|

25
décembre 2018 : A
la marge ?

Il
est de bon ton de
déclarer que les gilets jaunes sont sympas,
calmes, résolus mais pacifiques, et
qu’il faut les distinguer soigneusement des
casseurs qui, à la marge de leurs
manifestations, se livrent aux déprédations
que vous savez. Cela me fait penser
aux doctes déclarations de ceux qui
distinguent entre le salafisme, mouvement
« quiétiste »,
et le jihad, en
oblitérant ses rapports
avec le wahhabisme et le jihad, et plus
largement, de ceux qui nient les
rapports entre islam et islamisme, comme ceux
qui naguère niaient les liens entre
le catholicisme et l’inquisition. Or, de la
même façon que la notion de
périphérie implique celle de centre, la
marge
implique, par définition, un texte, un corps
central : une page
serait vide sans texte et la marge n’existe
que par lui.
Or
ce que l’on trouve
à la « marge » du mouvement des
gilets jaunes est inquiétant. J’ai
écrit « à la marge du mouvement » et
non pas « à la marge des
manifestations », car il n’y a pas,
juridiquement, de manifestations des
gilets jaunes. En effet, si la loi garantit le
droit de manifester, elle impose
aussi le devoir de déclarer une manifestation
et son parcours enfin d’obtenir
son autorisation. Lorsque la CGT ou la CFDT
manifestent, lorsque le PCF ou la
Ligue Communiste manifestaient, il y a ou il y
avait autour des manifestants un
service d’ordre efficace qui assurait une
étanchéité entre eux et d’éventuels
casseurs. Rien de semblable avec les gilets
jaunes, et il est donc impossible
de distinguer entre le centre et la
périphérie, entre le texte et la marge. Or,
je l’ai dit, cette marge est inquiétante.
Citons au hasard quelques exemples,
mais il y en a beaucoup d’autres. On a
plusieurs fois entendu crier « on
est chez nous » depuis le début du
mouvement, expression venue de l’extrême
droite et dont les relents racistes et
xénophobes sont clairs. Samedi dernier,
c’est la « chanson de la quenelle »
de Dieudonné qui était entonnée à
Montmartre. Ailleurs un panneau mettait des
signes d’égalité entre Macron,
Attali, Drahi, les banques et
« Zion » : encore une fois la
vieille assimilation entre les Juifs et la
finance, et même si je suis assez d’accord
sur le fait que Macron fasse le jeu du
capitalisme, je ne vois pas ce que les
Juifs font là-dedans. Ailleurs, en province,
on mimait la décapitation de Macron,
et je ne supporte pas l’idée de mise à mort,
qu’il s’agisse de celle d’un
président, d’un voisin ou d’un amant de sa
femme (qui peut d'ailleurs être en même temps
voisin)…
Bref,
la « marge »
du mouvement des gilets jaunes n’est pas
ragoûtante, et comme, pour les raison
que j’ai dîtes plus haut, il y a une grande
porosité entre cette « marge »
et le « texte » qui l’accompagne,
les gilets jaunes ne sont guère
sympas, ils sont directement responsable de
leur périphérie et ne font pas grand
chose pour s’en séparer. Je ne dis pas que
tous les musulmans sont terroristes
ou approuvent secrètement les terroristes, ni
que tous les gilets jaunes sont racistes
ou fascisants, ou approuvent secrètement les
racistes. Mais, même s'il y a derrière le
mouvement des gilets jaunes une réelle misère
qu'il faut résorber, il est
difficile d’exonérer totalement
les uns et les autres de ce qu’ils
produisent. Encore une fois, la périphérie
n’existe que par le centre, et la
marge n’existe que par le texte
.
19
décembre 2018 : Trop
intelligents

Gilles
Le Gendre, responsable depuis peu du groupe
macroniste à l’Assemblée Nationale, commence
bien. Voulant lundi faire son mea culpa, ou
plutôt celui de son groupe, il a en effet
déclaré : « nous avons été trop
intelligents, trop subtils, trop techniques
dans les mesures de pouvoir d’achat ».
Bien sûr, cette phrase est sortie de son
contexte et vous avez sans doute remarqué que,
lorsqu’on interroge un politique sur une
phrase qu’il a prononcée il répond toujours
(et cela est à ajouter à la liste des éléments
de langage) qu’il faut la replacer dans son
contexte. Quoi qu’il en soit, contexte ou pas,
Le Gendre a bien dit « nous avons été
trop intelligents, trop
subtils… Concluez : « vous
n’avez rien compris, parce que nous sommes
trop fins pour vous, que vous êtes trop
bêtes ». Pourtant, monsieur Le Gendre n’a
pas fait l’ENA, juste Science Po et le Centre
de Formation des Journalistes, mais il fait de
son mieux pour se mettre au niveau d'un
énarque, pour avoir les chevilles qui
gonflent. Remarquez, pour un marcheur, ce
n’est pas surprenant, mais il devrait tout de
même prendre le temps de lire un traité de
savoir vivre.

13
décembre 2018 : "Allo!
Non mais allô quoi! T'es un gilet jaune et
tu passes pas à la télé ?"

Hier
matin Libération, qui boucle trop tôt
pour pouvoir rendre compte d’évènements
tardifs, consacrait encore sa une aux gilets
jaunes avec uniquement, en haut de la page,
une accroche renvoyant en page 14 à un petit
article peu informatif sur ce qui s’était
passé mardi soir à Strasbourg. L’après-midi Le
Monde en parlait sur quatre colonnes à
la une, et ce matin Libération y
revenait sur une première page entière avec un
gros titre accrocheur : « Nuit de
terreur ». Même chose depuis hier sur les
télévisions, en particulier les émissions
branchées sur l’actualité qui, après quinze
jours de gilets jaunes, basculaient vers
Strasbourg. Une
info chasse l’autre, finie la xanthophilie,
les gilets jaunes passaient à la trappe et
laissaient place à la xanthophobie. Ce qui a
d’ailleurs immédiatement suscité des théories
complotistes imbéciles selon lesquelles
c’était la police qui avait tiré à Strasbourg,
pour faire oublier le conflit…
Rien
de nouveau, bien sûr, dans ce changement de
focus, les media fonctionnent toujours ainsi,
mais c’est peut-être l’occasion de réfléchir
un peu sur les rapports que nous avons à eux.
Vous avez tous vu, un jour ou l’autre,
lorsqu’un reporter se trouve en direct dans un
lieu public, des gens s’agglutiner derrière
lui pour être dans le champ de la caméra,
faire des signes imbéciles ou prendre un air
niais. But de l’opération : « on m’a
vu à la télé ». C’était d’ailleurs là un
slogan récurrent, il y a une vingtaine
d’années : on lisait sur un paquet de
n’importe quoi, nouilles ou crème miracle, vu
à la télé, référence à une pub que la
marque s’était payée et dont elle voulait
ainsi redoubler l’effet. Vu à la télé,
c’était aussi le principe des émissions de
téléréalité dans lesquelles des gens sans
beaucoup d’intérêt acceptaient de se faire
filmer en continu : la vacuité et l’ego
allaient ainsi de pair. Cela a donné, en 2013,
une Nabila s’étonnant qu’une candidate des Anges
de la téléréalité n’ait pas de quoi se
laver la tête et s’exclamant en mimant avec sa
main un téléphone : « Allô !
Non, mais allô quoi ! T'es une fille,
t'as pas d'shampooing ? ». Buzz et
succès immédiats, dix millions de vues,
jusqu’à ce qu’elle soit, un an après,
incarcérée pour avoir donné quelques coups de
couteau à son compagnon. Sic transit
gloria mundi.
Or
cette volonté d’être vu à la télé explique en
partie les difficultés qu’ont eu les pouvoirs
publics à trouver des interlocuteurs
représentatifs du mouvement. Dès qu’un
« porte-parole » passait une ou deux
fois à la télévision, il était dénoncé par
d’autres, voire menacé : « il ne
nous représente pas ». Et d’autres
« représentants » se manifestaient,
d’autres candidats pointaient le bout de leur
nez, voulant être à leur tour sous les
projecteurs. Le phénomène était encore plus
visible sur les ronds-points ou les barrages
tenus par les manifestants. Dès qu’un micro
était tendu, qu’une caméra tournait, ils
débitaient n’importe quoi, tout et le
contraire de tout, peu importait, pourvu
qu’ils soient « vus à la télé ». « Allô !
Non, mais allô quoi ! T'es un gilet jaune
et tu passes pas à la télé? ».
Et
ce phénomène est amplifié sur les réseaux
sociaux, en particulier grâce au nouvel
algorithme de facebook qui renforce les
relations entre gens du même avis. Certains
affichent leur gueule et débitent doctement
des âneries, des « infox » comme on
dit pour fake news, sans que personne
ne puisse les contredire puisque le système
fait qu’on n’est écouté que par des gens qui
pensent comme nous. « Allô !
Non, mais allô quoi!». Nous vivons une époque
moderne…

6
décembre 2018 : Lecon
de choses ?

Depuis
bientôt trois semaines, sur les chaînes d’info
en continu, on ne parle que de ça. C’dans
l’air, émission qui, sur la cinquième
chaîne, aborde chaque soir de façon très
professionnelles un fait d’actualité, traite
de ça tous les jours depuis dix
jours. Ca, c’est quoi ? Les
« gilets jaunes », bien sûr. Et
cette présence médiatique envahissante est
sans doute un signe, mais signe de quoi ?
Comme vous sans doute, j’avoue que je n’y vois
pas très clair dans cette foisonnante
profusion de faits qui vont un peu dans tous
les sens.
Lorsque
j’étais à l’école primaire, nous avions ce
qu’on appelait des leçons de choses, qui
consistaient à aller du concret à l’abstrait,
en partant
de
l’analyse de faits pour en dégager des
conclusions plus générales. Le mouvement des
« gilets jaunes » est une sorte de
leçon de choses, mais nous n’avons pas
d’instituteur nous nous aider à la comprendre.
Ce qui me paraît clair, mais les historiens se
pencheront plus tard sur cela, c’est le rôle
des media, d’Internet, des réseaux sociaux,
dans le buzz qui nous assaille. Mais, comme on
dit qu’il n’y a pas de fumée sans feu, il n’y
a pas de buzz sans motif. Un mouvement
protéiforme, à forts relents poujadistes
auxquels se mêlent une grosse touche de
« dégagisme », beaucoup de confusion
et des revendications en grande partie
fantaisistes (dissolution du sénat, démission
du président, assemblée populaire…). Mais, à
la base, un ras-le-bol généralisé qui prend
racine dans une situation sociale
indiscutablement inégalitaire. Je sais, pour
avoir trainé mes guêtres depuis un demi-siècle
de l’Amérique du Sud à l’Afrique en passant
par la Chine, que la misère qu’on y côtoie est
bien supérieure à celle qui existe en France.
Mais cela n’excuse rien.
Alors,
quelle leçon de choses ? Une première
chose, évidente, m’apparaît :
l’amateurisme affligeant des politiques au
pouvoir. Nous avons d’un côté un président et
un gouvernement gonflés d’orgueil, imbus de
leur clairvoyance autoproclamée, des
conseillers convaincus de leurs compétences
parce qu’ils sortent de l’ENA. Et de l’autre
des députés godillots (mais ce n’est pas très
nouveau) qui en majorité n’ont jamais labouré
le terrain politique, ne savent pas grand
chose de la vie et des problèmes de leurs
électeurs. Tous apparaissent comme des poulets
de l’année, naïfs, analphabètes politiques et
aujourd’hui à la dérive. Lorsque le premier
ministre allait répétant qu’il ne changerait
pas de cap, il illustrait clairement cet
autisme qui caractérise le macronisme :
nous voyons loin, nous savons où nous voulons
aller et nous vous y mènerons, que vous le
vouliez ou pas, pour votre bien. Mais, dès
lors que ce cap est en passe d'être abandonné,
le roi est nu. On voit que le pouvoir est
désarçonné, qu’il se fissure, qu’il ne
comprend pas grand chose à ce qui lui arrive.
Le ministre de l’intérieur, le porte parole du
gouvernement, le premier ministre, balbutient
et se contredisent. Nous avons même entendu
deux ministres, aussitôt rappelés à l’ordre
par l’Elysée, dire qu’il serait possible de
rétablir l’impôt sur la fortune…
Autre
chose : la gourmandise de certains partis
d’opposition, le Rassemblement Nationale, la
France Insoumise et Les Républicains, qui
tentent de tirer les marrons du feu alors
qu’eux non plus n’en avaient pas vu la fumée
annonciatrice. Mélenchon appelait depuis
longtemps de ses vœux au soulèvement, il s’en
produit un qu’il n’a pas suscité mais qu’il
voudrait bien récupérer. La droite, craignant
qu’on revienne à l’impôt sur la fortune, tire
à boulets rouges sur le gouvernement. Et
l’extrême droite va très vite expliquer que
tout est la faute des migrants. Tous parlent
de « colère légitime » mais ne
savent quoi proposer pour y répondre
concrètement.
Certains
ont risqué une comparaison avec Mai 68.
Pourtant les différences crèvent les yeux.
D’une part le mouvement étudiant avait à
l’époque des représentants que personne ne
contestait (Geismar, secrétaire du SNESup,
Sauvageot, président de l’UNEF, et Cohn
Bendit) alors
que l’incapacité des « gilets
jaunes » à se donner des représentants
est flagrante. D’autre part, les étudiants
avaient forcé les syndicats, en particulier la
CGT, à manger leur chapeau en finissant par
rejoindre le mouvement qu’ils avaient d’abord
condamné. Les syndicats n’ont aujourd’hui que
peu de poids, ils ont échoué dans leur
opposition aux premières réformes de Macron et
sont eux aussi désemparés. Enfin la situation
économique du pays est très différente.
Je
ne sais pas qui a trouvé cette formule, mais
elle est parlante : l’opposition entre fin
du monde et fin du mois,
« cette fameuse fin du mois qui depuis
qu’on est toi et moi nous revient sept fois
par semaines » comme chantait Léo
Ferré. Le grand échec du gouvernement
est sans doute d’avoir laissé penser que les
urgences écologiques passaient avant les
urgences sociales, d’avoir été incapable de
présenter clairement un projet de société
tenant compte des deux. Il est aujourd’hui
devant un mur et, pour Macron, ce n’est plus
la fin du mois mais la fin du
moi.
Alors,
maintenant, quoi ? Je n’en sais rien, je
ne sais pas ce qui se passera samedi prochain,
je ne sais pas s’il y aura une
« convergence des luttes » comme
disent certains, et j’ai l’impression d’avoir
écrit les lignes qui précèdent pour ne pas
dire grand chose.
Mais
il me faut bien conclure. Le général chinois
Sun Tzu, écrivait il y a vingt-six siècles
dans L’art de la guerre, qu’il fallait
toujours laisser une face à l’ennemi. Mais ni
les « gilets jaunes » ni le
gouvernement n’ont dû lire Sun Tzu. Alors,
tout peut arriver.

3 décembre 2018 : Ch’sais
que c’est que c’est quoi !

Je
suis entré il y a quelques jours dans une
boulangerie pour acheter de la chapelure. Pour
ne rien vous cacher, je voulais faire un
mélange de persil de thym, de poivre, de fleur
de sel, de chapelure et d’huile d’olive pour en
badigeonner un carré d’agneau que j’allais
mettre en four avec quelques gousses d’ail en
chemise…
Bref,
j’entre donc dans la boulangerie et demande à
la jeune fille derrière le comptoir la
chapelure nécessaire à ma recette. « De
la cha quoi ? ». « De la
chapelure ». « C’est quoi,
ça ? » Le patron, qui entend notre
échange depuis la porte du four me dit qu’il
n’y en a pas et explique de quoi il s’agit à
son employée.
« Ah,
lance-t-elle,
maintenant ch’sais que c’est que c’est
quoi ! »
Pour
débuter studieusement votre semaine, je vous
propose de vous pencher sur cette phrase. Vous
pouvez employer la théorie qui vous sied le
mieux, grammaire distributionnelle,
fonctionnelle, générative, transformationnelle
ou toute autre de votre goût. Et
rassurez-vous, même sans chapelure, le carré
d’agneau était bon.

30
novembre 2018 : Et en
plus il est con !

Vous avez vu ? Il est question, à
l’Assemblée Nationale, d’interdire désormais
la fessée aux enfants. Interdire la
fessée ? Eh oui ! Pourtant, y’en a
des... Tenez, prenez le petit Darmanin, que
ses parents ont laissé à la crèche de Bercy.
Il a vraiment la gueule du sale gamin qui, au
fond de la classe, fait des bruits incongrus
en laissant croire que l’auteur en est son
voisin, la gueule de l’abruti qui jette des
boules puantes, la gueule d’un délateur qui
dénonce tout le monde, bref on regrette que
Cabu ne soit plus là pour le croquer sous les
traits qu’il mérite.
Et en plus il est con.
Le 22 novembre, à la Sorbonne, voulant
montrer qu’il comprenait les gilets jaunes il
aurait dit ceci, cité par l’AFP et repris par
l’hebdomadaire Marianne :
«Si nous ne voulons pas être dans le Brexit intérieur
[…], nous devons tous intégrer et pas
seulement expliquer, mais entendre et
comprendre, ce que c’est de vivre avec 950
euros par mois quand les additions dans les
restaurants parisiens tournent autour de 200
euros lorsque vous invitez quelqu’un et que
vous ne prenez pas de vin. Qui peut croire
que nous vivons dans la même société ?»
Bien sûr, il a immédiatement démenti,
disant sur twitter qu’il avait « rarement
vu de malhonnêteté intellectuelle »
tandis que Dominique Seux, journalistes aux Echos et éditorialiste sur France Inter volait
à son secours en twittant qu’il avait assisté à la séance, qu’on avait tordu sa phrase et qu’il
avait voulu « pointer la
déconnexionentre les élites qui étaient
devant lui et ceux qui vivent avec 950
euros ». Or voici ce qu’a réellement
dit Darmanin (merci la rubriquechecknews de Libération), c’est-à-dire, si vous
comparez soigneusement les deux versions, pratiquement
la même chose que le texte publié par Marianne :
«Si nous ne voulons pas
être dans un Brexit intérieur, ni nous ne
voulons pas connaître les cartes électorales
de nos amis américains, nous aurions tous
intérêt, et les gouvernements en premiers, à
pas seulement expliquer mais à entendre et à
comprendre qu’est-ce que c’est de vivre avec
950 euros par mois lorsque les additions
dans les tables des restaurants parisiens
c’est autour de 200 euros quand vous invitez
quelqu’un et que vous ne prenez pas de vin.
Qui peut croire qu’on vit dans la même
société et qui peut croire qu’ils sont
simplement victimes ? »
Non seulement Darmanin est con, mais en plus il est de mauvaise
foi en accusant Marianne de « malhonnêteté
intellectuelle ». Et il a
récidivé quelques jours plus tard, le 25
novembre, en expliquant, toujours à propos des
gilets jaunes, que c’était la peste brune qui avait défilé sur les Champs-Elysées.
Alors, chers députés, avant de voter l’interdiction de la fessée,
réfléchissez un peu. Ou alors prévoyez des
exceptions, quelque chose comme un
« Amendement Darmanin ».

29
novembre 2018 : Ter
repetita placent

Bis
repetita
placent disait-on
en latin. En fait nous pourrions modifier
légèrement la formule : ter
repetita... Nous avions avec mon frère
Alain mis au point et publié en 2010 un
« baromètre des langues du monde »
qui, à partir du traitement de dix facteurs
discriminants, prenait en compte et classait
les 137 langues ayant plus de 5 millions de
locuteurs (en langue première). Deux ans plus
tard nous répertorions les 563 langues ayant
plus d’un million de locuteurs. Nous avons
cette fois élargi notre travail aux langues
ayant plus de 500.000 locuteurs, qui sont au
nombre de 634. En même temps, au fil des
versions, nous avons augmenté nos facteurs,
ajoutant en 2012 la véhicularité des langues
et en 2017 leur place dans l’enseignement
supérieur. Il est donc désormais possible de
comparer ces trois versions, de voir les
changement dans la place des langues et, comme
auparavant, de jouer avec l’importance
accordée aux différents facteurs pour faire
son propre classements. Il suffit d’aller
sur : http://www.wikilf.culture.fr/barometre2017/ En outre, en cliquant sur « en
savoir plus... » vous trouverez toutes
les indications sur la façon dont nous avons
travailler, traitement des données, etc. Bonne lecture.

27
novembre 2018 : La
sourate "Les Femmes"

Depuis les printemps arabes, je suis
particulièrement fier de mon pays natal, la
Tunisie. En effet, lentement mais sûrement on
y fait avancer la démocratie et l’égalité
entre les hommes et les femmes. Il faut dire
que les femmes tunisiennes sont
particulièrement combattives pour défendre
leurs droits acquis et réclamer ceux dont
elles ne disposent pas encore, et qu’elles
jouissent d’ailleurs, depuis Habib Bourguiba,
d’un statut inédit dans les autres pays
arabes.
Voici qu’un projet de loi sur l’égalité
entre hommes et femmes au moment d’hériter
vient d’être adopté par le conseil des
ministres et devrait être présenté au
parlement d’ici quelques mois. Il prévoit
qu’un Tunisien et une Tunisienne de même degré
de parenté héritera de la même part, ce qui
peut nous paraître tout à fait normal. Mais le
problème, ou la difficulté, est que dans
l’ensemble des contraintes que l’islam impose
aux femmes (voile, répudiation, statut de
mineure face à l’homme, etc.), l’inégalité
devant l’héritage est la seule qui
apparaissent dans le Coran. On lit en effet,
au verset 11 de la sourate « Les
femmes » :
« Au
fils,
une part équivalente à celle de deux filles.
S’il n’y a que des filles, même plus de deux,
à elles alors deux tiers de ce que le défunt
laisse. Et s’il n’y en a qu’une, à elle alors
la moitié... »
Les
débat
s’annoncent donc fiévreux et le parti
islamiste El Nahda se trouvera devant une
sorte d’épreuve de vérité : va-t-il
accepter que la charia médiévale puisse ne pas
s’appliquer ?
La
constitution tunisienne (qui débute d’ailleurs
par la formule « au nom de dieu le
clément le miséricordieux ») stipule dans
son article premier que « La
Tunisie
est un État libre, indépendant et souverain,
l’Islam est sa religion, l’arabe sa langue et
la République son régime ». Que pèse
l’égalité entre l’homme et la femme face à la
religion ? Et
y a-t-il une contradiction dans les termes
entre un régime républicain et une religions
d’état ? Toute la question est là. A
suivre...

21
novembre 2018 : Age
ressenti

Il y a une quinzaine de jours j’ai lu une
enquête sur des parents (américains, si je me
souviens bien) qui demandaient à
l’administration le droit de ne pas mentionner
le sexe de leurs nouveaux nés sur les
certificats de naissance et, ipso facto, sur
leurs futurs papiers d’identité. Ce sera,
disent-ils, à eux de choisir plus tard leur
sexe. J’avoue que la chose m’a amusé et que je
me suis demandé quelles conneries du même
genre (c’est le cas de le dire) je pouvais
inventer. Dans un récent film libanais, Capharnaüm,
on voit un jeune adolescent attaquer ses
parents en justice au motif qu’ils l’ont mis
au monde. C’est vrai, après tout, il n’avait
rien demandé. J’ai alors pensé à la
possibilité ouverte à tous les enfants de
choisir, par exemple à sept ans, entre le
suicide ou l’euthanasie et la suite de
l’expérience sur terre. Ou encore à la
possibilité de changer de parents, de réfuter
les biologiques pour choisir qui ils veulent,
d’autres humains bien sûr, ou encore un âne ou
un mouflon. Bref, je m’amusais.
Et puis j’apprends qu’un Néerlandais, un
certain Emile Ratelband, demande à la justice
le droit de changer sur ses papiers sa date de
naissance. Venu au monde en 1949, il voudrait
remplacer cette date par 1969, qui
correspondant à l’âge qu’il ressent. Ses
arguments sont imparables : il est à la
retraite à cause de sa date de naissance et
trouve cela discriminatoire, il se sent jeune
et veut afficher sur ses papiers un âge
correspondant à son ressenti.
Voilà une idée qu’elle est bonne !
Je ne sais pas si monsieur Ratelband se rend
compte qu’en retrouvant subitement l’âge de 49
ans il devra se remettre au travail pour près
de vingt ans, mais c’est son problème. En
revanche, les gouvernements qui se battent
avec le problème de l’âge de la retraite
pourraient trouver dans son idée une solution
idéale au problème du déficit des caisses.
Finis les débats sur la prolongation de l’âge
de la retraite à 63 ou 65 ans. Au contraire,
mettons-le à 60 ans, voire à 55. Mais, en même
temps, décrétons que tous les citoyens
parvenus à 50 ans seraient rajeunis à 30. Ils
prendront ainsi leur retraite à 60 ans. Que
dîtes-vous, à 80 ? Mais non, vous n’avez
rien compris à l’âge ressenti. Et ils seront
centenaires à 120 ans, ce qui prouvera la
qualité de vie du pays...
Je vais y penser sérieusement. Si je
pouvais me « rajeunir » de 20 ans,
tout le monde dirait le jour où... :
« Le pauvre, il est mort jeune ».
L’autre solution serait de dire que l’âge que
l’on ressent est de 20 ans supérieur à celui
que prétendent nos papiers. « J’ai
cinquante ans, mais je ressens en avoir 70.
Donc je dois prendre ma retraite ».
Songez-y, les jeunes. Pour moi il est trop
tard.

19
novembre 2018 : Entendre
et écouter

La langue française a la particularité de
distinguer, à propos de la perception
visuelle, entre voir et regarder :
On peut voir quelque chose, de plus ou moins loin et,
lorsqu’on s’intéresse plus précisément à un
détail, regarder de
près. Mais on ne voit pas un tableau, on le
regarde. De la même façon, on distingue pour
la perception auditive, entre entendre et écouter. On entend les bruits de la rue mais on écoute son
interlocuteur, ou une partition de Bach. On
peut voir ou entendre sans le
vouloir, mais on regarde ou
on écoute volontairement.
Ces petites précisions ne sont pas
inutiles si nous voulons nous pencher sur ce
que disait, mercredi dernier, Emmanuel Macron
sur TF1. Interrogé sur la diarrhée de tweets de
Donald Trump, il a répondu : « A
chaque
grand moment de notre histoire, nous avons été
des alliés et entre alliés on se doit le
respect (...) Je ne veux pas entendre le
reste ». Puis à propos des « gilets jaunes » il a
enchaîné :« j’entends la
colère ». Hier soir sur France 2 Edouard
Philippe, fidèle au mimétisme lexical qui
caractérise le gouvernement, a pour sa part
déclaré : « j’entends ce que disent
les Français mais je vois le cap, je n’en
change pas ». Autrement dit, je n’ai rien
à foutre de ce que j’entends.
L’inénarrable Benjamin Griveaux, si on
l’interroge sur ce point, ne manquera pas de
dire qu’entendre a aussi le sens de « comprendre », et rappellera
que « j’entends bien » peut
signifier « je comprends ». Mais,
outre que cet usage est aujourd’hui un peu
précieux, Griveaux ne pourra pas nier que
« j’entends bien » signifie surtout
pour les francophones « je ne suis pas
sourd », « je n’ai pas de problèmes
d’audition ». Entendre a
en effet d’abord le sens de « percevoir
par le sens de l’ouïe » tandis qu’écouter a celui de « prêter son attention
à ».
Dès lors, si Macron et Philippe entendent
(du moins prétendent entendre) ce qui disent
les Français ou leur colère, il serait
peut-être temps pour eux de les écouter.

12
novembre 2018 : Le nom
des autres

Lundi dernier, le premier ministre (au
cas où cela vous aurait échappé, il s’appelle
Edouard Philippe) s’est rendu en Nouvelle
Calédonie. Et le présentateur a annoncé au
journal de vingt heures de TF1 :
« Le premier ministre Edouard Balladur
est arrivé à Nouméa ». Effectivement,
Balladur a été premier ministre... de 1993 à
1995. A l’heure où la propagande
gouvernementale nous bassine sur le nouveau
monde politique, on voit que les frontières
avec l’ancien sont perméables...
Puisque nous parlons du nom des gens, je
reviens sur un thème que j’ai déjà abordé,
celui de l’incapacité des journalistes de
l’audiovisuel à faire le moindre effort pour
prononcer les consonnes prénasalisées. Le
footballeur Mbappé est régulièrement baptiser ème
bappé, la ville sénégalaise de Mbour ème
bour, etc. Et il y a dans cette
nonchalance quelque chose qui s’apparente au
racisme. Allez, camarades, faites un petit
effort. Respectez le nom des autres.
Pire encore. La chanteuse Angélique
Kidjo, qui a interprété hier, lors de la
commémoration du centenaire de l’armistice,
une chanson en hommage aux combattants des troupes colonial en 14-18, a été
selon les media déclarée malienne, béninoise
ou congolaise. Il suffirait de prendre la
peine d’aller, en deux clics, sur Wikipedia
pour savoir qu’elle est née au Bénin. Mais
non, on s’en fout, elle est noire donc elle
est de là-bas, quelque part entre Bamako,
Kinshasa, Ouidah ou Brazzaville. Il ne s’agit,
après tout, que d’un rayon de près de 5000
kilomètres. Et je ne peux pas m’empêcher de
penser qu’il y a derrière tout cela un mépris
des autres, un j’m’en foutisme qui nous
fournit des fake news à la chaîne, à l’heure
où nous n’en avons vraiment pas besoin.
Mais nous vivons une époque moderne.

8
novembre 2018 : Maréchaux nous voilà

Pendant la guerre les Français, des
écoles primaires aux maisons de retraite,
chantaient cette ode à un maréchal sénile et
collabo, Pétain : Maréchal,
nous
voilà, devant toi le sauveur de la France,
nous jurons nous tes gars de servir et de
suivre tes pas... Son nom n’était pas
cité mais il n’y avait aucune ambiguïté, tout
le monde savait de qui il s’agissait : LE
maréchal. La communication du gouvernement
pour sa part nous a plongé, pendant deux
jours, en pleine ambiguïté.
Tentons de résumer. Le bruit court que
tous les maréchaux de la première guerre
mondiale (ils sont huit, parmi lesquels
Pétain) seront honorés samedi. Interrogé par
la presse, Macron le confirme et tente de la
justifier : « il a été un grand
soldat », « je reconnais la part que
les maréchaux ont joué et que notre armée
a joué dans la victoire française ».
Immédiatement on se révolte. Hollande monte au
créneau, puis le CRIF, Mélenchon, Hamon, etc.
Benjamin Griveaux, porte-parole du
gouvernement, déclare alors qu’il s’agit d’une
mauvaise polémique et qu’il est
« légitime de rendre hommage au Maréchal
Pétain samedi aux Invalides », citant au
passage une phrase du général de Gaulle
déclarant en 1966 « sa gloire à Verdun ne
saurait être contestée ni méconnue par la
patrie ». Mercredi soir, le même Griveaux
affirme qu’il n’y aura aucun hommage à Pétain,
« il n’en a jamais été question ».
Ah bon ? Il avait dit exactement le
contraire quelques heures plus tôt ! Et
le soir, l’Elysée dément : « Comme indiqué à plusieurs
reprises ces derniers jours, le samedi 10
novembre ne seront honorés que les maréchaux
présents aux Invalides : Foch, Lyautey,
Franchet d’Esperey, Maunoury et Fayolle».
Huit maréchaux, puis sept en enlevant Pétain, puis cinq en ne
prenant que ceux qui sont aux Invalides, tout
cela fait un peu désordre. Ce que l’on croit
comprendre, c’est que Macron ne connaissait
pas le dossier et qu’il a dit n’importe quoi,
montrant cependant qu’il n’était pas contre
(« il a été un grand soldat »), que
Griveaux a volé à son secours en disant lui
aussi n’importe quoi, qu’il s’est ensuite
rétracté en mentant (« il n’en a jamais été question ») et que la communication du gouvernement est un travail
d’amateurs. Les politiques peuvent (rarement)
dire la vérité ou (plus souvent) mentir, mais
se contredire en quelques heures relève d’un
rapport fantaisiste ou méprisant aux Français.
A propos, il y a dans cette histoire quelques centaines
d’oubliés, les 639 fusillés pour l’exemple
(c’est le chiffre donné par le Service
Historique de la Défense ) lors de ce qu’on a
appelé, à tort, les décimations. François
Hollande avait demandé en novembre 2013 au
ministère de la défense « qu’une place
soit accordée aux fusillés aux
Invalides ». On a failli donner une place
à Pétain, mais on les a encore oubliés.

5 novembre
2018 : Caramel mou

Ce matin, entre 6 et 7 heures, j’entends
sur France Inter parler du périple
présidentiel
dans le Nord de la France. Une heure
après, sur la même chaîne, on annonce une itinérance
commémorative du président, et une demi
heure plus tard on parle à nouveau de périple
présidentiel. Europe 1, sur son site, parle pour sa part de voyage
mémoriel. Et la veille, dans le Journal
du dimanche, on annonçait entre
guillemets, sans doute pour indiquer que la
formule venait d’un quelconque zozo chargé de
la communication dans un
quelconque bureau d’un quelconque
ministère, voir de l’Elysée, une
« itinérance
mémorielle ». En fait je m’amuse,
ou me fait plaisir : vérification faite,
c’est bien l’Elysée qui a lancé cette formule.
Périple, itinérance ou voyage,
commémoratif ou mémoriel, tout cela semble
bien compliqué pour dire que le président de
la république a entamé hier, à partir de
Strasbourg, un voyage dans l’Est et le Nord de
la France, sur les lieux les plus connus des
batailles de la guerre de 1914-1918 :
onze départements et dix-sept villes. Il
s’agit donc d’un déplacement ou d’un voyage
présidentiel, à l’occasion du centième
anniversaire de l’armistice de 1918.
Le moins qu’on puisse dire c’est que le
mot choisi par l’Elysée, itinérance,
est peu fréquent. Au Québec il désigne le fait
d’être à la rue, sans domicile fixe, mais on
peut espérer que le président aura, dans ses
différentes escales, un toit. Il désigne aussi
ce qu’on appelle en anglais roaming, le fait de pouvoir utiliser un téléphone portable hors de
sa zone de service, mais là aussi le président
ne devrait pas avoir de problème, d’autant
plus qu’il ne quittera pas le territoire
national. Enfin, pour la bonne bouche, je ne
résiste pas au plaisir de citer ce passage du
quotidien québécois Le
Soleil (8 mars 2008) qui parlait d’une
personne ayant connu « une enfance difficile qui l’a très tôt menée à la dépendance à la drogue
et à l’itinérance ». Mais nous
pouvons espérer qu’il ne s’agissait pas du
jeune Emannuel Macron.
Bref, je me demande ce que comprennent
nos concitoyens à cette innovation élyséenne, itinérance mémorielle. Certains d’entre eux doivent mâcher
plusieurs fois la formule en se demandant ce
qu’elle peut bien vouloir dire. Ce n’est plus
de la langue de bois, c’est de la langue de
caramel mou ou, puisque le président aime bien
les anglicismes, de la langue de marshmallow.

26
octobre 2018 : Panurge

Le 17 octobre se tenait un séminaire
gouvernemental (non, je n’y étais pas, je tire
les informations qui suivent du Canard
Enchaîné) au cours duquel Benjamin
Griveaux a donné quelques conseils aux
ministres.
A ceux qui n’avaient pas de compte
twitter : « je crois que c’est utile
pour relayer les discours du président, comme
celui d’hier. J’ai vu que certains ne l’ont
pas fait ». On se moquait beaucoup, dans
les années 1960, des députés gaullistes, les
« godillots », qui répétaient en
chœur ce que leur dictait le gouvernement.
Twitter n’existait pas à l’époque, mais le
principe était le même : ne pas avoir
d’idée, faire écho à celles qui viennent d’en
haut. C’est donc maintenant au tour des
ministres.
A ceux qui passent à la radio ou à la
télé : « Il faudrait que, quand vous
allez à une émission, vous parliez bien
entendu de votre domaine de compétence, mais
aussi que, systématiquement, vous parliez d’un
autre ministre ». Deux jours
après, le 19 , Didier Guillaume, nouveau
ministre de l’agriculture, à montré que sa
compétence était grande en déclarant sur RTL
« C’est aux scientifiques de faire la
preuve ou non qu’il y a des conséquences à
l’usage des pesticides ou pas ». On ne
sait pas s’il relayait un discours du
président, ou si le président ne s’était pas
encore exprimé sur ce point et que le nouveau
ministre improvisait avec brio.
Tout cela donne une drôle d’image des
ministres que leur berger, Griveaux, dirige
avec soin et qui, suivant en cela le modèle de
la majorité des députés, se comportent comme
le mouton de Panurge. Faut-il rappeler que
chez Rabelais, dans le Quart
Livre, ce syndrome du suivisme se finit
mal : « Panurge sans aultre chose dire jette en pleine mer son mouton
criant et bellant. Tous les aultres moutons
crians et bellant en pareille intonation
commencerent soy jecter et saulter en mer
aprés à la file. La foulle estoit à qui
premier y saulteroit aprés leur
compaignon. »
24
octobre 2018 : Rhétorique
ou dérive ?

"La haine des média et de ceux qui les animent est juste et saine". Tout le monde connaît cette
phrase de Jean-Luc Mélenchon, qui peut
cependant laisser perplexe. On peut en effet
lire la presse, écouter les media
audio-visuels ou s’en désintéresser. On peut
avaler ce qu’ils disent ou s’en méfier. On
peut savoir les décrypter, les analyser, les
critiquer et se faire grâce à eux sa propre
idée. Mais pourquoi les haïr ? En quoi est-ce
« sain » ? En quoi cette haine
peut-elle faire avancer la réflexion et,
subsidiairement, les idées politiques de
Mélenchon ?
Bien sûr, le dirigeant de la
France insoumise n’en est pas resté là. Après
les révélation de Médiapart concernant sa vie privée, il a récidivé :
« Plenel, quel naufrage du trotskisme à
ce niveau de caniveau après avoir dirigé Le
Monde. Je laisse les gens vous dire ce
qu’ils en pensent. A ce niveau d’agression et
d’ignominie, il n’y a plus besoin
d’argumentation ». Et enfin, après une
enquête de Radio France concernant ses comptes
de campagne, il a appelé à
« pourrir » ses journalistes qu’il
avait auparavant traités d’
« abrutis » et de
« menteurs ».
Faisons crédit à Mélenchon sur
un point, il connaît la langue française et
manie parfaitement la rhétorique. Dès lors,
que signifie pour lui l’appel à la
haine ? Que signifie le verbe
pourrir ? Et que veut dire la phrase « Je
laisse les gens vous dire ce qu’ils en
pensent. A ce niveau d’agression et
d’ignominie, il n’y a plus besoin
d’argumentation ». Comment peut-on dire sans argumenter ?
Et si on n’argumente pas, on fait quoi ?
On cogne ? On brûle ? On
lynche ?
Bref la rhétorique de Mélenchon
sent mauvais, je dirai même qu’elle pue. A
moins, bien sûr, qu’il ne se contrôle pas,
qu’il lui arrive parfois de ne pas savoir ce
qu’il dit. Il doit bien exister des thérapies
pour cela...

19
octobre 2018 : L'accent
des autres

Jean-Luc Mélenchon n’en rate
décidément pas une, mais là il est en train de
virer vers l’ignoble. Déjà, il y a quelques
mois, il avait laissé percer des accents
racistes envers l’Allemagne et les Allemands.
Hier la chose était plus drôle et plus grave.
Drôle parce qu’il était pris à
son propre piège. Une journaliste de FR3, se
souvenant sans doute qu’interrogé naguère sur les ennuis de François
Fillon il avait répondu «Chacun
doit
répondre de ses actes...Je n’ai pas d’autre
choix que de faire confiance à la justice »,
l’interroge : « Il y a quelques mois, vois pointiez les déboires judiciaires de Fillon
et de Le Pen sur la 3, et vous disiez que
c’était une décadence de la République... »
Voyant venir la suite et comprenant qu’il
allait être mis face à ses contradictions, il
a choisi...
Et c’est là où la chose devient
grave. Il a choisi de se moquer de l’accent de
la journaliste plutôt que de la laisser
finir sa question: « Qu’esseu
que ça veut direu.... Non Madame, vous ne savez pas de quoi vous parlez. Vous
dîtes n'importe quoi. Quelqu'un a-t-il une
question formulée en Français? Et à peu près
compréhensible? Parce que moi votre niveau
me dépasse, je ne vous comprends pas ». Petite précision, la journaliste a
l’accent du Sud-Ouest, de Toulouse plus
précisément. Seconde petite précision,
Mélenchon est élu d’une ville dans laquelle on
a un accent du Sud-Est, Marseille plus
précisément. Le pauvre homme doit souffrir
tous les jours en entendant parler ses
électeurs.
Tirer en touche pour ne pas répondre à une question est une
vieille ficelle de la langue de bois et
Mélenchon, en vieux politicien, manie
parfaitement la langue de bois. Il y a
différentes façons de ne pas répondre à une
question gênante, la plus courante étant de
noyer l’autre sous un flots d’arguments qui
n’ont rien à voir avec la question. Mais
parfois cette procédure d’évitement révèle la
face cachée de celui qui la pratique
(souvenez-vous de Sarkozy et de son Casse-toi
pauv
con). Le leader de la France insoumise a
choisi de mépriser la journaliste, en
insinuant qu’avoir l’accent de Toulouse c’est
ne pas parler français, être incompréhensible,
et il a du même coup révélé quelque chose de
lui. Jacobin ? Sans doute. Raciste ?
Je ne le crois pas vraiment. Il est plutôt
irresponsable, incapable de se contrôler.
Mélenchon, comme d’ailleurs Le Pen, a entraîné
derrière lui depuis quelques années beaucoup
de jeunes. Et cela est une bonne
chose : La jeunesse française est
fortement dépolitisée et tout ce qui peut
l’intéresser aux choses de la cité est
positif... Mais insulter la justice, appeler à
la haine des journalistes, tenir des propos
racistes est une drôle de façon d’attirer les
jeunes vers la politique. Et qu’elle soit
commune à l’extrême gauche et l’extrême droite
est inquiétant.
Evidemment l’incident a fait le buzz hier soir sur les réseaux sociaux et continue ce matin.
Le quotidien La
dépêche publie sur son site des
réactions de ses lecteurs
internautes dont voici quelques exemples:
« Eh Meluche, n'oubliez pas que vos deux députés LFI
ariégeois n'ont pas non plus l'accent de la
capitale. Et vous les comprenez dans
l'hémicycle (si bien sûr ils ouvrent la
bouche) ? »
"Quel choc pour les sympathisants insoumis occitans,
qui découvrent que leur guide sacré, pétri
de culture ne les comprend pas lorsqu'ils
s'expriment avec des mots simples avec
l'accent du peuple des régions"
"Député de Marseille incapable de comprendre les accents du Sud, oh bonne
mèèèèèère !"
"Là je crois qu'il a perdu des voix dans le sud ouest bouducon !"
"Et puis aussi, si notre accent écorche les oreilles de certains, qu'ils
retournent respirer l'air parisien... et
surtout qu'ils y restent avec leurs mines
blêmes à respirer les senteurs des pots
d'échappements et la puanteur du métro"
"Amic Jean-Luc, Quina bergonha ! Per ua elejut deth sud dera França ! Eth
accent qu'ei ua riquessa ». (Ami
Jean-Luc, quelle honte ! Pour un élu du sud de
la France ! L'accent est une richesse).
Etc.
« Ce qu’il y a
d’encombrant dans la morale c’est que c’est
toujours la morale des autres » disait
Léo Ferré, et nous pourrions le
parodier : ce qu'il y a d'encombrant dans
l’accent, c’est que c'est toujours l’accent
des autres. En France, effet de la
centralisation sans doute, les Parisiens
pensent qu’ils sont les seuls à ne pas avoir
d’accent, et bien souvent, lorsqu’ils veulent
réussir au niveau national certains tentent de
perdre le leur, de le masquer, en s’alignant
sur l’accent de la capitale. Pasqua, avec son
accent grassois, ne pouvait pas aller plus
loin dans la hiérarchie ministérielle, qu’au
ministère de l’intérieur. Castaner, qui vient
d’y parvenir, aura du mal à suivre la longueur
de ses dents jusqu’à l’élection
présidentielle. Et Mélenchon, qui dans son
enfance avait sans doute un accent pied-noir,
est aujourd’hui linguistiquement formaté pour participer à une telle
élection. Mais à quel prix ! Au prix d’un
racisme de ruisseau, ou du café du commerce.
C’est à se demander pourquoi les Marseillais
l’ont élu député. Seraient-ils
masochistes ? Allez, je vais me livrer à
une plaisanterie douteuse. Quand on compare
les résultats de l’Olympique de Marseille à la
ferveur de ses supporters, on pourrait croire
à ce masochisme. Mais il sera intéressant
d’examiner de près dans le sud de la France
les résultats de la FI aux prochaines
élections.
15
octobre 2018 : Autocéphalie

Il m’arrive, dans mes cours ou
mes conférences, lorsque je parle des
frontières linguistiques et que je veux
montrer qu’elles peuvent être aussi sociales
ou politiques, d’évoquer le cas de l’Ukraine.
En effet, si l’on examine le résultat de
l’élection présidentielle de 2004, opposant
Viktor Ianoukovitch à Viktor Iouchenko, on
constate une partition du pays en deux, que
confirme l’élection de 2010, opposant Ioulia
Timochenko, considérée comme pro-européenne, à
Victor Ianoukovitch, pro-russe: les
cartes des résultats des deux élections sont
pratiquement superposables avec à l’Est une
majorité pour le candidat pro-russe et à
l’Ouest une majorité pour le candidat
pro-occidental.
Or
cette partition correspond assez largement à
la carte linguistique du pays : on parle
plutôt russe à l’Est, plutôt ukrainien à
l’Ouest. Et il en va un peu de même en ce qui
concerne les religions : les catholiques
sont majoritaires à l’Ouest du pays, , les
orthodoxes à l’Est. C’est-à-dire que dans l’ensemble
délimité par les « frontières de
l’Ukraine », mises à mal par
l’expansionnisme russe, nous voyons apparaître
deux sous ensembles : les résultats des
élections présidentielles, la répartition des
langues dominantes et les religions concordent
en grande partie.
Or
l’église orthodoxe d’Ukraine est depuis
longtemps mise sous la tutelle directe du
patriarche de Moscou, ce qui est une façon de
plus pour le régime de Poutine de contrôler ce
voisin qui aiguise ses appétits. Mais il vient
de se produire une petite révolution : le
patriarcat de Constantinople (quelque chose
comme le Vatican des orthodoxes) vient
d’accorder à Kiev l’autocéphalie, c’est-à-dire
l’indépendance spirituelle et juridique, et le
droit d’avoir son propre patriarche. Il s’agit
d’un coup dur pour Moscou, qui perd environ un tiers de ses églises et ne peut
plus prétendre au statut de premier patriarcat
au monde, ou de rival du patriarcat de
Constantinople. En gros, Poutine a certes mis
la main sur la Crimée mais il vient de perdre
une bataille politico-religieuse.
Comme
quoi les frontières peuvent être polysémiques,
avoir à la fois un sens politique, linguistique, religieux,
et la tendance à faire coïncider ces espaces
parfois différents est sans doute l’une des
marques du nationalisme.
9
octobre 2018 : Irresponsabilités

Chaque semaine ou presque, et
depuis longtemps, les media nous
alarment : « Bientôt il sera trop
tard », « Maintenant ou
jamais », « la maison brûle et nous
regardons ailleurs », « que
lèguerons-nous à nos enfants »,
« éviter l’ingérable », « gérer
l’inévitable », « où va la
planète ? » Et le récent rapport du
GIEC a multiplié ces appels à la prise de
conscience. Tout le monde le sait, et tout le
monde s’en fout. Mais cette inconscience ou
cette irresponsabilité collectives ne
concernent pas que le climat.
Dimanche, au Brésil, Jair
Bolsonaro a recueilli au premier tour de
l’élection résidentielle 46% des voix.
Bolsonaro, vous connaissez ? Un militaire
venu à la politique, misogyne, homophobe,
raciste, anti-droits de l’homme, soutenu par
les églises évangélistes, les fazendeiros de
l’agrobusiness et par tout le monde
économique, qui rêve de ramener son pays à
l’ère des « gorilles », cette dictature qui a muselé le pays de
1964 à 1985. C’est loin le Brésil, ça ne nous
concerne pas ?
Regardons plus près de nous.
Lundi, en Italie, Marine le Pen et Matteo
Salvini ont paradé, affirmant leur volonté de
construire un axe fort à Bruxelles, de
détruire l'Europe de l’intérieur grâce aux
élections à venir, avec sans doute le FPÖ
autrichien, le KNP polonais. FPÖ est le sigle
de Freiheitliche
Partei Österreischs, « parti de la
liberté d’Autriche », les mots ne coûtent
pas cher. Et KNP signifie Kongress
Nowej Prawicy, « Congrès le la
Nouvelle droite ». Nouvelle droite, ça ne
vous fait pas frémir ? N’oublions pas
Orban en Hongrie, chantre du nationalisme ou
Netanyahou en Israël, qui lui aussi ne sait
pas vraiment ce que signifie « droits de
l’homme », surtout quand l’homme ou la
femme sont palestiniens. Tout cela est moins
loin que le Brésil, non ?
Et en France ? Wauquiez, Le Pen,
Dupont-Aignan et la « manif pour
tous » vont d’une façon ou d’une autre
converger un jour pour nous donner une belle
extrême droite (ou une nouvelle droite) qui n’aura
pas grand mal à cueillir le pouvoir. Face à
cette menace, quoi ? La gauche est
incapable de se confronter intellectuellement
aux problèmes qui font le miel de cette
extrême droite (les réfugiés, le racisme, le
nationalisme pais aussi la retraite ou le
déficit). Macron, propre sur lui et lisse
comme un banquier qui sort de l’ œuf, bluffe
mais dérape sans cesse, se casse les dents et
montre à ceux qui ont cru en lui son
incapacité à agir sur la situation. Mélenchon
poursuit sa démarche solitaire de populiste de
gauche, sachant très bien qu’il n’aura jamais
seul la moindre majorité.
L’inconscience et l’irresponsabilité ne
concernent pas seulement la situation
écologique de la planète. Elles concernent
aussi notre avenir politique. L’extrême droite
est à nos portes, et nous regardons ailleurs.
2
octobre 2018 :
Obsèques... et hommage

Le 19 avril 1980, plus de
50.000 personnes accompagnaient la dépouille
de Jean-Paul Sartre vers le cimetière du
Montparnasse. Deux semaines auparavant, seuls
des amis assistaient à la levée du corps de
Roland Barthes, qui sera enterré dans un petit
cimetière à Urt, dans les
Pyrénées-Atlantiques. Deux morts, deux
traitements différents. En octobre 1978,
Jacques Brel, mort à l’hôpital de Bobigny,
était enterré discrètement dans un petit
cimetière, aux îles Marquises. Le 31 octobre
1981, Georges Brassens était enterré dans
l’intimité à Sète. En juillet 1993, c’était au
tour de Léo Ferré, enterré à Monaco, en
présence de quelques proches. Dans tous ces
cas, des personnalités publiques, célèbres,
dont les obsèques étaient plus ou moins
discrètes. Mais, dans tous les cas aussi, ce
n’étaient pas les pouvoirs publics qui en
décidaient.
Plus récemment, le 5 décembre
2017, mourraient Jean d’Ormesson et Johnny
Hallyday. Le premier eut droit à une cérémonie
discrète, le second à des obsèques quasiment
nationales.
Il y a eu en France, depuis
1885, un
peu plus d’une quarantaine d’obsèques
nationales, celles de quelques écrivains
(Victor Hugo, Pierre Loti, Maurice Barrès,
Paul Valery, Colette, Aimé Césaire), d’une
dizaine de militaires, d’une quinzaine de
politiques et d’une artiste, Joséphine Baker.
Sous la quatrième république, il fallait une
loi pour octroyer cet honneur, sous la
cinquième il suffit d’un décret du président.
Mais cette tendance croissante à vouloir
réserver à certains disparus un cérémonie
officielle particulière est étrange. Les dernières obsèques nationales, en
2008, étaient celles d’un certain Lazare
Ponticelli, dont peu de gens connaissent le
nom. Il s’agit du dernier vétéran français de
la seconde guerre mondiale. Mais le général de
Gaule n’a pas eu droit à cet honneur. Allez
comprendre ! Voici donc que des voix
s’élèvent pour réclamer qui un hommage
national qui des obsèques nationales pour
Charles Aznavour.
Il n’est pas question pour moi
d’établir un baromètre de la notoriété ou du
mérite, et d’ailleurs Aznavour a droit au
moins aux mêmes égards qu’Hallyday. Des
obsèques nationales ? Cela aurait peu de
sens.
Mais c’est un immense chanteur
qui vient de disparaître. Je ne l’ai que très
peu connu mais je voudrais moi aussi lui
rendre un petit hommage discret, à mon
échelle. En 1991, je publiais une biographie
de Georges Brassens, aux éditions Lieu Commun.
Mon éditeur, Gérard Voitey, était également
notaire, en particulier le notaire de Charles
Aznavour. C’est un ami, Gérard Davoust, qui
m’avait mis en rapport avec Voitey, Davoust
qui était aussi l’associé d’Aznavour à la
direction des éditions musicales Raoul Breton.
Et Aznavour s’était bizarrement investi dans
la promotion de mon livre. Nous avions mangé
deux ou trois fois ensemble, et un soir qu’à
Bobino, Alice Dona présentait un spectacle
Brassens avec les élèves de son école de
chanson, dans le hall je signais mon bouquin.
Et Aznavour s’était subitement transformé en
bonimenteur, interpellant les gens :
« Achetez le livre de Calvet, il est
excellent ». Il s’amusait comme un gamin
dans ce rôle que personne ne lui avait demandé
de jouer. Mais, même si beaucoup parlent de
son ego, il m’était apparu ce jour-là sous un
aspect tout différent: désintéressé,
généreux et surtout marrant.
C’était juste un petit hommage.
Et il aura les obsèques que voudra sa famille.
23
septembre 2018 :
Baptême

Dans le Journal du dimanche d’aujourd’hui, un article sur un tournoi de
golf parle du joueur
« Nord-irlandais » Rory Mcliroy.
L’homme est effectivement né en Irlande du
Nord, ce qui signifie qu’il doit avoir un
passeport britannique. Le qualifier de
« joueur britannique » ne serait
donc pas faux, mais aurait sans doute des
connotations différentes. Je suis incapable de
dire si ce changement de nomination aurait
entraîné des troubles, en d’autres termes je
ne sais pas quelle est la formulation
« politiquement correcte », mais ce
droit de nommer, ou de baptiser, est la
première violence faite aux êtres humains. Les
parents ont ainsi le droit de choisir le
prénom que leur enfant portera toute sa vie,
comme Christophe Colomb se donnait le droit de
baptiser les îles qu’il
« découvrait » dans la mer des
Caraïbes.
Or il se passe actuellement au
Liban un débat de nomination porteur
d’opposition violente. Un certain Moustapha
Badreddine, dont j’ignorais jusqu’ici le nom,
est en effet au centre d’une violente
polémique. Ce Badreddine est en effet accusé
par le Tribunal Spécial pour le Liban d’avoir
été l’un des organisateurs en 2005 de
l’assassinat de l’ancien premier ministre du
Liban, Rafiq Hariri. Mais Badreddine était en
outre un chef militaire du Hezbollah, qui a
été tué en 2006 à Bagdad, qui comme on sait
n’est pas une ville libanaise mais syrienne.
Dès lors, comme le qualifier
(ou baptiser) ? Terroriste ?
Assassin ? Combattant ? Le Hezbollah
a choisi : martyr. Et la municipalité de
Ghobeiry, dans le sud de Beyrouth, vient de
rebaptiser une artère rue
du martyr Moustapha Badderine. On imagine
la réaction du premier ministre, Saad Hariri,
fils de Rafiq. Pour compliquer encore les
choses, il tente depuis longtemps de
constituer un gouvernement, dans lequel
devrait figurer le Hezbollah, mais cette
histoire de nom de vue complique
singulièrement les choses.
Je n’ose proposer rue
de l’olivier, ou rue
de la colombe...
12
septembre 2018 :
L'un souille, l'autre pas

Il est donc probable que le
prochain président de l’Assemblée Nationale ne
soit pas une présidente et que Richard Ferrand
soit élu à ce poste. Il faut dire qu’il a
toutes les compétences requises. Conseiller
général PS du Finistère, puis conseiller
général PS de Bretagne, élu en 2012 député PS
(je sais, j’ai répété trois fois PS, et je
vais récidiver) il est alors considéré comme
proche de l’aile gauche du PS. Et puis,
abracadabra, il devient subitement l’un des
premiers soutiens de Macron, dès octobre 2016.
Pendant la campagne présidentielle, alors que
Fillon se débat dans les affaires, Ferrand
déclare que cela « souille tous les élus
de France » (hou ! le vilain
Fillon). Il devient ministre, alors qu’il
traîne lui aussi une casserole (une magouille
présumée dans les mutuelles de Bretagne grâce
à laquelle il aurait permis à sa compagne
d’acquérir dans les conditions douteuses un
bien immobilier). Et, à la mi-juin 2017 il
quitte le gouvernement pour devenir président
du groupe La République en Marche à
l’assemblée. Un joli parcours, rapide et
sinueux si l’on se souvient que deux ans avant
il était... à la gauche du PS.
Le voici donc sur le point de
devenir président de l’assemblée.
Problème : l’affaire des mutuelles de
Bretagne est relancée par une nouvelle plainte
(de l’association Anticor) en cours
d’instruction. Et un journaliste de Libération lui demandait hier s’il démissionnerait
en cas de mise en examen. Sa réponse est
exemplaire. Il rappelle tout d’abord de beaux
principes : « séparation des
pouvoirs », « différence radicale
entre une mise en examen... et ce qui procède
simplement d’une plainte », puis
conclue : « Quoiqu’il en soit, une
décision procédurale n’a pas vocation à
décider de l’exercice d’un mandat
parlementaire ».
Je ne sais pas comment vous
analysez cette dernière phrase, mais je la
traduirais volontiers de la façon
suivante : « je vous emmerde et
j’emmerde les décisions procédurales, je suis
élu, je le reste ». Hasard du calendrier,
le même jour, Alexandre Benalla refusait de se rendre devant la
commission d’enquête du Sénat (il changera
d’avis le lendemain). Et, dans les deux cas,
on croit entendre, comme en voix off :
« nous sommes intouchables ». Il y a
là une grande arrogance
C’est le 3 mars 2017 que
Ferrand voyait dans l’affaire Fillon une
souillure pour tous les élus de France. Or
Fillon ne sera mis en examen que le 14 mars.
Il était donc à peu près dans la même
situation que Ferrand aujourd’hui. Mais il
nous faut bien conclure que l’un souille,
l’autre pas.
4
septembre 2018 : Bigorneau

Il était, bien sûr, difficile
de remplacer Nicolas Hulot, le plus populaire
des ministres, le plus médiatique. Le pâlot
François de Rugy a dont été choisi, et les
commentateurs le qualifient de
« macronien pur jus », élu député
avec l’étiquette de la République en marche et
soutien inconditionnel du président. En fait
les positions politiques du nouveau ministre
ont toujours été à dimension variable. D’abord
élu député comme écologiste, il rejoint le groupe
socialiste en 2016, participe à la primaire du
PS en 2017, y obtient 3,88% des voix (ce qui
témoigne de l’importance de son envergure),
s’engage à défendre le vainqueur, Benoît
Hamon, mais s’empresse de retourner sa veste
pour soutenir Macron et se fait réélire député
sous son drapeau. Bref c’est un politicien
moyen (je veux dire dans la moyenne :
avec des convictions politiques fluctuantes),
qui ne gênera jamais le gouvernement. Il ne
dira jamais un mot plus haut que l’autre, ne
menacera jamais de démissionner, bref il
respectera les codes.
Un chroniqueur de Libération écrit ce matin que ce remplacement ne changera
rien : « Qu’il s’agisse de Hulot,
d’une plante verte, de François de Rugy, d’un
bigorneau ou du pape, le résultat sera le
même ». A une différence près,
peut-être : Hulot était un bigorneau
vivant, frais, alors que Rugy est un bigorneau
surcuit.
31
août 2018 : Causes et effets

J’ai vu dans le New
York Times International Weekly de
cette semaine un article dont le titre,
« In East Ukraine, War brings more
wolves » m’a intrigué. Après lecture, il
s’agissait d’abord d’un paysan qui a été mordu
par un loup, de divers chiens tués par les
loups, d’un pêcheur attaqué par un renard,
mais, derrière tout cela, d’un entraînement de
causes et d’effets qui mérite d’être conté.
A l’Est de l’Ukraine, là où se
manifestent depuis quelques années les
appétits territoriaux de la Russie, la chasse
est désormais interdite sur une bande de
soixante kilomètres le long de la ligne de
front entre les forces ukrainiennes et les
séparatistes pro-Russes (et, mais cela est nié
par la Russie, également des forces russes).
Fort bien, et fort sage : n’importe qui
portant un fusil pourrait être pris pour un
belligérant et descendu par un véritable
belligérant le prenant pour quelqu’un du camp
adverse.
Premier résultat, la population
de faisans et de lièvres a subitement augmenté
de façon notable. Normal, puisqu’on ne les
chasse plus, ils se multiplient, bien à l’abri
des balles des chasseurs.
Deuxième résultat, cette
profusion de proies attire les prédateurs.
Normal : là où il y a à bouffer, il y a
des bouffeurs. C’est donc la population de
loups et de renards qui a subitement augmenté
dans cette zone sans chasseurs et pleine de
gibier.
Problème : le pêcheur
attaqué par un renard l’a tué et ramené, et un
vétérinaire a constaté qu’il était porteur de
la rage.
Conclusion sous forme de
constatations et d’une question.
Les constatations : les
Russes veulent prendre une partie de
l’Ukraine, ils lancent une guerre civile, les
chasseurs sont interdits le long de la ligne
de front, le gibier y prospère, les prédateurs
en profitent, certains d’entre eux sont
porteurs de la rage et attaquent les êtres
humains.
Question : les Russes
sont-ils propagateurs de la rage ?
28
août 2018 : Un peu de
fraîcheur

Non, je ne vais pas vous parler
de la canicule (encore que...) mais de la
démission, hier et en direct sur France Inter, de Nicolas Hulot.
D’habitude les choses se
passent très différemment : un communiqué
de Matignon disant que Monsieur ou Madame X a
présenté sa démission pour des « raisons
personnelles » et que le premier ministre
l’a acceptée, même si c’est en fait le premier
ministre qui l’a viré. De ce point de vue,
Hulot a créé un précédent, ne prévenant
personne, sans doute pour éviter qu’on
dénature le sens de sa décision avant qu’il
ait le temps de s’expliquer publiquement. Et
il s’ensuivit une véritable panique. Il
fallait voir la gueule de Benjamin Griveaux,
transfuge du PS où il n’avait jamais occupé de
poste très important et désormais porte-parole
d’En Marche ! Interrogé par le
journaliste Jean-Jacques Bourdin sur BFMTV, et
privé d’éléments de langage, Il ne pouvait que
parler « d’absence de courtoisie »
(le fait de démissionner sans prévenir). Il
fallait aussi voir aussi celle de Marlène
Schiappa interrogée par Guillaume Durand sur
Radio Classique. Il lui parle d’abord des
propos du pape sur l’homosexualité, elle
répond comme quelqu’un qui récite une leçon,
il l’interroge sur sa loi, elle argumente,
puis sur la loi sur les fake news, elle
continue à répondre en déroulant un discours
convenu et boum, il annonce que Nicolas Hulot
vient de démissionner. Elle se fige, puis se
met à rire et répond « c’est une
plaisanterie ?! », ajoute qu’il faut
vérifier, insinue que c’est peut-être encore
un coup de fake news.
Et bien non, ce n’était pas une
plaisanterie ni une fausse nouvelle! Et
ces deux séquences sont une parfaite
illustration des limites de la profession
politique. Le pétrole, le nucléaire, le
réchauffement climatique, le glyphosate et
j’en passe, nous sommes confrontés à une crise
inimaginable il y a cinquante ans, tout le
monde le sait et tout le monde s’en fout.
D’ailleurs, lorsque Hulot a essayé de faire
avancer la date d’interdiction du glyphosate,
les députés de la France en Marche ont voté
contre. Je n’ai personne derrière moi, pas de
parti qui me soutienne a-t-il dit. Il est vrai
que les Verts ne pèsent pas lourd. On disait
naguère que le plus grand parti de France
était celui des anciens membres du Parti
Communiste. Nous pourrions dire aujourd’hui
que le parti le plus inefficace, le plus
inutile, est celui des écologistes, ou plutôt
la galaxie des petites sectes qui passent leur
temps à se dénigrer les unes les autres.
Hulot, sans le savoir
peut-être, a jeté la lumière sur cette
profession politique remplie de gens faisant
la queue pour obtenir un poste de ministre,
n’importe lequel, même s’ils n’y connaissent
rien. Il a apporté un peu de fraîcheur dans ce
milieu, expliquant que les lobbyistes opèrent
jusque dans les bureaux de l’Elysées. Car
c’est bien là le problème. Il y a un millions
de chasseurs en France, ce qui donnerait selon
les spécialistes trois millions d’électeurs si
on y ajoute les familles de chasseurs. Alors
Macron les caresse dans le sens du poil. Et
les paysans, qui défendent leur droit au
glyphosate, c’est-à- dire à la
pollution ? Ils représentent aujourd’hui
3,6% de la population française, et l’élection
présidentielle se joue en général à 3% des
voix (sauf lorsqu’il y a un Le Pen au second
tout). Dès lors il faut, eux aussi, les
caresser dans le sens du poil. Et peu importe
les convictions, s’il y en a, quand la
prochaine élection est en jeu. On peut dire
tout ce que l’on veut pendant les campagnes,
tout promettre, mais on oublie tout cela au
moment de passer aux actes. Ce que
« l’affaire Hulot » dévoile, c’est
que Macron, celui qui a lancé avec fierté (et
en anglais) make
the planet great again, celui qui a
déclaré vouloir changer la politique, est
finalement un politicien comme les autres.

19
août 2018 : "Fake science"

Depuis environ deux ans je reçois, comme
je suppose beaucoup de mes collègues, des
courriers émanant de revues inconnues, en tout
cas inconnues de moi, disant qu’elles
publieraient volontiers un article de moi,
courriers que je mettais régulièrement à la
poubelle, sans chercher vraiment à savoir d’où
ils émanaient vraiment. Mais un long article
publié il y a quelques semaines dans Le Monde m’a éclairé. Traitant de ce qu’il appelait la « fake
science », la science bidon, le quotidien
expliquait qu’il y avait là un effet pervers
de la pression exercée sur les
enseignants-chercheurs. Publish
or perish dit-on en anglais, publier ou
crever, formule qui a été détournée :
« publier n’importe quoi... » Selon Le
Monde, à ceux qui répondent à ces courriers on demande très vite une
participation financière (c’est-à-dire qu’il
s’agit de publication à compte d’auteur), on
organise même des congrès bidon et, surtout,
toujours selon le quotidien, certains
laboratoires paient les frais de ces
publications ou de ces colloques pour leurs
chercheurs. J’ai même appris en passant que
l’université française qui utilisait le plus
cette façon frelatée de faire croire qu’on
faisait de la recherche de pointe était celle
à laquelle j’ai appartenu à la fin de ma
carrière, l’université d’Aix-Marseille.
Or voici que la façon de draguer de ces
revues a évolué. Il y a une quinzaine de jours
j’ai reçu un message d’un International
Journal of Language and Linguistics beaucoup plus personnalisé que les précédents. Le voici :
Dear Calvet L-J, Warm greetings from the
editorial office !
It is learnt that you have published a
paper titled Pratiques
des langues en France, Oui mais de quoi
parlons-nous in Langage
et Société and the topic of the paper
has impressed us a lot.
Researchers
specializing
in a wide range of disciples have expressed
keen interests in your paper. Aiming at promoting the communications within scientific
community, specialists and professionals in
different fields can get the cutting-edge
research results from International
Journal of Language and Linguistics. In
view of the advance, novelty, and potential
wide applications of your innovation, we
invite you to send other unpublished works
of similar themes to the journal. We are
also quite looking forward to receiving your
further research on the published paper. If
you have any interest, please refer to the
following link for more information:
http://www.journaloflanguage.org/submission
La
référence à mon article était exacte, ce qui
signifie que le logiciel servant à rechercher
des gogos avait été amélioré. Une revue
« scientifique internationale » qui
propose de publier des articles qu’elle n’a
pas lus, cela n’est pas banal. Mais vous
imaginez la réaction de jeunes chercheurs
naïfs qui ont besoin d’étoffer leur CV ?
Ils doivent se précipiter sur ce genre de
propositions comme la vérole sur le
bas-clergé. Reste bien sûr à savoir si les
autorités universitaires qui auront à évaluer
ce CV seront dupes. Mais tout est possible,
surtout si les évaluateurs ont partie liée
avec cette « fake science ».
En
effet, ce matin, j’ai reçu un autre courrier
du même émetteur, qui commençait de la même
façon, « Dear Calvet L-J, Warm greetings from the
editorial office !
It is learnt that you have published a
paper titled Pratiques
des langues en France, Oui mais de quoi
parlons-nous in Langage
et Société and the topic of the paper
has impressed us a lot.
Researchers specializing in a
wide range of disciples have expressed keen
interests in your paper», et poursuivait :
« On behalf of the Editorial Board of the journal, it
is privileged for us to invite you to join our
team as the editorial board member/reviewer of International Journal of Language and
Linguistics. Your academic background
and professional and rich experience in this
field are highly appreciated by us. It is
believed that your position as the editorial
board member/reviewer will promote
international academic collaborations ».
Ici encore, des collègues peut-être moins naïfs que les
jeunes chercheurs pourraient sauter à pieds
joints sur cette proposition. Appartenir au
comité de rédaction d’une revue
internationale, quel honneur !
Bref, j’ai autre chose à faire qu’à poursuivre ces
investigations, que Le
Monde a d’ailleurs parfaitement menées,
mais il y a là une pollution du système
d’évaluation de la recherche qui mériterait
une enquête. Il serait d’ailleurs savoureux si
l’on découvrait que certains
« mandarins » étaient tombés dans le
panneau. Mais j’ai sans doute mauvais
esprit...

17
août 2018 : Etats voyous

« Rogue
state »,
cette expression utilisée pour la première
fois par Ronald Reagan (déjà un canard à la
Maison blanche) à l’endroit de la Libye, puis
remis à la mode par Bush junior et Colin
Powell, est aujourd'hui au centre de la
politique étrangère US et de sa
rhétorique : les Etats qui ne respectent pas
les lois internationales, qui ne se plient pas
aux désirs américains, qui gênent leurs
intérêts sont décrétés voyous. Fort bien.
Mais,
à
y réfléchir, il y a deux états voyous,
complices de surcroît, qui dominent dans cet
« axe du mal » cher à Bush :
les USA et Israël. Le nombre des résolutions
de l’ONU auxquelles ces deux pays se sont
seuls opposés est important, plus encore celui
des résolutions votées par l’ONU que ces deux
pays, toujours eux, ne respectent pas. Voter
contre ou s’abstenir est leur droit le plus
strict, ne pas respecter une résolution en
revanche relève d’une voyoucratie qui, en
toutes occasions, ne se préoccupe que d’une
seule chose, les intérêts d’Israël, et
accessoirement les intérêts électoraux du
pouvoir américain.
Dans
notre
culture politique correcte, il devient délicat
de critiquer Israël sans être immédiatement
traité d’antisémitisme. Et Israël a en outre
développé une ruse sémantique sournoise lui
permettant de traiter d’antisémite toute
critique de sa politique. Ce pays se donne le
droit de faire ce qu’il veut, d’installer des
colonies dans les territoires palestiniens au
mépris des lois internationales, bref de se
comporter comme un état voyou avec le soutien
indéfectible des USA et d’une grande partie le
l’opinion juive mondiale.
La
loi que Netanyahou a fait voter le 19 juillet
dernier va encore plus loin. Revenant sur le
principe d’égalité que David Ben Gourion avait
mis, en mai 1948, au sein de la déclaration
d’indépendance, elle institue
« légalement » un état raciste, avec
les citoyens de deuxième zone, les arabes
palestiniens, dont même la langue, jusque là
co-officielle, est raturée. L’un des résultats
de cette vilénie, auquel l’extrême droite
israélienne n’avait pas pensé, est que les
Druzes, jusqu’ici fidèles au pouvoir, se
retournent aujourd’hui contre lui. Un autre
est que la société israélienne se fissure, que
l’opposition depuis longtemps muette se
regroupe. Mais le pire est ailleurs. Ce petit
pays, dont la création répondait à la barbarie
nazie, aurait dû être une démocratie
exemplaire. Il bafoue depuis de longues années
les principes démocratiques. Voilà qu’il
évolue officiellement vers une sorte
d’apartheid honteux, vers un pays fondé sur
une « race » et une religion, un
pays dans lequel les minorités seraient
opprimées, les ultra-orthodoxes dominants,
bref vers une dictature théologique, un modèle régulièrement dénoncé, paradoxalement
celui d’un certain nombre des pays
arabo-musulmans.
Bien
sûr
la cour suprême peut encore invalider cette
loi, nous verrons, mais la séparation des
pouvoirs, l’un des piliers de toute
démocratie, devient de plus en plus poreuse au
pays de Netanyahou. Et qu’on ne me dise pas
que noter cela, signaler que ce pays dérape de
plus en plus, comme d’autres pays
régulièrement dénoncés par les USA, est de
l’antisémitisme.

5
août 2018 : La voix de son
maître

« L’affaire » Benalla, qui aurait pu
être un simple fait-divers, a fonctionné comme
un révélateur, sans doute à cause des longs
flottements dans la communication politique.
Nous avons vu un porte-parole de l’Elysée,
figé devant la caméra, ne dire pratiquement
rien, deux ou trois ministres se contredire,
et pour le reste un silence assourdissant.
Christophe Castaner, délégué général de LREM
et Richard Ferrand, président du groupe
parlementaire, d’habitude très bavards,
fuyaient les caméras tandis que les députés
LREM semblaient pétrifiés, désarmés, perdus.
Cette « affaire » ne donnait pas
seulement à voir des disfonctionnements de
l’Elysée, elle mettait en pleine lumière le
fonctionnement d’un groupe politique attendant
l’épiphanie (du grec epiphâneia, « apparition du verbe »),
incapable de raisonner sans avoir reçu l’aide
d’éléments
de
langage.
Cela
fait
une trentaine d’années que cette expression
est apparue dans le vocabulaire politique et
dans les media, façon faussement technique de
désigner une chose toute bête : dès qu’il
y a un sujet brûlant tous ceux qui peuvent
être interrogés par la presse reçoivent un
message leur disant ce qu’ils doivent dire.
Nous avons tous entendu, d’une station de
radio à l’autre, d’une chaîne de télé à
l’autre, le personnel politique répondre
strictement de la même façon aux questions,
incapable souvent de commenter, de faire la
moindre digression. Un peu comme des candidats
à un examen qui apprennent par cœur les réponses aux questions qu’on leur
posera et les recrachent ensuite mot pour mot.
Ce type d’argumentaire, avec des formules
toute faites, des petites phrases qui
frappent, a pour effet de laisser croire à une
cohérence : ils disent tous la même
chose, donc ce doit être vrai. L’ennui est
qu’il atteint souvent le but inverse. Et, dans
le cas de LREM, cela tourne à un véritable
psittacisme : des députés qui, comme des
perroquets, répètent des mots ou des phrases
dont on a l’impression qui les comprennent à
peine. Ils ressemblent à ces enfants qui
récitent le catéchisme, ou à ces « fous
de Dieu » qui ânonnent des passages du
Coran. En fait les députés que les électeurs
ont envoyés à l’Assemblée nationale sont
surtout, dans leur grande majorité, des
novices en politique. Le groupe LREM attend la
voix de son maître pour aller ensuite la
répandre à l’envi. Et lorsque le maître n’a
pas encore parlé, il se tait. Puis,
l’épiphanie tombée du ciel élyséen, il se
précipite et récite.
Cela peut s’appeler du l’analphabétisme
politique ou religieux, ou du prêt-à-penser,
comme on voudra. Et cela me fait penser à une
formule de François Bayrou, que je ne cite
pourtant pas souvent : « Si nous
pensons tous la même chose, alors nous ne
pensons rien ».

4
août 2018 : Petite chienne

Le spectre de la canicule semble hanter
les responsables politiques, puisque nous
apprenons que la ministre de la santé a reculé
ses vacances afin de pouvoir veiller au grain
(je sais, cette expression est mal
venue : de grain, justement il n’y en pas
et on en voudrait bien), et les media en font
leurs choux gras (même si la sécheresse rend
les choux assez rares sur les marchés). Cela
me rappelle un billet que j’avais mis sur ce
blog il y a bien longtemps (en 2006) et que je
recycle en partie aujourd’hui. Car derrière la
chaleur, les vapeurs, les ventes de
climatiseurs et l'augmentation de la
consommation en électricité, canicule dit au linguiste une histoire plus drôle.
J’expliquais donc il y a douze ans que le mot
vient du latin canicula, diminutif de canis, qui signifiait "petite chienne"
(A propos, nous avons en français un mot pour
désigner le "petit chien", chiot, mais
rien pour la "petite chienne", chiotte étant
utilisé en un autre sens... Que font les
féministes ?). Mais revenons à la
canicule. Le mot latin va être utilisé pour
désigner une étoile, Sirius, que l'on appelait
aussi "Chien d'0rion". Or cette étoile se lève
et se couche en même temps que le soleil entre
le 23 juillet et le 24 août, c'est-à-dire au
moment des plus grandes chaleurs. Cette
période a donc été nommée canicule (canicola en italien, canicula en espagnol) par
référence aux mouvements de Sirius en un point
donné de l’année. Et comme, malheureusement,
la canicule ne se limite pas aux 23 et 24
juillet mais déborde largement sur août, le
mot a pris le sens plus large que nous
connaissons aujourd’hui, perdant son lien avec
le calendrier.
Chienne de vie.

3
août 2018 : Ouaf Ouaf et
cocorico

Après les animaux privés de viande,
voici les animaux condamnés à mort ! Rassurez-vous (ou désespérez-vous),
je ne suis pas un défenseur acharné des droits
des animaux, même si une amies algérienne,
Dalila, m’a dit un jour que j’étais presque un
arabe, « presque » parce que
j’aimais les animaux... Bref, en Colombie, le puissant cartel
de narcotrafiquants dit « cartel du
golfe » a mis à prix la tête d’un chien,
ou plutôt d’une chienne, qui porte le nom de
Sombra. Elle travaille à la brigade des
stupéfiants et a pour métier de savoir
détecter grâce à son flair la cocaïne. Elle
aurait ainsi à son palmarès dix tonnes de
cocaïne et 245 arrestations de trafiquants à
l’aéroport El Dorado de Bogota. Le
« cartel du golfe » a donc promis
environ 6.000 euros à quiconque l’éliminerait.
Vous me direz que 6.000 euros ce n’est pas
cher pour un tel flair, mais ça fait plus
sérieux en pesos colombiens : 20
millions. Il ne fait pas bon être chien
renifleur en Colombie...
Il est préférable d’être poulet...
Enfin poule ou coq ou poulet au Liban. En
effet on a découvert au siège d’Electricité du
Liban, à Beyrouth, un étage entier consacré à
l’élevage de ces gallinacés. Qu’est-ce que les
poules, les coqs et leurs rejetons ont à voir
avec la production d’électricité ? Rien ! Enfin, pas grand-chose.
Ce n’est pas que les employés d’Electricité du
Liban aiment particulièrement les œufs, les
omelettes, le poulet rôti ou le blanc de
poulet, non. Ou du moins je n’ai aucune
information sur ce point. C’est que le siège
d’Electricité du Liban serait le seul endroit
de la capitale où il n’y a pas de coupures
d’électricité. Ainsi ces gallinacés jouissent
en permanence d’éclairage, de chaleur ou de
climatisation. On peut aussi imaginer qu’après
abattage on les conserve au congélateur sans
risque de panne.
Le « cartel du golfe » n’a
pas songé à mettre Sombra dans un congélateur,
peut-être parce que là-bas aussi il y a
beaucoup de pannes d’électricité. En revanche,
les poulets libanais se moquent comme de leur
premier plumage de la canicule.
Tiens ! A propos de canicule...
Mais j’y reviendrai demain.

28 juillet 2018 : Ouaf Ouaf!
Nous vivons une époque complètement
folle ! Un certain nombre de marques
proposent des aliments végans pour chiens et
chats. Oui, vous avez bien lu : des
aliments végans pour chats et chiens. Comment
chacun sait, le chat est carnivore, et vous en
avez sans doute vus jouer avec un oiseau ou
une souris avant de les dévorer.. Quant au
chien, il est omnivore, donc carnivore, et là
aussi vous en avez vus croquer un os ou
dévorer un bout de barbaque. J’ai eu dans ma
vie une chatte et un chien. La chatte
s’appelait Louise Michel et le chien Mandrin.
Elle aurait fait une drôle de tête si je lui
avait servi de la salade, et il aurait boudé
si j’avais mangé devant lui un gigot d’agneau
sans lui en donner les reliefs.
Vous allez me dire que tout le monde
peut changer de comportement. Oui. Nous
pourrions (enfin, ils pourraient) organiser
des stages pour des lions, ou des alligators, afin de les convaincre que ce n’est pas bien
de manger son prochain. J’aimerais beaucoup
voir ça. Je peux même leur fournir une
adresse, en Louisiane, où j’ai travaillé avec
des éleveurs et chasseurs d’alligators (pour
être plus précis je travaillais sur la langue
qu’ils parlaient, leur créole). Et j’imagine
la révolte de ces bêtes que l’on voudrait
priver de leur nourriture habituelle et
naturelle.
Allons plus loin. Imaginez un syndicat
des chiens, un autre des lions, un troisième
des requins, revendiquant le droit de bouffer
ce qu’ils veulent. Ce serait plaisant,
non ? Et s’ils réalisaient l’union
syndicale? Si le SAA (le syndicat des animaux
affamés) décidaient de mener des opérations
nutritives en dévorant systématiquement ceux
qui veulent le priver de viande ?
Les végans se déclarent antispécistes,
c’est-à-dire qu’ils refusent l’exploitation
d’une espèce animale par l’espèce humaine.
Fort bien, c’est leur problème, ils peuvent
bouffer des légumes ou des graines à leur
guise. Mais ce qui apparaît ici, c’est la
volonté d’imposer son idéologie à une espèce
qui n’a rien demandé. Et vouloir imposer à un
chat ou à un chien de ne pas manger de la
viande, n’est-ce pas du spécisme ? A
moins que ce ne soit du racisme, ou du
fascisme...
Mais s’ils veulent absolument imposer
leur volonté à leurs animaux, les
antispécistes peuvent adopter des cobayes ou
des lapins. Pas des oiseaux, ils mangent des
vers. Ni des députés de la République en
marche : ils avalent tout.

13
juillet 2018 : sans commentaire...

Sans commentaire, ou silmplement
celui-ci: Ce mélange de langues que dénonce la
Haute Autorité tunisienne est celui que mes
collègues et mes amis tunisiens utoilisent
souvent entre eux. Ce qui ne les empêchent pas
d'être d'excellents chercheurs et de publier
en arabe ou en français.
La Haute Autorité Indépendante de la
Communication Audiovisuelle (HAICA) a mis en
garde les radios Express Fm et Misk FM car
leurs animateurs et chroniqueurs “utilisent
une langue qui repose sur un mélange entre le
dialecte tunisien et la langue française”. Selon la haute
autorité, cela contrevient à l’article 28 du
cahier des charges relatif à l’octroi d’une
licence radiophonique mais également
l’article 4 de la Convention relative à la
création et à la diffusion signées par les
deux radios avec la HAICA.
Cet article 4 affirme que: “Les
programmes doivent être présentés en langue
arabe et en dialecte tunisien et peuvent être
présentés dans une langue étrangère
(principalement en français ou en anglais) à
condition que ces programmes ne dépassent pas
les 2 heures par jour”.
“Plusieurs de vos journalistes
n’appliquent pas les dispositions de l’article
4 de la convention de création et de diffusion
d’une chaine radiophonique privée (...) et
utilisent une langue basée sur un mélange
entre le dialecte tunisien et la langue
française” s’adresse l’Instance aux deux
radios, ce qui représente selon elle “une
contravention au cahier des charges”.
Mettant en garde Express FM et Misk,
la HAICA recommande de “ne plus utiliser une
langue basée sur le mélange entre le dialecte
tunisien et la langue française” et appelle ”à
présenter les émissions dans une seule langue
claire et précise” que ce soit en arabe, en
dialecte ou dans une langue étrangère.
Contactée par le HuffPost Tunisie, la
chargée
des relations avec les médias à la HAICA
explique cette mise en garde. Selon elle,
celle-ci repose sur deux niveaux: d’abord au
niveau du cahier des charges qui oblige à la
“bonne utilisation d’une langue” ainsi qu’au
niveau de la convention qui dispose que la
langue doit être claire et précise: “Quand une
radio choisit la langue arabe et/ou le
dialecte tunisien, ces émissions doivent être
dans cette langue. Ensuite, elle peut avoir
une ou plusieurs émissions dans une langue
étrangère à partir du moment où ça ne dépasse
pas les 2 heures par jour”.
“Quand on parle en arabe et en
français, la langue n’est pas claire. Une
phrase en arabe suivie d’une phrase en
français, ou deux mots en arabes et deux en
français et un mot en anglais ne contribuent
pas à la clarté et à la précision de la
langue” explique-t-elle.
Pour elle, les principes de clarté et
de précision de la langue ont été basés sur un
ensemble de réflexions: “Bien sûr cela a été
pensé au profit des auditeurs mais aussi pour
les générations futures, en se posant la
question de savoir quelle est notre langue?”.
Cette convention qui dispose ces
règles à suivre a été le fruit de
concertations avec les médias mais aussi de
spécialistes: “Ce sont des experts et des
spécialistes en sociologie, en langues, en
musique et dans tant d’autres domaines qui ont
convenu de ces spécificités” a-t-elle conclu.

11
juillet 2018: Ancrage...

Les
Belges et les Français ont regardé hier le
match de demie finale de la coup du monde de
football dans des conditions et des situations
diverses. En famille, chez eux, parfois avec
des amis, dans des bars, en abusant parfois de
l’alcool, en plein air, sur des place
publiques, face à des écrans géants... Et,
après la victoire de la France, ce fut un
concert de pétards, de cornes de brumes, de
sifflets, de chansons...
Ma
compagne et moi, qui ne nous intéressons
nullement au foot et ne suivons jamais le
moindre match, avons pour notre part innové.
D’un côté l’écran de télévision, une chaîne
que nous ne regardons jamais, la une, mais qui
retransmettait le match, de l’autre la radio.
Nous avions coupé le son de la télé et
écoutions sur France Inter une émission
hilarante : des humoristes belges et
français, toute la bande de l’émission Par Jupiter, « commentaient » si l’on peut dire les ébats
des deux équipes. Plaisanteries, jeux de mots,
faux nationalismes, références à ce qui
passait sur une autre chaîne (une émission
consacrée au chanteur Michel Sardou),
conseillant même parfois de changer de
programme et, à la fin, la Belge Charline
Vanhoenacker lançant quelque chose comme
« maintenant je deviens française ».
Ca n’a
pas d’intérêt ? Pas sûr. On sait déjà
qu’une image sans son, une télé muette, est
encore une émission de sens. Vous regardez les
informations sans le son et vous avez une
petite idée de ce qui se dit, ou encore vous
faites des hypothèses, vous subodorez. Mais
lorsque le son n’a que peu de rapports avec
l’image, il se construit un autre sens, qui
peut-être comique, ou critique. Imaginez
l’image d’un discours d’un chef de l’état,
celui que vous voudrez, avec le son d’un autre
discours, celui d’un dictateur ou des Marx
Brothers ou de Woody Allen... Roland Barthes,
dans une analyse célèbre d’une affiche publicitaire des pâtes
Panzani avait
théorisé ce qu’il appelait « la fonction
d’ancrage » du texte, qui donne à l’image un sens
alors qu’elle peut en avoir plusieurs, être
polysémique. Hier les commentaires parfois
délirants de la bande à Charline donnaient un
autre sens au match. Quel sens de l’image ce
discours ancrait-il ? C’est bien le
problème, mais ce qui est sûr c’est qu’il
déconstruisait le « sérieux » de la
situation, l’angoisse des supporters, le
cinéma des joueurs faisant semblant de tomber
puis se roulant dans le gazon. On ne voyait
que de grands garçons en culottes courtes
s’agiter, se bousculer, se disputer un ballon
en lui donnant des coups de pieds, et on
entendait un discours presque onirique qui
déclenchait un rire libérateur.

10
juillet 2018 : Encore des clichés

J’écrivais
hier :
«il
n’est pas exclu que les « histoires
belges » reviennent en force d’ici
demain ». Ce matin, comme pour me
démentir, La
Provence titrait Pas de
blague ! Et l’article se terminait
ainsi : « Les
Bleus sont prêts pour atteindre leur zénith,
à Saint-Pétersbourg, et écrire une nouvelle
page de leur histoire. Surtout pas de
blague, pas maintenant. Davaï les
Bleus » Joli
tour
de passe-passe qui consiste à intimer l’ordre
de ne pas faire de bêtises, et donc de gagner,
tout en évoquant de façon subliminale les
blagues belges que l’on feint d’interdire.
Quant au davaï
les
Bleus, vous aurez compris qu’il
signifie, en russe, « allez les
Bleus ». L’Equipe,
le quotidien sportif français, nous offrait
une couverture en bleu et rouge avec comme
titre Une
foi. Là encore tout est dans la
nuance : foi en la victoire, bien sûr,
mais aussi référence à une
fois, expression désémantisée qui
ponctue
parfois, dans le français parlé en Belgique,
les phrases, et constitue surtout un cliché
récurrent : lorsqu’on fait parler un
Belge, dans les histoires du même nom, on lui
fait dire une
fois plus que de raison.. Enfin Libération titrait en une : France
Belgique,
frères à demi. Oui, il manque un e au
dernier mot. Faute d’orthographe ? Que
nenni ! Juste une façon de renvoyer
« subtilement » au demi de bière.
Allez, ce soir tout se terminé, ou presque.
Ouf !

9 juillet 2018 : La guerre des clichés

Depuis
que l’affiche de la demi-finale du mondial de
foot est connue, il est impossible d’ouvrir un
journal, la radio ou la télé sans entendre
parler du match à venir entre la France et la
Belgique. Albert Einstein aurait dit un jour
qu’il était plus facile de désintégrer un
atome qu’un stéréotype, et les clichés
pleuvent drus. Le dernier album d’Uderzo et
Goscinny (Asterix
chez les Belges, 1979) est bien sûr
largement utilisé. Le
journal du dimanche met
en couverture Abraracourcix et Gueuselambix
s’affrontant : « Si
vous êtes les plus braves, il faudra le
prouver » dit l’un. « C’est ce que j’allais proposer ! Faisons un concours » dit
l’autre. Le nom du chef belge, Gueuselambix,
est déjà tout un programme, et l’album évoqué
tourne d’ailleurs autour de l’organisation
d’un concours, présidé par Jules César. L’Equipe pour sa part titre Objectif
Lune avec un dessin inspiré de Tintin, et Le
Parisien oppose, toujours en une,
Asterix et Tintin, tenant son chien Milou dans
les bras (un roquet ?).
La presse belge de son côté insiste
surtout sur la victoire contre le
Brésil : C’était
le
Brésil clame Le
Soir, Historisch lance la Gazet van Antwerpen. Seul De
Morgen regarde plutôt vers l’avenir en
titrant Volgende horde :
Frankrijk (« Prochain obstacle:
France »), soulignant par là que le but
est la finale. Ainsi les clichés semblent
plutôt se trouver du côté des journaux
français...
Mais il
n’y a pas que le Français Asterix et le Belge
Tintin dans cette avalanche de stéréotypes.
Les « Bleus » et les « Diables
rouges » (il faudra d’ailleurs étudier un
jour les clichés qui se trouvent derrière les
noms des équipes de football) vont s’affronter
dans un décor binaire : Stromae contre
Abd el Mali, le Manneken Pis contre la tour
Eiffel, Tintin contre Astérix, la bière contre
le vin, les moules et les frites contre le bœuf bourguignon, et j’en passe.
C’est une véritable guerre des clichés qu’on
nous donne à voir. Et il n’est pas exclu que
les « histoires belges » reviennent
en force d’ici demain. A suivre donc.

1er
juillet 2018 : La saison des
lapsus...

Fin mars, devant l’Assemblée
nationale, la ministre de la santé, Agnès
Buzyn, a commis un lapsus hilarant, commençant
son intervention ainsi : « Mesdames
et messieurs les retraités ». Bon,
inutile d’en chercher très loin la source,
elle était sans doute en train de se saisir du
dossier compliqué de la réforme des retraites,
qui a débordé un peu trop tôt sur l’ordre du
jour... Plus intéressant est le lapsus de
Richard Ferrand, président du groupe de la
république en marche dans la même Assemblée,
qui a déclaré doctement il y a quelques
jours: « Je crois que tous les points
de vue qui ont été exprimés, augurent bien
de la richesse des dégâts », puis, se reprenant, « des
débats à venir ». Il s’agissait de
l’examen d’un texte sur la réforme
constitutionnelle, et cette langue qui fourche
prend toutes les allures d’un aveu. Ou Ferrand
n’est pas d’accord avec la future réforme, ou
il pense qu’elle fera des dégâts et il est
taraudé par le remord. Le
même jour, et toujours à l’Assemblée, son
président, François de Rugy, a
déclaré lors de son discours de clôture: « aujourd’hui notre assemblée,
composée de ses députains... de ses députés ». Il a l’air de bien les aimer, les députés,
Rugy...
En fait, la macronie semble
suivre sur ce terrain le Premier ministre qui,
le 11 mars, déclarait devant les instance du
rugby « Et
parce que la France est une nation qui veut
continuer à sucer… la France est une
nation qui veut continuer à susciter des
grands champions ». Et, un mois
plus tard, présentant la stratégie nationale
pour l’autisme, il récidivait : "C’est
pour amorcer des changements majeurs pour
les personnes autistes que le président de
la République a ouvert en juillet une vaste
contest… concertation ». Puis,
voulant faire de l’humour mais confirmant du
même coup son lapsus, il ajoutait : «qui
peut-être après tout est une contestation"
Il faut prendre au sérieux ces « erreurs » qui
sont le plus souvent la vérité de
l’inconscient. Lorsque Rachida Dati disait
naguère fellation alors qu’elle voulait parler d’inflation,
et le Premier ministre récemment sucer au lieu de susciter, leur inconscient ne nous regardait pas :
à chacun ses fantasmes. Mais dans les autres
cas que je viens de relater, les choses nous
concernent peut-être plus.
Freud a rapporté le lapsus d’une jeune homme qui, proposant
à une jeune fille de la raccompagner chez elle
(en allemand : begleiten),
dit begleitdigen , mot qui n’existe pas mais ressemble à beleidigen,
« manquer de respect ». Pour le père de la
psychanalyse, il fallait entendre ici
l’interférence entre ce que le jeune homme
voulait dire (begleiten) et ce qu’il refoulait (beleidigen) : le lapsus était une sorte de compromis phonétique
entre deux intentions, l’une consciente et
l’autre inconsciente, refoulée. De ce point de
vue les putains
de députés, les dégâts,
la contestation sont à examiner avec soin. Y aurait-il chez ces
politiques un refoulé permanent et qui déborde
sans cesse ?
Si la saison des lapsus semble donc ouverte,
nous pourrions nous demander pourquoi ils
sont si nombreux dans les bouches de la
France en marche ?

23
juin 2018 : Sans le latin, la pêche
nous emmerde

Face
à ceux qui passent leur temps à critiquer la
bureaucratie européenne on répond souvent que
non, les bureaucrates n’ont guère de pouvoir,
que ce sont les chefs d’état qui décident de
toit, ou du moins de ce qui est important.
Et
pourtant...
Pourtant. Lors d’une descente de contrôleurs
de je ne sais quoi, les poissonnières du vieux
port de Marseille viennent de se voir notifier
un bon nombre d’irrégularités. Le fait, tout
d’abord, de ne pas toujours indiquer l’origine
géographique de leurs produits, ni la
technique de pêche et... le nom latin des
poissons. Oui, vous avez bien lu, leur nom
latin. A côté de daurade il faudrait écrire sparus
aurata, sous pageot pagellus eythrinus ou encore, pour les anchois, engraulis
encrasicolus. Pourquoi ? Parce
que. Parce que le règlement 1379/2013 le
stipule, pour les poissons « non
transformés ».
Bien
sûr, on se frotte les yeux. A quoi peuvent
bien servir les noms latins des
poissons ? A ne pas payer d’amende,
pardi ! Des amendes de 400 à 1500 euros
tout de même. En même temps, nous pourrions
dire que tout cela est bon pour la culture
générale, les professeurs de lettres devraient
se frotter les mains et aller illico proposer
des cours particulier de latin aux
poissonnières et, pour finir, tous pourraient
entonner en chœur ce passage d’une vieille chanson de Georges
Brassens, « sans le latin, sans le latin
la messe nous emmerde », en le modifiant
légèrement : « sans
le
latin la pêche nous emmerde »...
Mais, tout de même, nous vivons une époque
moderne.

19
juin 2018 : Secousses sismiques

Un
tremblement
de terre de magnitude 6,1 a secoué lundi une
partie du Japon. L’épicentre se trouvait dans
la région d’Osaka et l’on compte trois morts
et plus de 200 blessés. Un malheur n’arrivant
jamais seul, la veille, au Mexique, l’IGEA (Institut mexicain de recherches géologiques et
atmosphérique) notait à 11 h 32 heure locale
une secousse sismique inhabituelle. Ah !
la malédiction des catastrophes
naturelles ! Qui en plus frappe toujours
les populations les plus pauvres (enfin, pas
vraiment pour le Japon) !
En fait, il
s’agissait de toute autre chose. La
« secousse sismique » a été mesurée
pendant la match de foot Allemagne-Mexique
(que le Mexique a remporté). Et, au moment où
le joueur mexicain Hirving Lozano marquait le
but de la victoire, des milliers de supporters
rassemblés au centre de la ville de Mexico
pour suivre le match sur des écrans géants ont
sauté de joie... D’où la secousse. Le Christ
disait dans l’évangile de Mathieu « si
vous aviez de la foi comme un grain de sénevé,
vous diriez à cette montagne transporte-toi
d’ici là et elle s’y transporterait ».
Ici ce n’est pas la foi des apôtres mais la
joie des supporters qui a fait trembler la
montagne....

17
juin 2018 : Les mots et les choses

Les
deux phrases qui suivent, diffusées sous forme
de vidéo par les services de l’Elysée, ont
fait le buzz que l’on sait, mais je vous les
redonne pour rafraîchir éventuellement les
mémoires :
« On
met
un pognon de dingue dans les minima sociaux
et les gens sont quand même pauvres, on n’en
sort pas. Les gens qui naissent pauvres ils
restent pauvres, ceux qui tombent pauvres
ils restent pauvres ».
Certains
se
sont émus d’un mot utilisé, pognon. C’est vrai que Macron commence à
s’exprimer comme Sarkozy, mais après tout il
est sans doute plus efficace de parler de pognon,
terme que tout le monde connaît, que d’espèces,
de numéraires,
de ressources,
de finances, de lignes
budgétaires ou de viatique. On n’a pas relevé, en revanche, un autre
passage : « les
gens...qui tombent pauvres », comme
on tombe en disgrâce, ou comme on tombe
malade. La pauvreté serait une maladie.
Mais,
derrière
les mots, il y a les choses. Macron, on le
sait, aime bien bousculer les interdits,
piétiner les tabous ou les symboles, snober
les fétiches. Il y a sans doute là un péché de
jeunesse, et on sait que la jeunesse est
impitoyable. Mais son iconoclastie est
sélective, et il ne piétine que certains
symboles. Il n’a pas dit un mot de l’exode
fiscal, des retraites chapeaux, des parachutes
dorés, de la fuite des capitaux, de l’impôt
sur la fortune, des facilités accordées aux
entreprises, en bref des cadeaux faits aux
riches, ou plutôt, comme l’a dit François
Hollande, aux « très riches »,
qu’ils « naissent riches » ou
qu’ils « tombent riches ». Son texte
aurait pris une autre allure :
« On
met un pognon de dingue dans les cadeaux aux
entreprises, dans l’abaissement de l’impôt
sur la fortune et les gens sont quand même
très riches, on n’en sort pas. Les gens qui
naissent riches ils restent riches, ceux qui
tombent riches ils restent riches». En outre
il y a dans sa déclaration une formule qu’on
n’a pas relevée, la deuxième partie de ce
membre de phrase : «On
met un pognon de dingue dans les minima
sociaux ». Les minima sociaux,
qu’est-ce que c’est ? Derrière les mots,
il y a encore les choses. En voici la
définition que donne l’INSEE: « Les
minima sociaux visent à assurer un revenu
minimal à une personne (ou à sa famille) en
situation de précarité. Ce sont des
prestations sociales non contributives,
c'est-à-dire qu'elles sont versées sans
contrepartie de cotisations. Le système
français de minima sociaux comporte divers
dispositifs dont un spécifique aux
départements d'outre-mer (Dom).
Le RSA
qui vise à lutter contre les exclusions est
un des plus connus.
Les
autres allocations visent des publics
spécifiques confrontés à un risque de grande
pauvreté, par exemple :
-Les
chômeurs de très longue durée, avec
l'allocation de solidarité spécifique (ASS)
pour ceux ayant épuisé leurs droits à
l'assurance chômage.
-Les
personnes handicapées (allocation aux
adultes handicapés- AAH).
-Les
personnes âgées (minimum vieillesse) ».
Lisez ce texte avec soin, vous verrez
quelles sont les cibles préférées de Macron.
Cette jeunesse est décidément impitoyable...
15
juin 2018 : Les voyelles de Rimbaud

J’ai toujours admiré les hypothèses à la fois géniales et foldingues du
grand linguiste Pierre Guiraud pour déchiffrer
les ballades en jargon de François Villon. Il
y voyait trois niveaux de lecture, ou trois étages sémantiques. Le premier étage, qui utilisait le jargon des Coquillards,
concernait le vol, la torture, le gibet: il
baptisait les ballades lues à ce premier
niveau les "ballades de la Coquille". Le
deuxième étage traitait des tricheurs aux
cartes et de leurs techniques: ils les
baptisait "ballades du tireur de carte". Quant
au troisième étage il concernait la vie
amoureuse, surtout homosexuelle, des
truands-tricheurs : il s'agissait des
"ballades de l'amour noir". Ainsi le premier
vers de l'envoi de la première ballade, prince
froart dis arques petis, devait donc
selon lui être lu des trois façons suivantes:
1)Prince casseur, ne vous attardez pas sur les lieux (le froart est
le "casseur de coffre", sur froer, ancien
français "briser", disarques, en un seul mot,
signifie "forcer un arque, coffre" et petis
est une forme adverbiale)
2) Prince
pipeur, tirez au jabot avec parcimonie
(le
froart est le tricheur, sur frouer, "attirer
les oiseaux en imitant leur cri", dis arques=
tirer au jabot)
3)Prince sodomite, éloignez le pilon de votre postérieur
(froart
signifie "sodomite et fellateur", petit est
une forme de pestil,
"pilon").
Bref
je ne vais pas vous résumer tout ce travail,
vous pouvez le consulter, mais si je l’évoque
ici c’est parce que je viens de lire un
« roman » de Guillaume Meurice, Cosme,
qui me laisse un peu dans le même état
qu’après la lecture de Guiraud, qui fut un de
mes maîtres en linguistique et un grand ami.
Ce « roman » est admirablement
ficelé. Dans une sorte d’avant propos on fait
connaissance avec le sujet, ou le personnage
central du livre, un autodidacte surdoué,
Cosme Olvera, fils d’émigré espagnol, fasciné
par les échecs (le jeu), la cryptologie et le
sonnet de Rimbaud, Voyelles.
Et l’avant propos se termine au moment où,
ayant enfin réussi à se procurer une copie du
manuscrit autographe, il découvre la clé...
Mais, sans que nous la connaissions, on change
de genre : pendant deux cents quatre
vingt pages Meurice nous raconte, dans un
roman classique et fort bien écrit, la vie de
ce Cosme, depuis son enfant à Biarritz jusqu‘à
sa vie de bohême à Paris en passant par
diverses tribulations jubilatoires. Nous
raconte ou invente ? Je ne sais pas. Ce
Cosme semble exister, on en trouve quelques
photos sur Internet, mais...
Quoi
qu’il en soit, à la page 305 on change de
genre : vingt-six pages d’une lettre de
Cosme à Rimbaud, dans laquelle il lui expose
sa découverte, si découverte il y a. Je ne
peux pas vous résumer tout cela mais je vais
juste vous donner des indices qui, je
l’espère, vous pousserons à vous jeter sur ce
livre.
Alors,
en voici quelques-uns:
« A
noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu :
voyelles,»
Il
s’agit du premiers vers du sonnet, et les
nombreux commentateurs (Henri Héraut, Pierre
Izambart, Robert Faurisson, Claude
Levi-Strauss, Etiemble, etc.) en ont donné
différentes interprétations. Certains
imaginent un abécédaire colorié, dans lequel
Rimbaud aurait appris à lire, d’autres y
voient une synesthésie (les correspondances
chères à Baudelaire), Faurisson un poème
érotique (A, mais à l’envers, étant le sexe
féminin, E les seins, I la bouche...),
Levi-Strauss en donne une analyse structurale
fondée sur les oppositions entre voyelles et
entre couleurs, etc. Et certains, comme le
Journaliste Henri Cazals, décrètent qu’il n’y
a rien à dire : "C'est le jour où le sonnet des Voyelles ne sera
plus pris au sérieux que l'on pourra parler
sérieusement de Rimbaud."
Mais certains notent que l’ordre des voyelles citées (A,E,I,
U , O) n’est pas le même que l’ordre
courant (A,E, I, O, U), sans doute pour
évoquer l’ordre de l’alphabet grec et l’alpha
et l’oméga.
Sur le deuxième vers en revanche, « Je dirai quelques jours
vos naissances latentes », personne ne
dit rien, sauf notre Cosme qui rappelle cette
phrase de Rimbaud, « Je est un
autre », et suggère alors qu’un autre, un
lecteur, pourrait un jour comprendre le poème
(je dirais pour ma part que Rimbaud aurait dû
alors écrire « Je dira quelque
jour... », mais qu’importe.
Passons au dernier vers, qui est précédé à la fin du vers
précédent par deux points (:) et apparaît dans
toutes les éditions sous cette forme :
« -O l’Oméga, rayon violet de Ses
Yeux ! » Or, souligne Cosme, le
manuscrit de Rimbaud se termine par un tiret (j’ai vérifié, c’est vrai),
« -O l’Oméga, rayon violet de Ses
Yeux !- ».
Passons au neuvième vers, « U, cycles, vibrements divins des
mers virides, », dans lequel on trouve
deux termes un peu étranges, vibrement et viride, que mon correcteur orthographique souligne en rouge mais
qui, quoique rares, existent cependant dans la
langue française.
Et le sonnet, vous le savez déjà si vous l’avez lu avec soin, est
composé d’une seule phrase, longue et
incomplète puisqu’elle se termine sur un tiret (-), comme si le texte était à
poursuivre. Cosme note d’abord que les quatre
premières couleurs (noir, blanc, rouge, vert)
sont celles des chevaux des quatre cavaliers
de l’apocalypse qui apparaissent dans le
Nouveau Testament, du sixième chapitre de
l’Apocalypse (là aussi j’ai vérifié). Et le
bleu du O direz-vous ? Cosme a la
réponse : il s’agit de Dieu. Dieu ?
Oui, Dieu. Cosme ne cite pas, il aurait pu le
faire, la chanson de Brassens, La
ronde
des jurons (« tous les morbleus,
tous les ventrebleus, les sacrebleus...ainsi
parbleu que les jarnibleus et les
palsambleus »), qui nous rappelait que,
pour éviter le blasphème, on remplaçait Dieu
par bleu. Ainsi palsambleu signifiait « par le sang de
Dieu », morbleu « mort de Dieu », jarnibleu « je renie Dieu », etc. Et le
premier vers de Rimbaud mettrait donc en scène
cinq protagonistes, les cavaliers de
l’apocalypse et Dieu. Il fallait y penser. S’y
ajoute le diable, la bête, dont le nombre,
toujours selon l’Apocalypse, est 666. Cosme
revient au neuvième vert, « U, cycles,
vibrements divins des mers virides, ,
qu’il réécrit ainsi : « U, cycles,
VIbrements diVIns des mers VIrides, VI VI
VI, 666. Et, cerise sur le gâteau, le – qui
apparaît à la fin du texte, « -O l’Oméga,
rayon violet de Ses Yeux !- « ,
jouerait aussi son rôle. Sans lui, le poème
comporterait 665 signes et espaces, avec lui
il en comporte 666.
Je vous l’ai dit, comme chez Guiraud pour les ballades en jargon
de Villon, cette analyse est à la fois géniale
et foldingue. Je n’ai fait que la résumer.
Lisez ce livre de toute urgence.
30
mai 2018 : Grimper
grimper

Dans Libération d’hier, Laurent Joffrin se moquait
d’Esther Benbassa, sénatrice
d’Europe-Ecologie-Les- Verts qui la veille,
lorsqu’on apprenait que le Malien Mamoudou
Gassama avait sauvé la vie d’un jeune garçon,
écrivait « homme
courageux,
plein d’audace, auquel un enfant de France
doit la vie, Mamoudou Gassama doit voir sa
situation régularisée sans délai »,
et le lendemain, alors que le président Macron
avait réalisé ses vœux, reprenait la plume : « La
com à l’état pur. Emmanuel Macron reçoit
Mamoudou Gassama le migrant héroïque.
Pendant ce temps la police continuera de
pourchasser tous ses frères d’infortunes et
de harceler les solidaires qui leur viennent
en aide. Sinistre et immorale comédie d’un
pouvoir sans principe ».
Problème : Macron avait justement
régularisé Gassama, ce qu’elle demandait. Le moins qu’on puisse dire est que madame Benbassa est de bien mauvaise
foi, ou alors qu’elle considère que tout ce
qu’elle fait ou suggère de faire est bien,
tout ce que fait Macron est mauvais, et se
trouve bien sûr coincée lorsque les deux
coïncident. Plus largement, le traitement de
faveur réservé par le président à M. Gassama a
déclenché les réactions les plus
contradictoires, qui toutes tiennent plus de
la posture politique que de l’honnêteté
intellectuelle. Alors, plutôt que d’entrer
dans une polémique qui ne m’intéresse pas (la
politique de Macron n’est pas tout à fait ma
tasse de thé, mais je ne vois rien à redire à
ce qu’il vient de faire), je préfère choisir
l’humour.
Vous souvenez-vous d’une chanson de Mamani Keita,
qui déferla sur les ondes en 2011 ? Elle
disait ceci :
« Pas
facile
gagner l’argent français bosser bosser
Pas
facile gagner l’argent français bosser bosser
Il fait froid, y’a de la neige
et le vent, bosser, bosser !"
Nous pourrions la détourner et,
pourquoi pas, s’il chante aussi bien qu’il
grimpe, conseiller à Mamoudou Gassama de
l’enregistrer :
« Pas facile gagner papiers
français, grimper grimper
Pas facile gagner papiers
français, grimper grimper
Mal aux mains, mal aux bras,
faut grimper, grimper grimper ».
27
mai 2018 : Métaphore

Il faut se méfier des métaphores, elles vous
reviennent parfois en boomerang. Ainsi
Mélenchon avait-il annoncé pour hier une marée
populaire. Littré, dans son
dictionnaire, signalait déjà cette
image : « La marée monte,
c’est-à-dire la colère, la mauvaise humeur
éclate ». L’ennui, c’est qu’après avoir
monté, la marée redescend toujours. Il y a
avait hier, dans les rues de Paris, 80.000
personnes selon la CGT, 31.700 selon les
calculs de la presse et 21.000 selon la
police. Le 5 mai, avec sa « fête à
Macron », Ruffin avait fait mieux, 38.900
selon la presse, ce qui n’arrangera sans doute
pas les rapports entre les deux hommes. Du
coup le premier ministre parle « d’un
petit coefficient de marée », d’autres de
« marée basse ». Voilà l’effet
boomerang.
Pourtant il y avait pour la première fois hier, du
moins pouvait-on le penser, cette
« convergence » que la France
insoumise appelle de ses vœux :
la
CGT, le PC, la FI et beaucoup d’autres, on
parle d’un soixantaine d’organisations,
étaient censées être présentes, ce qui aurait
dû multiplier le nombre de manifestants.
L’arithmétique nous dit que 1+1 = 2, la rue
nous a hier montré que 1+1+1+1+1+1+1+1 etc.
pouvaient faire moins que 1. Que s’est-il
passé ? C’était samedi, il faisait beau,
toutes les conditions étaient réunies, mais...
Mais, justement, les additions ne marchent pas
si l’on ajoute des organisation les unes aux
autres sans avoir de projet commun. D’un côté
la CGT, qui a mis longtemps à se séparer du
parti communiste, a commis sous l’impulsion de
Martinez une erreur en se rapprochant de
Mélenchon. L’un cherche sa revanche de
l’élection présidentielle, l’autre veut
redorer l’image de son syndicat, mais si la
CGT s’arcboute contre la réforme de la SNCF,
il n’est pas sûr que les électeurs de
Mélenchon soient tous sur cette position, et
par ailleurs beaucoup d’ouvriers ont voté Le
Pen.
Tout cela devrait être analysé avec soin. Une
gauche déçue voit en Mélenchon un recours ou
en espoir, mais le patron de la France
insoumise semble incapable d’unir et de
répondre au malaise social réel. Beaucoup le
perçoivent comme un politicien à l’ancienne,
successivement trotskyste puis mitterrandiste,
sénateur, ministre de Jospin et maintenant se
voulant la premier opposant à Macron. En cela,
d’ailleurs, il sert de faire-valoir au
Président et pourrait bientôt apparaître comme
l’idiot utile. Par ailleurs, peut-être
sommes-nous en train d’assister à la mort
d’une certaine forme de revendication, à la
mort des manifestations de rue, à la mort d’un
certain syndicalisme.
Quoiqu’il en soit, la métaphore n’a pas remplie la
fonction performative qu’espérait Mélenchon,
il n’y a pas eu de « marée
populaire », tout au plus une vaguelette.
Pour mener plus loin la réflexion, peut-être
faudrait-il méditer sur la chanson de Raoul de
Godewarsvelde :
« Quand la mer monte
J'ai honte, j'ai honte
Quand ell' descend
Je l'attends
A marée basse
Elle est partie hélas
A marée haute
Avec un autre ».

15
mai 2018 : Tutti frutti

Cela fait des années qu’on sert et ressert aux
oreilles naïves le même oxymore :
« Israël est un pays démocratique, Israël
est un pays impérialiste », ce dernier
adjectif étant la version la plus douce que
j’ai trouvée. Oxymore, donc : 58 morts
sur la frontière entre Israël et Gaza
tandis qu’une poupée Barbie, au demeurant
fille du président des EU, inaugurait
« l’ambassade » de son pays
àJérusalem et sabrait le champagne.
« L’ambassade », entre guillemets,
car il s’agissait d’un véritable tour de
passe-passe en même temps qu’une provocation.
L’ambassade américaine déplacée à Jérusalem
n’est, du point de vue matériel, que le
consulat rebaptisé et aménagé à toute vitesse,
et la date choisie, le 14 mai, est celle de la
création d’Israël, la nakbah (la « catastrophe »), comme disent
les Palestiniens.
Ici une précision s’impose. L’ONU, dont Israël et
les USA sont pays membres, a, dans ses
résolutions 476 et 478, déclaré que la
prétention d’Israël à faire de Jérusalem sa
capitale était nulle et non avenue. Et tout
récemment, le 21 décembre dernier, elle a par
128 voix pour, 9 voix contre et 35
abstentions, condamné la décision de Trump et
demandé que les EU s’abstiennent d’établir des
missions diplomatiques dans cette ville et,
encore une fois, déclaré nulle et non
avenue toute décision contraire. Israël et les
EU sont donc deux pays voyous, pour utiliser
une terminologie chère aux Américains, qui
ignorent superbement toutes les résolutions de
l’ONU tandis que l’un attise les braises en
espérant du côté arabe une réaction militaire
permettant à l’autre de taper encore plus fort
tout en émouvant l’occident sur les dangers
qui le menacent. Plus faux-cul que ça, tu
meurs. Alors, Israël, une démocratie ? Un
pays impérialiste ? C’est surtout, comme
d’ailleurs les pays arabes, un régime
théocratique, la religion, l’opium des peuples
comme disait le vieuxMarx, permettant tout,
les exactions, la terreur, les massacres.
Changeons de sujet pour passer aux marronniers de
saison : comme chaque année les
dictionnaires petit format, le Larousse etle
Robert, publient la liste des mots
nouvellement introduits. L’exercice,
consistant à « reconnaître » des
termes que tout le monde utilisedepuis
longtemps, est bien sûr salutaire, mais on a
cette année l’impression d’un certain
empressement. On trouve donc dans cette liste rageux, webinaire, glander, se palucher (« une certaine félicité solitaire »), mais aussi frotteur et dégagisme,
qui font écho, peut-être un peu trop vite, à
l’actualité immédiate. Ajoutons-y flexitarisme (est flexitariste le végétarien qui, de temps en temps, mange du poisson
ou de la viande). Mais les dictionnaires ne
nous disent pas si l’on peutemployer ce
dernier adjectif pour un pays
« démocratique » qui de temps en
temps (ou plus souvent) pratique l’oppression
et le massacre. Ce quiserait une façon de
sortir de l’oxymore par lequel j’ai commencé
ce billet : Israël ne serait pas un pays
démocratique et impérialiste mais un pays flexitariste. Ce serait beau comme de l’antique.
Une autre qui fait, peut-être, un peu trop vite
écho à l’actualité,
c’est notre ministre de la culture, Madame
Nyssen. Voilà qu’elle nous annonce des
« assises del’égalité femmes-hommes dans
le cinéma », dont
le but serait d’élaborer une charte dont
l’adhésion conditionnerait l’attribution de
l’aide du Centre National duCinéma. Cela sent
à la fois les quotas et la censure. Mais cela
nous ramène aussi à l’empressement souligné à
propos des dictionnaires. Le
gouvernementMacron, qui ne s’empresse guère à
prendre des décisions de gauche, colle de plus
en plus à l’évènement, tombant dans ce que
j’appellerais volontiers lesyndrome
Sarkozy : un évènement, une loi...
Pour finir dans la gaieté, il y a eu ce week-end
le Concours
eurovision de la chanson. Quoique
m’intéressant, comme on sait, beaucoup à la
chanson, je ne regarde jamais cettemascarade
nationaliste. Comme chaque fois, on nous a
bassinés pendant des jours avec les chances de
la France... qui a fini quatorzième. Mais une
chose m’aintrigué : la victoire est allée
à une chanteuse représentant Israël.
Israël ? Je croyais que dans Eurovision il y avait Europe. J’ai cherché une
explication. L’Eurovision est organisé
parl’Union européenne de radio-télévision
(UER) depuis 1956 et ses statuts précisent
selon Wikipédia que : « L'Eurovision est ouvert aux
seuls membres actifs de l'UER.
Ces membres sont des diffuseurs soit de pays
situés dans la Zone
européenne
de radiodiffusion soit des
diffuseurs de pays situés en dehors de cette zone mais membres du Conseil
de l'Europe. Tous doivent être
membres de l'Union
internationale
des télécommunications ».
Israël serait donc soit situé
dans la zone européenne de radiodiffusion,
ce qui
n’est pas géographiquement évident, soit membre
du Conseil de l’Europe. Or, le Conseil
de l’Europe compte 47 membres, tous européens,
un état candidat, la Biélorussie, et 5 états
observateurs, leCanada, les Etats-Unis, le
Japon, le Mexique et le Saint-Siège. D’Israël
point. Mais, en grattant un peu, j’ai appris qu’on a accordé à la Knesset
israélienne le statut d’observateur non pas au Conseil de
l’Europe mais à l’assemblée parlementaire du
Conseil de l’Europe, sans droit de vote.
J’aurais dû faire des études juridiques, mais
il est un peu tard, pour comprendre ces
subtilités. Si quelqu’un peut m’expliquer, je
suis preneur.Tiens, en passant, ce quelqu’un
pourrait aussi m’expliquer pourquoi le
discours dominant nous parle sans cesse de charges patronales, alors qu’il s’agit de cotisations
patronales. Cela n’a rien à voir, je sais.
Mais
je
me rend compte que j’avais dit finir dans la
gaieté. Alors, puisque le Saint-Siège est,
lui, membre observateur en bonne et due forme,
nous pourrions imaginer qu’un groupe vocal de
curés ou de bonnes sœurs emporte un jour l’Eurovision. Il
pourrait reprendre le vieux succès de Sœur Sourire, « Dominique, nique,
nique... » Cela ferait rire une bonne
partie des francophones.
3
mai 2018 : 700, 274,
220, 212 ou 130 millions ?

Le 20 mars dernier, à l’Institut de France,
Emmanuel Macron faisait un discours sur la
langue française et déclarait : « La
Francophonie, ce seront, me dit-on, plus de
700 millions de femmes et d’hommes dans le
monde dans quelques années ». Je ne sais
pas quel « on » a dit cela au
président, mais c’est sans conteste un grand
incompétent. Il est certes difficile de
compter le nombre de locuteurs d’une langue,
mais il est scientifiquement prudent de
préciser un certain nombre de choses pour
savoir de quoi nous parlons. Il faut en effet
distinguer au minimum entre les locuteurs L1
(ceux qui ont le français pour langue «
maternelle ») qui sont aujourd’hui moins
de cent millions et les locuteurs L2, ceux
pour qui le français est une langue
seconde (non maternelle mais qu’ils utilisent
touts les jours, par exemple en Afrique
francophone). Et, dans ce second cas, il faut
prendre garde à ne pas considérer tous les habitants des pays francophones comme
francophones (on évalue en général pour
l¹Afrique à 10% des populations lesafricains
qui parlent français). Il y a enfin ceux qui
ont étudié ou étudient le français à l’école
ou à l’université.
Il est en outre fréquent de dire que la natalité
africaine fait de ce continent l’avenir du
français. Peut-être, à condition que l’école
fonctionne, et que les pays francophones
conservent le français comme langue
officielle. A titre indicatif, selon
Ethnologue, le français est aujourd’hui la
14ème langue du monde du point de vue du
nombre de ses locuteurs L1, ce qui incite à la
modestie. Et la force de notre langue repose
sur d’autres facteurs que je ne vais pas
exposer ici.
La revue Le
1 vient de publier un hors série
intitulé Le Français a-t-il perdu sa langue ?, regroupant de petits
textes de différents auteurs, parmi lesquels
Michaëlle Jean, la secrétaire générale de
l’Organisation Internationale de la
Francophonie, le géographe Michel Foucher et
le linguiste Bernard Cerquiglini. La première
annonce qu’il y a 274 millions de
francophones, sans préciser de quels
« francophones » il s’agit. Le
deuxième détaille ces 274 millions : 212
millions peuvent parler français en usage
quotidien, au foyer ou à l’école, ou encore
dans la vie administrative, sociale ou
culturelle ; les 62 millions de
francophones restants ont simplement étudié
cette langue. Le nombre de locuteurs
francophones réels, en pratique quotidienne,
s’élève lui à 130 millions ». Mais il ne
précise pas ce que signifie un
« locuteurs réel » ni la différence entre les 212 millions qui « peuvent
parler français en usage quotidien » et
ces 130 millions de « locuteurs
réels ». Et le troisième annonce que
« depuis qu’il s’est détaché du latin le
français n’a jamais été autant parlé (220
millions de locuteurs), autant écrit (grâce au
numérique), autant appris (112 millions). 700
millions bientôt pour le président de la
république, 274 millions pour la secrétaire
générale de l’OIF, 130 ou 212 millions pour le
géographe, 220 millions pour l’ancien recteur
de l’AUF (Agence Universitaire de la
Francophonie) : les francophones
apparaissent comme une entité à dimension
variable.
Je suis
bien placé pour savoir quelles sont les
difficultés de ce genre de décomptes, mais il
serait utile de se mettre d’accord pour des
critères communs et de parler d’une seule
voix. Faute de quoi la défense du français
apparaîtra au mieux comme un concert
d’approximations ou comme une cacophonie, au
pire comme une collection de « fake
news » qui ferait les délices du canard
Trump.

1er
mai 2018 : Tunis Air
misère

Dimanche dernier je quittais la Tunisie par un vol supposé décoller à 17
heures 15. Enregistrement, contrôle de police,
salle d’attente. Soudain, vers 17 heures,
l’affichage électronique annonce que le départ
est reporté à 20 heures 30. Puis plus rien,
aucune explication, aucune annonce. Plus de
trois heures à attendre. La foule, très
majoritairement composée de familles
tunisiennes rentrant à Marseille, commence à
gronder. Et un groupe d’hommes croyant se
comporter comme « des hommes » part
à la recherche de responsables. Ils tombent
sur une femme en uniforme, l’entourent, la
pressent de questions, et reviennent avec
l’assurance que l’avion arrive bientôt.
Vers 19 heures 30, les gens se pressent devant la porte d’embarquement,
mais personne, pas un membre du personnel de
Tunis Air. Et l’affichage change : vol
reporté à 21 heures.
Commence alors un phénomène intéressant : celui des bruits. L’un dit
qu’il n’y a pas d’avion, que nous allons
passer la nuit là. Un autre qu’un avion va
venir de Paris pour nous chercher, un autre
encore qu’il est impossible de se poser à
Marseille, qu’on va nous emmener à Orly et
nous abandonner là-bas. Le seul bruit un peu
optimiste est que nous aurons un avion d’ici
une heure, mais personne n'y croit. Et
toujours aucune annonce de la compagnie.
Le groupe d’hommes se prenant pour « des hommes » repart,
retrouve la même femme, le ton monte et, selon
les témoignages (je n’y étais pas), l’un d’entre eux la bouscule ou la
frappe. Devant l’embarquement une file s’est
créée, inutile puisqu’aucun appel n’a été
lancé. Et le groupe d’hommes, plus nombreux,
décide d’aller au bureau de Tunis Air. Ils ont
l’air très énervés, et je décide de les
suivre, me disant que je pourrais peut-être
éviter le pire. Lorsque j’arrive, le bureau
est pratiquement occupé par les voyageurs, le
chef d’escale est acculé contre un mur, objet
d’injures et de menaces. Et j’ai soudain
l’impression que nous sommes à la limite du
lynchage, que j’assiste à un phénomène de
foule hystérique, prête à tout. Une employée
arrive, je l’interroge, elle me répond que
l’avion est déjà là, que l’équipage est prêt,
et que nous partirons d’ici trente minutes. Je
fais suivre l’info, la foule se calme un peu.
Pendant ce temps des enfants qui ont suivi leurs pères ont aperçu dans un
coin du bureau un plateau rempli de
sandwiches. Ils s’en emparent et partent en
courant vers la salle d’attente. Et là
j’assiste à un spectacle réconfortant. Ces
gosses (ils ont 14 ou 15 ans), dont les pères
ont failli lyncher un homme, font le tour de
la salle, distribuent d’abord leur butin aux
enfants, puis au vieux, avec une organisation
remarquable. Deviendront-ils plus tard aussi
cons que leurs pères ? Je n’en sais rien
mais ils donnent là une grande leçon de
civisme et d’humanité. A vingt et une heures
trente arrive une employée et un policier.
L’embarquement commence mais nous attendrons
encore une bonne heure dans l’avion, avant de
décoller, avec près de cinq heures de retard.
Et à Marseille, au débarquement, un voyage
lance à quelqu’un venu l’attendre :
« Tunis Air misère ! »
Pourquoi ai-je ressenti le besoin de raconter cela ? Pour plusieurs
raisons. D’abord parce que les mouvements de
foule ont parfois de quoi faire peur. De gens
rentrant de vacances avec leur famille prêts à
cogner sur d’autres, qui ne sont sans doute
responsables de rien, cela donne à réfléchir
sur l’espèce humaine. Ensuite parce que j’ai
déjà eu plusieurs fois le même type de
problème avec cette compagnie tunisienne, dont
on peut se demander si elle a de l’avenir.
Mais, comme disait Woody Allen, « il est
très difficile de prévoir, surtout quand il
s’agit de l’avenir ». Enfin parce que
j’ai été très impressionné par le comportement
des enfants. Certaines femmes encourageaient
leur mari de leurs cris, les excitaient . Eux,
les gosses, leur donnaient sans le savoir une
leçon, une leçon qu’ils n’ont sans doute pas
reçue. Peut-être faudrait-il créer une branche
de l'anthropologie qui s'appelerait entomologie
humaine. Elle nous apprendrait bien
des choses...
17
avril 2018 : Naïveté

J’ai rencontré hier un collègue turc, de passage en France et nous avons,
entre autres choses, parlé de politique. A
table, avec d’autres collègues français, nous
évoquons l’émission de la veille dans laquelle
Macron s’était livré à un exercice de boxe à
trois. Réactions variées.. Puis nous sortons
fumer, le Turc et moi, et il me dit :
« Vous savez comment Erdogan lui a cloué
le bec, à Macron ? ». Je réponds que
non, et il poursuit en substance :
« Erdogan a dit que, dans une
conversation téléphonique, Macron lui a parlé
des Kurdes. Alors notre président a monté le
ton de sa voix et Macron s’est écrasé ».
Ah bon! "Oui, me dit-il, tout le monde le sait
à Istanbul". Je lui réponds que l’intervention
de la Turquie sur le territoire syrien est une
intrusion inacceptable, comme il est
inacceptable d’aller massacrer des gens qui
ont lutté contre Daech. « Mais ce sont
des terroristes ! » Je lui parle des
journalistes, des artistes, des universitaires
en prison. « Ils soutiennent les
terroristes ». La discussion s’envenime
un peu, je lui demande s’il ne croit pas que
les Kurdes ont droit à un pays, il s’énerve et
j’ai le malheur de lui parler d’un interdit,
en Turquie, le massacre des Arméniens... Bref
nous ne sommes, comme vous vous en doutez, pas
parvenus au moindre accord, il m’a seulement
répété que la Turquie ne pouvait pas parler
avec des terroristes.
J’avoue que j’ai été pris de court, non pas par cette dernière phrase,
mais par le fait qu’un intellectuel, prof de
fac, soit à ce point pro-Erdogan. Je
m’imaginais naïvement que ce qu’il faut bien
appeler un régime à tendance dictatoriale ne
pouvait pas être soutenu par des
universitaires. Et bien je me suis planté.
6
avril 2018 : Arcelormittaliser

Jeudi dernier, Bernard Lavilliers se produisait à
Marseille, avec en première partie Cyril
Mokaiesh, qui avait eu un succès d’estime en
2011 avec J’suis
communiste et qui a surtout brisé le plafond de verre des débutants en
2015 avec La
loi du marché, en duo avec Lavilliers
qui est en quelque sorte son parrain dans la
chanson.
Il y a chez Mokaiesh un regard à la fois critique et
tendre sur la société, mais je ne parlerai ici
que de ses innovations lexicales, parce
qu’elles sont frappantes, efficaces, mais
aussi parce qu’elles illustrent parfaitement
une tendance forte de la langue française
actuelle à n’inventer que des verbes du
premier groupe (pour mémoire kiffer pour « aimer » ou « apprécier », chouffer pour « surveiller », dans les
deux cas à partir d’une racine arabe, ou
encore solutionner pour éviter les difficultés de conjugaison du verbe résoudre,
etc.) Mokaiesh donc, a le talent de résumer,
en forgeant un nouveau verbe, toute une
analyse sociale. Exemples :
« On vous laisse Arcelormittaliser à Florange
l’or et l’acier »
« Ça les perdra de bouclieriser l'élite »
« J'suis dalai lamiste »
« J'suis
jeune
branleuriste »
« J'suis méfie-toitiste » , « Absurditiste » ,
« Suicidairiste » , etc.
Bref, une belle inventivité qui, encore une fois, a
le mérite de mettre par les mots le projecteur
sur le monde qu’ils occultent parfois.
Un autre qui fait preuve d’inventivité, c’est bien
sûr Bernard Lavilliers. A la fin de son
concert, il revient sur scène, entouré de ses
musiciens, remercie la salle en disant à peu
près « c’est grâce à vous que nous sommes
ici, grâce au public qui paie sa
place, en fait nous vivons de l’argent que
vous nous donnez, nous sommes des ouvriers et
vous êtes nos patrons ». Puis il ajoute
« ça vous emmerde d’êtres des patrons,
hein, mais ce n’est pas souvent que l’on voit
des patrons applaudir leurs ouvriers ».
Encore une fois, en changeant légèrement le
champ du projecteur, ou en faisant un
contrechamp, on révèle autre chose. Et
l’humour n’y perd rien. C’est ce qu’on
pourrait appeler contrechamp-iser.
31 mars 2018 : Que faire ?

Mardi et mercredi pas de trains, puis trois jours avec,
deux jours sans, trois jours avec, deux jours
sans, trois jours avec, etc., jusqu’au 28
juin. Vous y comprenez quelque chose ? Il
va dorénavant falloir un algorithme (c’est un mot à la mode) pour
programmer ses déplacements.
Un vieil ami (je veux dire un ami de très longue date) m’a
fait suivre un appel à aider financièrement
les grévistes de la SNCF. Et il ajoute quelque
chose comme « si on pousse, on arrivera
peut-être à la même chose qu’en 95 »,
faisant allusion aux grèves qui avaient poussé
le gouvernement d’Alain Juppé à retirer sa
réforme des retraites et des régimes spéciaux
(SNCF, RATP, EDF). J’avoue que je suis un peu
perplexe. Aider, financièrement ou de toute
autre façon, des grévistes, implique que l’on
adhère à leur mouvement. Et populariser ce
mouvement implique qu’une bonne partie de la
population y adhère. Or le sentiment général me semble être que
les cheminots veulent défendre un statut dont,
de toute façon, ils bénéficieront jusqu’à leur
retraite, dont l’âge est d’ailleurs un
privilège. Ils se battraient pour les autres,
ceux qui viendront après ? Difficile à
croire. Ils se battent pour les usagers ?
Il faudrait qu’ils nous expliquent en quoi. Ne
s’agit-il pas plutôt, pour les syndicats, de
chercher à prouver qu’ils existent, qu’ils ont
encore du pouvoir ?
Et la grève des pilotes d’Air France. Ils sont, dit-on,
parmi les mieux payés au monde mais,
cycliquement, se mettent en grève pour
réclamer une augmentation. Pour le bien de
tous ? Là aussi, il faudrait qu’ils nous
expliquent en quoi.
On dit que les Français sont attachés au service public,
mais ils critiquent sans cesse les
fonctionnaires. Qu’ils sont attachés à la
SNCF, mais ils se plaignent des retards, des
tarifs incompréhensibles. Et je n’ai pas
l’impression que ces grèves à répétition les
feront l’apprécier plus. Ainsi, selon un
sondage Harris, 69% des Français sont pour la
fin du statut des cheminots. Je sais qu’il
faut prendre ces sondages avec précaution,
mais d’autres vont dans le même sens.
Depuis la dernière élection présidentielle, les cartes du
jeu politique sont brouillées et j’avoue
n’avoir pas trouvé le logiciel qui m’aiderait
à comprendre ce qui s’est passé et comment
s’en sortir. La droite et la gauche
traditionnelles, le PS et LR, sont en pleine
déliquescence. Mélenchon vire de plus en plus
au populisme et j’ai du mal en me reconnaître
dans les postures de la France insoumise.
Quant aux trotskistes, ils continuent à
présenter à chaque élection présidentielle
deux candidats, comme d'autres vont chaque
année à la messe à Noël et à Pâques, mais je
ne vois pas bien quelles perspectives ouvrent
ces deux partis, LO et le NPA. Alors
quoi ? Que faire ? Faut-il,
lorsqu’on se sent de gauche ou d’extrême
gauche, défendre par principe ou par réflexe
les cheminots parce qu’ils s’opposeraient au
libéralisme macronien ? Les défendre même
si l’on n’est pas d’accord avec leurs
objectifs, ou qu’on ne les comprend pas parce
qu’ils ne sont pas très clairs ? Est-il
honteux de penser que la dette de la SNCF ou
celle du régime des retraites atteignent des
niveaux sur lesquels il serait irresponsable
de ne pas se pencher ? Faut-il écouter
certains économistes, atterrés ou pas,
lorsqu’ils nous disent que la dette n’est pas
un problème ?
J’avoue humblement ne pas m’y retrouver mais, de toute
façon, je ne vois pas pourquoi, pour la
première fois de ma vie, je céderais à un
mouvement moutonnier et j’abandonnerais mon
sens critique.
16 mars 2018 : 電 話 et en même temps 手
机

Je me suis trouvé cette semaine devant
un public d’étudiants étrangers qui, par
hasard, étaient très majoritairement chinois.
J’ai donc adapté ma conférence à leur culture
et à leur langue et, parlant de néologismes,
je leur ai demandé comment ils disaient
« téléphone » en chinois. La
réponse, immédiate et collective, fut shouji (手
机) littéralement
« machine dans la main ». Un peu surpris,
j’ai répliqué : « Et dianhua ? » (電 話), littéralement
« parole électrique ». Ah oui,
ont-ils répondu avec cet air de commisération
que l’on prend devant une personne âgée.
Vous avez compris, un téléphone était
pour eux un portable et, comme il se doit, on
l’a toujours en main. Entre dianhua et shouji passe donc une
frontière, ces deux termes caractérisant deux
classes différentes, non pas deux classes
sociales mais deux classes d’âge.
Je ne sais pas si dianhua disparaîtra un jour du lexique chinois,
au fur et à mesure que le portable se
généralisera et fera disparaître le téléphone
fixe, mais il y a là un thème de réflexion
intéressant. Les langues de demain seront,
dans leur forme, plus proches de celle des
jeunes d’aujourd’hui que de celle de leurs
grands-parents. C’est là un trait général, qui
n’a jamais empêché la continuité de la
communication. Parfois les parents, un peu
démagogues, tentent de parler
« jeune ». Parfois certains jeunes
voulant paraître bons élèves tentent de parler
« vieux ». Cela donne au différents
registres utilisés une certaine coloration,
certaines connotations. Mais, au bout du
compte, les langues continuent leur petit
bonhomme de chemin, éliminant certaines
nouveautés, en conservant d’autres.
Mais cela m’a fait penser à autre
chose. J’ai souvent dit que les hommes
politiques étaient plurilingues, qu’ils
parlaient par exemple le français mais aussi
la langue de bois ainsi que la langue de pute
ou la langue de vipère. A chacun son
plurilinguisme... Mais dans la recomposition
du champ politique que le macronisme semble
être en train d’instituer, on a parfois
l’impression qu’une autre façon de parler
politique apparaît. Certes, la langue de bois
est toujours là, mais face au et
en même temps qui se répand de plus en
plus, le discours politique
« traditionnel » perd un peu pied.
En entendant parler les socialistes ou les
républicains, voire même Mélenchon, je me
demande parfois si je n’entends pas les
prémisses d’une langue morte qui, faut-il le
préciser, n’exclut ni la langue de pute ni
celle de vipère. De la même qu’en chinois le
téléphone se dit dianhua
« et en même temps » shouji.

12 mars 2018 : FN,
RN ou.... quoi ?

En 1977 paraissait d’une part le premier volume d’une
collection, Langages
et Sociétés, que je dirigeais aux
éditions Payot et d’autre part le premier
volume d’une revue, Langage
& Société. Nous nous en étions
amusés, Pierre Achard (le directeur de la
revue) et moi-même, considérant que cette
similitude témoignait de notre convergence de
vue.
Il n’en va pas de même pour le Front National qui
devrait bientôt s’appeler Rassemblement
National : RN et non plus FN.
Devrait car
ce baptême, qui est pour ses promoteurs un
renouveau, pose quelques problèmes.
D’abord, il n’a rien de nouveau, au sein même du
parti d’extrême droite. En 1986 en effet, la
liste lancée par J-M Le Pen pour les élections
législatives s’appelait Rassemblement
national. C’est sans doute ce qu’on
appelle le changement dans la continuité... En
outre, certains membres du FN n’en veulent
pas, se souvenant peut-être de ce vers de
Molière : « Quoi ! Vous avez le
front de trouver cela beau ! (Le
Misanthrope).
Mais, surtout un certain Igor Kurek déclare avoir déposé ce nom à l’INPI (institut national de
la propriété industrielle) le 30 décembre
2012, par l’intermédiaire du président de ce
rassemblement, Frédérick Bigrat. Le FN
réplique en expliquant qu’il a acquis « les droits de cette marque, ce qui a été fait par
acte sous seing privé le 22 février 2018 de
telle sorte que les droits de la marque sont
aujourd'hui détenus par un des conseils du
FN». Et Igor Kurek répond :
« «Monsieur Bigrat n'est personne, c'est
un porte-document. Nous allons l'assigner pour
escroquerie. Il n'avait aucun droit de vendre
cette appellation, d'autre part aucune
assemblée extraordinaire de dissolution de
notre association n'a été convoquée. Il n'y a
pas que l'Inpi, je suis également propriétaire
du nom de domaine Rassemblement
national. Marine Le Pen va se retrouver
au pénal ». Se retrouver au pénal ?
Cela ne devrait pas changer grand chose pour
madame Le Pen, qui traîne déjà quelques
casseroles juridiques derrière elle. Mais le FN a du front, Kurek monte
au front et, comme on dit à la météo, un front
froid s’installe.
Vous avez remarqué que Rassemblement
national est pour le FN une marque, pour Kurek un nom ou un nom de domaine , disons que c’est un objet de litige. Mais, surtout,
remarquons que, pour rénover, moderniser ou
dédiaboliser sa baraque, madame Le Pen manque
singulièrement d’imagination.
Si elle tenait à front elle aurait pu penser à bien des
synonymes pour national : domestique, citoyen et public. Front domestique ça aurait du style, non ? Si elle
tient à national,
ce qui semble être le cas, elle pourrait
remplacer rassemblement par secte, troupe, amas, bande, tas, etc., le choix est large.
Mais le plus subtil serait de garder le sigle en changeant
les mots auxquels il renvoie. Pour le F on
pourrait imaginer fonds, farce, fada, fumier, furoncle, etc. Et pour l’adjectif noir, naïf, négationniste , néfaste, normalisé... Vous pouvez combiner comme vous le désirez les termes
de ces deux listes, furoncle
négationniste par exemple, ou encore fumier
néfaste.
Pour ma part, étant donné l’argent accumulé par la famille
Le Pen, je pencherais plutôt pour fonds nanti.
Mais ce n'est sans doute pas très mobilisateur
pour les militants.
9 mars 2018 : Vigilances,
suite

Il y a quelques jours je vous parlais d'identitovigilance,
de candidatovigilance,
d'adhésionvigilance
et de feuilletonnovigilance. Les
deux dernières ont fusionné lorsqu'Olivier
Faure, dans une
réunion électorale, a déclaré à propos de la
fédération socialiste des
Bouches-du-Rhône :
« Nous ne pouvons tolérer dans nos rangs
aucune escroquerie démocratique »,
et un peu plus loin « Je
ne veux pas qu’on tourne la saison trois de Baron
noir à Marseille ».
Pour qui a vu les deux premières saison de ce
feuilleton, on comprend ce que pense Faure de
ses camarades du Sud-Est. Il s'agit
effectivement d'une double vigilance, à la
fois feuilletonnovigilance et adhésionvigilance...
5
mars 2018 : Vigilances

Celui qui prête attention à la langue remarque
sans cesse des néologismes, le plus souvent
des emprunts mais parfois des créations
originales.
J’ai rencontré par exemple le mot identitovigilance,
que mon correcteur orthographique refuse en le
soulignant de rouge, dans un article de La
Provence de la semaine dernière. Il
s’agissait en fait d’absence d’identitovigilance,
comme on va voir. A l’hôpital de la Timone en
effet deux nouveaux nés étaient morts.
Les parents du premier souhaitait l’incinérer,
ceux du second voulait l’enterrer. Hélas
quelqu’un a commis une erreur et c’est le
second qui fut incinéré... On aurait
semble-t-il interverti les bandes portant le nom
du l’enfant que l’on attache à leur poignet.
On parle beaucoup de Marseille en ce moment. Comme à
Paris, les élections municipales sont dans
toutes les têtes. Gaudin, le maire sortant (après 23
ans de mandant...) n’a pas vraiment envie
d’investir un successeur et les candidats
potentiels ne bougent pas un cil. Ira, ira
pas, Castaner ? Ira, ira pas,
Mélenchon ? Ira, ira pas, Ghali ?
Nul n’en sait rien, ils ont, comme disait
l’autre, des « pudeurs de gazelle »
et nous en sommes donc réduits à la candidatovigilance.
Toujours à propos de Marseille, la presse parle
des feuilletons qui
la mettent en scène. Plus
belle la vie d’abord, diffusé sur la 3
depuis quatorze ans, dont on apprend qu’on y
verra prochainement un transgenre, et qui est
bourré de références discrètes à la vie
municipale, ainsi que Marseille,
un autre feuilleton diffusé depuis deux ans
sur Netflix . On y voit Gérard Depardieu dans
le rôle du maire, et Gaudin n’est pas content
de l’image de lui qu’il donne, et en fait
aucun personnage politique de la ville
n’apprécie l’image de lui qu’il croit trouver
dans la série. Disons qu’ils pratiquent le feuilletonnovigilance.
A Marseille enfin, on
prépare comme ailleurs le prochain congrès du
parti socialiste. Et la fédération des Bouches
du Rhône est connue pour sa tendance à
multiplier les adhésion, vraies ou les fausses
. Ainsi Olivier Faure note-t-il qu’à
Berres-L’étang on compte 235 adhérents, alors
qu’aux dernières législatives le candidat
socialiste avait obtenu55 voix. Et il
s’étonne : « Pourquoi
des
adhérents sont-ils tous nés le
1er janvier, ont tous la même adresse
mail… Et n’ont laissé aucune trace du
règlement de leur cotisation ? » Il
s’agit
donc de cartovigilance, ou d’adhésionvigilance.
Allez,
j’arrête, mon corecteur orthographique
commence à se fâcher tout rouge...
27
Février 2018 : La
pensée Macron

Après avoir battu le record d’heures de présence
au salon de l’agriculture, Emmanuel Macron
semble vouloir battre celui du nombre de
réformes dans le temps le plus court.
Concernant la SNCF, on annonce donc un
calendrier accéléré, à la hussarde, et l’on
laisse entendre qu’en cas d’opposition des
syndicats on pourrait passer par les
ordonnances. Hurlements, bien sûr. Pourtant la
méthode des ordonnances ne leur a pas toujours
déplu. C’est après tout ainsi qu’en 1982
François Mitterrand a fait passer la 5ème semaine de congé payés ou la semaine de 39
heures de travail, et ils n’ont rien dit,
puisqu’ils étaient d’accord avec ces
changements. Ce n’est donc le principe des
ordonnance qu’ils contestent mais leur
contenu. Ce n’est pourtant pas de cela que je
voudrais parler, mais de la méthode Macron qui
pose un autre problème. Sa communication est
calibrée de façon à le montrer allant vers les
gens, dans la foule, et discutant avec les
contestataires. Fort bien. Mais du coup on le
montre toujours en train d’expliquer, de façon
le plus souvent fort civile, à ses
interlocuteurs qu’ils ne comprennent rien à
rien et que lui possède la bonne analyse. En
d’autres termes il y aurait une foule de
protestataires incompétents, aveugles ou mal
informés, et un président clairvoyant. Cette
impression est renforcée par les ministres,
depuis le premier d’entre eux jusqu’au plus
obscurs secrétaire d’état, et par les députés
de « la France en marche » qui
ânonnent sans cesse le même mantra, comme on
appelle en sanscrit les incantations magiques
ou mystiques que l’on récite en boucle. Ce
mantra, vous l’avez entendu cent fois :
« le président fait ce qu’il a dit qu’il
ferait ». En fait, perspicaces comme vous
êtes, vous avez déjà noté que cela n’est pas
tout à fait le cas, et je n’en prendrai qu’un
exemple, mais il y en a plusieurs. Macron
avait annoncé qu’avant la fin de 2017 plus
personne ne dormirait dans la rue, et il
suffit de sortir le soir dans les rues de nos
villes pour évaluer la réalisation de sa
promesse.
Mais cela me mène à une autre considération. Dans mantra il
y a le verbe sanscrit man,
« penser ». Or, en Chine, on
voudrait annuler la limitation à deux des
mandats présidentiels, pour permettre à Xi
Jinping, après dix ans de bons et loyaux
services, de se représenter pour un troisième
mandat en 2023. Lui aussi pourrait chercher à
battre un record, qui l’oppose à Vladimir
Poutine. Et l’on pense aussi à inscrire dans
la constitution la pensée
Xi Jinping comme on parlait naguère de
la pensée
Mao Tzedong. Allons-nous vers la
glorification de la pensée Macron ?
25
Février 2018 : Accents
et records

Je viens de passer deux jours et demi à Beyrouth,
séjour trop court pour en parler
sérieusement : une conférence,
interviewes à la presse écrite et
télévisuelle, longues séances de signature de
la traduction en arabe de mon dernier livre, Les langues, quel avenir ?, etc. Mais j’ai noté deux petites
choses qui m’ont paru intéressantes.
Tout d’abord le cheikh druze Akl a demandé au
ministre de l’intérieur, Mouhad Machnouk, des
« mesures exceptionnelles » pour
permettre aux femmes druzes de « paraître
sur les cartes d’identité cachant non
seulement leurs cheveux mais aussi leur
bouche ». En effet, elles obéissent ainsi
« à des traditions ancestrales » et
« considèrent la bouche comme un attribut
sexuel ». Les cheikhas druzes ne
finissent pas de nous étonner.
De la bouche à la langue il n’y a qu’un pas, si
je puis dire. Un certain Hussein Oneïssi est
actuellement jugé, accusé de « complicité
d’homicide intentionnel ». Son avocat, si
j’ai bien compris car le dossier est
compliqué, a évoqué le témoignage de
journalistes ayant reçu des appels
téléphoniques dénonçant l’accusé. Selon l’un
d’entre eux, ayant reçu trois appels, il
« serait probable que l’un des trois ne
serait pas libanais » et qu’un autre
viendrait d’un « chiite habitant la
banlieue sud ». Or, dit l’avocat, son
client « n’a pas l’accent de la banlieue
sud », et il ajoute que ce témoignage se
ramène à dire que « l’accent d’un
habitant de la banlieue de Paris ne serait pas
celui d’un Parisien ». Bonne remarque. Il
faudrait d’ailleurs entrer plus précisément
dans les détails. Un habitant catholique de la
banlieue ouest de Paris aurait-il un accent
différent de celui d’un bouddhiste de la
banlieue est ou d’un musulman de la banlieue
nord ? Et pourquoi ne pas être plus
précis encore ? Les catholiques du 5ème arrondissement ont-ils le même accent que ceux
du 6ème ? Et que dire des
israélites, des musulmans ou des catholiques
qui vivent autour de la place de la Bastille,
dans le 3ème, le 4ème ou
le 11ème arrondissements ? On
songe au professeur Higgins : « You can spot an
Irishman or a Yorkshireman by his brogue. I can place any man within six miles. I can place
him within two miles in London. Sometimes
within two streets ». Les tribunaux
devraient s’adjoindre un Higgins...
Post scriptum qui n’a rien à voir. Hier,
selon la presse, le président Macron a battu
tous les records en restant douze heures au
salon de l’agriculture. Douze heures !
L’information vient du service de
communication de ‘Elysée. Mais cela fera-t-il
oublier que les rugbymen français n’en battent
guère, de records.
19
Février 2018 : Lof pour lof

Depuis la publication, il y a 44 ans, de Linguistique
et colonialisme, j’ai un rapport
ambivalent avec les espérantistes, ou plutôt
les espérantistes ont avec moi un rapport
ambivalent. Ils ont d’abord considéré mon
livre comme la démonstration de la justesse de
leurs thèses : l’espéranto était la seule
langue qui pouvait selon eux résoudre de façon
pacifique les problèmes de communication du
monde, mettre fin aux rapports de force ou de
domination linguistiques. Ils m’ont invité il
y a une trentaine d’années à l’un de leurs
colloques, et mon intervention ne leur a pas
plu. J’expliquais que ce projet généreux,
vieux d’environ d’un siècle, n’avait pas
réussi à s’imposer, ou à convaincre, pour des
raisons sociolinguistiques. L’ expansion d’une
langue repose en effet toujours sur des
phénomènes politiques, économiques, sociaux,
alors que l’espéranto ne reposait sur rien de
semblable. En outre, cette langue
artificielle, supposée être fondée sur toutes
les langues du monde, était en fait
fondamentalement européenne, et si elle est
relativement facile à acquérir par un
locuteurs du français, de l’anglais ou de
l’allemand, elle demeure opaque pour un
locuteur de l’arabe, du swahili ou du chinois.
La lune de miel était terminée. Depuis lors et
jusqu’à très récemment, chaque fois que je
donnais une conférence à Paris, je voyais dans
la salle deux ou trois espérantistes qui
intervenaient dans la discussion pour opposer
leur projet à ce que je pouvais dire sur les
langues véhiculaires, le modèle gravitationnel
que j’avais élaboré, le versant linguistique
de la mondialisation ou le baromètre des
langues. Ils étaient actifs, parlaient
beaucoup, faisant quasiment de l’obstruction,
et m’énervaient un peu.
Jeudi dernier, j’ai donné au musée des langues
(Mundolingua), à Paris, une conférence sur la
mondialisation et les politiques
linguistiques, et j’ai aperçu dans la salle un
espérantiste, que je vois depuis près de
trente ans. A ma grande surprise il est très
peu intervenu, et sans avancer les mérites de
l’espéranto. Mais, après le débat, il est venu
me voir. Nous avons un peu discuté, et ses
arguments étaient devenus très différents. De
façon modeste, alors qu’il était dans le passé
plutôt envahissant, il m’a dit que, peut-être,
le Brexit et les « bêtises de
Trump » allaient donner à l’anglais un
coup de vieux, le dévaluer, et qu’il y avait
là un petite chance pour l’espéranto.
Je suis toujours frappé par les gens qui, contre
vents et marées, s’en tiennent à leur choix
idéologique, politique ou scientifique et
changent d’arguments lorsque les faits
viennent s’inscrire en faux contre leur choix.
Cette façon de louvoyer, ou de tirer des bords
comme disent les navigateurs, avec toujours en
vue le même but, ou le même cap, prouve bien
sûr que l’on a de la suite dans les idées.
Mais aussi, dans le cas que j’évoque, elle
témoigne d’une sorte d’aveuglement. Je n’ai
rien contre l’espéranto. Je constate
simplement qu’il n’a pas (encore ?)
marché et, sans insulter l’avenir, j’ai le
sentiment qu’il ne marchera jamais. Et il y a
quelque chose de touchant dans cette
insistance, ou cette fidélité, comme chez ces
boy-scouts qui, une fois leur
« promesse » prononcée
(« devant tous je m’engage, sur mon
honneur... »), s’y tiennent. L’ennui,
bien sûr, est que dans le domaine scientifique
il faut savoir reconnaître que l’on s’est
peut-être trompé, plutôt que de tirer des
bords, lof pour lof, sans jamais atteindre son
but.
12
Février 2018 : Hebdo sans H

Le tout nouvel hebdomadaire l’Ebdo a donc publié dans son numéro 5 un
dossier sur une plainte pour viol déposée
contre Nicolas Hulot. S’abstenant de donner le
nom de la plaignante (mais tout le monde le
connaît), ne donnant aucun détail sur la
nature des faits reprochés au ministre, il a
concocté une « une » ravageuse,
titrée L’affaire
Nicolas
Hulot, en lettres blanches sur la tête
noire de Hulot, en ombre chinoise. Quelle
affaire ? On n’en sait pas grand chose.
Les faits remonteraient à 1997 et la
prescription étant alors de dix ans, ils
étaient prescrits au moment de la plainte, en
2008. Ce qui, moralement, ne change rien s’il
y a vraiment eu viol. Mais c’est là que
l’article pose un léger problème. Depuis que le mot d’ordre balance
ton porc a été lancé, on a parfois
l’impression que ce n’est pas à l’accusation
d’apporter la preuve des faits mais à l’accusé
de prouver son innocence. Jai
eu cette impression lorsque Pierre Joxe a
été accusé, j'ai la même aujourd'hui. Le
défenseur des droits Jacques Toubon a
d’ailleurs publié fin novembre un tweet
étonnant : « en cas de harcèlement
sexuel, c’est à l’auteur des faits de
démontrer devant la justice qu’il n’y a pas eu
harcèlement ». L’Ebdo lance donc une accusation sans donner de
preuves (peut-être les a-t-il et les
garde-t-il pour ses prochains numéraux).
L’éditorial du numéro en question, est
d’ailleurs clair : il est titré
« parole contre parole ». Mais il
rappelle que le journal « raconte le
monde tel qu’il est ». Tel qu’il est ou
tel que certains disent qu’il est ?
Pas de preuves donc, du moins pour l’instant,
mais une couverture assassine.
Je ne sais rien, bien sur, de ce dossier, je ne
connais pas Nicolas Hulot, je ne suis pas son
avocat, mais j’ai de la mémoire. L’éditorial
du numéro 5 de l’Ebdo est signé Laurent Beccaria. En 1997
Laurent Beccaria lançait les éditions Les
Arènes, puis en 2008 l’excellente revue
XXI et en 2017, donc, L’Ebdo. On peut lire sur le site des Arènes que « chaque
livre
est une aventure, chaque livre doit avoir un
sens et sa raison d'être ». Et je me suis demandé en leur temps
quel était le sens et la raison d’être du Livre noir de la
psychanalyse publié en 2005 et de Merci
pour ce moment de Valérie Trierweiler
publié en 2014. Je me demande donc aujourd’hui
de quoi témoigne l’absence de la lettre H à
l’initiale de L’Ebdo, hebdo sans H. Absence
d’heuristique (« qui sert à la
découverte ») ou d’honnêteté ? Mais
peut-être l'Ebdo nous
apportera-t-il prochainement des informations
plus sérieuse. A moins qu'il ait choisi de se
comporter comme un journal people, ou à
scandales, comme on voudra.

5
Février 2018 : Seu-he-ee-ting

Entre le VIII° et le V°
siècle avant J-C, les Jeux Olympiques
généraient une trêve : cela ne mettait
pas fin aux conflits mais les suspendait. Ils
portaient ainsi un idéal de paix. Les jeux
modernes, lancés par Pierre de Coubertin,
reposaient d’une certaine façon sur le même
principe, et l’on peut considérer que les jeux
olympiques d’hiver qui viennent de débuter à
Pyeongchang, en Corée du Sud, illustrent cet
idéal. Non seulement la Corée du Nord y
participe, ce qui implique que ses sportifs
passent une frontière fermée, mais encore les
deux Corées y présentent des équipes communes,
en particulier une équipe féminine de hockey
sur glace.
Mais les choses ne sont pas
pour autant idylliques. En effet, le coréen, langue
théoriquement commune aux deux pays, s’est
lentement diversifié depuis la division du
pays en 1945 et la redéfinition de la
frontière commune en 1953. Au Nord la langue,
isolée par le régime politique, a gardé une
syntaxe plus traditionnelle, sa prononciation
a moins évolué qu’au Sud et, surtout , elle a
emprunté des mots au russe et au chinois
tandis qu’au Sud on empruntait plutôt à
l’anglais.
Le résultat en est que les
sportifs du Nord, à leur arrivée au Sud, on
été surpris : ils ne comprenaient pas le
vocabulaire technique de leur sport. Ainsi le
patinage, qu’ils appellent apuro
jee chee gee, se dit au Sud seu-he-ee-ting (sur l’anglais skating),
et une technique de défense du gardien de but
qui se dit au Sud tee-pu-sh (de l’anglais T-push)
se dit au Nord moonjeegee
eedong (« geste du gardien). Ajoutons à cela le fait
que l’entraineuse de l’équipe de Hockey est
une canadienne anglophone et l’on devine les
difficultés...
On a donc distribué aux joueuses du
Nord une liste de mots qu’elles ne
connaissaient, et donné à l’entraineuse, Sarah
Murry, une liste des termes nord-coréens
prononcés « à l’anglaise ».
Nous verrons les résultats lorsque
cette équipe « coréenne » entrera en
lice, mais cette anecdote pose un problème
plus général: une langue parlée dans deux pays
contigus et antagonistes peut-elle se
différencier en un peu plus d’un
demi-siècle ? Il y a, bien sûr, des
précédents. En Inde l’opposition entre
musulmans et hindouistes a mené au moment de
l’indépendance à la division du pays (Inde,
Pakistan) et à celle de l’hindoustani en
ourdou (écrit en caractères arabes) et hindi
(écrit en caractères devanagari). Plus
récemment, après l’éclatement de
l’ex-Yougoslavie, le serbo-croate a éclaté en
serbe, croate, bosniaque... Et, quelles que soient
les différences minimes ente ces formes, leurs
locuteurs, à force de ne pas vouloir se
comprendre, finiront par ne pas se comprendre.
A l’heure où l’on parle beaucoup de la
disparition programmée de milliers de langues,
il y a là de quoi réfléchir. Paradoxalement,
les hostilités, les guerres, seraient-elles
pourvoyeuses de diversité linguistiques ?
31
janvier 2018 : Le
syndrome Balkany

Entendu
il y a quelques jours dans mon bistrot
préféré : « Putain ! Ils
foutent même pas les terroristes en prison et
ils veulent la mettre, elle ! ».
« La », c’était Maryse Joissains, maire
d’Aix-en-Provence, dont la presse locale
disait qu’elle allait passer d’ici deux mois
devant le tribunal de Montpellier, et qui
se trouve dans un bourbier judiciaire à
rallonge. Pour l’instant elle se sera jugée
pour conflit d’intérêts, emplois de
complaisance, contrat de travail illégal, mais
elle a encore quelques affaires derrière la
porte. Et tout le monde le sait dans la ville,
et en parle.
Son
mari, qui fut maire de la ville pendant cinq
ans, était parti à cause d’une affaire
immobilière dans laquelle étaient compromis
ses beaux-parents. L’affaire est depuis
longtemps terminée, l’ex-maire a été condamné
à deux ans de prisons avec sursis et à une
amende de 150 .OOO francs (c’était en
1988). En 2001, c’est donc son épouse qui est
à son tour élue et elle fait à son mari un
contrat de directeur de cabinet avec un
salaire exorbitant. L’ex-maire
sera d’ailleurs condamné en 2015 à rembourser
à la commune 476.000 euros... Mais les choses
ne s’arrêtent pas là. Le chauffeur de la
maire, dont elle est très proche, et qui était
aussi son attaché parlementaire lorsqu’elle
était députée, lui également joui d’un traitement de
faveur. Et l’on parle depuis quelques semaines
d’un contrat concernant des bus électriques
qui n’aurait pas été passé dans des conditions très légales.
Bref tout cela est encore dans les tuyaux de
la justice et, après tout, il existe en France
la présomption d’innocence. Mais...
Mais
il est tout de même frappant que tout le monde
parle de ces affaires à Aix, s’en régale, et
qu’en même temps certains s’insurgent. Je
reviens à la conversation entendue dans mon
bistrot : « Putain ! Ils
foutent même pas les terroristes en prison et
ils veulent la mettre, elle ! ». Il
y a là ce que j’appellerais volontiers le syndrome
Balkany. A Levallois-Perret comme à
Aix-en-Provence un couple tient la mairie et
s’en gave au su et au vu de tout le monde,
dans les deux cas aussi la justice est déjà
passée et passera encore, dans les deux cas
enfin les électeurs ne s’en offensent pas trop
et défendent leurs élus. C’est beau, la
démocratie !
Et
nous n’en avons sans doute pas fini. On
murmure en effet que la fille de l’ex-maire et
de l’actuelle maire, Sophie Joissains,
actuellement sénatrice des Bouches-du-Rhône,
se prépare pour les prochaines élections
municipales et tenterait de prendre la place
de sa mère.
Je
ne sais pas si elle a, pour l’avenir de la
ville, une
fille ou un fils.
26
janvier 2018 : Sourate,
verset, hadith : la voie de Wauquiez ?

Dure soirée, hier
soir. J’avais travaillé toute la journée, et
puis Laurent Wauquiez était l’invité de
l’émission politique de France 2 et je me suis
mis devant le poste. « Si j’avais su
j’aurais pas v’nu », mais, trop tard, un
carnet et un stylo en main je suis resté à
l’écoute.
Cet homme a une
caractéristique qu’il partage avec bien
d’autres hommes politiques : lorsqu’il
prétend répondre à une question, il baratine
tellement qu’à la fin on ne sait plus quelle
était la question : « Je vais vous
répondre, mais... », « je pense
d’abord que..., oui oui je vais vous
répondre ». Ou encore il coupe la parole
à l’autre, « très rapidement... »,
et ça dure, puis « et j’en
finis... » et il aligne une quinzaine de
phrases.. Commenter longuement une question
avant d’y répondre...ou pas, la technique est
connue, mais chez lui elle est
particulièrement énervante.
En face de lui,
dans les rangs des invités, on voit Gérard
Larcher et Ludovine Dutheil de la Rochère. Le
premier, président du Sénat, semble
s’endormir, mais avec lui on ne sait jamais
s’il somnole après un repas trop arrosé ou
s’il va bientôt se réveiller pour passer à
table. Quant à la seconde, c’est la version
propre sur elle et à particule de Frigide
Barjot : présidente de la « manif
pour tous », de bonne droite catholique,
opposée au mariage homosexuel, à
l’enseignement de la supposée « théorie
du genre », et proche des idées du Front
National. Bref, ce n’est ni jeune ni
progressiste. Mais revenons à Wauquiez. De son
programme on n’apprendra pas grand chose, sauf
qu’il est férocement contre l’immigration et
qu’il veut sauver la droite en déroute. Mais
ce type est retors. « Vous êtes sur les
positions du FN » lui dit quelqu’un.
« Je ne vais pas laisser au FN le
discours sur l’immigration », répond-il.
Quand on le traite d’islamophobe, il répond
toujours « j’ai appris l’arabe ».
Mais il y a là un petit problème. Il a en
effet en 2000 travaillé quelques mois au
Caire, à l’ambassade de France, et il a
souvent dit qu’il y avait aussi enseigné le
français dans l’association de sœur
Emmanuelle, ce que la dite association dément,
lui reprochant en outre d’utiliser
« l’image d’une des personnalités préférées des Français
pour donner du crédit à ses propos ». A
une universitaire franco-marocaine venue
l’interroger il répète qu’il a appris l’arabe,
elle réplique que certains orientalistes
apprenaient l’arabe pour insulter les Arabes.
Mais, qu’il ait ou non appris l’arabe, il ne
brille pas par sa connaissance de l’islam.
Ainsi, il répète depuis des mois, dans ses
discours, qu’il y a une sourate du Coran,
parfois un verset, enjoignant aux musulmans
vivant dans un pays non musulman de se plier
aux habitudes et aux lois de ce pays.
L’universitaire lui fait remarquer qu’il n’y a
ni sourate ni verset disant une chose
pareille. Il rétropédale alors, « oui, je
sais, un ami spécialiste me l’a dit, il s’agit
d’un hadith ». Tout Wauquiez est
là ! Il pratique en effet la rouerie de
certains musulmans qui utilisent les hadiths
pour justifier n’importe quoi. Précisons qu’un
hadith est une déclaration orale attribuée à
Mohamed ou à ses compagnons, dont le corpus,
la sunna,
est la base du sunnisme. Mais certains ont
recensé 700.000 hadith, pour lequel il faut
chaque fois reconstituer la généalogie, la
chaîne de transmission. Il s'agit de tradition
orale et tout le monde peut inventer un
hadith. C’est dire que leur usage est toujours
suspect, et que Wauquiez à piqué le truc. Et,
piégé sur son histoire de sourate, de verset
ou de hadith, il répond finalement, après un
long développement historique que personne ne
comprend, par une question :
« considérez-vous que les musulmans
doivent s’adapter au pays ? ».
Etait-il utile d’inventer une sourate, un
verset ou un hadith pour une question aussi
simple ? Et de se ridiculiser en lançant ahlan wa
sahlan (« bienvenue ») à Léa
Salamé pour prouver qu’il parle arabe ?
Nous avons cependant appris que Wauquiez se
réclamait de la sunna. Serait-il devenu sunnite ? Un
scoop! Mais restons sérieux.
Le
seul moment fort de ces deux longues heures a
été l’intervention d’Alain Minc, soulignant
qu’il est piquant de l’entendre toujours
opposer le peuple aux élites, à moins qu’il ne
s’agisse d’un « geste sacrificiel »
(en effet Wauquiez a fait normale sup puis
l’ENA, il fait partie des
« élites », que ça lui plaise ou
pas), montrant que son discours balançait
entre Barrès et Maurras, qu’il avait changé
souvent de position politique, qu’il jouait un
rôle de composition, et concluant en lui
disant « vous avez un problème avec les
mots ». Les mots, justement, parlons-en.
Vous vous souvenez de la formule du FN,
« la préférence nationale » ?
Et bien Wauquiez, lui, défend la
« préférence communautaire ». Il ne
veut pas bouter les migrants hors de France
mais hors d'Europe. C’est d’une grande
habileté car quiconque proche du Front
National l’entendant dire cela y trouvera un
écho des thèses d’extrême droite. La
"préférence" c'est Jean-Marie, mais c'est
aussi Laurent.
Habile,
retors
et redoutable, pire que Sarkozy parce que plus
intelligent et plus cultivé, il sera sans
doute dans les années à venir la voix de la
droite dure, décomplexée, dépouillée de ses
membres les plus « modérés » dont
certains, et non des moindres, ont déjà pris
leurs distances. La voix de la droite dure,
certes, mais sa voie ? Cela reste à
prouver, ou à suivre. Ce qui est sûr, c’est
que la seule différence entre lui et Marine Le
Pen, finalement, est qu’il connaît mieux les
dossiers politiques et économiques qu’elle.
Pour le reste, c'est une copie conforme.
Une
dernière
chose. A la fin de l’émission, on présente les
résultats d’un sondage : Wauquiez a
convaincu les téléspectateurs ? Il en
aurait convaincu 51% si j'ai bien noté, et 71%
des partisans de son parti, les républicains.
C’est beaucoup, 71% ! Mais on peut faire
ce que l'on veut avec les chiffres. S'agit-il
de 71% des 20% qui ont voté Fillon au premier
tour de la présidentielle ? Soit
seulement 14% de ceux qui ont voté ?
J’aimerais bien, on peut toujours rêver....
Mais on peut aussi se consoler: ce matin, les
chiffres de Médiamétrie sont tombés:
l'émission d'hier soir. L'émission d'hier soir
a fait une grosse contre-performance: 6,8% de
part de marché, soit le pire score de
l'émission, plus bas qu'Hervé Hamon en
décembre 2016 (8%). Wauquiez était derrière
TF1 (26,2%), M6 (10,8%), France 3 (8,4%): la
voix de la droite n'a semble-t-il pas trouvé
sa voie vers le public.
25
janvier 2018 : Balance...

Nous avons il y a
quelques années assisté à la fortune du verbe dégager à l’impératif, injonction aux
dictateurs de certains pays arabe de quitter
leur trône. Voici que le verbe balancer avec
le sens de « dénoncer » est
en train de se répandre à son tour. Je lis
d’une part sur internet que le rappeur Booba
« a balancé sur les pseudos pros
palestiniens ». Et je viens d’apprendre
que, face à la situation lamentable de leurs
hôpitaux, certains témoignaient sur leurs
conditions de travail sous le titre balance
ton hosto. Tout cela est bien sûr en
écho au #balancetonporc qui fait
florès depuis que les agissements d’Harvey
Weinstein ont été révélés.
Je sais pas ce
qui a poussé les initiatrices de ce mouvement
à choisir ce verbe, mais depuis qu’il a pris
en argot le sens de « dénoncer » (au
début des années 1930 selon le Dictionnaire
de l’argot de Jean-Paul Colin) et que balance a pris celui de « délateur »
(vers 1980, toujours selon Colin), ce verbe et
ce substantif sont parmi les plus injurieux du
vocabulaire des truands. Une balance est
un traitre, un allié des flics et, surtout, un
sournois, comme le corbeau qui, dans
le film de Clouzot (1943) envoyait des lettres
anonymes et calomnieuses. Plus tard, en 1982,
Bob Swaim tournait La Balance, un film
dans lequel étaient montrées les relations
entre la police et ses indicateurs. Balancetonporc pourrait donc facilement s’assimiler à
une délation dans l’ombre, et le trait est
encore forcé sur le site https://www.balancetonporc.com/ où l’on peut lire « témoignez
anonymement
sur balancetonporc.com ». Anonymement,
tout est là. Bien sûr, une balance,
dans le milieu, dénonce ses semblables, ses
alliés, ses compagnons, alors que les
féministes qui appellent à balancer,
visent leurs prédateurs, leurs
« ennemis ». Mais il demeure qu’avec anonymement, le message connote
fortement la délation, la sournoiserie, et
affaiblit l’intention. A moins, bien sûr, que
ce soit justement le but recherché,
assumé : se présenter comme des
dénonciatrices de l’ombre. Mais je persiste et
signe : on aurait pu se passer de cet anonymement.
Et imaginer que des esprits mal tournés se
mettent en tête de dénoncer, anonymement bien
sûr, celles qui leur sauteraient dessus et
lancent #balancetatruie...
17
janvier 2018 : Je
ne vous dirai pas...

Vous
souvenez-vous d’une chanson de Léo Ferré qui
s’appelait Le conditionnel de
variétés ? Cela date de 1971 et Léo
commençait ainsi : « Je ne suis
qu’un artiste de variétés et ne peux rien dire
qui ne puisse être dit de variétés, car on
pourrait me reprocher de parler de choses qui
ne me regardent pas ». Puis il enchaînait
sur une longue litanie, « comme si je
vous disais que... », dénonçant à tout va
les cadences chez Renault, les licenciements
dans le textile, l’interdiction de La
Cause du peuple, l'industrie chimique
dont les ouvriers ont les poumons rongés par
l'acide, etc. Pourquoi est-ce que je vous
parle de ça ? Comme ça, pour rien, juste
un souvenir d’amateur de chansons.
Passons donc à
autre chose. Sans être juriste, je crois
savoir qu’il est interdit, en France,
d’appeler au boycott. Je ne vous dirai donc
pas de boycotter la compagnie d’aviation
Ryanair qui traite son personnel comme des
esclaves, ni de boycotter les produits venant
des territoires palestiniens envahis par
l’impérialisme israélien, ni de boycotter un
certain café d’Aix-en-Provence dont le patron
avait naguère attaqué en justice les
intermittents du spectacle, coupables selon
lui de lui faire perdre des clients et donc de
l’argent, non, je ne vous dirai rien de tout
cela, surtout pas. Je ne suis qu'un auteur de
petits billets doublé d'un admirateur des
réussites industrielles. Je voudrais donc
simplement vous dire que j’admire énormément
Lactalis, un groupe dont on parle beaucoup en
ce moment, un groupe qui a eu le génie de
créer un nombre invraisemblable de marques (je
vous en donne quelques exemples :
Président, Chaussée aux moines, Salakis,
Société, Danette, Chambourcy, Bridel...), le
génie de vendre ainsi des produits laitiers,
fromages, yoghourts, lait en poudre, etc.,
sans que l’on puisse deviner les liens de ces
marques avec la maison mère, sans que l’on
puisse savoir que pour les producteurs
de lait qui travaillent pour Lactalis c’est soldes tous les jours, qu’ils
vendent à perte 365 jours par an, sont
étranglés. Non, je ne vous dirai rien de tout
cela, ni bien sûr de compléter la liste de ces
marques et de les boycotter. Car, comme disait
Léo, « on pourrait me reprocher de parler
de choses qui ne me regardent pas ».
10
janvier 2018 : Abou Dhabi

Lorsqu’on sort de l’avion, on se trouve
dans un aéroport presque comme les autres
(enfin, comme les aéroports ultramodernes), à
une exception près. Pour passer les contrôles
de police il y a plusieurs files, selon votre
nationalité, jusqu’ici, rien d’anormal, mais
s’y ajoute une file pour les femmes voilées et
les invalides. Je n’ai aucune interprétation à
vous proposer pour cet amalgame. Et
vous ?
La ville moderne a une soixantaine
d’années, mais ce qui a été construit dans les
années 1960 a totalement été détruit, ce qui
date des années 1970 et 1980 est considéré
comme obsolète et va prochainement
disparaître, et l’on construit bien sûr sans
cesse de nouvelles choses. Rien d’étonnant
pour une ville du golfe, mais on peut
cependant s’interroger sur l’avenir de la
grande mosquée Cheikh Zayed, terminée en 2007,
et du musée du Louvre d’Abou Dhabi, inauguré
fin 2017. Leur durée de vie sera-t-elle
comparable à celle des bâtiments
précédents ?
Le Louvre, donc, construit par Jean
Nouvel, se trouve sous une immense coquille
qui rappelle les moucharabiehs de l’Institut du Monde Arabe à Paris
(lui aussi construit par Nouvel), et fait
penser à un coquillage agrippé à un rocher, au
bord de l’eau. Sa visite est intéressante de
différents points de vue. Disons qu’on y lit
la volonté de lancer des ponts entre les arts
d’Occident, d’Orient et d’ailleurs. Chaque
salle est ainsi consacré à un thème, montrant
comment il a été abordé ou traité sous
différentes latitudes et à différentes
époques. Une très belle réussite, aussi bien
muséologique qu’architecturale.
De façon plus large, la
ville, dans son ensemble, rappelle que
l’architecture et l’urbanisme sont toujours un
discours du pouvoir, et ici la vitrine de la
réussite financière, comme une affiche. En
outre, cet enchaînement cyclique de
constructions et de destructions pose un
problème de redéfinition de la notion de
patrimoine. On distingue en général entre
patrimoine matériel (les monuments, etc.) et
patrimoine immatériel (la culture, la
tradition orale, etc.). Mais le Louvre de
Paris, entamé au XII° siècle, a pratiquement été terminé au XVI° et a sans doute encore de beaux jours
devant lui. Celui d’Abou Dhabi ?
En fait, ce qui m’a interpellé est autre
chose et constitue peut-être la contrepartie
linguistique de cette réussite
financière et architecturale. Pendant
les
cinq jours de mon séjour, je n’ai jamais
rencontré dans les « services »
(chauffeurs de taxi, personnel des hôtels ou
des restaurants, vendeurs dans des boutiques
populaires ou de luxe…) d’Emirati. Même les
vendeurs du souk aux poissons sont venus
d’ailleurs. A tous j’ai posé les mêmes
questions : Quelle est votre
origine ? Votre langue maternelle ?
Parlez-vous arabe ? Et tous, Indiens, Népalais, Pakistanais,
Philippins, Nigérians, etc., à une exception
près sur laquelle je reviendrai, m’ont répondu
la même chose : non, ils ne parlaient pas
arabe, non il était inutile d’apprendre
l’arabe pour vivre ici. L’exception, un
taximan pakistanais, me dit que, musulman, il
lisait le Coran dans son pays et qu’arrivé
dans les émirats cela lui a facilité la tâche
pour apprendre l’arabe. Pour les autres, ce
n’est pas un problème. Tout se passe en
anglais, et même les contrats de travail sont
en anglais. Or, rappelons-le, la langue
officielle d’Abou Dhabi est l’arabe.
Comment définir cette situation, qui
mérite d’être étudiée de plus près? Une
langue officielle, endogène, l’arabe, qui
semble être inutile pour vivre et travailler
dans cette ville… Bien sûr, la démographie
explique en partie cette situation : les
Emiratis constituent environ 1O% de la
population, qui compte donc 90% d’émigrés.
Mais cela n’enlève rien à ce paradoxe :
la coexistence entre une minorité (10%) tenant
le pouvoir politique et financier, dont la
langue semble minorée, et des communautés de
migrants ayant différentes langues (ourdou,
tagalog, malayalam, bengali, malais, igbo, etc),
tous utilisant
l’anglais comme véhiculaire. C’est-à-dire
que, d’une part, un Emirati voulant prendre un
taxi, ou commander un plat dans un restaurant
indien, ou
s’acheter des chaussures dans un centre
commercial, devra parler anglais, et d’autre
part que l’anglais se trouve du coup être la
langue des migrants, parfois opprimés,
exploités, en même temps que la langue des
affaires, du commerce, de la « high
society », tandis que l’arabe, langue
officielle, ne s’entend guère.
J’ai dit que cette situation méritait
d’être étudiée, et il faudrait aussi se
pencher sur les formes d’anglais utilisées.
Par exemple, un chauffeur de taxi nigérian
parlant un anglais très africain qui
étonnerait un new-yorkais ou un londonien,
m’explique, dans son anglais, que la façon
dont les Indiens parlent anglais le fait
rire : selon lui ils le parlent très mal
et il est difficile de les comprendre. Mais il
est probable qu’un Indien penserait la même
chose de l’anglais nigérian. Et que dire de
l’anglais des Népalais ou des
Philippins ? En bref, je me suis trouvé
devant une situation sociolinguistique que je
n’ai jamais rencontrée ailleurs, du moins à ce
point. Bien
sûr il n’est pas étonnant qu’une langue en
fonction véhiculaire prenne des formes variées
et qu’à terme il puisse apparaître un anglais
populaire émirati coexistant avec celui, très
châtié, que pratiquent certains Emirati. Mais
plus surprenant est la quasi disparition de la
langue endogène, et de surcroît officielle,
l’arabe. Imaginez qu’à Paris seuls quelques
parisiens parlent français et que les autres,
de langue arabe, bambara, chinoise, wolofe,
lingala, etc., communiquent en anglais. Ou
encore imaginez la même chose à Berlin, à
Madrid… Encore une fois, cela mérite d’être
étudié soigneusement et justifierait une
enquête sérieuse. Si dieu me prête vie…
|