pour l’avenir de la ville,  une fille ou un fils.

 

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fleche26 janvier  2018 : Sourate, verset, hadith : la voie de Wauquiez ?

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Dure soirée, hier soir. J’avais travaillé toute la journée, et puis Laurent Wauquiez était l’invité de l’émission politique de France 2 et je me suis mis devant le poste. « Si j’avais su j’aurais pas v’nu », mais, trop tard, un carnet et un stylo en main je suis resté à l’écoute.

Cet homme a une caractéristique qu’il partage avec bien d’autres hommes politiques : lorsqu’il prétend répondre à une question, il baratine tellement qu’à la fin on ne sait plus quelle était la question : « Je vais vous répondre, mais... », « je pense d’abord que..., oui oui je vais vous répondre ». Ou encore il coupe la parole à l’autre, « très rapidement... », et ça dure, puis « et j’en finis... » et il aligne une quinzaine de phrases.. Commenter longuement une question avant d’y répondre...ou pas, la technique est connue, mais chez lui elle est particulièrement énervante.

En face de lui, dans les rangs des invités, on voit Gérard Larcher et Ludovine Dutheil de la Rochère. Le premier, président du Sénat, semble s’endormir, mais avec lui on ne sait jamais s’il somnole après un repas trop arrosé ou s’il va bientôt se réveiller pour passer à table. Quant à la seconde, c’est la version propre sur elle et à particule de Frigide Barjot : présidente de la « manif pour tous », de bonne droite catholique, opposée au mariage homosexuel, à l’enseignement de la supposée « théorie du genre », et proche des idées du Front National. Bref, ce n’est ni jeune ni progressiste. Mais revenons à Wauquiez. De son programme on n’apprendra pas grand chose, sauf qu’il est férocement contre l’immigration et qu’il veut sauver la droite en déroute. Mais ce type est retors. « Vous êtes sur les positions du FN » lui dit quelqu’un. « Je ne vais pas laisser au FN le discours sur l’immigration », répond-il. Quand on le traite d’islamophobe, il répond toujours « j’ai appris l’arabe ». Mais il y a là un petit problème. Il a en effet en 2000 travaillé quelques mois au Caire, à l’ambassade de France, et il a souvent dit qu’il y avait aussi enseigné le français dans l’association de sœur Emmanuelle, ce que la dite association dément, lui reprochant en outre d’utiliser « l’image d’une des  personnalités préférées des Français pour donner du crédit à ses propos ». A une universitaire franco-marocaine venue l’interroger il répète qu’il a appris l’arabe, elle réplique que certains orientalistes apprenaient l’arabe pour insulter les Arabes. Mais, qu’il ait ou non appris l’arabe, il ne brille pas par sa connaissance de l’islam. Ainsi, il répète depuis des mois, dans ses discours, qu’il y a une sourate du Coran, parfois un verset, enjoignant aux musulmans vivant dans un pays non musulman de se plier aux habitudes et aux lois de ce pays. L’universitaire lui fait remarquer qu’il n’y a ni sourate ni verset disant une chose pareille. Il rétropédale alors, « oui, je sais, un ami spécialiste me l’a dit, il s’agit d’un hadith ». Tout Wauquiez est là ! Il pratique en effet la rouerie de certains musulmans qui utilisent les hadiths pour justifier n’importe quoi. Précisons qu’un hadith est une déclaration orale attribuée à Mohamed ou à ses compagnons, dont le corpus, la sunna, est la base du sunnisme. Mais certains ont recensé 700.000 hadith, pour lequel il faut chaque fois reconstituer la généalogie, la chaîne de transmission. Il s'agit de tradition orale et tout le monde peut inventer un hadith. C’est dire que leur usage est toujours suspect, et que Wauquiez à piqué le truc. Et, piégé sur son histoire de sourate, de verset ou de hadith, il répond finalement, après un long développement historique que personne ne comprend, par une question : « considérez-vous que les musulmans doivent s’adapter au pays ? ». Etait-il utile d’inventer une sourate, un verset ou un hadith pour une question aussi simple ? Et de se ridiculiser en lançant ahlan wa sahlan (« bienvenue ») à Léa Salamé pour prouver qu’il parle arabe ? Nous avons cependant appris que Wauquiez se réclamait de la sunna. Serait-il devenu sunnite ? Un scoop! Mais restons sérieux.

Le seul moment fort de ces deux longues heures a été l’intervention d’Alain Minc, soulignant qu’il est piquant de l’entendre toujours opposer le peuple aux élites, à moins qu’il ne s’agisse d’un « geste sacrificiel » (en effet Wauquiez a fait normale sup puis l’ENA, il fait partie des « élites », que ça lui plaise ou pas), montrant que son discours balançait entre Barrès et Maurras, qu’il avait changé souvent de position politique, qu’il jouait un rôle de composition, et concluant en lui disant « vous avez un problème avec les mots ». Les mots, justement, parlons-en. Vous vous souvenez de la formule du FN, « la préférence nationale » ? Et bien Wauquiez, lui, défend la « préférence communautaire ». Il ne veut pas bouter les migrants hors de France mais hors d'Europe. C’est d’une grande habileté car quiconque proche du Front National l’entendant dire cela y trouvera un écho des thèses d’extrême droite. La "préférence" c'est Jean-Marie, mais c'est aussi Laurent.

Habile, retors et redoutable, pire que Sarkozy parce que plus intelligent et plus cultivé, il sera sans doute dans les années à venir la voix de la droite dure, décomplexée, dépouillée de ses membres les plus « modérés » dont certains, et non des moindres, ont déjà pris leurs distances. La voix de la droite dure, certes, mais sa voie ? Cela reste à prouver, ou à suivre. Ce qui est sûr, c’est que la seule différence entre lui et Marine Le Pen, finalement, est qu’il connaît mieux les dossiers politiques et économiques qu’elle. Pour le reste, c'est une copie conforme.

Une dernière chose. A la fin de l’émission, on présente les résultats d’un sondage : Wauquiez a convaincu les téléspectateurs ? Il en aurait convaincu 51% si j'ai bien noté, et 71% des partisans de son parti, les républicains. C’est beaucoup, 71% ! Mais on peut faire ce que l'on veut avec les chiffres. S'agit-il de 71% des 20% qui ont voté Fillon au premier tour de la présidentielle ? Soit seulement 14% de ceux qui ont voté ? J’aimerais bien, on peut toujours rêver.... Mais on peut aussi se consoler: ce matin, les chiffres de Médiamétrie sont tombés: l'émission d'hier soir. L'émission d'hier soir a fait une grosse contre-performance: 6,8% de part de marché, soit le pire score de l'émission, plus bas qu'Hervé Hamon en décembre 2016 (8%). Wauquiez était derrière TF1 (26,2%), M6 (10,8%), France 3 (8,4%): la voix de la droite n'a semble-t-il pas trouvé sa voie vers le public.

 

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fleche25 janvier 2018 : Balance...

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Nous avons il y a quelques années assisté à la fortune du verbe dégager à l’impératif, injonction aux dictateurs de certains pays arabe de quitter leur trône. Voici que le verbe balancer avec le sens de « dénoncer » est en train de se répandre à son tour. Je lis d’une part sur internet que le rappeur Booba « a balancé sur les pseudos pros palestiniens ». Et je viens d’apprendre que, face à la situation lamentable de leurs hôpitaux, certains témoignaient sur leurs conditions de travail sous le titre balance ton hosto. Tout cela est bien sûr en écho au #balancetonporc qui fait florès depuis que les agissements d’Harvey Weinstein ont été révélés.

Je sais pas ce qui a poussé les initiatrices de ce mouvement à choisir ce verbe, mais depuis qu’il a pris en argot le sens de « dénoncer » (au début des années 1930 selon le Dictionnaire de l’argot de Jean-Paul Colin) et que balance a pris celui de « délateur » (vers 1980, toujours selon Colin), ce verbe et ce substantif sont parmi les plus injurieux du vocabulaire des truands. Une balance est un traitre, un allié des flics et, surtout, un sournois, comme le corbeau qui, dans le film de Clouzot (1943) envoyait des lettres anonymes et calomnieuses. Plus tard, en 1982, Bob Swaim tournait La Balance, un film dans lequel étaient montrées les relations entre la police et ses indicateurs. Balancetonporc pourrait donc facilement s’assimiler à une délation dans l’ombre, et le trait est encore forcé sur le site https://www.balancetonporc.com/ où l’on peut lire « témoignez anonymement sur balancetonporc.com ». Anonymement, tout est là. Bien sûr, une balance, dans le milieu, dénonce ses semblables, ses alliés, ses compagnons, alors que les féministes qui appellent à balancer, visent leurs prédateurs, leurs « ennemis ». Mais il demeure qu’avec anonymement, le message connote fortement la délation, la sournoiserie, et affaiblit l’intention. A moins, bien sûr, que ce soit justement le but recherché, assumé : se présenter comme des dénonciatrices de l’ombre. Mais je persiste et signe : on aurait pu se passer de cet anonymement. Et imaginer que des esprits mal tournés se mettent en tête de dénoncer, anonymement bien sûr, celles qui leur sauteraient dessus et lancent #balancetatruie...


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fleche17 janvier  2018 : Je ne vous dirai pas...

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Vous souvenez-vous d’une chanson de Léo Ferré qui s’appelait Le conditionnel de variétés ? Cela date de 1971 et Léo commençait ainsi : « Je ne suis qu’un artiste de variétés et ne peux rien dire qui ne puisse être dit de variétés, car on pourrait me reprocher de parler de choses qui ne me regardent pas ». Puis il enchaînait sur une longue litanie, « comme si je vous disais que... », dénonçant à tout va les cadences chez Renault, les licenciements dans le textile, l’interdiction de La Cause du peuple, l'industrie chimique dont les ouvriers ont les poumons rongés par l'acide, etc. Pourquoi est-ce que je vous parle de ça ? Comme ça, pour rien, juste un souvenir d’amateur de chansons.

Passons donc à autre chose. Sans être juriste, je crois savoir qu’il est interdit, en France, d’appeler au boycott. Je ne vous dirai donc pas de boycotter la compagnie d’aviation Ryanair qui traite son personnel comme des esclaves, ni de boycotter les produits venant des territoires palestiniens envahis par l’impérialisme israélien, ni de boycotter un certain café d’Aix-en-Provence dont le patron avait naguère attaqué en justice les intermittents du spectacle, coupables selon lui de lui faire perdre des clients et donc de l’argent, non, je ne vous dirai rien de tout cela, surtout pas. Je ne suis qu'un auteur de petits billets doublé d'un admirateur des réussites industrielles. Je voudrais donc simplement vous dire que j’admire énormément Lactalis, un groupe dont on parle beaucoup en ce moment, un groupe qui a eu le génie de créer un nombre invraisemblable de marques (je vous en donne quelques exemples : Président, Chaussée aux moines, Salakis, Société, Danette, Chambourcy, Bridel...), le génie de vendre ainsi des produits laitiers, fromages, yoghourts, lait en poudre, etc., sans que l’on puisse deviner les liens de ces marques avec la maison mère, sans que l’on puisse savoir  que pour les producteurs de lait qui travaillent pour Lactalis  c’est soldes tous les jours, qu’ils vendent à perte 365 jours par an, sont étranglés. Non, je ne vous dirai rien de tout cela, ni bien sûr de compléter la liste de ces marques et de les boycotter. Car, comme disait Léo, « on pourrait me reprocher de parler de choses qui ne me regardent pas ».

 


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fleche10 janvier 2018 : Abou Dhabi

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Lorsqu’on sort de l’avion, on se trouve dans un aéroport presque comme les autres (enfin, comme les aéroports ultramodernes), à une exception près. Pour passer les contrôles de police il y a plusieurs files, selon votre nationalité, jusqu’ici, rien d’anormal, mais s’y ajoute une file pour les femmes voilées et les invalides. Je n’ai aucune interprétation à vous proposer pour cet amalgame. Et vous ?

La ville moderne a une soixantaine d’années, mais ce qui a été construit dans les années 1960 a totalement été détruit, ce qui date des années 1970 et 1980 est considéré comme obsolète et va prochainement disparaître, et l’on construit bien sûr sans cesse de nouvelles choses. Rien d’étonnant pour une ville du golfe, mais on peut cependant s’interroger sur l’avenir de la grande mosquée Cheikh Zayed, terminée en 2007, et du musée du Louvre d’Abou Dhabi, inauguré fin 2017. Leur durée de vie sera-t-elle comparable  à celle des bâtiments précédents ?

Le Louvre, donc, construit par Jean Nouvel, se trouve sous une immense coquille qui rappelle les moucharabiehs de  l’Institut du Monde Arabe à Paris (lui aussi construit par Nouvel), et fait penser à un coquillage agrippé à un rocher, au bord de l’eau. Sa visite est intéressante de différents points de vue. Disons qu’on y lit la volonté de lancer des ponts entre les arts d’Occident, d’Orient et d’ailleurs. Chaque salle est ainsi consacré à un thème, montrant comment il a été abordé ou traité sous différentes latitudes et à différentes époques. Une très belle réussite, aussi bien muséologique qu’architecturale.

De façon plus large,  la ville, dans son ensemble, rappelle que l’architecture et l’urbanisme sont toujours un discours du pouvoir, et ici la vitrine de la réussite financière, comme une affiche. En outre, cet enchaînement cyclique de constructions et de destructions pose un problème de redéfinition de la notion de patrimoine. On distingue en général entre patrimoine matériel (les monuments, etc.) et patrimoine immatériel (la culture, la tradition orale, etc.). Mais le Louvre de Paris, entamé au XII° siècle,  a pratiquement été terminé au XVI°  et a sans doute encore de beaux jours devant lui. Celui d’Abou Dhabi ?

En fait, ce qui m’a interpellé est autre chose et constitue peut-être la contrepartie linguistique  de cette réussite financière et architecturale.  Pendant les cinq jours de mon séjour, je n’ai jamais rencontré dans les « services » (chauffeurs de taxi, personnel des hôtels ou des restaurants, vendeurs dans des boutiques populaires ou de luxe…) d’Emirati. Même les vendeurs du souk aux poissons sont venus d’ailleurs. A tous j’ai posé les mêmes questions : Quelle est votre origine ? Votre langue maternelle ? Parlez-vous arabe ? Et tous,  Indiens, Népalais, Pakistanais, Philippins, Nigérians, etc., à une exception près sur laquelle je reviendrai, m’ont répondu la même chose : non, ils ne parlaient pas arabe, non il était inutile d’apprendre l’arabe pour vivre ici. L’exception, un taximan pakistanais, me dit que, musulman, il lisait le Coran dans son pays et qu’arrivé dans les émirats cela lui a facilité la tâche pour apprendre l’arabe. Pour les autres, ce n’est pas un problème. Tout se passe en anglais, et même les contrats de travail sont en anglais. Or, rappelons-le, la langue officielle d’Abou Dhabi est l’arabe.

Comment définir cette situation, qui mérite d’être étudiée de plus près? Une langue officielle, endogène, l’arabe, qui semble être inutile pour vivre et travailler dans cette ville… Bien sûr, la démographie explique en partie cette situation : les Emiratis constituent environ 1O% de la population, qui compte donc 90% d’émigrés. Mais cela n’enlève rien à ce paradoxe : la coexistence entre une minorité (10%) tenant le pouvoir politique et financier, dont la langue semble minorée, et des communautés de migrants ayant différentes langues (ourdou, tagalog, malayalam, bengali, malais, igbo,  etc), tous utilisant

l’anglais comme véhiculaire. C’est-à-dire que, d’une part, un Emirati voulant prendre un taxi, ou commander un plat dans un restaurant indien,  ou s’acheter des chaussures dans un centre commercial, devra parler anglais, et d’autre part que l’anglais se trouve du coup être la langue des migrants, parfois opprimés, exploités, en même temps que la langue des affaires, du commerce, de la « high society », tandis que l’arabe, langue officielle, ne s’entend guère.

J’ai dit que cette situation méritait d’être étudiée, et il faudrait aussi se pencher sur les formes d’anglais utilisées. Par exemple, un chauffeur de taxi nigérian parlant un anglais très africain qui étonnerait un new-yorkais ou un londonien, m’explique, dans son anglais, que la façon dont les Indiens parlent anglais le fait rire : selon lui ils le parlent très mal et il est difficile de les comprendre. Mais il est probable qu’un Indien penserait la même chose de l’anglais nigérian. Et que dire de l’anglais des Népalais ou des Philippins ? En bref, je me suis trouvé devant une situation sociolinguistique que je n’ai jamais rencontrée ailleurs, du moins à ce point.  Bien sûr il n’est pas étonnant qu’une langue en fonction véhiculaire prenne des formes variées et qu’à terme il puisse apparaître un anglais populaire émirati coexistant avec celui, très châtié, que pratiquent certains Emirati. Mais plus surprenant est la quasi disparition de la langue endogène, et de surcroît officielle, l’arabe. Imaginez qu’à Paris seuls quelques parisiens parlent français et que les autres, de langue arabe, bambara, chinoise, wolofe, lingala, etc., communiquent en anglais. Ou encore imaginez la même chose à Berlin, à Madrid… Encore une fois, cela mérite d’être étudié soigneusement et justifierait une enquête sérieuse. Si dieu me prête vie…

 

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